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Théologie 1 - Livres du pentateuque 1

EXEGESE PATRISTIQUE DE
L'ANCIEN TESTAMENT
LIVRES DU PENTATEUQUE 1


- AVANT-PROPOS
- DE LA CREATION AU DELUGE
- DELUGE
- DU DELUGE A ABRAHAM


AVANT-PROPOS

L'ANCIEN TESTAMENT.

Cette dénomination propre aux Chrétiens veut signifier la continuité qui existe entre les textes de l'Ancienne Alliance et ceux de la Nouvelle Alliance écrits après la vie du Christ,- l'ensemble constituant la Bible. Les Juifs, quant à eux, préfèrent l'appeler "la Loi, les Prophètes et les Ecrits" ou bien encore "L'Ecriture"[1].

Les ouvrages de l'Ancien Testament.

Les extraits produits dans ce document sont issus de la Bible de l'Ecole biblique de Jérusalem[2] qui a pour source la Bible des Septante[3], de langue grecque, provenant elle-même de l'original hébreu. La partie qui concerne l'Ancien Testament comporte qua- tre séries d'ouvrages: le Pentateuque, livre en 5 volumes (la Tora des Juifs, qui l'appelèrent encore les 5/5 de la Loi), les livres historiques, les livres poétiques et sapientiaux, les livres prophé- tiques. Les cinq volumes du Pentateuque sont distingués par leur contenu: la Genèse(origine du monde, de l'homme, puis vie des patriarches), l'Exode (sortie d'Egypte et traversée du désert), le Lévitique (loi des célébrants de la tribu de Lévi), les Nombres (dénombrements des tribus),le Deutéronome (la "seconde loi" promulguée pour s'opposer aux déviations du culte).

Provenance des écrits de l'Ancien Testament.

Lorsque s'achève la rédaction en hébreu de la majeure partie de l'Ancien Testament (vers 540 av.J.C.), ses rédacteurs livrent le condensé d'une histoire du peuple d'Israël déjà vieille de douze siècles. La première partie, celle de la vie des Patriarches (Abraham, Isaac, Jacob et Joseph) aurait été rédigée par Moïse à la faveur d'une transmission orale qui se serait opérée de siècle en siècle; pour l'histoire de l'Exode, il est plus que probable qu'une première version ait été établie par Moïse qui en fut le grand témoin[4],de même pourle Lévitique,les Nombreset leDeutéronome. C'est du moins ce qui était généralement admis au début de notre ère, et c'est l'opinion à laquelle se conformèrent le Christ et les Apôtres, bien que des traditions plus anciennes n'aient pas imputé à Moïse la totalité du Pentateuque. Certains livres tels que ceux de Malachie, de Job, de Jonas, des Chroniques, d'Esdras et Néhémie, ainsi que les Psaumes, virent leur achèvement entre 400 et 350 av.J.C,. Le Livre de la Sagesse, quant à lui, a une origine très particulière; ce document qui est le plus récent de l'Ancien Testament a été écrit directement en grec, et de ce fait, ne fait pas partie du canon hébreu. "L'auteur réel, est-il affirmé dans l'introduction de la Bible de Jérusalem, est assurément un Juif hellénisé, dont les thèses suggèrent qu'il vivait à Alexandrie, devenue à la fois capitale de l'hellénisme sous les Ptolémée et grande ville juive de la Diaspora. Le livre peut donc avoir été écrit durant la dernière décennie du Ier siècle avant notre ère".

La trame de l'histoire des Hébreux.

Les Hébreuxsont d'abordla familled'Abram[5]venue deMésopotamie vers 1750 avant notre ère. Après avoir vécu en Canaan sous la conduite des premiers patriarches, leur clan qui a atteint soixante dix personnes en est chassé par une famine et se fixe en Egypte; là, leur population s'accroît malgré la vie de servitude qui leur est imposée. Sortis d'Egypte, grâce à Moïse,vers 1250.av. J.C.[6], les six cents mille "hommes de pied" campent dans le Sinaï oùils reçoivent leur loi, la Tora. Ils conquièrent et colonisent Cananan où ils instaurent une démocratie tribale qui dure deux siècles. Vers 1020,ils se donnent une monarchie tempéréeavec Saül, puis David et son fils Salomon. Après le règne brillant de ce dernier (970-930), le royaume se scinde en deux, Israël au nord, Juda au sud. Période politique par excellence, la période royale est aussi celle des Prophètes. En 722, le royaume d'Israël est détruit par les Assyriens et une partie de sa population est déportée; en 586, les Babyloniens qui ont préalablement défait les Assyriens, s'emparent du royaume de Juda après la destruction du Temple de Jérusalem. Pourtant, après une éclipse et un exil douloureux qui va de 586 jusqu'à l'édit de Cyrus (538 av.J.C.), les Hébreux reconstruisent leur Etat. Ils demeurent sous la tutelle perse, puis hellénique à la suite de l'épopée d'Alexandre, jusqu'à ce qu'ils retrouvent une totale indépendance sous les Maccabées et leurs descendants, les rois Asmonéens (165-63 av.J.C.). La conquête romaine fait des Hébreux des tributaires, les soumet à l'occupation militaire et à l'oppression politique sans que soient anéanties leurs structures nationales. Des sursauts révolutionnaires et deux guerres (66-73) et (132-135) les opposent à Rome.

La trame religieuse.

S'il est important que l'historicité du texte, l'exactitude presque matérielle du récit ait pu être reconnue, le témoignage religieux, indépendamment de cette identification, est plus important pour les Croyants. Tous les tournants décisifs sont marqués par une intervention divine et tout y apparaît comme providentiel, "conception théologique supérieurement vraie, mais qui néglige l'action des causes secondes"[7]. De plus, les faits sont introduits, expliqués et groupés pour la démonstration d'une thèse religieuse: il y a un Dieu qui a formé un peuple et qui lui a donné un pays; ce Dieu est Yahvé, ce peuple est Israël, ce pays est la Terre Sainte.

La trame religieuse transcende la trame historique. Il y a d'abord une longue phase où Yahvé a voulu se faire connaître par son peu- ple, s'en faire craindre et lui donner sa loi. Il y a ensuite la phase de l'édification d'Israël dans un violent contraste entre "ce qui plait à Yahvé et ce qui lui déplaît"; vient enfin la troisième phase, celle de la purification du peuple dans l'attente du Messie.

Lors de ces trois phases,Yahvé conformesa Paroleà ses intentions: lors de la première, il choisit ses interlocuteurs et s'adresse à eux (lui ou ses anges); dans la deuxième, il parle surtout par les prophètes; enfin dans la troisième, celle de l'exil, il garde un silence lourd de conséquences.

De ces phases, il a été prévu de traiter la première et la deuxième, en deux tomes différents; le premier couvre la Genèse et l'Exode depuis Adam jusqu'à Moïse, le second qui va de Josué à Jérémie concerne principalement lesPsaumes et les Prophètes.


LES PERES DE L'EGLISE.
Positionnement de leur théologie.

S'étant séparée définitivement du judaïsme après 70[8], comment l'Eglise allait-elle ajuster son rapport avec la tradition juive à laquelle appartenait Jésus, son fondateur ?Irait-elle jusqu'à la rupture totale avec tout le passé, au risque d'apparaître comme une religion nouvelle, impliquant une foi en un Dieu absolument différent de celui d'Israël[9] ?

Conviendrait-elle, au contraire, de garder une fidélité absolue aux observances de la Loi, au risque d'apparaître comme une nouvelle secte juive ? Le Christ, dans ce cas, fut-il appelé Christ ou Fils de Dieu,n'aurait plus été qu'un homme ayant accompli dans laperfec- tion les oeuvres de la Loi. Telle sera, dès le Ier siècle, l'optique judéo-chrétienne[10].

Entre ces deux extrêmes, on a vu s'esquisser puis se développer à partir du Ier siècle chez les Pères apostoliques, puis au IIème chez les apologistes comme Justin etIrénée, enfin auIIIème chez Clément d'Alexandrie et Origène une solution qui sera celle de l'Eglise chrétienne dans son ensemble: le christianisme comme réalisation et en mêmetemps dépassement du contenu de la premièreAlliance,

de l'Ancien Testament. Celui-ci est devenu la préfiguration, la promesse de la Nouvelle Alliance conclue en Jésus-Christ. Dans cette perspective générale, le Christianisme a voulu faire corps avec la tradition judaïque en la réorientant et en la transformant.

Comme l'asouligné P. Hadot[11],de cette conception ont été très importantes.Tout d'abord, la théologie patristique, tout spécialement pendant les trois premiers siècles, a été centrée sur la notion de plan divin concernant l'histoire du salut du genre humain. Cette histoire du salut sur laquelle a insisté particulière- ment Irénée était jalonnée d'évènements historiques: la chute d'Adam, le don de la Loi à Moïse, la venue du Christ, qui marquent les grandes étapes de la réalisation de ce plan divin, de ce que les Pères appelèrent "l'économie du salut".

Dans cette perspective, l'Ancien Testament a pris une importance capitale; les Pères de l'Eglise, notamment Justin, Clément, Origène, se sont plu à y découvrir les promesses, les annonces, les figures (les types) du Christ et de l'Eglise. Ce fut en effet le message évangélique qui donna à L'Ancien Testament un sens nouveau, un sens que l'exégèse patristique chercha à découvrir en utilisant les méthodes allégoriques et typologiques.

En fait, à la différence des allégoristes païens qui interprétaient les mythes traditionnels de l'hellénisme en dévoilant la signification philosophique cachée (morale ou physique), les allégoristes chré- tiens ne cherchèrent qu'un seul sens, le sens "spirituel", celui qui correspondait àl'évènement dela venue du Christ et au dévelop- pement de l'Eglise, qui sont apparus comme les fins de l'histoire du salut[12].

Dans cette perspective, la notion de Logos ou Verbe, raison et/ou parole divine, introduite dans le christianisme par le Prologue de l'Evangile de Jean, prend un relief tout particulier. C'est la raison divine qui conçoit le dessein divin du salut de l'homme, puis le réalise et l'incarne. L'Ancien Testament est la parole divine et le Christ est parole divine; c'est dans la parole divine que se réalise l'unité des deux Testaments. A cette idée de l'unité des deux Testaments, répond celle de l'unité de Dieu, de l'unité du Logos, de l'unité du plan divin, de l'unité du peuple de Dieu, l'Eglise étant la dépositaire des promesses divines et l'unique interprète attitrée de la parole divine >.

Le Christ et Dieu.

Le second problème fondamentalqui s'estposé aux Pères del'Eglise est celui des rapports entre le Christ et Dieu. Sur ce point, la réflexion théologique, à l'époque patristique a été entraînée sur une voie qui l'a conduite aux spéculations métaphysiques les plus complexes.

Les écrits néo-testamentairesavaient opposéle Christ selon l'esprit au Christ selon la chair, le premier représentant l'aspect divin dans l'homme Jésus.Cet Esprit divin présent dans le Christ était considéré comme une puissance préexistante, originellement située enDieu. Mais quel était le rapport entre cet Esprit préexistant et Dieu ? Etait-il éternellement en Dieu ou près de Dieu, ou bien était-il engendré par Dieu ?

Dans la réponse à cette question, l'interprétation de la notion néo-testamentaire de Fils de Dieu a joué un rôle décisif. Originellement, cette notion correspondait seulement à un titre messianique; elle désignait seulement une appartenance toute spéciale à Dieu; elle correspondait notamment à l'intronisation de Jésus comme Fils de Dieu après sa résurrection.

La théologie chrétienne naissante transféra ensuite à une entité divine préexistante la dénomination de Fils de Dieu (originellement attribuée à l'homme Jésus). Ce faisant elle s'engageait dans une voie périlleuse qui fut à l'origine de controverses de plus en plus abstraites.

A partir du IIème siècle, le caractère métaphysique et cosmologique de la notion de Fils de Dieu s'accentua encore. Justin, par exemple, identifia cet Esprit ou Fils de Dieu avec la Sagesse à laquelle le Livre des Proverbes, en 8,22, faisait dire:"Dieu m'a créée au commencement de ses voies". Surtout, il l'identifia au Logos dont parlaitle Prologue de l'Evangile de Jean. Cette Sagesse, ce Logos, étaient bien originellement en Dieu; ils étaient la pensée divine. Mais Dieu voulant réaliser sa pensée, son dessein sur le monde, les a proférés, extériorisés, engendrés ou créés.

Chez les Pères de cette époque, Irénée et Tertullien notamment, le plan divin s'inscrivit bien au-delà des limites de la simple histoire du salut, englobant non seulement la création de toutes choses mais encore la restauration de toutes choses dans le Verbe divin. Ce texte d'Irénée le montre clairement:

< Voici donc l'ordonnance de notre foi, le fondement de notre édifice et l'appui de notre conduite: - Un Dieu Père incréé, qui ne peut être contenu, invisible, Dieu unique, Auteur de toutes choses: tel est le premier article de notre foi. - Deuxième article: le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, Jésus-Christ notre Seigneur, qui est apparu aux prophètes selon le trait distinctif de leur prophétie et la nature particulière des "économies du Père", par l'entremise de qui toutes choses ont été faites et qui, dans les derniers temps, pour récapituler toutes choses (Ephés. 1,10), s'est fait homme parmi les hommes, visible et palpable, afin de détruire la mort (2 Tim.,1,10), de faire apparaître la vie et opérer une communion de Dieu et de l'homme. - Troisième article: le Saint Esprit, par lequel les prophètes ont prophétisé, les pères ont appris les choses de Dieu et les justes ont été guidés dans le chemin de la justice, et qui, dans les derniers temps, a été répandu d'une manière nouvelle sur l'humanité, renouvelant l'homme sur toute la terre en vue de Dieu >[13].

Les apologistes continueront à lier la procession du Logos à la création du monde, mais déjà chez Irénée[14], et plus encore chez Origène, ils considèreront cette procession comme une génération éternelle.

Les Pères des IIème et IIIème siècles ont donc introduit une transformation considérable dans le christianisme. Pour eux, l'homme Jésus ne révèle pas immédiatement son Père divin, mais une entité divine, inférieure et subordonnée au Père, le Fils de Dieu ou Logos; c'est ce Fils de Dieu qui est la vraie révélation du Père; c'est lui qui parle immédiatement aux intelligences humaines[15].

Au IVème siècle, le Dieu du christianisme, le Père de Jésus-Christ devient un Dieu en trois hypostases (ou personnes). Cette évolution est due aux controverses qui, pendant tout le siècle, porteront sur la notion de Fils de Dieu. Athanase et certains théologiens comme Marcel d'Ancyre, serontles héroïques défenseurs et apôtres de la divinité de Jésus-Christ, Fils de Dieu, défini au premier concile oecuménique de Nicée en 325, comme consubstantiel à son Père. D'autres, au contraire, comme Eusèbe de Césarée mettent l'accent sur la distinction entre le Père et le Fils pour sauvegarder la notion de Fils de Dieu.

Ces discussions théologiques ponctuées de nombreuses réunions synodales, finissent par se concentrer sur l'étude des rapports entre l'essence divine (ousia) et ses manifestations (hypostases). La solution développée par les Cappadociens, dont Grégoire de Nysse, consistera à affiner l'unité d'essence et la trinité d'hypostases (trinité, car sous l'influence de la formule du baptême, l'Esprit Saint a été placé sur le même rang que le Père et le Fils). Augustin, dans son De Trinitate fera peu après la synthèse de ces nouvelles données dogmatiques.

