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    Phénoménologie - Le pragmatisme et ses représentants

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    LE PRAGMATISME ET SES REPRÉSENTANTS

     

    Charles Sanders Peirce (1839 -1914)

    Philosophe américain, logicien, mathématicien et scientifique qui est parfois connu comme "le père du pragmatisme ». Il a reçu une instruction de chimiste. Aujourd'hui, il est hautement apprécié pour ses contributions à la logique, aux mathématiques, à la philosophie, à la méthodologie scientifique, et la sémiotique, et pour sa fondation du pragmatisme.

    Il innova dans les mathématiques, les statistiques, la philosophie, la méthodologie de recherche, et diverses sciences. Peirce est avant tout un logicien. Il a fait d'importantes contributions à la logique, mais la logique, pour lui, englobe une grande partie de ce qui est maintenant appelé l'épistémologie et la philosophie des sciences. Pour lui, la branche formelle de la sémiotique –  dont il est le fondateur –, préfigure le débat entre les positivistes logiques et les promoteurs de la philosophie du langage qui a dominé la philosophie occidentale du XXe siècle. En outre, il a défini la notion de raisonnement abductif, et a rigoureusement formulé l’ induction mathématique et le raisonnement déductif. Dès 1886, il a vu que les opérations logiques pourraient être menées par des circuits de commutation électrique, idée qui fut utilisée quelques décennies plus tard pour produire des ordinateurs numériques. 

    En 1934, le philosophe Paul Weiss a appelé Peirce "le plus original, le plus polyvalent des philosophes américains et le plus grand logicien de l'Amérique".  Dans le dictionnaire biographique, Webster a déclaré en 1943 que Peirce pouvait être  "maintenant considéré comme le penseur le plus original et le plus grand logicien de son temps. " Keith Devlin a également fait référence à Peirce comme l'un des plus grands philosophes jamais rencontrés. 

    Pragmatisme et phénoménologie

    Schématiquement le pragmatisme est l’acquisition d’une connaissance tournée vers l’action, la phénoménologie est l’acquisition d’une connaissance qui fait abstraction de l'existence des choses pour mettre en évidence leur essence (réduction eidétique).

    Développons :

    • Dans le langage courant, pragmatisme désigne, en anglais comme en français, la simple capacité à s’adapter aux contraintes de la réalité ou encore l’idée selon laquelle l’intelligence a pour fin la capacité d'agir, et non la connaissance.

    Le mot pragmatisme lui-même est issu d'une école philosophique d'origine américaine, dont le fondateur est Charles Sanders Peirce qui, pour distinguer sa démarche des usages non-philosophiques du mot « pragmatisme », a proposé l'emploi du mot pragmaticisme.

    •  Chez Peirce, qui en énonça le principe, et avec James et Dewey, le pragmatisme serait une  philosophie d'hommes d'action pour laquelle tout ce qui est vrai est utile et tout ce qui est utile est vrai. Ce mouvement américain, injustement critiqué par les Européens comme soutien d'une économie et d'une culture déterminées, est en fait une philosophie de la science, dont la rationalité substitue au doute de type cartésien les questions concrètes du savant et qui fonde par là une théorie expérimentale de la signification. Il se présente aussi comme une philosophie de la démocratie, faisant des méthodes de mise à l'épreuve et de vérification qui caractérisent l'esprit de laboratoire, le modèle même de la tâche politique
    • Chez Husserl, l'intentionnalité est le mouvement où se résout la contradiction entre l'être et la conscience : elle scelle le pacte de la conscience et du monde. Il n'y a donc pas de monde qui ne soit pour une conscience et pas de conscience qui ne se détermine comme une façon d'appréhender le monde. Au noème (connaissance comme résultat) correspond une certaine noèse (acte de connaissance). Le phénomène est donc l'apparaître de la réalité, ce qui se donne au sujet ; sa connaissance ne consiste pas à le rejoindre mais à le dévoiler, à obtenir qu'il se donne directement tel qu'il est : unité de l'acte de conscience et de l'objet, unité réalisée par la visée intentionnelle.

    Mais les actes de conscience ne visent pas leurs objets de la même manière et, simultanément, les objets ne se donnent pas de façon identique. C'est à la phénoménologie qu'il appartient de dégager les distinctions et la certitude logique en permettant la description du vécu, des actes de conscience et des essences qu'ils visent.

     

    A/ La première génération du pragmatisme

    Tel que le décrit G.Deledalle[1], le mouvement pragmatiste est né et s’est développé en Amérique du Nord à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. L’idée en est venue à  Charles Sanders Peirce entre 1865 et 1872. Il l’exposa à quelques amis, parmi lesquels se trouvait William James, au cours de réunions d’un « Club métaphysique » qui tenait ses assises à Cambridge dans le Massachusetts . Il la rendit publique dans un article intitulé « Comment rendre nos idées claires » qu’il écrivit en français pour la ‘Revue philosophique’ et qui parut en janvier 1879. Peirce y énonce le principe du pragmatisme :

    « Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l'objet de notre conception. La conception de tous ces effets est la conception complète de l'objet ».

    W. James (1842-1910) appliqua d’abord ce principe à la religion et à la philosophie en 1898, avant de le transformer en théorie de la vérité, en 1906 au cours de conférences qu’il publia l’année suivante dans le livre – Le Pragmatisme[2] –, qui devait donner naissance au mouvement[3] .

    Les suites de la publication du livre de James

    C’est ainsi que quelques philosophes et écrivains européens se rallièrent au pragmatisme tel

    que James le concevait : l’anglais Ferdinand C. S. Schiller (1881-1937), les italiens Giovanni Papini  et Giuseppe Prezzolini, [le français Bergson qui devint son ami. Leurs liens avaient en effet pris naissance en décembre1902 par un échange de correspondance, et ceux-ci ne prirent fin qu’au décès de James en 1910[4]].

    Une philosophie de la science expérimentale

    Les critiques européens du pragmatisme  ne virent dans ce mouvement que la glorification de la valeur pratique des idées. Une idée n’est vraie que si elle fonctionne. James accumule dans Le Pragmatisme les épithètes qui confirment aux yeux de beaucoup de philosophes la justesse de cette interprétation : la fonction d’une idée est de « nous servir de guide et de guide agréable » ; nous admettons « qu’une chose existe quand cela nous réussit d’y croire » ; « le vrai consiste simplement dans ce qui est avantageux pour notre pensée ». James parle de « monnayer » les vérités qui n’ont pour caractère commun que d’être des vérités qui paient ».

    Le pragmatisme de Pierce

    Pour Peirce dans tous les cas la vérité est immuable, infinie et réelle ce qui le différencie des autres pragmatistes qui sont plus pluralistes. Toutefois sur d'autres points il demeura leur allié. 

    Une idée fondamentale du pragmatisme est que la croyance est ce qui prépare l'individu à agir. Le pragmatisme de Peirce est une méthode de clarification des conceptions des objets. Il lie chaque conception d'un objet à une conception de ce que les effets concevables de l'objet impliquent pour une pratique informée. C'est une méthode de sortir des confusions conceptuelles occasionnée par exemple, par des distinctions formelles qui n'ont pas de différences pratiques. Pour lui tant le pragmatisme que la statistique font partie de la logique scientifique, comme en témoigne sa série d'articles sur les Illustrations of the Logic of Science.

    Dans How to Make Our Ideas Clear, Peirce distingue trois niveaux de clarté des conceptions :

    • Clarté des conceptions familières et souvent utilisées même si non analysées et non développées.
    • Clarté d'une conception en vertu de la clarté de ses parties, c'est-à-dire de ce que les logiciens appellent une idée « distincte », qui est clarifiée par l'analyse de ce qui la rend applicable. Ailleurs, faisant écho à Kant, Peirce appelle une pareille définition « nominale ».
    • Clarté en vertu de la clarté des implications pratiques concevables des effets conçus de l'objet. Ici, il introduit ce qu'il appellera la maxime pragmatique.

