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Synthèses - Du site eucharistique de la théologie





DU SITE EUCHARISTIQUE DE LA THÉOLOGIE
 
LES TRACES ET LES MONUMENTS DE
L’ÉVÈNEMENT CHRISTIQUE
 

Extraits de « Dieu sans l’être » de Jean-Luc Marion

 

(197) La théologie ne peut accéder à son statut authentiquement théologique que si elle ne cesse de se défaire de cette théologie. Ou encore, si elle prétend parler de Dieu ou plutôt de ce DIEU qui biffe et rature toute idole divine, sensible ou conceptuelle, si donc elle prétend parler de DIEU, en sorte que ce de s’entende autant comme l’origine du discours que comme son objectif (je ne dis pas objet puisque jamais DIEU ne peut servir d’objet, surtout pas à la théologie, sauf distingué blasphème), conformément à l’axiome de Pascal que seul « Dieu parle bien de Dieu » (a) ; et si enfin ce DIEU strictement inconcevable, simultanément parlant et parlé, se donne comme le Verbe donné, comme le Verbe donné jusque dans la silencieuse immédiateté de la chair abandonnée, – alors rien de plus décent que cette théologie expose sa logique au contre-coup, en elle, du théos.  

 

(a) Avec en contre-épreuve ATHÉNAGORE d’Athènes : «…chacun jugeant ce qui concerne Dieu, non de Dieu même, mais de soi seul » (SuppliqueVII).

 
Le Christ ne dit pas le Verbe, il se dit - Verbe
 

Que dit en effet, la théologie – la théologie chrétienne ? Car enfin ce qui distingue la théologie chrétienne de toute autre ne tient pas à une singularité de sens (aussi décisive qu’on voudra), mais à ce qui, précisément, autorise cette éminente singularité, à savoir la situation même faite au sens, à son énonciation, et à son référent. La théologie chrétienne parle du Christ. Or le Christ se dit le Verbe. Il ne dit pas des paroles inspirées par DIEU sur DIEU, mais il abolit en lui l’écart entre le locuteur qui énonce (prophète ou scribe) et le signe (parole ou texte) ; il n’abolit ce premier écart qu’en abolissant un second écart, plus fondamental chez nous, hommes : l’écart entre le signe et le référent. Bref le Christ ne dit pas le verbe, il se dit le Verbe. Il se dit – le Verbe ! Verbe parce qu’il se dit et se profère de fond en comble. Comme en lui coïncident – mieux communient – le signe, le locuteur et le référent que dissocie ailleurs irrémédiablement l’expérience humaine de langage, il mérite au contraire, de nos verbes éclatés, inspirants ou dévalués, de se dire, en majuscule, le Verbe. Dire qu’il se dit le Verbe, voici qui, trahit déjà que l’on bégaie : car cet « il se dit » veut déjà dire – le Verbe. Il se dit et rien d’autre, car rien d’autre ne reste à dire hors ce dire du dit, dire dudit dit par excellence, puisqu’étant proféré par le dit-disant. Bref le dit du Dit. Il se dit et tout est dit : tout s’accomplit en ce verbe qui performe, en parlant, l’énoncé que le « Verbe a planté sa tente parmi nous » (Jean I, 14),  parce qu’il n’a rien d’autre à faire, ici, que de [se] dire. Qu’il [se] dise seulement et tout s’accomplit. Qu’il [se] dise, et tout se trouve dit. Il n’a qu’à [se] dire pour faire. Mieux, il n’a même rien à dire pour tout dire, puisqu’il incarne le dire en le disant : aussitôt dit, aussitôt fait. Et donc le Verbe, le Dit ne dit-il, finalement, rien ; il laisse parler, il laisse dire, « Jésus ne lui donna aucune réponse » (Jean 19,9 = Luc 23,9). Ainsi fait-il, en laissant dire, et dit-il en laissant faire. Ainsi soit-il : « Il dit : tout est achevé » (Jean, 19,30).LeVerbene [se] dit comme Verbe, ou mieux : ne [se] dit –Verbe ! – qu’en laissant dire : ce qu’on entendra en un double sens. Le Verbe, comme Dit de Dieu, nul homme ne peut l’entendre adéquatement, en sorte que plus les hommes l’entendent parler leurs propres mots, moins leur entendement saisit ce que disent pourtant clair comme le jour, les paroles dites. En retour, les hommes ne peuvent rendre au Verbe l’hommage d’une dénomination adéquate ; s’ils peuvent – par grâce exceptionnelle – le confesser parfois comme « Fils de Dieu », ils ne parviennent pas (ni ne parviendront jamais) à le dire comme il se dit. Le Verbe ne se dit en aucune langue, puisqu’il transgresse le langage même, dès lors que Verbe en chair et en os, il se donne comme indissolublement locuteur, signe et référent. Le référent, qui devient ici locuteur, même s’il parle nos mots, ne s’y dit pas selon notre manière de dire ; il s’y profère parce qu’il s’y expose ; et s’y expose, moins comme on expose une opinion, que comme on s’expose à un danger ; il s’expose en s’incarnant. Parlant ainsi nos verba, le Verbe redouble son incarnation, ou plutôt l’accomplit absolument, puisque le langage nous constitue plus charnellement que notre chair. Pareille incarnation en nos verba, seul le Verbe peut l’entreprendre, qui vient jusqu’à nous devant nos mots. Nous, qui n’advenons au contraire que dans les verba, nous ne pouvons opérer librement cette incarnation. Incarné dans nos verba, le Verbe y acquiert une nouvelle indicibilité, puisqu’il ne s’y laisse dire que par le mouvement d’incarnation pour ainsi dire antérieur aux verba, qu’il dit et qu’il laisse le dire. Toute parole qui ne parle que ce côté-ci du langage ne peut donc atteindre le référent qui, seul et seigneurialement, vient pourtant dans le langage, à notre rencontre. Devant nos paroles, le Verbe laisse dire, manifestant ainsi qu’il ne peut s’y trouver dit, mais que, par la seigneuriale liberté de cette incarnation redoublée, il s’y donne à dire. L’inouï du Verbe tient à ce qu’il ne [se] dit qu’indicible (écart Verbe/verba), mais qu’en cet indicible même il se dit pourtant parfaitement (écart parcouru par incarnation redoublée). Le Verbe [se] dit absolument quoiqu’indiciblement, à moins qu’il ne s’absolve de l’indicibilité qu’en la parcourant d’une parfaite incarnation. Indicible, non seulement comme une notre trop haute, qu’aune gorge ne pourrait chanter, par défaut de parole : il ne s’agit pas seulement de parole, mais surtout du signe et du sens. Indicible aussi, et non pas seulement, comme l’intenable pensée de l’abîme, où sombre Zarathoustra, parce qu’elle s’ouvre à un déferlement de divinité : car il ne s’agit pas d’abord d’une pensée, mais d’un référent en chair et en os, du Verbe dont l’incarnation occupe et transgresse à la fois l’ordre de la parole et du sens. Aucune langue humaine ne peut dire le Dit de DIEU. Car pour le dire, il faut parler comme Lui seul parle, avec exousia (Marc 1,22, etc.) avec cette liberté souveraine, dont l’ascendant (sur-)naturel en impose à tous comme une toute-puissance si haute qu’elle n’a qu’à parler pour se faire admettre. Le Verbe se dit, il nous devient donc indicible ; habitant labile de nos babils, il y habite pourtant comme référent.

