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Parcours axiologique - La liberté selon l'espérance

LA LIBERTÉ SELON L’ESPÉRANCE

« L’espoir de participer au souverain bien » est la liberté même,

la liberté concrète, celle qui se trouve chez elle.


INTRODUCTION

Avant toute chose, je voudrais indiquer au lecteur les raisons qui ont présidé au choix de cet essai d’herméneutique de Paul Ricoeur intitulé « La liberté selon l’espérance ». La première est consécutive à la recension que je viens de lui proposer avec les ‘Eminents penseurs de la liberté’. A la suite de l’exposé de tant de théories sur la liberté, je m’étais demandé s’il n’y avait pas une forme ultime de Discours sur la liberté. J’ignorais alors que la réponse me parviendrait de Ricoeur et très précisément par ce nouvel essai. En effet, dès le début de son analyse, il précise « son ambition de montrer que cette qualité de liberté récapitule les degrés antérieurs de liberté dans la mesure où elle concerne ce qu’il appelle ‘l’achèvement du Discours de la liberté’ ». C’est ainsi que l’essai s’est imposé à moi, d’autant plus fortement qu’un objectif totalement novateur lui était fixé. Le mot ‘espérance’ qui figure dans le titre disait, à lui seul, l’intention de Ricoeur de traiter la liberté religieuse jusqu’à son extrême pointe.

Instruit par ailleurs des convictions religieuses de l’auteur et de la grande rigueur qu’il avait déployée au cours de sa carrière universitaire, j’étais curieux de savoir comment sa foi et son enseignement avaient été rendus compatibles, comment son action de décloisonnement de la pensée avait pu être menée à bien, et selon quels critères. Ceci en réponse à l’extrême prévention qui se manifeste dans notre pays pour tout ce qui, de près ou de loin, touche au religieux. Ce n’est pas le moindre des avatars que la ‘laïcité à la française’ ait à nous faire subir ; raison de plus pour mettre le doigt sur les victoires obtenues sur son obscurantisme. Visant ‘l’intégralité du penser’, les perspectives de Paul Ricoeur, comme on va le voir, se trouvent aux antipodes de ces restrictions de la pensée.

Le concept de liberté religieuse, selon lui, peut être abordé à trois niveaux différents :

– On peut d’abord, en plaçant le problème dans le champ psychologique ou anthropologique, s’interroger sur la liberté de l’acte de foi. Dans ce cas, la foi n’y est pas reconnue dans sa spécificité théologique ; elle est traitée comme une simple espèce de la croyance ; et la liberté de l’acte de foi apparaît comme un cas particulier du pouvoir de choisir, de se faire une opinion.

– A un deuxième niveau, on peut s’interroger en science politique, sur le droit de professer une religion déterminée ; il ne s’agit plus seulement de conviction subjective, mais d’expression publique de l’opinion. La liberté religieuse est alors un cas particulier du droit général de professer des opinions sans être inquiété par la puissance publique.

– A un troisième niveau, celui où Ricoeur déclare vouloir se placer, la liberté religieuse signifie la qualité de liberté qui appartient au phénomène religieux comme tel. De cette liberté, il y a herméneutique, dans la mesure où le phénomène religieux lui-même n’existe que dans le procès historique de l’interprétation et de la réinterprétation de la parole qui l’engendre. L’herméneutique de la liberté religieuse est donc comprise comme l’explicitation des significations de la liberté qui accompagnent l’explicitation de la parole fondamentale, c’est-à-dire de la proclamation du kérygme (proclamation du Royaume de Dieu et des choses dernières). Cette troisième manière de poser le problème n’exclut pas les deux premières. Ricoeur se donne précisément comme tâche de montrer que cette qualité de liberté, développée par la proclamation et l’interprétation, récapitule les degrés antérieurs de la liberté, dans la mesure où elle concerne ce qu’il appelle dès maintenant l’achèvement du Discours de la Liberté. « Ce mouvement de récapitulation, déclare Ricoeur, sera même constamment ma préoccupation. En effet la tâche du philosophe me paraît se distinguer ici de celle du théologien de la manière suivante : la théologie biblique a pour fonction de développer selon sa conceptualité propre le kérygme ; elle a le souci de faire la critique de la prédication, à la fois pour la confronter à son origine et pour la rassembler dans un enchaînement signifiant, dans un discours d’un genre propre, selon la cohérence interne du kérygme lui-même. Le philosophe, même chrétien a une tâche distincte. Je ne suis pas de l’avis de dire qu’il met entre parenthèses ce qu’il a entendu et ce qu’il croit ; car comment philosopher dans un tel état d’abstraction portant sur l’essentiel ? Je ne suis pas d’avis non plus qu’il doive subordonner sa philosophie à la théologie, dans une relation ancillaire. Entre l’abstention et la capitulation, il y a la voie autonome que j’ai située sous le titre d’Approche philosophique.

Je prends ‘approche’ dans son sens fort d’approximation. J’entends par là le travail incessant du discours philosophique pour se mettre en relation de proximité avec le discours kérygmatique et théologique. Ce travail de pensée est un travail à partir de l’écoute, et pourtant dans l’autonomie de la pensée responsable. C’est une réforme incessante du penser, mais dans les limites de la simple raison. La ‘conversion’ du philosophe est une conversion dans la philosophie et à la philosophie selon ses exigences internes. S’il n’y a qu’un logos, le logos du Christ ne me demande pas autre chose, en tant que philosophe, qu’une plus entière et plus parfaite mise en œuvre de la raison ; pas plus que la raison, mais la raison entière. Répétons ce mot : la raison entière, car c’est ce problème de l’intégralité du penser qui s’avèrera le nœud de toute la problématique. »

L’auteur en déduit la marche qu’il entend suivre : d’abord esquisser ce qu’est pour lui, en tant qu’auditeur de la Parole, le noyau kérygmatique de la liberté selon l’espérance. Dire ensuite, après le discours psychologique et le discours politique, quel discours sur la liberté la philosophie est en mesure d’articuler en tant que discours sur la liberté religieuse. Ce discours homologue est celui de la religion dans les limites de la simple raison.


1ère partie

LE NOYAU KÉRYGMATIQUE DE LA LIBERTÉ SELON L’ESPÉRANCE

La prédication centrale de la résurrection replacée dans une perspective eschatologique

Ce n’est pas d’abord de liberté que l’Evangile nous parle, c’est parce qu’il nous parle d’autre chose qu’il nous parle aussi de liberté : « la vérité vous affranchira », dit Jean.

Si ce n’est pas de la liberté, d’où faut-il donc partir ? Pour sa part, Ricoeur déclare avoir été très frappé et, dit-il conquis, par l’interprétation eschatologique que Jurgen Moltmann a donné au kérygme chrétien dans son ouvrage : la Théologie de l’espérance. Il en ressort que ce sont bien Johannes Weiss et Albert Schweitzer qui sont à l’origine de la réinterprétation de tout le Nouveau Testament à partir de la prédication du Royaume de Dieu et des choses dernières, en rupture avec le Christ moralisant des exégètes libéraux. Si on les suit, si donc la prédication de Jésus et de l’Eglise primitive procède effectivement du foyer eschatologique, il faut réajuster toute la théologie selon la norme de l’eschatologie et cesser de faire du discours sur les choses dernières une sorte d’appendice plus ou moins facultatif à une théologie de la Révélation axée sur une notion de logos et de manifestation qui ne devrait rien elle-même à l’espérance des choses à venir.