    Pour donner un exemple de la façon de clarifier une conception, il prend les conceptions de vérité et de réalité comme questions sur les présuppositions du raisonnement. Dans la clarté du second niveau (nominale) il définit la vérité comme un signe correspondant à son objet et la réalité comme l'objet d'une telle correspondance de sorte que la vérité et la réalité sont indépendantes de ce que vous ou moi ou une communauté de chercheurs pensent. Après cette étape nécessaire mais limitée la clarté du troisième degré (le degré pragmatique, orienté vers la pratique) il définit la vérité comme ce que l'opinion voudrait atteindre, tôt ou tard mais inévitablement par des recherches menées assez loin de telle sorte que la réalité dépende de l'opinion finale idéale – une dépendance à laquelle il appelle en terme théorique ailleurs par exemple pour la validité de long terme de la règle de l'induction. Peirce avance que même pour s'opposer à l'indépendance et à la découverte de la vérité et de la réalité il faut présupposer qu'il y a une vérité.

    Son pragmatisme n'a pas de ressemblance avec le pragmatisme "vulgaire" qui de façon trompeuse signifie une rude et machiavelienne recherche d'avantage politique[5]. Au contraire, la maxime pragmatique est au cœur du pragmatisme comme une méthode d'expérimentation mentale  menant à une conception en termes de circonstances de confirmation ou d'infirmation – une méthode favorable à la formation d'hypothèses exploratoires conduisant à l'usage de la vérification.

    Le pragmatisme de Peirce comme méthode et théorie des définitions et de la clarté conceptuelle est une partie de la théorie de l'enquête, qu'il appelle de différentes façons spéculative, générale, formelle ou rhétorique universelle ou simplement methodeutic. Il applique son pragmatisme comme une méthode dans toute son œuvre[6].

    Théorie de l'enquête - Sens Commun critique[7]

    Le sens commun critique est pour Peirce une conséquence du pragmatisme. C'est un mélange du sens commun à la Thomas Reid où la croyance précède la connaissance et du faillibilisme de Peirce pour qui les propositions plus ou moins vagues du sens commun doivent être remplacées par des « propositions générales, moins afin de les réfuter que pour les contrôler logiquement ».

    Les quatre méthodes d'enquêtes

    Dans The Fixation of Belief (1877), Peirce pense l'enquête non comme la poursuite de la vérité en soi « per se » mais, comme un combat pour passer du doute irritant et inhibiteur à la sécurité d'une croyance qui prépare à un acte. Chez Peirce, la croyance est à la fois une « règle active en nous » et une « habitude intelligente d'après laquelle nous agirons quand l'occasion se présentera ». De façon synthétique, pour lui, « une véritable croyance ou opinion est quelque chose sur la base de quoi un homme est prêt à agir : c'est par conséquent en un sens général, une habitude ». La trame de l'enquête scientifique chez Peirce réside dans le doute mais, il ne s'agit pas d'un doute radical à la Descartes mais d'un doute au sens d'une expérience qui vient rompre la confiance paisible que nous avions dans une croyance.

    Peirce distingue quatre méthodes d'enquête (Claudine Tiercelin parle de « quatre méthodes de fixation de la croyance »). Pierce tient les trois premières méthodes pour spécieuses et les réfute.

    La méthode de la ténacité

    •  Si pour Peirce on peut admirer dans cette méthode sa « force, sa simplicité, son caractère direct », nous devons aussi constater qu'elle conduit à ignorer les informations contraires ce qui crée des tensions contre lesquelles la ténacité ne pourra résister.

    La méthode de l'autorité

    •  Dans ce cas, l'État aura un rôle d'endoctrinement. Si cette méthode peut être redoutable néanmoins elle ne peut pourvoir à toutes les questions et empêcher les individus de penser, de comparer avec ce qui se fait ailleurs.

    La méthode dite a priori ou « de ce qui est agréable à la raison. »

    • Dans ce cas, la vérité de croyance dépend de son caractère agréable. Si cette méthode est plus intellectuellement respectable que les deux autres néanmoins elle fait dépendre les croyances d'éléments capricieux et accidentel au sens aristotélicien.

    La méthode de la science

    •  Dans ce cas, l'enquête suppose qu'il est possible de découvrir la réalité (Claudine Tiercelin appelle cela « l'hypothèse de la réalité » de sorte qu'à la différence des autres méthodes, l'enquête scientifique peut invalider la croyance ou la critiquer, la corriger et l'améliorer).

    Peirce tient que si dans les affaires pratiques la lente et hésitante ratiocination est dangereusement inférieure à l'instinct ou à un réflexe traditionnel, la méthode scientifique est plus adaptée à la recherche théorique  où elle est supérieure aux autres car elle est délibérément conçue pour tenter d'arriver à des croyances plus sûres qui peuvent conduire à des pratiques meilleures.

    Méthode scientifique

    Peirce adopte une méthode qui n'est ni totalement hypothético-déductive à partir de vérité évidente, ni totalement inductive (empirisme). En effet à ces deux éléments qu'il revisite il ajoute l'abduction (épistémologie).

    • Phase d'abduction. Pour Pierce, toute enquête qu'elle porte sur les idées, les faits bruts, les normes ou les lois est provoquée par une observation surprenante. La structure du raisonnement abductif est du type « Le fait surprenant C est observé; mais si A était vrai, C irait de soi; il y a donc des raisons de soupçonner que A est vrai ».

     En 1903 Peirce nommait le pragmatisme, la « logique de l'abduction », et souligne son efficacité. En effet elle présente au moins deux avantages :

    – (1) elle est « la seule espèce de raisonnement susceptible d'introduire des idées nouvelles »,

    –  (2) elle pousse à tester sa plausabilité de façon économique.

    A/  Phase de déduction avec deux étapes :

    •  1   Explicative.

     À partir de prémisses peu claires la déduction peut permettre de rendre certaines parties des prémisses plus claires.

    • 2 Démonstrative.       

    À partir de prémisses vraies on peut tirer des conclusions vraies grâce à un raisonnement logique.

     B / Phase d'induction :

    Pour Peirce « l'induction désigne plutôt la mise à l'épreuve des hypothèses, que celle-ci se termine par une confirmation ou une réfutation » alors qu'usuellement elle vise à confirmer l'hypothèse.

    Le pragmatisme de James (vérité et réalité[8])

    La présentation de ces textes sur William James nous renseigne à un double point de vue. En premier lieu il nous fait prendre conscience de la réception du pragmatisme en France et, en second lieu, nous éclaire sur le parcours intellectuel et personnel de Bergson. Elle va cependant bien au-delà. C’est que nous nous trouvons face à une face à une amitié qui a pris naissance en décembre1902 par un échange de correspondance entre les deux auteurs, correspondance qui ne prendra fin qu’au décès de James en 1910. Cette amitié, faite d’admiration et de sympathie personnelle, au sein d’un univers plus enclin à la rivalité, nous apparaît aujourd’hui comme celle de « frères de pensée » ; fondée, selon le mot d’Aristote, « sur une communauté de vertu », elle nous révèle cette entente « franco-américaine » du début du XXe siècle.    

    Quand Bergson écrit cet essai pour servir de préface à l'ouvrage de William James sur le Pragmatisme[9], il a alors en main plusieurs ouvrages de James : The Principles of Psychology, The Will to Believe and other Essays in Popular Philosophy, The Varieties of Religions Experience, et vraisemblablement de What is an emotion, The perception of Time.