 
Le Verbe, comme Fils du Père
 

Le Verbe, comme Fils, reçoit du Père le mandat et l’injonction (entôlê) de dire ; mais lorsqu’il en devient le locuteur, ce message coïncide déjà par ailleurs (ou justement : pas par ailleurs) avec ce message qu’éternellement accomplit l’illocution paternelle en lui comme Verbe ; en sorte qu’il peut légitimement transférer, dans l’acte même de son énonciation – l’incarnation – non seulement le message dit par lui , mais le locuteur qui, avec et avant lui, le dit, lui, le Dit indicible, comme tel – Verbum Dei. Au moment où il dit les verba du Père, il se laisse dire par le Père comme son Verbe. Ainsi le Verbe se dit comme il se donne : à partir du Père et en retour au Père. Ce transfert même désigne l’Esprit. Ou plutôt l’Esprit prend la parole pour désigner ce transfert du locuteur (Jésus) dans le signe (le texte de la volonté divine) comme ce dont, lui, l’Esprit offre trinitairement le référent – « Une voix vient du ciel : Je t’ai glorifié et je te glorifierai « (Jean 12,28), la voix où parle l’Esprit (au baptême, Matthieu 3,16) au nom du Père (transfiguration, Marc 9,7) qui dit le Fils comme tel. Autrement dit : je tiens celui-ci pour mon préféré en qui je me profère, le proféré que, de tous les proférés, je préfère parce qu’il préfère me proférer moi, plutôt que lui-même. Préféré, proféré : le Verbe, Fils bien-aimé. Le Verbe se laisse dire par le Père – dans l’Esprit qui ne consiste en un sens, qu’en cela – exactement comme il laisse la volonté faire la volonté du Père. Ainsi apparaît le Dit du Père : le Verbe paraît le Dit quand il apparaît comme Fils du Père. Dit du Père : le Verbe proféré par le souffle de la voix paternelle, souffle, Esprit. Sue la Croix, le Père expire autant que le Verbe – puisqu’ils expirent le même Esprit. La Trinité respire de pouvoir souffler parmi nous.