Cette révision des concepts théologiques, à partir d’une exégèse du Nouveau Testament centrée sur la prédication du Royaume à venir, trouve d’ailleurs un appui dans une révision parallèle de la théologie de l’Ancien Testament, inspirée de Martin Buber, lequel insiste sur l’opposition massive entre le Dieu de la promesse – Dieu du désert, de la pérégrination – et les dieux des religions « épiphaniques ». Cette opposition systématisée va très loin. La religion du « nom » s’opposerait à celle de « l’idole », comme la religion du Dieu qui vient à la religion du Dieu de la manifestation présente. La première engendre une histoire, tandis que la seconde consacre une nature pleine de dieux. Quant à cette histoire, elle est moins l’expérience du changement de toutes choses que la tension créée par l’attente d’un accomplissement. L’histoire est elle-même espérance d’histoire, car chaque accomplissement est perçu comme confirmation, gage et relance de la promesse ; celle-ci propose un surcroît, un « pas encore », qui entretient la tension de l’histoire[1].

C’est cette constitution temporelle de la « promesse » qui doit maintenant nous guider dans l’interprétation du Nouveau Testament. A première vue, on pourrait penser que la résurrection, cœur du kérygme chrétien, a épuisé la catégorie de promesse en la remplissant.

Ce qui a paru le plus intéressant à Ricoeur dans la Christologie de Moltmann, c’est son effort pour replacer la prédication centrale de la résurrection dans une perspective eschatologique. Cela est capital pour ce qui pourra être dit tout à l’heure concernant la liberté selon l’espérance. La résurrection serait-on tenté de dire, est l’événement passé par excellence . On songe à l’interprétation hégélienne du tombeau vide, comme mémorial de la nostalgie. Tout au plus voudrait-on la ramener dans la catégorie du présent, par une application à nous-mêmes, à l’homme nouveau comme on voit dans l’interprétation existentielle de Bultmann.

La tâche d’une herméneutique de la « résurrection » est d’en restituer le potentiel d’espérance

Comment interpréter la résurrection en termes d’espérance, de promesse, de futur ? Moltmann le tente en replaçant entièrement la résurrection dans le cadre de la théologie juive de la promesse et en la soustrayant aux schémas hellénistiques des épiphanies de l’éternité. La résurrection, interprétée dans une théologie de la promesse n’est pas un événement qui clôt, en remplissant la prophétie, mais un événement qui ouvre, parce qu’il renforce la promesse en la confirmant. La résurrection, c’est le signe que la promesse est désormais pour tous ; le sens de la résurrection est dans son avenir, la mort de la mort, la résurrection de tous d’entre les morts. Le Dieu qui s’atteste n’est donc pas le Dieu qui est, mais le Dieu qui vient. Le déjà de sa résurrection aiguise le « pas encore » de la résolution finale. Mais ce sens nous arrive masqué par les christologies grecques qui ont fait de l’Incarnation la manifestation temporelle de l’être éternel et éternellement présent, dissimulant ainsi la signification principale, à savoir que le Dieu de la promesse, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob s’est approché, s’est révélé comme Celui qui vient pour tous. Ainsi masquée par la religion épiphanique, la résurrection est devenue le gage de toute présence du divin dans le monde présent : présence cultuelle, présence mystique ; la tâche d’une herméneutique de la résurrection est d’en restituer le potentiel d’espérance, de dire le futur de la résurrection. La signification de « résurrection » est en suspens tant qu’elle n’est pas remplie dans une nouvelle création, dans une nouvelle totalité de l’être. Connaître la résurrection de Jésus-Christ, c’est entrer dans le mouvement de l’espérance de la résurrection d’entre les morts, c’est attendre la nouvelle création ex nihilo, c’est-à-dire hors de la mort.

La liberté selon l’espérance

Si tel est le sens de l’espérance au niveau du discours qui est le sien, celui d’une herméneutique de la résurrection, qu’en est-il de la liberté, si, elle aussi, doit être convertie à l’espérance ? Qu’est-ce que la liberté selon l’espérance ? D’un mot : c’est le sens de mon existence à la lumière de la résurrection, c’est-à-dire replacée dans le mouvement qui a été appelé le futur de la résurrection du Christ.

Qu’est-ce que cela signifie ?

La formule ci-dessus atteste que les aspects psychologiques, éthiques et même politiques ne sont pas absents ; mais ils ne sont pas originaux, parce qu’ils ne sont pas originels. L’herméneutique consiste à déchiffrer ces traits originels dans leurs expressions psychologique, éthique et politique, puis à remonter de ces expressions au noyau appelé kérygmatique, de la liberté selon l’espérance.

Les deux aspects, psychologique et éthico-politique de la liberté selon l’espérance

Aspect psychologique

Thème de la décision existentielle

On peut en effet parler en termes psychologiques d’un choix pour ou contre la vie, d’une alternative radicale : on trouve des textes en ce sens, qui font penser à une conception philosophique de la liberté de choisir, par exemple dans le Deutéronome : « je prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie , pour que toi et ta postérité vous viviez, aimant Yahvé ton Dieu , écoutant sa voix, vous attachant à lui… » (Deut., 30, 19-20). La prédication du Baptiste, et à plus forte raison celle de Jésus, sont un appel qui suscite une décision et cette décision peut être transcrite dans l’alternative « ou bien…ou bien ». On sait l’usage qui a été fait, de Kierkegaard à Bultmann, du thème de la décision existentielle. Mais l’interprétation existentiale de la Bible n’a pas été assez attentive à la spécificité de ce choix ; peut-être même marque-t-elle une subtile évacuation de la dimension eschatologique et un retour à la philosophie de l’éternel présent. En tout cas, le risque est grand de réduire le riche contenu de l’eschatologie à une sorte d’instantanéisme de la décision présente, aux dépens des aspects temporels, historiques, communautaires, cosmiques, contenus dans l’espérance de la résurrection.

Thème de la passion pour le possible

Si l’on veut exprimer en termes psychologiques appropriés la liberté selon l’espérance, il faudra parler, avec Kierkegaard encore, de la passion pour le possible, qui retient dans sa formule la marque de futur que la promesse met sur la liberté. Il faut en effet tirer toutes les conséquences, pour une méditation sur la liberté, de l’antithèse de Moltmann entre religion de la promesse et religion de la présence, prolonger le débat avec les religions théophaniques de l’Orient dans un débat avec l’hellénisme tout entier, dans la mesure où celui-ci procède de la célébration parménidienne du « IL EST ». Ce n’est plus seulement alors le Nom qu’il faut opposer à l’idole, mais le « Il vient » de l’Ecriture au « IL EST » du Poème de Parménide. Cette ligne de partage va désormais séparer deux conceptions du temps et à travers elles, deux conceptions de la liberté. Le « IL EST » parménidien appelle une éthique de l’éternel présent ; celle-ci ne se soutient que par une continuelle contradiction entre, d’une part, un détachement, un arrachement aux choses passagères, une distanciation et un exil dans l’éternel, et, d’autre part un consentement sans réserves dans l’ordre du tout. Le stoïcisme est sans doute l’expression la plus achevée de cette éthique du présent[2]. Ni espoir, ni crainte dira également la sagesse spinoziste. Et peut-être, aujourd’hui, ce qu’il y a de spinozite dans la philosophie contemporaine nous ramène-t-il à cette même sagesse du présent, à travers le soupçon, la démystification et la désillusion[3].