    Comment parler du pragmatisme après William James ? Et que pourrions-nous en dire qui ne se trouve déjà dit, et bien mieux dit, dans le livre saisissant et charmant dont nous avons ici la traduction fidèle ? Nous nous garderions de prendre la parole, si la pensée de James n'était le plus souvent diminuée, ou altérée, ou faussée, par les interprétations qu'on en donne. Bien des idées circulent, qui risquent de s'interposer entre le lecteur et le livre, et de répandre une obscurité artificielle sur une œuvre qui est la clarté même.

    On comprendrait mal le pragmatisme de James si l'on ne commençait par modifier l'idée qu'on se fait couramment de la réalité en général. On parle du « monde » ou du « cosmos » ; et ces mots, d'après leur origine, désignent quelque chose de simple, tout au moins de bien composé. On dit « l'univers », et le mot fait penser à une unification possible des choses. On peut être spiritualiste, matérialiste, panthéiste, comme on peut être indiffé­rent à la philosophie et satisfait du sens commun : toujours on se représente un ou plusieurs principes simples, par lesquels s'expli­querait l'ensemble des choses matérielles et morales.

    C'est que notre intelligence est éprise de simplicité. Elle économise l'effort, et veut que la nature se soit arrangée de façon à ne réclamer de nous, pour être pensée, que la plus petite somme possible de travail. Elle se donne donc juste ce qu'il faut d'éléments ou de principes pour recomposer avec eux la série indéfinie des objets et des événements.

    Mais si, au lieu de reconstruire idéalement les choses pour la plus grande satisfaction de notre raison, nous nous en tenions purement et simplement à ce que l'expérience nous donne, nous penserions et nous nous exprimerions d'une tout autre manière. Tandis que notre intelligence, avec ses habitudes d'économie, se représente les effets comme strictement proportionnés à leurs causes, la nature, qui est prodigue, met dans la cause bien plus qu'il n'est requis pour produire l'effet. Tandis que notre devise à nous est Juste ce qu'il faut, celle de la nature est Plus qu'il ne faut,– trop de ceci, trop de cela, trop de tout. La réalité, telle que James la voit, est redondante et surabondante. Entre cette réalité et celle que les philosophes reconstruisent, je crois qu'il eût établi le même rapport qu'entre la vie que nous vivons tous les jours et celle que les acteurs nous représentent, le soir, sur la scène. Au théâtre, chacun ne dit que ce qu'il faut dire et ne fait que ce qu'il faut faire ; il y a des scènes bien décou­pées ; la pièce a un commencement, un milieu, une fin ; et tout est disposé le plus parcimonieusement du monde en vue d'un dénouement qui sera heureux ou tragique. Mais, dans la vie, il se dit une foule de choses inutiles, il se fait une foule de gestes superflus, il n'y a guère de situations nettes ; rien ne se passe aussi simplement, ni aussi complètement, ni aussi joliment que nous le voudrions ; les scènes empiètent les unes sur les autres ; les choses ne commencent ni ne finissent ; il n'y a pas de dénouement entièrement satisfaisant, ni de geste absolument décisif, ni de ces mots qui portent et sur lesquels on reste : tous les effets sont gâtés. Telle est la vie humaine. Et telle est sans doute aussi, aux yeux de James, la réalité en général.

    Certes, notre expérience n'est pas incohérente. En même temps qu'elle nous présente des choses et des faits, elle nous montre des parentés entre les choses et des rapports entre les faits : ces relations sont aussi réelles, aussi directement obser­vables, selon William James, que les choses et les faits eux-­mêmes. Mais les relations sont flottantes et les choses sont fluides. Il y a loin de là à cet univers sec, que les philosophes composent avec des éléments bien découpés, bien arrangés, et où chaque partie n'est plus seulement reliée à une autre partie, comme nous le dit l'expérience, mais encore, comme le voudrait notre raison, coordonnée au Tout.

    Le « pluralisme » de William James ne signifie guère autre chose. L'antiquité s'était représenté un monde clos, arrêté, fini c'est une hypothèse, qui répond à certaines exigences de notre raison. Les modernes pensent plutôt à un infini : c'est une autre hypothèse, qui satisfait à d'autres besoins de notre raison. Du point de vue où James se place, et qui est celui de l'expérience pure ou de l'« empirisme radical », la réalité n'apparaît plus comme finie ni comme infinie, mais simplement comme indé­finie. Elle coule, sans que nous puissions dire si c'est dans une direction unique, ni même si c'est toujours et partout la même rivière qui coule.

    Notre raison est moins satisfaite. Elle se sent moins à son aise dans un monde où elle ne retrouve plus, comme dans un miroir, sa propre image. Et, sans aucun doute, l'importance de la raison humaine est diminuée. Mais combien l'importance de l'homme lui-même, – de l'homme tout entier, volonté et sensi­bilité autant qu'intelligence,– va s'en trouver accrue !

    L'univers que notre raison conçoit est, en effet, un univers qui dépasse infiniment l'expérience humaine, le propre de la raison étant de prolonger les données de l'expérience, de les étendre par voie de généralisation, enfin de nous faire concevoir bien plus de choses que nous n'en apercevrons jamais. Dans un pareil univers, l'homme est censé faire peu de chose et occuper peu de place : ce qu'il accorde à son intelligence, il le retire à sa volonté. Surtout, ayant attribué à sa pensée le pouvoir de tout embrasser, il est obligé de se représenter toutes choses en termes de pensée : à ses aspirations, à ses désirs, à ses enthousiasmes il ne peut demander d'éclaircissement sur un monde où tout ce qui lui est accessible a été considéré par lui, d' avance, comme traduisible en idées pures. Sa sensibilité ne saurait éclairer son intelligence, dont il a fait la lumière même.

    La plupart des philosophies rétrécissent donc notre expé­rience du côté sentiment et volonté, en même temps qu'elles la prolongent indéfiniment du côté pensée. Ce que James nous demande, c'est de ne pas trop ajouter à l'expérience par des vues hypothétiques, c'est aussi de ne pas la mutiler dans ce qu'elle a de solide. Nous ne sommes tout à fait assurés que de ce que l'expérience nous donne ; mais nous devons accepter l'expérience intégralement, et nos sentiments en font partie au même titre que nos perceptions, au même titre par conséquent que les « choses ». Aux yeux de William James, l'homme tout entier compte. Il compte même pour beaucoup dans un monde qui ne l'écrase plus de son immensité. On s'est étonné de l'importance que James attribue, dans un de ses livres[10], à la curieuse théorie de Fechner, qui fait de la Terre un être indépendant, doué d'une âme divine. C'est qu'il voyait là un moyen commode de symboliser – peut-être même d'exprimer – sa propre pensée. Les choses et les faits dont se compose notre expérience constituent pour nous un monde humain[11], relié sans doute à d'autres, mais si éloigné d’eux et si près de nous que nous devons le considé­rer, dans la pratique, comme suffisant à l'homme et se suffisant à lui-même. Avec ces choses et ces événements nous faisons corps – nous, c'est-à-dire tout ce que nous avons conscience d'être, tout ce que nous éprouvons. Les sentiments puissants qui agitent l'âme à certains moments privilégiés sont des forces aussi réelles que celles dont s'occupe le physicien ; l'homme ne les crée pas plus qu'il ne crée de la chaleur ou de la lumière. Nous baignons, d'après James, dans une atmosphère que tra­versent de grands courants spirituels. Si beaucoup d'entre nous se raidissent, d'autres se laissent porter. Et il est des âmes qui s'ouvrent toutes grandes au souffle bienfaisant. Celles-là sont les âmes mystiques. On sait avec quelle sympathie James les a étudiées. Quand parut son livre sur l'Expérience religieuse, beaucoup n'y virent qu'une série de descriptions très vivantes et d'analyses très pénétrantes – une psychologie, disaient-ils, du sentiment religieux. Combien c'était se méprendre sur la pensée de l'auteur ! La vérité est que James se penchait sur l'âme mystique comme nous nous penchons dehors, un jour de printemps, pour sentir la caresse de la brise, ou comme, au bord de la mer, nous surveillons les allées et venues des barques et le gonflement de leurs voiles pour savoir d'où souffle le vent. Les âmes que remplit l'enthousiasme religieux sont véritablement soulevées et transportées : comment ne nous feraient-elles pas prendre sur le vif, ainsi que dans une expérience scientifique, la force qui trans­porte et qui soulève ? Là est sans doute l'origine, là est l'idée inspiratrice du « pragmatisme » de William James. Celles des vérités qu'il nous importe le plus de connaître sont, pour lui, des vérités qui ont été senties et vécues avant d'être pensées[12].

