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    Sciences politiques - Pour servir une politique culturelle (3)

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    POUR SERVIR UNE POLITIQUE CULTURELLE (3)
    LA VÉRITÉ DU CAPITALISME ET SES VICISSITUDES

     

    Dans « De L’urgence d’être conservateur »  le philosophe britannique ROGER SCRUTON passe en revue les différents « royaumes de valeur », au nombre de huit, qu’il entend défendre en conservateur qu’il est, et « où cette défense est destinée à servir au bien commun de la communauté. Ce n’est pas une défense politique, mais une défense qui nous invite à vivre autrement. C’est que l’État a besoin d’une politique culturelle, mais cette politique doit reposer sur le jugement pour ne pas offrir son soutien aux habitudes de profanation et de dénigrement et répondre à la vraie voix de la culture. » Ci-après le troisième de ces royaumes de valeur, LE CAPITALISME

    (93) Le terme CAPITALISME a été introduit dans les langues européennes par les écrits du philosophe Saint-Simon (1675-1755)

    Il fut repris par Marx (1818-1883) pour décrire l’institutionnalisation de la propriété des « moyens de production ». Marx distinguait le capitalisme d’autres « systèmes économiques – notamment l’esclavage, le féodalisme et le socialisme – et prédisait que, de même que, de même que  le capitalisme avait renversé le féodalisme par la violente « révolte des gueux[1], le capitalisme le serait de même par le socialisme. En temps voulu le socialisme « dépérirait » pour laisser la place au « communisme total », aboutissement de l’histoire. Cette théorie est invraisemblable, ses prédictions fausses, et son héritage effroyable. Néanmoins ses termes ont changé le langage du débat politique au XIXe siècle, et nous ne pouvons plus désormais nous en défaire. Le mot « capitalisme » est toujours utilisé pour décrire toute économie fondée sur la propriété privée  et le libre échange. Le terme « socialisme » l’est toujours pour dénoter les tentatives variées pour limiter, contrôler ou remplacer quelque aspect du capitalisme compris dans ces termes. Sous toutes ses apparences, par conséquent, le capitalisme tout comme le socialisme, est une question de degré.

    (94) Connaître les termes des théories disparues a son importance

    [a] Ils peuvent avoir une aura d’autorité, mais ils distordent aussi nos perceptions et accablent de novlangue notre conscience, une langue pareille à celle brillamment moquée par George Orwell dans 1984. Le but d’Orwell en écrivant ce livre, était de montrer que le jargon déshumanisant du marxisme produisait aussi un monde déshumanisé, dans lequel les hommes devenaient des abstractions et où la vérité n’était qu’un pur instrument dans les mains du pouvoir. Cet argument ne devrait jamais être oublié par les conservateurs qui doivent pouvoir s’échapper de ces théories du XIXe siècle qui cherchent à rendre leur position non seulement obsolète mais aussi d’une certaine manière, impossible à exprimer.

    [b] Il nous faut regarder le monde d’un œil neuf en utilisant le langage naturel des relations humaines

    Ceci étant, il serait absurde et naïf de présumer que les attaques à une entité nommée « capitalisme » sont sans fondements ou ne requièrent aucune réponse. Afin de développer cette réponse, nous devons partir de la vérité du capitalisme, la vérité que le socialisme à traditionnellement niée.

     

    LA VÉRITÉ DU CAPITALISME

    Cette vérité est simple, à savoir que la propriété privée et le libre-échange sont des caractères nécessaires à toute économie de grande échelle – toute économie dans laquelle les hommes dépendent, pour leur survie et leur prospérité de l’activité d’inconnus. C’est seulement lorsque les hommes disposent du droit de propriété et peuvent librement échanger ce qu’ils possèdent contre ce dont ils ont besoin, qu’une société d’inconnus peut réussir à se coordonner au plan économique. Les socialistes au plus profond d’eux-mêmes, ne l’acceptent pas. Ils considèrent la société comme un mécanisme de distribution des ressources à ceux qui les revendiquent, comme si les ressources existaient préalablement aux activités qui les créent, et comme s’il existait un moyen de déterminer exactement qui peut prétendre à quoi sans se référer à la coopération de long terme entre les acteurs économiques.  