Eh bien ! l’espérance est diamétralement opposée, en tant que passion pour le possible, à ce primat de la nécessité. Elle a partie liée avec l’imagination, en tant que celle-ci est la puissance du possible, et la disposition de l’être au radicalement nouveau. La liberté selon l’espérance, exprimée en termes psychologiques, n’est autre chose que cette imagination créatrice du possible.

Aspect éthico-politique

Thème de l’obéissance, de l’écoute

On peut également parler de la liberté selon l’espérance en termes éthiques en soulignant son caractère d’obéissance, d’écoute. La liberté est un « suivre » (Folgen). Pour l’ancien Israël, la Loi est la voie qui mène de la promesse à l’accomplissement. Alliance, Loi, Liberté, en tant que pouvoir obéir ou désobéir, sont des aspects dérivés de la promesse. La Loi impose (gebietet) ce que la promesse propose (bietet). Le commandement est ainsi la face éthique de la promesse.

Transcription de l’obéissance selon saint Paul

Certes, avec saint Paul, cette obéissance n’est plus transcrite en termes de loi ; l’obéissance à la loi n’est plus le signe de l’effectivité de la promesse, mais bien la résurrection.

Ethique de l’envoi

Une nouvelle éthique marque néanmoins le lien de la liberté à l’espérance ; ce que Moltmann appelle l’éthique de l’envoi (Sendung) ; la promissio enveloppe une missio. Dans l’envoi, l’obligation qui engage le présent, procède de la promesse, ouvre l’avenir. Mais précisément l’envoi signifie autre chose qu’une éthique du devoir ; de même que la passion du possible signifie autre chose qu’un arbitraire. La connaissance pratique d’une « mission » est inséparable du déchiffrement des signes de la nouvelle création, du caractère tendanciel de la résurrection, comme dit encore Moltmann.

Tel serait l’équivalent éthique de l’espérance : l’envoi, comme la passion pour le possible en était l’équivalent psychologique.

Ce deuxième trait de la liberté selon l’espérance nous éloigne encore plus que le premier de l’interprétation existentiale, trop centrée sur la décision présente ; car l’éthique de l’envoi a des implications communautaires, politiques et même cosmiques, que la décision existentielle, centrée sur l’intériorité personnelle, tend à occulter. Une liberté ouverte sur la nouvelle création est en effet moins centrée sur la subjectivité, sur l’authenticité personnelle, que sur la justice sociale et politique ; elle appelle une réconciliation, qui demande elle-même à s’inscrire dans la récapitulation de toutes choses.

Remontée des expressions psychologique et éthico-politique au niveau du noyau kérygmatique

Il y a lieu, en effet de considérer que les deux aspects, psychologique et éthico-politique, de la liberté selon l’espérance sont les expressions secondes d’un noyau de sens qui est proprement le centre kérygmatique de la liberté, celui dont on souhaite, dans la seconde partie, tenter une approche (approximation) philosophique.

Reprenant une expression de Luther, Ricoeur déclare que « la liberté chrétienne » est d’appartenir à l’ordre de la résurrection. Voilà l’élément spécifique qui trouve son expression dans deux catégories sur lesquelles Ricoeur a réfléchi et beaucoup travaillé et qui relient expressément la liberté à l’espérance : la catégorie du « en dépit de… » et celle du « combien plus… ». Elles sont l’envers et l’endroit l’une de l’autre, comme chez Luther le « libre de… » et le « libre pour… ».

La logique du « en dépit de… »

Si la résurrection est résurrection d’entre les morts, toute espérance et toute liberté sont en dépit de la mort

C’est là le hiatus qui fait de la nouvelle création une création ex-nihilo. Ce hiatus est si profond que l’identité du Christ ressuscité et de Jésus crucifié est la grande question du Nouveau Testament. Cette identité n’est pas sûre ; les apparitions ne l’enseignent pas, mais seulement la parole du Ressuscité : « C’est moi, le même ». Le kérygme l’annonce comme une bonne nouvelle : « le Seigneur vivant de l’Eglise est le même que le Jésus en croix. » La même question a son équivalent dans les Synoptiques : comment raconter la résurrection ? Eh bien ! à proprement parler, on ne la raconte pas ; la discontinuité dans le récit est la même que dans la prédication ; pour le récit aussi, il y a un hiatus entre la croix et les apparitions du Ressuscité : le tombeau vide est l’énoncé de ce hiatus.

Qu ‘en résulte-t-il pour la liberté ? Toute espérance portera désormais le même signe de discontinuité, entre ce qui va à la mort et ce qui nie la mort. C’est pourquoi elle nie la réalité actuelle. L’espérance en tant qu’espérance de résurrection, est la contradiction vivante de cela même d’où elle procède et qui est placé sous le signe de la croix et de la mort. Selon une expression admirable des Réformateurs : le Royaume de Dieu est caché sous son contraire, la croix. Si le lien de la croix et de la résurrection est de l’ordre du paradoxe et non de la médiation logique, la liberté selon l’espérance n’est plus seulement liberté pour le possible, mais plus fondamentalement encore, liberté pour le démenti de la mort, liberté pour déchiffrer les signes de la résurrection sous l’apparence contraire de la mort.

La logique du « combien plus… »

Cette logique du surplus et de l’excès est aussi bien la folie de la croix que la sagesse de la résurrection

Le défi de la mort est à son tour la contrepartie ou l’envers d’un élan de vie, d’une perspective de croissance, que vient exprimer le combien plus de saint Paul. Ricoeur rejoint ici sa réflexion antérieure sur l’interprétation du mythe de la peine. Il y opposait alors à la logique de l’équivalence, qui est par excellence la logique de la peine, la logique de la surabondance : « mais il n’en va pas du don comme de la faute . Si par la faute d’un seul, la multitude est morte, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ, se sont-ils répandus à profusion sur la multitude… Si en effet, par la faute d’un seul, la mort a régné du fait de ce seul homme, combien plus ceux qui reçoivent avec profusion la grâce et le don de la justice règneront-ils dans la vie par le seul Jésus-Christ… La loi, elle, est intervenue pour que se multipliât la faute, et où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé » (Rom., 5, 12-20)).

Cette logique du surplus est aussi celle de la sagesse. Elle s’exprime dans une économie de la surabondance qu’il faut déchiffrer dans la vie quotidienne, dans le travail et dans le loisir, dans la politique et dans l’histoire universelle. Etre libre, c’est se sentir et se savoir appartenir à cette économie, être « chez soi » dans cette économie. Le « en dépit de… » qui nous tient prêts pour le démenti, est seulement l’envers, la face d’ombre , de ce joyeux « combien plus… », par lequel la liberté se sent, se sait, se veut conspirer avec l’aspiration de la création entière à la rédemption.

Avec ce troisième trait se creuse encore davantage la distance entre l’interprétation eschatologique de la liberté et une interprétation existentielle, qui la resserre sur l’expérience de la décision présente, intérieure, subjective. La liberté selon l’espérance a une expression personnelle, certes, mais plus encore, communautaire, historique et politique, à la dimension de l’attente de la résurrection universelle.

C’est de ce noyau kérygmatique de l’espérance et de la liberté qu’il faut maintenant chercher une approximation philosophique.

2ème partie

UNE APPROXIMATION PHILOSOPHIQUE

DE LA LIBERTÉ SELON L’ESPÉRANCE

En abordant la tâche propre du philosophe, Ricoeur tient à rappeler ce qu’il a dit dans l’introduction, concernant l’approximation dans le discours philosophique du kérygme de l’espérance. Cette mise en proximité, disait-il, est à la fois un travail d’écoute et un ouvrage autonome, un penser selon…et un penser libre.