Les rapports entre le Fils de Dieu et la divinité ayant ainsi été définie, il restait à préciser les rapports entre le Fils de Dieu et l'homme Jésus. La solution reçue définitivement dans l'Eglise après le Concile de Constantinople de 553 avait été préparée par l'œuvre de Cyrille d'Alexandrie[16] à laquelle les Pères conciliaires ne manquèrent pasde rendrehommage: la nature humaine du Christ n'était pas impersonnelle et sans hypostase, mais elle avait son hypostase et donc sa personne dans le Logos lui-même. La nature humaine du Christ n'avait pas de personne propre, le Christ crucifié était, selon la formule des orthodoxes, "un de la Trinité".

Ces quelques indications nous montrent la prodigieuse transformation que la théologie patristique a fait subir en cinq siècles au christianisme primitif. Les nouvelles entités métaphysiques domineront longtemps la pensée philosophique occidentale.

L'idée de philosophie chrétienne.

Etienne Gilson et Claude Tresmontant se sont plu à saluer dans la patristique l'aube de la philosophie chrétienne. S'il est difficile de définir des notions philosophiques spécifiquement chrétiennes, les Pères de l'Eglise n'en ont pas moins intégré dans leur réflexion sur le message évangélique les notions philosophiques qu'il sous-tendait; il s'agit entre autres de l'idée de création, de celle de personne ou de liberté personnelle,du sens de l'histoire, de l'identification de Dieu avec l'acte d'être ("Je suis celui qui suis"). Mais ces implications n'autorisent nullement à mettre en exergue une philosophie chrétienne qui serait un développement naturel et logique du christianisme primitif. Comme l'a souligné P.Hadot:

< L'existenced'une philosophie qui se nomme "chrétienne"provient du fait contingent que représente la décision des Pères apologistes, notamment de Justin. Ce sont eux quiont présenté le christianisme comme une philosophie et qui, pour parvenir à effectuer cette présentation, ont développé une doctrine du Logos et du Fils de Dieu qui, comme nous venons de le constater, n'était pas dans le christianisme primitif. Grâce à cette doctrine du Logos, le christianisme amême pu se présenter comme la philosophie par excellence. Ne possédait-elle pas le Logos lui-même, alors que les philosophes grecs n'en avaient reçu que des parcelles ?

Cette conception de la philosophie chrétienne se retrouve plus ou moins modifiée chez Clément d'Alexandrie, Origène, Lactance et Augustin. De même que l'interprétation allégorique de l'Ancien Testament avait permis au christianisme de s'approprier à sa manière la tradition judaïque, de même cette doctrine du Logos lui permit de s'approprier la tradition philosophique grecque >[17].


LES PERES DE L'EGLISE

(en ces documents)

Repères chronologiques et géographiques.

Pères grecs et orientaux Pères de l'Occident latin

Saint Justin

(100-165) Né en Palestine,

mort à Rome.
Saint Irénée

(130-208) Né en Asie Mineure,

mort à Lyon.
Clément d'Alexandrie.
(140-220)

Tertullien

(156-222)
Origène (Alexandrie)
(185-253)
Saint Athanase d'Alexandrie

(295-373)

Saint Hilaire

(315-367)

Saint Ephrem (Syrie)

(306-373)

Saint Ambroise

(340-397)

Saint Grégoire de Nysse (Cappadoce)
(335-395)

Saint Augustin

(354-430)
Saint Jean Chrysostome (Antioche)
(354-407)

Saint Grégoire le Grand

(540-604)

Saint Cyrille d'Alexandrie
(396-444)

Saint Bède le Vénérable

(672-735)

YAHVE DELIVRE DIRECTEMENT SA PAROLE

Le point capital est de comprendre que la plénitude et la finalité de la loi comme de toutes les Divines Ecritures, c'est l'amour de l'Etre dont nous devons jouir et de l'être qui peut en jouir avec nous.

(Saint Augustin, De Doctrina Christiana).



LA GENESE ET L'EXODE.

"La religion de l'Ancien Testament, comme sera celle du Nouveau, est une religion historique: elle se fonde sur la révélation faite par Dieu, à tels hommes, en tels lieux, en telles circonstances; sur les interventions de Dieu à tels moments de l'évolution humaine. Le Pentateuque qui retrace l'histoire de ces relations de Dieu avec le monde, est le fondement de la religion juive; il est devenu son livre canonique par excellence, sa Loi. L'Israélite y trouve l'explication de sa destinée. Il n'a pas seulement, au début de la Genèse, la réponse aux questions que se pose tout homme sur le monde et la vie, sur la souffrance et la mort, mais aussi la réponse à son problème particulier: pourquoi Yahvé est-il le Dieu d'Israël, pour- quoi Israël est-il son peuple entre toutes les nations de la terre?"[18] C'est parce qu'Israël a reçu la promesse et que choix et promesse, nous le verrons, seront garantis par une triple alliance avec comme contre-partie le respect de la Loi, telle qu'elle sera signifiée au peuple par le ministère de Moïse. Tous ces thèmes se croisent sur la trame du Pentateuque et ils nécessiteront une suite car l'ouvrage s'achève avant l'entrée en Terre Sainte; la promesse élaborée jusqu'à Moïse ne paraîtra accomplie que par la conquête de Canaan par Josué dont le livre ajouté au Pentateuque constitue l'Hexateuque.

"Non seulement l'Eglise a reconnu dans les grands évènements de l'époque patriarcale et mosaïque, dans les fêtes et les rites du désert (sacrifice d'Isaac, passage de la Mer Rouge, la Pâque, etc.) les réalités de la Loi Nouvelle (sacrifice du Christ, baptême, la Pâque chrétienne, etc.), mais la foichrétienne exige la même atti- tude fondamentale que les récits et les préceptes du Pentateuque commandent aux Israélites. Plus que cela, dans son itinéraire vers Dieu,toute âme traverseles mêmes étapesde détachement,d'épreu- ves, de purification par où passa le peuple élu, et elle trouve son instruction dans les leçons qui furent données à celui-ci"[19].

Et pour comprendre la parole que livrent les Ecritures, il faut aux âmes le secours de la Parole, du Verbe éternel, qui leur donne précisément de les comprendre. "La lecture de l'Ecriture, faite avec foi, par celui qui y voit un livre d'origineplus divinequ'humaine, se mue en boisson et en manducation du Verbe éternel, son auteur présent en elle faisant participer à sa pensée et à sa force"[20].

Pour l'approfondissement destextes bibliques, nousaurons recours à l'exégèse patristique dont d'éminents théologiens n'ont pas man- qué de souligner le caractère irremplaçable; ainsi en est-il du P. Congar lorsqu'il déclare "que la spiritualité des Pères ne se distingue pas de leur contemplation dogmatique, elle-même liée à leur méditation des Saintes Ecritures. Les Pères ont déterminé la vie de l'Eglise à partir des Saintes Ecritures et de l'expérience de la réalité chrétienne, les deux se conditionnant et s'éclairant mutuellement". Aussi le lecteur, à l'appui des textes de l'Ancien Testament disposera d'un certain nombre d'exégèses des Pères de l'Eglise[21], tout à fait recommandées par Vatican II; en effet,dans sa constitution dogmatique sur la Révélation divine "Dei Verbum", le concile a pris nettement le parti de favoriser l'étude des saints Pères, tant d'Orient que d'Occident" pour que l'Eglise puisse offrir continuellement à ses enfants la nourriture de la parole divine.

Les méditations des Pères seront complétées notamment par celles de Hans Urs Von Balthasar dans son ouvrageLaGloireet laCroix[22], et celles du Cardinal Daniélou dans son livre Sacramentum futuri.

Toutes ces méditations proviennent de théologiens catholiques, car, comme l'a précisé le pape Léon XIII dans son encyclique Providentissimus: "le sens non défiguré des Saintes Lettres ne se trouve nulle part en dehors de l'Eglise et ne peut être donné par ceux qui, privés de la vraie foi, ne parviennent pas jusqu'à la moelle des Ecritures, mais en rongent seulement l'écorce".

"Le Christ est la pensée directrice des Ecritures, dont le sens littéral pointe vers son humanité, tandis que leur sens spirituel pointe vers sa divinité, Celui dont la clarté nous fait saisir les obscurités de l'Ancien Testament, le lien des Ecritures grâce auquel elles ne peuvent se contredire, le contexte, prochain ou éloigné, de toute Ecriture. Surtout, le Christ est Celui qui, par son Esprit donné aux Apôtres, continue d'interpréter, à travers son Eglise, les Ecritures qui ne sont leurs qu'en étant, d'abord, siennes, et exclut (aussi par eux) les exégèses des hérétiques"[23].





CHAPITRE I
DE LA CREATION AU DELUGE

Après avoir créé le monde, Dieu créa l'homme le sixième jour et, par Eve, assura la génération humaine.

Paragraphes d'appui du Livre de la Genèse:
Premier récit de la création de l'homme.
(Gn.1,26-31)

Deuxième récit de la création de l'homme.

(Gn.2,4-9,15-20)
Et Yahvé Dieu créa la femme.
(Gn.2,21-25)

La faute d'Eve et d'Adam et ses conséquences.

(Gn.3,1-24)
Caïn et Abel.
(Gn.4,1-17)
Seth et ses descendants.
(Gn.4,25-26)


EXEGESE PATRISTIQUE

Les Pères de l'Eglise naissante, forte déjà de ses martyrs[24] et de ses premiers saints, entreprirent des études très approfondies de l'Ecriture Sainte dont la dernière partie faisait encore figure d'actualité. Pour tirer le meilleur profit possible de leurs médi-tations des textes sacrés, ils se sont prémunis de règles ou de principes méthodologiques adaptés à leur tempérament.

Aussi devons-nous faire précéder l'exposé des exemples d'exégèse

d'un rappel succint de ces règles, sans nous préoccuper, car ce n'est pas l'objet de ce livre, de faire des recoupements entre elles.

SAINT IRENEE

Irénée[25], évêque de Lyon vers 178, organisa ses études à partir de trois règles théoriques et de deux règles pratiques.

La première, il l'appela "règle de la vérité": pour lui la découverte exacte des textes sacrés ne pouvait survenir que de l'examen du contenu et de l'unité de toute l'Ecriture. A cette condition, les fausses interprétations feraient la plus large place possible aux vraies. Règle de la vérité d'Hilaire qui pourrait s'exprimer ainsi: ce qui ne s'accorde pas à tout ne s'accorde à rien.

La seconde, il l'appela règle de la Tradition. Elle avait pour but de prolonger la première dans le domaine ecclésial complet tel qu'il existait à son époque. L'enseignement des évêques était le prolongement ininterrompu de celui des Apôtres. Règle de la Tradition d'Hilaire qui pourrait s'exprimer ainsi: ce qui est suspect aux yeux de l'Eglise, l'est aux yeux de Dieu.

La troisième dite "de la consonance" a un point d'application plus précis grâce auquel doit se manifester, dans telle exégèse particulière la parfaite harmonie mutuelle des Ecritures. Telle qu'Irénée la comprend, elle oblige l'exégète chrétien à se mouvoir constamment entre les deux Testaments, éclairant l'un par l'autre.

Quant aux règles pratiques, la première vise le traitement des passages obscurs, laseconde, le renoncement àl'étude de questions mineures, inutiles, ou hors de portée de notre intelligence.


Exégèse des textes tendant à prouver qu'Eve est le type, la préfiguration de Marie, comme Adam l'est du Christ.

Les différents textes en présence:

Luc, 1,38: (Paroles de Marie) "Voici ta servante Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole".

Genèse, 2,25: "Or tous deux étaient nus, l'homme et sa femme, et ils n'avaient pas honte l'un devant l'autre".

Deutéronome,22, 23-24: "Si une jeune fille vierge est fiancée à un homme, qu'un autre homme la rencontre dans la ville et couche avec elle, vous les conduirez tous deux à la porte de cette ville et vous les lapiderez jusqu'à ce que mort s'ensuive: la jeune fille parce qu'elle n'a pas appelé au secours dans la ville, et l'homme parce qu'il a usé de la femme de son prochain".

Cette exégèse d'Hilaire est contenue dans Adversus Haereses, ou, suivant le titre complet, Détection et réfutation de la prétendue connaissance ou fausse gnose.

"Dans cette oeuvre, Irénée lutte contre la gnose de Valentin et des faux gnostiques qui, au nom du christianisme, s'appuyant sur une thèse révisionniste concernant la conception du monde, tentaient d'établir le droit du vécu culturel de leur temps à valoir critère de vérité et de sens, en contradiction, s'il le fallait, avec les Ecritures"[26]. Tendance qui, depuis, a fait florès.

Comme le Christ récapitule[27] Adam, Marie récapitule Eve. Exaltant le mystère de l'Incarnation du Verbe, Irénée reconnaît Marie, intimement associée, telle une Eve nouvelle à l'œuvre salvifique du nouvel Adam: " Parallèlement au Seigneur, on trouve aussi Marie la vierge obéissante lorsqu'elle dit:- Voici ta servante Seigneur; qu'il me soit fait selon ta parole -. Eve au contraire avait été désobéissante: elle avait désobéi alors qu'elle était encore vierge. Car de même qu'Eve ayant pour époux Adam, et cependant encore vierge - car tous deux étaient nus et n'en avaient point honte, parce que créés peu auparavant, ils n'avaient pas de notion de la procréation: il leur fallait d'abord grandir, et ensuite seulement se multiplier - de même doncqu'Eve, en désobéissant,devint cause de mort pour elle- mêmeet pour toutle genrehumain, de même Marieayant pourépoux celui qui avait été destiné par avance, et cependant vierge, devint en obéissant cause de salut pourelle-même ettout le genre humain. C'est pour cette raison que la Loi donne à celle qui est fiancée à un homme, bien qu'elle soit encore vierge, le nomd'épouse de celui qui l'a prise pour fiancée (Dt,22), signifiant de la sorte le retournement (recircumlatio) qui s'opère de Marie en Eve. Car ce qui a été lié ne peut être délié que si l'on refait en sens inverse les boucles du nœud, en sorte que les premières boucles soient défaites grâce à des secondes et qu'inversement les secondes libèrent les premières. Le nœud de la désobéissance d'Eve a été dénoué par l'obéissance de Marie, car ce que la vierge Eve avait lié par son incrédulité , la Vierge Marie l'a délié par la Foi "(Adversus Haereses III,22,4)[28].

"On peut dire que tout ce passage constitue une exégèse de Luc 1,38 à la lumière de Genèse 2 (avec de plus une référence marginale à Deutéronome 22,23-24). Irénée est fidèle à l'intention profonde de Luc en nous présentant l'obéissance de Marie comme une réponse salvifique et divinement provoquée à la désobéissance d'Eve. Tandis que sa présentation de la Vierge Marie comme avocate de la vierge Eve, en soulignant la virginité d'Eve avant le péché, pourrait être un développement doctrinal homogène au texte biblique, inspiré par Luc lui-même dans sa relecture de Genèse 2. En somme pour Irénée, Eve est le type, la préfiguration de Marie, comme Adam l'est du Christ. Eve et Marie sont toutesdeux au moment de leurs dialogues angéliques épouses et vierges. Toutes deux interviennent dans le drame de l'humanité.

Récemment, dans le contexte de l'ensemble de la théologie des Pères du second siècle, le Père Orbe a montré comment l'antithèse Eve- Marie est, aux yeux d'Irénée, plus profonde et plus "existentielle" qu'on ne l'avait pensé. Satan proposait à la première Eve, sous l'image du fruit défendu, une activité sexuelle anticipant l'heure prévue par Dieu et, par suite, une maternité de mort. D'où l'insistance avec laquelle Irénée note qu'Eve était encore vierge et n'avait pas (encore) l'intelligence de la procréation dans le texte cité. L'archange Gabriel, au contraire, propose au nom de Dieu, à la Vierge Marie, sans détriment de sa virginité, une maternité de vie. L'interprétation d'Orbe, très acceptable, rend certainement le texte d'Irénée à la fois plus intelligible et plus suggestif"[29].