    (95)

    [a] Ce point fut démontré par les économistes autrichiens VON MISES (1881-1973) et HAYEK (1899-1992)

    Il le fut au cours du « débat sur le calcul économique[2] » qui accompagna les premières propositions d’économie socialiste, où les prix et la production seraient tous deux contrôlés par l’État. La réponse des Autrichiens repose sur trois idées cruciales :

    –  premièrement une activité économique dépend de la connaissance des désirs, besoins et ressources d’autrui ;

    • deuxièmement, cette connaissance est dispersée dans toute la société et n’est la propriété d’aucun individu ;
    • troisièmement, dans le libre-échange des biens et des services, le mécanisme des prix fournit un accès à cette connaissance – non comme donnée théorique mais comme signal donné pour l’action. Les prix, dans une économie de marché sont la solution à d’innombrables équations simultanées cartographiant la demande individuelle au regard de l’offre disponible. 

    [b] Cependant, lorsque la production et la distribution sont fixées par une autorité centrale, les prix ne fournissent plus d’indice

    Pas plus celui de la rareté d’une ressource que celui  de l’étendue de sa demande. La pièce maîtresse de la connaissance économique, celle qui existe dans une économie libre comme fait social, est détruite.

    – soit l’économie s’effondre, les queues, l’excès et la pénurie remplaçant l’ordre spontané de la distribution,

    – soit elle est remplacée par une économie souterraine où les biens s’échangent à leur prix réel – celui que les hommes sont prêts à payer.

    (96) Ce résultat s’est vu abondamment confirmé par les économies socialistes

    Toutefois l’argument donné en sa faveur n’est pas empirique mais a priori, concernant l’information générée et dispersée dans la société.

    [a] L’aspect important de l’argument est  que le prix d’un bien ne charrie une information économique pertinente que si l’économie est libre.

    C’est seulement dans les conditions de libre-échange que les budgets des consommateurs individuels entretiennent le processus épistémique, comme on pourrait l’appeler, qui distille, sous la forme du prix, la solution collective au problème économique qu’ils partagent – le problème de savoir que produire et qu’échanger contre cette production. Toutes les tentatives pour interférer avec ce processus, en contrôlant soit l’offre soit le prix d’un produit mèneront à une perte de connaissance économique. Car cette connaissance n’est pas contenue dans un plan mais seulement dans l’activité économique d’agents libres qui produisent, mettent en vente et  échangent leurs biens selon la les lois de l’offre et de la demande.    

     [b] L’économie planifiée, qui propose une distribution rationnelle à la place de la distribution « aléatoire » du marché, détruit l’information dont dépend le fonctionnement adéquat d’une économie.

    Elle sape par conséquent sa propre base de connaissance. C’est là l’exemple parfait d’un projet supposément rationnel mais absolument dénué de raison, puisqu’il dépend d’une connaissance qui n’est disponible que dans les conditions qu’il contribue à détruire.

    Corollaire de cet argument, la connaissance économique, celle contenue dans les prix, se déploie dans le système, est générée par la libre activité d’innombrables personnes effectuant des choix rationnels et ne peut pas être traduite en un ensemble de propositions ou incorporée comme prémisse dans un dispositif de résolution des problèmes.

    (97) Comme les Autrichiens furent sans doute les premiers à le comprendre, l’activité économique exprime une logique particulière

    [a] Celle de l’action collective, lorsque la réponse d’une personne modifie le socle d’informations à disposition d’une autre. C’est de cette découverte qu’est issue la science de la théorie développée par le mathématicien américano-hongrois VON NEUMANN (1903-1957) et le mathématicien et économiste allemand MORGENSTERN (1902-1977) comme première étape dans l’explication des marchés, mais poursuivie aujourd’hui comme branche des mathématiques, avec des applications (et certaines malencontreuses) dans les domaines de la vie sociale et politique.

    [b] La théorie épistémique du marché proposée par HAYEK (1899-1992) ne prétend pas que le marché soit la seule forme possible d’ordre spontané, ni que le libre marché soit suffisant pour produire la coordination économique ou la stabilité sociale. Sa théorie affirme seulement que le mécanisme de formation des prix génère et contient une connaissance qui s’avère nécessaire à la coordination économique. Celle-ci peut être mise à mal par les cycles économiques, les imperfections du marché et les externalités, et reste dans tous les cas, dépendante d’autres normes d’ordre spontané pour sa survie à long terme. L’économiste britannique, membre de la chambre des Lords depuis 2015, JOHN O’NEILL (1957-), défendant un socialisme tempéré en opposition au plaidoyer de Hayek en faveur du libre marché, soutient que le mécanisme de formation des prix ne communique pas toute l’information nécessaire à la coordination économique et que, dans tous les cas l’information n’est pas suffisante. Pour un conservateur, il y aurait de bonnes raisons d’accepter l’affirmation de O’Neill ; mais ce sont des raisons que Hayek reconnaît. 