    De tout temps on a dit qu'il y a des vérités qui relèvent du sentiment autant que de la raison ; et de tout temps aussi on a dit qu'à côté des vérités que nous trouvons faites il en est d'autres que nous aidons à se faire, qui dépendent en partie de notre volonté. Mais il faut remarquer que, chez James, cette idée prend une force et une signification nouvelles. Elle s'épanouit, grâce à la conception de la réalité qui est propre à ce philosophe, en une théorie générale de la vérité.

    Qu'est-ce qu'un jugement vrai ? Nous appelons vraie l'affir­mation qui concorde avec la réalité. Mais en quoi peut consister cette concordance ? Nous aimons à y voir quelque chose comme la ressemblance du portrait au modèle : l'affirmation vraie serait celle qui copierait la réalité. Réfléchissons-y cependant : nous verrons que c'est seulement dans des cas rares, exceptionnels, que cette définition du vrai trouve son application. Ce qui est réel, c'est tel ou tel fait déterminé s'accomplissant en tel ou tel point de l'espace et du temps, c'est du singulier, c'est du changeant. Au contraire, la plupart de nos affirmations sont générales et impliquent une certaine stabilité de leur objet. Prenons une vérité aussi voisine que possible de l'expérience, celle-ci par exemple : « la chaleur dilate les corps ». De quoi pourrait-elle bien être la copie ? Il est possible, en un certain sens, de copier la dilatation d'un corps déterminé à des moments déterminés, en la photogra­phiant dans ses diverses phases. Même, par métaphore, je puis encore dire que l'affirmation « cette barre de fer se dilate » est la copie de ce qui se passe quand j'assiste à la dilatation de la barre de fer. Mais une vérité qui s'applique à tous les corps, sans concerner spécialement aucun de ceux que j'ai vus, ne copie rien, ne reproduit rien. Nous voulons cependant qu'elle copie quelque chose, et, de tout temps, la philosophie a cherché à nous donner satisfaction sur ce point. Pour les philosophes anciens, il y avait, au-dessus du temps et de l'espace, un monde où siégeaient, de toute éternité, toutes les vérités possibles : les affirmations humaines étaient, pour eux, d'autant plus vraies qu'elles copiaient plus fidèlement ces vérités éternelles. Les modernes ont fait descendre la vérité du ciel sur la terre ; mais ils y voient encore quelque chose qui préexisterait à nos affirmations. La vérité serait déposée dans les choses et dans les faits : notre science irait l'y chercher, la tirerait de sa cachette, l'amènerait au grand jour. Une affirmation telle que « la chaleur dilate les corps » serait une loi qui gouverne les faits, qui trône, sinon au-dessus d'eux, du moins au milieu d'eux, une loi véritablement contenue dans notre expérience et que nous nous bornerions à en extraire. Même une philosophie comme celle de Kant, qui veut que toute vérité scientifique soit relative à l'esprit humain, considère les affirmations vraies comme données par avance dans l'expérience humaine : une fois cette expérience organisée par la pensée humaine en général, tout le travail de la science consisterait à percer l'enveloppe résistante des faits à l'intérieur desquels la vérité est logée, comme une noix dans sa coquille.

    Cette conception de la vérité est naturelle à notre esprit et naturelle aussi à la philosophie, parce qu'il est naturel de se représenter la réalité comme un tout parfaitement cohérent et systématisé, que soutient une armature logique. Cette armature serait la vérité même ; notre science ne ferait que la retrouver. Mais l'expérience pure et simple ne nous dit rien de semblable, et James s'en tient à l'expérience. L'expérience nous présente un flux de phénomènes : si telle ou telle affirmation relative à l'un d'eux nous permet de maîtriser ceux qui le suivront ou même simplement de les prévoir, nous disons de cette affirmation qu'elle est vraie. Une proposition telle que « la chaleur dilate les corps », proposition suggérée par la vue de la dilatation d'un certain corps, fait que nous prévoyons comment d'autres corps se comporteront en présence de la chaleur ; elle nous aide à passer d'une expérience ancienne à des expériences nouvelles ; c'est un fil conducteur, rien de plus. La réalité coule ; nous cou­lons avec elle ; et nous appelons vraie toute affirmation qui, en nous dirigeant à travers la réalité mouvante, nous donne prise sur elle et nous place dans de meilleures conditions pour agir.

    On voit la différence entre cette conception de la vérité et la conception traditionnelle. Nous définissons d'ordinaire le vrai par sa conformité à ce qui existe déjà ; James le définit par sa rela­tion à ce qui n'existe pas encore. Le vrai, selon William James, ne copie pas quelque chose qui a été ou qui est : il annonce ce qui sera, ou plutôt il prépare notre action sur ce qui va être. La philosophie a une tendance naturelle à vouloir que la vérité regarde en arrière : pour James elle regarde en avant.

    Plus précisément, les autres doctrines font de la vérité quel­que chose d'antérieur à l'acte bien déterminé de l'homme qui la formule pour la première fois. Il a été le premier à la voir, disons-nous, mais elle l'attendait, comme l'Amérique attendait Christophe Colomb. Quelque chose la cachait à tous les regards et, pour ainsi dire, la couvrait : il l'a découverte. – Tout autre est la conception de William James. Il ne nie pas que la réalité soit indépendante, en grande partie au moins, de ce que nous disons ou pensons d'elle ; mais la vérité, qui ne peut s'attacher qu'à ce que nous affirmons de la réalité, lui paraît être créée par notre affir­mation. Nous inventons la vérité pour utiliser la réalité, comme nous créons des dispositifs mécaniques pour utiliser les forces de la nature. On pourrait, ce me semble, résumer tout l'essentiel de la conception pragmatiste de la vérité dans une formule telle que celle-ci : tandis que pour les autres doctrines une vérité nouvelle est une découverte, pour le pragmatisme c'est une invention[13].

    Il ne suit pas de là que la vérité est arbitraire. Une invention mécanique ne vaut que par son utilité pratique. De même une affir­mation, pour être vraie, doit accroître notre empire sur les choses. Elle n'en est pas moins la création d'un certain esprit individuel, et elle ne préexistait pas plus à l'effort de cet esprit que le phonogra­phe, par exemple, ne préexistait à Édison. Sans doute l'inventeur du phonographe a dû étudier les propriétés du son, qui est une réalité. Mais son invention s'est surajoutée à cette réalité comme une chose absolument nouvelle, qui ne se serait peut-être jamais produite s'il n'avait pas existé. Ainsi une vérité, pour être viable, doit avoir sa racine dans des réalités ; mais ces réalités ne sont que le terrain sur lequel cette vérité pousse, et d'autres fleurs auraient aussi bien poussé là si le vent y avait apporté d'autres graines.