D’un tel Verbe, d’un tel logos (a), un discours ne devient légitime, donc possible, que s’il reçoit et conserve le contrecoup de ce qu’il prétend atteindre. Une théologie, pour justifier sa christianité, doit se concevoir comme un logos du Logos, un verbe du Verbe, un dit du Dit – où, certes, toute doctrine du langage, toute théorie du discours, toute épistémologie des savoirs doit se laisser normer par l’évènement de son redoublement en une instance, majuscule, intime et antérieure…On peut bien tenter (en fait on ne le peut pas) de faire des « théologies » du travail, de la non-violence, du progrès, de la classe moyenne, des jeunes, etc. où change seulement le complément de nom ; mais on ne saurait faire une « théologie du Verbe », parce que si un logos prétend précéder le Logos, ce logos blasphème le Verbe (de) DIEU. Seul le Dit qui se laisse dire par le Père peut assurer la pertinence de notre logos le concernant, en apprenant à, lui aussi, se laisser dire – dire par le Verbe fait chair, indicible et silencieux. Théologie : certes logos humain où l’homme ne maîtrise pas le langage, mais doit se laisser régir par lui (Heidegger) ; mais surtout, le seul logos des hommes qui se laisse dire – restant logos humain plus que jamais – par le Logos. Non parler le langage des dieux ou de « Dieu », mais laisser le Verbe nous (faire) parler à la manière dont il parle de et à DIEU : « Recevez l’esprit de filiation, dans lequel nous prions, abba Père ! (Romains 8,15), « Vous donc, priez ainsi : Notre Père qui es aux cieux… » (Matthieu 6,9) (b) Théologie : un logos qui assure sa pertinence quant à DIEU dans la stricte mesure où il laisse se lire en lui le Logos, lui-même entendu (strictement : entendu) comme celui qui seul sait se laisser dire parfaitement par le Père ; car, pour dire DIEU, il faut d’abord se laisser dire par lui, que, par cet abandon docile, notre parole parle DIEU, comme dans les verba du Verbe sonnait le Verbe indicible de son Père. Il n’ s’agit pas, pour le « théologien », de parvenir à ce que son discours parle (bien ou mal – qu’importe finalement, car quelle norme en ce monde en déciderait ?) de Dieu, mais d’abandonner son discours et toute initiative langagière au Verbe, pour se laisser dire par lui, comme le Verbe se laisse dire par le Père – lui, et en lui, nous avec…Bref, apprendre à parler notre langage avec tous les accents – avec l’accent du Verbe parlant. Car le Verbe en parlant nos verba, qu’il dit mot-à-mot, sans rien en changer (pas un iôta, Matthieu 5,18), nous prend au mot, au pied de la lettre : puisqu’il parle ce que nous parlons, mais avec un tout autre accent, il nous promet le défi et nous donne les moyens de le relever – parler notre mot-à-mot avec son accent, l’accent d’un DIEU. Le théologien [se laisse] dire [par] le Verbe ou plutôt laisse le Verbe lui laisser dire le langage humain à la manière dont DIEU le dit en son Verbe.                        

 

(a) Seconde personne de la Sainte Trinité, préexistant à la création du monde ; celle qui dit le Père..

(b) Père constitue le premier mot que nous disions à DIEU au sens même où DIEU le dit (à DIEU, comme Fils au Père, justement) : « Or un jour, quelque part, il priait. Quand il eut fini, un de ses disciples lui demanda :’Seigneur, apprends nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples’. Il leur dit : ‘Quand vous priez, dites : Père…’» (Luc, 11,1-2). Père, nous ne le crions (Romains 8,15 ; Galates 4,16)) que parce que d’abord le Christ le dit lui-même (Marc 14,36 ; Matthieu 11, 25 ; 26, 39 ; LucJean…etc.)

 

La théologie chrétienne porte sur l’évènement forclos constitué par la mort et la résurrection du Christ

 

Quel est l’office du théologien et sur quoi porte la théologie chrétienne ? Sur l’évènement de la mort et de la résurrection de Jésus, le Christ. Comment cet évènement, éloigné de nous par le cours du temps et l’éloignement documentaire, nous advient-il ? Il nous advient par une parole dite par un homme, fides ex auditu (a). L’annonce use d’un texte pour dire un évènement, et cela dans tous les cas. La parole ne transmet pas le texte, mais, par le texte, l’évènement. Le texte ne coïncide point avec l’évènement ; ou mieux, il en consigne les traces, comme le voile de Véronique retient les traits du Christ : par rapide imposition de l’évènement qui passe. Les textes évangéliques fixent littérairement les effets de sens et de mémoire sur les témoins d’une irruption inimaginable, inouïe, imprévisible et en un sens invisible. L’évènement christique a laissé ses traces sur des textes, comme une explosion nucléaire laisse des brûlures et des ombres sur les murs : rayonnement insoutenable (b). Le texte nous assure un négatif de l’évènement qui seul constitue l’original. Écart que l’on peut entendre comme du signe au référent. Cet écart trouve une confirmation a contrario dans deux impasses contraires de l’herméneutique :

– 1) Ou bien dans l’exégèse « scientifique », on tente de lire le texte à partir de lui-même, comme s’il ne voulait rien dire de plus que ce qu’il dit évidemment (sens historique) ; la trivialité souvent du résultat découle de la défaillance de tout évènement autre que le texte, qui, ne portant que sur lui-même, doit se supporter lui-même. Auquel cas, le seul évènement encore possible consistera en la simple rencontre du texte par son lecteur. D’où la tentation de maîtriser scientifiquement le texte, pour y interdire toute profération de l’évènement du Dit.

 – 2) Ou bien encore, comme le texte reste si radicalement non évènementiel qu’aucun salut n’y peut advenir, on sera tenté de lui assigner un autre évènement, non plus antérieur au texte, comme au-delà, donc inaccessible, mais postérieur, comme en-deçà, encore à venir dans l’avenir du lecteur lui-même. Le signe n’oublie point son référent, il l’attend, y tend, l’annonce.