A partir de la substance virginale du premier homme, Irénée a produit une seconde exégèse de la récapitulation d'Adam dans le Christ et d'Eve en Marie.

Textes en présence:

Genèse 1,26: "Dieu dit: Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu'ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre".

Genèse 2,5: "Il n'y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n'avait encore poussé, car Yahvé Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol".

Genèse 2,7: "Alors Yahvé Dieu modela l'homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint un être vivant".

2ème Epître aux Corinthiens, 5,4: "Oui, nous qui sommes dans cette tente, nous gémissons accablés; nous ne voudrions pas en effet nous dévêtir, mais nous revêtir par-dessus, afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie".

Ière Epître aux Corinthiens, 15,54: "Quand donc cet être corruptible aura revêtu l'incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l'immortalité, alors s'accomplira la parole qui est écrite: La mort a été engloutie dans la victoire".

On peut dire que tout le passage qui va suivre, référencé (C 32 et 33)[30] constitue une exégèse de Paul (1 Cor.,15,54) à la lumière de Gn.2.

"Or, d'où provenait la substance du premier homme? De la volonté et de la sagesse de Dieu et d'une terre vierge: "car Dieu n'avait pas encore fait pleuvoir" dit l'Ecriture avant que l'homme fût fait, et "il n'y avait pas encore d'homme pour travailler la terre" (Gn.,2,5). C'est donc quand elle était encore vierge que "Dieu prit du limon de la terre et en modela l'homme (Gn.,2,7)" pour qu'il fût le point de départ de l'humanité. Comme c'était cet homme même qu'il récapitulait en lui, le Seigneur reçut donc une chair formée selon la même "économie" que celle d'Adam, en naissant d'une Vierge par la volonté et la sagesse de Dieu, afin de montrer lui aussi une chair formée d'une manière semblable à celle d'Adam et de faire cet homme même dont il est écrit qu'il était, à l'origine, à l'image et à la ressemblance de Dieu (Gn.,1,26)".

Et de même que, par le fait d'une vierge désobéissante, l'homme tomba et mourut, de même par le fait d'une Vierge obéissante à la parole de Dieu l'homme fut ranimé et recouvra la vie. Car le Seigneur vint pour chercher la brebis qui était perdue, et cette brebis perdue était l'homme. Et c'est pourquoi il ne se fit pas autre chair modelée, mais, < en naissant> de celle-là qui était la descendante d'Adam, il garda la similitude de la chair modelée: car il fallait qu'Adam fût récapitulé dans le Christ, afin que ce qui était mortel fût englouti dans l'immortalité (2,Cor.,5,4; 1,Cor.,15,54) et il fallait qu'Eve le fût aussi en Marie, afin qu'une Vierge, en se faisant l'avocate d'une vierge, détruisit la désobéissance d'une vierge par l'obéissance d'une Vierge.

"Cette lecture de l'évangile de Luc (1,38) et de l'Epître de Paul aux Corinthiens (15,54), cette insistance sur le libre consentement de Marie à la maternité divine seront plus tard invoquées par l'Eglise catholique comme impliquant la reconnaissance par Irénée, de l'existence (chez Luc et Paul) d'un principe d'association privilégié et unique de Marie au Christ Jésus dans l'œuvre rédemptrice, association rejaillissant en une intelligibilité néo-testamentaire des doctrines de l'Immaculée Conception et de l'Assomption de Marie, seconde et nouvelle Eve. Si Paul a pu considérer le Christ comme le second et nouvel Adam[31], n'a-t-il pas implicitement vu en Marie la nouvelle et deuxième Eve, ainsi que l'a compris Irénée"[32]?

SAINT EPHREM

Ephrem[33],exégète syrien, incarneune exégèse non grecque, proche du terrain sémitique de l'Ancien Testament. Ce Père de l'Eglise a concentré ses recherches sur les premiers chapitres de la Genèse, examinés en eux-mêmes etsous la lumière du Nouveau Testament. Pratiquant une exégèse littérale, il fait une transcription objective, mais personnelle des versets, telle qu'elle résulte de son aptitude à déceler, au-delà du simple constat des faits, le sens des évènements[34]; il permet ainsi que l'on découvre les différents points sur lesquels il s'est interrogé. Poursuivant sa recherche, il effectue un exercice qui lui est propre et qui consiste à synthétiser, dans un texte hymnique, le trait saillant qu'il a décelé dans les versets, avec la secrète intention de le faire évoluer; cette évolution, il la voit se profiler dans le Nouveau Testament[35], puissant révélateur de la vie du Christ, de ses paroles et de ses actes. Car c'est Lui qui est venu accomplir ou parachever ce qu'en tant que Verbe, il avait inspiré aux personnages de l'Ancien Testament. Le lecteur est ainsi amené, comme le titre prochain l'indique, à avoir accès progressivement aux mystères que l'exégète inspiré s'était propo- sé d'approfondir, pour atteindre leur expression la plus sublime.


Exégèse tendant à montrer l'accès progressif aux mystères des deux Adams dans l'énonomie du salut.

Textes en présence:

Genèse 2, 19: "Yahvé Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait: chacundevantporter le nom que l'homme lui aurait donné.

Genèse 2, 20:"L'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais pour un homme il ne trouva pas l'aide qui lui fut assortie".

Genèse 2, 21: "Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place.

Genèse 2, 22: "Puis de la côte qu'il avait tiréedel'homme,YahvéDieufaçonnaunefemmeetl'amenaàl'homme.

Genèse 2, 23: "Alors celui-ci s'écria:

"En ce temps[36], voici l'os de mes os

et la chair de ma chair !

Celle-ci sera appelée "femme",

car elle fut tirée de l'homme, celle-ci !"

Voici ce que ces textes sur la création d'Eve à partir d'une côte d'Adam ont inspiré à Ephrem:

"L'homme,un veilleur[37],entouré de splendeur et qui ignorait jusqu' alors le sommeil, tomba sur terre et dormit; et il est vraisemblable qu'Adam reçut au moyen d'une vision, pendant ce sommeil, une représentation de ce qui se passait en lui. Sa côte fut enlevée en un clin d'oeil, de la chair la remplaça immédiatement; la côte enlevée fut disposée en toute forme et beauté, et Dieu la conduisit et la présenta à Adam; d'un seul il fut fait deux, homme et femme...Adam dit: - en ce temps , voici l'os de mes os et la chair de ma chair. Elle sera appelée femme parce que prise de l'homme. En ce temps, c'est-à-dire: celle qui vient après les animaux n'a pas été faite semblable à eux. Ils viennent de la terre tandis que celle-ci est - os de mes os et chair de ma chair -. Certainement ou cela fut dit prophétiquement ou bien Adam avu etsu par une vision dans son sommeil une représentation de ce qui se passait en lui. Puis- que tous les animaux ont reçu le même jour des noms génériques, Adam n'a pas appelé Eve d'un nom personnel, mais l'a nommée femme, d'un nom imposé à tout le genre".

Peu auparavant, Ephrem avait vu, dans Gn.2, 20, l'indication de la sagesse donnée (par Dieu) à Adam.

Adam, pense Ephrem, est donc un veilleur (qui ignorait jusqu'alors le sommeil), un contemplatif, un prophète, un extatique domina- teur de la Création; toutefois la connaissance qui lui a été accordée comporte des limites:

"La science du visible
Qu'il lui avait donnée
Et qui lui permit seul
De donner nom à Eve et à
"toutes les bêtes,
Dieu ne s'en servit pas
Pour lui révéler les mystères"[38].

Tel est donc pour Ephrem l'énigme à résoudre: qui pourra permet- tre de passer à une lumière plus vive, sinon le Christ et l'Eglise, son Epouse mystique ?

Utilisant la voie typologique, Ephrem va relever deux élévations mystiques pour le couple du Paradis:

"Tout d'abord, Eve née d'Adam sans rencontre charnelle, évoque Joseph[39] et Marie, la vierge son épouse. De plus, la conception de la vierge nous enseigne que Celui qui, sans lien charnel, a mis au monde Adam en le faisant sortir de la terre vierge, a aussi formé sans lien charnel le second Adam dans le sein de la vierge. Le premier Adam était retourné dans le sein de sa mère; par ce second Adam, qui n'y retourna pas, celui qui était enseveli dans le sein de sa mère (c'est-à-dire, Adam enterré) en fut retiré".

A cette premièreapproche typologiqued'Ephrem qui se situe dans la ligne de l'Incarnation, fait suite uneseconde approchedans la ligne de laRédemption:

" Grâce au côté percé par la lance, je suis entré dans le paradis, protégé par la lance. Entrons par le côté transpercé, car c'est à cause de la côte enlevée à l'homme que nous avons été dépouillés de la promesse. Un feu de convoitises brûla en Adam à cause de sa côte; c'est pourquoi le côté du second Adam fut percé et il en sortit un fleuve destiné à éteindre le feu du premier Adam".

- En d'autres termes, le second Adam a donné à Ephrem la science qu'il avait refusée au premier, à savoir la science des mystères invisibles préfigurée visiblement dans le premier chapitre de la Genèse, dont le docteur syrien fait une lecture eschatologique, à la lumière du Nouveau Testament -[40].

Comme on peut aisément le constater dans ces textes d'Ephrem, son exégèse fait référence à l'Ancien Testament pour magnifier le Nouveau. Nous aurons l'occasion d'y revenir à propos de Moïse.

SAINT HILAIRE
Hilaire[41],évêque de Poitiers, adopta quatre axes pour son exégèse;

"la recherche de l'intériorité prophétique (ex: Adam, figure de celui qui devait venir),

l'ordre des faits selon lesquels se déploie leur intelligibilité,

l'approfondissement de l'Evangile à la lumière de l'enseignement de saint Paul,

l'éclairage des faits et gestes du Christ par ses paroles, comme leur lien naturel"[42].

Ces divers objectifs, il les fixa dès ses premiers travaux sur l'évangile de Matthieu, et c'est sans doute là qu'on les retrouve dans leur plénitude. Mais ils inspirèrent toute son exégèse puisque - pour lui comme pour l'ensemble des Pères - c'est tout l'Ancien Testament qui est globalement orienté vers le Christ (oeuvre christologique), et très particulièrement les Psaumes.

Le Traité des Mystères.

Ce traité est un exposé sur le caractère figuratif de l'Ancien Testament où Adam, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Josué sont présentés successivement comme des figures du Christ; avec Lui, comme le dit l'introduction du traité, ils sont intégrés dans la vie de la Sainte Eglise:

" Toute l'œuvre contenue dans les Saints Livres annonce par des paroles, révèle par des faits, établit par des exemplaires l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ...C'est Lui, en effet, qui pendant toute la durée du siècle présent, par des préfigures vraies et manifestes, engendre, lave, sanctifie, choisit sépare ou rachète l'Eglise dans les Patriarches, par le sommeil d'Adam, par le déluge de Noé, par la bénédiction de Melchisédech, par la justification d'Abraham, par la naissance d'Isaac, par la servitude de Jacob."

(Autant d'exemples "d'intériorité prophétique").


Exégèse des textes faite par Hilaire et tendant à prouver qu'Eve est le type[43] de l'Eglise.

Les différents textes en présence:

Epitre aux Ephésiens,5, 31-32: "Voici donc que l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne formeront qu'une seule chair. Ce mystère est de grande portée; je veux dire qu'il s'applique au Christ et à l'Eglise."

Ezéchiel, 37,1-14: (Pendant et après le siège de Jérusalem) "La main de Yahvé fut sur moi, il m'emmena par l'esprit de Yahvé, et il me déposa au milieu de la vallée, une vallée pleine d'ossements. Il me la fit parcourir, parmi eux, en tous sens. Or les ossements étaient très nombreux sur le sol de la vallée, et ils étaient complètement desséchés.Il me dit:- Fils d'homme,ces ossementsvivront- ils ?- Je dis: - Seigneur Yahvé c'est toi qui le sais. - Il me dit: - Prophétise sur ces ossements.Tu leur diras:Ossements desséchés, écoutez la parole de Yahvé. Ainsi parle le Seigneur Yahvé à ces ossements. Voici que je vais faire entrer en vous l'esprit et vous vivrez. Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai pousser sur vous de la chair, je tendrai sur vous de la peau, je vous donnerai un esprit et vous vivrez, et vous saurez que je suis Yahvé -. Je prophétisai comme j'en avais reçu l'ordre. Or, il se fit un bruit au moment où je prophétisais; il y eut un frémissement et les os se rapprochèrent les uns des autres. Je regardai, ils étaient recouverts de nerfs, la chair avait poussé et la peau s'était tendue par-dessus, mais il n'y avait pas d'esprit en eux. Il me dit: - Prophétise à l'esprit, prophétise, fils d'homme. Tu diras à l'esprit: ainsi parle le Seigneur Yahvé. Viens des quatre vents, esprit, souffle sur ces morts et qu'ils vive -. Je prophétisai comme il m'en avait donné l'ordre et l'esprit vint en eux, ils reprirent vie et se mirent debout sur leurs pieds: grande, immense armée. Alors il me dit: - Fils d'homme, ces ossements, c'est toute la maison d'Israël. Les voilà qui disent: - Nos os sont desséchés, notre espérance est détruite, c'en est fait de nous -. C'est pourquoi, prophétise: Tu leur diras:Ainsiparlele SeigneurYahvé.Voici que j'ouvre vostombeaux; je vais vous faire remonter de vos tombeaux, mon peuple et je vous ramènerai sur le sol d'Israël. Vous saurez que je suis Yahvé, lorsque j'ouvrirai vos tombeaux et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, mon peuple. Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez, et je vous installerai sur votre sol, et vous saurez que moi, Yahvé, j'ai parlé et je fais, oracle de Yahvé."

Epitre aux Romains1,4:" établi Fils de Dieu avec puissance selon l'Esprit de sainteté, par sa résurrection des morts".

Genèse, 2,23: "c'est l'os de mes os".

"Dans le cas fondamental de la typologie d'Adam, Hilaire, d'une façon assez surprenante pour nous, accentue l'aspect qu'il revêt pour les temps futurs (aspect eschatologique). Non seulement, comme pour d'autres Pères (notamment pour saint Ambroise qui va suivre), Eve est, à ses yeux, le type de l'Eglise, née du côté du Christ pendant le sommeil de la mort, mais l'évêque de Poitiers voit encore dans la formation d'Eve à partir d'un os d'Adam, l'annonce de la résurrection des corps. Il rapproche en effet du récit de la Genèse la vision du prophète Ezéchiel (37,1-14) sur la réanimation des ossements desséchés. Cette promesse derésurrection, adressée à l'Eglise, est déjà réalisé dans la résurrection de Jésus, le nouvel Adam, l'Adam céleste"[44]:

"Après le sommeil de sa passion, l'Adam céleste, au réveil de sa résurrection, reconnaît[45] dans l'Eglise son os, sa chair, non plus créée du limon et prenant vie par le souffle, mais croissant sur l'os et, faite corps à partir d'un corps, recevant son achèvement sous le vol de l'Esprit[46]. Car ceux qui sont dans le Christ ressusciteront selon le Christ, en qui dès maintenant est consommée la résurrec- tion de toute chair, puisque lui-même naît en notre chair avec la puissancedeDieu,en laquelleson Pèrel'a engendré dansles siècles."