    La vérité, d'après le pragmatisme, s'est donc faite peu à peu, grâce aux apports individuels d'un grand nombre d' inventeurs. Si ces inventeurs n'avaient pas existé, s'il y en avait eu d'autres à leur place, nous aurions eu un corps de vérités tout différent. La réalité fut évidemment restée ce qu'elle est, ou à peu près ; mais autres eussent été les routes que nous y aurions tracées pour la commodité de notre circulation. Et il ne s'agit pas seulement ici des vérités scientifiques. Nous ne pouvons construire une phrase, nous ne pouvons même plus aujourd'hui prononcer un mot, sans accepter certaines hypothèses qui ont été créées par nos ancêtres et qui auraient pu être très différentes de ce qu'elles sont. Quand je dis :    « mon crayon vient de tomber sous la table », je n'énonce certes pas un fait d'expérience, car ce que la vue et le toucher me montrent, c'est simplement que ma main s'est ouverte et qu'elle a laissé échapper ce qu'elle tenait : le bébé attaché à sa chaise, qui voit tomber l'objet avec lequel il joue, ne se figure probablement pas que cet objet continue d'exister ; ou plutôt il n'a pas l'idée nette d'un « objet », c'est- à-dire de quelque chose qui subsiste, invariable et indépendant, à travers la diversité et la mobilité des apparences qui passent. Le premier qui s'avisa de croire à cette invariabilité et à cette indépendance fit une hypothèse : c'est cette hypothèse que nous adoptons couramment toutes les fois que nous employons un substantif, toutes les fois que nous parlons. Notre grammaire aurait été autre, autres eussent été les articulations de notre pensée, si l'humanité, au cours de son évolution, avait préféré adopter des hypothèses d'un autre genre.

    La structure de notre esprit est donc en grande partie notre œuvre, ou tout au moins l'œuvre de quelques-uns d'entre nous. Là est, ce me semble, la thèse la plus importante du pragma­tisme, encore qu'elle n'ait pas été explicitement dégagée. C'est par là que le pragmatisme continue le kantisme. Kant avait dit que la vérité dépend de la structure générale de l'esprit humain. Le pragmatisme ajoute, ou tout au moins implique, que la struc­ture de l'esprit humain est l'effet de la libre initiative d'un cer­tain nombre d'esprits individuels.

    Cela ne veut pas dire, encore une fois, que la vérité dépende de chacun de nous : autant vaudrait croire que chacun de nous pou­vait inventer le phonographe. Mais cela veut dire que, des diverses espèces de vérité, celle qui est le plus près de coïncider avec son objet n'est pas la vérité scientifique, ni la vérité de sens commun, ni, plus généralement, la vérité d'ordre intellectuel. Toute vérité est une route tracée à travers la réalité ; mais, parmi ces routes, il en est auxquelles nous aurions pu donner une direction très dif­férente si notre attention s'était orientée dans un sens différent ou si nous avions visé un autre genre d'utilité ; il en est, au contraire, dont la direction est marquée par la réalité même : il en est qui correspondent, si l'on peut dire, à des courants de réalité. Sans doute celles-ci dépendent encore de nous dans une certaine mesure, car nous sommes libres de résister au courant ou de le suivre, et, même si nous le suivons, nous pouvons l'infléchir diversement, étant associés en même temps que soumis à la force qui s'y mani­feste. Il n'en est pas moins vrai que ces courants ne sont pas créés par nous ; ils font partie intégrante de la réalité. Le pragmatisme aboutit ainsi à intervertir l'ordre dans lequel nous avons coutume de placer les diverses espèces de vérité. En dehors des vérités qui traduisent des sensations brutes, ce seraient les vérités de sentiment qui pousseraient dans la réalité les racines les plus profondes. Si nous convenons de dire que toute vérité est une invention, il faudra, je crois, pour rester fidèle à la pensée de William James, établir entre les vérités de sentiment et les vérités scientifiques le même genre de différence qu'entre le bateau à voiles, par exemple, et le bateau à vapeur : l'un et l'autre sont des inventions humaines ; mais le premier ne fait à l'artifice qu'une part légère, il prend la direction du vent et rend sensible aux yeux la force naturelle qu'il utilise ; dans le second, au contraire, c'est le mécanisme artificiel qui tient la plus grande place ; il recouvre la force qu'il met en jeu et lui assigne une direction que nous avons choisie nous-mêmes.

    La définition que James donne de la vérité fait donc corps avec sa conception de la réalité. Si la réalité n'est pas cet univers économique et systématique que notre logique aime à se repré­senter, si elle n'est pas soutenue par une armature d'intellectua­lité, la vérité d'ordre intellectuel est une invention humaine qui a pour effet d'utiliser la réalité plutôt que de nous introduire en elle. Et si la réalité ne forme pas un ensemble, si elle est multiple et mobile, faite de courants qui s'entrecroisent, la vérité qui naît d'une prise de contact avec quelqu'un de ces courants – vérité sentie avant d'être conçue – est plus capable que la vérité simplement pensée de saisir et d'emmagasiner la réalité même.

    C'est donc enfin à cette théorie de la réalité que devrait s'at­taquer d'abord une critique du pragmatisme. On pourra élever des objections contre elle – et nous ferions nous-mêmes, en ce qui la concerne, certaines réserves : personne n'en contestera la profondeur et l'originalité. Personne non plus, après avoir examiné de près la conception de la vérité qui s'y rattache, n'en méconnaîtra l'élévation morale. On a dit que le pragmatisme de James n'était qu'une forme du scepticisme, qu'il rabaissait la vérité, qu'il la subordonnait à l'utilité matérielle, qu'il déconseillait, qu'il décourageait la recherche scientifique désintéressée. Une telle interprétation ne viendra jamais à l'esprit de ceux qui liront attentivement l'œuvre. Et elle surprendra profondément ceux qui ont eu le bonheur de connaître l'homme. Nul n'aima la vérité d'un plus ardent amour. Nul ne la chercha avec plus de passion. Une immense inquiétude le soulevait ; et, de science en science, de l'anatomie et de la physiologie à la psychologie, de la psychologie à la philosophie, il allait, tendu sur les grands problèmes, insoucieux du reste, oublieux de lui-même. Toute sa vie il observa, il expérimenta, il médita. Et comme s'il n'eût pas assez fait, il rêvait encore, en s'endormant de son dernier sommeil, il rêvait d'expériences extraordinaires et d'efforts plus qu'humains par lesquels il pût continuer, jusque par-delà la mort, à travailler avec nous pour le plus grand bien de la science, pour la plus grande gloire de la vérité.

    Le pragmatisme de John Dewey[14] (1859-1962)

    La première philosophie à laquelle Dewey doit une grande part de son inspiration n'est toutefois ni celle de Charles S. Peirce, ni celle de William James, mais celle de Hegel. Ce n'est qu'après avoir trouvé chez ce dernier la forme de pensée, fondée sur la dialectique, qui lui convenait, qu'il découvrit l'importance de Peirce. Mais l'idéalisme qui marque ses premiers travaux est aussi largement contrebalancé par l'influence de Darwin. C'est à lui que Dewey doit son concept d'expérience, concept essentiel qui est à la source de son naturalisme et de son interactionnisme, tous deux opposés aux dualismes qui caractérisent la tradition philosophique. Le modèle en est celui des échanges qui régissent les rapports des organismes avec leur milieu : « L'expérience est le résultat, le signe et la récompense de cette interaction de l'organisme et de son environnement qui, lorsqu'elle est portée à son plein accomplissement, transforme l'interaction en participation et en communication [...] Les oppositions du corps et de l'esprit, de l'âme et de la matière, de l'esprit et de la chair, ont toutes leur origine, fondamentalement, dans une crainte de la vie. Ce sont des symptômes de contraction et de retrait. »

    Pour Dewey, comme cela apparaît nettement dans son grand livre de 1920, Reconstruction en philosophie, la philosophie ne saurait être dissociée de tout souci pratique. La principale question qu'il se pose est celle de savoir à quelles conditions la philosophie peut remplir un rôle dans la résolution des problèmes auxquels les hommes doivent faire face dans leur vie. Toute sa critique de l'intellectualisme s'inscrit dans le droit fil de cette question initiale.