Dès lors, à creuser ainsi l’écart du texte à l’évènement, du signe au référent, ne détruit-on pas la possibilité en général de tout discours authentiquement théologique ?

 
La littérature, en fait de référent

- soit s’en dispense (Emma Bovary, Werther, Swann, « n’existent pas »),

-  soit le retrouve en chacun de ses lecteurs (Emma Bovary « c’est moi », Werther « ce n’est pas moi », etc.), ce qui revient au même : en tous les cas, la littérature se dispense de recourir à un évènement pour y trouver son référent.

L’histoire, en fait de référent, publie un texte aboli, ou mieux publie le texte d’un référent aboli que l’on vise en tant même qu’il reste à jamais aboli, défait.

 

Quant à la poésie, seule elle provoque, sinon produit, son référent par un pur et simple texte : l’émotion même que cause en nous la lettre ; immanent, ce référent, en un sens n’en constitue pas un (c).

 

Reste seule la théologie ; elle prétend dire le seul vivant ; elle doit donc ouvrir l’accès au référent (d). Mais ce référent consiste en la mort passée et la résurrection passée de Jésus, le Christ ; la Pâque qui fut – dit-on – effective comme évènement passé de l’histoire, du fait même de ce fait défait, s’y accomplit, s’y enfouit et s’y forclôt ; d’un élément forclos, le texte en porte la trace, mais il n’y ouvre plus aucun accès. Évènement fini, référent inaccessible, que défend la consigne de son texte. Serions-nous privés de l’évènement par le signe même qui s’y réfère ? Le discours théologique culminerait-il dans la répétition de l’irréfutable ? Qu’on ne dissolve pas trop aisément, par quelque habileté, cette clôture, qui clôt le discours théologique, mais aussi le sens sur lui-même. Car tandis que, sans doute, tout autre discours peut s’accommoder de la clôture du sens d’où s’exile le référent, le discours théologique, seul, ne le peut, qui procède d’un évènement et n’en annonce que l’infinie répétition (e). Mais, pareil accès à l’évènement échu, pareille vision et visée du référent – comment y reconnaître plus que des vœux pieux ? Mais un vœu qui reste « pieux », justement n’a rien de pieux – seul deviendrait pieux qui accomplirait son devoir à l’égard du divin –, il sombre par stérilité au rang du blasphème…

L’évènement pascal s’est accompli, l’accomplissement pascal est advenu (Luc, 24,18 : Jean 19,28). Pour les disciples comme pour nous, il n’appartient plus au présent. Ne reste, une fois les choses mortes, que des mots : pour nous, reste le texte du Nouveau Testament, tout comme pour les disciples ne restait que la rumeur, où déjà la chronique de la mise à mort (Luc 24,17). Quand les disciples interprétèrent ce que l’on dit de l’évènement, leur interprétation correcte ne peut atteindre qu’un sens – le sens d’un évènement révolu, dont la contemporanéité visible ne leur devient pas même envisageable : «…leurs yeux étaient retenus de la reconnaître » (Luc 24,16). L’herméneutique que nous pouvons mener de ce côté-cidutexte,il advient–nouvel évènement, qui monnaye l’évènement pascal – que le référent en personne la redouble, achève et disqualifie par une autre herméneutique qui, pour ainsi dire, contourne son texte, d’au-delà passe en-deçà. Le référent s’y interprète lui-même comme ne référant qu’à lui-même : « …et Jésus lui-même (autos) s’approchant fit route avec eux (…) et lui-même (autos) leur dit : ô inintelligents et cœurs lents à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Le Christ ne devait-il pas souffrir toutes ces choses pour entrer dans sa gloire ? Et, en commençant depuis Moïse et tous les prophètes, il leur fit tout au long l’herméneutique, dans toutes les Écritures, de ce qui le concernait (Luc 24,15, 25-27)…Il peut viser le référent puisqu’il l’assure ; celui qu’aucun texte ne peut dire, parce qu’il demeure hors-texte, le référent (Verbe indicible), transgresse le texte pour nous l’interpréter, en interprète autorisé par sa pleine autorité (exousia) : expliquant moins le texte que s’expliquant avec lui, il le traverse de part en part, tantôt lecteur, tantôt référent, disant et dit ; bref, il s’y dit strictement. 

– D’où un premier principe pour le théologien : certes, il procède à une herméneutique du texte biblique qui ne vise pas le texte, mais, à travers le texte, l’évènement, le référent. Le texte n’offre pas l’original de la foi, parce qu’il n’en constitue pas l’origine. Seul le Verbe peut donner une interprétation autorisée des verba (écrits ou dits) le concernant. Donc le théologien humain ne commence à mériter son nom que s’il imite « le théologien supérieur à lui, notre Sauveur », en transgressant le texte par le texte, jusqu’au Verbe. Sinon le texte devient obstacle à la compréhension du Verbe : ainsi pour les disciples, l’Ancien Testament, ainsi pour nous, le Nouveau.  