    (98) Le marché est maintenu en l’état par d’autres formes d’ordre spontané.

    Mais toutes ne doivent pas être comprises come des dispositifs épistémiques, mais dont certaines – les traditions morales et juridiques – créent une forme de solidarité que les marchés, livrés à eux-mêmes, pourraient éroder.

    [a] Chez Hayek, il est sous-entendu que le libre-échange comme pour les coutumes durables doivent être justifiées exactement dans les mêmes termes. Tous deux sont des distillations indispensables au savoir nécessaire à la vie en société, l’un opérant de façon synchronique, l’autre diachronique de sorte que l’expérience d’un nombre indéfini d’autres personnes influence les décisions que nous prenons nous-mêmes ici et maintenant.

    Hayek décrit le marché comme partie d’un ordre spontané plus large, fondé sur le libre-

    échange de biens, d’idées et de préférences – c’est « le jeu de la catallaxie[3] » comme il le nomme. Mais ce jeu se joue dans le temps et – pour inspirer ici Roger Scruton d’une pensée de Burke – les morts et les vivants y participent aussi, faisant part de leur présence, non sur le   marché, mais par les traditions, les institutions et les lois.

    Ceux qui estiment que l’ordre social devrait imposer des contraintes au marché ont donc raison. Mais dans un ordre réellement spontané, ces contraintes sont déjà présentes sous la forme de coutumes, de lois et de morale. Si ces bonnes choses déclinent, selon Hayek, la législation en aucun cas ne peut les remplacer. Car elles émergent de façon spontanée ou n’émergent pas, et l’imposition de lois en vue d’une « société bonne » peut menacer ce qui reste de la sagesses accumulée qui rend cette société possible. Au lieu de contenir notre activité dans les canaux requis par la justice, – ce qui est l’apanage du droit commun (common law) – la législation sociale revient à imposer à la société un ensemble de buts. Elle fait de la loi un instrument d’ingénierie sociale et permet à une pensée utilitaire de l’emporter sur les prétentions légitimes du droit naturel. En cas d’urgence, ou dans des conditions de déséquilibre manifeste, la législation est probablement la seule arme dont nous disposons. Mais nous devrions toujours garder à l’esprit qu’une législation ne crée pas d’ordre juridique mais le présuppose, et que dans notre cas – le cas de la sphère anglophone – l’ordre juridique est né sous l’effet d’une main invisible, parce qu’il fallait rendre la justice dans les conflits individuels.

    (99) En d’autres termes, l’ordre juridique est né spontanément.

    Et non selon un plan rationnel, comme ce fut le cas de l’ordre économique. Nous ne devrions pas être surpris, par conséquent, que les penseurs conservateurs de notre pays – en particulier les britanniques du XIXe siècle que sont Hume, Smith, Burke, et l’australien du XXe siècle Robert Oakeshott  – aient eu tendance à ne pas voir de contradiction entre la défense du marché et une vision traditionnaliste de l’ordre social. Car ils avaient foi dans les limites spontanées au marché par le consensus moral de la communauté et voyaient aussi bien dans le marché que dans les contraintes à son endroit l’œuvre de la même main invisible

    MAIS LA CONTRADICTION ENTRE LA DÉFENSE DU MARCHÉ ET UNE VISION TRADITIONNALISTE  DE L’ORDRE SOCIAL MENACE D’APPARAITRE AUJOURD’HUI, D’OÙ L’EFFONDREMENT  DU CONSENSUS PRÉCÉDENT

    Cette menace est peut-être réelle aujourd’hui. Mais cette menace est en partie le résultat de l’intervention de l’État ; il y a donc peu de chances que l’État puisse y remédier.

