Parcours
+ Parcours lévinassien
+ Parcours axiologique
+ Parcours cartésien
+ Parcours hellénique
+ Parcours ricordien
+ Parcours spinoziste
+ Parcours habermassien
+  Parcours deleuzien
+  Parcours bergsonien
+ Glossématique
+ Synthèses
+ Ouvrages publiés
+ Suivi des progrès aux USA

Autres perspectives
+ Archéologie
+ Economie
+ Sciences politiques
+ Sociologie
+ Poésie
+ Théologie 1
+ Théologie 2
+ Théologie 3
+ Psychanalyse générale
 -  Points d’histoire revisités

Mises à jour du site
12/03/2012 ajout ::
Psychanalyse générale
- Bachelard précurseur
Synthèses
- Intempestivia sapientia
Suivi des progrès aux USA
- Suivi USA février 2012

06/03/2012 mise à jour :
- Ouvrages publiés : présentation

06/02/2012 ajout :
Suivi des progrès aux USA
- Suivi USA janvier 2012
Economie
- L'innovation transformée en emplois
- Volcker ou Vickers

16/01/2012 ajout :
Points d’histoire revisités
- La révolution en partage (1)
- La révolution en partage (2)
mise à jour :
- Ouvrages publiés : présentation

09/01/2012 ajout :
Points d’histoire revisités
- Le Jésus de l'histoire
- La France et l'islame
- La colonisation : intrication du mal et du bien

09/01/2012 ajout :
Suivi des progrès aux USA
- Suivi USA décembre 2011

Liens Wikipédia

Visites

 189230 visiteurs

 3 visiteurs en ligne


Points d’histoire revisités - Le Jésus de l'histoire









LE JÉSUS DE LHISTOIRE ET LE CHRIST DE LA FOI
 
Fichier réalisé à partir de l’ouvrage de Jean Sevillia : « Historiquement incorrect »[1]
 
Comme on ne cesse de le constater, le personnage de Jésus fait toujours recette, et cela pour toutes les plumes qui s’y consacrent. Vis-à-vis du titre du fichier, force est de constater qu’il existe un certain déséquilibre entre les deux entités : l’action de l’histoire se développe sans qu’il soit tenu compte de la foi, tandis que celle de la foi est plus qu’attentive à tous les témoignages que l’histoire nous a transmis.   
 
Le « Jésus » de la modernité
 
Le « Jésus » de Frédéric Lenoir
Pour peu que le sujet « Jésus » soit présenté sous un jour « moderne », un bel avenir lui est promis : diffuseurs et lecteurs sont toujours au rendez-vous. Aucune revisite du sujet nest laissée pour compte. Tel fut le cas très récemment du livre sur Jésus de Frédéric Lenoir[2].
Le pédigrée de lauteur parle en sa faveur : philosophe, sociologue et historien des religions, chercheur associéà lÉcole des hautes études en sciences sociales, il dirige la rédaction du Monde des religions. Il est également producteur, à France Culture, de l’émission « Les Racines du ciel ». Avec une telle carte de visite et la notoriété de ses trente ouvrages parus, Frédéric Lenoir apparaît comme « the spécialist », jugé capable de décrypter toutes les religions à lintention du grand public.
Comment Jésus est devenu Dieu. Dès lintitulé, le propos du livre est explicite : aux yeux de lauteur, Jésus n'est pas né Dieu, il l'est devenu. Il n'était qu'un homme, en réalité, mais un homme exceptionnel : une sorte de prophète, prêchant l'amour et la solidarité entre tous. Ce n'est que longtemps après sa mort, étape par étape, qu'il a été divinisé. Il l'a été pour des raisons politiques, au ive siècle, sous la pression des empereurs romains, désireux de renforcer leur pouvoir en s'appuyant sur la religion chrétienne.
Le Jésus de Frédéric Lenoir, qui nie la nature divine du Christ et refuse l'idée que Dieu a pu donner son Fils aux hommes par amour pour eux, n'est pas celui du christianisme. C'est la liberté de l'auteur, assurément, d'adhérer ou non à la foi chrétienne. Mais sur le plan historique; ses affirmations se heurtent à un obstacle. Ainsi que le remarque Bernard Sesboué, prêtre qui a répondu à Lenoir en historien, si la foi peut être discutée à l'infini, il existe un terrain qui a son objectivité : l'histoire de la foi. Or, rappelle Sesboué, « dès l'époque apostolique, les chrétiens ont cru que Jésus de Nazareth était Fils de Dieu et donc Dieu au sens fort de ce terme[3] ». Le Jésus de Frédéric Lenoir, purement humain,
est une reconstruction postérieure à Jésus.
Ce livre de Lenoir n'est pas le premier du genre. Quoi de plus facile que de fabriquer un Jésus au goût du jour, en prenant la pose avantageuse de l'esprit non conformiste ? À ce jeu, il y a cent cinquante ans, Renan faisait scandale. Aujourd'hui, ses émules sont écoutés comme des oracles officiels.
 
Le « Jésus » du journaliste
 
Le « Jésus » de Jacques Duquesne
En 1994, Jacques Duquesne, journaliste en vue et spécialiste des questions religieuses, avait, lui aussi, fait paraître, chez Flammarion,  un Jésus bien accueilli par les médias, confraternité oblige. L'ouvrage ne prétendait  rien moins que révéler la véritable histoire du Christ, celle qui a été occultée. « Le livre s'appelle Jésus tout simplement, observe un hebdomadaire. Mais il aurait pu s'appeler Le Vrai Jésus. Ou, plus provocateur, Jésus tel que l'Église ne l'a jamais raconté. Ou, plus iconoclaste encore, Jésus tel qu'on vous l'a caché[4].» Prétendant pourfendre les « légendes » racontées par l'Église, Duquesne leur oppose, affirme-t-il, le point de vue des historiens et des scientifiques.
« Je crois utile, précise-t-il, de sortir les gens d'un certain fondamentalisme[5]. » Justification fourre-tout expéditive, car son livre remet en cause la virginité de Marie, les miracles de Jésus, la Résurrection, le péché originel et la Rédemption.
Pour quelqu'un qui continue de se dire catholique, ce n'est pas tout à fait rien.
Des exégètes comme Charles Perrot ou Pierre Grelot, qui ont passé leur vie àétudier la vie du Christ d'après les sources disponibles, pointent les défauts de méthode de l'ouvrage de Duquesne. Son auteur utilise les Évangiles comme une documentation de journaliste, y puisant ce qui vient à l'appui de sa thèse et rejetant le reste, puis mixe le tout avec ses propres lectures, dans le but de répondre aux questions sur Jésus de l'homme de la rue. « Le résultat n'est qu'un Jésus superficiel et faux », conclut Pierre Grelot. Ajoutant, en désignant Jacques Duquesne : « J'ose mettre en question sa foi catholique authentique[6]. »
Mais face à une vedette médiatique, que pèse l'avis d'un exégète ? Le Jésus de Duquesne est un best-seller 400 000 exemplaires vendus et le livre, adapté pour la télévision par Serge Moati en 1999, est programmé par TF1 en plusieurs épisodes. Pour Noël, délicate attention envers les chrétiens. Fort d'un tel résultat, Jacques Duquesne récidive dix ans après la parution de son Jésus, mais en s'attaquant à la mère du Christ[7]. De cette « enquête », il ressort que Marie ne pouvait rester vierge, que Jésus avait des frères et soeurs, et que tous les dogmes mariaux (la « mariolâtrie », grince l'auteur) sont dépourvus de fondement scripturaire, leur origine remontant à la proclamation d'Éphèse au Ve siècle une pure création de l'Église. De même pour le péché originel, dont l'invention est attribuée à saint Augustin.
 
Le « sus » du romancier et du cinéaste
 
Le « Jésus » de Gérard Mordillat et de Jérôme Prieur
À Pâques 1997 en pleine Semaine sainte, nouvelle délicatesse pour les chrétiens , Arte diffuse, au cours de cinq soirées consécutives, une émission de cinquante-deux minutes sur le procès et la crucifixion de Jésus. La réalisation est l'œuvre de Gérard Mordillat et de Jérôme Prieur. Romanciers et cinéastes, tous deux sont agnostiques ou athées, le premier ne dissimulant pas sa proximité avec le parti communiste. Titre de la série : Corpus Christi. Il en sera tiré un livre : Jésus contre Jésus[8]. Six versets du récit de la Passion selon saint Jean, dont les réalisateurs entendent démontrer l'inanité, servent de fil rouge à cette dramaturgie pour laquelle vingt-sept exégètes ont été interviewés. Mordillat et Prieur les font parler, mais le montage est de leur responsabilité. Et ils annoncent la couleur : leur propos est de « mettre les textes en contradiction », de « démystifier l'enseignement des catéchismes ». Avec les Évangiles, assure un participant, « nous sommes dans le mythe » ; un autre évoque le « polar biblique ». Un million de téléspectateurs a suivi la série.
À Pâques 2004, le duo Mordillat et Prieur revient à l'écran, toujours sur Arte, avec L'Origine du christianisme. Dix émissions de cinquante-deux minutes pour expliquer, de la mort de Jésus à l'ultime révolte juive du IIe siècle, la naissance d'une religion. La série donne de nouveau lieu à un livre[9]. Le principe est identique : les réalisateurs ont réuni une pléiade d'historiens et d'exégètes, mais les experts interrogés ne dialoguent jamais entre eux, donnant l'impression d'un consensus de la communauté scientifique sur des questions qui offrent pourtant matière à débat. Ce sont Mordillat et Prieur, au final, qui orientent le téléspectateur, par la sélection et le montage des propos enregistrés.
Les dix émissions s'adonnent à une véritable déconstruction de l'histoire de l'Église primitive. Pierre, premier disciple de Jésus, n'a pas de légitimité par rapport aux autres apôtres. La valeur historique des épîtres de Paul ou des Actes des Apôtres est de l'ordre du néant. Le christianisme, argumentent les réalisateurs, n'est pas né après la mort de Jésus.
Jusqu'à la destruction du Temple de Jérusalem, en 70, et même au-delà, le mouvement chrétien reste une forme du judaïsme qui est en conflit avec les autres courants du monothéisme biblique. « Comme le christianisme l'a emporté, l'Église a réécrit l'Histoire », assène Mordillat[10]. C'est l'Église qui a inventé la légende de la virginité de Marie et dissimulé l'existence des frères et sœurs de Jésus. « Jésus pourrait être un enfant adultérin, ajoute Mordillat, et donc les enfants que Marie a ensuite eus avec Joseph seraient effectivement des demi-frères de Jésus[11]. » Jésus enfant adultérin : une trouvaille digne d'un scénariste d'Hollywood.
À Noël 2008, Mordillat et Prieur sont de retour sur Arte avec L'Apocalypse : douze épisodes de cinquante-deux minutes chacun, série suivie comme les autres d'un livre[12]. Les réalisateurs abordent cette fois la longue séquence de l'implantation du christianisme dans l'Empire romain. Au IVe siècle, entre la conversion de l'empereur Constantin et le moment où Théodose, autre empereur, accorde au christianisme un statut officiel, cette religion connaît une mutation. Mouvement juif opprimé et marginal à l'origine, elle se transforme, du fait de son alliance avec le pouvoir, en mouvement intolérant et persécuteur. L'histoire du christianisme antique, c'est l'histoire d'un détournement : le message de Jésus a été trahi par ceux qui s'en réclamaient.
Dans la série télévisée, c'est toujours le même procédé : quarante-quatre invités, venus de huit pays différents, interviennent à l'écran. Mais ces savants répondent à des questions
que le spectateur ignore. Et le lien est assuré par une voix off qui conduit l'argumentation et répète, comme un refrain, une phrase d'Alfred Loisy, bibliste de l'autre siècle : Jésus annonçait le royaume, et c'est l'Église qui est venue. » Une fois de plus, il s'agit d'opposer le Jésus de l'histoire au Christ de la foi.
Dans le livre tiré du film, le point de vue est encore plus appuyé. Jean-Marie Salamito, professeur d'histoire du christianisme antique à la Sorbonne, a disséqué la technique de Mordillat et Prieur. Il observe qu'ils font bénéficier leur ouvrage de la caution involontaire des savants interviewés dans le film, dont les propos sont mis au service d'une thèse qu'ils necautionnentpasforcément.Salamitodresseunelistedesmanquementsméthodologiques qui peuvent être imputés à Mordillat et Prieur : citations tronquées et utilisées à contresens, parti pris, anachronismes, erreurs manifestes, vocabulaire péjoratif, parallèles et amalgames douteux. Mordilla et Prieur annonçaient de l'histoire, et c'est de l'antichristianisme qui est venu », ironise Salamito. Qui poursuit : « L'antichristianisme de Mordillat et Prieur ne me dérange nullement en tant que tel. Ce que je ne puis admettre, comme » professionnel de l'histoire, c'est la manière dont ils détournent celle-ci[13]. »
 
