Parcours
Parcours lévinassien
Parcours axiologique
Parcours cartésien
Parcours hellénique
Parcours ricordien
Parcours spinoziste
Parcours habermassien
Parcours deleuzien
Parcours bergsonien
Parcours augustinien Parcours braguien
Glossématique
Synthèses
Ouvrages publiés Suivi des progrès aux USA
Parcours psychophysique
L'art et la science
Parcours nietzschéen
Philosophies médiévales Autres perspectives
Archéologie Economie
Sciences politiques
Sociologie
Poésie
Théologie 1
Théologie 2
Théologie 3
Psychanalyse générale
Points dhistoire revisités
Edification morale par les fables
Histoire
Phénoménologie
Philosophie et science Mises à jour du site
05/03/2016 nouvelle perspective :
09/02/2016 ajout :
09/02/2016 ajout :
24/01//2015 ajout :
03/01/2016 ajout :
26/12//2015 ajout :
Phénoménologie
05/12//2015 ajout :
11/11//2015 ajout :
11/10//2015 ajout :
17/10/2015 nouveau parcours
11/10//2015 ajout : Liens Wikipédia
Visites
visiteurs visiteurs en ligne |
Phénoménologie - Les enseignements des "Conférences de Paris"
LES ENSEIGNEMENTS DES « CONFÉRENCES DE PARIS[1] »
Le philosophe allemand, Edmund HUSSERL, par ailleurs membre correspondant de lAcadémie française, sur invitation de lAmbassadeur dAllemagne et de son premier conseiller Xavier Léon, donna deux conférences de deux heures chacune à lamphithéâtre Descartes de la Sorbonne, les 23 et 25 février 1929. Elles constituèrent la matrice des cinq « Méditations cartésiennes » qui furent traduites ultérieurement de lallemand, par Gabrielle Peiffer et Emmanuel Lévinas et publiées en 1953. « Je me réjouis tout particulièrement, déclara le professeur Husserl, de pouvoir parler de la phénoménologie nouvelle dans ce haut lieu par excellence de la science française. René Descartes, le plus grand penseur français, est en effet le seul, parmi les philosophes du passé, qui ait eu une influence décisive sur le sens de la phénoménologie. Elle ne peut que lui rendre lhommage dû à son vrai père fondateur. Cest très directement, il faut le souligner, que [létude de ses « Méditations »] a participé à lélaboration nouvelle de la philosophie à venir et lui a donné lorientation quelle a aujourdhui, et qui autorise presque quon la désigne comme un néo-cartésianisme, un cartésianisme du XXe siècle. » [Lépochè phénoménologique comme visée de lego pur] Cette abstention universelle de toute prise de position à légard du monde objectif, que nous appelons lépochè phénoménologique, devient donc précisément la méthode grâce à laquelle je mappréhende purement comme ce moi et cette vie de la conscience, au sein de quoi et à travers quoi la totalité du monde objectif existe pour moi, et telle quelle est pour moi précisément. Tout ce qui est mondain, tout être spatio-temporel existe pour moi dans la mesure où jen fais lexpérience, le perçois, men souviens, y pense dune quelconque manière, le juge, lévalue, le désire, etc. Toutes ces opérations, on le sait, Descartes les définit sous le terme de cogito. Le monde nest pour moi absolument rien dautre que ce monde qui est existant pour la conscience à travers de telles cogitationes et qui par ce biais seul a quelque valeur à mes yeux. Tout le sens du monde, comme le crédit accordé à son existence, dépend exclusivement de telles cogitationes. Cest en elles que se déroule toute ma vie mondaine. Ma vie, mon expérience, ma pensée, mes évaluations et mon action ne peuvent pénétrer dans aucun autre monde que celui dont le sens et la valeur sont en moi et proviennent de moi-même. Si je me place au-delà de toute cette vie-là et si je mabstiens de céder à une quelconque croyance en lexistence qui admettrait précisément que le monde existe, si je dirige mon regard exclusivement vers cette vie même comprise comme conscience du monde, je parviens à être moi-même un pur ego accompagné du pur flux de mes cogitationes. Ce nest pas, par exemple, à un fragment du monde que jaccède ainsi, puisque javais retiré, et universellement, tout crédit au monde ; pas davantage [9] à moi en tant quêtre humain individué sous les espèces dun moi, mais comme ce moi au sein de la vie consciente duquel seulement le monde dans son ensemble et moi-même en tant quobjet du monde, en tant quhomme existant dans le monde acquièrent précisément leur sens et la validité de leur être. [Le radicalisme de lautoméditation et ainsi au principe de lintuition pure] Nous en sommes arrivés à un point délicat. Il semble si facile de suivre Descartes et dappréhender lego pur et ses cogitationes. Pourtant, cest comme si nous nous trouvions sur une arête escarpée sur laquelle continuer à marcher calmement et avec assurance décide de la vie ou de la mort de la philosophie. Descartes était animé de la volonté la plus pure déviter radicalement tout préjugé. Mais de nouveaux travaux, et tout particulièrement les belles et profondes recherches de MM. Gilson et Koyré, nous ont appris à quel point les Méditations de Descartes recèlent un héritage scolastique secret à titre de préjugé obscur. Mais il ny a pas seulement cela : nous devons tout dabord écarter de nous les préjugés qui résultent dune orientation intellectuelle tournée vers la science mathématique, et que nous-mêmes remarquons à peine, car tout se passe comme si lexpression ego cogito avait le statut dun axiome apodictique fondamental qui, articulé sur dautres (à déduire de lui), devrait fournir le fondement dune science déductive du monde, une science ordine geometrico. Or, par rapport à cela, il serait tout à fait illégitime de considérer comme allant de soi que, avec notre ego apodictiquement pur, nous eussions sauvé une parcelle du monde qui fût, pour le moi philosophant, la seule indubitable, et quil sagirait alors den déduire le reste du monde grâce à des conclusions correctement menées selon les principes innés à lego. Cest malheureusement ainsi quil en va chez Descartes lorsquil opère le tournant inapparent mais fatal qui fait de lego la substantia cogitans, lanimus humain séparé, le point de départ de déductions obéissant au principe de causalité ; bref, ce tournant qui fit de lui le père de labsurde réalisme transcendantal. Nous éviterons ce danger si nous restons fidèles au radicalisme de lautoméditation et donc au principe de lintuition pure qui veut quon naccorde crédit à rien qui ne nous soit donné de manière effectivement première et absolument immédiate sur le terrain, à nous ouvert par lépochè, de lego cogito, donc que nous ne fassions proposition de rien que nous ne voyions nous-mêmes. Cest en cela que Descartes a failli, et cest pour cela quil en est resté au seuil de la plus grande [10] de toutes les découvertes, quil a déjà faite en un certain sens bien quil nen ait pas saisi la véritable signification ; voilà pourquoi il na pas compris le sens de la subjectivité transcendantale et na pas pu franchir ce seuil qui conduit à la vraie philosophie transcendantale. [La purification de la démarche des Méditations de