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Glossématique - Ethique(L')




ÉTHIQUE (L’)

LÉVINAS

TOTALITÉ ET INFINI

Langage et
Éthique
La pensée européenne a toujours combattu comme sceptique, l’idée de l’homme mesure de toutes choses, bien que cette idée apporte l’idée de séparation athée et l’un des fondements du discours. Le moi sentant, pour elle, ne pouvait pas fonder la Raison, le moi se définissait par la raison. La raison parlant à la première personne, ne s’adresse pas à l’Autre, tient un monologue. Et inversement elle n’accéderait à la personnalité véritable, ne retrouverait la souveraineté caractéristique de la personne autonome, qu’en devenant universelle. Les penseurs séparés ne deviennent raisonnables que dans la mesure où leurs actes personnels et particuliers de penser figurent comme moment de ce discours unique et universel. Il n’y aurait de raison dans l’individu pensant que dans la mesure où il entrerait lui-même dans son propre discours où, au sens étymologique du terme, la pensée comprendrait le penseur où elle l’engloberait.
Mais faire du penseur un moment de la pensée, c’est limiter la fonction révélatrice du langage à sa cohérence traduisant la cohérence des concepts. Dans cette cohérence se volatilise le moi unique du penseur. La fonction du langage reviendrait à supprimer « l’autre » rompant cette cohérence et, par là même, essentiellement irrationnel. Curieux aboutissement : le langage aboutirait à supprimer l’Autre, en le mettant d’accord avec le Même ! Or, dans sa fonction d’expression, le langage maintient précisément l’autre à qui il s’adresse, qu’il interpelle ou invoque. Certes, le langage ne consiste pas à l’invoquer comme être représenté et pensé. Mais c’est pourquoi le langage instaure une relation irréductible à la relation sujet-objet ; la révélation de l’Autre. C’est dans cette révélation que le langage, comme système de signes, peut seulement se constituer. L’autre interpellé n’est pas un représenté, n’est pas un donné, n’est pas un particulier, par un côté déjà offert à la généralisation. Le langage, loin de supposer universalité et généralité, les rend seulement possibles. Le langage suppose des interlocuteurs, une pluralité. Leur commerce n’est pas la représentation de l’un par l’autre, ni une participation à l’universalité, au plan commun du langage. Leur commerce, nous le dirons à l’instant, est éthique.(…)
Discours qui n’est donc pas déroulement d’une logique interne préfabriquée, mais constitution de vérité dans une lutte entre penseurs, avec tous les aléas de la liberté. Le rapport du langage suppose la transcendance, la séparation radicale, l’étrangeté des interlocuteurs, la révélation de l’Autre à moi. Autrement dit ; le langage ne parle là où manque la communauté entre les termes de la relation, là où manque, où doit se constituer le plan commun. Il se place dans cette transcendance. Le Discours est ainsi expérience de quelque chose d’absolument étranger , « connaissance » ou expérience pure , traumatisme de l’étonnement.
L’absolument étranger seul peut nous instruire. Et il n’y a que l’homme qui puisse m’être absolument étranger – réfractaire à toute typologie, à tout genre, à toute caractéristique, à toute classification – et, par conséquent, terme d’une « connaissance » enfin pénétrant au-delà de l’objet. L’étrangeté d’autrui, sa liberté même ! Seuls les êtres libres peuvent être étrangers les uns aux autres. La liberté qui leur est « commune » est précisément ce qui les sépare. La « connaissance pure », le langage, consiste dans le rapport avec un être qui dans un certain sens, n’est pas par rapport à moi, ou, si l’on veut, qui n’est en rapport avec moi que dans la mesure où il est entièrement par rapport à soi, être qui se place par-delà tout attribut, lequel aurait précisément pour objet de le qualifier, c’est-à-dire de le réduire à ce qui lui est commun avec d’autres êtres, être par conséquent parfaitement nu.(…)
La généralité de l’Objet est corrélative de la générosité du sujet allant vers Autrui, par-delà la jouissance égoïste et solitaire, et faisant éclater, dès lors, dans la propriété exclusive de la jouissance, la communauté des biens de ce monde.
Reconnaître autrui, c’est donc l’atteindre à travers les choses possédées, mais simultanément, instaurer par le don, la communauté et l’universalité. Le langage est universel parce qu’il est le passage même de l’individuel au général, parce qu’il offre des choses miennes à autrui. Parler c’est rendre le monde commun,créer des lieux communs. Le langage ne se réfère pas à la généralité des concepts, mais jette les bases d’une possession en commun. Il abolit la propriété inaliénable de la jouissance. Le monde dans le discours n’est plus ce qu’il est dans la séparation – le chez moi où tout m’est donné – il est ce que je donne – le communicable, le pensé, l’universel.
Ainsi le discours n’est-il pas une pathétique confrontation de deux êtres s’absentant des choses et des Autres. Le discours n’est pas l’amour. La transcendance d’autrui qui est son éminence, sa hauteur, sa seigneurie, englobe dans son sens concret sa misère, son dépaysement et son droit d’étranger. Regard de l’étranger, de la veuve et de l’orphelin et que je ne peux reconnaître qu’en donnant ou qu’en refusant, libre de donner ou de refuser, mais passant nécessairement par l’entremise des choses. Les choses ne sont pas, comme chez Heidegger, le fondement des lieux, la quintessence de toutes les relations qui constitue notre présence sur terre (et « sous le ciel, en compagnie des hommes et dans l’attente des dieux »). C’est le rapport du Même avec l’Autre, c’est mon accueil de l’Autre, qui est le fait ultime et où surviennent les choses, non pas comme ce qu’on édifie, mais comme ce qu’on donne.
[Totalité et infini p. 69 à 71, 74-75]


AUTREMENT QU’ÊTRE
L’éthique n’est pas le corollaire de la vision de Dieu, elle est cette vision même. L’éthique est une optique. De sorte que tout ce que je sais de Dieu et tout ce que je peux entendre de Sa parole et Lui dire raisonnablement doit trouver une expression éthique. Dans l’Arche Sainte d’où Moïse entend la voix de Dieu, il n’y a rien d’autre que les tables de la Loi. La connaissance de Dieu que nous pouvons avoir et qui s’énonce d’après Maïmonide, sous forme d’attributs négatifs reçoit un sens positif à partir de la morale : « Dieu est miséricordieux » signifie : Soyez miséricordieux comme lui ». Les attributs de Dieu sont donnés non pas à l’indicatif, mais à l’impératif. La connaissance de Dieu nous vient comme un commandement, comme une Mitzwah. Connaître Dieu, c’est savoir ce qu’il faut faire. Ici l’éducation – l’obéissance à l’autre volonté – est l’instruction suprême : la connaissance de cette Volonté même qui est la base de toute réalité. Dans le rapport éthique, autrui se présente à la fois comme absolument autre, mais cette altérité radicale par rapport à moi ne détruit pas, ne nie pas ma liberté comme le pensent les philosophes. La relation éthique est antérieure à l’opposition de libertés, à la guerre qui, d’après Hegel, inaugure l’histoire. Le visage de mon prochain a une altérité qui n’est pas allergique, elle ouvre l’au-delà. Le Dieu du ciel est accessible sans rien perdre de sa transcendance, mais sans nier la liberté du croyant. Cette sphère intermédiaire existe.
1975- C’est dans la manière dont un sujet est là, manière dont il vit, qu’il y a cette éthique ou, plus exactement, le dés-inter-essement dé-fait son esse. L’éthique signifie cela.
Le langage éthique me semble plus proche du langage adéquat et pour moi, l’éthique n’est pas du tout une couche qui vient recouvrir l’ontologie, mais ce qui est en quelque façon, plus ontologique que l’ontologie, une emphase de l’ontologie. Je suis absolument d’accord avec la formule employée par le Dr. de Boer qui, avant même « Autrement qu’être » a traité mon oeuvre de ‘Transcendantalisme éthique’, si transcendantal signifie une certaine antériorité : sauf que l’éthique est avant l’ontologie. Elle est plus ontologique que l’ontologie, plus sublime que l’ontologie. C’est de là que vient une équivoque où elle semble plaquée sur, alors qu’elle est avant. C’est donc un transcendantalisme qui commence par l’éthique.
[Autrement qu’être p. XX]

