SUR LES PAS DE DESCARTES QUAND IL FONDE LES MATHÉMATIQUES DESCARTES (I) INTRODUCTION Les développements qui suivent sont extraits du livre du professeur Alquié intitulé « Leçons sur Descartes », édité à la Table Ronde en mars 2005. Les idées mathématiques fondées par les Méditations trois, quatre et cinq Chronologiquement, Descartes a d’abord affirmé une existence, et cette existence, c’est celle de mon moi. Et c’est à ce titre que le moi devient le support, le substrat de toutes les idées. La réalité formelle des idées, c’est-à-dire ce que les idées sont en tant qu’idées, se réduit à ce moi, considéré sur le plan de l’être. Les idées comme telles ne sont que des modes de ce moi pensant. Puis, dans la Méditation seconde, il a démontré que le cogito ( le « je pense »), ou plutôt le sum (le « je suis »), est purement intellectuel. Ainsi se trouve affirmé le primat de l’intellectus, intellectus qui est en effet, et demeurera toujours chez Descartes le fondement de toute connaissance possible. La seconde Méditation, surtout en cette célèbre analyse du morceau de cire qui la termine, n’a-t-elle pas isolé une pensée, ou même un entendement qui, à la fin de la Méditation, est apparue comme le fondement, comme la condition de toute représentation ? En sorte qu’ayant d’abord affirmé un « je suis », comme il a été dit, Descartes ait compris peu à peu qu’il n’avait en réalité le droit d’affirmer qu’un « je pense », sinon même un « je conçois », ou un « je comprends » ? En fait, comme on l’a examiné dans la Méditation seconde, c’est bien à un « je suis », à une chose qui pense, à un sum res cogitans, que Descartes, en définitive, se tiendra. Il faudra attendre la Méditation troisième pour examiner la réalité de mes idées. Ce qui donne au début de cette Méditation troisième un caractère absolument unique dans l’histoire des idées, c’est qu’elle n’est pas une analyse du jugement, qu’elle n’est pas non plus une analyse de l’idée considérée dans sa pure réalité formelle, c’est-à-dire comme un mode de mon moi. Elle est, comme Descartes le dit, une analyse des idées considérées dans leur réalité objective. Les idées, qui tout d’abord étaient apparues, avant la Méditation première et au sein de celle-ci, dans une confusion radicale, les idées qui, par le fait de la Méditation première et de la Méditation seconde, ont été ramenées à leur réalité formelle, réalité qui se confond, rappelons-le, avec leur réalité matérielle ou psychologique, les idées qui, donc, sont devenues, uniquement des modes de mon moi, vont se révéler maintenant comme ayant une autre réalité, la réalité objective. En effet, nos idées, si elles sont toutes semblables en ce qu’elles sont nos idées, diffèrent quant à leur contenu représentatif, quant à ce qu’elles représentent, quant à ce à quoi elles renvoient ; expliquer l’idée quant à son contenu et comprendre que les idées peuvent avoir besoin de causes diverses, en ce qu’elles ont des contenus divers. Et c’est pourquoi nous verrons Descartes examiner tour à tour ses idées, en mettant en jeu un double principe : celui de causalité portant sur la pure origine de l’idée, et celui de la correspondance de l’idée avec ce qu’elle représente. Or, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cette nouvelle position du problème ne détruit pas l’ancienne, ou, du moins, qu’elle ne détruira l’ancienne qu’au moment où Dieu sera découvert. Car la réalité formelle de l’idée, quelle que soit sa réalité objective est toujours, en vertu de la Méditation seconde, un mode de mon moi. Donc rien ne me permet, à l’issue de celle-ci, dans cette revue des idées, de sortir de moi-même. Et cependant, ces idées qui, formellement parlant, ne sont que des modes de mon moi, ont une réalité objective, fait tout à fait nouveau. En effet, chez Descartes, nous apercevons que l’idée prend une tout autre dimension et il en donne deux preuves. La première, qui porte sur la réalité objective proprement dite, se trouve dans la Méditation troisième. Elle consiste à révéler que les idées diffèrent entre elles, et diffèrent selon qu’elles représentent plus ou moins de réalité. La seconde, qui sera placée dans la Méditation cinquième, au moment où Descartes exposera sa théorie des essences, insistera plus nettement encore sur le caractère passif de mon entendement devant l’idée. Et ce caractère passif ne pourra pas venir, à ce moment-là d’un simple préjugé qui affirmerait précisément que l’objet existe hors de moi. Bien au contraire, Descartes précise que le doute existentiel est entièrement maintenu, que je ne sais pas encore s’il existe des choses hors de moi. Mais ce doute existentiel étant maintenu, l’essence s’impose d’elle-même. Comme le dit