Descartes, met hors du champ de mon jugement, non seulement la validité de lexistence du monde objectif en général, mais autant les sciences du monde, et même en tant que faits mondains] La libre épochè, par rapport à lexistence du monde qui se manifeste à travers des phénomènes et qui, pour moi, vaut pour effectif effectif du point de vue de lattitude antérieure et naturelle , révèle, en effet, ce fait, le plus considérable et le plus étonnant, que moi-même et ma vie restent intacts au regard du crédit que jaccorde à leur être, que le monde soit ou ne soit pas, et quelle que soit la décision quon prenne à ce sujet. Si, dans la vie naturelle, je dis : « Je suis, je pense, je vis », cela signifie : moi, cette personne humaine parmi dautres hommes dans le monde, entretenant, de par mon corps propre, un rapport concret avec la nature, relation qui intègre également mes cogitationes, mes perceptions, mes souvenirs, mes jugements, etc., en tant que faits psychophysiques. Ainsi appréhendés, je suis et nous sommes, hommes et animaux, des thèmes de recherche pour les sciences objectives, la biologie, lanthropologie et la zoologie, y compris la psychologie. La vie psychique, dont traite toute psychologie, est comprise comme vie psychique dans le monde. Lépochè phénoménologique, quexige de moi, qui philosophe, la démarche des Méditations [de Descartes] purifiées, met hors circuit, en les excluant du champ de mon jugement, non seulement la validité de lexistence du monde objectif en général, mais autant les sciences du monde, et même en tant que faits mondains. A mes yeux, il ny a donc pas de moi et aucun acte psychique, aucun phénomène psychique au sens de la psychologie, à mes yeux, il ny a pas non plus de moi en tant quhomme ni mes propres cogitationes, considérées comme éléments constitutifs dun monde psychophysique. Mais, en contrepartie, je suis parvenu à moi, et, désormais, à moi seul en tant que ce moi pur, doté dune vie pure et dune capacité pure Par exemple, de cette capacité évidente : je suis capable de mabstenir de juger, grâce à quoi, pour moi, létre de ce monde et de chaque être quelconque acquiert seulement sens et validité possible. Si le monde, puisque son éventuel non-être ne supprime pas mon pur être, bien plutôt le présuppose, est dit transcendant, cet être mien pur, ou ce je pur qui est le mien, est dit transcendantal. Grâce à lépochè phénoménologique, [11] le moi humain naturel, cest-à-dire le mien, est réduit au je transcendantal, et cest ainsi quil faut comprendre ce que lon entend par réduction phénoménologique. [Il est cependant nécessaire de franchir encore dautres étapes qui seules permettront de mettre correctement à profit ce qui vient dêtre dégagé pour déboucher finalement sur une science transcendantale] Que peut-on entreprendre, dans une perspective philosophique, avec lego transcendantal ? Certes, son être précède, selon le critère dévidence pour moi qui philosophe et du point de vue de la connaissance, tout être objectif. En un certain sens, il sagit bien du fondement et de la base sur quoi toute connaissance objective, correcte ou erronée, se déroule. Mais cette priorité, le fait dêtre présupposé par toute connaissance objective signifie-t-il pour autant quon aurait affaire à un fondement de la connaissance au sens habituel propre à cette connaissance objective ? On est bien près den avoir lidée et de succomber à cette tentation ; cest précisément celle à laquelle cède toute théorie réaliste. Mais la tentation sévanouit daller chercher, dans la subjectivité transcendantale, des prémisses qui serviraient à poser lêtre du monde subjectif, si nous réfléchissons au fait que toutes les déductions que nous menons à terme, appréhendées de manière pure, se déroulent elles- mêmes au sein de la subjectivité transcendantale, et que toutes les vérifications qui se rapportent au monde ont pour critère le monde lui-même, tel quil se donne et se vérifie lui-même dans lexpérience. Non que nous voulions déclarer fausse cette grande pensée de Descartes qui le conduit à chercher, dans la subjectivité transcendantale, le fondement ultime des sciences objectives et de lexistence du monde objectif lui-même. Nous nous écarterions alors, même en la soumettant à la critique, de la voie propre à sa méditation Mais peut-être la découverte cartésienne de lego débouche-t-elle sur une idée nouvelle de fondation, cest-à-dire sur une fondation transcendantale. En fait, au lieu dexploiter lego cogito comme une simple proposition apodictique et comme une prémisse absolument fondatrice, tournons notre attention vers ceci : lépochè phénoménologique nous a ouvert (ou à moi qui philosophe), grâce au je suis de toute façon apodictique, une sphère infinie dêtre et dun type nouveau, la sphère dun type nouveau dexpérience, l'expérience transcendantale ; mais ainsi est offerte également la possibilité dune connaissance transcendantale fondée sur lexpérience, donc dune science transcendantale. [Du solipsisme transcendantal à lintersubjectivité transcendantale] Alors se découvre un horizon de connaissance tout à fait remarquable. [12] Lépochè phénoménologique me réduit à mon moi transcendantal pur, et, dans un premier temps du moins, je suis, en un certain sens, solus ipse : non pas au sens courant où lon simaginerait, par exemple, un homme resté seul survivant dans un monde toujours existant après leffondrement de tous les astres. Si jai banni du champ de mon jugement le monde comme monde tenant de moi le sens de son existence et le recevant en moi, je, cest-à-dire le moi transcendantal qui le précède, suis la seule instance qui puisse être établie et posée par le jugement. Et maintenant, jai pour tâche de parvenir à une science dune singularité inouïe, puisquelle doit être conçue exclusivement par et dans ma subjectivité transcendantale, quelle naura de validité, au début du moins, quau regard de ma subjectivité : une science transcendantalo-solipsiste. Ce nest donc pas lego cogito, mais une science de lego, une pure égologie qui doit être le fondement le plus radicalement premier de la philosophie, au sens cartésien dune science universelle, et qui doit fournir au moins le soubassement sur lequel aura lieu la fondation absolue de cette science. En fait, cette science existe déjà : cest la toute première phénoménologie transcendantale ; la toute première, non pas la phénoménologie achevée qui requiert, bien entendu, que soit franchie cette autre étape qui conduit du solipsisme transcendantal à lintersubjectivité transcendantale. [Tout cela nest compréhensible que si lon dégage dabord, ce que Descartes a négligé de faire, le champ infini de lexpérience transcendantale de soi, propre à lego] Lexpérience de soi, on le sait, nest pas sans jouer un certain rôle chez Descartes, et jusque dans le fait quil la considère comme apodictique, mais il est bien loin détablir lego dans toute la concrétion de sa vie et de son