RICOEUR

LE CONFLIT DES INTERPRÉTATIONS

Le mal au centre d’un double rapport, avec la liberté et avec l’obligation
En quel sens le problème du mal est-il un problème éthique ? En un double sens me semble-t-il. Ou plutôt en vertu d’un double rapport, d’une part avec la question de la liberté, d’autre part avec la question de l’obligation. Mal, liberté, obligation constituent un réseau très complexe que nous allons essayer de démêler et d’ordonner en plusieurs moments de réflexion. Je commencerai et je finirai par la liberté, car c’est le point essentiel.
Dans un premier temps, je dis : affirmer la liberté, c’est prendre sur soi l’origine du mal. Par cette proposition, j’atteste un lien si étroit entre mal et liberté que ces deux termes s’impliquent mutuellement : le mal a la signification de mal parce qu’il est l’œuvre d’une liberté, je suis l’auteur du mal. Par là ; je répudie comme un alibi l’allégation que le mal existe à la manière d’une substance ou d’une nature, qu’il a le statut des choses observables par un spectateur étranger ; cette allégation que j’écarte polémiquement, n’est pas seulement à trouver dans des métaphysiques fantastiques comme celles que saint Augustin combattit – manichéisme et ontologies de toutes sortes de mal-être – : elle se donne une apparence positive, voire scientifique, sous la forme du déterminisme psychologique ou sociologique, prendre sur soi l’origine du mal, c’est écarter comme une faiblesse l’allégation que le mal est quelque chose, qu’il est l’effet dans le monde des choses observables, que ce soient des réalités physiques, psychiques ou sociales. Je dis : c’est moi qui ai fait… Ego sum qui fecit. Il n’y a pas de mal-être, il n’y a que le mal-faire-par-moi. Prendre sur soi le mal est un acte de langage assimilable au performatif , en ce sens que c’est un langage qui fait quelque chose ; il m’impute l’acte.
Je disais que le rapport est réciproque. En effet, si la liberté qualifie le mal comme « faire », le mal est le revélateur de la liberté. Par là, je veux dire : le mal est une occasion privilégiée de prendre conscience de la liberté. Qu’est-ce en effet que m’imputer à moi-même mes actes ? C’est d’abord, pour l’avenir, en assumer les conséquences, c’est poser : celui qui a fait est aussi le même qui portera le tort, qui réparera le dommage, qui supportera le blâme. Mais en me portant au devant des conséquences de mon acte, je me reporte en arrière de mon acte, comme celui qui non seulement a fait, mais aurait pu faire autrement. Cette conviction d’avoir fait librement n’est pas une constatation, c’est encore un performatif ; je déclare après-coup être celui qui a pu autrement. Cet après-coup est le choc en retour du prendre sur soi les conséquences : qui prend sur soi les conséquences se déclare libre et discerne cette liberté déjà à l’œuvre dans l’acte incriminé ; je puis dire alors que je l’ai commis. Ce mouvement d’avant en arrière de la responsabilité est essentiel : il constitue l’identité du sujet moral à travers passé, pensé, futur ; celui qui portera le tort est le même que celui qui maintenant prend sur soi l’acte et que celui qui a fait. Je pose l’identité de celui qui se porte volontairement au devant des conséquences, et de celui qui a agi ; et les deux dimensions, future et passée, se nouent dans le présent ; le futur de la sanction et le présent de l’acte commis se relient dans le présent de l’aveu.
Tel est le premier moment de la réflexion dans l’expérience du mal : la constitution réciproque de la signification libre et la signification mal dans un performatif spécifique : l’aveu.
Le second moment de la réflexion concerne le lien entre le mal et l’obligation. Je ne veux pas du tout discuter ici la signification d’expressions telles que « Tu dois » , ni de leur rapport avec les prédicats « bon » ou « mauvais ». Ce problème est bien connu de la philosophie anglaise[1]. Je m’en tiendrai à la contribution qu’une réflexion sur le mal peut apporter à ce problème.
Partons de l’expression et de l’expérience : « J’aurais pu faire autrement. C’est, nous l’avons vu, une implication de l’acte par lequel je m’impute la responsabilité d’une action passée. Or, la conscience d’avoir pu faire autrement est très étroitement liée à celle d’avoir faire autrement : c’est parce que je me reconnais des devoirs que je me reconnais des pouvoirs : un être obligé est un être qui présume qu’il peut ce qu’il doit ; on sait l’usage que Kant a fait de cette affirmation, tu dois donc tu peux. Ce n’est certainement pas un argument, au sens que je déduirais le pouvoir du devoir. Je dirais plutôt que le pouvoir sert ici de détecteur ; si je me sens, ou je crois, ou me sais obligé, c’est que je suis un être qui peut agir non seulement sous l’impulsion ou la contrainte du désir ou de la crainte, mais sous la condition d’une loi que je me représente. Kant a raison : agir selon la représentation d’une loi est autre chose qu’agir selon des lois. Et ce pouvoir d’agir selon la représentation d’une loi est la volonté.
Or, cette découverte va loin : car avec le pouvoir de suivre la loi (ou ce que je considère comme étant la loi pour moi), je découvre aussi le pouvoir terrible d’agir contre. En effet, l’expérience du remords, qui est l’expérience du rapport de la liberté à l’obligation, est une expérience double : d’une part, je me reconnais un devoir, donc un pouvoir correspondant à ce devoir, mais d’autre part, j’avoue avoir agi contre la loi qui continue de m’apparaître obligation. Cette expérience est communément nommée une transgression. La liberté est le pouvoir d’agir selon la représentation d’une loi et de passer outre à l’obligation. Voici ce que j’aurais dû et donc que j’aurais pu, et voilà ce que j’ai fait. L’imputation de l’acte est ainsi qualifiée moralement par son rapport au devoir et au pouvoir.
Du même coup une nouvelle détermination du mal et une nouvelle détermination de la liberté apparaissent ensemble, s’ajoutant aux formes de réciprocité décrites plus haut, et la nouvelle détermination du mal peut s’exprimer en termes kantiens : c’est le renversement du rapport entre le mobile et la loi à l’intérieur de la maxime de mon action. Cette définition se comprend ainsi : si j’appelle maxime l’énoncé pratique de ce que je projette de faire, le mal n’est rien en soi, ni dans la nature, ni dans la conscience, qu’un certain rapport renversé : un rapport non une chose, un rapport renversé, eu égard à un ordre de préférence et de subordination indiqué par l’obligation. Par là même, nous avons achevé de déréaliser le mal : non seulement le mal n’est que par l’acte de le prendre sur soi, de l’assumer, de la revendiquer, mais ce qui le caractérise au point de vue moral est l’ordre dans lequel un agent dispose ses maximes ; c’est une préférence qui ne devrait pas être : ce que nous appelons un rapport renversé.
Une nouvelle détermination de la liberté apparaît en même temps : j’ai parlé du pouvoir terrible d’agir contre. C’est en effet dans l’aveu du mal que je découvre le pouvoir de subversion de la volonté; appelons-le l’arbitraireWillkür allemand, qui est à la fois le libre-arbitre, c’est-à-dire le pouvoir des contraires, celui que nous avons aperçu dans la conscience d’avoir pu autrement, et le pouvoir de ne pas suivre une obligation qu’en même temps je reconnais comme juste. pour traduire le
[Le conflit des interprétations, pp 422-424]


KANT

LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

Sur le mal radical dans la nature humaine[2]
Que le monde soit mauvais, c’est une plainte aussi vieille que l’homme et même que la poésie la plus vieille encore, aussi ancienne que le plus ancien de tous les poèmes, je veux dire la religion des prêtres. Tous laissent également le monde commencer par le bien : l’âge d’or, la vie paradisiaque ou une vie plus heureuse encore dans une communauté avec des êtres célestes. Mais ce bonheur, ils le font aussitôt disparaître comme un songe ; et c’est la chute dans le mal (le mal moral avec lequel le mal physique va toujours de pair), précipitant cette chute pour notre souffrance si bien que maintenant (mais ce maintenant est aussi vieux que l’histoire) nous vivons dans les derniers temps et que le dernier jour et la fin du monde frappent à la porte. Aussi dans quelques contrées de l’Hindoustan, le juge et le destructeur du monde Ruttren (nommé aussi Siba ou Siwen) est honoré comme le dieu qui détient actuellement la puissance, depuis que le conservateur du monde Wischnou, fatigué des fonctions que le créateur du monde Brahma lui légua, les a elles-mêmes abandonnées depuis plusieurs siècles.
Nouvelle, bien moins répandue, se trouve être l’opinion contraire héroïque qui a trouvé un accueil plus particulièrement chez les philosophes et à notre époque notamment chez les pédagogues : la marche du monde irait en sens inverse, je veux dire du mal vers le bien de manière incessante (même si cela est à peine observable), et que à tout le moins on pourrait voir là une disposition de la nature humaine. Ils n’ont certes pas retiré cette opinion de l’expérience, car s’il est question du bien moral ou du mal (non de la civilisation) l’histoire universelle s’élève là contre trop puissamment. Ce qui les soutient, c’est tout simplement la bienveillante présupposition des moralistes, de Sénèque à Rousseau, pour nous conduire à cultiver sans relâche le germe du bien qui se trouve peut-être en nous, supposé il est vrai qu’on puisse s’appuyer sur une disposition naturelle de l’homme. On ajoutera à cela que, s’il faut admettre que l’homme selon la Nature (c’est-à-dire comme il naît d’habitude) est corporellement sain, il n’est pas de raison qui interdise d’admettre, selon la même Nature, que son âme ne soit saine et bonne. La Nature même devrait nous aider à développer cette disposition éthique pour le bien ; « nous souffrons de maux guérissables, mais puisque notre nature est bien disposée, si nous voulons guérir elle peut nous aider », dit Sénèque.
Mais comme il aurait bien pu se faire que, prétendant s’appuyer sur l’expérience, on se soit trompé en l’une et en l’autre opinion, la question se pose de savoir si une solution moyenne, ne serait pas, à tout le moins, possible, si, par exemple, considéré dans son espèce l’homme ne serait ni bon ni mauvais, ou si, dans tous les cas, il ne pourrait pas être d’un côté comme de l’autre, en partie bon et en partie mauvais ? Or, on ne dit pas d’un homme qu’il est mauvais parce qu’il est l’auteur d’actions qui sont mauvaises (contraires à la loi), mais parce que ces actions sont conçues de telle sorte qu’elles permettent de conclure qu’elles s’appuient en lui sur de mauvaises maximes. Il faut remarquer que l’on peut constater par l’expérience des actions en vérité contraires à la loi et aussi (du moins en soi-même) qu’elles le sont avec conscience. Néanmoins on ne peut pas observer les maximes, et cela même pas toujours en soi-même, de telle sorte qu’un jugement, d’après lequel le responsable de telles actions serait un homme mauvais ne peut se fonder sur l’expérience avec certitude[3]. Il faudrait donc conclure de plusieurs, voire d’une seule action mauvaise, conscience a priori, à une mauvaise maxime lui servant de fondement, et de cette dernière à un principe, présent dans le sujet comme principe de toutes les maximes morales mauvaises, principe qui, à son tour, serait une maxime – pour dire d’un homme qu’il est mauvais.
Toutefois, afin de n’être pas choqué par l’expression de nature qui (comme c’est l’usage) signifie le contraire des actions découlant de la liberté, et devrait se trouver en contradiction directe avec les pédicats bonmauvais, il convient de remarquer qu’on entend ici par l’expression nature de l’homme[4] uniquement le fondement objectif de l’usage de sa liberté en général (et sous des lois morales objectives) ce qui préc-de toute action tombant sous le sens – quant à ce fondement peu importe où il se trouve. Néanmoins ce fondement subjectif doit toujours être un acte de la liberté (autrement le bon ou le mauvais usage de l’arbitre de l’homme relativement à la loi éthique ne pourrait lui être imputé, et le bien ni le mùal ne saurait en l’homme s’appeler moral). Il s’ensuit que le fondement fu mal ne peut se trouver en aucun objet déterminant l’arbitre par une inclination, ni dans aucun penchant naturel, mais seulement dans une règle que l’arbitre se donne à lui-même pour l’usage de sa liberté, c’est-à-dire dans une maxime. Pour ce qui est de cette maxime, il ne faut pas aller plus loin et se demander quel est le fondement subjectif en vertu duquel l’homme l’adopte et non pas plutôt la maxime opposée. Car si finalement ce fondement n’était plus une maxime mais un simple penchant naturel, l’usage de la liberté pourrait se ramener à des déterminations suivant les causes naturelles ; et c’est ce qui la contredit. Quand donc nous disons : par nature l’homme est bon ; ou par nature il est mauvais, cela signifie seulement : il contient un principe premier, (insondable pour nous[5]) d’adhésion à de bonnes maximes ou d’adhésion à de mauvaises maximes (contraires à la loi) et cela de manière universelle en tant qu’homme de telle sorte que, par là il confirme le caractère de son espèce[6]. moralement et
Nous disons donc de l’un de ces caractères (qui différencie l’homme d’autres êtres raisonnables possibles) qu’il lui est inné[7] et cependant nous nous résignerons à penser que la Nature n’en est pas responsable (s’il est mauvais) ni n’en a le mérite (s’il est bon), mais que l’homme en est lui-même le créateur. Mais puisque le premier fondement de l’adhésion que nous donnons à nos maximes doit toujours à la fin reposer sur le libre arbitre, et ne peut donc être un fait, qui pourrait être donné par l’expérience, le bien ou le mal dans l’homme (comme fondement subjectif premier de l’adhésion de telle ou telle maxime par rapport à la loi morale) ne peuvent donc être dits qu’innés, mais dans ce seul sens qu’ils sont, avant tout usage de la liberté dans l’expérience (depuis la prime jeunesse en revenant en arrière jusqu’à la naissance), situés au fondement et qu’on ne les représente comme existant dans l’homme dès la naissance, sans pourtant que la naissance en soit la cause.