    À ce stade, toutefois, les conservateurs voudront introduire une réserve. Bien qu’Hayek ait probablement raison quand il pense que le marché et la morale traditionnelle sont tous deux des formes d’ordre spontané et se justifient tous deux d’un point de vue épistémique, il ne s’ensuit pas qu’ils n’entreront pas en conflit. Les socialistes ne sont pas les seuls à montrer du doigt les effets corrosifs du marché sur les relations humaines, ou à mettre en avant la distinction entre ce qui a de la valeur et ce qui a un prix. Aussi bien des traditions auxquelles les conservateurs sont les plus attachés peuvent se comprendre (du point de vue de la « rationalité évolutionniste » de Hayek) comme des procédés visant à sauver la vie humaine marchande[4]. La morale sexuelle traditionnelle, par exemple, qui insiste sur le caractère sacré de la personne humaine, sur le caractère sacramentel du mariage et sur l’immoralité des relations charnelles en dehors du vœu d’amour est – dans la perspective de Hayek – un moyen d’extraire le sexe de la sphère marchande , de lui refuser le statut de produit et de le mettre à l’abri de la relation d’échange. Cette pratique possède une fonction sociale évidente ; mais c’est une fonction qui ne peut être remplie que si les hommes voient le sexe comme un domaine aux valeurs propres et les prohibitions qui s’y appliquent comme des ordres absolus. Dans toutes les sociétés, la religion qui émerge spontanément, est liée à cette idée d’un ordre soustrait à la négociation. Pour le dire succinctement, est sacré ce qui n’a pas de prix. Et l’intérêt pour ce qui n’a pas de prix, ni valeur d’échange est exactement ce qui définit la vision conservatrice de la société.

    (100) Il s’ensuit que le jeu de la « catallaxie » n’offre pas de vision complète de l’essence de la politique.

    Pas plus qu’elle résout la question de savoir comment et dans quelle mesure, l’État doit choisir d’intervenir dans les échanges marchands, afin d’y donner la préséance à une autre forme d’ordre spontané peut-être en conflit avec le marché, ou bien de corriger les effets secondaires négatifs auxquels toute coopération humaine est susceptible de conduire. Cette question détermine le point de rencontre entre le conservatisme et le socialisme, mais aussi la nature du conflit qui les sépare. La vérité du capitalisme – que la propriété privée sous le régime du libre-échange, est la seule façon d’entretenir la coopération économique dans une société d’inconnus – ne répond pas aux critiques à l’encontre du capitalisme, qui ne visent pas la liberté économique  mais les distorsions qui y apparaissent, et qui nourrissent ressentiment et défiance chez ceux qui s’y trouvent perdants.

     

    LA LEÇON LA PLUS IMPORTANTE À RETENIR

    (101)

    [a] Cette leçon nous vient aussi bien du père des sciences économiques modernes, l’écossais  ADAM SMITH (1723-1790) et de sa défense originelle de la liberté économique comme effet bénéfique de la « main invisible », que, deux siècles plus tard,  de  HAYEK (1899-1992) de l’école autrichienne, avec sa défense d’un ordre spontané comme véhicule de l’information économique, est l’affaire d’êtres libres. Or un être libre est un être responsable. Les transactions économiques en régime de propriété privée ne dépendent pas seulement de la distinction entre ce qui m’appartient et appartient aux autres, mais du fait que nous sommes en relation des uns avec les autres. Sans responsabilité, pas de confiance, et sans confiance, les vertus que l’on attribue à l’économie libre seraient empêchées. Chaque transaction prend du temps, et le temps qui s’écoule entre son début et sa fin, seule la confiance, et non la propriété offre le cadre nécessaire.

    Ceci peut-être est évident. Mais que des être dignes de confiance n’apparaissent que dans certaines circonstances et que la confiance puisse être aussi facilement érodée est sans doute moins évident. Aucune économie de marché ne peut fonctionner correctement sans le soutien de sanctions juridiques et morales pour obliger les agents individuels à tenir parole en affaire et pour rapporter le coût d’une mauvaise conduite à son auteur.

    [b] Mais les économies modernes ont développé des moyens d’éviter ou de transférer ces coûts qui, de fait, permettent d’éviter les sanctions à l’encontre de comportements malhonnêtes ou manipulateurs. Les économies considérées par ADAM SMITH et ses successeurs du XIXe siècle étaient telles que les biens possédés par les parties en présence étaient des possessions réelles, dont le propriétaire avait une entière responsabilité et qui étaient entretenus par ceux qui les possédaient. La maison, le cheval ou la meule de foin avaient été maintenus en l’état par le vendeur, qui était responsable de la condition dans laquelle il les transmettait à son acheteur.