existence transcendantales, et de le considérer comme un champ de recherches quil faudrait poursuivre systématiquement dans ses virtualités illimitées. Pour le philosophe, il doit être établi, à titre de vision fondamentale de ce qui est le centre du problème, quil est en mesure, dans la suspension quest la réduction phénoménologique, de développer une réflexion cohérente sur ses cogitationes et sur leur contenu purement phénoménologique, et de dévoiler alors, sous ses multiples aspects, son moi transcendantal dans sa vie transcendantalo-temporelle et dans ses capacités propres. Il sagit là, visiblement, dun parallèle avec ce que le psychologue appelle expérience intérieure ou expérience de soi au sein de la mondanité telle quil la présuppose. Mais il est de toute première importance, il est décisif [13] de prendre en compte ceci et lon ne saurait passer là-dessus sans sy arrêter, ce que Descartes lui-même avait parfois noté que, par exemple, lépochè à légard de ce qui est mondain ne change rien au fait que l'expérience est expérience du monde, donc que toute conscience est conscience de lui. Lexpression ego cogito [la conscience de lui] doit être complétée par un autre élément : tout cogito recèle ce quil vise, son cogitatum La perception de la maison, même si je mabstiens daccorder crédit à cette perception, est, prise telle que je léprouve, justement la perception de cette maison-ci, de cette maison telle quelle apparaît et se montre précisément à travers telles déterminations, de côté, de près ou de loin. De même que le souvenir, flou ou précis, est souvenir de cette maison, floue ou précise dans la représentation ; et le jugement, aussi erroné soit-il, est aussi jugement portant sur tel ou tel état de choses visé, etc. La propriété fondamentale des modes de la conscience où je vis en tant que je transcendantal, cest ce quon appelle lintentionnalité, cest-à-dire à chaque fois le fait davoir conscience de quelque chose. A ce quid de la conscience ressortissent aussi les modes dêtre tels quexistant, probablement existant, non existant, mais également les modes tels quapparemment existant, existant de manière bonne, existant doté dune valeur, etc. Lexpérience phénoménologique, en tant que réflexion, doit être purgée de toute invention qui serait une construction, et doit être acceptée comme une réflexion authentique, prise dans son exacte concrétion et dotée de lexact contenu sensible, de lexact contenu dêtre au sein duquel elle apparaît précisément. Cest une invention construite du sensualisme que dinterpréter la conscience comme un complexe de données sensorielles Et de convoquer ensuite, le cas échéant, des qualités structurantes quon suppose à luvre à larrière-plan et auxquelles on abandonne le soin de prendre en charge la totalité du complexe. Cest là une erreur fondamentale de lattitude psychologique qui présuppose lexistence du monde, et ce ne peut être correct quune fois adoptée lattitude transcendantale. Lorsque, au cours de son développement, lanalyse phénoménologique doit produire quelque chose qui relève de la rubrique « données de la sensation », il ne sagit jamais de quelque chose qui serait premier dans chaque « perception extérieure ». au contraire, Ce qui est premier, au contraire dans la description correcte et purement intuitive, cest le cogito Cest-à-dire, pour reprendre lexemple précédent, que ce qui est à décrire comme étant plus proche, cest la perception de la maison en tant que telle, daprès son sens concret et les modes de son apparition. Il en va de même pour chaque genre de conscience. Directement tourné vers lobjet de la conscience, je le découvre comme quelque chose qui est éprouvé ou visé avec telles ou telles déterminations, [14] Ce qui, dans le jugement, est le support des prédicats du jugement, et dans lévaluation, support des prédicats de lévaluation. Sur lautre versant, mon regard rencontre les modes changeants de la conscience Ce qui est de lordre de la perception, ce qui est de lordre de la mémoire ; tout ce qui nest pas objet ni détermination de lobjet, mais mode subjectif de la donnée, mode subjectif du phénomène, est comme une mise en perspective ou comme autant de différences entre flou et netteté, attention et inattention, etc. Ne cesser dorienter sa propre réflexion sur soi-même, en philosophe qui médite Et qui, ainsi, est devenu lui-même ego transcendantal, cest donc pénétrer sur le terrain de la libre et infinie expérience transcendantale, cest ne pas se contenter du trop vague ego cogito, mais suivre le flux constant de lêtre et de la vie pensants, se régler daprès tout ce qui y est à observer, y pénétrer en lexplicitant, lappréhender de manière descriptive à travers des concepts et des jugements qui soient tirés exclusivement et directement de ces états aperçus par lintuition. Le schéma recteur de ces interprétations et descriptions est donc triplement articulé, comme on la déjà dit : ego cogito cogitatum Si, dans un premier temps, nous faisons abstraction du moi identique bien quil soit, dans une certaine mesure, présent dans tout cogito , on verra plus facilement se dégager, dans la réflexion, ce qui est spécifique du cogito lui-même, et, aussitôt, se distinguent plusieurs types descriptifs que le langage désigne de manière très floue en parlant de perception, de souvenir, de persistance du contenu de la perception dans la conscience, anticipation, souhait, volonté, énoncé prédicatif, etc. Mais si nous nous en tenons à ce quoffre concrètement la réflexion transcendantale, ce que lon observe aussitôt, cest la différence fondamentale, déjà évoquée, entre sens de lobjet et modes de la conscience Cest-à-dire modes du phénomène, cette dualité donc, prise en compte par les types descriptifs, qui constitue précisément lintentionnalité, la conscience en tant que conscience de ceci ou de cela. Il en résulte toujours un double registre descriptif. Il faut donc, à ce propos, souligner que lépochè transcendantale eu égard au monde existant et à tous les objets qui, chacun, sont objets de lexpérience, de la perception, de la mémoire, de la réflexion, et à lexistence desquels tout jugement accorde crédit ne change rien au fait que le monde, que tous ces objets, en tant que phénomènes de lexpérience mais aussi pris comme tels exclusivement, cest-à-dire comme de purs cogitata des cogitationes correspondantes , doivent être nécessairement un thème principal [15] de la description phénoménologique. Mais en quoi réside la différence fondamentale entre jugement phénoménologique portant sur le monde de lexpérience et jugement objectif naturel ? On peut ainsi formuler la réponse : ego phénoménologique, je suis devenu le pur spectateur de moi-même, et je naccorde plus crédit à rien que je ne découvre être indissociable de moi-même, à rien qui ne soit ma vie pure et en soit indissociable, exactement comme une réflexion intuitive et originaire me dévoile à moi-même.