Comment est-ce possible ? C’est, lui semble-t-il, dans le kéryme de l’espérance, à la fois une innovation de sens et une exigence d’intelligibilité, qui créent à la fois la distance et la tâche d’approximation.

Une novation de sens que Moltmann souligne en opposant la promesse au logos grec ; l’espérance commence par une « a-logique ». Elle fait irruption dans un ordre fermé ; elle ouvre une carrière d’existence et d’histoire. Passion pour le possible, envoi et exode, démenti au réel de la mort, riposte de la surabondance du sens à l’abondance du non-sens, autant de signes d’une nouvelle création, dont la nouveauté nous prend, au sens propre, au dépourvu. L’espérance, en son jaillissement est dans le domaine de l’incertitude (« aporétique »), non par manque, mais par excès de sens . La résurrection surprend comme étant de trop par rapport à la réalité abandonnée de Dieu.

Mais si cette nouveauté ne donnait pas à penser, l’espérance comme la foi, serait un cri, une fulguration sans suite ; il n’y aurait même pas d’eschatologie, de doctrine des choses dernières, si la nouveauté du nouveau ne s’explicitait pas dans une reprise indéfinie des signes, ne se vérifiait pas dans le « sérieux » d’une interprétation qui sans cesse départage l’espérance de l’utopie. Aussi bien, l’exégèse de l’espérance par le moyen de la liberté, telle qu’elle vient d’être esquissée, est-elle déjà une manière de penser selon l’espérance. La passion pour le possible doit engrener sur des tendances réelles, l’envoi sur une histoire sensée, la surabondance sur les signes de la résurrection partout où ils peuvent être déchiffrés ? Il faut que la résurrection déploie sa logique propre qui fait échec à la logique de la répétition.

On ne peut donc s’en tenir à l’opposition non dialectique de la promesse et du logos grec ; on ne peut en rester là sous peine de ne pouvoir dire avec le théologien lui-même, spero ut intelligam. Mais quelle intelligence ?

A la fin de l’introduction, Ricoeur suggérait une direction possible de recherche en disant : le discours du philosophe sur la liberté, qui se rendrait proche du kérygme, qui se ferait homologue à lui c’est celui de la religion dans les limites de la simple raison.

DÉVELOPPEMENT D’UN KANTISME POST-HÉGÉLIEN

TEL QUE PROPOSÉ PAR RICOEUR

Recours au « mieux penser » Kant et Hegel

Chronologiquement, Hegel vient après Kant, mais il n’est pas rare que les philosophes modernes aillent de l’un à l’autre, pensant que quelque chose de Hegel a vaincu quelque chose de Kant, parce qu’ils sont aussi post-hégéliens que post-kantiens. C’est pourquoi, pense Ricoeur, la tâche des philosophes d’aujourd’hui est de les penser toujours mieux, l’un contre l’autre et l’un par l’autre. Même si l’on commence à penser autre chose, ce « mieux penser Kant et Hegel » appartient d’une manière ou de l’autre, à ce « penser autrement que Kant et Hegel ».

Recours à la mise en proximité d’une pensée kérygmatique provoquant des « effets de sens » au niveau du discours philosophique

Ces considérations internes à la philosophie, rejoignent un autre ordre de réflexion qui concerne ce que Ricoeur a appelé l’approximation, la mise en proximité. Ce voisinage d’une pensée kérygmatique provoque, lui semble-t-il des « effets de sens », au niveau du discours philosophique lui-même, qui souvent prennent figure de dislocation et de refonte des systèmes. Le thème de l’espérance, précisément a une vertu fissurante à l’égard des systèmes clos et un pouvoir de réorganisation du sens, inclinant par là même aux échanges et aux permutations suggérées précédemment.

En référence à Kant

Recours à la fonction « d’horizon » assumée par la raison dans la constitution de la connaissance et de la volonté

L’écart entre entendement et raison institué par la philosophie kantienne recèle un potentiel de sens qui convient à un intellectus fidei et spei. Comment ? Essentiellement par la fonction d’horizon[4] qu’assume la raison dans la constitution de la raison et de la volonté. Ricoeur se réfère ainsi directement à la partie dialectique des deux Critiqiues kantiennes : Dialectique de la raison théorique, Dialectique de la raison pratique. Une telle philosophie des limites, qui est en même temps une exigence pratique de totalisation est vue par Ricoeur comme le répondant philosophique du kérygme de l’espérance et l’approximation la plus serrée de la liberté selon l’espérance. La dialectique au sens kantien lui apparaît comme la partie du kantisme qui, non seulement survit à une critique hégélienne, mais qui triomphe de l’hégélianisme tout entier.

En référence à Hegel

Recours à la critique hégélienne de l’éthique du devoir


Ricoeur indique que cette éthique du devoir lui paraît avoir été caractérisée correctement par Hegel comme une pensée abstraite, comme une pensée d’entendement. Avec ’Encyclopédie et les Principes de la philosophie du droit, Ricoeur reconnaît que la « moralité » est seulement un segment dans une trajectoire plus vaste, celle de la réalisation de la liberté[5]. Définie en ces termes plus hégéliens que kantiens, la philosophie de la volonté ne commence ni ne finit par la forme du devoir ; elle commence par l’affrontement de la volonté à la volonté, à propos des choses susceptibles d’être appropriées ; sa première conquête n’est pas le devoir, mais le contrat, bref le droit abstrait. Le moment de la moralité est seulement le moment réflexif infini, le moment d’intériorité, qui fait advenir la subjectivité éthique. Mais le sens de cette subjectivité n’est pas dans l’abstraction d’une forme séparée, il est dans la constitution ultérieure des communautés concrètes : famille, collectivité économique, collectivité politique. On reconnaît là le mouvement de l’Encyclopédie et des Principes de la philosophie du droit : mouvement de la sphère du droit abstrait à la sphère de la moralité subjective et abstraite, à la sphère de la moralité objective et concrète. Cette philosophie de la liberté qui traverse tous les niveaux d’objectivation, d’universalisation et de réalisation qui, aux yeux de Ricoeur la philosophie de la volonté, à bien plus juste titre que la maigre détermination du Wille par la forme de l’impératif, dans la philosophie kantienne. Sa grandeur tient à la diversité des problèmes qu’elle traverse et résout : union du désir et de la culture, du psychologique et du politique, du subjectif et de l’universel. Toutes les philosophies de la volonté, depuis Aristote jusqu’à Kant, y sont assumées et subsumées. Cette grande philosophie de la volonté est, pour Ricoeur, une réserve inépuisable de de descriptions et de médiations. Il pense qu’une philosophie de l’espérance ne peut pas ne pas être en dialogue avec elle, tant le problème de l’effectuation de la liberté lui est proche.

Au bénéfice de Kant

Recours préférentiel à Kant qui, d’un certain point de vue dépasse Hegel

Kant, non seulement demeure, mais pour le présent dialogue entre une théologie de l’espérance et une philosophie de la raison, il dépasse Hegel. Le Hegel que Ricoeur récuse est le philosophe de la rétrospection, celui qui non seulement accompagne la dialectique de l’esprit, mais celui qui en résorbe toute la rationalité dans le sens déjà advenu. Le point de discordance entre l’intellectus fidei et spei et Hegel lui apparaît en clair, lorsqu’il relit le fameux texte qui termine la Préface des Principes de la philosophie du droit : « Pour dire encore un mot sur la prétention d’enseigner comment doit être le monde, nous remarquons qu’en tout cas la philosophie vient toujours trop tard. En tant que pensée du monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a accompli et terminé son processus de formation. Ce que le concept enseigne, l’histoire le montre avec la même nécessité ; c’est dans la maturité des êtres que l’idéal apparaît en face du réel et, après avoir saisi le même monde dans sa substance, le reconstruit dans la forme d’un empire d’idées. Lorsque la philosophie peint sa grisaille dans la grisaille, une manifestation de la vie achève de vieillir. On ne peut pas la rajeunir avec du gris sur du gris, mais seulement la connaître . Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son vol. »



Renvoi de Hegel au Kant des deux Dialectiques

« La philosophie vient toujours trop tard », nous dit Hegel ; la philosophie sans doute. Mais qu’en est-il de la raison ?