Remarque
Le conflit entre les deux hypothèses précédemment établies repose sur une proposition disjonctive : l’homme est (par nature) ou bon moralement ou mauvais moralement. Il vient toutefois aisément à l’esprit de chacun de poser la question de savoir si cette disjonction est pertinente et si l’un ne pourrait pas soutenir que par nature l’homme n’est ni l’un ni l’autre et par ailleurs qu’il se trouve être les deux en même temps, bon en partie et mauvais en partie. L’expérience même semble confirmer ce point de vue moyen entre les extrêmes.
Toutefois il importe à la philosophie morale d’une manière très générale de n’admettre aucune réalité morale moyenne, ni dans les actions (adiaphora) ni dans le caractère humain tant que cela est possible. C’est que dans de semblables équivoques toutes les maximes seraient exposées au danger de perdre leur détermination et leur rigueur (…) La réponse à la question posée suivant la méthode rigoriste se fonde sur cette importante remarque pour la morale : la liberté de l’arbitre est d’une structure bien particulière, puisqu’elle ne peut être déterminée à une action par aucun mobile, à moins que l’homme ne l’ait admis dans sa maxime (qu’il s’en soit fait une règle universelle suivant laquelle il veut se conduire) ; c’est ainsi seulement qu’un mobile quel qu’il soit, peut se maintenir au niveau de la spontanéité absolue de l’arbitre (de la liberté). Toutefois dans le jugement de la raison, la loi morale est pour elle-même un mobile et celui qui en fait sa maxime est moralement bon[8](…)
L’homme ne peut pas non plus être moralement bon à certains égards et en même temps mauvais à d’autres égards. Est-il bon sur un point ? Il a dès lors admis la loi morale en sa maxime. Mais s’il était en même temps sur d’autres points mauvais, puisque la loi morale de l’observance du devoir est unique et universelle, la maxime qui s’y rapporte devrait être à la fois universelle et particulière et cela est contradictoire.
Posséder l’une ou l’autre intention par nature comme disposition innée ne signifie pas qu’elle ne soit pas acquise par l’homme qui la cultive et qu’il n’en puisse être l’auteur : cela veut seulement dire qu’elle n’est pas acquise dans le temps (donc que l’homme dès sa jeunesse est toujours déjà lié à l’une ou à l’autre). L’intention, c’est-à-dire le fondement subjectif premier de l’adhésion aux maximes ne peut être qu’unique et s’applique de manière générale à tout l’usage de la liberté. Mais cette intention elle-même doit avoir été admise par le libre arbitre, puisque autrement elle ne saurait être imputée…Comme nous ne pouvons dériver cette intention ou plutôt son fondement suprême du premier acte temporel de l’arbitre, nous l’appelons une disposition de l’arbitre qui lui est imprimée par la nature (bien qu’en fait ce soit en la liberté qu’elle se fonde).
[La religion dans les simples limites de la raison : Doctrine, Ière partie]



SPINOZA

L’ÉTHIQUE

démontrée selon
LA MÉTHODE GÉOMÉTRIQUE
Le projet de Spinoza considéré dans sa généralité est éthique et de salut

Livre IV : De la servitude humaine

DÉFINITIONS
I. Par bon, j’entendrai ce que nous savons avec certitude nous être utile.
II. Par mauvais, au contraire, ce que nous savons avec certitude empêcher que nous ne possédions quelque bien.
III. Les choses singulières, je les appelle contingentes dans la mesure où, portant notre attention sur leur seule essence, nous ne trouvons rien qui pose ou exclut leur existence.
IV. Ces mêmes choses singulières, je les appelle possibles dans la mesure où, portant notre attention sur les causes par lesquelles elles doivent être produites, nous ne savons pas si ces causes sont déterminées à les produire.

AXIOME
Il n’est aucune chose singulière dans la Nature (rerum natura) qu’il n’y en ait une autre plus puissante et plus forte. Mais, étant donné une chose quelconque, il y en a une autre plus puissante qui peut détruire la première.

[Suivent 18 propositions à partir desquelles Spinoza a produit un APPENDICEdont la rédaction est plus appropriée au document ici proposé.]

APPENDICE

En introduction Spinoza déclare : « Je me suis donc proposé de tout rassembler ici et de rédiger l’ensemble en chapitres essentiels ».

CHAPITRE PREMIER

Tous nos efforts (conatus) autrement dit nos désirs, suivent de la nécessité de notre nature, de sorte qu’on peut les comprendre, soit par elle seule comme par leur cause prochaine, soit en tant que nous sommes une partie de la Nature, qui ne peut être conçue de manière adéquate par elle-même et abstraction faite des autres individus.

CHAPITRE II

Les désirs qui suivent de notre nature, de sorte qu’on peut les comprendre par elle seule, sont ceux qui se rapportent à l’esprit conçu comme constitué d’idées adéquates. Quant aux autres désirs, ils ne se rapportent à l’esprit qu’en tant qu’il conçoit les choses de façon inadéquate, et leur force et leur accroissement doivent être définis, non par la puissance de l’homme, mais par celle des choses extérieures. C’est pourquoi les premiers sont bien nommés des actions, et les seconds des passions ; car les premiers manifestent toujours notre puissance, les seconds, au contraire, notre impuissance et une connaissance mutilée.

CHAPITRE III

Nos actions – c’est-à-dire les désirs qui se définissent par la puissance de l’homme, autrement dit par la Raison – sont toujours bonnes. Quant aux autres désirs, ils peuvent être bons ou être mauvais.

CHAPITRE IV

C’est pourquoi dans la vie, il est avant tout utile de parfaire l’entendement, autrement dit la Raison, autant que nous le pouvons, et en cela seule consiste la souveraine félicité ou béatitude de l’homme. Car la béatitude n’est rien d’autre que la satisfaction même de l’âme, qui naît de la connaissance intuitive de Dieu. Or, parfaire l’entendement n’est également rien d’autre que comprendre Dieu, et les attributs de Dieu, et les actions qui suivent de la nécessité de sa nature. C’est pourquoi la fin dernière de l’homme qui est conduit par la Raison, c’est-à-dire le suprême désir qui lui permet de régler tous les autres, est celui qui le porte à se concevoir de façon adéquate, lui-même et toutes les choses qui peuvent tomber sous son intelligence (sub ipsius inteligentiam).

CHAPITRE V

Il n’est donc pas de vie raisonnable[9] sans intelligence, et les choses sont bonnes dans la seule mesure où elles aident l’homme à jouir de la vie de l’esprit (mentis vita), qui se définit par l’intelligence. Celles au contraire qui empêchent l’homme de parfaire sa Raison et de jouir d’une vie raisonnable, nous disons qu’elles seules sont mauvaises.

CHAPITRE VI

Mais, comme tout ce dont l’homme est la cause efficiente est nécessairement bon, rien de mauvais ne peut arriver à l’homme qui ne vienne de causes extérieures, ce qui signifie en tant qu’il est une partie de la Nature totale, aux lois de laquelle la nature humaine doit obéir, et à laquelle elle est forcée de s’adapter presque d’une infinité de façons.