Le « Jésus » de laméricain Dan Brown (Da Vinci Code)
Cest le  « Jésus » d'un affabulateur. Paru en France en 2004, Da Vinci Code, met en scène une mystérieuse organisation, le Prieuré de Sion, fondée à Jérusalem lors de la première croisade et chargée depuis de conserver un secret : les noces de Jésus et de Marie-Madeleine, que le Christ avait choisie pour lui succéder. Bâti sur une intrigue à rebondissements multiples, le roman obtient un succès populaire international (plus de40 millions d'exemplaires vendus à travers le monde, dont un million en France), triomphe prolongé par le film sorti en 2006.
Combien de lecteurs se sont laissé prendre au piège des affabulations de Dan Brown ? Beaucoup, à croire le nombre de naïfs qui se sont rendus dans l'église Saint-Sulpice, à Paris, en quête de traces authentifiant le Da Vinci Code.
Le 29 mai 2007, TF1 diffuse un documentaire-fiction intitulé Le Tombeau retrouvé du Christ. Produit par l'américain James Cameron (le cinéaste de Titanic) et tourné par Simch Jacobovici, un Canadien, le film s'organise autour des recherches sur le tombeau de Talpiot, en Israël. La réalisation laisse entendre que les urnes conservées dans cette sépulture exhumée en 1980 contenaient les ossements des frères de Jésus, si ce n'est ceux de Jésus lui-même... « Cette histoire est sans fondement d'aucune sorte sur le plan historique et archéologique », affirme le professeur Amos Kloner, de l'université Bar-Ilan (Israël) ; l'Archeological Institute of America, de son côté, dénonce un « sensationnalisme sans aucune base ou appui scientifique ». Tous les spécialistes rappellent en effet que le marché des antiquités, en Israël, est encombré de fausses urnes funéraires portant toutes les noms de Jésus, Jacques ou Joseph, prénoms courants en Palestine au Ier siècle de notre ère. Mais qui écoute les savants ? Ce que retient le grand public, c'est qu'on a retrouvé une tombe contenant les restes des frères de Jésus. Donc que l'Église ment.
Dans une époque sécularisée, où l'emprise chrétienne sur la société ne fait que décroître, il est singulier de constater à quel point certains s'acharnent à détruire ce qui reste d'influence du christianisme. Mais attaquer cette religion à partir de ses origines est efficace : si tout est faux dès le départ, c'est l'ensemble de la foi chrétienne qui est sapé.
Dans cette perspective, des vulgarisateurs bénéficiant de tous les appuis nécessaires n'ont aucun mal, sur fond d'ignorance religieuse, à imposer leurs parti pris. Il demeure que les légendes sur Jésus sont réfutées par les savants. Les vrais.
 
Ce qui est attesté de la vie de Jésus
 
Les faits nous sont connus par les Évangiles. Jésus est né « au temps du roi Hérode » (Mt 2, 1). Mais en quelle année ? Le début de notre ère a été fixé au VIe siècle par Denys le Petit, avec une erreur de quelques années par rapport à la chronologie romaine. Hérode le Grand étant mort en 4 av. J.-C., la naissance du Christ a eu lieu avant cette date.
 
Matthieu et Luc
D'après eux, l'enfant est venu au monde à Bethléem, en Galilée, au cours d'un voyage imposéà ses parents par un recensement. Il est connu comme le fils de Joseph de Nazareth, charpentier de son état, et de son épouse Marie. Huit jours après sa naissance, il a été nommé Jésus et circoncis, conformément à la loi juive. De son enfance, évoquée seulement par Matthieu et Luc, nous ne savons presque rien.
 
Les quatre évangiles (les trois synoptiques + celui de Jean)
Tous les quatre, en revanche, évoquent Jean-Baptiste dont l'apparition dans l'Écriture correspond au début de la vie publique de Jésus.
Vers l'automne 27 de notre ère, date retenue par les historiens, Jean le Baptiste, un prédicateur populaire installé sur les bords du Jourdain, annonce l'arrivée imminente du Royaume de Dieu. Appelant à la conversion, il en donne pour signe le baptême par immersion dans le fleuve. À son tour, Jésus vient se faire baptiser dans les eaux du Jourdain. Mais Jean le désigne publiquement, et pour la première fois, comme le Messie annoncé par les prophètes et attendu par les Juifs. Peu après, sur ordre du roi Hérode Antipas, Jean-Baptiste est arrêté et décapité.
Vers l'an 28, au terme d'un séjour dans le désert, Jésus commence son ministère. Il prêche à travers la Galilée, avec quelques incursions en Judée. Sans rien renier de la foi et de la Loi mosaïque, il se présente peu à peu comme celui qui est venu pour accomplir les prophètes. Envers les pauvres, les faibles, les femmes, il se montre particulièrement compatissant. Bientôt il guérit les malades et multiplie les miracles.
 
Pâque de l'an 28
À cette date se situe son premier voyage à Jérusalem (expulsion des marchands du Temple).
 
Pâque et suite de lan 29
À cette date a lieu, selon les exégètes, la multiplication des pains. A ce moment-là, la foule veut le proclamer roi d'Israël et déclencher la révolte contre les Romains qui occupent le pays. Confrontéà cette attente, Jésus répond que son royaume « n'est pas de ce monde ». Tout en poursuivant son enseignement, il s'attache à former ses disciples. Pêcheurs ou paysans, ce sont pour la plupart des hommes simples. En leur compagnie, il se rend quatre fois encore à Jérusalem : pour la Pâque ou la Pentecôte de l'an 29, pour la fête des Tabernacles d'octobre 29, pour la fête de la Dédicace de décembre 29.
 
Mars-avril 30
 Les historiens s'accordent sur le fait qu'il a été arrêté, jugé et condamnéà mort, à Jérusalem, pendant la Pâque de l'an 30, sous le règne de l'empereur Tibère et sous l'administration romaine du préfet Ponce Pilate.
Les éléments biographiques, dans les Évangiles, sont peu nombreux. La vie publique de Jésus a duré trois ans. Néanmoins, nous possédons sur lui une documentation plus abondante que sur nombre de personnages de l'Antiquité, dont nul n'a jamais nié l'existence. Depuis le XIXe siècle a persisté un petit courant d'originaux affirmant que Jésus n'a pas existé. On peut les ranger au rayon des curiosités, en compagnie des hurluberlus qui professent que la Terre est plate. Il n'est pas peu surprenant, dès lors, de voir Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, dans Jésus sans Jésus, se référer trois fois au libre-penseur Paul-Louis Couchoud (1879-1959), médecin et philosophe français qui niait carrément l'existence de Jésus.
 
Les évocations scripturaires
 
Flavius Josèphe, historien romain de religion juive 
Dans ses Antiquités juives, datées de 96, il est le premier chroniqueur àévoquer Jésus : « Un homme exceptionnel [qui] accomplissait des choses prodigieuses [...] et se gagna beaucoup de monde parmi les Juifs. » Flavius Josèphe mentionne Jean-Baptiste et sa pratique du baptême par immersion, et fait référence à la lapidation, en 62, de celui qui est considéré comme le premier évêque de Jérusalem, « Jacques le frère de Jésus dit le Christ ».
 
Tacite
Dans ses Annales (vers 115), il rapporte que Néron rejeta la responsabilité de l'incendie de
Rome, survenu en 64, sur les chrétiens : « Ce nom leur vient de Chrestus qui, sous le règne de Tibère, fut condamné au supplice par Ponce Pilate. »
 
Pline le Jeune
Dans une lettreà Trajan, en 111 ou 112, il expose les résultats d'une enquête conduite sur des chrétiens de Bithynie, à la suite d'accusations portées contre eux, et explique à l'empereur qu'il ne voit rien à leur reprocher, les adeptes du Christ se contentant de chanter des hymnes en son honneur.
 
Suétone
Dans sa Vie des douze Césars (écrite vers 120), il relate que l'empereur Claude, vers 50, « chassa de Rome les Juifs qui ne cessaient de s'agiter à l'instigation de Chrestus ».
 
Jésus est juif de naissance
 
Les Évangiles inscrivent Jésus dans une généalogie s'ouvrant avec Abraham, Isaac et Jacob, et se poursuivant avec David et Salomon. Jésus, sa famille, ses amis et ses premiers disciples sont juifs, lui-même étant de lignée royale.
Mais si le christianisme naît au sein du judaïsme, l'anachronisme doit être évité ici : à l'époque de Jésus, le monde juif représente une réalitééclatée, tant sur le plan politique que religieux, et assez éloignée du judaïsme d'aujourd'hui.
Après la mort d'Hérode le Grand, en 4 av. J.-C., la Judée, déjà située dans l'orbite de Rome, devient une province romaine dotée d'un gouverneur, tout en conservant son sénat
traditionnel (le Sanhédrin) présidé par le grand prêtre. La Galilée, elle, garde un reste d'indépendance. La Galilée et la Judée sont des régions à population juive. Mais, géographiquement, elles sont séparées par la Samarie, dont les habitants sont considérés comme non juifs par leurs voisins, en raison de fortes divergences religieuses et parce que les Samaritains descendent de populations déportées au moment des grandes invasions assyriennes et babyloniennes. Les Judéens détestent les Samaritains et méprisent les Galiléens.
 