C’est cette question qui renvoie de Hegel à Kant, à un Kant qui ne sombre pas avec l’éthique de l’impératif, à un Kant qui, à son tour, comprend Hegel. Comme déjà dit, c’est le Kant de la dialectique ; le Kant des deux Dialectiques.

Car l’un et l’autre accomplissent un même mouvement, creusent un même écart ; en instituant la tension qui fait du kantisme une philosophie des limites et non une philosophie du système. Cet écart se lit dès la première et décisive distinction entre le Denken ou pensée de l’inconditionné, et l’Erkennen, ou pensée par objets, procédant du conditionné au conditionné. Les deux Dialectiques résultent de cet écart initial entre le Denken et l’Erkennen ; et, avec les deux Dialectiques, naît aussi la question qui met en mouvement la philosophie de la religion : que m’est-il permis d’espérer ?

C’est cette séquence : Dialectique de la raison pure – Dialectique de la raison pratique – Philosophie de la religion, qu’il faut maintenant inspecter.

La première est nécessaire à la seconde et à la troisième parce qu’elle introduit, au cœur même de la pensée de l’inconditionné, la critique de l’illusion transcendantale, critique indispensable à un intellectus spei. Le domaine de l’espérance est très exactement coextensif à la région de l’illusion transcendantale.

J’espère, là où je me trompe nécessairement, en formant des objets absolus : moi, liberté, Dieu. A cet égard, il n’a pas été assez souligné que la critique du paralogisme de la subjectivité est aussi importante que celle de l’autonomie de la liberté et, bien entendu des preuves de l’existence de Dieu. Les sophismes de la substantialité du « Je » prennent même aujourd’hui un relief particulier avec la critique nietzschéenne et freudienne du sujet ; il n’est pas sans importance d’en retrouver la racine et le sens philosophique dans la dialectique kantienne ; celle-ci a condamné à l’avance toute prétention à dogmatiser sur l’existence personnelle et à savoir la personne ; la personne ne se manifeste que dans l’acte pratique de la traiter comme une fin et non pas seulement comme un moyen . Le concept kantien de l’illusion transcendantale appliqué à l’objet religieux par excellence, est d’une fécondité philosophique inépuisée ; il fonde une critique radicalement différente de celle de Feuerbach ou de Nietzsche : c’est parce qu’il y a une légitime pensée de l’inconditionné que l’illusion transcendantale est possible ; celle-ci ne procède pas de la projection de l’humain dans le divin, mais au contraire du remplissement de la pensée de l’inconditionné selon le mode de l’objet empirique. C’est pourquoi Kant peut dire : ce n’est pas l’expérience qui limite la raison, mais la raison qui limite la prétention de la sensibilité à étendre notre connaissance empirique, phénoménale, spatio-temporelle, à l’ordre nouménal. Le mouvement entier – pensée de l’inconditionné, illusion transcendantale, critique des objets absolus – est essentiel à une intelligence de l’espérance. Il constitue une première structure d’accueil, dans le cadre de laquelle pourront être reprises des descriptions et des dénonciations de l’ère post-hégélienne ; la philosophie kantienne en ressort enrichie[6].

Première des trois approximations rationnelles de l’espérance

Une « visée » de la totalité, telle qu’apportée par la Dialectique de la raison pratique



Il faut bien voir ce que la Dialectique de la raison pratique ajoute de nouveau : essentiellement une transposition à la volonté de ce qu’on pourrait appeler la structure d’achèvement de la raison pure. Cette étape concerne de plus près la méditation sur l’intelligence de l’espérance. En effet, la Dialectique de la raison pratique n’ajoute rien au principe de la moralité, supposée définie par l’impératif formel ; elle n’ajoute pas plus à la connaissance de notre devoir que la Dialectique de la raison pure n’ajoutait à celle du monde. Ce qu’elle donne à notre volonté c’est essentiellement une visée qui est l’expression, au plan du devoir, de la demande, de l’exigence – du Verlangen –qui constitue la raison pure dans son usage spéculatif et pratique ; la raison « demande la totalité absolue des conditions pour un conditionné donné[7] ». Du même coup, la philosophie de la volonté prend sa véritable signification : elle ne s’épuise pas dans le rapport de la maxime et de la loi, de l’arbitraire et de la volonté ; une troisième dimension apparaît : arbitraire – loi – visée de la totalité. Ce que la volonté requiert ainsi, Kant l’appelle « l’objet entier de la raison pure pratique ». Il dit encore « la totalité inconditionnée de l’objet de la raison pure pratique, c’est-à-dire d’une volonté pure » ; qu’il lui applique le vieux nom de « souverain bien » ne doit pas dissimuler la nouveauté de la démarche : le concept de souverain bien est à la fois purifié de toute spéculation par la critique de l’illusion transcendantale et entièrement mesuré par la problématique de la raison pratique, c’est-à-dire de la volonté. C’est le concept par lequel est pensé l’achèvement de la volonté. Il tient donc exactement la place du savoir absolu hégélien. Précisément, il ne permet aucun savoir mais une demande qui, on le verra plus loin a quelque chose à voir avec l’espérance.

Deuxième approximation rationnelle de l’espérance

Un ajout à la visée de la totalité : le bonheur demandé en sus de la moralité

Sans attendre les précisions sur cette demande on est déjà en mesure d’en avoir quelque pressentiment grâce au rôle que joue l’idée de totalité ; en effet, souverain signifie non seulement suprême (non subordonné) mais complet et achevé. Or, cette totalité n’est pas donnée mais demandée ; elle ne peut être donnée, non seulement parce que la critique de l’illusion transcendantale l’accompagne sans cesse, mais parce que la raison pratique, dans sa dialectique, institue une nouvelle antinomie ; ce qu’elle demande en effet, c’est que le bonheur s’ajoute à la moralité ; elle demande ainsi d’ajouter à l’objet de sa visée, pour qu’il soit entier, ce qu’elle a exclu de son principe, pour qu’il soit pur.

C’est pourquoi une nouvelle sorte d’illusion l’accompagne, non plus théorique mais pratique, celle d’un ‘hédonisme’ subtil, qui réintroduirait un intérêt dans la moralité sous le prétexte du bonheur. Selon Ricoeur, il faut voir dans cette idée d’une antinomie de la raison pratique, une seconde structure d’accueil pour une critique de la religion, appliquée plus proprement à ses aspects pulsionnels, comme chez Freud ; Kant donne le moyen de penser cette critique de l’ « hédonisme » dans la religion – récompense, consolation, etc. – par le moyen de la dialectique très serrée où se confrontent plaisir, jouissance, satisfaction, contentement, béatitude. Dès lors, la connexion – le Zusammenhang – de la moralité et du bonheur doit rester une synthèse transcendante, l’union de choses différentes, « distinctes spécifiquement ». Ainsi le sens des Béatitudes n’est approché philosophiquement que par l’idée d’une liaison analytique entre l’œuvre de l’homme et le contentement susceptible de combler le désir qui constitue son existence. Mais pour le philosophe, cette liaison n’est pas insensée, même si elle ne peut être produite par sa volonté ; il peut même dire fièrement : « il est a priori (moralement) nécessaire de produire le souverain bien par la liberté de la volonté ; la condition de la possibilité du souverain bien doit donc reposer exclusivement sur des principes a priori de connaissance[8] ».