CHAPITRE VII

Il est impossible que l’homme ne soit une partie de la Nature et n’en suive pas l’ordre commun, mais si l’homme se trouve situé parmi des individus[10] qui s’accordent avec la nature de l’homme même, alors sa puissance d’agir sera aidée et favorisée. Si, au contraire, il est situé parmi des individus qui ne s’accordent nullement avec sa nature , alors à peine pourra-t-il s’adapter à eux sans beaucoup changer lui-même.

CHAPITRE VIII

Tout ce qui est dans la Nature (rerum natura) et que nous jugeons être mauvais, autrement dit que nous jugeons capable de nous empêcher d’exister et de jouir d’une vie raisonnable, il nous est permis de l’écarter de nous par la voie qui paraît la plus sûre. Au contraire, tout ce que nous jugeons être bon, autrement dit utile pour conserver notre être et jouir d’une vie raisonnable, il est permis de nous en emparer pour notre usage et de nous en servir à volonté. Et il est permis sans restriction aucune à chacun , par le droit suprême de la Nature, de faire ce qu’il juge contribuer à son utilité[11].

CHAPITRE IX

Rien ne peut mieux s’accorder avec la nature d’une chose que les autres individus de même espèce ; et par conséquent (selon le chapitre VII) il n’est rien de plus urile à l’homme, pour conserver son être et jouir d’une vie raisonnable, que l’homme qui est conduit par la Raison. En outre, puisque entre les choses singulières nous ne connaissons rien de supérieur à l’homme qui est conduit par la Raison, chacun ne peut donc mieux montrer sa valeur acquise ou naturelle (arte et ingenia[12]) qu’en éduquant les hommes de sorte qu’ils vivent enfin sous l’autorité propre de la Raison.

CHAPITRE X

Dans la mesure où les hommes sont entraînés les uns contre les autres par l’envie ou par quelque sentiment de haine, ils sont opposés les uns aux autres, et sont par conséquent d’autant plus à craindre qu’ils ont plus de pouvoir que les autres individus de la Nature.

CHAPITRE XI

Cependant les âmes (animi[13]) ne sont pas vaincues par les armes, mais par l’amour et la générosité.

CHAPITRE XII

Il est avant tout utile aux hommes de nouer des relations entre eux, de se forger ces liens qui les rendent plus aptes à constituer tous ensemble un seul tout, et de faire sans restriction ce qui contribue à affermir les amitiés.

CHAPITRE XIII

Mais pour cela il faut habileté (arte[14]) et vigilance. Car les hommes sont divers (ils sont rares, en effet, ceux qui vivent selon les préceptes de la Raison), et cependant envieux pour la plupart, et plus enclins à la vengeance qu’au pardon (misericordiam). Aussi, pour les supporter tous, chacun avec son naturel propre, et se retenir d’imiter leurs sentiments, il faut une singulière puissance d’âme (potentiae animi). Et ceux qui, au contraire, savent blâmer les hommes et leur reprocher leurs vices[15] plutôt qu’enseigner les vertus, briser les âmes des hommes et non les rendre forts, ceux-là sont insupportables à eux-mêmes et aux autres. C’est pourquoi, beaucoup, à l’âme trop impatiente[16] et animés d’un faux zèle de religion[17], ont préféré vivre parmi les bêtes que parmi les hommes, de même des enfants, des jeunes gens, incapables de supporter d’une âme égale les réprimandes de leurs parents, se réfugient dans le métier de soldat et choisissent les inconvénients de la guerre et l’autorité d’un chef de préférence aux avantages de la famille et aux remontrances paternelles, et acceptent n’importe quel fardeau, pourvu qu’ils se vengent de leurs parents.

CHAPITRE XIV

Ainsi, bien que la plupart du temps les hommes se gouvernent en tout selon leurs penchants (libidine), cependant de leur commune société peuvent suivre beaucoup plus d’avantages que de dommages . C’est pourquoi il vaut mieux supporter leurs injustices d’une âme égale, et tenter de toutes ses forces de gagner la concorde et l’amitié.

CHAPITRE XV

Ce qui donne naissance à la concorde concerne la justice, l’équité et l’honnêteté. Car les hommes supportent difficilement, outre ce qui est injuste et inique, ce qu’on considère comme honteux, autrement dit ils supportent mal que l’on méprise les coutumes reçues dans l’Etat. Pour gagner l’amour, ce sont les choses qui concernent la religion et la moralité (pietatem) qui sont avant tout nécessaires.(Voir à ce sujet les scolies 1 et 2 de la proposition 37 et le scolie de la proposition 46 et le scolie de la proposition 73 de cette quatrième partie).

CHAPITRE XVI

En outre, la concorde a d’ordinaire pour origine la crainte, mais sans bonne foi. Ajoutez que la crainte naît de l’impuissance de l’âme, et n’appartient donc pas à l’usage de la Raison, non plus que la pitié (commiseratio), encore que celle-ci ait l’apparence de la moralité.

CHAPITRE XVII

De plus, les hommes sont aussi conquis par les largesses, surtout ceux qui n’ont pas de quoi se procurer les choses nécessaires à la vie. Cependant, porter secours à chaque indigent dépasse de loin les forces et l’intérêt (utilitatem) d’un homme particulier (privati). Car les richesses d’un homme particulier sont de beaucoup insuffisantes à y subvenir. Et, d’ailleurs, les facultés (facultas[18]) d’un seul homme sont trop limitées pour qu’il puisse se lier d’amitié avec tous. Aussi le soin des pauvres incombe-t-il à l’ensemble de la société et concerne seulement l’utilité commune.

CHAPITRE XVIII

Dans l’acceptation des bienfaits et la reconnaissance qu’il faut alors témoigner, il faut une tout autre prudence (cura) – voir le scolie de la proposition 70 et le scolie de la proposition 71 de la quatrième partie).



DESCARTES

LES PASSIONS DE L’ÂME

Que c’est des passions seules que dépend tout le bien et le mal de cette vie (ART. 212)
Au reste, l’âme peut avoir ses plaisirs à part ; mais pour ceux qui lui sont communs avec le corps, ils dépendent entièrement des passions : en sorte que les hommes qu’elles peuvent le plus émouvoir sont capables de goûter le plus de douceur en cette vie. Il est vrai qu’ils y peuvent aussi trouver le plus d’amertume lorsqu’ils ne les savent pas bien employer et que la fortune leur est contraire ; mais la sagesse est principalement utile sur ce point, qu’elle enseigne à s’en rendre tellement maître et à les ménager avec tant d’adresse, que les maux qu’elles causent sont fort supportables, et même qu’on tire de la joie de tout.

LETTRE À ELISABETH
[19]
Egmond [Holllande], 4 août 1645
Madame,
Lorsque j’ai choisi le livre de Sénèque, De vita beata[20], pour le proposer à Votre Altesse comme un entretien qui pourrait lui être agréable, j’ai eu seulement égard à la réputation de l’auteur et à la dignité de la matière, sans penser à la façon dont il la traite, laquelle ayant depuis considérée, je ne la trouve pas assez exacte pour mériter d’être suivie. Mais, afin que Votre Altesse puisse juger plus aisément, je tâcherai ici d’expliquer en quelle sorte il me semble que cette matière eût dû être traitée par un philosophe tel que lui, qui, n’étant point éclairé de la foi, n’avait que la raison naturelle pour guide.
Il dit fort bien au commencement, que tous veulent vivre heureux, mais ils ne voient pas nettement ce qui fait le bonheur. Mais il est besoin de savoir ce que c’est que vivre heureux ; je dirais en français vivre heureusement, sinon qu’il y a de la différence entre l’heur et la béatitude, en ce que l’heur ne dépend que des choses qui sont hors de nous, d’où vient que ceux-là sont estimés plus heureux que sages, auquel il est arrivé quelque bien qu’ils ne se sont point procuré, au lieu que la béatitude consiste, ce me semble, en un parfait contentement d’esprit et une satisfaction intérieure, que n’ont pas seulement ceux qui sont les plus favorisés de la fortune, et que les sages acquièrent sans elle. Aussi vivere beate, vivre en béatitude, ce n’est autre chose qu’avoir l’esprit parfaitement content et satisfait.
Considérant, après cela, ce que c’est quod beatam vitam efficiat, c’est-à-dire quelles sont les choses qui nous peuvent donner ce souverain contentement, je remarque qu’il y en a de deux sortes : à savoir, de celles qui dépendent de nous, comme la vertu et la sagesse, et de celles qui n’en dépendent point, comme les honneurs, les richesses et la santé. Car il est certain qu’un homme bien né, qui n’est point malade, qui ne manque de rien, et qui avec cela, est aussi sage et vertueux qu’un autre qui est pauvre, malsain et contrefait, peut jouir d’un plus parfait contentement que lui. Toutefois, comme un petit vaisseau peut être aussi plein qu’un plus grand, encore qu’il contienne moins de liqueur, ainsi prenant le contentement d’un chacun pour la plénitude et l’accomplissement de ses désirs réglés selon la raison, je ne doute point que les plus pauvres et les plus disgraciés de la fortune ou de la nature ne puissent être entièrement contents et satisfaits, aussi bien que les autres, encore qu’ils ne jouissent pas de tant de biens. Et ce n’est pas de cette sorte de contentement, de laquelle il est ici question ; car puisque l’autre n’est aucunement en notre pouvoir, la recherche en serait superflue.
Or, il me semble que chacun se peut rendre content de soi-même et sans rien attendre d’ailleurs, pourvu seulement qu’il observe trois choses, auxquelles se rapportent les trois règles de morale, que j’ai mises dans le Discours de la Méthode[21].
La première est, qu’il tâche toujours de se servir, le mieux qu’il lui est possible, de son esprit, pour connaître ce qu’il doit faire ou ne pas faire en toutes les occurrences de la vie.