La dernière phrase est à rapprocher du verset 1,4, de l'Epître aux Romains. D'où la conclusion d'Hilaire:

"Le mystère d'Adam et d'Eve est une prophétie concernant le Christ et l'Eglise, tout ce qui est préparé par le Christ à l'Eglise pour la consommation des temps fut déjà accompli au commence-ment du siècle présent, sous la figure d'Adam et Eve".

"Cette lecture spirituelle du texte de la Genèse sur la création d'Eve, a été faite par Hilaire à la lumière de l'épître aux Ephésiens (5,31), et non sans utiliser le chaînon intermédiaire du chapitre 37 du livre d'Ezéchiel. Pour l'évêque de Poitiers, tout comme le premier Adam s'était vu amenée par Dieu l'Eve tirée de son côté, nommée par lui, après son sommeil, "femme" et "Eve (La vivante), mère de tous les vivants", ainsi le nouvel Adam, au réveil de sa résurrection, reconnait-il dans l'Eglise sa propre chair, faite corps à partir de son corps (à la fois historique et eucharistique), venant donc de ses os (Hilaire rapproche Ez.37,11: "ces ossements, c'est toute la maison d'Israël, de Gn. 2,23: "c'est l'os de mes os")"[47].

SAINT AMBROISE.

Ambroise[48], évêque de Milan en 374, s'intéressa principalement à la Genèse (neuf de ses dix sept ouvrages exégétiques lui sont consacrés), du fait que les récits des patriarches lui offraient le premier élément d'un schéma ternaire (avant-pendant-après) qu'il souhaitait développer.Plus théologique qu'exégétique, ce schéma lui permettait de montrer "une certaine antériorité du christianisme par rapport au paganisme et au judaïsme, un protochristianisme de grâce, antérieur à la loi[49], préfiguration de l'ère chrétienne de la grâce.

Dans son exégèse, sans négliger la réalité historique et l'ordre des mots (c'est-à-dire le contexte), il est surtout préoccupé de dépasser les limites étroites de l'espace-temps pour universaliser et spiritualiser"[50]. Cela aboutit, comme on va le voir dans l'exégèse qui va suivre, à une vue progressive qui se déplace dans le temps, à la faveur de textes qu'il prend successivement en compte, et cela à plusieurs années d'intervalle.


Exégèse d'Ambroise tendant à montrer que l'Eglise est le salut d'Eve.

Textes en présence:

Genèse 2,18; 21 et22: "Yahvé dit: -Il n'est pas bon que l'homme soit seul, il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie -.

Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa côte...Puis, de la côte qu'il avait tirée de l'homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l'amena à l'homme".

Genèse 4,1-2: "L'homme connut Eve, sa femme; elle conçut et enfanta Caïn...Elle donna aussi le jour à Abel".

Première Epître à Timothée1,15: "Elle est sûre cette parole et digne d'une entière créance: le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier".

Première Epître à Timothée2, 14-15: "Et ce n'est pas Adam qui se laissa séduire, mais la femme qui, séduite, se rendit coupable de transgression. Néanmoins elle sera sauvée en devenant mère, à condition de persévérer avec modestie dans la foi, la charité, la sainteté".

Au début de sa carrière d'exégète, dans son De Paradiso, vers 377, le rapprochement de ces textes "aboutit à ce commentaire christocentrique avec un prolongement ecclésial explicite":

"Dieu a préféré qu'il y eût une pluralité d'hommes qu'il pût sauver et auxquels il pût pardonner leurs péchés, plutôt qu'un seul Adam libre de péché. Enfin parce que c'est le même qui est l'auteur de ces deux oeuvres[51].Il est venu en ce monde afin de sauver les pécheurs. Il n'a donc pas souffert que Caïn, coupable de fratricide,

périt avant d'engendrer des fils...Eve qui devait engendrer par elle-même la Rédemption...séduite, sera cependant sauvée par la génération des fils, entre lesquels elle a engendré même le Christ".

Peu après, dans le même traité, Ambroise prit en compte ce nouveau texte:

"Voilà donc que l'homme quittera son père et sa mère pour s'at- tacher à sa femme et les deux ne feront qu'une seule chair: ce mystère est de grande portée; je veux dire qu'il s'applique au Christ et à l'Eglise (Epitre aux Ephésiens5,31-32)".

Il compléta alors sa citation en soulignant que "l'Eglise prévaricatrice se sauvera par une génération de fils dans la foi, la charité, la sanctification et la chasteté".

"Paul (et Ambroise à sa suite) voyait le Christ en Adam, l'Eglise en Eve. C'était donc l'Eglise qui, en quelque manière[52], avait péché en Eve. Mais aussi cette Eve-Eglise, se sauvait en engendrant, par Marie, le Christ, - dans la foi, la charité, la chasteté -. Eve avait engendré dans l'incrédulité; son exemple fut suivi en Israël. Ambroise peut donc ajouter tout de suite après le texte cité: - corrompue assurément par les pères, la procréation des hommes est sauvée à travers les fils, pour que ce qui était scandaleux chez les Juifs trouvât sa correction dans la postérité chrétienne -"[53].

Environ vingt ans après, vers 395, après avoir longuement commenté les mots du prologue johannique, "En Lui était la vie...", Ambroise, tout en reconnaissant qu'il s'agissait d'une digression, revint sur ce thème de L'Eglise, salut d'Eve. D'où sa conclusion: "La vie, c'est l'Eglise. Elle a été faite en Lui, dans sa côte; en Lui Eve est ressuscitée. Car Eve est vie. C'est-à-dire: ce qui a été fait vie; parce qu'Eve, qui avait péri, a été sauvée à travers l'Eglise, c'est-à-dire par la génération de ses fils, comme il est écrit, "car une sage héritière a réparé le délit de l'ancienne prévaricatrice"[54].

"De christocentrique, le commentaire est devenu explicitement ecclésiologique. L'Eglise, nouvelle Eve, en réparant la faute d'Eve selon la chair, l'a sauvée. Ambroise a rejoint clairement un thème majeur de la grande tradition ecclésiale depuis la période post-apostolique, au IIème siècle, en s'intégrant dans le courant d'une lecture christo-ecclésiale des premiers chapitres de la Genèse (Adam, Eve, le Paradis)"[55].

Saint Ambroise a concentré ses études évangéliques sur le seul évangile de Luc; il en a fait une "Exposition" dans la droite ligne de la précédente exégèse; nous reproduisons ici l'extrait choisi par le P. Henri de Lubac[56]:


L'Eglise, Eve mystique.

Après la création de l'homme, Moïse (le narrateur de la Genèse) nous apprend que Dieu fit aussi la femme: "Dieu envoya un profond sommeil à Adam, puis il lui prit une côte et reforma la chair à la place, et de la côte, il forma une femme".

Cette façon d'agir de Dieu me force à comprendre ici je ne sais quoi de plus que ce que je lis. L'Apôtre (Paul) vient au secours de ma recherche, et alors que je ne trouvais pas ce que signifie la parole: "os de mes os, et chair de ma chair", ou cette autre: "elle s'appellera femme, parce qu'elle fut prise de l'homme", il me le révèle par l'Esprit divin en disant: "C'est là un grand mystère". Quel mystère ? "Qu'ils seront deux en une chair" et que "l'homme laissera père et mère et adhèrera à son épouse", et encore que nous sommes les membres de son corps, pris de sa chair et de ses os". Quel est cet homme pour lequel la femme quitte ses parents ? Celle qui quitte ses parents, c'est l'Eglise, rassemblée à partir des peuples gentils, l'Eglise à qui il fut dit prophétiquement: "oublie ton peuple, et la maison de ton père" (Ps.45,11). Et à cause de quel homme, sinon celui dont Jean (le Baptiste) disait: "Après moi vient un homme qui fut fait avant moi"?

De son flanc, comme il dormait, Dieu prit une côte: c'est bien lui, en effet, qui dormait, - et qui reposa, et qui ressuscita, car le Seigneur le reçut. Mais quelle est cette côte, sinon sa force, sa vertu ? Lorsque le soldat lui ouvrit le côté il en sortit aussitôt du sang et de l'eau qui coulèrent pour la vie du monde. Cette vertu, cette vie du monde, voilà donc la côte du Christ. Côte du nouvel Adam: car le premier Adam fut fait âme vivante , mais le second est esprit vivifiant. Ce second Adam, c'est le Christ; "la côte du Christ est la vie de l'Eglise"[57]. Nous sommes donc les membres de son corps, formés de sa chair et de ses os. Et peut-être est-ce de cette côte dont il disait un jour: "je sens qu'une vertu est sortie de moi". Telle est la côte qui est sortie du Christ, sans mutilation de son corps: car elle n'est pas corporelle mais spirituelle, or l'Esprit ne se divise pas de lui-même, mais il se distribue à chacun selon qu'il le veut. Telle est l'Eve mère de tous les vivants. Cette mère des vivants, c'est donc l'Eglise. Dieu l'a construite sur la suprême Pierre d'angle, le Christ Jésus, sur lequel tout l'édifice s'élève, fortement joint pour former le Temple de Dieu.

Que vienne donc! qu'il forme cette femme, cette aide pour Adam, - pour le Christ. Non que le Christ ait besoin d'une aide pour lui-même, mais parce que nous, nous aspirons et nous cherchons à parvenir, par l'Eglise, à la grâce du Christ. C'est maintenant que ce Temple se construit, maintenant que cette femme est formée. Celle qui jadis était figurée, elle est créée maintenant. Et c'est pourquoi l'Eglise use d'un mot nouveau: nous sommes "surédifiés, dit Paul, sur le fondement des apôtres et des prophètes". Maintenant la demeure spirituelle s'élève en un sacerdoce saint.- Viens, Seigneur Dieu ! Forme cette femme; construis cette cité ! Que vienne ton enfant ! Car je crois à ta parole: "C'est lui qui me construira ma cité".

Voici la femme mère de tous, voici la maison spirituelle, voici la cité qui vivra pour l'éternité, car elle ne connaît pas la mort. Elle-même elle est cette Jérusalem, qu'on voit maintenant sur terre, mais qui sera ravie au-dessus d'Elie, transportée au-dessus d'Hénoch. Celui-ci fut enlevé (Gn. 5,24), de peur que son cœur ne fût changé par la malice; mais celle-là est aimée par le Christ comme son épouse glorieuse, sainte, immaculée, sans ride. Et combien mieux que ne le fut un seul homme, le corps entier ne sera-t-il pas ravi ? Tel est l'espoir de l'Eglise. Oui, elle sera ravie, elle sera prise, transportée dans le ciel. Elie fut emporté sur un char de feu: l'Eglise aussi sera emportée. Tu ne m'en crois pas ? Crois du moins Paul, en qui le Christ a dit: "Nous serons emportés sur les nuées à la rencontre du Christ" (Exposition de l'Evangile selon saint Luc, I,2, n.85-89).

"Comme on le voit, le récit lucanien - ici comme en d'autres cas - devient pour le Milanais l'occasion de s'élever à une vue générale des relations entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance dans l'économie du salut, vue qui rejoint assurément l'intention profonde de Luc, disciple de Paul"[58].

SAINT GREGOIRE DE NYSSE.

Grégoire de Nysse[59], contemporain d'Ambroise exerça ses activités en Cappadoce, à l'autre extrémité de la Méditerranée. Tout comme le Milanais, il fut aux prises avec l'arianisme, hérésie dont on dira un mot in fine. Ses travaux scripturaires ont fait de lui le théoricien de l'ordonnancement[60] biblique représenté par la triple clef de la lecture de l'Ecriture: Skopos (but), Theôria (sens caché), Akolouthia (ordonnancement). Bien que nous ne présentions pas dès maintenant une exégèse proprement dite,nous croyons utile de donner quelques précisions sur la démarche de Grégoire. L'analyse d'un extrait d'une de ses oeuvres, proposé ci-après, s'en trouvera facilitée.

"Le but (skopos) de Grégoire, en son exégèse, se présente ainsi: face aux objections, face surtout aux contradictions apparentes, dans le texte biblique même, entre la grandeur passée et la misère présente de l'homme, ,

Ordonnancement,harmonie, ajustement,tout celaexiste dans l'histoire de l'homme voulue par Dieu, tout cela est présent obscurémentdans les Ecritures; c'estcet ordonnancement(cette akolouthia) que l'exégèse tente de restituer; c'est ainsi que Grégoire veut répondre de manière unitaire aux contradictions isolées.

Un pareil principe exégétique n'est pas extérieur au texte biblique lui-même ensa finalité.Aux yeux de l'évêque de Nysse, il correspond au but de l'auteur sacré[61].Mieux encore pour lui, le but (skopos) del'auteur humain est conjoint à celui de l'Auteur divin"[62]. (C'est ainsi que sous l'action de l'Esprit, le chrétien reçoit aujourd'hui, à travers l'Ecriture, le Verbe envoyé par le Père).

"L'akolouthia, chez Grégoire, décrit un processus de croissance, expression d'une force immanente et transcendante à la fois; elle souligne la liaison organique des faits révélés pour y montrer, non pas un ensemble de nécessités internes, mais l'action d'une libre causalité divine; en réduisant aux principes suprêmes, elle ne néglige pas les faits. Le sens complexe de l'akolouthia de Grégoire de Nysse nous est donné d'une façon synthétique par le cardinal Daniélou: - Le mot désigne à la fois la suite matérielle du texte de la Bible, la liaison nécessaire des réalités de l'histoire du salut et la correspondance analogique qui existe entre les deux plans -[63]. L'entreprise de cet exégète nous montre déjà à l'œuvre au IVème siècle un effort méthodique en vue de découvrir les articulations qui constituent l'akolouthia du dessein divin du salut"[64].

"Si le but de l'exégèse est, pour Grégoire de découvrir ces articu- lations, quel est le moyen pour parvenir à cette fin ? Essentiel- lement la theôria, c'est-à-dire le sens caché concernant les réalités spirituelles, découvertes derrière la lettre de l'Ecriture"[65].

Le Père des Pères donne à ce mot bien d'autres acceptions[66], de sorte qu'en matière d'exégèse, il est impossible d'identifier chez lui la theôria purement et simplement avec le sens spirituel ou typolo- gique.Elle est saisie du sens des évènements,au-delà d'une simple constatation des faits. Quoi qu'il en soit, dès qu'il y a interpréta- tion, il y a theôria.

"Chez l'évêque de Nysse en tant qu'il est exégète, la theôria n'a pas d'abord un sens contemplatif, car - ses ascensions ne donnent pas à l'âme la vision[67] et la saisie immédiate de la réalité -, même si elle progresse dans la vision de l'invisible. Elle n'a pas non plus un sens d'abord philosophique, comme discernement des natures constitutives de l'être créé. La theôria exégétique de Grégoire nous introduit plutôt à l'une de ses intuitions fondamentales: celle de l'historicité de l'être créé et de son déploiement par Dieu dans une histoire ordonnée (dans une akolouthia). A la différence de Dieu, l'Ecriture n'est pas au-delà de la theôria. C'est sans doute cette liaison de la theôria exégétique avec la contingence de l'être créé qui permet de comprendre, comme il l'indique lui-même, en quoi son exégèse - loin d'être magistrale, puisse être un exercice s'appuyant sur des conjectures -[68]".

Le texte qui suit[69] relève de son exégèse littérale sur la création de l'homme;il constitue une bonne illustration des précisions qui vien- nent d'être apportées.


De la double nature de l'homme.

..."Dans le Christ Jésus, dit l'Apôtre (Paul), il n'y a ni homme ni femme." Pourtant, l'Ecriture affirme que l'homme fut ainsi divisé. Il faut donc que la création de notre nature ait été double: l'une, à la ressemblance de Dieu; l'autre comportant cette différenciation des sexes. C'est ce que semble indiquer le texte sacré, si on considère l'ordre des mots. Car il dit d'abord: "Dieu fit l'homme, il le fit à son image"; puis il ajoute : "Il les fit mâle et femelle", ce qui ne peut se rapporter à quelque objet semblable à Dieu.L'Ecriture nous livre par là, je le crois, un haut et sublime enseignement, que voici.