Il est originaire deGalilée
Jésus fait scandale auprès du milieu pharisien deJudée, qui se sent proche de l'occupant romain. Sur le plan religieux, le judaïsme est alors multiple. Sadducéens, pharisiens, esséniens, zélotes, groupes de tendance apocalyptique : à l'intérieur du monothéisme biblique, courants et communautés traduisent des pratiques et des croyances diverses. Il n'existe pas d'autorité religieuse unifiée du judaïsme : le Sanhédrin de Jérusalem n'est pas reconnu par tous. Ces nuances se retrouvent dans la diaspora, la dispersion du peuple juif ayant commencé au VIe siècle avant notre ère. À l'époque hellénistique et romaine, des Juifs sont installés en Égypte, en Cyrénaïque, en Asie Mineure, en Grèce, à Rome. Ces communautés, tout en restant unies à la Palestine, sont influencées par le milieu qui les entoure. Elles se sont souvent hellénisées, car le grec, après le latin, forme la seconde langue véhiculaire du monde gréco-romain : dès le IIIe siècle avant notre ère, la Bible est traduite en grec à Alexandrie.
 
Les langues de son temps
En Galilée et dans les campagnes de Judée, on parle l'araméen. Mais le grec, langue de l'administration et du commerce, est utilisé dans les villes. L'hébreu est la langue sacrée, dans laquelle sont lues les Écritures et chantés les psaumes. Les spécialistes estiment vraisemblable que Jésus, tout en connaissant l'hébreu liturgique, s'exprimait dans le dialecte araméen de Galilée. S'il n'existe aucune preuve permettant d'affirmer qu'il ait utilisé le grec, de fortes présomptions s'imposent : le bilinguisme était répandu dans toutes les couches de la société, surtout dans une région aussi ouverte que la Galilée. Il paraît impensable que Jésus ait dialogué avec Pilate en araméen... et non en grec ! Certains spécialistes de l'Ancien Testament, tel Yohanam Goldmann, ont même avancé que la liturgie était célébrée en grec au Temple de Jérusalem.
 
Le christianisme (l'Église) est né à la Pentecôte de l’an 30
 
La communauté des Douze
Cinquante jours après la mort et la résurrection de Jésus (des témoins l'ont réellement vu vivant), au matin de la fête juive de la Pentecôte, les disciples sont réunis à Jérusalem et reçoivent l'illumination de l'Esprit, comme le racontent les Actes des Apôtres. Jésus avait choisi douze hommes, douze comme les douze tribus d'Israël. Matthias ayant remplacé Judas, cette communauté des Douze représente la toute première Église.
 
La mission première des Douze : prêcher lÉvangile
Envoyée en mission, cette communauté s'élargit bientôt à quelques milliers d'hommes qui sont des judéo-chrétiens, c'est-à-dire des Juifs de langue araméenne ou de langue grecque persuadés de la messianité de Jésus de Nazareth. Pierre, André, Jacques, Jean, Philippe, Matthieu et les autres vont au Temple et respectent les prescriptions de la Loi mosaïque. Mais ces Juifs prêchent l'Évangile et cherchent à convaincre leurs coreligionnaires que le messie annoncé par les prophètes est venu, et qu'il a vaincu la mort. C'est donc à l'abri de la religion juive que le christianisme se répand à Jérusalem, en Judée et en Galilée, puis qu'il déborde vers la diaspora.
 
Très vite, toutefois, Jérusalem devient hostile et le premier christianisme éclate
En Palestine même, la « Bonne Nouvelle » est mieux reçue par les païens (les Romains, les commerçants grecs ou orientaux) que par les Juifs. Pis, Jérusalem se montre hostile. Vers l'an 34, le diacre Étienne, Juif de langue grecque qui faisait partie de ceux qui assistaient les apôtres, meurt lapidé dans la Ville sainte, après avoir comparu devant le Sanhédrin.
Nombre de fidèles du Christ quittent alors Jérusalem pour la Judée ou la Samarie. Le centre de gravité du premier christianisme se déplace vers Antioche, capitale de la Syrie, où la communauté des disciples de Jésus a été fondée entre 32 et 37 et où le mot chrétien fait sa première apparition dans l'histoire vers 44. D'autres rejoignent Damas ou Alexandrie, en Égypte.
Vers l'an 42, Hérode Agrippa lance la persécution contre les chrétiens en Palestine : Jacques le Majeur est le premier des douze apôtres à subir le martyre.
 
Pierre saffirme comme le successeur de Jésus
En 42, Pierre est en prison à Jérusalem. Libéré, il se rend à Rome où il vivra pendant vingt-cinq ans, tout en visitant les communautés chrétiennes du bassin méditerranéen. Pierre est considéré comme le détenteur et le garant des paroles de Jésus : les sources montrent que, dès la Pentecôte, sa primauté sur les autres apôtres, qu'il tient de Jésus, n'est pas contestée.
Paul, converti vers 37 ou 38, a d'ailleurs jugé nécessaire de le rencontrer, en 39, afin d'être confirmé dans sa mission. La toute première Église possède déjà une organisation hiérarchique appelée à se perpétuer : à la tête des communautés locales, les apôtres
établissent des hommes qu'ils font participer à leur autorité par l'imposition des mains, chaîne qui se maintiendra avec la succession épiscopale.
 
Paul, l'apôtre des gentils
 
Avec lui, au sein de la communauté chrétienne, la circoncision disparaît (il ny a plus ni Juifs, ni gentils)
Paul, juif et citoyen romain, n'a pas connu Jésus. Mais il est assimilé aux apôtres, tant son rôle est essentiel dans la diffusion du christianisme. Après sa conversion sur le chemin
de Damas, et son baptême, il met toutes ses forces, lui qui avait participéà la persécution des chrétiens, à faire connaître l'enseignement du Christ. De double culture hébraïque et hellénique, il s'adresse d'abord aux synagogues. S'il obtient des conversions, il rencontre aussi des oppositions. Tant de la part des Juifs qui refusent la messianité de Jésus que d'une partie des Juifs devenus chrétiens, ceux que l'on nomme les judaïsants. Ces derniers, contre l'avis de Paul, veulent imposer aux païens convertis l'observation stricte de la loi juive, notamment du rite de la circoncision. Ce désaccord va diviser les communautés chrétiennes. À l'issue du concile dJérusalem (vers 49) et de l'incident d'Antioche entre Pierre et Paul (en 49), la question est tranchée : au nom de l'universalité du salut promise par le Christ, les convertis venus du paganisme sont dispensés des prescriptions juives. Il n'y a plus ni Juifs ni gentils, explique Paul, c'est la foi qui sauve et non la Loi.
À l'époque, le christianisme reste néanmoins ancré dans le judaïsme. Mais son prosélytisme s'oriente de plus en plus vers les païens, parce que c'est chez eux qu'il suscite le plus d'adhésions. Entre 45 et 48, Antioche restant la base de son activité,
 
Ses voyages
Il visite  en premier Chypre et l'Asie Mineure (lactuelle Turquie). Entre 50 et 52, son deuxième périple le conduit en Grèce. Son troisième voyage (53-58) le mène de nouveau en Asie Mineure et en Grèce (Éphèse, Corinthe). L'Apôtre des gentils fonde des Églises, écrit aux communautés qu'il a visitées. L'historienne Marie-Françoise Basiez montre que le christianisme se diffuse en utilisant la langue grecque et en suivant les axes de communication de l'Empire romain, pénétrant le monde gréco-romain à travers les réseaux de la famille, du métier et de la cité[14].
 
 Les chemins de Pierre et de Paul se sont croisés à Jérusalem,à Antioche, à Corinthe et finalement à Rome
Dans la capitale de l'Empire romain, le christianisme a été introduit, vers 36, par des missionnaires venus de Judée. Pierre arrive à Rome vers 44. L'importante colonie juive de la ville (50 000 membres sur un million d'habitants) a été, ici aussi, le berceau de la foi chrétienne. Mais les autorités romaines se défient de ce culte nouveau. En l'an 50, un décret de l'empereur Claude expulse de la ville les Juifs qui se disent les disciples du Christ (dont c'est la première mention dans un document officiel).
Paul, arrêtéà Jérusalem en 58, est transféréà Rome en 59, puis libéré en 63. En 64, l'incendie de la ville, que les chrétiens sont accusés d'avoir allumé, fournit à Néron l'occasion d'une persécution qui va durer jusqu' en 68, date de la mort de l'empereur,. Il est attesté que Pierre et Paul prêchent ensemble à Rome à cette période. Mais Pierre est arrêté et crucifié vers 64, très vraisemblablement sur la colline du Vatican. Paul, de nouveau emprisonné en 66, est condamné à mort vers 67, et décapité, supplice réservé aux citoyens romains, non loin de la voie Ostie.
 
Paul ne sattribuera jamais le rôle de fondateur du christianisme
 Contrairement à ce qui se dit souvent, Paul, en dépit de son immense labeur et de la richesse de son apport, n'est pas le fondateur du christianisme.
À Damas, à Jérusalem, à Rome, il a rencontré des communautés chrétiennes déjà
constituées. Là où il a fondé des Églises, il a explicitement refusé que les fidèles se  considèrent comme ses disciples, les incitant à se proclamer les disciples de Jésus. La doctrine qu'il enseigne que ce soit au sujet de l'appartenance des païens au peuple de Dieu, de la soumission aux autorités civiles, du statut des femmes ou de l'organisation hiérarchique de l'Église   est la même que Pierre. « L'unité de Paul et des apôtres Jacques, Pierre et Jean, compagnons du Christ, est attestée[15] », souligne Philippe Rolland, professeur d'exégèse biblique.
 
Lapôtre et évangéliste Jean
Pierre et Paul étaient les piliers de l'Église primitive. Leur disparition n'interrompt cependant pas la mission des apôtres. Jean, membre du groupe des Douze et auteur de
l'évangile portant son nom, finit sa vie àÉphèse, en Asie Mineure, où il meurt sous le règne de Trajan, peu après l'an 100.
 
Les pharisiens, ancêtres du judaïsme actuel
 
Comment le judaïsme de Palestine sest réorganisé sous l'égide du courantpharisien
En 62, la lapidation de Jacques, le chef de la communauté de Jérusalem, signe le déclin de la présence chrétienne dans la Ville sainte. Ce recul est aggravé, en 66, par le déclenchement de la guerre que les Juifs vont mener contre les Romains. En 70, Titus, fils de l'empereur Vespasien et futur empereur, s'empare de Jérusalem, massacre la population
juive et rase le Temple. Cet épisode dramatique représente à tous égards une césure, puisque toutes les tendances qui formaient la pluralité d'Israël Sadducéens, Esséniens,
Hérodiens ont disparu dans la tourmente. Après le synode qui se tient en 90 à Yavné, lieu où s'est déplacé le Sanhédrin, se crée une orthodoxie juive fondée sur le strict respect de la Torah : ce judaïsme-là est l'ancêtre de la religion rabbinique que nous connaissons de
nos jours. Pendant plus d'une trentaine d'années, les pharisiens, adeptes des règles édictées à Yavné, visitent les synagogues et imposent leur interprétation de la Loi. Ils marginalisent ainsi les autres courants, dont les chrétiens, ces Juifs qui croient à la messianité de Jésus.
 