    Richard Rorty, qui considère Dewey comme l'un des trois penseurs les plus importants du XXe siècle, à côté de Wittgenstein et de Heidegger, observe que, chez lui, la philosophie ne bénéficie d'aucun accès privilégié à la réalité. Son pragmatisme – auquel il a donné le nom d'instrumentalisme, après sa rupture avec l'hégélianisme – est une philosophie de l'expérimentation et de l'enquête. Dans la logique qui la régit, la vérité ne constitue pas une condition préalable de la connaissance ; elle est un résultat, et le faillibilisme est une dimension majeure des moyens que nous mettons en œuvre pour y parvenir. C'est à Peirce que Dewey doit initalement sa conception de l'« enquête » (inquiry), concept central qui fixe les contours majeurs de sa pensée. Pour le pragmatisme, compris comme philosophie de l'enquête, il n'y a donc pas de norme intemporelle du vrai. Toute enquête est de nature publique, et les résultats sur lesquels elle débouche sont par nature révisables ; enfin, l'enquête n'est pas une méthode ou un processus de recherche qui se limiterait aux sciences ou à une catégorie particulière de problèmes. Elle s'étend également aux valeurs et à la résolution des problèmes sociaux et politiques. Comme le suggère Hilary Putnam, il n'existe pas de dichotomie des faits et des valeurs. C'est l'une des originalités de Dewey que d'avoir explicitement étendu sa conception de l'enquête aux problèmes éthiques et politiques et de l'avoir associée à une réflexion sur la démocratie.

    De manière complémentaire, une notion importante de sa Logique ou théorie de l'enquête (1938) est celle d'assertabilité garantie : « l'usage de cette expression, précise-t-il, désigne une potentialité plutôt qu'une actualité ; elle demande qu'on reconnaisse que toutes les conclusions des enquêtes particulières font partie d'une entreprise continuellement renouvelée, d'une entreprise en pleine expansion. »

    Les idées de Dewey ont été l'objet de nombreuses critiques, les oppositions les plus vigoureuses et les plus directes venant d'auteurs comme Bertrand Russell. Le différend qui a opposé Russell et Dewey explique en partie le fossé qui s'est creusé à partir de la fin des années quarante entre le pragmatisme et la philosophie analytique. La « logique » de Dewey, comprise comme « théorie de l'enquête », était à mille lieux de la logique issue de Frege, Russell et Wittgenstein. Mais c'est toute une évolution de la philosophie qui est ici en cause. Aujourd'hui, le pragmatisme, celui de Peirce et celui de Dewey, est à nouveau objet d'attention et source d'inspiration pour plusieurs philosophes, singulièrement issus de la tradition analytique (Richard Rorty ou Hilary Putnam, notamment).

    Annexe

    Dewey psychologue, éducateur et penseur de la démocratie

    Avant d'élaborer son œuvre philosophique, Dewey s'est fait connaître par ses idées en psychologie et surtout par sa philosophie de l'éducation. Celle-ci occupe dans son œuvre une place centrale. Non seulement il s'y est intéressé très tôt (il a créé l'école-laboratoire de l'université de Chicago en 1897), mais l'importance de l'éducation apparaît étroitement liée à sa philosophie de la connaissance et de la démocratie. En témoignent des ouvrages tels que L'École et la société (1899), Comment nous pensons (1910), ou Démocratie et éducation  (1917).

    Pour Dewey, l'éducation est la forme que prend la continuité de l'expérience. Elle possède, à ce titre, un caractère fondamentalement expérimental, et ne saurait consister en un ensemble de recettes. Au contraire, elle est une « reconstruction continue de l'expérience destinée à en étendre et à en approfondir le contenu social, et à permettre à l'individu d'acquérir la maîtrise des méthodes qui s'y trouvent impliquées ». Dans toute éducation, la dimension sociale et la dimension individuelle sont en interaction. L'individu y trouve la condition d'une participation aux ressources que l'humanité à développées, en même temps que la condition de son autonomie et de ses ressources propres. Sur un plan plus spécifiquement politique, l'éducation est le moyen dont disposent les sociétés humaines pour se réformer et répondre aux nouveaux besoins ou aux aspirations qui s'y font jour. C'est elle qui donne la mesure d'un futur certes contingent, car il ne renferme aucune téléologie, mais ouvert aux types de choix qui caractérisent les démocraties.

    L'importance attribuée à l'éducation permet de comprendre les positions de Dewey sur la démocratie. Il n'en fut pas seulement un penseur, mais un fervent défenseur. Pour lui, la démocratie n'était pas seulement une « forme de gouvernement », mais, conformément à l'une de ses inspirations majeures, une « expérimentation ». « Dire de la démocratie qu'elle est seulement une forme de gouvernement reviendrait à dire du foyer qu'il n'est rien d'autre qu'un assemblage de briques et de mortier, ou qu'une église est un bâtiment avec des bancs, une chaire et une flèche. » Dans la démocratie, comme dans l'enquête, les processus à l'œuvre sont de nature expérimentale ; ils s'accordent avec la nature même de l'intelligence humaine, la continuité de l'expérience et le caractère transactionnel de l'éducation. Ses finalités sont de nature éthique : « La démocratie est la forme de société dans laquelle tout homme possède une chance, et sait qu'il la possède – et nous pourrions ajouter : une chance à laquelle aucune limite possible ne peut être assignée, une chance véritablement infinie, la chance de devenir une personne. Bref, l'égalité est l'idéal de l'humanité, l'idéal dans la conscience duquel la démocratie vit et évolue. »

    Dans les démocraties modernes, ces exigences tendent à se dissoudre au bénéfice de modes de fonctionnement, de décision et d'intérêts qui consacrent la séparation de l'individu et des pouvoirs. Le Public et ses problèmes, livre issu d'une série de conférences prononcées en 1926, s'attache à renouer les liens sans lesquels la démocratie n'est qu'un vain mot, en reconstruisant le « public » contre le règne des experts et l'ombre déjà menaçante de l'« opinion publique ».

    En Europe, et plus particulièrement en France, John Dewey n'a pas bénéficié de la reconnaissance que son œuvre aurait dû lui valoir. En dépit des efforts entrepris par des philosophes comme Gérard Deledalle, qui fut le premier à s'y intéresser, et à l'exception de sa Logique, ses œuvres philosophiques majeures commencent seulement à être traduites. Il est vrai qu'aux États-Unis, son influence a largement décru pendant plus de trente ans, après avoir été très importante, en pédagogie notamment. Ce n'est que depuis une vingtaine d'années que son œuvre éveille à nouveau l'intérêt, en relation avec les réserves qui ont frappé la philosophie analytique. Par rapport aux courants qui ont façonné la philosophie depuis la fin du XIXe siècle, le pragmatisme est certainement l'un des plus originaux, quelle que soit sa parenté avec des philosophies plus spécifiquement européennes ou continentales, comme celles de Kant, de Hegel ou de Darwin. Que ce soit par son naturalisme, tel qu'il s'exprime dans la notion d'expérience, ou par ce qui l'oppose à toute téléologie historique, la pensée de Dewey reste l'une de celles qui illustre le mieux l'unité de la théorie et de la pratique en faveur de laquelle il n'a cessé d'œuvrer.