Pareille transgression, qu’opère en personne le Verbe à Emmaüs, offre pourtant l’unique possibilité non d’une lecture spirituelle mais d’une lecture tout court des écritures, voire l’unique accès à une parole originaire : « Il est ôté le voile [sc. des prophéties], dès lors que tu transites jusqu’au Seigneur ; ainsi est ôtée la non-sagesse (insapientia), quand tu transites jusqu’au Seigneur, et ce qui était de l’eau devient du vin. Lis-tu les livres des prophètes sans entendre le Christ, quoi de plus insipide et de plus extravagant ? Mais si tu y entends le Christ, non seulement tu savoures ce que tu lis, mais tu t’y enivres, enlevant ton esprit hors de ton corps, pour ‘oubliant ce qui est derrière toi, ne plus tendre que vers ce qui est devant’ (Philippiens 3,13). »  

– Secondement pour le théologien, même et surtout dans l’herméneutique du texte biblique, il faut s’appuyer « moins sur la littéralité de la lettre, que sur la puissance du Seigneur et sa justice, à lui seul ». Qu’on nous comprenne bien : il ne s’agit justement pas ici d’éloge du fondamentalisme (qui tient à la lettre), ni d’une fantaisie faussement « spirituelle » mais de ce principe : le texte résulte, en nos verba qui l’y consignent, de l’évènement primordial du Verbe parmi nous ; la simple compréhension du texte – office du théologien – exige infiniment plus que sa lecture aussi informée qu’on voudra ; elle exige l’accès du Verbe à travers le texte. Lire le texte du point de vue où il a été écrit : du point de vue du Verbe. Cette exigence,aussiintenablequ’elleparaisseet qu’elle le reste), ne peut s’éviter. À preuve : tant que le Verbe ne vient pas en personne interpréter aux disciples les textes des prophètes et même la chronique des choses vues à Jérusalem (logoï, Luc 24,17), ce double texte reste inintelligible strictement, ils n’y comprennent rien (anoetoi, Luc 24,25), ils ne voient pas l’évidence (Luc 24,17). Il faut, au théologien,  transir (f) son texte jusqu’au Verbe, l’interprétant du point de vue du Verbe.

 

(a) (Romains, 10,14). Il faut écouter ici R. Bultmann : « La révélation n’est pas une illumination, un moyen de connaître, mais un évènement (…) La révélation doit donc être un évènement qui nous atteint directement et qui s’accomplit en nous-mêmes, et le verbe, le fait de devenir l’annonce, lui apparaît aussi. La prédication même est la révélation. »

(b) Il faudrait ainsi parler d’une manière de Saint Suaire textuel ou, en un autre sens, de voile de Véronique littéraire : l’impression faite par la gloire paradoxalement visible de DIEU sur un linceul de mots inertes, de lettres mortes.

(c) Il s’agit donc pour une fois en un sens strict, d’un évènement littéraire ; un évènement provoque des effets (une émotion), laisse des traces, impose des monuments sous la figure de textes (les archétypes). Non que les textes eux-mêmes fassent l’évènement (au sens de l’habituel ‘évènement de la rentrée’), mais inversement où, précisément, ils ne font pas l’évènement puisque l’évènement seul les fait.

(d) Cet écart même entre texte et évènement, loin de nous éloigner à jamais de l’évènement pascal (Bultman et alii), nous marque au contraire qu’il s’agit bien avec Pâques, d’un évènement et non d’un effet de sens ou d’un jeu d’interprétation et que seule la répétition plénière de cet évènement par un autre/le même nous ouvre les textes : droit à l’eucharistie.

(e) Sur les différentes acceptions de la clôture du sens et leurs implications théologiques, voir l’ensemble des travaux publiés de M. Costantini, et principalement à « Celui que nous nommons le Verbe », Résurrection, 36, Paris 1971 ; « La Bible n’est pas un texte », Revue catholique internationale Communio, 1/7, Paris, 1976.

(f) du latin transire : aller au-delà.

 

Une brusque transition de l’herméneutique (explication des Ecritures) à l’Eucharistie, là où s’opère la reconnaissance

 