     

    LA DÉPRÉCIATION DE L’ « ENGAGEMENT » DANS LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES

    (102)

    [a] Mais du fait de l’accroissement des marchés financiers modernes, toutes sortes de choses s’échangent qui n’ont pas cette réalité tangible dans la vie de ceux qui en traitent, et qui sont échangés trop vite  pour que tout « engagement » à l’égard de leur condition puisse aisément naître[5]

    Nous en avons fait l’expérience pendant la crise des subprimes aux États-Unis, où les banques vendaient des dettes  qu’elles-mêmes – ou d’autres – ne pouvaient pas garantir ; nous le voyons dans le marché des hedge funds, où des managers échangent des paris faits par d’autres sur des activités qu’aucune des parties de la transaction ne contrôle. Ce commerce de « biens fantômes » est souvent conduit par des entités fantomatiques qui n’existent nulle part en particulier, disparaissant des lieux où elles pourraient être sommées de rendre des comptes dès que se profile une enquête fiscale, pour réapparaître en quelque horizon lointain, réclamant l’immunité face à toutes les charges qui pourraient être reconnues contre elles.

    [b] Ce trafic de biens fantômes provoque de vives réactions. Ce doit être forcément malhonnête, ou sinon, extrêmement injuste  – une façon de profiter de l’économie sans y contribuer  et de créer puis d’exploiter un déséquilibre afin d’écrémer de larges profits quand les autres sont forcés d’en subir les pertes corrélatives.

    Cette critique est-elle justifiée ? Est-ce une autre manifestation de la somme nulle qui a été rejetée précédemment au chapitre du socialisme? Est-ce peut-être la forme la plus récente prise par la condamnation séculaire de « l’usure » qui voyait l’intérêt, l’assurance et les marchés à terme comme le moyen de taxer l’honnête labeur des hommes sans y contribuer ?  Il est difficile de trancher, puisque l’économie moderne semble dépendre de l’intrication d’instruments financiers dont le développement est presque sans précédent.

    [103] Selon Roger Scruton Il n’y a pas d’autre choix que de serrer les dents et d’accepter que les nouveaux instruments financiers sont une extension naturelle des principes du marché dans des domaines qui n’ont pas encore été entièrement explorés

    Prétendre que l’utilisation de ces instruments est toujours malhonnête reviendrait nous priver de l’unique réelle distinction qu’il faut faire, entre ceux qui utilisent  ces biens irréels de façon transparente et honnête et ceux dont l’intention est l’exploitation et la duperie.

     

    LES  ABUS NE SONT PAS EXCLUS ET LES NUISANCES SONT EN VUE

    Les conservateurs croient dans la propriété privée parce qu’ils respectent l’autonomie de l’individu. Mais il est vrai que trop de conservateurs ont échoué à prendre au sérieux les abus auxquelles la propriété est sujette. Les économistes libertariens  ont souligné  à raison le rôle du marché dans la diffusion de la liberté et de la prospérité, montrant clairement que le contrat salarial n’est pas, comme le supposait Marx, un jeu à somme nulle, ou une partie gagne ce que l’autre perd, mais un arrangement pour un avantage mutuel. Mais le marché est ce mécanisme inoffensif  décrit par Hayek et d’autres, à la seule condition qu’il soit limité par un état de droit impartial et que tous ses participants assument le coût de leurs actes comme ils en reçoivent les bénéfices.  

    (104) Malheureusement cette vision idéale est de plus en plus éloignée de la réalité

    Certainement, au niveau local, les échanges privés ont tout le caractère bénéfique et libérateur souligné par les libertariens. Mais dès que l’on sort de ce cadre pour considérer les activités des entreprises de plus grande taille, le tableau diffère. Au lieu d’une compétition bienveillante pour s’assurer une part de marché, on découvre une compétition néfaste pour EXTERNALISER LES COÙTS. La firme qui peut transférer ses coûts aux autres a l’avantage sur celle qui doit les couvrir elle-même, et si ces coûts peuvent être transférés si largement qu’il est impossible d’en identifier les victimes, dans les faits, ils sont passés par pertes et profits.

    Pour prendre un exemple, considérons une bouteille. Les bouteilles étaient autrefois relativement chères à produire et lorsque Roger Scruton était encore enfant, les producteurs de boissons en bouteille les vendaient pour deux pence chacune. Ce prix était remboursé lorsque la bouteille était rendue au magasin, afin que le producteur la ramasse pour la recycler. À l’époque deux pence représentaient beaucoup d’argent – environ le moitié du coût de la boisson. Personne ne jetait de bouteilles et toutes étaient recyclées…Notre monde était bordé d’herbe, non de verre.