Ainsi, la réduction phénoménologique produit-elle une sorte de dédoublement du moi Le spectateur transcendantal se pose face à lui- même, se regarde et sobserve aussi comme le moi qui, auparavant, sabandonnait au monde, découvre en soi, à titre de cogitatum, lui- même en tant quhomme, de même quil découvre, à travers les cogitationes corrélatives, la vie et lêtre transcendantaux qui constituent lensemble de ce qui est mondain. Si lhomme naturel (qui comprend le moi, lequel est, certes, transcendantal en fin de compte, mais nen sait rien) dispose dune science du monde et dun monde qui est dans une absoluité naïve, le spectateur transcendantal, devenu conscient quil est lui-même un moi transcendantal, ne dispose du monde que comme dun phénomène, cest-à-dire comme dun cogitatum corrélat dune cogitatio, comme de ce qui se manifeste corrélativement à chaque manifestation, comme dun simple corrélat. Lorsque la phénoménologie dispose thématiquement dobjets de conscience peu importe de quelle sorte, quils soient réels ou idéels Elle nen dispose que comme les objets de telle ou telle modalité de la conscience qui, chaque fois, leur correspond ; la description qui veut appréhender, dans leur totalité concrète, les phénomènes des cogitationes, doit constamment passer de la perspective de lobjet à celle de la conscience, et rechercher quelles coappartenances sont, en loccurrence, permanentes. Si je dispose, à titre de thème, de la perception dun hexaèdre, je remarque, au niveau de la réflexion pure, que cet hexaèdre ne cesse dêtre donné, comme unité objective concrète, au sein dune diversité, multiforme et directement corrélative, de modalités phénoménales. Ce même hexaèdre, ce même contenu phénoménal, apparaît tantôt sous cet aspect, tantôt sous un autre, tantôt sous telle perspective, tantôt sous telle autre, tantôt de près, tantôt de loin, tantôt très clairement et très distinctement, tantôt moins. Si nous prenons en vue une quelconque face perçue de lhexaèdre, une quelconque arête, un angle quelconque, nimporte quelle tache de couleur, bref, nimporte quel moment dans la perception de lobjet concret, nous observons dans chaque cas la même chose ; il sagit de lunité dune diversité de modes dapparition constamment changeants, de leurs perspectives particulières, de leurs différences propres à lici et au là-bas subjectifs. Si nous la regardons directement, la couleur est, pour nous, toujours identique et immuable, mais si nous nous référons aux modes dapparition, [17] nous remarquons quelle nest rien dautre ni autrement pensable que ce qui se présente tantôt sous telles nuances, tantôt sous telles autres. Jamais lunité nest autre quune unité à partir de la présentation qui est présentation de la manière dont se présente elle-même la couleur ou une arête. Le cogitatum nest possible quà travers les modalités spécifiques du cogito En effet, si nous commençons à considérer la vie de la conscience de manière très concrète, si nous lobservons en la décrivant toujours selon ses deux versants et leurs réseaux intentionnels, ce sont des horizons vraiment infinis qui souvrent à nous, et nous voyons surgir des faits que nous neussions jamais pu pressentir. Les structures de la temporalité phénoménologique en sont un exemple. Cest déjà ce qui se produit lorsque nous restons dans le cadre du type de conscience qui, en loccurrence, sappelle perception de la chose. Chaque fois, elle est une durée, un flux temporel continu de la perception et du perçu. Cette extension continue, cette temporalité est essentiellement inhérente au phénomène transcendantal lui-même. Toute division, que nous y introduisons par la pensée, produit à nouveau une perception du même type ; de chaque segment de la perception, de chaque phase, nous disons la même chose : lhexaèdre est perçu. Mais cette identité est un trait descriptif immanent propre à une telle expérience intentionnelle et à ses phases, cest un trait au sein de la conscience elle-même. Les éléments et les phases de la perception ne sont pas accolés les uns aux autres de lextérieur, ils sont unis, comme lest précisément la conscience à son tour, et ils sont unis au sein de la conscience quelle a delle-même. Il nest pas vrai quil y ait dabord les choses et quelles seraient ensuite introduites dans la conscience De sorte que, çà et là, une même chose sy trouverait introduite ; cest au contraire une conscience et une autre, un cogito et un autre qui se lient pour former un cogito qui unit les deux premiers, lequel, en tant que conscience nouvelle, est à son tour conscience de quelque chose. Voilà ce que réalise cette conscience synthétique qui, consciemment et en elle, devient la « même », lun en tant, quun. Lexemple que nous avons pris est loccasion de toucher la singularité de la synthèse conçue comme propriété fondamentale de la conscience. Cette propriété révèle en même temps la différence entre contenus réels de la conscience et contenus idéels, simplement intentionnels. Lobjet de la perception, dun point de vue phénoménologique, nest pas un élément réel dans la perception [18] en acte, pas davantage dans le flux des perspectives synthétisées ou dans les autres modes phénoménaux de la perception. Deux phénomènes qui, grâce à une synthèse, se donnent pour phénomènes dune même chose, sont réellement distincts, nont, en tant que distincts, réellement aucun donné en commun ; ils ont tout au plus des moments semblables ou identiques. Le même hexaèdre perçu est, du point de vue intentionnel, le même ; ce qui se donne comme réel et spatial est, au sein de la multiplicité des perceptions, idéel et identique, cest un identique de lintention, immanent aux modes de la conscience, aux actes du moi, non comme donné réel, mais comme sens objectif. Le même hexaèdre peut fort bien alors être le même visé intentionnel au sein de divers ressouvenirs, attentes, représentations claires ou vides ; cest un substrat identique