L'homme forme le milieu entre les deux extrêmes: la nature de Dieu, toute spirituelle, et celle de la bête sans raison. Il est facile dereconnaître dans le composé humainla part de chacunde cesdeux éléments. Car de la nature divine l'homme tient la raison et l'intelligence qui ne connaissent pas de sexe; de la nature irrationnelle il reçoit son corps, divisé en deux sexes. L'un et l'autre éléments se trouvent absolumenten toutindividu qui participe de la vie humaine. Mais l'ordre suivi par le narrateur nous apprend que l'élément intellectuel est premier, et que la communion et la parenté avec l'élément irrationnel furent surajoutées à l'homme. Moïse (le narra teur de la Genèse), en effet, dit d'abord que "Dieu créa l'homme à son image", montrant par là - comme dit aussi l'Apôtre -, que dans un tel être il n'y a pas mâle et femelle. Qu'apprenons-nous donc ainsi ?Je demandeque personne ne s'irrite contre moi,si jeremonte un peu haut pour éclairer mon sujet.

Dieu, par nature, est toute bonté. Il est toute bonté concevable, ouplutôt il dépasse toutebonté qu'onpeut concevoir etcomprendre. Il ne crée donc pas la vie humaine pour un autre motif que parce qu'il est bon. Etant tel, et ayant entrepris pour cela même la formation de la nature humaine, il ne voulut pas manifester à demi la force de sa bonté, donnant à l'homme une partie de ses biens, luirefusant jalousementla communicationdes autres.Mais laperfection de la bonté apparaît en lui, du fait qu'il suscite l'homme du néant à l'être et qu'il le comble de tout bien. Or, la liste de ces biens est si longue, qu'il n'est pas possible de les énumérer. C'est pourquoi tous sont contenus en abrégé dans sa parole sur l'homme fait "à l'image de Dieu". Car c'est comme s'il était dit que Dieu fit la nature humaine participante de tout bien...

Or, parmi tous ces biens, il y a le fait d'être affranchi de la nécessité et de n'être pas soumis à la domination de la Nature, mais de pouvoir se déterminer librement d'après son jugement. Car la vertu est chose indépendante et maîtresse d'elle-même...Mais si l'image était toute pareille à la beauté de son Modèle, elle ne serait plus son image mais se confondrait avec lui. Quelle différence apercevons-nous donc entre le Divin et ce qui lui ressemble ? Celle-ci: que le Divin est incréé, tandis que l'homme existe par création. Et cette différence en entraîne plusieurs autres. Il est en effet reconnu par tous que la Nature incréée est immuable, qu'elle reste toujours la même, tandis qu'il est impossible que la créature demeure sans changement. Car le passage du non-être à l'être est déjà un mouvement, par lequel ce qui n'était pas devient, du fait de la volonté divine...Aussi l'être qui a commencé par un changement conserve-t-il une affinité avec le changement...C'est pour- quoi Celui qui, selon le mot de l'Ecriture, voit toutes choses avant leur naissance, ayant examiné ou plutôt vu d'avance par la force de sa connaissance anticipatrice de quel côté le mouvement du choix libre et indépendant de l'homme inclinerait, dès qu'il vit ce qu'il en serait, surajouta à l'image la division en mâle et femelle: division qui n'a aucun rapport à L'Archétype divin, maisqui, comme il a été dit, s'apparente à la créature irrationnelle.

La cause de cette division des sexes, seuls peuvent la connaître à fond ceux qui ont contemplé la vérité et nous ont transmis la Parole. Quant à nous, cherchant la vérité selon nos moyens par conjectures et par images, nous exposerons ce qui nous est venu à l'esprit, sans l'affirmer absolument, mais par manière d'exercice, en le soumettant à la bienveillance denos auditeurs. Qu'avons-nous donc "excogité" à ce sujet ?

La parole disant que Dieu a fait l'homme désigne, par l'indétermination de ce mot, toute la nature humaine. Car le nom d'Adam[70] n'est pas donné maintenant à l'objet créé, comme dans les récits qui suivent. Mais l'homme créé n'a pas un nom particulier, il est l'homme universel. Donc, par cette désignation universelle de la nature, nous sommes invités à comprendre que la Providence et la Puissance divines embrassent tout le genre humaindans lapremière création. Car il ne faut rien attribuer à Dieu d'indéterminé dans la formation des êtres, mais chaque être reçoit limite et mesure constituées par la Sagesse du Créateur. De même donc qu'un homme individuel est limité par ses dimensions corporelles, et qu'on peut mesurer la quantité de substance contenue dans la forme extérieure de son corps, ainsi, me semble-t-il, tout le plérôme de l'humanité a été enfermé comme en un seul corps par la Puissance prévoyante qui est dans le Dieu de l'univers, et c'est ce que nous enseigne la parole disant que Dieu fit l'homme à son image, et qu'il le fit à l'image de Dieu. Car l'image n'est pas dans une partie de la nature, ni la grâce dans un individu parmi ceux qu'il regarde, mais c'est sur la race tout entière que cette vertu s'étend. Nous en avons encore un indice dans ce fait que l'esprit habite pareillement en tous: tous ont la faculté de penser, de prévoir, et toutes les autres prérogatives par lesquelles la Nature divine est réfléchie dans son image. Point de différence à cet égard entre l'homme formé lorsde la première création du monde et celui qui viendra lors de la fin de l'univers: ils portent également sur eux-mêmes l'image divine.C'est pourquoitout l'ensemblefut nommé un seul homme, puisque pour la Puissance divine rien n'est ni passé ni futur, mais ce que nous attendons est embrassé avec le présent dans la Puissance qui contient tout.

Donc toute la nature humaine des premiers hommes auxderniers est une seule image de l'Etre. Quant à la division du genre en mâle et femelle, elle fut ajoutée, me semble-t-il, pour la raison que j'ai dite..."(Sur la formation de l'homme, ch.16).

Suivent à présent les indications annoncées sur l'arianisme:

Arius (v.256- 336), ordonné prêtre à Alexandrie fut chargé, selon Théodoret "d'expliquer les Ecritures divines". Il interpréta les assertions bibliques touchant l'unicité de Dieu, son éternelle immutabilité, son indivisibilité et son incompréhensibilité comme des attributs réservés au Père (Monade supérieure), opposés aux propriétés du Fils. Partant de là, il voulut expliquer les Ecritures et notamment les relations entre Père, Fils et Esprit, en dehors de la tradition de l'Eglise et même contre elle; pour montrer que le Fils ne pouvait être le seul Dieu véritable, il soutint qu'Il avait été créé par le Père, et par là-même devenu inférieur à Lui.

A cette fin, l'exégèse arienne utilisait trois groupes de versets bibliques:

- Proverbes 8,22: "Yahvé m'a donné l'être comme prémices de ses voies" (ce qui revient, dit A. Robert, à nous présenter la Sagesse "sous la figure d'un premier-né, produit le plus exquis de la vie de Dieu").

- Joël 2,27 (a) et le Psaume 103,21 (b), interprétés à la lumière de la première épitre aux Corinthiens 1,24 (c), comme signifiant que le Christ est une des puissances créées:

(a) "Et vous saurez que je suis au milieu d'Israël, moi, que je suis Yahvé, votre Dieu et sans égal !"

(b) "BénissezYahvé,toussesanges,héros puissants,qui accomplis- sez sa parole, attentifs au son de sa parole".

(c) "Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs sont en quête de sagesse, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, c'est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu".

- enfin et surtout, ils voyaient dans l'Evangile de Jean (14,28),"le Père est plus grand que moi", la preuve décisive de l'infériorité du Fils par rapport au Père.

Après Arius, cette hérésie se développa tant en Orient qu'en Occident; nous verrons les instants décisifs de sa condamnation par l'Eglise, sous l'impulsion d'Athanase.

SAINT GREGOIRE LE GRAND.

Dès le début de son pontificat, Grégoire[71] adressa au métropolite Jean de Ravenne (qu'il avait rappelé au respect des usages liturgiques), le Liber regulae pastoralis (Règle pastorale), qui traitait en quatre livres de "l'art des arts" qu'est le"gouvernement des âmes",

de la prédication, de la vie spirituelle du pasteur. Il écrivit à la suite, en quatre livres, lesDialogues,qui connurent un grand succès; le Livre II, consacré à saint Benoît, constitue la principale source que l'on ait sur celui-ci. Dans ses prédications, il commenta notamment le livre D'Ezéchiel et le premier livre des Rois. La dévotion chrétienne du Moyen-Age en tirera le plus grand profit. "En matière d'exégèse, sans jamais négliger le sens littéral de l'Ecriture (littera, historia), il le dépassa souvent pour s'élever à l'allégorie[72] (allegoria, mysteria: l'Ancien Testament est figure du Nouveau), et il s'arrêta de préférenceaux aspects moraux(tropo- logiques). Parune oeuvre qui est plus une catéchèse biblique qu' une construction scientifique, il a tracé les lignes essentielles de la théologie morale classique"[73].

Comme on le voit,ces principes exégétiques ne s'écartent guèrede ceux des Pères antérieurs de l'Orient et de l'Occident, mais c'est l'enchaînement très affermi des trois sens, littéral- allégorique - moral, qui permet de tirer du texte biblique un enseignement spirituel fortement nourri de doctrine. Ainsi positionnés, le sens littéral (historique) et le sens allégorique relatif au sens chrétien, sont évoqués comme les conditions d'accès au sens moral[74].

Dans le contexte agnostique de notre époque, cette façon d'enraciner le sens moral dans le mystère révélé du Christ (dans l'allégorie), confirme à notre raison la parole d'un Dieu libre et transcendant à l'exercice de notre liberté; car cette liberté se sait obligée par le Révélateur à l'acquisition de valeurs permanentes toutes polarisées par l'amour, par la charité[75]. Grégoire l'exprime en un raccourci saisissant: "Dieu nous parle par toute l'Ecriture seulement pour nous attirer à son amour et à celui du prochain", en d'autres termes, la Révélation du Mystère, dans l'allégorie, est ordonnée à l'exercice de l'amour, et ce par quoi Dieu atteint son but: "L'Esprit de Dieu a voulu écrire les deux Testaments pour nous libérer de la mort de l'âme", ce qui est seulement possible dans le don de la charité, grâce à "l'œil de l'amour".

Mais pour Grégoire, la charité n'est pas seulement le but de l'Ecriture, c'est encore le moyen de son intelligence; elle conduit à rechercher l'intériorité prophétique (Hilaire l'avait déjà indiquée comme axe de son exégèse), de sorte qu'en définitive, "l'exégèse de l'Ecriture présente pour lui une double intériorité: d'abord parce qu'elle exige l'intervention de la foi (forme de connaissance apte à dépasser le sensible) et ensuite, parce qu'elle se rapporte à quelque chose d'intérieur, à une réalité qui comporte toujours, outre la donnée du fait, un dedans".

"Comprendre la Parole de Dieu (selon Grégoire), c'est chercher le sens spirituel des mots dans lesquels elle s'exprime et vouloir atteindre, par delà les mots extérieurs, les réalités intérieures qui s'y révèlent...Le principe d'intériorité définit une méthode qui correspond à une conception d'ensemble du mystère chrétien: car ce mystère ne se dévoile qu'au prix d'une ascèse de la connaissance, parce qu'il coïncide avec la réalité même de Dieu, qui est profondément cachée"[76].S'appuyant sur MoraliainJob de Grégoire, R. Bélanger a situé pour nous l'exégèse du saint pontife, à l'intérieur d'une théologie - paulinienne - des deux Adams:

- Exclu par sa faute du monde intérieur de Dieu, l'homme déchu n'a même pas su se maintenir dans son propre monde intérieur: "chassé de la demeure de son cœur, il a perdu le site de son âme pour se répandre au-dehors" et se retrouver finalement "plus bas que lui-même" et toujours "plus loin de lui-même". La première conséquence de la chute se présente donc pour Grégoire comme un déséquilibre profond qui arrache l'homme à l'intériorité divine et à sa propre intériorité pour le précipiter dans la plus complète extériorité. Dans cette condition la vie présente est devenue pour l'homme un lieu d'exil et d'aliénation.

L'homme a abandonné les réalités invisibles à cause des réalités visibles: il convient donc que ce soit ces mêmes réalités visibles perversa dans leur extériorité mais conversa dans l'intériorité de la foi, qui le mènent aux réalités invisibles et à Dieu...La "lettre tue" car elle maintient la pensée humaine dans un langage d'exil et elle n'est autre chose que le langage proféré de l'extériorité dans laquelle la faute a entraîné la descendance d'Adam. Mais l'Ecriture est aussi cet "esprit" recouvert de l'écorce de la lettre.-

"Précisons.L'homme déchu etextériorisé reçoit de Dieu un remède extérieur destiné à le ramener à sa propre intériorité: l'Ecriture, présupposition (A.T) et prolongement (N.T) de l'Incarnation. Mais ce remède ne peut ramener l'homme à sa propre intériorité que si le lecteur dépasse l'extériorité de la lettre biblique pour atteindre à sa moelle intérieure (selon le mot de Tertullien), qui est précisé- ment le Christ Dieu et homme, l'hérétique devant se contenter, lui, de l'écorce des choses extérieures. Pour Grégoire, l'Ecriture lue en Esprit, comprise et suivie en son sens moral, est un élément du dessein de salut du Père et du Fils. Par sa dimension intérieure, elle aide l'homme extériorisé à retourner à sa conscience, où il redécouvre l'intériorité transcendante de Dieu. Celle-ci n'est pas seulement à venir, elle est déjà présente, même agissante"[77].


CHAPITRE II


LE DELUGE

Voyant l'immense méchanceté del'hommesurlaterre, Yahvé voulut l'exterminer, mais Noé avait trouvé grâce à ses yeux.

Paragraphes d'appui du Livre de la Genèse:
La corruption de l'humanité.
(Gn.6,1-18).
Les préparatifs du déluge.

(Gn.6,13-22); (Gn.7,1-16).

L'inondation.
(Gn.7,17-24).
La décrue.
(Gn.8,1-14).
La sortie de l'arche.
(Gn.8,15-22).
Le nouvel ordre du monde.
(Gn.9,1-17).

EXEGESE PATRISTIQUE.

SAINT JUSTIN.

Converti par le témoignage des prophètes juifs que lui présentait un vieillard chrétien,Justin[78], après s'être imprégné de l'Ancien Testament vouluts'aider dutémoignage convergent de ces "hommes qui parlent sans crainte et sans désir de gloire humaine" pour amener à Jésus, non seulement le rabbin Tryphon, mais encore tous ses lecteurs juifs et païens.

Suivant de peu la diffusion du Nouveau Testament, son exégèse se situe en fait dans le contexte de l'un des tout premiers dialogues, entre un juif et un chrétien, auquel nous ayons accès.

"Elle manifeste son charisme d'interprète de l'Ancien Testament et les soins qu'il mit à recueillir les fruits de l'exégèse judéo-chrétienne, l'ouverture qu'il maintint face à son interlocuteur comme face aux païens; dans la réalité culturelle du monde, il ne cessa de voir les rayons du Logos[79] qui illuminenttout homme"[80].

L'intérêt pour la relation entre l'Ancien Testament et le Nouveau ne s'étant jamais démenti chez les exégètes et les théologiens chrétiens au sein de diverses confessions[81], les vues de Justin, dans le contexte très particulier de l'Eglise naissante ont toujours été considérées avec le plus grand intérêt.