La seconde, qu’il ait une ferme et constante résolution d’exécuter tout ce que la raison lui conseillera, tant que ses passions ou ses appétits l’en détournent ; et c’est la fermeté de cette résolution, que je crois devoir être prise pour la vertu, bien que je ne sache point que personne l’ait jamais ainsi expliquée ; mais on l’a divisée en plusieurs espèces, auxquelles on a donné divers noms, à cause des divers objets auxquels elle s’étend.
La troisième, qu’il considère que, pendant qu’il se conduit ainsi, autant qu’il peut,
selon la raison, tous les biens qu’il ne possède point sont aussi entièrement hors de son pouvoir les uns que les autres, et que, par ce moyen, il s’habitue à ne les point désirer ; car il n’y a rien que le désir, et le regret ou le repentir, qui nous empêchent d’être contents : mais si nous faisons toujours ce que nous dicte notre raison, nous n’aurons jamais aucun sujet de nous repentir, encore que les évènements nous fissent voir, par après, que nous nous sommes trompés, parce que ce n’est point par notre faute. Et ce qui fait que nous ne désirons point d’avoir, par exemple, plus de bras ou plus de langues que nous n’en avons, mais que nous désirons bien d’avoir plus de santé ou plus de richesses, c’est seulement que nous imaginons ici que ces choses pourraient être acquises par notre conduite, ou bien qu’elles sont dues à notre nature, et que ce n’est pas le même des autres : de laquelle opinion nous pourrons nous dépouiller en considérant que, puisque nous avons toujours suivi le conseil de notre raison, nous n’avons rien omis de ce qui était en notre pouvoir, et que les maladies et les infortunes ne sont pas moins naturelles à l’homme que les prospérités et la santé.
Au reste, toutes sortes de désirs ne sont pas incompatibles avec la béatitude ; il n’y a que ceux qui sont accompagnés d’impatience et de tristesse. Il n’est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point ; il suffit que notre conscience nous témoigne que nous n’avons jamais manqué de résolution et de vertu, pour exécuter toutes les choses que nous avons jugé être les meilleures, et ainsi la vertu seule est suffisante pour nous rendre contents en cette vie. Mais néanmoins parce que, lorsqu’elle n’est pas éclairée par l’entendement, elle peut être fausse, c’est-à-dire que la volonté et la résolution de bien faire nous peut porter à des choses mauvaises, quand nous les croyons bonnes, le contentement qui en revient n’est pas solide ; et parce qu’on oppose ordinairement cette vertu aux plaisirs, aux appétits et aux passions, elle est très difficile à mettre en pratique, au lieu que le droit usage de la raison, donnant une vraie connaissance du bien, empêche que la vertu ne soit fausse, et même l’accordant avec les plaisirs licites, il en rend l’usage si aisé, et nous faisant connaître la condition de notre nature, il borne tellement nos désirs, qu’il faut avouer que la plus grande félicité de l’homme dépend de ce droit usage de la raison , et par conséquent que l’étude qui sert à l’acquérir est la plus utile occupation qu’on puisse avoir, comme elle est aussi sans doute, la plus agréable et la plus douce.
En suite de quoi, il me semble que Sénèque eût dû nous enseigner toutes les principales vérités, dont la connaissance est requise pour faciliter l’usage de la vertu, et régler nos désirs et nos passions, et ainsi jouir de la béatitude naturelle ; ce qui aurait rendu son livre le meilleur et le plus utile qu’un philosophe païen eût su écrire. Toutefois ce n’est ici que mon opinion, laquelle je soumets au jugement de Votre Altesse et si elle me fait tant de faveur que de m’avertir en quoi je manque, je lui en aurai très grande obligation et témoignerai, en me corrigeant, que je suis,
Madame,
de Votre Altesse,
le très humble et très obéissant serviteur,
DESCARTES



ARISTOTE

ÉTHIQUE À NICOMAQUE

1
.< Le bien et l’activité humaine.
La hiérarchie des biens.>
Tout art[22] et toute investigation[23], et pareillement toute action[24] et tout choix[25], tendent vers quelque bien à ce qu’il semble[26]. Aussi a-t-on déclaré avec raison que le Bien est ce à quoi toutes choses tendent[27].
Mais on observe, en fait, une certaine différence entre les fins[28] : les unes consistent dans des activités, et les autres dans certaines œuvres, distinctes des activités elles-mêmes. Et là où existent certaines fins distinctes des actions, dans ces cas-là les œuvres sont par nature supérieures aux activités qui les produisent.
Or, comme il y a multiplicité d’actions, d’arts et de sciences, leurs fins aussi sont multiples : ainsi l’art médical a pour fin la santé, l’art de construire des vaisseaux le navire, l’art stratégique la victoire, et l’art économique la richesse. Mais dans tous les arts de ce genre qui relèvent d’une unique potentialité[29] (de même, en effet, que sous l’art hippique tombe l’art de fabriquer des freins et tous les autres métiers concernant le harnachement des chevaux, et que l’art hippique lui-même et toutes les actions se rapportant à la guerre tombent à leur tour sous l’art stratégique, c’est de la même façon que d’autres arts sont subordonnés à d’autres), dans tous ces cas, disons-nous, les fins des arts achitectoniques[30] doivent être préférées à toutes celles des arts subordonnés, puisque c’est en vue des premières fins qu’on poursuit les autres. Peu importe, au surplus, que les activités elles-mêmes soient les fins des actions, ou que, à part de ces activités, il y ait quelque autre chose, comme dans le cas des sciences dont nous avons parlé.
Si donc, il y a, de nos activités, quelque fin que nous souhaitons par elle-même, et les autres seulement à cause d’elle, et si ne nous ne choisissons pas indéfiniment une chose en vue d’une autre (car on procéderait ainsi à l’infini de sorte que le désir serait futile et vain), il est clair que cette fin-là ne saurait être que le bien, le Souverain Bien[31]. N’est-il pas vrai dès lors que, pour la conduite de la vie, la connaissance de ce bien est d’un plus grand poids, et que, semblable à des archers qui ont une cible sous les yeux, nous pourrons plus aisément atteindre le but qui convient ? S’il en est ainsi, nous devons essayer d’embrasser, tout au moins dans ses grandes lignes, la nature du Souverain Bien, et de dire de quelle science particulière ou de quelle potentialité il relève. On sera d’avis qu’il dépend de la science suprême[32] et architectonique par excellence. Or, un telle science est manifestement la Politique[33], car c’est elle qui dispose quelles sont, parmi les sciences celles qui sont nécessaires dans les cités, et quelles sortes de science chaque classe de citoyen doit apprendre et jusqu’à quel point l’étude en sera poussée ; et nous voyons encore que même les potentialités les plus appréciées sont subordonnées à la Politique : par exemple la stratégie, l’économique, la rhétorique. Et puisque la Politique se sert des autres sciences pratiques, et qu’en outre elle légifère sur ce qu’il faut faire et sur ce dont il faut s’abstenir, la fin de cette science englobera les fins des autres sciences ; d’où il résulte que la Politique sera le bien proprement humain[34]. Même si, en effet, il y a identité entre le bien de l’individu et celui de la cité, de toute façon c’est une tâche manifestement plus importante et plus parfaite d’appréhender et de sauvegarder le bien de la cité : car le bien est assurément aimable même pour un individu isolé, mais il est plus beau
et plus divin[35] appliqué à une nation ou à des cités[36]. Voilà donc les buts de notre enquête, qui constitue une forme de politique.
Nousaurons suffisamment rempli notre tâche si nous donnons les éclaircissements que comporte la nature du sujet que nous traitons[37]. C’est qu’en effet, on ne doit pas chercher la même rigueur dans toutes les discussions indifféremment, pas plus qu’on ne l’exige dans les productions de l’art[38]. Les choses belles et les choses justes qui sont l’objet de la Politique, donnent lieu à de telles divergences et à de telles incertitudes[39], qu’on a pu croire qu’elles existaient seulement par convention et non par nature. Une pareille incertitude se présente aussi dans le cas des biens de la vie, en raison des dommages qui en découlent souvent : on a vu, en effet, des gens périr par leur richesse et d’autres périr par leur courage. On doit donc se contenter, en traitant de pareils sujets et partant de pareils principes[40], de montrer la vérité d’une façon grossière et approchée[41] ; et quand on parle de choses simplement constantes et qu’on part de principes également constants, on ne peut aboutir qu’à des conclusions de même caractère. C’est dans le même esprit, dès lors, que doivent être accueillies les diverses vues que nous émettons : car il est d’un homme cultivé de ne chercher la rigueur pour chaque genre de choses que dans la mesure où la nature du sujet l’admet : il est évidemment à peu près aussi déraisonnable d’accepter d’un mathématicien des raisonnements probables que d’exiger d’un rhéteur des démonstrations proprement dites.
D’autre part, chacun juge correctement de ce qu’il connaît, et en ce domaine il est bon juge. Ainsi donc, dans un homme déterminé, juge bien celui qui a reçu une éducation appropriée, tandis que, dans une matière excluant toute spécialisation, le bon juge est celui qui a reçu une culture générale. Aussi le jeune homme n’est-il pas un auditeur bien propre à des leçons de Politique, car il n’a aucune expérience des choses de la vie, qui sont pourtant le point de départ et l’objet des raisonnements de cette science. De plus, étant enclin à suivre ses passions, il ne retirera de cette étude rien d’utile ni de profitable, puisque la Politique a pour fin, non pas la connaissance, mais l’action. Peu importe, du reste, qu’on soit jeune par l’âge ou jeune par le caractère : l’insuffisance à cet égard n’est pas une question de temps, mais elle est due au fait qu’on vit au gré de ses passions et qu’on s’élance à la poursuite de tout ce qu’on voit. Pour des étourdis de cet ordre, la connaissance ne sert à rien, pas plus que pour les intempérants ; pour ceux, au contraire, dont les désirs et les actes sont conformes à la raison, le savoir en ces matières sera pour eux d’un grand profit.