sur lequel peuvent sappuyer des énoncés prédicatifs, des évaluations, etc. Ce caractère didentité est toujours présent au sein de la vie de la conscience elle-même, et lintuition le saisit grâce à la synthèse. Ainsi, la relation de la conscience à ce qui affecte les sens, principalement la vue (lobjectité) traverse toute la vie de la conscience, et cette objectité se révèle être une propriété essentielle de toute conscience : la capacité de dépasser, par la synthèse, des modes toujours nouveaux de la conscience, des modes très divers, et de parvenir à la conscience dune unité de cette même conscience. Ce par rapport à quoi on peut affirmer quaucun cogito particulier nest isolé dans lego, et cest à ce point vrai que lon peut constater, en fin de compte, que lensemble de la vie universelle est, dans ses fluctuations, dans son flux héraclitéen, une unité synthétique universelle. Cest à cette unité que lon doit fondamentalement le fait que lego transcendantal non seulement est, mais est pour lui-même, une unité concrète dont les contours restent dominables, qui vit, à travers des modes de conscience pourtant toujours nouveaux, de manière néanmoins unie, et qui sobjective constamment sous la forme du temps immanent. Mais outre tout cela, et tout aussi essentielle que son actualité, cest la potentialité de la vie qui est fondamentale et qui nest nullement une virtualité vaine Tout cogito, une perception extérieure ou une remémoration, etc., par exemple, véhicule en soi et de manière décelable une potentialité qui lui est immanente : celle de vécus possibles, référables à un même objet intentionnel, réalisables par le moi et à partir de lui. En chaque cogito, nous découvrons, comme le dit la phénoménologie, des horizons en un sens différent. La perception progresse et [19] trace un" horizon dattente comme horizon de lintentionnalité, elle fait signe vers ce qui sy manifeste comme perçu, donc elle désigne des séries de perceptions. Mais chacune introduit des potentialités, comme « je pourrais regarder là-bas au lieu de regarder là », je pourrais orienter autrement le cours de la perception du même perçu. Chaque remémoration me renvoie à toute une chaîne de remémorations possibles qui vont jusquà lactuel présent, et, à chaque étape du temps immanent, elle me renvoie, notamment, à des contemporanéités parallèles qui sont à découvrir. Ce sont là des structures intentionnelles, dominées par les lois de la synthèse. Je peux interroger toute expérience intentionnelle, ce qui signifie que je peux pénétrer au sein de ses horizons, les interpréter et, ainsi, dune part, dévoiler des potentialités de ma vie, dautre part, clarifier, sur le versant objectif, le sens visé. Lanalyse intentionnelle est donc quelque chose de tout à fait différent de lanalyse au sens courant La vie de la conscience et cela sapplique demblée à la pure psychologie interne si on la compare à la phénoménologie transcendantale nest pas un pur et simple réseau de données ni une accumulation datomes psychiques et pas davantage un tout formé déléments unis par des qualités formelles. Lanalyse intentionnelle est révélation des actualités et des potentialités au sein desquelles des objets se constituent en unités de sens, et toute analyse du sens se développe elle-même en passant des expériences réelles aux horizons intentionnels qui sy esquissent. Cette idée tardive impose à lanalyse et à la description phénoménologiques une méthode totalement nouvelle, qui entre en jeu chaque fois quil faut appréhender résolument les questions que posent lobjet et son sens, lexistence du monde, les questions de possibilité, dorigine, de légitimité, etc. Toute analyse intentionnelle va au-delà du vécu, donné réellement dans linstant, au sein de la sphère immanente, elle procède de telle manière que, dévoilant des potentialités qui désormais sont circonscrites comme étant réelles et inscrites dans un horizon, elle révèle les multiplicités propres à de nouveaux vécus où apparaît clairement ce qui nétait visé quimplicitement et qui, ainsi, était déjà intentionnel. En voyant un hexaèdre, je dis aussitôt : je ne le vois effectivement et vraiment que sous un certain angle. Mais il nen est pas moins évident [20] que ce que je perçois à ce moment-là est plus que ma perception, que ma perception inclut une visée, même si elle nest pas intuitive, qui donne son sens à cet aspect, en tant que simple aspect, de lhexaèdre partiellement vu. Mais comment se révèle ce surplus de la visée, comment devient-il évident que je vise davantage ? En passant à une série synthétique de perceptions possibles, celles que jaurais si, comme je le peux, je faisais le tour de lobjet. La phénoménologie explicite constamment la visée, chaque intentionnalité Cest-à-dire en élaborant de telles synthèses de remplissement de sens. Expliciter la structure universelle de la vie transcendantale de la conscience, pour autant quelle a un rapport au sens et quelle lélabore, voilà la tache considérable qui échoit à la description. Naturellement, la recherche se déroule sur différents niveaux. Elle nest certes pas freinée par le fait quon se trouverait ici sous le règne du flux subjectif, et quil serait absurde de vouloir adopter une méthode de formation conceptuelle et de prédication qui serait rectrice dans les sciences exactes et objectives. Il est certain que la vie de la conscience est plongée dans un flux et que chaque cogito est emporté par un flux, sans éléments ni relations ultimes qui puissent être fixés. Mais au sein de ce flux règne une typologie très nette. La perception constitue un type universel, la remémoration, un autre type, la conscience vide et la conscience rétentionnelle celle que jai dun élément de mélodie que je nentends plus mais que jai encore dans le champ de la conscience, dont je nai plus lintuition mais qui nen reste pas moins la non-intuition de cet élément de mélodie , voilà, entre autres exemples, des