Chez lui, le domaine des figures déterminées (tupoï) est limité à un certain nombre d'épisodes et d'institutions que déjà la tradition antérieure interprétait comme ayant une relation avec le Nouveau Testament. Ainsi en est-il, entre autres, de l'Arbre de Vie où Justin vit une figure du Christ, de la tentation d'Adam par le serpent qui figure celle du Christ par Satan.

Son attention a été plus longuement attirée par le déluge qui, pour lui, est figure du Christ qui advient, tant par son Incarnation (historiquement) que comme Juge final (eschatologiquement).

Exégèse de Justin tendant à montrer que le déluge est figure, tout à la fois, du Jugement dernier et du nouveau déluge survenu avec le Christ, nouveau Noé.

Textes en présence:

Evangile selon Saint Matthieu 24,37:- Comme les jours de Noé, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme.-

Deuxième Epître de Saint-Pierre 3,8-10:- (8) Mais voici un point, très chers,que vous ne devez pas ignorer:c'est quedevantle Seigneur, un jour c'est comme mille ans et mille ans comme un jour.(9) Le Seigneur ne retarde pas l'accomplissement de ce qu'il a promis, comme certains l'accusent de retard,maisil use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir. (10) Il viendra, le Jour du Seigneur, comme un voleur; en ce jour, les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, la terre avec les oeuvres qu'elle renferme sera consumée.-

Première Epître de Saint-Pierre 3,18-21:- (18) Le Christ lui-même est mort une fois pour les péchés, juste pour des injustes afin de nous mener à Dieu. Mis à mort selon la chair, il a été vivifié par l'esprit. (19) C'est en lui qu'il s'en alla même prêcher aux esprits en prison, (20) à ceux qui jadis avaient refusé de croire lorsque se prolongeait la patience de Dieu, aux jours où Noé construisait l'Arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes furent sauvées à travers l'eau[82].(21) Ce qui correspond c'est le baptême qui vous sauve à présent et qui n'est pas l'enlèvement d'une souillure charnelle, mais l'engagement à Dieu d'une bonne conscience pour la résurrection de Jésus-Christ.-

En présentant le déluge comme figure du Jugement final, Justin transporte l'Ancien dans le Nouveau Testament (cf. Matthieu 24,37 et 2P, 3,10). D'où la manière synthétique dont il s'exprime:

"Si Dieu regarde la catastrophe qui doit bouleverser l'univers et faire disparaître les mauvais anges, les démons et les pécheurs, c'est à cause de la race des chrétiens. Sans cela, le feu du jugement descendrait pour produire la destruction universelle, comme autrefois le déluge".

Le thème se trouve ainsi lié à la patience de Dieu qui veut la conversion du plus grand nombre.

Dans un second texte, la typologie du "nouveau Noé" trouve une expression encore plus spécifiquement chrétienne:

"Au déluge s'opéra le mystère du salut du monde. Le juste Noé, avec les autres hommes du déluge, c'est-à-dire sa femme ses trois fils et les femmes de ses fils, formaient le nombre huit et offraient le symbole du huitième jour[83] auquel notre Christ est ressuscité des morts et qui se trouve implicitement toujours le premier. Or, le Christ, premier-né de toute création est devenu en un nouveau sens le chef d'une autre race qui a été régénérée par lui, par l'eau, la foi et le bois qui contenaient le mystère de la croix, de même que Noé

fut sauvé par le bois de l'arche portée par les eaux du déluge...Et j'entends ici que ceux qui sont préparés par l'eau, la foi et le bois, échappent au jugement de Dieu qui doit venir"[84].

Le P. Daniélou a trouvé dans ce texte un exemple caractéristique qui permet de distinguer les différents niveaux de l'exégèse typologique:

A la base, il y a le canevas biblique du déluge: le monde est sous le péché; le châtiment de Dieu frappe le monde pécheur; un petit reste est épargné pour être le principe d'une humanité nouvelle.

Justin nous montre la réalisation de ce canevas sur trois plans:

. Le Christ d'abord, qui s'étant fait solidaire du monde pécheur, porte avec lui le châtiment du péché, mais est épargné dans le mystère de sa résurrection, pour être le principe d'une humanité nouvelle.

. Le Jugement eschatologique, ensuite, où seuls les "bénis du Père" le verront face à face.

. Le baptême, enfin, qui est une imitation sacramentelle du juge- ment. En lui, l'homme pécheur est anéanti, l'homme nouveau créé, de sorte que celui qui le reçoit peut accéder à la grâce.

L'exégèse typologique de Justin prolonge ainsi et détaille celle que le Nouveau Testament avait inaugurée avec le baptême chrétien; Saint Pierre, en effet, en 3,21 de sa Première Epitre, avait déjà souligné la correspondance entre le baptême et le déluge.

SAINT BEDE LE VENERABLE.

Avec Bèdele Vénérable[85],le sujet du "déluge" nous fait franchir allègrement sixsiècles au cours desquels l'Eglise s'est affermie face aux multiples hérésies qui ontmarqué sescommencements. Oblatdès l'âgede septans au monastèrede Jarrow, en Northumbrie, diacre à dix neuf ans, prêtre à trente ans, Bède a décrit lui-même l'objet de ses préoccupations: "Depuis mon ordination sacerdotale jusqu'à l'âge de cinquante huit ans, j'ai été engagé, à la satis- faction de mes propres nécessités et celles de mes frères, dans la reproduction, sous une forme brève des commentaires sur les Ecritures saintes tirées des oeuvres des vénérables Pères", tout en voulant "surajouter (ma contribution) à la formule de leurs interprétations".

En fait, Bède est le premier auteur à nous offrir pour ainsi dire un tableau développé du quadruple sens.Il y a en tout premier un sens littéral[86] (ou historique), auquel font suite un sens allégorique, un sens tropologique, et enfin un sens anagogique.Les trois derniers, chacun d'eux ou assemblés, confèrent au texte le sens spirituel .

Le sens allégorique, préfiguratif, est propre aux dires de l'Ancien Testament, en tant qu'ils trouveront leur accomplissement par la Nouvelle Alliance[87]. Le sens tropologique développe des considé- rations morales, tandis que le sens anagogique concerne tout ce qui appartient au Royaume de Dieu dans le ciel.

Bède a appliqué d'une façon circonstanciée le principe du quadruple sens en ses commentaires bibliques, donnant un relief particulier à son exégèse anagogique, "soit au sens étroit d'une mise en relief des implications eschatologiques d'un texte, soit au sens plus large d'une interprétation aidant le lecteur à s'orienter- dans la crainte, le désir et l'amour -non pas vers les ténèbres éternelles de l'enfer, mais vers la béatitude inamissible du Royaume"[88].


Exégèse de Bède tendant à montrer qu'aux joursde Noé,l'actionde l'Esprit-Saint s'est opérée sur les incrédules par le Verbe-Fils, à travers la conduite exemplaire des justes, dans l'effective patience-miséricorde de Dieu.

Bien qu'il s'agisse de l'exégèse d'un texte du Nouveau Testament, celle de la Ière Epître de Pierre (3,18-20), la présence morale du Ressuscité associée à sa "visite" de Verbe (uni au Père et à l'Esprit) auprès des incrédules, aux jours de Noé, justifie pleine- ment sa prise en considération dans ce chapitre.

La précédente exégèse, celle de Justin, était en quelque sorte un transport de l'Ancien Testament dans le Nouveau; celle-ci s'inscrit "historiquement" dansun mouvement contraire. Cette possibilité d'une double orientation montre assez bien que la Bible constitue un bloc cohérent.

Textes en présence:
Première Epître de Saint Pierre 3,18-20:

(18) Le Christ lui-même est mort une fois pour les péchés, juste pour des injustes afin de nous mener à Dieu. Mis à mort selon la chair, il a été vivifié par l'esprit.(19) C'est en lui qu'il s'en alla même prêcher aux esprits en prison,(20) à ceux qui jadis avaient refusé de croire lorsque se prolongeait la patience de Dieu, aux jours où Noé construisait l'Arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes furent sauvées à travers l'eau[89].

Deuxième Epître de Saint Pierre 2,5,9:

(5) S'il n'a pas épargné l'ancien monde tout en préservant huit personnes dont Noé, héraut de justice, tandis qu'il amenait le Déluge sur un monde d'impies;

(9) c'est que le Seigneur sait délivrer de l'épreuve les hommes pieux, et garder les hommes impies pour les châtier au jour du Jugement.

Epître aux Colossiens,1, 15-17:
(15 Il est l'Image du Dieu invisible

Premier-Né de toute créature,

(16)car c'est en lui qu'ont été créées toutes choses,

dans les cieux et sur la terre,

les visibles et les invisibles,

Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances,

tout a été créé par lui et pour lui.

(17) Il est avant toutes choses et tout subsiste en Lui.

Dans son commentaire de la Première Epître de Pierre (3,18-20), Bède établit un premier plaidoyer pour la mortification de la chair au profit de la vivification de l'esprit; rendues agréables au Fils, elles sont portées, par Lui, en offrande à son Père:

"(Pierre)commémore le Christ mort une seule fois pour nous remet- tre en mémoire aussi ce fait: pour nos souffrances temporaires nous est rendue une récompense éternelle[90]...Par cette mortification de la chair et vivification de l'esprit qu'éprouvent aussi ceux qui travaillent patiemment pour le Seigneur, < si notre homme extérieur se détruit, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour[91]>. Le Christ nous offre donc à Dieu le Père, quand nous nous réjouissons d'être immolés pour Lui par la mortification de la chair, c'est-à-dire: Il montre notre vie, louable, au regard du Père. Ou, du moins, il nous offre à Dieu quand, séparés de la chair, Il nous introduit dans son Royaume éternel."

Puis, voyant dans la "vivification" de l'esprit, non pas une oeuvre humaine mais celle de la grâce de l'Esprit-Saint, Bède redécouvre celui-ciétonnamment actifdans le Verbe évangélisant les incrédules avant le Déluge:

"Celui qui, venant de la chair en notre temps, a prêché au monde le chemin de la vie, a prêché lui-même avant le Déluge à ceux qui étaient alors incrédules et vivaient charnellement, en venant à eux par son Esprit. Lui-même, en effet, était en Noé et dans les autres saints de ce temps par son Esprit-Saint et prêchait aux hommes mauvais de cette époque à travers leur bonne conduite pour les convertir à une vie meilleure"[92].

Bède, dans ce passage, se plait à souligner le rôle salvifique des instruments humains du Verbe sauveur (les justes et les saints), agissant par son Esprit éternel.

Quant à la patience de Dieu (1P 3,20), manifestée aux jours de Noé lorsqu'il construisait l'Arche, le docteur anglais la voit se prolonger hors du temps, à travers l'Eglise figurée par cette arche (2 P 2,9).Cette patience, d'ailleurs, selon Bède, constituait en elle-même la prédicationdu Verbe[93] aux incrédules,sans qu'il mît aucunement en doute l'illumination intime qui leur était concédée par le même Verbe, pour les amenerà reconnaître cette patience transcendante.

"Ces points de vue défendus par la primitive théologie judéo-chrétienne, semblent avoir tracé directement jusqu'à Bède; en effet cette théologie admettait (sous l'influence d'Hénoch et du livre des Jubilés) que des retards aient pu être mis au châtiment par la patience miséricordieuse de Dieu, et qu'il y ait eu de la part de Noé une prédication pressante mais bien peu entendue. Ces deux éléments, non formellement indiqués dans l'Ancien Testament, se retrouvent dans la littérature chrétienne primitive.

Pour Bède, Noé était donc un prédicateur inséparablement éloquent et silencieux de la justice (cf2 P2,5) et surtout de la patience miséricordieuse de Dieu"[94].

Par lui parlait le Verbe de Dieu:

"mis à mort selon la chair, mais ressuscité à la vie selon l'Esprit.

Dans cet Esprit, il est allé faire proclamation aux esprits en prison, à ceux-là qui furent rebelles jadis lorsque la longanimité de Dieu temporisait aux jours de Noé"(cf.1 P 3,18-20)[95].

Aux yeux de Bède,la prison en question était la chair corruptible[96]; le Verbe préexistant - selon lui- désirait "les offrir à Dieu, s'ils avaient bien voulu croire à la prédication que le Seigneur leur offrait par la vie des fidèles", et même "il se réjouissait de les offrir à Dieu son Père".

Bède nous offre une seconde possibilité d'appréhender son interprétation de ces versets mystérieux. Commentant le Prologue de l'Evangile de Saint Jean, il lui apparut que la génération rebelle des jours de Noé ne pouvait pas ne pas être un cas particulier de cette humanité qui n'a pas reconnu ni compris la Lumière du Verbe lui- sant dans ses ténèbres,

Inversement, pour Bède commentateur du Prologue, le fut de la manière suivante:

"Tout ce qui est apparu dans le temps, soit vivant soit dépourvu de vie, tout cela a vécu et vit dans la Pensée spirituelle de Celui qui l'a fait. Non parce que la créature serait coéternelle au Créateur, mais parce que lui est coéternelle cette Pensée de sa Volonté, dans laquelle il possède éternellement ce qu'il crée et le gouverne pour qu'il demeure".

"Cette lieu son Christ et le reste de l'univers en fonction de Lui (cf. Epître aux Colossiens, 15-17).

En d'autres termes, à la lumière du Prologue de Jean, Bède perçoit la préexistence idéale du Christ dans la personne du Verbe éternel. Du même coup devient plus facilementcompréhensible, à ses yeux, l'activité évangélisatrice de ce Verbe éternel aux jours de Noé. En demandantla pénitence à travers les exemples du patient constructeur de l'arche du salut, le Verbe préparait et annonçait en quelque manière le sacrifice postérieur du Fils de l'Homme, méritoire de cette pénitence; il répondait à l'avance à sa prière future de Nouvel Adam ressuscité d'entre les morts.

En somme,si Bèdecommentateur desépîtres pétrinienness'intéresse tellement à Noé, c'est pace qu'il veut souligner - comme Pierre, notre premier Pape - la patience miséricordieuse avec laquelle le Dieu Sauveur convie les hommes de tous les temps à laconversion et à une active participation à la volonté salvifique de leur Créateur à leur égard. Noé, constructeur de l'arche évoque à ses yeux la patience avec laquelle le Christ édifie son Eglise, la véritable arche du salut, en invitant les hommes à s'y insérer. Les rappels éthiques contenus dans l'Ecriture, à l'instar des textes qui suivent, ont une portée toute ecclésiale" (B.de Margerie, in IEOL, pp 216-217).

Première épître à Timothée 2,4-5: (4) Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. (5) Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même.

Evangile selon Saint Jean1,9: Il était la lumière véritable

qui éclaire tout homme

venant dans le monde.

Epître aux Hébreux 11,6: Or sans la foi, il est impossible de lui plaire. Car celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il existe et qu'il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent.

Ces rappels éthiques culminent dans le cas personnel du Centurion Corneille pour aboutir à l'axiome théologique, élaboré au Moyen-Age, et que l'Eglise a fait sien: à celui qui fait son possible, Dieu ne refuse pas sa grâce, en tant qu'il participe au projet divin de construire l'Eglise:

- Le centurion Corneille, homme juste et craignant Dieu, à qui toute la nation juive rend bon témoignage, a reçu d'un ange saint l'avis de faire venir l'apôtre Pierre chez lui pourqu'il entende ses paroles...

Pierre vint, prit la parole et dit: (Actes des Apôtres 10,35).-




CHAPITRE III

DU DELUGE A ABRAHAM

"Tels furent les clans des descendants de Noé, selon leurs lignées et d'après leurs nations. Ce fut à partir d'eux que les peuples se dispersèrent sur la terre après le déluge" (Livre de la GENESE, 10,32).