2
.< Le bonheur ; diverses opinions sur
sa nature. –Méthode à employer.>
En ce qui regarde l’auditeur ainsi que la manière dont notre enseignement doit être reçu et l’objet que nous nous proposons de traiter, toutes ces choses-là doivent constituer une introduction suffisante.
Revenons maintenant en arrière. Puisque toute connaissance, tout choix délibéré aspire à quelque bien, voyons quel est selon nous le Bien où tend la Politique, autrement dit quel est de tous les biens réalisables celui qui est le Bien suprême. Sur son nom, en tout cas, la plupart des hommes sont pratiquement d’accord : c’est le bonheur[42], au dire de la foule aussi bien que des gens cultivés ; tous assimilent le fait de bien vivre ou de réussir[43] ou qui paraissent avoir quelque fondement rationnel. au fait d’être heureux. Par contre, en ce qui concerne la nature du bonheur, on ne s’entend plus, et les réponses de la foule ne ressemblent pas à celles des sages. Les uns, en effet, identifient le bonheur à quelque chose d’apparent et de visible comme le plaisir, la richesse ou l’honneur ; pour les uns c’est une chose et pour les autres une autre chose : souvent le même homme change d’avis à son sujet : malade, il place le bonheur dans la santé, et pauvre, dans la richesse ; à d’autres moments, quand on a conscience de sa propre ignorance, on admire ceux qui tiennent des discours élevés et dépassant notre portée. Certains, enfin, pensent qu’en dehors de tous ces biens multiples, il y a un autre bien qui existe par soi et qui est pour tous ces biens la cause de leur bonté. Passer en revue la totalité de ces opinions est sans doute assez vain ; il suffit de s’arrêter à celles qui sont le plus répandues
N’oublions pas la différence qui existe entre les raisonnements qui partent des principes et ceux qui remontent aux principes. C’est en effet à juste titre que PLATON se posait la question, et qu’il recherchait si la marche à suivre est de partir des principes ou de remonter aux principes[44], tout comme dans le stade les coureurs vont des athlotètes[45]à la borne, ou inversement. Il faut, en effet, partir des choses connues, et une chose est dite connue en deux sens, soit pour nous, soit d’une manière absolue. Sans doute devons-nous partir des choses qui sont connues pour nous. C’est la raison pour laquelle il faut avoir été élevé dans des mœurs honnêtes, quand on se dispose à écouter avec profit un enseignement portant sur l’honnête, le juste, et d’une façon générale sur tout ce qui a trait à la Politique (car ici le point de départ est le fait ; et si le fait était suffisamment clair, nous serions dispensés de connaître en sus le pourquoi[46]). Or l’auditeur tel que nous le caractérisons, ou bien est déjà en possession des principes, ou bien est capable de les recevoir facilement. Quant à celui qui ne les possède d’aucune de ces deux façons, qu’on le renvoie aux paroles d’HÉSIODE :
Celui-là est absolument parfait qui de lui-même réfléchit sur toutes choses,
Est sensé encore celui qui se rend aux bons conseils qu’on lui donne.
Quant à celui qui ne sait ni réfléchir par lui-même, ni, en écoutant les leçons d’autrui,
Les accueillir dans son cœur, celui-là en revanche est un homme bon à rien.



PLATON

TIMÉE
Sa tentative de fonder la nécessité du rapport à Autrui sur la nature du bien
[Selon Monique Canto-Sperber dans « Philosophie grecque »‘aucun autre penseur de l’Antiquité n’a tenté de le faire ainsi’]
Première partie
1. L’UNIVERS
1. Déduction finaliste de ses propriétés
a) Il est vivant
TIM. : Exposons donc pour quelle cause le devenir et tout cet Univers, leur auteur les a constitués. Il était bon ; or, en qui est bon, à l’égard d’aucun être n’entre jamais aucune envie ; étant exempt d’un tel sentiment, il voulut que toutes choses, autant que possible, devinssent à peu près comme lui. Voilà donc précisément du devenir et du monde l’origine principale ; en l’accueillant sur la foi d’hommes de sens, on aura l’opinion la plus correcte que l’on puisse accueillir. Il voulut en effet, le Dieu, que toutes choses fussent bonnes, et qu’il n’y eut rien de vil, dans la mesure du possible ; ainsi donc, tout ce qu’il y avait de visible, il le prit en main ; cela n’était point en repos, mais se remuait sans concert et sans ordre ; de ce désordre, il l’amena à l’ordre, ayant estimé que celui-ci vaut infiniment mieux que celui-là. Or, il n’était loisible, ni il ne l’est à l’être le meilleur, de faire autre chose que l’ouvrage le plus beau ; ayant calculé donc, il trouva que des matériaux par nature visibles ne sortirait jamais, dépourvu d’intelligence, un tout qui fût un ouvrage plus beau qu’un tout doué d’intelligence ; et l’intelligence, à son tour, séparée de l’âme, il trouva impossible qu’elle se manifeste chez un sujet. En vertu donc de ce calcul, il installa l’intelligence dans l’âme, puis l’âme dans le corps, et construisit l’Univers de manière à réaliser ce qu’il peut y avoir dans la nature de plus beau et de plus excellent comme ouvrage. Ainsi donc, suivant un raisonnement vraisemblable, il faut dire que ce monde, vivant doué en vérité d’âme et d’intelligence, c’est par la providence du Dieu qu’il est devenu.

b) Il est unique

Ce point étant établi, il nous faut à son tour traiter la question consécutive : entre les vivants, à la ressemblance duquel l’auteur de ce monde l’a-t-il constitué ? Pas à celle, bien sûr, d’un de ceux que leur nature destine au rôle de partie, affirmons-le nettement (car, à ressembler à de l’incomplet, il ne se pourrait rien produire de beau) ; mais celui dont les autres vivants, singulièrement et spécifiquement, sont des parties, c’est à celui-là entre tous, que le monde est, ce sera notre thèse, le plus ressemblant. En effet tous les vivants intelligibles, celui-là en soi-même les tient enveloppés, de la même façon que ce monde-ci nous contient, nous, avec tout ce qui existe d’autres créatures visibles. Car c’est au plus beau des objets de l’intelligence, celui qui est en tous points parfait, que le Dieu a voulu rendre le monde semblable, c’est un vivant unique, visible, qu’il a constitué, et qui contient à l’intérieur de soi-même tout ce qu’il y a dans la Nature de vivants de même sorte que lui. Est-ce que, maintenant, nous avons eu raison de déclarer le Ciel unique ? ou bien en admettre une pluralité, une infinité, serait-il plus exact ? Non, il n’y en qu’un du moment que c’est sur le Modèle que s’en est dû régler la fabrication ? Ce qui en effet enveloppe tout ce qu’il y a de vivants intelligibles, d’un autre objet comme soi ne saurait être doublure ; car il faudrait en revanche qu’il y eût un vivant tiers, enveloppant ces deux-là – dont ces deux-là seraient respectivement parties –, et ce n’est plus de ces deux-là, de ce dernier enveloppant, que notre monde porte la ressemblance, devrait-on dire plus justement. Ainsi donc que ce monde-ci, sous le rapport de l’unicité, fût semblable au Vivant absolu, pour ce motif, ce n’est ni deux, ni une infinité de mondes qui ont été faits par l’Auteur, mais c’est à titre unique, qui en son genre, que ce monde est venu à l’être , et que dorénavant il sera[47].

c) Indissoluble, il doit être composé de quatre éléments.

Or, c’est évidemment corporel, visible et tangible, que doit être ce qui est devenu ; mais séparé du feu, rien ne saurait jamais être visible, pas plus que tangible en l’absence de quelque solide, et pas de solide sans terre ; aussi est-ce de feu et de terre, que lorsqu’il commença de le constituer, le Dieu voulut fabriquer le corps de l’Univers. Mais avec ces deux éléments seuls faire une belle composition sans un troisième, c’est impossible ; il y faut en effet un lien, un moyen terme, pour concilier les deux. Or, des liens, le plus beau est celui qui à soi-même et aux termes qu’il relie impose la plus complète unité, et c’est ce que, par nature, la proportion accomplit de façon parfaite. Toutes les fois, en effet, que de trois nombres, ou masses ou forces quelconques, le moyen a cette propriété que ce que le premier est à lui-même, lui-même l’est au dernier et que, inversement aussi, ce que le dernier est au moyen, le moyen l’est au premier, alors le moyen peut prendre la place du premier et du dernier, le dernier et le premier à eux deux la place du moyen[48] ; tous, de la sorte, c’est une conséquence nécessaire, ont un rôle équivalent, et étant équivalents dans leurs mutuelles relations, à eux tous ils feront une unité. Si donc c’était une surface n’ayant aucune profondeur qu’eût dû devenir le corps de l’Univers, une seule médiété eût suffi pour relier les termes extrêmes et le moyen lui-même, mais c’est de nature commune qu’il convenait qu’ il fût ; or, les solides, ce n’est jamais une seule mais toujours deux médiétés qu’il faut pour les harmoniser. Ainsi donc, entre le feu et la terre, le Dieu plaça comme intermédiaires l’eau et l’air, et de leurs rapports mutuels, dans la mesure du possible, il réalisa une proportion, ce que le feu est à l’air, l’air l’étant à l’eau, et ce que l’air est à l’eau, l’eau l’étant à la terre ; les unissant d’un tel lien, il constitua un Ciel visible et tangible.(…)
Or, de ces quatre éléments, la totalité de chacun fut prise par la constitution du monde. C’est en effet du tout du feu, de l’eau, de l’air et de la terre que le constitua son auteur ; nulle partie d’aucun élément, ni aucune de leurs propriétés ne fut laissée en dehors ; tel avait été son dessein.(…)