(210) Même après l’herméneutique auto-référentielle des textes par le Verbe, resterions-nous aussi, comme les disciples,aveugles,inintelligents ? Que cette herméneutique absolue se réalise ou non, que nous soyons en chemin vers Emmaüs ou en route vers la fin du second millénaire, cela finalement importe peu : aucune herméneutique ne saurait ouvrir des yeux à l’exégèse du Père (Jean 1, 18). Cette objection met sur la voie d’une remarque : curieusement le texte de Luc 24, qui pourtant avertit que le Christ « fit l’herméneutique du texte », ne nous en rapporte pas l’argument, ni a fortiori les développements. Oubli ? Cette hypothèse ne saurait tenir, puisque tout le récit vise à présent une herméneutique qui rende le Verbe visible dans le texte biblique. Comment comprendre ? Une herméneutique absolue s’annonce, et non seulement elle ne révèle rien, mais elle brille par son absence ; à peine nommée, elle disparaît au profit du moment eucharistique (Luc 24, 28-33). Pareille transition brusque de l’herméneutique à l’eucharistie n’avoue-t-elle pas l’impossibilité de la première ? Sans doute, mais la leçon d’herméneutique n’apparaît tronquée, voire absente que si on la tient pour différente de la célébration eucharistique où s’opère la reconnaissance ; car aussitôt après la fraction du pain, non seulement les disciples le « reconnurent » et enfin « leurs yeux s’ouvrirent » (Luc 24,31), mais surtout l’herméneutique traversa le texte jusqu’au référent : « et ils se dirent ‘le cœur ne nous brûlait-il pas en nous, lorsqu’il nous parlait en chemin , lorsqu’il nous ouvrait [nous faisait communiquer avec le texte des Écritures’ » (Luc 24,32). L’Eucharistie accomplit, comme son moment central l’herméneutique, (elle intervient au v. 30, à mi-chemin des deux mentions des Écritures, v.27 et v.32). Elle seule fait traverser le texte jusqu’à sin référent, reconnu comme Verbe non textuel des verba. Pourquoi ? Nous le savons : parce que le Verbe interprète en personne. Oui, mais où ? Non d’abord où le Verbe parle des Écritures, sur le texte (v.27-28), mais au moment où il profère la parole indicible, absolument filiale au Père – « prenant le pain, il rendit grâce… » (v.30). Le Verbe intervient en personne dans l’Eucharistie (en personne, parce qu’alors seulement il manifeste et performe sa filiation), mais pour accomplir ainsi l’herméneutique. L’Eucharistie seule achève l’herméneutique ; l’herméneutique culmine dans l’Eucharistie ; l’une assure à l’autre sa condition de possibilité : l’intervention en personne du référent du texte comme centre de son sens, du Verbe, hors des verba, pour se les réapproprier comme « ce qui le concerne(v.27). Si le Verbe n’intervient en personne qu’au moment eucharistique,    

l’herméneutique (donc la théologie fondamentale) n’aura lieu, n’aura son lieu que dans l’eucharistie. Le premier principe (il faut au théologien transir le texte jusqu’au Verbe, en l’interprétant du point de vue du Verbe), trouve ici son assise et la norme qui lui évite le délire ; le théologien trouve dans l’eucharistie son lieu, parce que l’eucharistie elle-même s’offre comme lieu pour une herméneutique. S’offre comme lieu au moment même de sa reconnaissance par les disciples, le Verbe en chair disparaît : « car il est utile pour vous que je parte » (Jean, 16,7)/ Pour quoi ? Pour que le Verbe reconnu en esprit, reconnu par et selon l’Esprit, devienne le site où puissent habiter ceux qui vivent selon cet Esprit, le sien reçu du Père…Le Verbe ne disparaît pas tant à leur vue, qu’eux-mêmes ne disparaissent comme individus aveuglés, empiriquement vagabonds sur des chemins qui ne mènent nulle part. Ils entrent dans le lieu du Verbe, et maintenant, comme lui, ils montent à Jérusalem (Luc 24,33 – Matthieu 16,4). Ce lieu – en Christ dans le Verbe – s’ouvre pour une herméneutique absolue, une théologie. Car les deux disciples ne remontent à Jérusalem que pour dire l’herméneutique eucharistique qu’ils viennent d’éprouver, et la faire approuver : « …eux-mêmes racontèrent [firent l’exégèse], les choses passées sur le chemin et comment il se fit reconnaître d’eux par la fraction du pain » (Luc 24,34).

« Alors qu’ils disaient ces choses, lui-même se tint au milieu d’eux » (Luc 24,37) pour donner l’Esprit et se redire comme Verbe absolu : « C’est moi », mais aussi « Je suis moi,ego eimi autos » (Luc 24, 38-39). Le cercle se clôt : l’herméneutique suppose que les disciples occupent le site eucharistique du Verbe, mais leur herméneutique, en retour, transite tout texte et toute parole, à nouveau, le référent absolu (« Je suis » v. 39 Jean 8, 24 et 58 = Exode 3,14). Ce site herméneutique de la théologie, l’assemblée chrétienne qui célèbre l’eucharistie le reproduit sans trêve. D’abord le texte : les prophètes, la loi, les écrits, tout l’Ancien Testament (comme en Luc 24,27), puis les logia du Christ (comme en Luc 24,17 : déployés en v. 18-24, par une manière de kérygme hypothétique hypothéqué par la mort). On le lit devant l’assemblée qui, théologienne en négatif, demande qu’on lui fasse comprendre non les verba, mais le Verbe. Puis l’herméneutique : le prêtre qui préside à l’eucharistie commence par « faire l’herméneutique » (comme en Luc 24,27) des textes, sans que la communauté ne distingue encore en lui le Verbe en personne (comme les disciples) ; l’herméneutique qu’opère verbalement l’homélie – dès lors mode littéraire par excellence du discours théologique – doit s’accomplir dans le rite eucharistique où le Verbe visiblement absent, se fait reconnaître à la fraction du pain, qualifie le prêtre comme sa personne et s’assimile ceux qui l’assimilent…

Herméneutique du texte par la communauté certes, grâce au service du théologien, mais à condition que la communauté se laisse elle-même interpréter par le Verbe et assimiler au lieu où l’interprétation théologique se peut exercer, grâce au service liturgique du théologien par excellence, l’évêque.

(214) Ce dispositif ternaire, que l’on pourrait développer et confirmer en maintes suites, impose directement au moins quatre conséquences ? Deux concernent le théologien, et deux autres, la théologie.