    Aujourd’hui, dès lors que les bouteilles peuvent être produites à très bon marché, aussi bien en verre qu’en plastique et il coûte moins cher à un producteur de les abandonner à leur destin que de les réclamer. Cette pratique a d’énormes conséquences environnementales et sociales. Mais elles ne sont pas supportées par le producteur et sont si largement distribuées qu’aucun groupe en particulier ne se détache comme victime. Nous vivons les premières années de l’emploi non biodégradable. Mais déjà une grande partie de la terre de Grande-Bretagne, autrefois magnifique, est remplie de bouteilles en plastique, de tasses et d’emballages de sandwich, qui obstruent les courants et les fossés, bloquent les canalisations, aggravent les inondations, représentent une menace pour l’agriculture, la faune et la flore, et effacent une icône nationale avec des effets inestimables sur le sentiment de communauté.

    (105) Pourquoi les défenseurs du marché n’élèvent-ils pas la voix contre une telle externalisation des coûts ?

    [a] Après tout, transmettre des coûts sans en être comptable n’est pas simplement les imposer aux autres : c’est détruire le mécanisme de récompense et de sanction par lequel le marché réalise son potentiel comme dispositif autorégulé. L’aisance avec laquelle les grands producteurs peuvent transférer leurs coûts est l’abus flagrant par lequel le marché qui, en dehors de ce cas de figure, est une des valeurs centrales du conservatisme – se condamne lui-même.  

    [b] Lorsque le premier ministre conservateur britannique BENJAMIN DISRAELI (1804-1881) comprit que la propriété privée était partie intégrante de la cause conservatrice et méritait d’être défendue avec le plus de vigueur possible contre les socialistes, il y ajouta une réserve importante qu’il nomma « le principe féodal », selon lequel le droit de propriété est aussi un devoir. Celui qui jouit de la propriété doit en être comptable, en particulier envers ceux pour qui elle pourrait être, sans cela, un fardeau. Il a une responsabilité envers les moins chanceux, envers les personnes à naître et envers l’héritage dont nous sommes tous partie. La préoccupation de Disraeli concernait la condition de la nouvelle classe ouvrière urbaine, et les problèmes environnementaux n’étaient pas la priorité de son programme politique. Mais aujourd’hui ils le sont pour tout le monde et la défense conservatrice de la propriété n’a guère de chance de gagner des convertis parmi les plus jeunes si elle ne cherche pas à démontrer que ce n’est pas le contrôle de l’État mais la propriété qui sauvera la planète du gaspillage humain. Roger Scruton se propose de revenir à ce problème au fichier suivant consacré au libéralisme.   

    (106) Des secteurs entiers de l’économie moderne sont issus de la pratique du transfert des coûts

    [a] L’exemple le plus notable en est le supermarché. Une grande partie des coûts entraînés par  

    la centralisation à grande échelle de la distribution alimentaire dans des chaînes de supermarchés sont assumés par le contribuable. Les réseaux de transport construits sur les deniers publics et les plans locaux d’urbanisme favorisant les centres commerciaux et les grands magasins offrent aux supermarchés un avantage insurmontable sur leurs concurrents du centre ville. Dans le même temps les coûts environnementaux et esthétiques de ce vaste réseau de distribution sont énormes.  Ces coûts moins tangibles sont assumés par nous tous, car nous avons la responsabilité, sur le long terme, d’un étalement urbain croissant et des effets de la dépendance énergétique. À ces fardeaux, il faut ajouter le coût du conditionnement qui constitue 25% du poids des produits facturés à la caisse. La plupart de ces emballages ne sont pas biodégradables et ne sont là que pour encourager les économies d’échelle qui permettent aux supermarchés de proposer des prix inférieurs à ceux des épiceries, leurs seuls véritables concurrents.

    [b] Par ces procédés et bien d’autres, les supermarchés ont réussi à externaliser les coûts réels de leur succès

    Leur succès à éliminer les boutiques du quartier, à forcer tout un chacun à se rendre au centre commercial pour y faire ses courses, à distribuer de la nourriture bon marché aux quatre coins du pays sans se donner la peine de faire affaire avec les producteurs locaux, ni payer le coût réel de sa production. La même chose vaut pour la plupart des autres chaînes d’Europe et d’Amérique. Elle vaut pour l’industrie de la construction, pour les producteurs de boissons et de sucreries, et pour les fabricants et distributeurs d’outils et de quincaillerie. En bref, le capitalisme mondial est sous certains aspects moins un exercice d’économie de marché, où les coûts sont assumés en vue d’un bénéfice qu’une sorte de brigandage, où les coûts sont transférés aux générations futures en vue d’une récompense « ici et maintenant ».