types universels nettement circonscrits qui se scindent à nouveau en un type de perceptions dobjets spatiaux et en un type de perceptions d'une personne, dun être psychophysique. Je peux, en les décrivant de manière générale, minterroger sur la structure de chacun de ces types, structure intentionnelle puisquil sagit précisément de types intentionnels. Je peux minterroger sur la manière dont on passe de lun à lautre, dont ils se forment, se modifient, je peux me demander quelles formes de synthèse intentionnelle y sont nécessairement présentes, quelles formes dhorizon ils incluent nécessairement, quelles formes de dévoilement et de remplissement leur sont inhérentes. Il en résultera une théorie transcendantale de la perception cest-à-dire une analyse intentionnelle de la perception , une théorie transcendantale du souvenir et du réseau [21] des intuitions, pour lessentiel, mais aussi une théorie transcendantale du jugement, une théorie de la volonté, etc. Il sagit toujours, non pas de traiter une pure et simple expérience à la manière des sciences factuelles objectives ni danalyser sur un plan réel le datum de lexpérience, mais de suivre les orientations de la synthèse intentionnelle telles quelles se dessinent dans lintentionnalité et selon ses horizons, ce qui implique que les horizons eux-mêmes soient indiqués, mais aussi dévoilés. Dans la mesure où chaque cogitatum particulier, en raison de sa durée temporelle transcendantalo-immanente, constitue une synthèse créatrice didentité, une conscience de lidentité permanente de la conscience, tel objet unique joue déjà un certain rôle comme fil conducteur transcendantal pour les multiplicités subjectives qui le constituent Mais lorsquon embrasse du regard les types les plus universels de cogitata et leur description intentionnelle générale, il est de nouveau indifférent que ce soient alors tels ou tels objets qui aient été perçus, remémorés, etc. Mais si cest le phénomène du monde qui est également présent, comme unité, à la conscience et au sein du flux continu, mais uni par la synthèse, des perceptions que nous prenons pour thème, si cest donc ce type étonnant de perception universelle du monde que nous considérons, pour nous demander comment comprendre, dans une perspective intentionnelle, quun monde soit là pour nous, nous fixons alors de manière cohérente le type synthétique dobjet monde, à titre de cogitatum bien entendu, et en tant que fil conducteur pour le déploiement de la structure infinie de lintentionnalité propre à lexpérience du monde. Il faut alors que nous abordions la typologie particulière Le monde de lexpérience considéré purement comme éprouvé, et toujours au sein de la réduction phénoménologique est constitué par des objets qui restent identiques.
Raison et déraison, prises dans leur plus large acception, ne désignent pas des facultés ou des données factuelles fortuites, mais elles appartiennent à la structure formelle la plus générale de la subjectivité transcendantale comme telle. Lévidence au sens le plus large dauto-apparition, de présence de la chose en tant que telle, de prise de conscience dun état de choses en lui-même, dune valeur en elle-même, etc., ne constitue pas un événement fortuit au sein de la vie transcendantale. Toute intentionnalité est en effet
Toute élucidation est déjà un rendre-évident. Toute conscience vide, vague ou obscure nest demblée conscience de ceci ou de cela que dans la mesure où elle renvoie à une procédure de clarification par laquelle ce qui est visé de manière présomptive doit être donné comme réalité effective ou comme possibilité. Je peux toujours interroger la conscience vague pour savoir à quoi devrait ressembler son objet. Sans doute appartient-il aussi à la structure de la subjectivité transcendantale de se forger des opinions qui quand elles passent à lévidence ou à la claire représentation (Vorstelligmachung) possibles, cest-à-dire quand, comme dans la démarche effective de lexpérience, on passe réellement dune opinion à un état de choses évident lui-même dévoilent quelque chose dautre, au lieu de faire ressortir ce qui était visé dans son éventuelle donation en personne. Il ny a plus dans ce cas confirmation et remplissement, mais seulement déception, suppression, négation. Le domaine tout entier de la [23] vie de la conscience est caractérisé par cette opposition typique du remplissement et de la déception Lego vit toujours et nécessairement dans ses cogitationes, et son objet est à chaque fois intuitif (peu importe quil soit présent dans la conscience ou quil soit dans limagination comme sil était présent), soit non intuitif, étranger à la chose (sachfern). Il est toujours possible de sinterroger sur les démarches au terme desquelles lobjet peut se manifester lui-même comme étant de manière conséquente, et être atteint dans un continmm concordant dévidences. Ou bien on sinterrogera sur les procédures susceptibles de faire ressortir le non-être de lobjet en question. Dire quun objet existe pour moi, cela signifie quil vaut pour moi à la mesure de la conscience. Mais cette validité ne subsiste pour moi quaussi longtemps que je présume que je peux la confirmer, cest-à- dire engager les démarches, produire librement les expériences à accomplir et toutes les autres évidences grâce auxquelles je serais auprès de lobjet en personne et pourrais le réaliser comme effectivement là. Ce qui est également le cas lorsque ma conscience de lobjet est expérience, lorsque jai conscience que lobjet lui-même est déjà là, déjà visible en lui-même. En effet, cette vue renvoie continûment à un autre voir, à une possible confirmation, et, toujours à nouveau, à la faculté de revenir en arrière et de reprendre ce qui a déjà été assuré dans son être, sur le mode dune vérification continue. Songez à limportance inouïe de cette remarque, dès lors que nous sommes installés sur le sol égologique Depuis un tel site, nous