 

Conséquences, pour le théologien, imposées par le dispositif ternaire

 

– 1/ Première conséquence : si l’eucharistie, du point de vue du Verbe offre le seul site correct où le Verbe se dit en personne dans la bénédiction, si enfin seul le célébrant reçoit autorité pour transir les verba jusqu’au Verbe, parce que lui seul se trouve investi de la persona Christi, alors il faut en conclure que seul l’évêque mérite, au sens plein, le titre de théologien. Cette proposition peut paraître paradoxale, mais au risque de simplifier, il faut y insister : l’enseignement de la Parole caractérise les apôtres (donc aussi ceux qui se succèdent en leur site) au même titre que la présidence de l’eucharistie, l’herméneutique n’atteint pas le site théologique : le Verbe en personne. Sans doute la fonction de l’herméneutique théologique peut-elle se déléguer, mais au même sens où l’évêque délègue au simple prêtre la fonction de présider à l’eucharistie. Et de même qu’un prêtre qui rompt la communion avec l’évêque ne peut plus introduire dans la communion ecclésiale, de même un enseignant qui parle, sans, voire contre, le Symbole des apôtres, sans, voire contre son évêque, ne peut-il absolument plus porter son discours sur un site authentiquement théologique. Dans cette optique, on ne peut éviter de considérer comme au moins très problématique tout essai de constituer la théologie comme science ; outre que le statut de science en fait une théologie, outre que la rigueur démonstrative n’a sans doute guère plus de pertinence ici qu’en philosophie, cette mutation épistémologique provoque, ou exige, le relâchement du lien de délégation entre l’évêque, théologien par excellence, et son adjoint enseignant, lequel, toujours et naturellement porté à postuler son indépendance, trouve dès lors une possible justification pour cette illusion ; car, se détacher de l’évêque n’offre pas un « objet » enfin neutre à la science théologique », mais supprime le site eucharistique de l’herméneutique…Le redressement du discours théologique ne pourra résulter que d’une restauration du lien de délégation de l’évêque à l’enseignant qui – savant herméneute – ne constitue qu’un cas particulier de charismes qui ne valent rien, sauf rapportés à la charité et à l’édification de la communauté (1 Corinthiens 14, passim). L’enseignement théologien ne se justifie que s’il sert à la charité. Sinon, il fait mourir. Mais, plus l’enseignant s’inscrit dans le rite eucharistique qu’ouvre l’évêque, plus il peut devenir théologien.

– 2/ Inversement, et c’est la seconde conséquence : si le théologien ne peut ni ne doit vouloir accéder à un statut « scientifique », il ne peut, lui-même, que devenir un saint. La sainteté redouble existentiellement l’exigence institutionnelle d’un lien à l’évêque : il s’agit, dans les deux cas, du même accès au site eucharistique de l’herméneutique théologique. Qu’on ne s’y trompe pas : l’exigence de sainteté ne relève pas plus de l’édification pieuse que l’exigence d’une délégation épiscopale n’impose une limite à la liberté de penser…Comme l’enseignant devient théologien en étant dans le texte le référent, il doit avoir du référent une compréhension anticipée faute de quoi il ne pourra en répéter les effets de sens dans le texte. Les exégètes ou les théologiens ne manquent pas, qui commettent des contresens massifs sur les textes (bibliques ou patristiques), non par défaut de savoir, mais par ignorance de ce dont il s’agit, de la chose même. Celui qui n’a jamais connu la passion pour analyser exactement une scène de Racine ou de Stendhal, il ne peut la comprendre du point de vue de son auteur – a fortiori le Cantique des Cantiques, ou bien Osée (dont bien des commentateurs paraissent manquer même de sens historique…Celui qui prétend transir le texte jusqu’au Verbe doit savoir de quoi il parle : savoir par expérience la charité, bref, « avoir appris de ce qu’il a pâti » (Hébreux 5,8) comme le Christ ; ainsi, selon Denys le Mystique, le divin Hiérophée : « soit qu’il les ait reçues d’après des saint théologiens, soit qu’il les ait considérées au terme d’une enquête scientifique des logia [textes des Ecritures] au prix d’un long entraînement et exercice, soit enfin qu’il ait été initié par une inspiration plus divine, il n’a appris des choses de Dieu que ce qu’il en pâti, et par cette compassion mystique envers elles, il fut conduit à la perfection de l’union et de la loi mystiques, qui, si l’on peut dire, ne s’enseignent pas »…Le référent ne d’enseigne pas, puisqu’il se rencontre par l’union mystique. Et pourtant, il faut parler de lui. Avec cette expérience mystique il n’y va pas d’abord de la moralité ou des vertus privées des théologiens, mais surtout de sa compétence acquise en matière de charité, bref de connaître le Verbe, non verbalement, mais en chair et eucharistie. Seul le saint, en théologie, sait de quoi il parle, seul celui qu’un évêque délègue sait d’où il parle. Pour le reste, il ne s’agit que de vision, d’intelligence, de travail et de talent, comme ailleurs, banalement.     