Telle est la deuxième approximation rationnelle de l’espérance : elle réside dans ce Zusammenhang, dans cette connexion nécessaire et pourtant non donnée, mais simplement demandée, attendue, entre la moralité et le bonheur. Nul n’a eu, autant que Kant, le sens du caractère transcendant de cette liaison, et cela à l’encontre de toute la philosophie grecque à laquelle il s’oppose de front, renvoyant dos à dos épicuriens et stoïciens : le bonheur n’est pas notre œuvre : il l’achève par surcroît.

Troisième approche rationnelle de l’espérance

C’est celle de la religion elle-même, mais de la religion dans les limites de la simple raison. Kant rapproche expressément la religion de la question : que puis-je espérer ? Ricoeur avoue ne pas connaître d’autre philosophe qui ait défini la religion par cette question. Or, cette question, selon lui, naît dans et hors de la critique.

Dans la critique, par le moyen des « fameux postulats » ; hors de la critique par le détour d’une réflexion sur le mal radical. Comprenons ce nouvel enchaînement. Il est si peu facultatif qu’il contient seul l’application finale de la liberté dans l’espérance – implication sur laquelle a porté pour l’essentiel notre méditation en sa première partie.

En premier lieu : les postulats



Ce sont, comme on sait, des croyances à caractère théorique – portant sur des existences[9] – mais nécessairement dépendantes de la raison pratique. Ce statut serait scandaleux si l’on n’avait pas au préalable établi celui de la raison pratique elle-même dans sa partie dialectique. La raison théorique, en tant que telle, est une postulation, la postulation d’un accomplissement, d’une effectuation entière. Les postulats participent donc du procès de totalisation mis en mouvement par la volonté dans sa visée terminale ; ils désignent un ordre de choses à venir auxquelles nous savons appartenir ; chacun désigne un moment de l’institution, ou mieux de l’instauration, de cette totalité qui, en tant que telle est à faire. On n’en comprend donc pas la véritable nature si on y voit la restauration sournoise des objets transcendantaux dont la Critique de la raison pure a dénoncé le caractère illusoire. Les postulats sont des déterminations théoriques, certes ; mais ils correspondent à la postulation pratique qui constitue la raison pure en tant qu’exigence de totalité ; l’expression même de postulat ne doit pas égarer ; elle exprime, au plan proprement épistémologique et dans le langage de la modalité, le « caractère hypothétique » de la croyance existentielle enveloppée par l’exigence d’achèvement, de totalité, qui constitue la raison pratique dans sa pureté essentielle. Les postulats correspondants seront à jamais gardés de virer au « fanatisme » et à la « folie religieuse » (Schwärmerei) par la critique de l’illusion transcendantale ; celle-ci joue à leur égard le rôle de « mort de Dieu » spéculative. Les postulats parlent à leur façon d’un Dieu « ressuscité des morts ». Mais leur façon est celle de la religion dans les limites de la simple raison ; ils expriment l’implication existentielle minimale d’une visée pratique, d’une Absicht, qui ne peut se convertir en intuition intellectuelle. L’ « extension »– Erweiterung –, l’accroissement – Zuwachs – qu’ils expriment n’est pas une extension du savoir et du connaître, mais une « ouverture », une Eröffnung[10], ; cette ouverture est l’équivalent philosophique de l’espérance.

Ce caractère propre des « postulats » apparaît en clair si on les énumère à partir de la liberté et non l’immortalité ou de l’existence de Dieu. La liberté est en effet le véritable pivot de la doctrine des postulats ; les deux autres en sont en quelque sorte le complément ou l’explicitation.

On peut s’étonner que la liberté soit postulée par la dialectique, alors qu’elle est déjà impliquée par le devoir et qu’elle a été formulée comme autonomie dans le cadre de l’Analytique de la Raison pratique. Mais la liberté ainsi postulée n’est pas la même que la liberté analytiquement prouvée par le devoir. La liberté postulée, c’est celle que nous recherchons ici ; elle a un rapport étroit avec l’espérance, comme nous allons voir. Que dit Kant de la liberté en tant qu’objet du postulat de la raison pratique ? Il l’appelle « la liberté considérée positivement (comme causalité d’un être, en tant qu’il appartient au monde intelligible) ». Deux traits caractérisent cette liberté postulée. D’abord c’est une liberté effective, une liberté qui peut, celle qui convient à « ce vouloir parfait d’un être raisonnable qui aurait en même temps la toute-puissance ». Une liberté qui peut être volonté bonne. C’est donc une liberté qui a de la « réalité objective » ; alors que la raison théorique n’en avait que l’idée, la raison pratique en postule l’existence, comme étant celle d’une réelle causalité. On verra ultérieurement comment me problème du mal s’articule exactement en ce point de réelle efficience.

En outre c’et une liberté qui appartient à …, qui est membre de …, qui participe. On ne manquera de rapprocher ce deuxième aspect de la liberté postulée de la troisième formulation que les Fondements de la métaphysique des mœurs donnaient de l’impératif catégorique ; parlant du « règne possible des fins », Kant faisait remarquer que cette formulation qui vient en troisième rang couronne un progrès de pensée qui va de l’unité du principe, à savoir l’unique règle d’universalisation, à la pluralité de ses objets, à savoir les personnes prises pour fin – « et de là à la totalité ou l’intégralité du système ». C’est bien cette capacité d’exister, en appartenant à un système de libertés qui est ici postulée : par là se concrétise « cette perspective » (Aussicht), évoquée dès le début de la Dialectique, « cette perspective sur un ordre de choses plus élevé et immuable, dans lequel nous sommes déjà maintenant, et dans lequel nous sommes capables, par des préceptes déterminés, de continuer notre existence, conformément à la détermination suprême de la raison[11] ».

Voilà ce que nous voulons suprêmement, mais que nous le puisions autant que nous le voulons, que nous existions selon ce vœu suprême, voilà ce qui peut seulement être postulé. La liberté postulée est cette manière d’exister libre parmi les libertés. Que cette liberté postulée soit bien la liberté selon l’espérance, c’est bien ce que signifient les deux autres postulats qui l’encadrent[12], qui ne font qu’expliciter le potentiel d’espérance du postulat de la liberté existentielle. L’immortalité postulée n’implique aucune thèse substantialiste ou dualiste sur l’âme et sur son existence séparée ; ce postulat développe les implications temporelles de la liberté, suggérées par le texte cité antérieurement, qui parlait de l’ordre dans lequel nous sommes capables de « continuer notre existence… ». L’immortalité kantienne est donc un aspect de notre exigence d’effectuation du souverain bien dans la réalité ; or, cette temporalité, ce « progrès allant à l’infini », n’est pas en notre pouvoir ; nous ne pouvons pas nous le donner, nous ne pouvons que le « rencontrer ». C’est en ce sens que le postulat de l’immortalité exprime la face d’espérance du postulat de la liberté : une proposition théorique concernant la continuation et la persistance indéfinie de l’existence est l’équivalent philosophique de l’espérance de résurrection. Ce n’est pas par hasard si Kant donne le nom de l’attente – Erwartung – à cette croyance ; la raison en tant que pratique, exige la complétude. Mais elle croit sur le mode de l’attente, de l’espérance, à l’existence d’un ordre où cette complétude peut être effective. L’espérance kérygmatique est ainsi rapprochée qui porte de l’exigence pratique au postulat théorique, de la demande à l’attente. Ce mouvement est celui-là même qui fait passer de l’éthique à la religion.