Les disciples du Christ, chassés des synagogues, prennentpeu à peu leur autonomie L'historien Simon ClaudeMimouni [16] estime que ce processus de différenciation entre le pharisaïsme et le christianisme, entamé après 70, est achevé vers 135-150. Il s'est accompagné de polémiques sur l'observance de la Loi, l'interprétation de l'Écriture et le statut des écrits bibliques que les chrétiens appelleront plus tard l'Ancien Testament. Le phénomène a été accéléré, en Palestine, par la seconde guerre des Juifs (132-135). Au cours de ce conflit, l'échec de Simon Ben Kosibah, libérateur qui s'était proclamé messie, traumatise la population, qui, par crainte d'un nouveau messianisme, se tourne vers les pharisiens. Dans la seconde moitié du IIe siècle, la distinction entre le christianisme et le nouveau judaïsme s'accélère : les deux religions, chacune se prétendant le Verus Israël, sont désormais séparées.
Notons tout de suite que ceux qui, comme Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, incriminent l'antisémitisme des chrétiens dans ce processus de séparation d'avec le judaïsme commettent un grossier anachronisme : le clivage entre les deux observances oppose initialement des Juifs à d'autres Juifs, pour des motifs strictement religieux.
 
Lerôled’attestationdesÉvangilesdétourné pour des prétextes circonstanciés
 
Ce que nous savons de la vie de Jésus et de la naissance du christianisme est tiré du Nouveau Testament. Quatre Évangiles, les Actes des Apôtres, les épîtres, l'Apocalypse. En tout vingt-sept écrits canoniques[17], dont les originaux ont disparu. Comment ces textes ont-ils étéécrits ? Par qui ? À quel moment ? Ces questions sont cruciales. La crédibilité des écrits apostoliques dépend en effet de leur authenticité et de leur date de composition. Si ces textes ont été conçus longtemps après la vie de Jésus, le risque est grand que leur
contenu ne soit qu'une reconstruction a posteriori des paroles du Christ. A contrario, s'il est avéré que ces textes sont contemporains des premiers disciples de Jésus, leur valeur d'attestation se trouve renforcé.
 
Les Évangiles sont autant d’évocations de « vécus », accomplissant les prophéties
Ces documents ne forment pas un récit historique au sens où nous l'entendons de nos jours. Sur le plan littéraire, ce ne sont pas des biographies, mais des Vies, genre antique qui se concentre sur un personnage ramenéà la période décisive de son existence et sur lequel aucun renseignement physique ou psychologique n'est fourni. Les Évangiles, avant tout, représentent un témoignage de foi, un récit composé dans une perspective d'accomplissementdesÉcritures.Cestextesontétéconçusdans une perspective religieuse, en un temps où l'athéisme était impensable : même à s'en tenir aux exigences de la méthodologie historique, lire les évangélistes dans une optique purement rationaliste est
un anachronisme.
L'exégèse, science de l'interprétation des textes, a été pratiquée par les Juifs dès l'origine des livres bibliques par les Pères de l'Église : Origène (185-253) ou saint Jérôme (342-420) se sont illustrés danscedomaine.Des siècles durant, l'exégèse et la tradition se soutenaient mutuellement : lesÉvangilesétaientreçusnoncommedeshistoiressymboliques,maiscommela chronique de faits réels, et Matthieu, Marc, Luc et Jean étaient reconnus comme les auteurs des quatre évangiles portant leur nom.
 
Leur remise en causeau cours des temps modernes
Elle survint  par une succession d'écoles qui allaient prétendre restituer le véritable visage de Jésus, confisqué par l'Église.
Chez Spinoza, au XVIIe siècle, chez les déistes anglais ou les philosophes des Lumières, au XVIIIe siècle, le dessein consistant à débarrasser Jésus des dogmes chrétiens résulte de la volonté de secouer la tutelle de l'Église catholique sur la culture européenne. Mais à partir du XIXe siècle, avec l'essor de la recherche historique, cette visée va se parer d'atours scientifiques, mêlant des préjugés de type idéologique à des exigences légitimes de compréhension des Écritures.
 
En Allemagne
Cest dabord dans ce pays, dans les cercles du protestantisme libéral, que se développe la critique historique.
En1835, David Strauss, un théologien, publie La Vie de Jésus, livre où il analyse le récit évangélique comme un mythe reproduisant l'idée préconçue du messie qui imprégnait le peuple juif. Pour Strauss, dès lors que les Évangiles ont été rédigés dans cette optique, il convient de distinguer le Christ fabriqué par les évangélistes et le Jésus authentique. Le théologien est ainsi amenéà distinguer le Jésus de l'histoire et le Christ de la foi, formule qui est restée.
En1838,enétudiantlacomposition des Évangiles, Christian Hermann Weisse, un exégète allemand,énoncel'hypothèsedesdeuxsources : Matthieu et Luc s'inspireraient de Marc et d'un recueil de paroles de Jésus, recueil aujourd'hui perdu.
Cette deuxième source, appelée plus tard source Q, sera considérée comme un dogme par plusieursgénérationsd'exégètes.Alorsquelatraditionconsidérait les évangélistes comme des témoins proches ou directs de la vie de Jésus, la théorie des deux sources les situe dans une deuxième ou une troisième génération de disciples, qui n'ont fait que transmettre des récits antérieurs.
En 1845, un autre théologien allemand, Ferdinand Christian Baur, va plus loin : il conteste explicitement l'authenticité des Évangiles, qui ne seraient que des textes à lire à travers les controverses théologiques qui divisaient les premiers chrétiens.
 
En France
Ces thèses sont alors reprises et diffusées par Ernest Renan. Ancien séminariste ayant renoncé au sacerdoce parce qu'il a perdu la foi, ce Breton est un historien et un philologue renommé. Agrégé de philosophie, expert en langues sémitiques anciennes, il est professeur au Collège de France.
En 1863, ce positiviste publie une Vie de jésus, ouvrage qui constitue une première en France et dans le monde catholique. Le succès du livre est considérable. Non moins considérable est le scandale qu'il provoque, conduisant Renan à perdre sa chaire du Collège de France, à une époque où Napoléon III a besoin des catholiques, chaire que l'historien retrouve lorsque la IIIe République anticléricale le couvre d'honneurs. Le Jésus de Renan, marqué du sceau rationaliste et positiviste, est un « homme incomparable ». Mais il n'est qu'un homme, et sûrement pas Dieu. Cette réduction du Christ à sa dimension humaine se voulait scientifique. Il y a peu, un spécialiste du christianisme antique comme Henri- Irénée Marrou estimait cependant que la Vie de Jésus de Renan regardait l'histoire de la littérature, et non l'histoire de l'exégèse.
 
L'Église face à la critique historique
 
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, à la Sorbonne, au Collège de France ou à l'École pratique des hautes études, l'enseignement d'État s'attache, à l'étude des religions, mais dans une perspective rationaliste et positiviste. Au même moment, l'Institut catholique de Paris, fondé en 1875, devient un lieu de recherche scientifique sur les origines du christianisme. C'est l'époque des découvertes archéologiques, des progrès de la philologie et de l'exégèse. Dès 1876, l'abbé Louis Duchesne enseigne l'histoire de l'Église à l'Institut catholique. Il y applique aussi les méthodes de la critique historique concernant la Bible. Ce prêtre érudit va former une pléiade de jeunes chercheurs, dont Alfred Loisy ou Albert Lagrange, qui vont tous les deux jouer un rôle très important, mais dans un sens différent.
 
AlfredLoisy
Il est ordonnéprêtreen1879 ;à partir de 1881, il est professeur d'Écriture sainte à l'Institut catholique. En 1890, il soutient une thèse de doctorat sur l'histoire du canon de l'Ancien Testament ; en 1892, il fonde la revue L'Enseignement biblique. Mais peu à peu, dépassant le recours à la méthode historico-critique, il en vient à estimer que la recherche le dispense d'accepter le principe de l'inspiration divine de l'Écriture, professé par l'Église, ou de se soumettre à l'autorité ecclésiastique. Son orthodoxie étant mise en doute, Loisy finit par être déchargé d'enseignement à l'Institut catholique.
En 1902, prêtre rebelle, il publie L'Évangile et l'Église, livre d'où provient la phrase utilisée à l'envi par Gérard Mordillat et Jérôme Prieur[18] : « Jésus annonçait le royaume, et c'est l'Église qui est venue. » Pour Loisy, l'Église se situe en continuité avec le Royaume de Dieu annoncé par Jésus, car ce Royaume, conçu comme une réalité collective, n'est pas seulement intérieur. Pour autant, pense l'auteur, Jésus n'avait pas envisagé de fonder une Église destinée à durer, car il ne croyait pas donner sa vie pour la rédemption du monde : la rédemption serait un concept inventé par saint Paul. En refusant ce dogme catholique, Loisy franchit un pas supplémentaire dans l'affrontement avec l'Église. En 1903, l'archevêché de Paris met son livre à l'Index.
« Je ne crois plus à la divinité de Jésus [...], écrit Loisy dans son journal en 1904, et je regarde l'incarnation personnelle de Dieu comme un mythe philosophique [...]. Si je suis
quelque chose en religion, c'est plutôt panthéo-positivo-humanitaire que chrétien. » Excommunié en 1907, Alfred Loisy devient un symbole du modernisme, ensemble complexe de doctrines condamnées par le pape Pie X dans l'encyclique Pascendi, en cette même année 1907. En 1907 toujours, le décret Lamentabili du Saint-Office censure 65 propositions dont la majorité s'applique à l'œuvre de Loisy, même s'il n'est pas cité, et qui aboutissent à créer une dichotomie entre le Jésus de l'histoire et le Jésus de la foi. Après avoir quitté la soutane, Loisy est élu professeur au Collège de France. Il.mourra en 1940, sans s'être réconcilié avec l'Église, mais, semble-t-il, après avoir en partie retrouvé la foi de sa jeunesse.
L'affaire Loisy, malheureusement, raidit les autorités romaines contre les adeptes de l'exégèse critique, qui vont devoir se justifier de n'entretenir aucun lien avec le modernisme. Il en sera ainsi pour Albert Lagrange.
 
Albert Lagrange
Entré dans l'ordre dominicain en 1879, le père Lagrange suit, comme Loisy, les cours de l'abbé Duchesne à l'Institut catholique et se spécialise dans l'étude de l'Écriture sainte.
Il fonde l'École biblique de Jérusalem en 1890 et La Revue biblique en 1892. En 1903, il publie La Méthode historique, ouvrage dans lequel il expose ses principes scientifiques. S'il pratique l'interprétation de l'Écriture en s'appuyant sur les dernières conclusions de la recherche exégétique, l'immense savant qu'est le père Lagrange ne peut être comparéà Loisy : non seulement il ne met pas en doute l'historicité des Évangiles, mais il en affirme la tradition apostolique. Proposition dont il apporte la preuve en démontrant que ces textes ont été composés peu de temps après la mort et la résurrection de Jésus. Cependant, dans le climat créé par la crise moderniste, le père Lagrange est victime d'une hiérarchie ecclésiastique devenue soupçonneuse. Sans être l'objet d'une condamnation formelle, il est pousséà quitter l'École biblique de Jérusalem. Mais il se soumet, par esprit d'obéissance, et rentre en France, où il poursuit ses travaux. À sa mort, en 1938, ses rapports avec les autorités de l'Église sont depuis longtemps apaisés[19].
Le père Lagrange a fait faire d'énormes progrès à la connaissance de l'Écriture. Peut-on en dire autant de l'école de la Formgeschichte ?
 