d) Sa forme sphérique

En fait de figure, il lui a donné celle qui lui convient et lui est connaturelle ; or, au vivant qui doit envelopper en soi tous les vivants, ce qui peut convenir comme figure c’est celle qui comprend en soi tout ce qu’il y a de figures ; aussi est-ce en forme de sphère, le centre équidistant de tous les points superficiels, qu’il l’arrondit, le travaillant au tour : ce qui est de toutes les figures la plus parfaite et la plus complètement semblable à soi-même[49] ; car il jugea qu’il y a mille fois plus de beauté dans le semblable que dans le dissemblable.(…)

e) Son mouvement circulaire

En fait de mouvement, on lui attribua celui qui était le plus approprié à son corps,
entre les sept mouvements celui qui est le plus en rapport avec l’intelligence et la réflexion. Ainsi, le faisant tourner par les mêmes points, en même place et sur lui-même, le Dieu lui imprima-t-il un mouvement circulaire.(…)

f) Sa divinité

Tel fut donc, au total, du Dieu, qui est toujours, le calcul concernant le Dieu qui attendait d’être ; tout calculé, il le fit bien poli, sans inégalités dans sa surface, en tous ses points équidistants du centre ; ce fut tout, un corps complet, fait de corps au complet. Pour ce qui en est de l’âme, il la plaça au centre du monde, puis l’étendit à travers toutes ses parties et même en dehors de sorte que le corps en fût enveloppé[50] ; cercle entraîné dans une rotation circulaire, c’est là comme il établit le Ciel : rien qu’un seul, solitaire, capable en vertu de son excellence d’être en union de soi à soi sans avoir besoin de rien d’autre, objet de connaissance et d’amitié pour soi-même, à un être comblé ! C’est par tous ces moyens qu’il le fit naître Dieu bienheureux.

1. L’âme du Monde
Or, l’Ame, si c’est maintenant, en second lieu que nous entreprenons d’en parler, ce n’est pas de même que l’a combinée le Dieu, second en âge ; il n’eût point permis en effet, formant un assemblage, que le plus vieux y fût sous la dépendance du plus jeune. C’est nous plutôt, dont le hasard et l’aventure sont assez le partage qui parlons un peu de même façon ; mais lui, tant par la naissance que par l’excellence, c’est première et plus ancienne qu’il a constitué l’Ame, du corps pour être maîtresse et lui commander, l’ayant sous sa dépendance. Voici de quels éléments et en quelle façon.

a) Sa composition dialectique

De la réalité indivisible et se conserve identique et de celle qui au contraire s’exprime dans les corps, sujette et divisible, de ces deux il a tiré par mélange une troisième forme, intermédiaire, de réalité ; pour ce qui est de ses rapports avec la nature du Même et celle de l’Autre, également il l’a de cette façon constituée intermédiaire entre ce qu’elles ont d’indivisible et de divisible selon les corps. Il prit donc, au nombre de trois, les termes que voilà et les mélangea tous en une même substance ; la nature de l’Autre était rebelle au mélange ; pour l’unir harmoniquement au Même, il usa de contrainte ; puis dans le mélange il introduisit la réalité ; des trois termes, il n’en fit qu’un[51], et derechef, le tout ainsi obtenu, il le distribua en autant de parts qu’il convenait, chacune toutefois demeurant un mélange du Même, de l’Autre et de la réalité.

b) Sa structure harmonique

Il se mit donc à faire les divisions que voici… (…)

c) Sa signification astronomique

La série ainsi obtenue, (…)

d) Sa fonction motrice…

Une fois que, au gré de son Auteur, toute la composition de l’âme fut réalisée, après cela, c’est tout le monde corporel qu’à l’intérieur de l’âme il se mit à construire ; les faisant coïncider par leur milieu, l’un à l’autre il les ajusta ; et l’âme, du milieu jusqu’aux extrémités du Ciel, en tous sens étendit ses rets, en cercle du dehors l’enveloppa ; elle se mit à tourner sur elle-même et cela fut le divin commencement de sa vie perpétuelle et raisonnable, pour toute la durée des temps. Et voilà que le corps visible du Ciel est venu à l’existence ; pour elle , invisible, mais participant au calcul et à l’harmonie, qui sont des intelligibles et éternels, l’Ame, par l’action du meilleur, a reçu l’être, le meilleur des êtres engendrés.
et cognitive
Ainsi donc, la nature du Même, celle de l’Autre, et la réalité, voilà les trois parts du mélange constitutif de l’Ame ; de justes rapports règlent ses divisions et ses liaisons, et en outre elle se meut en cercle sur elle-même ; ainsi, quand elle vient en contact avec un objet qui a une essence divisible, ou encore indivisible, déclare-t-elle par le mouvement de tout son être, à quoi cet objet est identique, et de quoi il est différent, et relativement à quoi au juste, sous quel rapport, en quelle façon et en quelles circonstances il revient aux choses qui deviennent d’avoir, dans leurs mutuels rapports l’une ou l’autre de ces déterminations ou modalités, ainsi que dans leurs rapports aux choses qui se conservent toujours identiques. Or le discours est tout autant dans le vrai quand il concerne une différence que dans le cas d’une identité : c’est, au-dedans de ce qui se meut soi-même, un mouvement propagé sans bruit ni paroles[52] ; lors donc qu’il se rapporte au sensible et que le cercle de l’Autre, allant droit son chemin, transmet son message à l’Ame entière, des opinions et des croyances y naissent, fermes et véritables ; mais quand il se rapporte à un objet intellectuel et que c’est le cercle du Même, tournant bien rond, qui fait cette déclaration, c’est l’intellect et la science qui nécessairement s’accomplissent. Or, ces deux niveaux de connaissance[53], quel est l’être en qui elles se produisent ? Prétendre que c’en est un autre que l’âme, c’est dire tout plutôt que la vérité.
[Timée, 29 e à 37 c]