voyons que, pour nous, existence et essence (Dasein et Sosein) nont en réalité et en vérité aucun autre sens que celui quils tiennent dune possible confirmation phénoménale ; mais nous voyons aussi que laccès à ces procédures de confirmation mappartient à moi-même en tant que subjectivité transcendantale, et que cest seulement à ce titre que ces procédures ont un sens. Par conséquent, lêtant véritable, quil soit réel ou idéal, na de signification quà titre de corrélat singulier de mon intentionnalité propre, peu importe que cette intentionnalité soit actuelle ou seulement ébauchée potentiellement. Sans doute cela ne vaut pas du corrélat dun ego isolé ; de lêtre dune chose réelle par exemple comme simple cogito dune perception isolée que jaurais actuellement. Mais cette perception elle-même et son objet, dans le comment de son être-donné intentionnel, me renvoient, en vertu de son horizon présomptif, au système infiniment ouvert des perceptions possibles [24] comme telles. Celles-ci ne sont pas forgées de toutes pièces, mais elles sont motivées dans ma vie intentionnelle, et ne peuvent perdre leur valeur présomptive que si une autre expérience entre en contradiction avec elles et les supprime. Ces perceptions possibles sont nécessairement coprésupposées comme mes possibilités des possibilités que je peux mettre en uvre en mapprochant de lobjet par exemple, en en faisant le tour, etc. Sans doute ces remarques sont-elles encore formulées très grossièrement Des analyses intentionnelles très compliquées et très développées seraient nécessaires pour expliciter les possibilités structurelles des horizons qui appartiennent spécifiquement à chaque classe dobjet, si lon veut rendre intelligible par là le sens dêtre qui à chaque fois y correspond. Ce qui est demblée évident, cest seulement ce principe directeur unique : ce que je tiens pour étant vaut pour moi comme tel, et toute justification pensable dépend de moi, elle est incluse dans mon intentionnalité immédiate et médiate. Tout sens dêtre doit donc sy trouver coïnclus. Mais nous voilà déjà confrontés par là aux problèmes considérables et impressionnants de la raison et de la réalité-effective, de la conscience et de lêtre-vrai Nous avons rencontré les problèmes que la phénoménologie nomme de manière générale constitutifs. Ils surgissent dabord comme des problèmes phénoménologiques limités, dans la mesure où avec les termes de réalité-effective et dêtre on ne songe quà lêtre mondain, et donc au parallèle phénoménologique de ce quon appelle couramment théorie de la connaissance ou critique de la raison. Et on considère habituellement quune telle critique a trait à la connaissance objective des réalités naturelles. En vérité cependant, les problèmes constitutifs embrassent lensemble de la phénoménologie transcendantale et désignent un aspect systématique très général sous lequel sordonnent tous les problèmes phénoménologiques. La constitution phénoménologique dun objet implique de considérer luniversalité de lego eu égard à lidentité de cet objet, denvisager cette universalité eu égard à la question de la totalité systématique des vécus de conscience effectifs et possibles qui, dans la mesure où ils peuvent se rapporter à cet objet, sont déjà tracés dans mon ego et signifient pour lui une règle pour des synthèses possibles. Le problème de la constitution phénoménologique dun type quelconque dobjets est tout dabord le problème de sa donation évidente dans sa perfection idéale Chaque type dobjet [25] possède sa modalité typique dexpériences possibles. A quoi ressemble une telle expérience dans ses structures, quand nous la concevons comme ce qui met en évidence lobjet sous tous ses aspects et de manière idéalement achevée ? A quoi il faut encore ajouter la question suivante : comment lego parvient-il à avoir à sa disposition un tel système, alors même quil ne possède actuellement aucune expérience de lobjet ? Et finalement quest-ce que cela signifie que des objets sont pour moi ce quils sont, sans que je ne sache et nai rien su deux ? Tout objet, sil est, est objet dun univers dexpériences possibles. Il nous faut ici simplement élargir le concept dexpérience jusquau concept le plus vaste, celui dévidence bien comprise. À tout objet possible correspond un tel système possible. Le transcendantal est, comme nous lavons dit, lindex objectif progressif dune structure universelle appartenant à lego de manière tout à fait déterminée. Cette structure régit aussi bien les cogitata effectifs que les potentialités de la faculté de penser. Or il appartient précisément à lessence de lego dêtre sous la forme dune conscience effective ou possible possible en fonction des formes subjectives, qui lui sont inhérentes, du je peux, du pouvoir. Lego est ce quil est en rapport à des objets intentionnels Il a toujours de létant et du possiblement étant. Il appartient donc à son essence de former et davoir formé continuellement des systèmes intentionnels dont lindex sont les objets visés, pensés, évalués, traités, imaginés, à imaginer, etc., par lui. Mais lego lui-même, son être, est être pour soi-même, y compris son être avec toutes les particularités ontiques qui lui appartiennent. Cet être est constitué en lui et continue de se constituer pour lui. Lêtre-pour-soi-même de lego est être dans une autoconstitution continue. Celle-ci forme, de son côté, la base pour toute constitution de ce quon appelle les réalités transcendantes, les objectités mondaines. Telle est la base de la phénoménologie constituante dont la tâche est délaborer, dans sa doctrine de la constitution de la temporalité immanente et des vécus immanents qui y trouvent place, une théorie égologique grâce à laquelle on comprend peu à peu comment lêtre- pour-soi-même de l'ego est concrètement possible et intelligible. Cest ici que léquivocité du thème ego apparaît Lego est différent selon les couches de la problématique phénoménologique.