La Formgeschichte
Celle-ci, née dans les années 1920 chez les théologiens protestants allemands, tire son nom d'un livre de Martin Dibelius sur « l'histoire de la forme de l'Évangile, et a trouvé son porte-parole en la personne de Rudolf Bultmann (1884-1976)[20]. Les conclusions de cette école, dans les années 1960-1970, seront en vogue dans les milieux progressistes qui contestaient le « fixisme romain, et ont imprégné depuis un grand nombre d'exégètes catholiques.
Partant du rôle de la tradition orale, qui fut la première forme de la transmission des Évangiles, le courant de la Formgeschichte soutient que les textes apostoliques sont des écrits tardifs, rédigés par des inconnus : ils sont le fruit d'une création collective, opérée au sein des premières communautés chrétiennes. C'est donc à travers ce prisme que le message de Jésus nous est parvenu : le vrai Jésus, le jésus historique, est inaccessible.
 
Les enjeux d'une controverse
 
La réduction du réel au visible est un postulat moderniste
Les désaccords entre exégètes font appel à des savoirs qui supposent, pour être pleinement maîtrisés, d'y consacrer une vie entière. Nous ne prétendrons pas résumer ici des controverses aussi érudites. Il convient cependant de souligner que le problème de l'historicité des Évangiles relève bien du phénomène de l'historiquement correct, dans la mesure où le débat historique et scientifique qui se déroule entre spécialistes dévoile vite les présupposés philosophiques ou idéologiques de ceux qui s'opposent à l'interprétation traditionnelle des textes. Chez Frédéric Lenoir, chez Gérard Mordillat et Jérôme Prieur et même chez Jacques Duquesne, il s'agit de dénoncer « l'orthodoxie romaine », à savoir la prétention de l'Église catholique à affirmer que la vérité n'est pas toujours subjective.
La lecture purement rationaliste des Écritures nie a priori toute explication surnaturelle, au motif que le surnaturel ne peut se manifester de manière objective. Mais réduire le réel au visible est un postulat philosophique moderne, inconnu à l'époque de la composition des écrits apostoliques. Les évangélistes ou les apôtres ont écrit en considérant que le sens littéral de leur propos n'en excluait pas le sens surnaturel, qui relevait tout autant du réel.
Nous en savons plus sur Jésus que sur n'importe quelle figure de l'Antiquité, que ce soit un souverain, un général ou un philosophe. Nous ne connaissons de Socrate, par exemple, que ce qu'en dit Platon. Pourtant, nous dissertons sur la pensée socratique sans remettre perpétuellement en cause celui par qui elle a été transmise. Concernant les Évangiles, d'aucuns veulent n'y voir que des textes de deuxième ou de troisième main, ce qui relativise leur valeur de témoignage. Pourquoi accorder à Platon, passeur de Socrate ce qu'on refuse aux évangélistes, passeurs de Jésus ?
Dans ce sens, la datation des écrits apostoliques peut aussi être victime de considérations idéologiques. Poser comme une prémisse le principe selon lequel les textes ont été composés tardivement alimente l'idée que le Jésus des Écritures a été fabriqué de façon artificielle, et qu'il n'a rien à voir avec le Jésus réel, dont on saurait peu de chose. C'est l'Église qui serait coupable de cette forgerie, illustrant la perversité d'une institution prête à tout pour perpétuer son pouvoir sur les esprits.
 
Qui a composé les Écritures ? Et quand ?
 
Longtemps la tradition a reconnu en Matthieu, Marc, Luc et Jean les auteurs des quatre évangiles. À l'exception du dernier, il était admis que ces textes (les évangiles synoptiques) avaient étéécrits avant 70 environ. Depuis Bultmann ce nom étant pris comme un repère symbolique , il était commun de soutenir que les Évangiles étaient tardifs, tous écrits après70,voireauIIesiècle,pardesauteurs qui reflétaient les mentalités des communautés chrétiennes dans lesquelles ils vivaient.
 
Retour à la datation traditionnelle
Une petite révolution est en train de survenir : les chercheurs actuels, pour des motifs tant exégétiques que linguistiques, archéologiques ou historiques, sont de plus en plus nombreux à revenir à la datation traditionnelle. La théorie des deux sources, par exemple, ne fait plus autorité. Dans une passionnante enquête sur l'historicité des Évangiles, Marie-Christine Ceruti-Cendrier, professeur de philosophie et de théologie, ne craint pas de qualifier ces écrits de « reportages[21] ».
Depuis 1901, le Magdalen College d'Oxford détient trois fragments de papyrus acquis en Égypte. Ils contiennent quelques mots du chapitre 26 de l'Évangile de Matthieu. Lors
d'un examen réalisé en 1953, ces papyrus ont été datés du IIe siècle. Mais de nouvelles analyses, effectuées en 1994 par un papyrologue allemand, Carsten Peter Thiede[22], ont conclu qu'ils datent de l'an 50 : si cette conclusion était avérée, le chapitre 26 de saint Matthieu serait antérieur à l'an 50.
Une universitaire italienne, le professeur Ilaria Ramelli, a démontré que plusieurs passages du Satiricon sont des parodies de l'Évangile de Marc. Or le Satiricon, licencieuse bouffonnerie de Pétrone, a étéécrit vers 65 au moment des persécutions de Néron : donc l'Évangile de saint Marc ne peut être postérieur à cette date.
 
Les manuscrits de la mer Morte
Découverts en 1947 à Qumran, dans le désert de Judée, ils appartenaient à la communauté des Esséniens, qui se dispersa en 68, à l'approche des Romains, lors de la révolte juive  révolte qui devait conduire à la destruction de Jérusalem en 70. Selon le père O'Callaghan, professeur à l'Institut biblique pontifical, un fragment découvert en 1955 dans la grotte n° 7 de Qumran le 7Q5 serait le vestige d'un rouleau ayant contenu la copie en grec de l'Évangile de Marc. Si cette hypothèse est exacte, la composition de saint Marc ne peut être postérieure à 68, date à laquelle les grottes de Qumran ont été murées.
 
Les données récentes de larchéologie
L'archéologie vient en renfort de la datation traditionnelle. Des notations ayant trait à Jérusalem figurent dans les quatre Évangiles. La ville et le Temple ont été détruits en 70. Comment des textes qui seraient postérieurs,  mais qui auraient étéécrits sans qu'aucune fouille n'ait été effectuée, auraient-ils pu concevoir le cadre que Jésus a connu ? Jacqueline Genot-Bismuth, titulaire de la chaire d'histoire du judaïsme à la Sorbonne, a mis en évidence les convergences entre l'Évangile de Jean et les recherches archéologiques sur la Jérusalem du temps du Christ[23]. Saint Jean évoque ainsi « une piscine à cinq portiques ». Or cette piscine, disparue en 70, a été découverte lors de fouilles menées au cœur de la ville. Les archéologues pensent aussi avoir retrouvé la cour où Jésus a comparu devant Ponce Pilate. Ce dernier a parfois été accusé d'être le produit de l'imagination des évangélistes :
en 1961, son nom est apparu sur une pierre découverte à Césarée, avec son titre de préfet de Judée...
 
Une culture orale
 
Le texte grec des Évangiles porte la trace des langues véhiculaires
Les quatre Évangiles, écrits en grec, nous ont été transmis par les copistes. Mais avant d'avoir étéécrits, ces textes ont été récités, déclamés, prêchés : l'antiquité juive n'ignorait pas l'écrit, mais sa culture était largement orale. C'est donc dans les langues utilisées par les Juifs de Palestine que les Évangiles ont été composés : l'araméen, l'hébreu, peut-être un peu de grec. L'abbé Jean Carmignac[24], un des experts mondiaux en études bibliques, ou Claude Tresmontant[25], qui enseigna à la Sorbonne, ont montré l'importance des hébraïsmes qui caractérisent le texte grec des Évangiles.
Le père Pierre Perrier, dans ses travaux[26], insiste sur l'usage de l'araméen. Selon ce spécialiste de l'oralité, les données liguistiques permettent de reconstituer les témoignages des apôtres qui ont été assemblés ensuite pour composer les Évangiles. Les témoignages de Pierre et de Jean se situeraient de 30 à 32, et d'avant 37 la majeure partie des textes réunis postérieurement dans les quatre Évangiles. La composition de Matthieu pourrait dater de 37, celle de Marc et de Jean d'avant 45, celle de Luc d'avant 51.
Le passage de l'hébreu ou de l'araméen au grec, et de l'oral à l'écrit, s'est ensuite étalé, selon les textes, jusqu'à la fin du Ier siècle. Si Bultmann et ses émules ont forcé le trait en imaginant une création collective des Évangiles, il est vrai que la composition du Nouveau Testament s'est opérée par étapes. Les experts sont capables de repérer les enrichissements et les colorations linguistiques qui trahissent la culture juive ou grecque des auteurs des textes, de même que les spécificités des communautés auxquelles ils s'adressaient. « Marc est le moins utile pour retrouver le Jésus historique. Matthieu et surtout Jean doivent être préférés, pour la simple raison que leur couleur juive est beaucoup plus nette », affirme ainsi le père Étienne Nodet[27].
 
Les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc)
Le qualificatif de « synoptique » remonte à louvrage dun exégète allemand paru à la fin du XVIIIe siècle, sous le titre de Synopse (cest-à-dire vue simultanée). Celui-ci présentait les textes de chacun des trois auteurs sur trois colonnes parallèles pour en faciliter la comparaison. Dès lors, ce « fait synoptique » a permis de mieux analyser les différences qui existent, sur différents plans, entre les trois textes. De nos jours, grâce à la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB),  il est possible de relever pour chacun des Évangiles les différentes péricopes avec leur correspondance éventuelle dans les trois documents[28], ce qui permet d’évoluer dun texte à lautre.
On relève ainsi 164 péricopes dont 163 sont titrées (exemple : Jésus devant Pilate).
31 péricopes sont propres à Matthieu.  
45 péricopes sont communes à 2 synoptiques : 12 (Mt-Mc) et 33 (Mt-Lc).
88 péricopes sont communes aux trois synoptiques.
Un seul coup d’œil permet de constater la prépotence du texte de Matthieu (totalité des péricopes) et la position défavorable de celui de Marc (100 péricopes) pour retrouver le Jésus historique.
 
Le dernier Évangile :celui de Jean
Son cadre chronologique est très différent de celui des trois précédents. Il passe pour le plus proche des origines : composéàÉphèse ou à Antioche à la fin du Ier siècle, dans une branche hellénistique du judaïsme palestinien, il relie le Jésus historique au Christ de l'Église, illustrant leur identité.
 