    (107) Comment restaurer le « principe féodal » dans une économie qui est allée si loin dans cette direction ?

    [a] Ce devrait être un élément majeur et provocateur d’un programme conservateur. Mais dans le débat politique en Amérique ou en Europe, c’est pratiquement un tabou. Même les socialistes  se détournent de la critique de la prédation opérée réellement par les grands groupes, une prédation qui vise les générations futures dont nous sommes aussi responsables. Comme les élites du New Labour et du SPD allemand, ils mènent la même vie que les PDG qu’ils fréquentent et transfèrent les coûts de leur politique aux générations futures, exactement de la même façon que les entreprises transfèrent le coût de leur succès économique aux générations à naître.      

    [b] Le seul espoir, selon Roger Scruton, serait dans l’émergence d’une autre forme de conservatisme qui, comme celui que promouvait le premier ministre britannique DISRAÉLI – se préoccupait de défendre la propriété privée contre ceux qui en abusent, et de garantir la liberté de la présente génération sans que cela en coûte à la suivante. Il ne se satisferait pas de cette économie mondialisée de l’OMC, et de ce nouveau capitalisme sans foi ni loi à la chinoise. Il proposerait aux citoyens européens un modèle d’entreprise responsable, où les initiatives de petite taille, la transparence et les liens locaux trouveraient la place qu’ils méritent –  la place sans laquelle le marché ne reviendra pas à l’équilibre, mais se dirigera cahin-caha vers la catastrophe environnementale.

    (108) Il est une autre question que les conservateurs doivent résoudre

    [a] L’attrait du marxisme ne réside plus dans la théorie de l’exploitation, la promesse de la révolution ou la critique de la bourgeoisie. Il réside dans l’analyse du « fétichisme des marchandises » dans le premier volume du Capital, une analyse à l’origine d’une critique

    continue des marchés et qui dérive de la diatribe de l’Ancien Testament contre l’idolâtrie[6].

    Selon cette critique le marché déracine le goût humain, va jusqu’à mettre en vente ce qui n’est pas échangeable si ce n’est comme cadeau, attribue un prix à toutes choses et nous mène à un monde d’illusions transitoires  et de fausses représentations – un monde esthétisé nous asservissant par le biais de nos appétits préfabriqués[7].

    [b] La critique a été développée de multiples façons et sur de multiples tons

    Mais elle se concentre toujours sur la distinction entre des désirs véritables et de faux désirs, des « tentations » menant à la rupture, à l’aliénation et à la fragmentation de soi-même. Cette distinction se trouve au cœur de la religion, et elle est le thème de nombreuses œuvres d’art. Il faut la reconnaître, en particulier aujourd’hui où nous vivons dans l’abondance. Les valeurs matérielles, l’idolâtrie et l’assouvissement sensoriel érodent progressivement la conscience qui est la nôtre que certains bien s ne peuvent absolument pas être mis en vente, puisqu’agir ainsi revient à les détruire – des biens comme l’amour, la relation charnelle, la beauté et l’enracinement. On ne peut entièrement les comprendre avant d’en avoir joui, et ils ne peuvent être quantifiés ni inclus dans quelque équation de coûts et bénéfices : ils naissent par notre association et existent du fait de leur partage. Ces biens n’ont pas leur place dans la vie de l’homo œconomicus.    

    (109) Malgré tout le bon sens à la racine de cet argument, Roger Scruton conseille de se montrer prudent avant d’accepter la distinction entre les vrais et les faux désirs

    [a] De cette distinction qui fait partie de la vie morale et que les parents ont le devoir d’enseigner à leurs enfants et qui est menacée par l’économie de marché. Les marchés mettent en vente  – cela est vrai. Mais la décision de mettre de côté ce qui ne doit pas y entrer est nôtre : elle est prise par la loi quand elle ne l’est pas par l’accord mutuel étant donné que nous n’avons pas d’autre choix que l’économie de marché, la seule question est de savoir comment en retirer ce qui échappe à l’échange. Ce n’est pas seulement une question politique. Cela concerne l’éducation, les coutumes, la culture et les rouages de la société civile, de même que les décisions du pouvoir législatif.