Or, ce postulat n’est autre chose que le précédent : car « l’espoir de participer au souverain bien » est la liberté même, la liberté concrète, celle qui se trouve chez elle. Le deuxième postulat ne fait que déployer l’aspect temporel-existentiel du postulat de la liberté ; on peut dire : c’est la dimension d’espérance de la liberté elle-même. Celle-ci n’appartient à l’ordre des fins, ne participe au souverain bien que pour autant qu’elle « espère une continuation ininterrompue de ce progrès aussi longtemps que peut durer cette existence et même au-delà de cette vie ». A cet égard, il est remarquable que Kant ait reconnu cette dimension temporelle pratique, car sa philosophie ne laisse guère de place pour une autre conception du temps que le temps de la représentation selon l’Esthétique transcendantale, c’est-à-dire que le temps du monde.

Quant au troisième postulat, celui de l’existence de Dieu on en respecte le caractère de postulat, c’est-à-dire de proposition théorique dépendant d’une exigence pratique, si on le suture très étroitement au premier à travers le second : si le postulat de l’immortalité déploie la dimension temporelle-existentielle de la liberté , le postulat de l’existence de Dieu manifeste la liberté existentielle comme l’équivalent philosophique du don. Kant n’a pas de place pour un concept de don, qui est une catégorie du Sacré. Mais il a un concept pour l’origine d’une synthèse qui n’est pas en notre pouvoir ; Dieu est « la cause adéquate à cet effet qui se manifeste à notre volonté comme son objet entier, à savoir le souverain bien ». Ce qui est postulé c’est le Zusammenhang, la connexion, dans un être qui renferme le principe de l’accord entre les deux constituants du souverain bien. Mais ce postulat ne tient qu’autant que nous voulons, du fond de notre volonté, que se réalise le souverain bien. L’attente, ici encore, engrène sur l’exigence. L’attente « théorique » s’articule sur l’exigence « pratique ». Ce nœud est celui du pratique et du religieux, de l’obligation et de la croyance , de la nécessité morale et de l’hypothèse existentielle. Et, ici encore, Kant n’est pas grec, mais chrétien ; les écoles grecques, dit-il, n’ont pas résolu le problème de la possibilité pratique du souverain bien : elles ont cru que la sagesse du sage enveloppait dans son unité analytique la vie juste et la vie bienheureuse. La synthèse transcendante du souverain bien est au contraire l’approximation philosophique la plus serrée du Royaume de Dieu selon les Evangiles. Kant a même un mot qui consonne avec ce que Moltmann dit de l’espérance lorsqu’il l’appelle « totalement nouvelle » : « la morale dispose son précepte (comme cela doit être) avec tant de pureté et de sévérité qu’elle enlève à l’homme la confiance de s’y conformer complètement, du moins dans cette vie ; mais, en retour, elle le relève en ce sens que nous pouvons espérer que, si nous agissons aussi bien que cela est en notre pouvoir, ce qui n’est pas en notre pouvoir viendra ultérieurement d’un autre côté, que nous sachions ou non de quelle façon. Aristote et Platon ne diffèrent entre eux qu ‘au point de vue de l’origine de nos préceptes moraux ».

Telle est donc la première origine de la question : qu’ai-je le droit d’espérer ? Elle se situe encore au cœur de la philosophie morale, engendrée elle-même par la question que dois-je faire ? La philosophie morale engendre la philosophie de la religion lorsque, à la conscience de l’obligation, vient s’ajouter l’espérance de l’accomplissement : « la loi morale ordonne de faire du souverain bien possible dans un monde l’objet ultime de toute ma conduite. Mais je ne puis espérer de le réaliser que par l’accord de ma volonté avec celle d’un auteur du monde saint et bon…La morale n’est donc pas, à proprement parler, la doctrine qui nous enseigne comment nous devons nous rendre heureux, mais comment nous rendre dignes du bonheur. C’est seulement quand la religion s’y ajoute, qu’entre en nous l’espérance de participer un jour au bonheur dans la mesure où nous avons essayé de n’en être pas indignes ».

Avons-nous pour autant terminé ce que nous avons appelé la troisième approche rationnelle de l’espérance ? Nous savons, pour l’avoir indiqué au début de ce chapitre que si la fameuse question – Que puis-je espérer ? – naît dans la critique par les « postulats », elle naît, en outre, hors de la critique par le détour d’une réflexion sur le mal radical. C’est donc ce détour qu’il nous reste à effectuer.

Pour suivre : réflexion sur le mal radical

Avec la considération du mal, c’est la question même de la liberté, de la liberté réelle évoquée par les Postulats de la Raison pratique qui rebondit ; la problématique du mal nous contraint à lier, plus étroitement que nous n’avions pu le faire, la relation effective de la liberté à une régénération qui est le contenu même de l’espérance.

Ce que l’Essai sur le mal radical nous apprend en effet sur la liberté, c’est que ce même pouvoir, que le devoir nous impute, est en réalité un non-pouvoir ; le « penchant au mal » est devenu « nature mauvaise », bien que pourtant le mal ne soit qu’une manière d’être de la liberté qui lui vient de la liberté. La liberté a dès toujours mal choisi. Le mal radical signifie que la contingence de la maxime mauvaise est l’expression d’une nature nécessairement mauvaise de la liberté. Cette nécessité subjective du mal est en même temps la raison de l’espérance. Rectifier nos maximes, nous le pouvons, puisque nous le devons ; régénérer notre nature, la nature de notre liberté, nous ne le pouvons pas. Cette descente aux abîmes, comme Karl Jaspers l’a bien vu, exprime d’avance la plus extrême d’une pensée des limites, laquelle s’étend désormais de notre savoir à notre pouvoir. Le non-pouvoir que signifie le mal radical se découvre au lieu même d’où procède notre pouvoir. Ainsi est posée en termes radicaux la question de la causalité réelle de notre liberté, celle-là même que la Raison pratique postule au terme de sa Dialectique. Le « postulat » de la liberté doit désormais franchir, non seulement la nuit du savoir, avec la crise de l’illusion transcendantale, mais encore la nuit du pouvoir, avec la crise du mal radical. La liberté réelle ne peut jaillir que comme espérance par-delà ce Vendredi-Saint spéculatif et pratique. Nulle part nous ne sommes plus près du kérygme chrétien : l’espérance est espérance de résurrection, de résurrection d’entre les morts.

Ricoeur, bien entendu, n’ignore rien de l’hostilité des philosophes, depuis Goethe et Hegel, pour la philosophie kantienne du mal radical. Mais il doute qu’elle ait été comprise dans son rapport véritable à l’éthique ? c’est-à-dire, non seulement à l’Analytique, à la doctrine du devoir, mais plus encore à la Dialectique, à la doctrine du souverain bien ? On y a vu la projection de la mauvaise conscience, du rigorisme, du puritanisme. Il y a du vrai là-dedans. Et une interprétation post-hégélienne doit passer par cette contestation radicale. Mais il y a autre chose dans la théorie du mal radical, que seule notre lecture antérieure de la Dialectique permet de discerner : le mal radical concerne la liberté dans son procès de totalisation, autant que dans sa détermination initiale. C’est pourquoi la critique du moralisme kantien ne liquide pas sa philosophie du mal, mais, peut-être, la révèle dans sa signification véritable.