La datation des Épîtres de Paul et des Actes des Apôtres
Le premier écrit chrétien dont la date est incontestable est la première lettre de Paul aux Thessaloniciens. Elle est attestée par une inscription de l'an 50-51, retrouvée à Delphes. Jésus y est appelé« Notre Seigneur Jésus Christ ».
L'examen interne des textes prouve que l'Épître aux Romains est de 57-58, et que l'Épître aux Hébreux a été écrite quelques années avant la destruction du Temple en 70. Les Actes des Apôtres forment le récit de la première expansion du christianisme. L'exégèse traditionnelle considère que leur auteur n'est autre que Luc, compagnon de saint Paul et auteur du troisième évangile. Les Actes des Apôtres sont de 63, date identifiée comme le moment où leur récit s'achève.
L'abbé Philippe Rolland, professeur d'exégèse biblique et auteur de nombreux ouvrages sur le Nouveau Testament, s'attache à démontrer contre beaucoup d'exégètes contemporains l'ancienneté et l'authenticité des écrits apostoliques.
 
La proposition chronologique de l’abbé Philippe Rolland
Il propose une chronologie qui entremêle les Évangiles et les lettres des apôtres[29]. Selon
celle-ci, le premier Évangile, l'Évangile de Jérusalem, texte non retrouvé de Matthieu, écrit en hébreu et traduit en grec, date d'avant l'an 40. La rédaction des épîtres de Paul s'étale entre 50-51 et 59-60.
L'Évangile grec de Matthieu, version définitive, est de 63, de même que l'Évangile de Luc et les Actes des Apôtres.
L'Évangile de Marc, lui, serait de 66 ou 67. L'Apocalypse, les trois épîtres et l'Évangile de Jean, eux, sont à dater de 95 à 100.
Que retenir de ces dates ? L'essentiel : Jésus de Nazareth ayant été mis à mort en l'an 30, des gens qui l'ont vu directement ou qui ont entendu parler de sa prédication ont pu vivre jusqu'à l'an 100 ou plus. Si la composition des textes apostoliques s'étale entre l'an 40 et l'an 100, ceux qui ont écrit la vie du Christ ou qui ont instruit ses premiers disciples appartiennent bel et bien à la génération des témoins, des témoins oculaires.
 
La foi des premiers chrétiens
 
Ces témoins, à quoi croyaient-ils ? Dans leurs séries télévisées, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur ont cherchéà imposer l'idée d'une rupture entre la première génération chrétienneetl'Égliseprimitive.Thèseà laquelle Jean-Marie Salamito a opposé un constat : « Dans l'histoire des chrétiens, il n'y a pas de discontinuité repérable. Il n'y a pas de moment où la foi chrétienne aurait cessé d'exister, pas d'interruption, pas de nouveau départ imposant de tout reconstruire, de tout recréer à partir de rien[30]. »
Les dogmes et la doctrine qui se développeront ultérieurement, en conséquence, ne font qu'expliciter l'enseignement de Jésus, celui qui a été reçu par les témoins oculaires.
 
La croyance en la résurrectionde Jésus remonte à l'origine du christianisme
L'Église des premiers siècles élaborera une orthodoxie dont la définition ne s'opérera pas sans conflits, comme cela arrivera avec la longue crise de l'arianisme. Mais la foi initiale
est attestée : les premiers chrétiens croient à la divinité de Jésus et à sa résurrection.
Dans sa première lettre aux Corinthiens, saint Paul affirme que le Christ a été enseveli et qu'il est ressuscité le troisième jour, qu'il est apparu à Pierre et aux Douze, puis à plus de
cinq cents personnes à la fois. « La plupart sont encore vivants », souligne l'Apôtre. Cette précision figure dans une épître qui, d'après l'abbé Philippe Rolland, date du printemps 56. Paul lui-même a vu ensuite le Christ lui apparaître. Le fait est certifié : des témoins ont vu Jésus vivant. Dans les Actes des Apôtres, datés de 63, Pierre et les autres l'attestent également. Les Évangiles écrits à partir de 63, mais à partir d'une tradition orale élaborée trente ans plus tôt l'assurent de même, en signalant le tombeau vide au matin de Pâque et les apparitions du Christ. La croyance en la résurrection de Jésus remonte à l'origine du christianisme : elle est le fondement de la foi chrétienne. Présenter cette croyance comme une création postérieure, ainsi que le fait le Jésus de Jacques Duquesne, est une tromperie.
 
Sans lavoir jamais prétendu explicitement, Jésus par sa vie et ses actes est Dieu
Frédéric Lenoir décrète de son côté, à partir des trois Évangiles synoptiques, que Jésus n'a jamais prétendu être Dieu. Sans doute est-ce Paul qui, dans l'Épître aux Romains,
attribue pour la première fois à Jésus le titre de Dieu. Mais Pierre ou les autres apôtres se seraient insurgés s'ils avaient pensé que l'enseignement de Paul était contraire à la vérité.
Il est vrai que Jésus n'a pas ouvertement revendiqué son identité divine. Mais il en a donné des signes tout au long de sa vie publique et de sa Passion, signes que les disciples ont ensuite reliés entre eux pour leur donner leur pleine signification. Ainsi Jésus affirme-t-il corriger la Loi par sa propre autorité. Il exhorte ceux qui l'écoutent à tout quitter pour
le suivre. Il accomplit des miracles. Les évangélistes en citent une trentaine. Les premiers chrétiens n'ont pas douté de leur réalité : ils étaient attestés par les témoins. Il remet les péchés. Comment aurait-il eu ce pouvoir s'il n'avait été qu'un homme semblable aux autres ?
 
De plus, Jésus évoque Dieu commeson père
Se présentant comme « le Fils de l'homme » – figure biblique tirée du livre de Daniel –, Jésus évoque Dieu comme son père. Prétention énorme ! Les Évangiles abondent enréférences à la divinité de Jésus, qui se laisse appeler Seigneur. Le rabbin Jacob Neusner[31], qui a mené un dialogue théologique avec Benoît XVI et que le pape cite dans son Jésus de Nazareth[32], souligne, en commentant l'Évangile de Matthieu, que Jésus se comportait de telle manière que les Juifs ne pouvaient pas ne pas penser qu'il prétendait être Dieu, mais qu'une telle prétention tombait sous le coup de l'accusation de blasphème. Dans le monde juif antique, le messie attendu était un grand prêtre, un prophète ou un chef de guerre qui viendrait délivrer son peuple par les armes, et nullement Dieu en personne. Un messie divinisé n'était pas pensable dans la société où vivait Jésus : donc aucun esprit juif, au début de notre ère, n'aurait pu inventer ce qui est raconté dans les Évangiles. Encore un argument plaidant en faveur de leur authenticité.
 
Jésus est une personnedivine ayant la nature humaine : sa Mère, présentée comme la Mère de Dieu, a mis au monde, nonpas la nature humaine du Verbe, mais sa personne
L'Évangile de Luc, dans la scène de l'Annonciation, présente Marie comme la Mère de Dieu, titre qui aboutira un jour à une définition dogmatique tirée d'un raisonnement théologique. Jésus étant une personne divine ayant la nature humaine, sa Mère a mis au monde non pas la nature humaine du Verbe, mais sa personne. Marie est donc la mère de Dieu, restée vierge en raison de la dignité de sa mission et de sa place auprès de son Fils dans l'œuvre de la Rédemption. Comment la mère du Christ aurait-elle pu avoir d'autres enfants ? Les « frères de Jésus » nommés par l'Évangile sont en réalité des cousins, dont les mères ne se confondent pas avec Marie de Nazareth. Les premiers chrétiens, par conséquent, n'ont pas douté que Marie de Nazareth était la mère de Dieu, et pas douté de sa virginité.
On n'en finirait pas d'aligner les arguments. Le Jésus de l'histoire, pour autant que l'histoire soit étudiée sans préjugés, n'entre pas en contradiction avec le Christ de la foi. Mais pour les chrétiens, bien sûr, le Jésus historique n'épuise pas la réalité du Jésus de la foi, dont la pleine dimension échappe au monde des hommes.
 
Les reliques de la Passion
À côté des textes bibliques et extrabibliques, l’historien, selon le conseil de Jean Christian Petitfils[33], « ne saurait oublier l’apport des grandes reliques de la chrétienté, un domaine souvent ignoré, voire méprisé par l’exégèse classique[34] ». Les reliques, on le sait, ont fait l’objet d’une dévotion intense au Moyen Âge, époque où le merveilleux se mêlait à la vraie foi. Elles ont donné lieu à des cultes florissants, alimentant l’engouement et la ferveur débordante du petit peuple chrétien, sans beaucoup de discernement.
Un petit nombre, après d’impressionnants travaux de recherche, s’avèrent, selon toute vraisemblance, parfaitement authentiques. Il en est ainsi des trois grandes reliques de la Passion du christ : le linceul de Turin (Italie), le suaire d’Oviedo (Espagne), et la tunique d’Argenteuil (France).
 
Le linceul de Turin
Le linceul de Turin, improprement appelé Saint Suaire, est la plus ancienne des reliques de la chrétienté. C’est une pièce de lin de grand prix, un sergé à chevrons. Son authentification a donné lieu ces dernières années à des discussions passionnées. Ce linceul, vénéré depuis le Moyen Âge, a-t-il été le « témoin silencieux »de la sépulture et de la résurrection de Jésus ? Beaucoup, aujourd’hui n’en doutent plus. « Un témoin muet, dira Jean Paul II, mais en même temps étonnamment éloquent ».
De prime abord, il paraît à peine concevable que l’on ait pu conserver un tel linge sépulcral. Pourtant, découverts dans des tombes, des tissus égyptiens, conservés au Louvre, datent de trente ou trente cinq siècles.
Selon l’évangile des Hébreux[35], le vénérable linge aurait d’abord été confié à la garde de saint Pierre[36]. Probablement faisait-il partie des « choses, objets et images sacrés que les judéo-chrétiens » emportèrent en quittant Jérusalem pour les grottes de Pella en l’an 66. Plus tard, vers340, saint Cyrille de Jérusalem mentionne l’existence du « linceul, témoin de la Résurrection ». Longtemps caché dans une niche de la porte de l’Ouest, il fut redécouvert en 544.
 
Le séjour en terre byzantine
On le vénéra dans la cathédrale Hagia Sophia[37] comme une icône du Christ, sans savoir qu’il s’agissait d’un linge funéraire couvert de sang. Quatre cents ans après, celui-ci fut acquis par Constantinople, après d’âpres négociations avec le sultan. Le 15 août 944, traversant le Bosphore, il fut transféré solennellement dans la chapelle impériale Sainte-Marie-du-Phare. Il y reçut un accueil mémorable, en présence de l’empereur Constantin VII Porphyrogénète[38]. Dans son homélie d’accueil, Grégoire, archevêque référendaire de Sainte-Sophie, parla d’une image ne résultant « d’aucune couleur naturelle » et évoqua la double empreinte, avec la « sueur sanglante «  qu’il avait observée sur le linge ainsi que les « gouttes sorties de son côté ».  
C’est ce linceul certainement que virent en 1147 Louis VII roi de France, en 1171  Amaury de Lusignan, roi de Jérusalem (le drap que l’on appelle synne où Jésus fut enveloppé), et en août 1203 le chevalier picard Robert de Clari. Malheureusement, l’année suivante, les croisés francs de la quatrième croisade, saccagèrent odieusement la ville. Ils n’épargnèrent pas l’église byzantine de Sainte-Marie-des-Blachernes, où se trouvait alors la précieuse relique. 
 