     

    B/ La seconde génération du pragmatisme

    Un siècle sépare Peirce de Rorty dont il est maintenant question.

    Richard Rorty (1931-2007)

    Ce philosophe américain, qualifié souvent de néo-pragmatique, autant auteur d'œuvres de philosophie politique que d'épistémologie, se réclame de l'héritage intellectuel de William JAMES, de John DEWEY, de Friedrich NIETZSCHE, de Martin HEIDEGGER, de Michel FOUCAULT, ou encore de W. V. O. QUINE et de Donald DAVIDSON. Libéral sur l'échiquier politique des Etats-Unis, il refuse toutefois la justification, métaphysique selon lui, de la démocratie par les Lumières. Il déploie dans chacune de ses œuvres  une interprétation particulière – que d'aucuns jugent parfois erronées, mais il s'en explique aisément – des pensées de ses prédécesseurs, pour  en reprendre les conclusions et souvent les contester. Partisan d'un dialogue philosophique soutenu avec d'autres philosophies, notamment européennes, et entre philosophes, Richard RORTY influence profondément la pensée philosophique actuelle par sa manière de présenter le projet philosophique lui-même, en avançant un pragmatisme assez radical dans ses grands écrits, Philosophy and the Mirror of Nature, 1979 (L'homme spéculaire en traduction française) et Consequences of Pragamatism, 1982.

    Dans Contingency, Irony and Solidarity, en 1989, il abandonne la tentative d'expliquer ses théories d'un point de vue analytique et propose un schéma conceptuel censé remplacer celui des "Platonistes". Ce schéma est fondé sur l'idée qu'il n'y a pas de formulation intelligible possible de la vérité objective, et qu'elle ne doit pas être une finalité en elle-même. La philosophie, et en cela, il amplifie un des caractères de la philosophie américaine en général, doit être utilisée pour nous permettre de nous créer et de nous recréer, d'agir. C'est une philosophie, selon lui, "post-analytique".  

    [Épistémologie : Rorty soutenait que le mot « vrai » n'avait pas de signification. De ce que les phrases soient formulées par des gens et qu'elles seules puissent avoir les états « vrai » ou « faux », il conclut que ce sont les gens qui font la vérité. Pour ainsi dire, la vérité n'est pas « dans le monde ». Elle est créée par les gens qui créent les phrases. Par exemple, « l'herbe verte » n'a pas de valeur de vérité, mais « l'herbe est verte » est vrai ou faux. Mais pourquoi l'un ou l'autre ? Rorty discute que la valeur de vérité est créée par un accord entre les gens qui sont concernés avec la phrase en question. La valeur de vérité n'est pas dans le monde, mais seulement dans le vocabulaire des gens, donc ils ont le contrôle total sur cette valeur.]

    En termes de philosophie politique, sa philosophie est celle d'une communauté diversifiée qui est mise en opposition à la cruauté plutôt que par des idées abstraites comme la justice ou l'humanité commune. D'abord "analyste" convaincu de l'espèce "linguistique" en 1967 (The Linguistic Turn) – les problèmes philosophiques sont des problèmes que l'on peut résoudre (ou dissoudre) soit en réformant le langage, soit en étudiant davantage le langage utilisé – Richard RORTY met en avant un pragmatisme beaucoup plus proche de celui de William JAMES que de celui de John DEWEY.

    Dans Consequences of Pragmatism, Richard RORTY suggère de renoncer une fois pour toutes à essayer de répondre à une question qui n'a probablement plus aucun sens, à savoir celle qui consiste à se demander ce que la philosophie est réellement ou qui doit être réellement considéré comme un philosophe. Partisan de ne plus défendre la philosophie comme discipline autonome, définitivement contre tout argument d'autorité, le philosophe américain ignore complètement les frontières, les divisions, les incompatibilités et les antagonismes, au point qu'il peut être difficile, voire impossible pour l'étudiant ou le citoyen de connaître la pensée d'un auteur à travers ses écrits. Et cela précisément parce qu'il pense que la pensée d'un philosophe, à partir du moment où elle est rendue publique, n'est déjà plus la sienne propre : elle est celle de ses lecteurs et de ce que ses lecteurs en font. Poussant jusqu'au bout la dynamique de l'appropriation de n'importe quelle œuvre  par le lecteur, la pensée d'un philosophe, de toute manière, est déjà déconstruite lorsqu'elle est partagée.

    Jacques BOUVERESSE insiste beaucoup sur cette particularité de la pensée de Richard RORTY, qui parvient à prêter à certains auteurs des pensées et des orientations – mêmes politiques – qu'ils n'auraient pas voulu avoir. "Les histoires que racontent Rorty et tous l

    es historicistes qui raisonnent de la même façon que lui (autrefois nous avons cru en Dieu, mais nous avons continué à croire à des choses comme la raison, la vérité, l'histoire, etc, aujourd'hui nous sommes en train de renoncer également à croire à des choses de ce genre) ont justement cette particularité qu'on ne sait pas ce qu'il faut entendre par "nous" ni jusqu'à quel point les changements qu'elles décrivent ont réellement été effectuées." 

        Dans Philosophy and the Mirror of Nature, Richard RORTY soutient que, puisque le monde n'est pas un langage ni écrit dans un langage, qu'il ne se décrit pas lui-même d'une façon quelconque et ne peut rien nous dire sur ce qu'il est réellement, nous devrions renoncer à l'idée que la science cherche à se rapprocher progressivement de quelque chose comme une vraie nature de la réalité. Toute tentative philosophique dans ce sens doit être abandonnée. "La nature, pour ce que nous en savons, engendre nécessairement des êtres connaissants qui la représentent, mais nous ne savons pas ce que cela voudrait dire pour la nature que d'avoir le sentiment que nos conventions de représentation deviennent de plus en plus semblables aux siennes, et par conséquent qu'elle est aujourd'hui représentée plus adéquatement que dans le passé. Ou plutôt, nous pouvons donner un sens à cela uniquement si nous suivons jusqu'au bout les idéalistes absolus et admettons que le réalisme épistémologique doit être fondé sur le panthéisme personnaliste."  Du coup, ce que nous savons du monde peut être aussi faux ou aussi vrai qu'avant, malgré toutes les formes de réalisme scientifique...  Les lois de la nature sont plus inventées que découvertes

    Le dernier chapitre de ce dernier livre, d'une « Philosophie spéculaire », est une longue attaque contre une philosophie des connaissances. Il y défend une conception conversationnelle de la philosophie, à l'opposé d'une philosophie tentant d'édifier un système d'explication de l'univers, qui outre le fait qu'il risque de figer la réflexion, ne fait que prétendre objectiver ce qui n'est que contingence.

       Dans L'espoir au lieu du savoir – Introduction au pragmatisme, 1995, Richard RORTY défend une vérité sans correspondance avec la réalité, un monde sans substance ni essences, une morale sans obligations universelles. 