    [b] Nous ne pouvons pas échapper à la « réification » de la vie que la prospérité nous a naturellement apportée

    Mais nous pouvons nous efforcer de la discipliner par le bon goût, l’amour de la beauté et le sens de l’apparat. Ces bonnes choses ne proviennent pas de la politique, et encore moins d’une politique progressiste ou socialiste. Il est futile de rechercher un remède politique à des maux que nous ne pouvons traiter qu’en tirant parti de la cohésion sociale qui dépend à son tour des marchés. Comme nous le rappellent le nationalisme et le socialisme tels qu’ils ont été décrits précédemment, nous devrions reconnaître que leurs pires manifestations se reproduisent lorsque leurs adhérents y recherchent l’équivalent d’une foi religieuse – une soumission absolue qui balaie tout autre doute, exige un sacrifice total et offre en échange la rédemption. C’est cette possibilité, en lieu et place du royaume des objets, qu’exigent les marxistes de notre époque. Après tout, quel est le remède au fétichisme, si ce n’est la « véritable religion » qui remplace une idole concrète par une transcendance inexplicable ? C’est à ce point qu’il faut reconnaître la grande vertu du libéralisme  qui, depuis sa naissance au temps des Lumières, s’est efforcé d’imprimer en nous la distinction radicale entre les ordres politiques et religieux, et le besoin de bâtir l’art de gouverner sans dépendre de Dieu.



    [1] La guerre de Quatre-Vingts Ans, également appelée révolte des Pays-Bas ou encore révolte des gueux, est le soulèvement armé mené de 1568 (bataille de Heiligerlee) à 1648 (traité de Westphalie) . Né de l'opposition sociale, politique et religieuse à l'autorité de Philippe II, roi d’Espagne, dans les Flandres et les Pays-Bas du XVIe siècle, le mouvement des « gueux » exprime à la fois le mécontentement populaire, responsable de la flambée d'iconoclasme, et les revendications des nobles et des notables calvinistes. Écrasée dans les provinces du Sud, la guérilla se développera, au nord, en une guerre de libération qui aboutira à l'indépendance de la Hollande.

    [2] La calculation debate, qui a cours depuis le XXe siècle, concerne la façon  dont une économie socialiste peut réaliser des valorisations  économiques. En particulier, il interroge la pertinence de l’économie planifiée pour allouer les biens de production  à la place des marchés.

    [3] Hayek a forgé le terme « catallaxie » pour désigner « l’ordre engendré par l’ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché ». Une catallaxie est ainsi « l’espèce particulière d’ordre spontané produit par le marché à travers les actes de ceux qui se conforment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats » (Individualism and Economic Order).

    [4] La « rationalité évolutionniste » chez Hayek est la rationalité qui se construit sur le temps long, en réaction aux circonstances , et par un processus d’essais et d’erreurs , sur le modèle de l’évolution darwinienne.

    [5] « Engagement » traduit ici le terme liability. On pourrait le traduire par « responsabilité  «  mais ce serait perdre la précision du terme. La langue anglaise offre une précision remarquable quant à la notion de « responsabilité ». Ce concept peut être traduit par responsability, answerability, accountability, ou lability, le premier et le deuxième terme sont plutôt génériques ; le troisième exprime la nécessité de rendre des comptes devant autrui , indissociable de la transparence ; le dernier est plus juridique et décrit une dette réelle ou symbolique. La traduction essaie autant que possible de respecter  la distinction entre les termes.

    [6]  Selon l'Ancien Testament, le peuple d'Israël s'est laissé séduire par l'idolâtrie dans bien des périodes de son existence..... Les prophètes ont également reproché au peuple une désobéissance générale aux lois de Dieu, qui se traduisait, entre autres, par de l’injustice sociale. Mais ils présentent l’idolâtrie comme étant le péché central et dominant auquel tous les autres étaient liés (voir par exemple 2R 17.7-23, 21.1-15 ; Jr 2 ; Ez 8 à 11).

    [7] Pour la version la plus récente de cette critique sans fin, voir G. Lipovetsky et J, Serroy  L'Esthétisation du monde. Vivre à l'âge du capitalisme artiste. Paris : Gallimard, 2013.

    Des versions antérieures proviennent d’une trentaine d’auteurs comme T. Adorno, H. Marcuse, J.K Galbraith, etc.

     


    Date de création : 30/10/2016 @ 12:26
    Dernière modification : 01/11/2016 @ 12:36
    Catégorie : Sciences politiques
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