 

 Conséquences, pour la théologie, imposées par le dispositif ternaire

 

(218) Pour la théologie, comme il a été dit, deux conséquences à nouveau s’imposent :

– 1/ La théologie eucharistique, la seule possible, s’exerce à parcourir l’écart du texte (signes) au référent, des verba au Verbe. Dans cet écart, le Verbe indicible sature d’absolu chacun des signes de son texte : l’absolu du référent rejaillit pour ainsi dire sur le plus trivial des signes – dont chacun prend un sens spirituel. Le texte, où se fixe en signes verbaux l’effet de sens du Verbe, en consigne l’incommensurabilité : les Ecritures aussi dépassent les limites du monde (Jean 19,30 = 21,35). Le texte échappe à la propriété de ses producteurs littéraires pour se laisser pour ainsi dire aspirer par le Verbe : ou plutôt, il en prend l’empreinte « objective » au même titre que les disciples reçoivent, du Verbe une figure objective : l’apostolicité. Car le texte lui aussi devient apostolique, envoyé par lui-même, pour aller là où il ne voulait aller…La théologie peut ainsi progresser à condition que le Verbe et son texte apparaissent bien comme donnés une fois pour toutes : le déploiement historiquement indéfini des herméneutiques eucharistiques suppose, indépassable et unique, la révélation transtextuelle du Verbe. En effet, en quoi consiste la production d’une nouvelle théologie ? En une nouvelle manière de reconduire au Verbe certains verba des Ecritures, interprétation rendue possible, plus encore que par le talent d’un esprit, par le travail de l’Esprit qui dispose une communauté eucharistique dans une position où elle reproduit telle ou telle disposition du Verbe-référent, et s’identifie au Verbe, interprété sous ce rapport. Coïncidant avec une nouvelle persona, la communauté (donc aussi le théologien qui y double l’évêque) réalise une nouvelle dimension de l’évènement originel, donc accomplit une nouvelle herméneutique de certains verba, bref signe une « nouvelle » théologie. Cette fécondité sans fin dépend de la puissance de l’Esprit qui suscite les attitudes eucharistiques (donc : pas de progrès de la théologie sans approfondissement du geste eucharistique, ce que confirment les faits). Une théologie se célèbre avant que de s’écrire – parce que « avant toutes choses et particulièrement avant la théologie, comme le dit Denys le Mystique, il faut commencer par la prière ». Pour donner une herméneutique « infinie » du teste (infini) en vue du Verbe (infini) , se mobilisent une infinité de situations vis-à-vis du point de vue du Verbe, donc une infinité d’eucharisties, célébrées par une infinité de communautés différentes, dont chacune reconduit au Verbe une parcelle des verba, à la mesure exacte de ce qu’eucharistiquement elles répètent et accueillent chacune du Verbe en personne…Le bavardage théologique souvent, comme le bricolage liturgique, atteste moins la créativité que l(impuissance à performer la répétition originelle – la réintégration au centre , la récapitulation de l’unique chef – le Christ » (Ephésiens, 1,10). Cependant, le temps se dispense avec patience, pour que notre eucharistie interprète sans trêve ni retard les verba en vue, et à partir du Verbe – jusqu’à ce qu’il revienne.

– 2/ Seconde et ultime conséquence. La fonction théologique ne fait pas exception, dans l’Eglise, à la donne initiale de sa fondation : « M’a été donnée toute exousia [l’universalité] au ciel et sur la terre. Allez enseignant toutes les nations (…), enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai enjoint ; et voici que moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du tems (Matthieu 28,18-20). Tout se trouve donné à l’Eglise (espace : les nations ; temps : les jours) pour qu’elle le rende (faire garder les commandements) au Verbe, parce qu’il a déjà tout reçu (exousia) du Père ; en théologie il ne s’agit, pas plus qu’ailleurs, de travailler à un achèvement encire à venir : l’achèvement pour l’Eglise, s’accomplit définitivement à Pâque, donc à l’origine (Jean 19,28 = 13,1).

Parler de progrès, de recherche, de découverte en théologie, ou bien ne veut rien dire de précis, ou bien trahit une méconnaissance radicale du statut eucharistique de la théologie, ou bien enfin doit s’entendre en un sens détourné : non que la théologie progresse en produisant un nouveau teste, comme tout autre discours, mais au sens où la théologie progresse eucharistiquement dans une communauté, qui accomplit sa propre reconduction, à travers le texte, au Verbe. Bref, la théologie ne peut viser d’autre progrès que sa propre conversion au Verbe, le théologien devenant évêque ou bien l’un des pauvres fidèles, dans la commune eucharistie. Une fois tout donné, il reste à le dire, dans l’attente que le Dit lui-même revienne le dire. Ainsi entendu, le progrès théologique indiquerait moins un tâtonnement indéterminé, ambigu et stérile, que le déploiement absolument infini des possibilités déjà réalisées dans le Verbe, mais non encore en nous et nos paroles, bref l’infinie liberté du Verbe en nos verba, et réciproquement. Nous sommes infiniment libres en théologie : nous trouvons tout déjà donné, acquis, disponible. Il ne reste qu’à comprendre, dire et célébrer. Tant de liberté nous effraie, à juste titre. 



Date de création : 03/01/2011 @ 17:44
Dernière modification : 03/01/2011 @ 18:01
Catégorie : Synthèses
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