La venue en Europe avec le butin des croisés
Emportée à Athènes avec le reste du butin par le franc-comtois Othon de La Roche, chef des croisés, elle disparut pendant un siècle et demi, avant de réapparaître à Lirey en Champagne en 1357 chez l’arrière-petite-fille du pillard Othon , Jeanne de Vergy, épouse de Geoffroy de Charny.   
À partir de cette époque, l’histoire du linceul est mieux connue. Des ostensions furent régulièrement organisées (quelquefois interdites), d’abord à Lirey, puis à Saint-Hyppolite –sur-le Doubs et en quelques autres lieux. Cédé à la famille de Savoie, il séjourna à Chambéry de 1453 à 1578 puis transféré à Turin où il est encore. Il est la propriété du Saint-Siège depuis 1983. Des foules innombrables à travers les siècles, des papes, des saints, Charles Borromée, François de Sales, Jeanne de Chantal, Thérèse de Lisieux (cette dernière qui, sous l’influence de M. Dupont – le « saint homme de Tours –, prit le nom de Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face), ont vénéré cette mystérieuse relique à laquelle des guérisons miraculeuses sont attribuées. Aujourd’hui encore, des centaines de milliers de pèlerins se pressent à chaque ostension.
 
Le linceul comme négatif optique
L’histoire du linceul prit un nouveau départ lorsqu’un avocat italien, le chevalier Secondo Pia, le photographia pour la première fois le 28 mai 1898. Ce fut le début de la période scientifique.
On rapporte que, au moment où, dans la pénombre de son laboratoire, Secondo Pia sortit sa première plaque du bain révélateur, une violente émotion s’empara de lui. Le verre faillit lui échapper. Ce qu’il vit, nul avant lui ne l’avait contemplé depuis près de dix-neuf siècles : une bouleversante image, criante de vérité, celle d’un homme de douleur, d’une mystérieuse et fascinante beauté, dignement, sereinement, majestueusement figé dans la mort ! Le modèle était d’une saisissante netteté. Seule l’inversion des zones claires et sombres avait permis un tel prodige. « Je restai comme glacé », confie-t-il. Le chevalier Pia comprit que le linceul avait la propriété – insoupçonnée jusque-là – d’un négatif otique : négatif sur négatif donne un positif. En 1931, un photographe professionnel, Giuseppe Enrie, confirma la découverte et produisit des clichés d’une bien meilleure résolution. Les lésions y apparaissaient avec une exactitude irréprochable, sur le plan tant anatomique que circulatoire.
 
Les recherches scientifiques
Elles débutèrent mi vingtième siècle, par les recherches médico-légales de Pierre Barbet[39], chirurgien à l’Hôpital Saint-Joseph de Paris. Le biologiste Paul Vignon établit vingt points de convergence entre le visage de l’homme du linceul et les icônes ou portraits du Christ de l’art chrétien.
Elles se poursuivirent en 1969, 1973, et surtout 1978. C’est alors que se créa le STURP (Shroud of Turin Research Project) composé de trente trois chercheurs multidisciplinaires, en majorité américains. L’appareillage le plus moderne fut utilisé. Aux trois mille clichés photographiques pris s’ajoutèrent des tests microchimiques, des spectographies, des études de radiométrie infrarouge, de microscopie optique, de fluorescence ultraviolette.
Les premières conclusions des experts sont certaines. L’hypothèse d’une œuvre d’art est à écarter puisqu’il s’agit d’une image acheiropoïète, quasi indélébile, résistante à la chaleur et à l’eau, isotrope (c’est-à-dire sans effet directionnel).
On sait depuis les travaux de deux chercheurs du STURP, les docteurs John H. Heller[40] et Alan D. Adler, que les taches rose carminé à l’endroit des plaies sont bien des taches de sang, de sang humain. Ces taches correspondent avec une précision absolue à l’anatomie du corps représenté et à son système artériel et veineux. Les clichés en lumière ultraviolette ont fait apparaître des lésions, des écorchures, invisibles jusque-là.           
L’image – à peu près tous les chercheurs sont d’accord sur ce point – s’est produite par émanation à distance, par projection orthogonale, faisant disparaître tout aspect latéral. Elle est formée par une oxydation acide et déshydratante de la cellulose du lin. Ce léger brunissement dégradé, n’affectant que le sommet des fibrilles sur une épaisseur de vingt à quarante microns, varie d’intensité en fonction de la distance entre le corps et le drap. Une telle particularité a permis à l’ingénieur français Paul Gastineau, puis à deux physiciens de l’US Air Force Academy, de reproduire, le premier en 1974 avec un lecteur d’intensité lumineuse, les deux autres en 1976 avec un analyseur VP 8 de la Nasa, une image tridimensionnelle du linceul – en relief par conséquent –, phénomène irréalisable avec un dessin ou un décalque de corps[41]
Les multiples concordances entre le linge et les textes évangéliques et les recherches pluridisciplinaires de 1978 (six tonnes de matériel disposées en soixante-douze caisses, cinq jours de collecte d’informations, plus de cent cinquante mille heures de travail) constituent de solides et fermes témoignages en faveur de l’authenticité.
La datation tentée en 1988 à l’aide du carbone 14[42] par trois laboratoires spécialisés dont celui d’Oxford – situa l’origine du linceul dans une des périodes historiques pour lesquelles on manquait d’informations (celle précédant sa réapparition à Lirey en Champagne en 1357). La méthode d’analyse de William Libby alors utilisée[43], s’étant avérée peu fiable sur un certain nombre d’autres exemples, les conclusions pour le linceul
gardèrent un caractère anecdotique. Les contestations scientifiques qui s’ensuivirent ébranlèrent les convictions des applicateurs de la méthode au point que le nouveau directeur du Radio carbon Accelerator d’Oxford, le professeur Christopher Bronk Ramsey n’a pas exclu, vingt ans plus tard, une erreur de son organisme, se disant prêt à de nouvelles recherches.
 
Le suaire d’Oviedo et la tunique d’Argenteuil
 
On s’attardera moins sur ces deux autres reliques.
 
Le suaire d’Oviedo
 
Le suaire conservé dans la cathédrale d’Oviedo, dans les Asturies, est une toile de lin rectangulaire de 85cm 5 sur 52 cm 5, au tissage archaïque, conservée dans un cadre d’argent, qui passe pour avoir épongé le sang du Christ au moment de sa descente de croix, avant sa mise au tombeau. Il ne laisse voir aucune image humaine. Sali, taché, partiellement déchiré et brûlé, il n’est pas aussi spectaculaire que le linceul. Étant dépourvu de toute valeur artistique, on conçoit mal les raisons pour lesquelles il aurait été conservé s’il n’était pas authentique. On y voit deux grandes taches de sang et des auréoles de liquide séreux. Elles se superposent autour d’un axe vertical, ce qui permet de déduire qu’elles se sont formées alors que le linge était plié en deux sur toute son épaisseur mais pas en son milieu.
Ce linge aurait fait partie des reliques de la Passion conservées par les premiers chrétiens. Un pèlerin anonyme de Plaisance (Italie) qui visita la Terre sainte vers 570, assure que, dans une caverne des rives du Jourdain, on pouvait voir le sudarium, autrement dire le suaire, qui avait été posé sur la tête du Seigneur. Transféré à Alexandrie vers 615 pour échapper aux envahisseurs perses, il trouva refuge en Espagne, à Séville puis à Tolède. Il fut à nouveau déplacé au moment des invasions musulmanes et gagna Oviedo, capitale des Asturies, où Alfonse II le Chaste (1152-1196) lui dédia une chapelle, plus tard absorbée par la cathédrale.
Son analyse scientifique fut d’abord conduite par Mgr Ricci et le professeur Max Frei (qui y découvrit, comme sur le linceul, des pollens de plantes ne poussant que dans la région de Jérusalem et de Jéricho), puis en 1989-1990 par une équipe pluridisciplinaire espagnole dirigée par Teresa Ramos, Guillermo Heras et le docteur José Villalin. Deux congrès scientifiques, l’un à Cagliari, l’autre à Oviedo, ont apporté de stupéfiants résultats allant dans le sens de l’authenticité. Un long et minutieux travail a permis de comprendre le mécanisme de formation en plusieurs étapes des taches sanguines. L’histoire de la descente de croix s’en trouve modifiée et remarquablement précisée.  
 
La tunique d’Argenteuil
Il s’agit d’un vêtement en laine de mouton non mérinos, de couleur brun pourpre un peu vineuse, aujourd’hui rapiécé, abîmé et mangé aux mites (le morceau le plus important mesure 122 cm de long, sur 90 de large sous les bras et 130 sous la poitrine). Elle passe pour être le vêtement porté à même la peau par le Christ, que les bourreaux jouèrent aux dés lors de la crucifixion. D’abord conservée dans un coffret de marbre à Jaffa (aujourd’hui Tel Aviv), où sa présence est attestée à la fin du VIe siècle, elle aurait été transférée à cette époque dans la basilique des Anges à Germia, près de Constantinople. Selon Grégoire de Tours, elle y fut l’objet d’une grande vénération. Elle serait arrivée en France au IXe siècle, présent de l’impératrice Irène de Constantinople à Charlemagne pour leur futur mariage. Ce dernier l’aurait offerte à sa fille Théodrade, abbesse du monastère Notre-Dame-d’Humilité d’Argenteuil. Pour échapper aux destructions des Normands, elle fut mise à l’abri à l’intérieur d’un mur de l’abbaye, et on la retrouva par hasard en 1156 dans son coffre d’ivoire. Elle fut à nouveau cachée pendant les guerres de Religion. Sous la Révolution, afin de la soustraire une nouvelle fois aux menaces de destruction, le curé de ce bourg, Ozet, la découpa en plusieurs morceaux, qu’il enfouit deux ans dans le jardin de son presbytère. Aujourd’hui elle a été reconstituée, au moins en partie.
Des expérimentations eurent lieu en 1893, 1931 et 1934, date à laquelle on fit des photographies infrarouge. En 1995, un comité œucuménique et scientifique de la Sainte Tunique d’Argenteuil (ou COSTA) composé de savants de plusieurs disciplines, entreprit de nouvelles recherches. La tunique étant devenue propriété de la République française, le sous-préfet d’Argenteuil, M. Jean Pierre Maurice fit faire, en 2004, une évaluation au carbone 14 au laboratoire de CEA/CNRS de Saclay (Gif-sur-Yvette). Elle fut malheureusement considérée comme erronée du fait de la présence reconnue a posteriori de dépôts de carbonates de calcium. Des tentatives de nettoyage effectuées selon les protocoles habituels des laboratoires furent vaines ; le professeur Lucotte, avec le microscope électronique constata , en effet, que les fibres, après opération, contenaient encore un tiers de calcium piégé à l’intérieur des molécules de kératine.
C’est alors que Gérard Lucotte s’attaqua à l’analyse structurelle de la relique. Il constata qu’il s’agissait d’un tissage en fils simples, réguliers, fortement torsadés en Z, comme les tissus d’origine syrienne trouvés à Doura Europos, près de Palmyre. Le vêtement, tissu sans couture, avait dû être teinté avant tissage par de la garance, mordancée d’alun de potasse. Tout cela renvoyait à des procédés remontant à l’Antiquité et à une zone géographique précise, le Proche-Orient. Beaucoup de ces vêtements étaient fabriqués de façon artisanale, parfois en famille. La présence nombreuse de poussières de silice correspond à des sols de nature désertique ou quasi désertique. Parmi les grains de pollen trouvés figurent ceux d’une espèce de palmier présente en Palestine, Phoenix dactylifera, ceux d’une plante grasse, Prosopis fareta, repérés aussi sur le linceul de Turin.
Alors que l’on doutait encore de la présence de grandes taches de sang, à hauteur des épaules, dans le dos, et au niveau des hanches, Gérard Lucotte[44] s’aperçut que la relique était « gorgée » de sang humain. Grâce à quelques lymphocites détectés, il réussit à établir une séquence ADN de la personne l’ayant maculée et à localiser une quinzaine de marqueurs génétiques. « Je pense, conclut-il, que la tunique est l’authentique tunique du Christ ».        
 