Cette signification apparaît dans la suite de la Religion dans les limites de la simple raison. En effet, on n’a pas assez remarqué que la doctrine du mal n’est pas achevée dans l’Essai sur le mal radical, qui ouvre la philosophie de la religion, mais qu’elle accompagne celle-ci de part en part. Le mal véritable, le mal du mal, ce n’est pas la violation d’un interdit, la subversion de la loi, la désobéissance, mais la fraude dans l’œuvre de totalisation. En ce sens, le mal véritable ne peut apparaître que dans le champ même où se produit la religion, à savoir dans ce champ de contradictions et de conflits déterminé, d’une part par l’exigence de totalisation qui constitue la raison, à la fois théorique et pratique , et, d’autre part par l’illusion qui égare le savoir, par l’hédonisme subtil qui vicie la motivation morale, enfin par la malice qui corrompt les grandes entreprises humaines de totalisation. La requête d’un objet entier de la volonté est en son fond antinomique. Le mal du mal naît au lieu de cette antinomie.

Du même coup, mal et espérance sont plus solidaires que nous ne le penserons jamais. Si le mal du mal naît sur la voie de la totalisation, il n’apparaît que dans une pathologie de l’espérance, comme la perversion inhérente à la problématique de l’accomplissement et de la totalisation. Pour le dire en bref, la véritable malice de l’homme n’apparaît que dans l’Etat et dans l’Eglise, en tant qu’institutions du rassemblement, de la récapitulation de la totalisation.

Ainsi comprise, la doctrine du mal radical peut fournir une structure d’accueil à de nouvelles figures de l’aliénation, autres que l’illusion spéculative ou même que le désir de consolation – à l’aliénation dans des puissances culturelles telles que l’Eglise et l’Etat. C’est en effet au cœur de ces puissances que peut advenir une expression falsifiée de la synthèse ; lorsque Kant parle de « foi servile », de « faux culte », de « fausse Eglise », il achève en même temps sa théorie du mal radical. Celui-ci culmine, si l’on peut dire, non avec la transgression, mais avec les synthèses manquées de la sphère politique et religieuse. C’est pourquoi la vraie religion est toujours en débat avec la fausse religion, c’est-à-dire, pour Kant, la religion statutaire.

Dès lors, la régénération de la liberté est inséparable du mouvement par lequel les figures de l’espérance[13] se libèrent des idoles de la place publique, comme eût dit Bacon.

Ce procès entier constitue la philosophie de la religion dans les limites de la simple raison : c’est ce procès qui constitue l’analogon philosophique du kérygme de la résurrection. C’est aussi ce procès qui constitue l’aventure entière de la liberté et qui permet de donner un sens concevable à l’expression « liberté religieuse ».



[1] N’ont été retenus des études exégétiques de l’A.T. que le noyau de la promesse en tant qu’il engendre une vision historique. A l’intérieur de ce schéma général de la promesse, il y aurait lieu de distinguer la prophétie et son espérance intra-historique des eschatologies ultérieures et, parmi elles, les Apocalypses proprement dites, qui reportent au-delà de l’histoire le terme final de toute menace et de toute attente.
[2] Le présent, pour le stoïcisme, est l’unique temps du salut ; le passé et le futur sont frappés d’un égal discrédit ; du même coup l’espérance esr rejetée du même côté que la crainte, comme un trouble, une agitation, qui procède d’une opinion révocable, concernant les maux imminents ou les biens à venir. [3] Nietzsche parle de l’amour du destin et prononce le oui éternel à l’existence ; et Freud réintroduit dans le principe de réalité l’ananké tragique.
[4] L’horizon est à la fois ce qui borne l’attente et ce qui se déplace avec le voyageur.
[5] Préface aux Principes de la philosophie du droit, § 4.
[6] En retour, l’athéisme, lorsqu’il est repris en charge par la philosophie kantienne de l’illusion transcendantale, se dépouille d’une autre illusion – de la sienne : l’illusion anthropologique.
[7] Début de la Dialectique de la Critique de la raison pratique.
[8] Critique de la raison pratique, Dialectique, tr. fr. p.122.
[9] Les deux premiers postulats sont l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu. Le troisième postulat est ainsi formulé :‘La législation universelle de la conduite n’est autre que la volonté législatrice de l’être raisonnable’. Il montre l’autonomie fondamentale de notre vouloir, et que, ce qu’il exige quand il commande, c’est en somme que notre liberté soit pleinement restaurée.
[10] Critique de de la raison pratique , tr.fr., p. 144.
[11] Ibid., p. 116.
[12] Suivant ainsi l’ordre des trois parties de la Dialectique de la raison pure, qui va de la psychologie rationnelle à la cosmologie rationnelle et la théologie rationnelle.
[13] Dans cette note, Ricoeur donne un prolongement à sa pensée : « Une étude historique de la Religion dans les limites de la simple raison devrait s’attacher à montrer jusqu’où le philosophe peut aller dans la représentation de l’origine de la régénération. Le schématisme kantien offre ici une dernière ressource. Ce que l’on peut concevoir abstraitement comme le « bon principe » qui, en nous, lutte avec le « mauvais principe », on peut aussi le représenter concrètement comme l’homme agréable à Dieu qui souffre pour l’avancement du bien universel. Certes, Kant n’est nullement intéressé par l’historicité du Christ : « cet homme, le seul agréable à Dieu est une Idée. Du moins cet Archétype n’est-il point une idée que je puisse me donner à mon gré. Réductible en tant qu’événement de salut, cet Archétype est irréductible en tant qu’Idée, à l’intention morale : « nous n’en sommes pas les auteurs » (la Religion dans les limites de la simple raison, p.85). Elle a pris place dans l’homme sans que nous comprenions comment la nature humaine a seulement pu être susceptible de l’accueillir » (p.85). Voilà l’irréductible : « l’union incompréhensible du Bon Principe dans la constitution morale de l’homme, avec la nature sensible de l’homme » (p. 111-112). Or, cette Idée correspond entièrement à la synthèse exigée par la raison, ou, plus exactement, à l’objet transcendant qui cause cette synthèse. Ce n’est pas seulement un exemple du devoir, en quoi il n’excéderait pas l’Analytique, mais un exemplaire idéal du souverain bien, en quoi cette idée illustre la résolution de la Dialectique. Le Christ est Archétype, et non simple exemple du devoir, parce qu’il symbolise l’accomplissement. Il est la figure de la Fin. Comme telle, cette « représentation » du Bon Principe n’a pas pour effet « d’étendre notre connaissance au-delà du monde sensible, mais uniquement (…) de rendre figurément pour l’usage pratique le concept de ce qui pour nous est insondable » (p.84). « C’est là, à titre d’explication, dit Kant , le schématisme de l’analogie dont nous ne pouvons nous passer » (p. 90, note 1) . C’est dans les étroites limites d’une théorie du schème et de l’analogie, donc d’une théorie de l’imagination transcendantale, que le philosophe s’approche, non seulement des significations de l’espérance, mais de la figure du Christ dans laquelle ces significations se concentrent.



Date de création : 05/12/2006 @ 10:09
Dernière modification : 07/12/2006 @ 13:38
Catégorie : Parcours axiologique
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