Paragraphes d'appui du Livre de la Genèse:
Noé et ses fils.
(Gn.9,18-28).
La table des nations.
(Gn.10,1-32).
La tour de Babel.
(Gn.11,1-9).
Les Patriarches d'après le déluge.
(Gn.11,10-26).

La descendance de Térah (cf page suivante).

(Gn.11,27-32).

LA DESCENDANCE DE TERAH.

Gn.11.
(27)Voici la descendance de Térah:

Térah engendra Abram, Nahor et Harân. Harân engendra Lot.

(28)Harân mourut en présence de son père Térah dans son pays natal, Ur[97] des Chaldéens.(29)Abram et Nahor se marièrent: la femme d'Abram s'appelait Saraï; la femme de Nahor s'appelait Milka, fille de Harân, qui était le père de Milka et de Yiska.

(30)Or Saraï était stérile: elle n'avait pas d'enfant.

(31)Térah prit son fils Abram, son petit-fils Lot, fils de Harân, et sa bru Saraï, femme d'Abram. Il les fit sortir d'Ur des Chaldéens pour aller au pays de Canaan, mais, arrivés à Harân[98], ils s'y établirent.

(32)La durée de la vie de Térah fut de deux cent cinq ans, puis il mourut à Harân.

Térah

..............................I.....................................

Nahor Abram Harân Saraï
(Milka) (Saraï) I
.........I.................... ............I........
Bétuel Qemuel Milka Lot Yiska
.....I................ I
Laban Rébecca Aram
Notes:

Milka, élément araméen, donna en tout huit fils à Nahor; une concubine lui en donna quatre autres; soit au total douze fils pour Nahor (Gn.22, 20-23).

Harân et Lot ont des liens moabites ainsi peut-être que Yiska.

Saraï était fille de Térah, mais non de la même épouse que les propres frères qu'étaient Abram, Nahor et Harân (Gn.20,12).

Bétuel, fils de Milka engendra Rébecca (Gn. 22,22) et Laban l'Araméen.



[1] Le judaïsme a élaboré sa propre tradition interprétative au cours de la période rabbinique classique qui va du IIème siècle av.J.C. jusqu'au VIIème siècle de notre ère. Les cinq premiers livres de l'A.T. constituent le Pentateuque des Chrétiens et la Tora des Juifs.

La littérature religieuse du judaïsme comporte également un vaste ouvrage, le Talmud (mot hébreu signifiant étude) embrassant une période de huit siècles (du IIIème s. av.J.C., jusqu'à la fin du Vème s.); son objet principal est de faire connaître la loi orale, complément indispensable de la loi écrite (la Tora), qui apportait les précisions nécessaires à la pratique des commandements. Les académies religieuses juives s'étant trouvées alors en Palestine et en Babylonie, il existe deux Talmuds: celui de Palestine dit de Jérusalem, et celui de Babylone (le plus important des deux), terminé plus d'un siècle après l'autre.

Hors du Talmud, il existe des commentaires rabbiniques du texte de la Sainte Ecriture sous le nom de "midrash", qui désigne à la fois le commentaire et les oeuvres qui le contiennent.

[2] Traduction datant de 1998.

[3] Cette version, selon une légende consignée dans une lettre de Philon (philosophe grec d'origine juive), aurait été faite dans l'île alexandrine de Pharos sur l'ordre de Ptolémée III(vers 270av. J.C.)."Isolésdeux pardeux pouréviter toute communication, 72 interprètes rassemblés (d'où le nom de Septante), remirent au bout de 72 jours des traductions parfaitement concordantes".

[4] Dans le Livre de l'Exode, en 17,14, on peut lire la prescription faite par Yahvé à Moïse:"Yahvé dit à Moïse: - Ecris cela dans un livre pour en garder le souvenir et déclare à Josué que j'effacerai la mémoire d'Amaleq de dessous les cieux.

[5] Le nom d'Abraham lui sera attribué ultérieurement par Yahvé.

[6] "Il semble que la sortie du groupe de Moïse eut lieu vers la moitié du long règne de Ramsès II, soit vers 1250 av.J.C. Si l'on tient compte de la tradition biblique sur un séjour au désert pendant une génération, l'installation en Transjordanie se placerait aux environs de 1225 av.J.C. Ces dates sont conformes aux renseigne- ments de l'histoire générale sur la résidence des Pharaons de la XIXème Dynastie dans le Delta du Nil, sur l'affaiblissement du contrôle égyptien en Syrie-Palestine à la fin du règne de Ramsès II, sur les troubles qui secouèrent tout le Proche-Orient à la fin du XIIIème. Elles s'accordent aux indications de l'archéologie sur le début de l'Age du fer, qui coîncide avec l'établissement des Israélites en Canaan" (Introduc- tion au Pentateuque dans la Bible de Jérusalem, p30).

[7] Introduction au Pentateuque dans la Bible de Jérusalem,p 29.

[8] Fin août et septembre 70 sont marqués par une série d'évènements importants concernant Jérusalem: prise du parvis intérieur du Temple; incendie du Temple; prise de la ville haute et du palais d'Hérode; les habitants sont tués, vendus ou condamnés aux travaux publics; Titus est salué "Imperator".

[9] Le Dieu d'Israël ne serait plus qu'un dieu ou démon inférieur, comme le soutiendront au IIème siècle les partisans de Marcion et les gnostiques.

[10] Le dernier quart du Ier siècle est marqué par le retour à Jérusalem d'une partie des judéo-chrétiens jusque-là en exil et l'installation du premier évêque judéo-chrétien à Jérusalem en la personne de Jacques le Mineur, parent de Jésus.

Vers 95, l'apôtre Jean est relégué dans l'île de Patmos où est réalisée l'édition définitive de l'Apocalypse. Cette période correspond à la diffusion de son Evangile.

Vers 104, Siméon, frère et successeur de Jacques le Mineur comme évêque de Jérusalem, souffrit le martyre sous Trajan. Treize autres évêques, également judéo-chrétiens, se succédèrent jusqu'à la seconde Révolte juive (131-135).

[11] P.Hadot in Encyclopaedia Universalis, vol.12, pp 606 et 607.

[12] A la jonction entre les allégoristes païens et les allégoristes chrétiens se trouve le Juif Philon, contemporain du Christ, qui utilisa l'allégorie pour faire passer le message biblique aux Grecs qui en étaient privés faute de disposer de textes appropriés. Trente cinq volumes, dont La Vie de Moïse, furent composés par Philon en langue grecque à leur intention.

[13] Irénée de Lyon in Démonstration de la prédication apostolique,C 6.(Sources chrétiennes,1995,n° 406,au Cerf).

[14] Le texte qui nous le montre chez Irénée fait suite immédiatement au précédent sous le titre très évocateur de "Le baptême de la régénération":

< C'est pourquoi le baptême de notre régénération a lieu par ces trois articles (ceux de C 6), nous octroyant la nouvelle naissance en Dieu le Père par son Fils dans l'Esprit Saint: car ceux qui portent l'Esprit de Dieu vont au Verbe, autrement dit au Fils, et le Fils le conduit au Père, et le Père leur procure l'incorruptibilité. Ainsi donc ni sans l'Esprit il n'est possible de voir le Verbe de Dieu, ni sans le Fils on ne peut accéder au Père: car la connaissance du Père, c'est le Fils, et la connaissance du Fils de Dieu, c'est par l'Esprit Saint qu'elle a lieu; quant à l'Esprit, le Fils le dispense selon le bon plaisir du Père,à ceux que veut et de la manière que veut le Père> C7, ibid.

[15] Il n'est pas sans intérêt de rappeler qu'à cette même période, les néo-platoniciens ont développé des notions voisines. D'après eux, le principe de tout de qui est l'unité absolue. Tout naît de l'Un par émanation. Le premier être ainsi créé est le Logos, le Verbe, l'Intelligence, qui renferme toutes les idées des choses possibles. Puis l'Intelligence engendre l'Ame, principe du mouvement et de la matière. L'Un, l'Intelligence, l'Ame, sont trois hypostases de la trinité néo-platonicienne.

[16] L'Eglise fit sien le principe des opérations distinctives etcoordonnées de chacune des deux natures du ChristSauveur, sinon en son expression cyrilienne dela formule d'union de 433, du moins, peu après, sous la plume du Pape saint Léon le Grand: "Le Verbe fait ce qui appartient au Verbe et la chair exécute ce qui appartient à la chair. L'un resplendit de miracles, l'autre succombe sous les outrages".

[17] P.Hadot, ibid.,p 607.

[18] Introduction au Pentateuque dans la Bible de Jérusalem, p 31.

[19] ibid., p 32.

[20] St Ambroise, in Ps 1 Enarration, pour qui "la parole ne se conçoit pas sans une complémentarité d'action: la parole n'a de valeur qu'agissante".

[21] Seront mises à profit les exégèses sélectionnées par le P. Bertrand de Margerie dans l'"Introduction à l'histoire de l'exégèse",Paris, Cerf 1983,Tomes 1 et 2.

[22] Tome 3 :Théologie - Ancienne Alliance -.

[23] Ce texte produit par le P.B de Margerie in op.cit. résume les cinq premières règles établies par Tertullien pour son interprétation des textes et des symboles de l'Ecriture (règles d'herméneutique).

[24] Trois d'entre les Pères viendront grossir leurs rangs: Justin, Irénée et Tertullien.

[25] Né en Asie Mineure, Irénée fut disciple de Polycarpe évêque de Smyrne et, à travers lui, de l'apôtre Jean. Il fut envoyé dans les Gaules vers 157. A Lyon, la prêtrise lui fut conférée par saint Pothin, auquel il succéda comme évêque. Au IIème siècle, il fut en Occident le meilleur gardien du dépôt de la foi et accepta la mort pour elle.

[26] Cité par le P. B.de Margerie, dans son Introduction à l'histoire de l'exégèse des Pères grecs et orientaux (désignée dorénavant par IEPGO), p.65.

[27] L'exégèse irénéenne de la récapitulation se situe dans le contexte de la théologie paulinienne des deux Adams:

"C'est pourquoi Luc présente une généalogie allant de la naissance de Notre Seigneur jusqu'à Adam et comportant 72 générations: il rattache de la sorte la fin au commencement et donne à entendre que le Seigneur est celui qui a récapitulé en lui-même toutes les nations dispersées à partir d'Adam, toutes les langues et les générations des hommes, y compris Adam lui-même. C'est aussi pour cela que Paul appelle Adam lui-même, dans (Rm 5,14), la "figure" de Celui qui devait venir"(Adversus Haereses, III, 22-3).

[28] Ce texte est explicitement cité par Vatican II dans Lumen Gentium, chap.56.

[29] B.de Margerie, IEPGO,pp 77,78.

[30] Irénée de Lyon, in Démonstration de la prédication apostolique, Sources chrétien- nes au Cerf, 1995, n°406.

[31] cf. Epitre aux Galates, 4,4-6 : "Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l'adoption filiale".

[32] B.de Margerie, IEPGO,pp 78,79.

[33] Docteur de l'Eglise, il est né à Nisibe (auj. Nusaybin en Turquie) v.306 et est mort à Edesse (auj. Urfa en Turquie) v.373. Diacre de l'évêque Jacques à Nisibe, il vint à Edesse après la prise de sa ville par les Perses (363) et donna son essor à l'école d'Edesse. Témoin de la foi commune de l'Eglise, écrivain fécond des Commentaires sur l'Ecriture Sainte, des traités de théologie, des homélies et des hymnes. Ses ouvrages n'ont été réunis que tardivement (au XVIIIème s).

[34] Cette façon de lire l'Ancien Testament sera qualifiée après lui de theôria, surtout par l'école d'Antioche, dont il fait ainsi figure de précurseur.

[35] Pour passer de l'Ancien au Nouveau Testament, Ephrem, comme le font souvent les Pères, utilise toute la typologie qui existait alors pour relier de façon adéquate les personnages entre eux; parfois même, il lui arrive de la compléter.

[36] Traduction donnée par Ephrem, en lieu et place de "Pour le coup..." de la BJ.

[37] Les Syriens avaient l'habitude de qualifier les anges de "veilleurs".

[38] Ainsi s'exprime Ephrem dans le verset conclusif de son Hymne XII sur le Paradis.

[39] On notera l'originalité de l'application typologique: Adam figure Joseph.

[40] B.de Margerie, IEPGO, p 169.

[41] Né à Poitiers v.315, il se convertit au christianisme. Peu après avoir reçu le baptême, il accueille saint Martin. Elu évêque v.350, il est exilé en Phrygie, de 356 à 360, à cause de sa fidélité catholique et de sa résistance à l'arianisme. Pendant cette période, il connaît la pensée grecque qu'il tente de réconcilier avec la pensée occidentale. Il siége au concile de Séleucie (359) et rentre dans son diocèse où il meurt v.367.

Sa première oeuvre, "Sur Matthieu" a été écrite avant son exil. La deuxième "De Trinitate" fut réalisée pendant son exil; la troisième, Les "Traités des Psaumes" et la quatrième, le "Traité des Mystères" furent écrites entre 364 et 367. Cette dernière oeuvre fut découverte seulement en 1887.

[42] B.de Margerie dans son Introduction à l'histoire de l'exégèse des Pères latins (désignée dorénavant par IEPL), p 71.

[43] Eve est la raison typique (ratio typica) qui en fait une image (forma) de l'avenir.

[44] B. de Margerie, IEPL, p 92.

[45] Hilaire insinue ainsi, que le Christ se reconnaît dans l'Eglise comme Adam s'était reconnu en Eve; rapport de situation seulement, car Adam n'est pas le fondateur d'Eve, alors que le Christ l'est pour l'Eglise.

[46] (Ez. 37,10).

[47] B. de Margerie, IEPL, p 93.

[48] Né à Trêves dans le Palatinat v. 340, Ambroise était issu d'une grande famille romaine. Il fut lui-même fonctionnaire de l'Empire romain, gouverneur de Ligurie et d'Emilie v.370, avec résidence à Milan. Encore catéchumène, il fut désigné pour l'épiscopat par l'enthousiasme populaire, afin de remplacer l'évêque arien Auxence. A l'âge de 34 ans, en 8 jours, il fut baptisé, ordonné et consacré. Il confia à son clergé son absence de préparation spécifique au ministère d'exégète, mais que ses études antérieures pourraient l'aider dans sa tâche: connaissance du grec - rare à l'époque - aptitude à interpréter les sens littéral et allégorique des textes poétiques (Homère et Virgile). Nul ne doutait de son sens moral élevé. Assailli par les soldats de Valentinien II qui lui suscitait un compétiteur arien (386), il se réfugia avec la foule dans la basilique Porciana, entonnant avec ses fidèles plusieurs jours durant, les Psaumes et des hymnes de sa composition. Ce furent les premiers accents du chant alternatif. A la suite du massacre de la population de Thessalonique ordonné par l'Empereur Théodose, il interdit à celui-ci l'accès de la ville de Milan, et ne l'admit à la communion qu'après une longue expiation.

C'est à son herméneutique que l'Eglise et l'humanité doivent la conversion et les écrits chrétiens D'Augustin, évêque d'Hippone et futur saint. Ambroise mourut à Milan en 397.

[49] Thème paulinien développé particulièrement dans le chapitre 3 de l'Epitre aux Galates.

[50] B.de Margerie, IEPL, p.104.

[51] Création et Rédemption, toutes deux oeuvres du Verbe.

[52] C'est-à-dire, non pas en elle-même, en tant qu'Eglise (à ce niveau, elle est sainte), mais en nous, les successeurs d'Eve, que l'Eglise est blessée.