Les reliques authentifiées par leur analyse comparée
 
La grande nouveauté des analyses pratiquées ces dernières années sur les trois reliques, Turin, Oviedo et Argenteuil, tient au fait qu’elles révèlent de frappants points de ressemblance que l’on peut difficilement attribuer au hasard. La comparaison des pollens trouvés sur elles trois est troublante quand on connaît leurs vicissitudes historiques et leurs pérégrinations. Sur onze types étudiés en 1994 par Carmen Gémez Ferreras, sept leur sont communs, dont deux proviennent uniquement de Palestine, ceux d’un pistachier, Pistacia palaestina, et d’un tamarin, Tamarix hampeana[45].
Sur le linceul et la tunique les taches de sang s’avèrent de mêmes dimensions et de mêmes formes. Neuf d’entre elles sur dix peuvent se superposer comme l’a montré en 1997, à l’aide d’instruments scientifiques très modernes, André Marion, ingénieur au CNRS, spécialiste du traitement numérique des images à l’Institut d’optique théorique et appliquée d’Orsay. Entre le linceul et le suaire, la cartographie sanguine est d’une concordance tout aussi parfaite au niveau de la barbe. Le docteur américain Alan Whanger a trouvé soixante-dix points de convergence avec le linceul pour l’endroit du suaire d’Oviedo et cinquante pour le revers (quatorze points suffisent pour déclarer identiques deux empreintes digitales). Les petites taches de sang sur la nuque évoquent sans conteste la couronne d’épines.
Enfin, le sang qui se trouve sur ces trois morceaux de tissu a été analysé : il est du même groupe, AB, un groupe assez rare, puisqu’on ne le trouve que dans 4% de la population mondiale (fréquence allant jusqu’à 18% chez les juifs babyloniens et les judéens[46]. Le fait avait été établi dès 1982 par le professeur Baima Bollone pour le linceul. Il le fut en 1993 par le docteur José Villalin et l’hématologue Carlo Goldoni pour le suaire, en 1986 et 2005, par les professeurs Saint-Prix et Lucotte pour la tunique. Or la probabilité d’observer le groupe AB sur les trois linges s’établit à 0, 000125, soit une chance su 8 000, et l’on ne parle des autres probabilités de concordance du modelé des taches sanguines.
Cet impressionnant faisceau de convergences scientifiques suffit à confirmer l’authenticité des trois reliques[47]. Ayant été en contact avec le même individu elles se confortent mutuellement, anéantissant du même coup – les tâtonnements incertains du carbone 14. Aucun faussaire n’aurait pu arranger si parfaitement les trois objets, comme l’admettent ceux qui ont passé ces reliques au crible de toutes les techniques exploratoires actuelles. Les faisceaux de présomption en faveur de l’authenticité atteignent des seuils jamais connus dans le domaine historique et archéologique[48]. Ce verdict de la science, ignoré du grand public, est évidemment essentiel dans l’approche du Jésus historique.         
 
 
 


[1] Edit. Fayard , octobre 2011.
[2] Frédéric LENOIR, Comment Jésus est-il devenu Dieu ? Fayard 2010.
[3] Bernard SESBOUÉ, Christ, Seigneur et Fils de Dieu. Libre réponse à Frédéric Lenoir, Lethielleux/ Groupe DDB, 2010.
[4] Le Point, 8 octobre 1994.
[5] Madame Figaro, 14 janvier 1995.
[6]Le Monde, 18 novembre 1994.
[7] J. DUQUESNE, Marie, Plon, 2004.
[8] Gérard MORDILLAT et Jérôme PRIEUR, Jésus contre Jésus, Seuil, 1999.
[9] Gérard MORDILLAT et Jérôme PRIEUR, Jésus après Jésus. Lorigine du christianisme, Seuil, 2004.
[10] Le Point, 25 mars 2010.
[11] Ibid.
[12] Gérard MORDILLAT et Jérôme PRIEUR, Jésus sans Jésus. La christianisation de lEmpire romain, Seuil, 2009.
[13] Jean-Marie SALAMITO, Les Chevaliers de l’Apocalypse. Réponse à MM. Prieur et Mordillat, Lethielleux / Desclée de Brouwer, 2009.
[14] Marie-Françoise BASLEZ, Comment notre monde est devenu chrétien, Seuil, Points, 2011.
[15] La Nef, février 2000.
16 Simon Claude MIMOUNI, Les Chrétiens d’origine juive dans l’Antiquité, Albin Michel, 2004.
 
[17] S'y ajoutent les textes non canoniques : apocryphes, variantes des Évangiles.
[18] Jean Marie SALAMITO, dans le livre cité plus haut, montre » que Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, en extrayant cette phrase de son contexte, le détournent de son sens.
[19] Le Père LAGRANGE est l’objet d’un procès de béatification ouvert en 1988.
[20]  Martin DIBELIUS, Die Formgeschichte , 1919 ; Rudolf Bultmann, Jésus , Mythologie et démythologization, Seuil, 1968.                                                                                                                               
[21] Marie-Christine CERUTI-CENDRIER, Les Évangiles sont des reportages, Pierre Téqui, 1997.
[22] Carsten Peter THIEDE, Jésus selon Matthieu, François Xavier de Guibert, 1996.    
[23] Jacqueline GENOT-BISMUTH, Jérusalem ressuscitée, François Xavier de Guibert – Albin Michel,1992.
[24] Abbé Jean CARMIGNAC, La naissance des Evangiles synoptiques, François Xavier de Guibert, 1984.
[25] Claude TRESMONTANT, LEnseignement de Ieschoua de Nazareth, Seuil, 1963.
[26] Pierre PERRIER, Evangiles de l’oral à l’écrit, 2 tomes, Sarment / Editions du Jubilé, 2000et 2003.   
[27] Étienne NODET, Histoire de Jésus ? Nécessité et limites dune enquête, Cerf, 2003.      
[28] Voir sur ce site : Théologie 1-Christologie 1.
[29] Philippe ROLLAND , LOrigine et la date des Evangiles. Les témoins oculaires de Jésus, Saint-Paul, 1994.   
[30] Jean-Marie SALAMITO, Les Chevaliers de lApocalypse, op. cit.   
[31] Jacob NEUSNER, Un rabbin parle avec Jésus, Cerf 2008.  
[32] Joseph RATZINGER [Benoît XVI], Jésus de Nazareth, Flammarion, 2002.
[33] Jean Christian PETITFILS, Jésus, Fayard, 2011.
[34] Jean COLSON, Le disciple que Jésus aimait, Paris, Beauchesne, 1969.
[35] Texte apocryphe en usage dans les communautés judéo-chrériennes. L’Évangile des Hébreux aurait été rédigé avant la moitié du IIe siècle en Égypte pour un public peut-être syrien, lisant l’araméen, le chaldéen ou l’hébreu ; les extraits restants n’offrent pas de ressemblance avec les évangiles canoniques, mais un passage se retrouve dans l’ Évangile selon Thomas. Nicéphore lui attribue 2200 lignes.
[36] Et non « au serviteur du grand prêtre (petro et non puero) comme une mauvaise traduction l’avait fait croire.
[37] Hagía Sophía, qui signifie « Sainte Sagesse », « Sagesse Divine », nom repris en turc sous la forme Ayasofya) est une ancienne basiliquechrétienne de Constantinople du VIe siècle,
[38] Empereurbyzantin de 913 jusqu’à sa mort, bien qu’il n'exerce effectivement le pouvoir qu’à partir de 945.
    Il appartient à la dynastie macédonienne.
[39] Pierre BARBET, La Passion de N.S. Jésus-Christ selon le chirurgien , Issoudin, Dillon, 1950.  
[40] John H. HELLER, Enquête sur le Saint-Suaire de Turin, Paris, Seuil, 1985.   
[41] Une première expérience dite de « photosculpture » avait été faite dès 1913 par Gabriel Quidor.
[42] Datation de laquelle on attendait beaucoup.
[43] Méthode mise au point en 1955.
[44] Gérard LUCOTTE est Docteur en génétique et Docteur en Sciences, et professeur à l’Ecole d’Anthropologie de Paris. Spécialiste des marqueurs génétiques, il est à l’origine de la découverte des variants ADN du chromosome Y et de leur utilisation en anthropologie moléculaire. Il est également auteur de plusieurs essais :
 Sangui Christi « J'ai vu le sang du Christ », éditions Trédaniel, 2007. 
Le linceul de Turin et la tunique d'Argenteuil : Le point sur l'enquête avec André Marion, Presses de la Renaissance, mars 2006.
[45] Dominique DAGUET, Le linceul de jésus de Nazareth, cinquième évangile, Sarment Editions du Jubilé (juin 2009), p.98-99.
 
[46] D’après certains calculs, la probabilité que le sang trouvé sur le linceul et le suaire d’Oviedo provienne du même homme s’élève à 99, 75% (D. Daguet, op.cit. p. 103).
[47] Claude JACQUET, « Concordance hématologique des trois grandes reliques de Jésus-Christ ». Actes du colloque , La Sainte Tunique d’Argenteuil face à la science, 12 novembre 2005, 
[48] Jean-Maurice CLERCQ, Les Grandes Reliques du Christ. Synthèse et concordances des dernières études scientifiques, Paris, F.- X, de Guibert, 2007, p.147. 





Date de création : 09/01/2012 @ 10:40
Dernière modification : 14/01/2012 @ 09:31
Catégorie : Points d’histoire revisités
Page lue 90 fois


Prévisualiser la page Prévisualiser la page     Imprimer la page Imprimer la page


^ Haut ^

Initiationphilo - site d'initiation à la philosphie - Henri Duthu
contacter le webmaster : webmaster@initiationphilo.fr

  Site créé avec GuppY v4.5.18 © 2004-2005 - Licence Libre CeCILL

Document généré en 0.16 seconde