    "Le but de l'enquête scientifique, ou de toute enquête, n'est pas la vérité, mais plutôt une meilleure aptitude à la justification, une meilleure aptitude à traiter les doutes qui entourent ce que nous disons, soit en étayant ce que nous avons déjà dit, soit en décidant au contraire de dire quelque chose de légèrement différent. Le problème, avec la vérité, c'est que nous ne saurions pas que nous l'avons atteinte même si, en fait, nous l'avions déjà atteinte. Mais nous pouvons viser à une justification sans cesse accrue, au soulagement d'un nombre croissant de nos doutes." Richard RORTY oppose le pragmatisme classique au néo-pragmatique qu'il veut promouvoir. "Certains, comme Peirce, James et Putman, ont déclaré qu'il était possible de conserver une signification absolue au mot "vrai" en lui donnant le sens d'une "justification dans une situation idéale", cette situation que Peirce appelait "la fin de la recherche". D'autres, comme Dewey (et ainsi que je l'ai soutenu, Davidson), ont suggéré qu'il n'y a pas grand chose à dire de la Vérité, et que les philosophes doivent se limiter à la justification, à ce que Dewey appelait "assertibilité garantie". Il ne condamne pas l'enquête deweyenne : "Il n'y a rien à dire de général sur la nature ou les limites de la connaissance humaine, pas plus que sur la connexion de la justification et de la vérité. Et s'il n'y a rien à dire sur ce dernier point, ce n'est pas parce que la vérité est intemporelle et la justification temporelle, mais parce que nous opposons le vrai à ce qui est simplement justifié afin d'opposer un futur possible au présent réel."

    Son pragmatisme est anti-essentialiste : "... établir une distinction entre les choses qui forment des relations et ces relations proprement dites n'est qu'une autre façon de distinguer entre ce dont nous parlons et ce que nous en disons." 

    Sa morale n'a rien à voir avec une quelconque universalité : "Plus spécifiquement, nous n'envisageons pas le progrès intellectuel et le progrès moral comme une progression vers le Vrai, le Bon, ou le Juste, mais comme un élargissement du pouvoir imaginatif. L'imagination, pour nous, est la pointe acérée de l'évolution culturelle : c'est le pouvoir qui – en période de paix et de prospérité - opère sans trêve pour rendre le futur de l'homme plus riche que son passé. L'imagination est à la fois la source des nouveaux tableaux scientifiques de l'univers physique et des nouvelles conceptions de communautés possibles."

           Il peut être difficile de suivre la pensée de Richard RORTY dans la mesure où ses écrits ne suivent pas un déroulement didactique où une notion s'enchaînerait sur la précédente. Poussant jusqu'au bout sa conception de faire de la philosophie, il mène dans ses ouvrages un dialogue constant, non seulement avec les auteurs des Etats-Unis, mais beaucoup avec les différentes voix de la philosophie européenne moderne. Ainsi le dialogue est permanent avec Jürgen HABERMAS, Karl-Otto APEL, Michel FOUCAULT et Jacques DERRIDA. Il s'appuie souvent sur une perception de la philosophie européenne pour soutenir son néo-pragmatisme, sans d'ailleurs revendiquer ni affirmer qu'il possède une parfaite connaissance de la pensée de ces derniers.

    Dans Trotsky et les orchidées sauvages, 1992, Richard RORTY exprime clairement sa philosophie politique, ou plutôt son engagement politico-philosophique, en référence directe avec la participation de John DEWEY à la commission internationale d'enquête sur Léon TROTSKY suite à son assassinat en 1938. "En ce moment, aux Etats-Unis, il existe deux guerres culturelles pour lesquelles on mène campagne. la première est celle que mon collègue James Davidson Hunter décrit  avec force détail dans son livre pénétrant et riche d'informations : Culture Wars : The struggle to Define  America. Cette guerre-là est importante. Il dépendra d'elle que notre pays poursuive la trajectoire définie par la Déclaration des Droits, les réformes de Reconstruction, la constitution d'établissements d'enseignement supérieur, le vote des femmes, le New Deal, la constitution de collèges de premier cycle, la législation des droits civiques de Lyndon Johnson, le mouvement féministe et le mouvement des droits des homosexuels.

     Richard RORTY, L'homme spéculaire, Editions du Seuil, 1990 ; Contingence, ironie et solidarité, Armand Colin, 1993 ; Conséquences du Pragmatisme, le Seuil, 1993 ; Objectivisme, relativisme et vérité, PUF, 1994 ; Essais sur Heidegger et autres écrits, PUF, 1995.

     Jacques BOUVERESSE, Vincent DESCOMBES, Thomas MACCARTHY, Alexander  Jacques NEHAMAS, Hilary PUTMAN, Richard RORTY,

    Lire RORTY, Le pragmatisme et ses conséquences, Editions de l'Eclat, 1992. On trouve dans ce livre de dialogues entre différents auteurs et Richard RORTY (qu’il estconseillé de suivre comme un pré-guide en lisant les ouvrages des philosophes américains) le texte Trostky et les orchidées sauvages.

    Gérard DELEDALLE, La philosophie américaine, éd. L'Age d'Homme (13 février 1990)

     


    [1] In Encyclopædia Universalis, vol. 13, p.411.

    [2] Peirce, comme James (Pragmatism : A New Name for Some Old Ways of Thinking, 1907), voyait le pragmatisme comme incorporant les attitudes familières, en philosophie et ailleurs de façon à élaborer une nouvelle forme de délibération pour penser de façon féconde les problèmes. Peirce est plus rationnel et réaliste que James.

    [3] De son côté, dès 1896, le jeune John Dewey (1859-1952) avait élaboré à Chicago, une méthode instrumenraliste de l’idée, qu’il fit connaître dans un ouvrage collectif de ce qu’on appelle l’école de Chicago : Studies in Logical Theory.

    4 Voir : www.initiationphilo.fr/articles.php?lng=fr&pg=460.

    [5] En politique, le pragmatisme ne convient pas. C'est même une des grandes sources de perversion des démocraties.

    [6] Plusieurs philosophes, tous logiciens, se réclamèrent de lui : l’anglais F.P Ramsey et les italiens Giovanni Vailati et Mario Calderoni.

    [7] Quatre Méthodes de ‘Règlement des avis’, ordonnées de la moins à la plus réussie (méthodes d’approche).

    [8] Ce texte est présenté dans « Henri Bergson - Sur le pragmatisme de William James » par Stéphane Mandelrieux qui en a rédigé l’Introduction ; PUF, édit. Janv. 2011 p. XXIII.

    [9] William James, le Pragmatisme, traduit par E. Le Brun (Paris, Flammarion, 1911).

    [10] A Pluralistic Universe, London, 1909. Trad. En français, dans la « Bibliothèque de Philosophie scientifique », sous le titre de Philosophie de l'expérience.

    [11] Très ingénieusement, M. André Chaumeix a signalé des ressemblances entre la per­sonnalité de James et celle de Socrate (Revue des deux mondes, 15 octobre 1910). Le souci de ramener l'homme à la considération des choses humaines a lui-même quelque chose de socratique.

    [12] Dans la belle étude qu'il a consacrée à William James (Revue de métaphysique et de morale, novembre 1910), M. Émile Boutroux a fait ressortir le sens tout particulier du verbe anglais to experience, « qui veut dire, non constater froidement une chose qui se passe en dehors de nous, mais éprouver, sentir en soi, vivre soi-même telle ou telle manière d'être... ».

     

    [13] Je ne suis pas sûr que James ait employé le mot « invention », ni qu'il ait explici­tement comparé la vérité théorique à un dispositif mécanique ; mais je crois que ce rapprochement est conforme à l'esprit de la doctrine, et qu'il peut nous aider à comprendre le pragmatisme.

    [14] Jean-Pierre COMETTI, « DEWEY JOHN - (1859-1952)  », Encyclopædia Universalis [en ligne]. URL :  http://www.universalis.fr/encyclopedie/john-dewey/

     

     


    Date de création : 24/01/2016 @ 16:03
    Dernière modification : 30/01/2016 @ 18:02
    Catégorie : Phénoménologie
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