Descartes, qu’il y ait au monde un triangle ou un cercle, ou qu’il n’y en ait pas, il demeure que je dois tirer du triangle ou du cercle leurs propriété selon un ordre qui contraint ma propre volonté. Il demeure que je ne peux pas faire ce que je veux de l’idée du triangle ou du cercle, je dois attribuer au triangle ou au cercle telle ou telle propriété. Bref, l’idée comme telle me contraint, elle est en moi à titre de nature, même une fois que j’ai mis entre parenthèses la question de la réalité de son objet. Et, par conséquent, s’il en est ainsi, il ne suffit pas d’avoir montré que l’idée, c’est mon idée. Il faut aussi que je découvre que l’idée demande peut-être une autre cause. Elle ne se réduit pas à son existence purement psychologique comme mode du moi. Et c’est pourquoi nous retrouvons à ce stade, le problème qui est le centre du cartésianisme et que nous semblions avoir laissé quelque peu de côté : le problème du fondement métaphysique de la science. Comment ce problème peut-il être posé, étant donné que, nous l’avons dit, Descartes ne part pas, et ne peut pas partir d’une théorie du pur entendement, à plus forte raison de l’entendement transcendantal ? Il le peut cependant parce que l’idée est double. Par l’intermédiaire des idées, Descartes pourra passer du moi personnel, qu’il est, à un autre être qui sera, comme nous allons le voir maintenant, celui de Dieu. Le moi (être et structure) fait apercevoir la nécessité d’un être autre que le moi Constat d’un perpétuel mouvement de reflux vers le moi Rappelons qu’étant donné le point où nous sommes arrivés des Méditations, Descartes ne sait toujours pas s’il y a des choses hors de moi. Y a-t-il un monde hors de mon esprit ? Au début de la Méditation troisième, nous n’en savons toujours rien. Il n’y a qu’une chose de la réalité formelle de laquelle je sois assuré, à savoir mon moi…C’est pourquoi Descartes, dans la Méditation seconde a dit : ego sum, je suis. C’est pourquoi aussi, essayant de découvrir un autre être, de s’assurer d’une autre réalité formelle, Descartes est toujours ramené à son moi. Il y a, ici, un perpétuel mouvement de reflux vers le moi, qui est absolument caractéristique, dans la Méditation troisième, ou, en tout cas, dans tout le début de cette Méditation. Ontologiquement parlant, toute idée est d’étoffe mentale. Elle est un mode du moi, et, ontologiquement, elle n’est que cela. Au début de Méditation troisième, il reprend une fois encore sa définition de la chose qui pense en disant : « Je suis une chose qui pense, c’est-à-dire qui doute, qui affirme, qui nie…qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent. » Par conséquent, il ne s’agit pas d’un intellectus, il s’agit bien d’une conscience et d’une conscience qui est aussi la conscience d’un moi. Ainsi, pour sortir de la réalité de notre moi, il faut la révélation d’un être, autre, et déjà là Il faut donc que se révèle à nous un être autre que le « je pense » et le sum, se dévoile à nous, comme étant déjà là, déjà présent. S’il pouvait en être ainsi, ma connaissance, jusque-là subjective, se trouverait suspendue à un autre principe ontologique, à savoir Dieu. Il s’agit là, notons le bien, d’une dialectique ontologique, et non pas d’une dialectique notionnelle. Descartes n’a, en effet, qu’un seul souci, une seule méthode, une seule démarche, il met en doute tout ce qui est notionnel, ce faisant, il fait apparaître ce qui est être. Il a déjà fait apparaître celui du moi, il faudrait maintenant qu’il en fasse apparaître un autre et qui soit Dieu. S’il y réussissait, le problème, tel qu’il a été posé dès le début, serait en effet résolu. Car Dieu étant l’être même, et étant le principe de la création de toutes choses, découvrir Dieu à la source de ma connaissance, le découvrir comme source de mes idées, ce serait fonder cette connaissance et l’établir comme vraie. Ce qui est fondé dans les Méditations trois, quatre et cinq Il y a donc un premier sens de la véracité divine, selon lequel elle signifie simplement ceci : l’idée est quelque chose, et non pas un pur rien, Dieu est sa cause, l’idée est donc vraie. C’est essentiel, mais cela ne constitue pas le tout. En effet, la véracité divine doit fonder non seulement la mathématique, mais encore la physique. Nous avons vu Descartes nous proposer sa physique comme une simple fable, comme une simple reconstruction, selon l’esprit, d’une nature dont on peut penser que la réalité dernière demeure inconnue, inconnaissable même. C’est cette physique qu’il lui faudra alors fonder.
Date de création : 11/12/2006 @ 08:37
Dernière modification : 11/12/2006 @ 08:41
Catégorie : Parcours cartésien
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