[53] B.de Margerie, IEPL, p.105.
[54] 1, Timothée,2,15.

[55] B.de Margerie, IEPL, p.109.

[56] H.de Lubac, in "Catholicisme", Paris,Cerf 1983.

[57] cf.in Ps.36, n.37: "Sa mort est le fruit de vie. Donc ce qui a été fait en lui, est vie...L'Eglise est vie, car elle a été faite en lui, de son côté; en lui, Eve est ressu- scitée" (P.L. 14,985).

[58] B.de Margerie, IEPL, p 121.

[59] Né en 335, dans cette région centrale d'Asie Mineure dont la capitale était Césarée (auj.Kayseri), Grégoire de Nysse hésita longuement entre l'Eglise et le monde. Finalement, à l'âge de 36 ans, il fut nommé évêque de Nysse par son frère saint Basile. Déposé 5 ans après par l'empereur arien Valens, il recouvra son siège après 3 ans d'absence. Il joua un grand rôle au concile de Constantinople de 381; passé cette date, il séjourna fréquemment dans cette ville. Docteur éminent de l'Eglise, il fit autorité en matière d'orthodoxie; l'importance de son oeuvre théologique lui valut le titre de Père des Pères qui lui fut décerné par le IIème concile de Constantinople en 787. Il a laissé de nombreux écrits contre l'arianisme: Discours contre Eunème, Discours contre Apollinaire. Il mourut en 395. Il reste dans les mémoires comme le plus brillant des Pères que la Cappadoce donna à l'Eglise, les deux autres étant Basile de Césarée et Grégoire de Nazianze.

[60] Cette traduction a été préférée à celle "d'enchaînement nécessaire" généralement utilisée. En effet, moins qu'une réalisation scripturaire ou événementielle, l'ordonnancement présuppose l'intervention d'une réflexion, d'une intelligence qui maîtrise le destin de la Création.

[61] Le but principal de l'Ecriture est l'enseignement sur Dieu et la Trinité, les créatures rationnelles - célestes et terrestres -, le monde et l'origine du mal. Alors qu'Origène y avait appliqué sa pensée, avec l'aide de l'Esprit Saint, en vue de bien connaître et identifier les faits présentés, c'est plus l'ordonnancement qu'il importait à Grégoire de bien déceler. L'exégèse était pour lui contemplation, à travers les paroles de Dieu, de sa Parole unique, du Logos caché sous la Lettre.

[62] B.de Margerie, IEPGO, p.241.

[63] J.Daniélou, L'Etre et le Temps chez Grégoire de Nysse, Leiden 1970, p.49.

[64] B.de Margerie, IEPGO, p.243.
[65] B.de Margerie, IEPGO, p.244.

[66] La theôria peut désigner aussi l'économie chrétienne précontenue dans les prophéties de l'Ancien Testament (ou pour les Antiochiens, la vision prophétique des auteurs de cet Ancien Testament). Mais Grégoire applique encore ce mot à des textes. Ainsi désigne-t-elle très fréquemment la recherche, l'examen du sens d'un texte biblique. Enfin, la theôria peut désigner l'intelligence proprement dite du sens du texte, notamment du sens littéral.

[67] En grec theôria = vision.

[68] B.de Margerie, in IEPGO, p 246 ajoute que semblable point de vue avait été développé antérieurement par Philon le Juif: "La cause absolument vraie, il est nécessaire que ce soit Dieu seul qui la connaisse; mais la cause qui semble persuasive et vraisemblable par une conjecture probable ne doit pas être caché".

[69] Ce texte fait partie de la sélection qu'a proposée à ses lecteurs le cardinal H. de Lubac dans son livre "Catholicisme" édité au Cerf, à Paris, en 1983 (v.p 327).

[70] Saint Augustin a donné la signification du nom même d'Adam :"Il (le Christ) rassemble tous les élus des quatre vents, donc de tout l'univers. Car le nom même d'Adam, je vous l'ai dit plus d'une fois, signifie l'univers selon la langue grecque. Il comprend en effet quatre lettres:A, D,A, etM. Or, en grec, chacune des parties du monde commence par une de ces quatre lettres: l'Orient se dit - Anatolè -, l'Occident - Dysis -, le Nord - Arctos - et le Midi - Mesèmbria -; ce qui fait - Adam -. Adam lui-même est donc répandu maintenant sur toute la surface de la terre. Jadis concentré en un seul lieu, il est tombé et, se brisant en quelque sorte, il a rempli de ses débris tout l'univers. Mais la miséricorde divine a rassemblé de partout les fragments, elle les a fondus au feu de sa charité, elle a reconstitué leur unité brisée".( Ce symbolisme, - transposition du mythe si répandu sur le Géant primordial, démembré puis reconstitué - eut une longue fortune. Il s'est naturellement combiné avec le symbolisme de la Croix).

[71] Né en 540 env. d'une vieille famille patricienne dès longtemps chrétienne, (le pape Félix II, mort en 492, était son trisaïeul), il était entré dans la carrière administrative; il parvint à la très haute charge de praefectus Urbis, acquérant dans cette fonction l'expérience des affaires, le sens de l'ordre, de l'autorité, du service du bien commun. Après plusieurs années d'hésitations, il renonça à la vie publique et transforma en monastère sa maison familiale située sur les pentes du Coelius. Il fonda dans le même temps six autres monastères dans ses domaines de Sicile. Pendant cette période, il acquit une forte culture biblique et patristique, fréquentant surtout l'œuvre d'Augustin. A l'âge de 39 ans, le pape Pélage II l'ordonna diacre et l'envoya comme nonce à Constantinople où il resta six ans, sans songer d'ailleurs à apprendre le grec ou s'initier à la théologie orientale, ce qui montre, comme l'a fait remarquer le P.Camelot, "à quel point était déjà profond le fossé entre les deux cultures, entre les deux parties de la chrétienté". Au cours de son séjour, il entreprit de commenter le Livre de Job pour les moines romains qui l'avaient accompagné. A son retour à Rome, il reprit la vie monastique. Mais en janvier 590, alors que Pélage II était emporté par la peste, il fut élu pape par l'acclamation unanime du clergé et du peuple; c'est en vain qu'il essaya de se dérober et d'obtenir de l'empereur Maurice qu'il ne confirmât pas l'élection. Il fut consacré à Saint-Pierre le 3 septembre. Il mourut en 604.

[72] Ici (bien loin de son sens profane), le sens allégorique est le sens chrétien des Ecitures qui renvoie toujours au mystère objectif du salut par le Christ.

[73] P.T. Camelot, in Encyclopaedia universalis, v.8,p 11.

[74] Le cardinal H. de Lubac a souligné l'importance du rôle de saint Grégoire à la suite de celui d'Origène (dont il sera question ultérieurement): "Les deux grands maîtres du sens tropologique (moral) sont Origène et saint Grégoire. Suivant leur enseignement, tout ce qui, dans l'Ecriture, est susceptible d'être allégorisé peut être et doit être aussi moralisé. On passe de l'histoire à la tropologie par l'allégorie... Le Mystère du Christ, dans la tropologie se trouve intériorisé"(Exégèse médiévale).

[75] H.von Balthasar souligne à ce propos la dimension chrétienne de la charité:

"Si un chrétien, sous le prétexte que le paradoxe de Dieu est pout lui trop abrupt et, parce qu'insoluble, aussi trop peu fécond, voulait s'en détourner et chercher son salutprésumé simplement ense dévouant àses semblables,créatures comme lui, auxquels il serait envoyé par le Christ, il serait, quant à lui, sorti de l'espace de la révélation. Du point de vue chrétien, le chrétien ne rencontre son prochain que lorsqu'il a éprouvé, dans la "crainte de Dieu", quelque chose de la dimension "tout autre" de l'amour de Dieu le Seigneur et lorsqu'il tente d'aimer humblement son prochain en tendant à cette dimension inaccessible. Les rapports interhumains, comme tels, sont d'entrée de jeu orientés au "dialogal", puisque les hommes com- munient dans la même nature"'Introduction à La Gloire de Dieu et la Croix, Théologie 82, Aubier-Montaigne 1974,p 14).

[76] C. Dagens, Saint Grégoire le Grand, Culture et expérience chrétiennes, Paris 1977.

[77] B.de Margerie, IEPLO (Pères latins d'Occident), pp 148-149.

[78] Né en Samarie, vers 100, dans une famille grecque et païenne, il commença par faire le tour de toutes les adhésions philosophiques de son époque: du stoïcisme au pythagorisme en passant par Aristote et Platon. Simple laïc, après sa conversion, il ouvrit une école à Rome et se voua à la défense de la foi comme le montrent ses Apologies adressées aux empereurs, et son Dialogue à Tryphon, rabbin mort vers 134.

La lecture des Prophètes a aidé Justin à porter un témoignage culminant dans le martyre à Rome vers 165. Son dernier témoignage rendu aux Prophètes et, à travers eux, à Jésus, est inclus dans la réponse donnée à une question de Rusticus, préfet de Rome:

"Voici la doctrine que les chrétiens suivent religieusement:...Confesser Jésus-Christ, Fils de Dieu, autrefois prédit par les Prophètes, juge futur du gente humain, messsager du salut...Moi, homme débile, je suis trop faible pour pouvoir parler dignement de sa divinité infinie: c'est l'œuvre des Prophètes. Depuis des siècles, par l'inspiration d'En-Haut, ils ont annocé la venue dans le monde de Celui que j'ai appelé le Fils de Dieu."

[79] Logos: dans la théologie, ce terme employé par Saint Jean, représente la seconde personne de la Sainte Trinité, préexistant à la création du monde et qui s'identifie avec Jésus-Christ.

[80] B.de Margerie, IEPGO, p 38.

[81] Ainsi en témoigne cette déclaration de la Commission internationale de Théologie (dont H.U von Balthasar fut membre): "L'unité-dualité de L'Ancien Testament et du Nouveau, comme expression historique fondamentale de la foi chrétienne, offre son point de départ concret à l'unité-pluralité de cette même foi"(DC 70, 1973).

[82] Autre traduction: par l'eau. Ce fut en effet le moyen de faire survivre les huit justes (grâce à l'Arche) tandis que les impies étaient exterminés.

[83] Cette symbolique s'inscrit dans la poursuite de l'oeuvre de Dieu, après le repos du Septième jour.

[84] B.de Margerie fait remarquer à ce propos, dans IEPGO, p40, que "nous avons dans ce texte, une ébauche du sens tropologique (aspect moral concernant le mystère chrétien) d'une part, et anagogique (aspect lié à l'au-delà) d'autre part". Ces deux sens se trouveront distingués au sein du sens spirituel comme nous le verrons ultérieurement.

[85] Ce docteur anglais de l'Eglise universelle a passé presque toute sa vie dans un monastère bénédictin du N.E. de l'Angleterre. Né vers 672, sans doute orphelin comme le montre son oblature au monastère des saints Apôtres Pierre et Paul; devenu moine, il consacra toute son existence à l'étude de l'Ecriture. Ses oeuvres offrent une somme du savoir occidental de l'époque qu'il rendit accessible à ses concitoyens et à bien d'autres. Elles se divisent en trois groupes principaux:

scientifiques (grammaire, phénomènes naturels, avec deux ouvrages particuliers sur la chronologie et le calendrier, alimentés par la "question pascale" qui fut l'objet d'une violente controverse entre l'Eglise romaine et l'Eglise celtique.)

historiques (son histoire ecclésiastique connue même des non-spécialistes compte parmi les plus précieuses et les plus belles).

théologiques ( tournées surtout vers les Pères latins: Augustin, Jérôme, Ambroise, Grégoire le Grand avec l'utilisation des deux versions latines de la Bible, l'ancienne Italique et la Vulgate.) Son Epitre à Egbert (son élève devenu archevêque) contient de nombreux renseignements sur l'affaiblissement de L'Eglise Northumbrienne suite aux révolutions du royaume qu'il a vécues à la fin de sa vie.

Il mourut saintement en 735. Son titre de Vénérable correspond selon toute vraisemblance à l'appellation donnée communément aux prêtres de son temps. Il fut canonisé et fait docteur de l'Eglise par Léon XIII en 1899.

[86] Le sens littéral peut s'ouvrir vers le figuratif (à ne pas confondre avec l'allégorique); ce sens figuré est actif dans des phrases évoquant par exemple le "bras", "l'œil" de Dieu, etc.

[87] "C'est d'ailleurs à partir du Nouveau Testament (Rom. 15,4 et autres textes), que Bède envisage le sens préfiguratif de l'Ancien. Ce que d'aucuns appellent l'exégèse allégorique de Bède montre chez lui la compréhension de cette donnée, largement méconnue par plusieurs Alexandrins"(B.de Margerie, IEOL p 190).

Epître aux Romains 15,4: "En effet, tout ce qui a été écrit dans le passé le fut pour notre instruction, afin que la constance et la consolation que donnent les Ecritures nous procurent l'espérance".

[88] B.de Margerie, in Introduction à l'histoire de l'exégèse de l'Occident latin, (p 220), désigné par la suite IEOL.

[89] Autre traduction: par l'eau. L'eau fut ainsi la cause de l'extermination des impies et la raison de l'isolement salvateur des huit justes dans l'Arche; cette réali- té bi-face qu'est l'eau se retrouve avec toute son acuité dans le baptême chrétien.

[90] "Admirable et convaincant parallèle; comme l'unique mort du Christ, chacune de nos souffrances, elle aussi unique, mérite une récompense éternelle"(B.de Margerie, IEOL p 211).

[91] Deuxième Epitre de Saint Paul aux Corinthiens, 4,16.

[92] Ce texte est éclairé par les remarques de Bède dans son commentaire de la seconde lettre de Pierre à propos de "Noé héraut de justice" (2P 2,5):"On n'a remarqué aucune parole dirigée par Noé soit à Dieu soit aux hommes; en même temps que ses oeuvres de justice accomplies devant tous, il montrait comment il fallait vivre devant Dieu".

[93] Bède, in Epist.1 Petri: "Ipsa Dei patientia praedicatio erat ejus".

[94] B.de Margerie, in IEOL, p213.

[95] Pour ceux qui, aujourd'hui, éprouveraient des difficultés de compréhension de cette action synchrone de la Rédemption et de l'évangélisation aux jours de Noé, il existe un texte éclairant de Saint Augustin:" O homme, ce que dit mon Ecriture, oui, c'est moi qui le dis. Seulement, elle parle dans le temps, tandis que mon Verbe échappe au temps, parce qu'il demeure à mes côtés, en une éternité semblable..." (Confessions, Livre XIII, XXXI,44).

[96] Aux yeux de Bède cette interprétation trouve une confirmation en Gn.6,12: "Dieu vit la terre: elle était pervertie, car toute chair avait une conduite perverse sur la terre."

[97] Ur (ou Our) des Chaldéens est peut-être une addition à pays natal, venant de la tradition sacerdotale (v.31). Cette Ur est très probablement la grande ville de Basse Mésopotamie occupée par le clan araméen des Chaldéens au 1er millénaire. Habitée par les Sumériens, elle connut une grande splendeur à la fin du 3ème millénaire"(note TOB).

[98] "Harân se trouve non loin de l'actuel Harrân dans la boucle de l'Euphrate, au nord de Ur avec laquelle il avait des relations religieuses et économiques. Harân a été un centre caravanier important où le dieu Lune était adoré? C'est dans la région d'Harân que l'on retrouvera la famille d'Abram"(note TOB).


Date de création : 29/12/2006 @ 11:21
Dernière modification : 12/03/2007 @ 17:56
Catégorie : Théologie 1
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