[1] Cette affirmation renvoie à l’observation de Louis Lavelle selon laquelle « la tradition idéaliste anglaise n’a jamais cessé d’exister dans les milieux platoniciens de Cambridge ou d’Oxford où elle s’est associée à des courants religieux ou à l’influence des philosophies de Kant et Hegel. » [Richard Cumberland, Ralph Gudworth, Newman, Martineau, T. Coleridge, Th. H. Green, etc.]
[2] Kant, dès le commencement, insiste sur une idée maîtresse de sa philosophie morale. La doctrine de la morale, l’éthique, fondée sur « le fait unique de la raison », qui est celui de la liberté n’a nul besoin d’un fondement plus relevé qui, supérieur à la liberté, la nierait précisément par là. D’où l’idée d’une radicale autonomie de la philosophie morale. Cette autonomie implique que la religion ne soit jamais que le complément de l’éthique – complément dont on pourrait à la vérité se dispenser, s’il ne permettait, au moins au point de vue psychologique (Kant parlera de « l’enquête anthropologique », VI, 25), d’élucider l’intérêt que nous portons aux Idées morales et en définitive à nous-mêmes comme êtres libres. Il va de soi qu’une telle position, expliquant que la raison ne puisse suffire objectivement aussi bien que subjectivement, ne pouvait qu ‘attirer les foudres du trône et de l’autel. Et enfin, puisqu’on ne doit pas juger de la moralité par la religion, mais tout inversement, Kant écrivant ces lignes se rattache profondément à la philosophie des lumières ; sa doctrine religieuse devait servir de machine de guerre contre la superstition, puissant recours du despotisme [note Alquié].
[3] Kant veut dire qu’on ne peut pas juger l’homme d’après ses seules actions. Le jugement doit se fonder sur l’intention qui a présidé à la conception des maximes de l’action, afin de savoir si elle était (ou non) opposée à la loi morale. Cette thèse constante dans la philosophie pratique de Kant (voir Critique de la raison pure, AK V, 155), entraînera les pires difficultés [note Alquié]..
[4] Kant donne à l’expression nature de l’homme un sens psychologique.
[5] Que le premier fondement subjectif de l’adhésion à des maximes morales soit insondable, on peut déjà s’en apercevoir au fait que cette adhésion est libre, que son fondement (pourquoi par exemple ai-je adhéré à une mauvaise maxime en non pas plutôt à une bonne ?) ne peut être recherché dans aucun motif issu de la nature, mais toujours dans une maxime ; et comme cette dernière doit aussi bien posséder son fondement, et qu’en dehors de la maxime aucun principe de détermination du libre-arbitre ne peut ni ne doit être indiqué, on se voit dans la série des fondements de déterminations toujours repoussé plus loin à l’infini, sans jamais parvenir au premier fondement.
[6] Cette réflexion peut s’expliquer à partir de Rousseau : l’homme est bon par nature mais tout se passe comme si par nature il était mauvais. Il est probable que Kant a pris connaissance du Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, dans l’élégante traduction de Moïse Mendelssohn. Quant au principe insondable il s’agit de la liberté. Schopenhauer, qui se veut disciple de Kant, préfèrera citer Malebranche affirmant : « La liberté est un mystère ».
[7] L’inné relève de la psychologie et se distingue de l’a priori qui dépend de la réflexion transcendantale.
[8] Il y a deux couches dans cette affirmation. En premier lieu adhérer à la loi morale comme motif déterminant, c’est être bon, puisque c’est agir par pur respect pour la loi. Cette doctrine est classique dans la philosophie morale allemande. En second lieu cette définition pose un problème, et c’est sa couche profonde. Comment la loi qui ne m’apporte rien peut-elle être un motif de l’action ? Il n’y a ici qu’une réponse : c’est que prenant intérêtpure liberté, mon moi ne s’en distingue pas. à la loi morale, je prenne aussi intérêt à moi-même. Mais cela ne se peut que si d’une certaine manière mon moi est identique à la loi morale. Or, regardé comme
[9] La traduction hollandaise dit vraie vie, c’est-à-dire vie qui correspond à la connaissance du troisième genre (voir « connaissance »), ce qui paraît en effet plus conforme à ce que Spinoza appelle mentis vita.
[10] Individus qui ne sont pas nécessairement des hommes. Mais l’homme est le plus utile à l’homme.
[11] On remarquera que Spinoza ajoute « ce qu’il juge contribuer à son utilité » et il n’est pas sûr qu’on juge bien . Seule la raison sait l’utile propre à l’homme.
[12] Il semble que arte et ingenia s’opposent terme à terme dans quantum arte et ingenio valeat comme l’artificiel au naturel, d’où la traduction « valeur acquise ou naturelle ». ..
[13] Le sens est bien « ceux qui ont de la force, du courage ». (Cœur au sens du XVIIème siècle).
[14] Arte, c’est-à-dire que les hommes ne sont pas naturellement raisonnables. Il faut employer des artifices pour gouverner les sociétés.
[15] « En ce qui concerne le bon [vertueux] et le mauvais [vicieux], ils ne manifestent (indicant) non plus rien de positif dans les choses, du moins considérées en elles-mêmes, et ne sont que des modes de penser, c’est-à-dire des notions que nous formons parce que nous comparons les choses entre elles ». Telle est la précision contenue dans la Préface du Livre III.
[16] Dans le sens fort : qui ne peut supporter (in-patior).
[17] Spinoza solitaire, est tout le contraire de ces faux zélés religieux ; il ne méprise pas l’homme, s’il choisit la solitude, c’est pour écrire sur l’homme, ou, plus exactement, il sait qu’il sert l’homme en cherchant le vrai.
[18] Facultas : la capacité naturelle, physique et intellectuelle.
[19] Fille d’un roi de Bohême qui perdit sa couronne dans une des plus fameuses débâcles de l’histoire, soumise à l’existence misérable et humiliée des princes en exil, rongée par la neurasthénie, Elisabeth avait grand besoin des conseils du philosophe pour supporter son destin.
[20] De la vie heureuse.
[21] Si l’on se reporte au Discours de la Méthode (Troisième partie), on constate que Descartes s’est formé effectivement « une morale par provision, qui ne consistait qu’en trois ou quatre maximes » qu’il a faites siennes :
< La première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, en me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l’excès,…
Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque je m’y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées….
Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde ; et généralement de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible…
Enfin, pour conclusion de cette morale, je m’avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu’ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure ; …
[22] L’art adapte aux cas particuliers les données générales de l’intelligence théorique ; il tend à la réalisation d’une œuvre extérieure à l’artiste.
[23] Ce terme signifie recherche, enquête, marche régulière, discipline, méthode ; ici il faut l’interpréter comme recherche spéculative s’opposant à la science pratique.
[24] Ici, l’action est une activité qui ne produit aucune œuvre distincte de l’agent et qui n’a d’autre fin que l’action intérieure.
[25] Il s’agit ici du choix rationnel, délibéré et réfléchi.
[26] Cette expression, très souvent employée par Aristote, signifie indifféremment, l’opinion commune, ou l’opinion de tel philosophe, et plus rarement son opinion personnelle.
[27] Chaque chose a son bien approprié, vers lequel elle tend. Cause finale et bien sont identiques.
[28] Les fins auxquelles tendent les arts et les sciences.
[29] Ils sont des principes de changement dans un autre être ou dans l’artiste lui-même en tant qu’autre. Ces arts sont puissances des contraires : la médecine étant, par exemple, puissance à la fois de la santé et de la maladie.
[30] Sur la distinction entre les sciences architectoniques et les sciences subordonnées voir surtout Métaph., A, 1, 281 a 30 et ss.
[31] Après avoir établi que toute activité tend vers une fin, fin qui est aussi un bien, et montré qu’il existe une hiérarchie entre les différentes fins, Aristote prouve maintenant l’existence d’une fin ultime qui se confond avec le Souverain Bien.
[32] Dans le sens de décisive, principale, déterminante.
[33] Dans un passage bien connu de la Métaphysique, AR. désigne comme la science architectonique par excellence, non pas la Politique comme dans le présent paragraphe, mais la Sagesse, autrement dit la Métaphysique ; pour concilier ces deux points de vue, on peut admettre que la Politique est la science suprême dans l’ordre de la sagesse pratique et la Métaphysique dans l’ordre de la sagesse représentative. Tel autre propose une explication différente tirée de la doctrine platonicienne suivant laquelle le vrai politique est le philosophe.
[34] Car l’homme est essentiellement un animal politique, et le bien de l’individu se confond avec celui de la cité. C’est donc la fin de la Politique qui représente le bien humain.
[35] Téios, sert à qualifier la substance du ciel, et à travers plusieurs textes : l’intellect humain, l’instinct des abeilles, le bien et le bonheur en général, la vie contemplative et la vertu surhumaine de l’intellection pure. .
[36] Les 6 dernières lignes ont manifestement pour objet de marquer la séparation de fait qui existe entre la Politique et l’Ethique.
[37] La variété des objets entraîne la variété des méthodes. Le sujet ou substrat est soit matière, soit forme, soit composé ; il a donc plus d’extension que la matière. Aristote entend par matière le substrat à partir duquel une certaine œuvre est exécutée : par exemple pour un statuaire du bronze.
[38] C’est ainsi que le fer ne se laisse pas travailler comme le bois.
[39] Incertitudes dans le jugement et l’appréciation des hommes ; il est fait aussi allusion à certains Sophistes qui démontraient leurs thèses outrancières en s’appuyant sur l’antique opposition entre le conventionnel et le naturel.
[40] Egalement incertains
[41] Dans le sens de schématiquement, dans les grandes lignes.
[42] Dont nous avons à définir la nature en apportant une solution à la difficulté née du conflit des diverses opinions. On notera que le terme eudemonia, qu’on traduit d’ordinaire par bonheur, est moins un sentiment de satisfaction intime qu’une forme d’activité : le terme prospérité rendrait plus exactement, semble-t-il la pensée d’AR L’ eudemonia est ce qui nous est procuré gratuitement par un destin heureux, un de ces bons génies des traditions populaires qui nous donnent en partage des biens que nous ne saurions acquérir par nos propres efforts.
[43] C’est-à-dire les opinions qui viennent à la surface, qui surnagent en quelque sorte..
[44] Avant de résoudre le conflit des opinions sur l’essence du bonheur et de proposer sa propre définition, AR. se pose une question de méthode. Deux voies s’offrent au raisonnement : ou bien on procède a priori, comme dans le raisonnement apodictique, et on part du principe et des causes pour descendre aux conséquences et aux effets ; ou bien on adopte une méthode inverse, a posteriori, qui part des faits pour remonter par induction jusqu’aux principes. Cette dernière voie sera celle de la science des réalités morales et sociales, car, dans ce domaine, en raison de la complexité des questions traitées, les principes n’ont pas l’évidence des définitions ou des axiomes mathématiques et doivent être dégagées au moyen de l’expérience, de l’ensemble des données de fait. On peut donc dire que les véritables principes (au sens de point de départ) sont ici les faits eux-mêmes.
[45] Les juges du camp.
[46] Sur l’opposition entre le fait brut et l’explication par la cause : AR. explique, dans le présent passage, que la Politique (et la Morale) visant moins la connaissance que l’action, l’explication par la cause perd de son importance.
[47] L’idée du Tout, non seulement comme toute idée est formellement unique (Cf. République, X, 597 c ), mais en outre, l’unicité lui est une propriété intrinsèque, en sorte qu’elle ne peut être participée qu’une fois ; même in concreto, il ne peut y avoir qu’un Tout.– La pluralité infinie des mondes avait été admise par les Atomistes.
[48] Cette proportion est la médiété géométrique (Cf. Gorgias, 508 a) ; elle peut en effet revêtir les trois expressions suivantes : a : x = x : b, b : x = x : a , ou encore x : a = b : x.
[49] Allusion à cette propriété que tous les solides réguliers (tétraèdre, octaèdre, icosaèdre, cube, dodécaèdre) sont inscriptibles dans la sphère.
[50] C’est-à-dire dans les six directions de l’espace ; le septième mouvement est la rotation sur place, en pivotant sur un centre.
[51] Voici comment, selon le traducteur, ce texte semble devoir être entendu : 1° L’Ame « unie à toutes les parties du corps conjointement » (Descartes), n’est ni divisible ni indivisible ; sa réalité est intermédiaire entre l’Intelligible et le Sensible ; 2° Comme tout ce qui existe, elle n’est ni absolument homogène, ni absolument hétérogène ; elle est une organisation où l’on discerne, comme dans l’Intelligible et le Sensible, du Même et de l’Autre, mais sous une modalité intermédiaire entre l’essence pure, indivisible, de ces relations et leurs manifestations empiriques dans l’étendue divisible. De là, deux moments dans la composition de l’Ame, où entrent les trois termes précités : la réalité intermédiaire, le Même et l’Autre. 1° Le Démiurge associe le Même et l’Autre ; 2° l’association ainsi obtenue, il l’affecte de la modalité intermédiaire.
[52] Voir Théétète 190 a.
[53] Les opérations et les degrés de la connaissance se trouvent ici mis en rapport avec la réalité intermédiaire de l’Ame, sa composition faite de Même et d’Autre, son harmonie interne, et son mécanisme circulaire.

Date de création : 28/04/2007 @ 09:29
Dernière modification : 03/05/2007 @ 11:18
Catégorie : Glossématique
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