Pourtant il faut encore noter que lego dans sa fonction centrale nest pas un point ou un pôle vides Cest quil reçoit une détermination continue, en vertu de sa genèse réglée par des lois, avec chaque acte qui émane de lui. Par exemple, ai-je décidé dans un jugement que telle chose est ainsi, alors lacte fugitif de juger disparaît, tandis que je demeure par la suite celui qui sest ainsi décidé, je reste ce moi ayant telles convictions qui me sont propres et permanentes. Il en va de même de toute espèce de décisions, par exemple de celles qui sont relatives aux valeurs ou à la volonté. Nous possédons donc lego non pas simplement comme un pôle vide, mais toujours comme un moi stable et permanent fait de convictions persistantes, dhabitus dont le changement contribue à constituer dabord l'unité du moi personnel et de son caractère personnel. Mais il faut encore distinguer de cette unité lego dans sa concrétion ; il nest concret que dans la multiplicité fluante de sa vie intentionnelle : ses objets sont visés présomptivement et se constituent en fonction de cette vie. Cest pourquoi nous disons aussi de lego quil est une monade concrète. Moi, en tant quego transcendantal, je peux mappréhender moi- même comme ego en un des sens que nous avons dits ; je veux prendre conscience de mon être réel et vrai voilà encore un problème constitutif et sans doute le plus radical. En vérité, la phénoménologie transcendantale embrasse la phénoménologie constitutive, donc lensemble de la phénoménologie, même si tel nest pas son point de départ, et si elle doit débuter par lélucidation de la typique de la conscience dans son déploiement intentionnel. Ce nest quau terme de cette élucidation que le sens de la problématique constitutive devient ensuite visible. De toute façon, les problèmes phénoménologiques que pose lanalyse essentielle de la constitution par lego des objectivités réelles, comme ceux que pose la théorie de la connaissance phénoménologique objective, forment eux-mêmes un immense domaine Si nous entreprenons une automéditation radicale, en revenant à notre ego, à celui qui est pour chacun son ego absolu, tout cela se révèle alors comme des formations (Bildungen) issues de la libre activité spontanée du moi et subordonnées aux couches de la constitution égologique Tout étant idéal de ce genre est ce quil est à titre dindice de tels systèmes constitutifs. Cest ici que se dressent aussi toutes les sciences dont jétablis pour moi la validité à travers ma pensée et ma connaissance propres. Jai suspendu leur validité naïve, mais dans le contexte de mon autodévoilement transcendantal, en tant que spectateur désintéressé de ma vie opérante, elles réapparaissent, comme déjà le monde de lexpérience, en toute validité, mais purement en tant que corrélat constitutif. Passons maintenant au point suivant : la confrontation de cette théorie égologique-transcendantale de la constitution ontologique avec ce qui est communément reçu comme théorie de la connaissance ou théorie de la raison Cette constitution fait ressortir tout ce qui est à chaque fois étant pour lego comme configuration (Gebilde) dune production active ou passive, comme formation qui trouve son origine dans les motivations synthétiques de la propre vie intentionnelle de lego. Sans doute labsence dune partie fondamentale de la théorie phénoménologique, susceptible de surmonter une apparence de solipsisme, ne deviendra tout à fait sensible que dans un contexte plus large, et quand cette lacune aura été comblée de manière appropriée, le scandale du solipsisme se trouvera écarté. Le problème de la théorie traditionnelle de la connaissance est celui de la transcendance Cette théorie entend ne pas être une simple psychologie de la connaissance, même quand, en tant que théorie empirique, elle prend appui sur la psychologie commune, mais elle entend expliquer la possibilité principielle du connaître. Le problème se pose au sein de lattitude naturelle [31] et cest encore dans cette attitude quil demeurera traité par la suite. Je me trouve, en tant quhomme, dans le monde et, en même temps, comme celui qui expérimente et qui connaît scientifiquement ce monde, moi y compris. Je me dis alors : tout ce qui est pour moi lest en vertu de ma conscience connaissante ; il est pour moi ce qui est expérimenté dans mon expérience, la pensée de ma pensée, le théorétisé de ma théorie, le vu de ma vision. Il nest pour moi que lobjectité intentionnelle de mes cogitationes. Lintentionnalité en tant que propriété fondamentale de ma vie psychique désigne une propriété qui mappartient réellement à moi en tant quhomme comme elle appartient à tout homme eu égard à son intériorité purement psychique. Et déjà BRENTANO lavait placée au centre de sa psychologie empirique de lhomme. Nous navons besoin pour cela daucune réduction phénoménologique, nous nous tenons et nous demeurons sur le terrain du monde donné. Et nous disons donc de manière intelligible : tout ce qui est et vaut pour lhomme, tout ce qui est et vaut pour moi, le fait dans ma propre vie de conscience : celle-ci demeure auprès-de-soi-même dans tout avoir-conscience dun monde et dans toute production (Leistung) scientifique. Toutes les distinctions que jopère entre expérience authentique et expérience trompeuse et au sein de lexpérience entre être et apparence se déroulent dans ma propre sphère de conscience. Il en va de même à un niveau supérieur quand je distingue entre une pensée qui débouche sur lintuition et une pensée aveugle, ou encore entre nécessaire a priori et absurde, entre empiriquement exact et empiriquement faux, évidemment réel, nécessaire pour la pensée, dénué de sens, possible pour la pensée, vraisemblable, etc. Toutes ces déterminations sont des caractères qui, à propos de chaque objet intentionnel, apparaissent à lintérieur de ma sphère de conscience elle-même. Toute monstration, toute fondation, quand il sagit dêtre et de vérité, se déroulent entièrement et totalement en moi, et elles trouvent leur terme caractéristique dans le cogitatum de mon cogito. On aperçoit donc la difficulté du problème On comprend que, dans mon domaine de conscience, dans le contexte des motivations qui me déterminent, je parvienne à des certitudes, et même à des évidences contraignantes. Mais comment le jeu qui se déroule entièrement dans limmanence de la vie de conscience peut-il recevoir une signification objective ? Comment lévidence (la clara et distincta perceptio) peut-elle prétendre être en moi plus quun trait qui caractérise la conscience ? Tel est le problème cartésien auquel la veracitas divine était censée répondre. [32] Quest-ce que lautoméditation transcendantale de la phénoménologie peut apporter sur le fait que lévidence est plus quun trait dans limmanence de la vie de la conscience ? Rien dautre que de montrer que toute cette problématique est dépourvue de sens. DESCARTES na dû tomber dans cette absurdité que parce quil avait manqué le sens authentique de lépocbè transcendantale et celui de la réduction à lego pur. Mais la position postcartésienne commune est encore plus grossière. Nous demandons : qui est cet ego susceptible de poser légitimement des questions transcendantales ? Est-ce que je peux le faire en tant quhomme naturel ? Est-ce que je peux demander sérieusement et dans une perspective transcendantale : « Comment sortir de lîle de ma conscience ? Comment ce qui apparaît dans ma conscience comme vécu dévidence peut-il acquérir une signification objective ? » Dans la mesure où je mappréhende moi-même en tant quhomme naturel, jai déjà au préalable appréhendé le monde spatial, je me suis saisi dans lespace au sein duquel jai déjà par conséquent quelque chose hors de moi ! Le sens de la question ne présuppose-t-il pas déjà la validité de laperception du monde, alors même que cest la réponse à cette question qui était censée établir enfin cette validité objective ? Il faut donc exercer consciemment la réduction phénoménologique pour parvenir à conquérir cet ego et la vie de la conscience, sur laquelle doivent être orientées les questions transcendantales en tant que questions de la possibilité dune connaissance transcendante. Mais au lieu deffectuer superficiellement une épochè phénoménologique, ce qui importe, cest bien plutôt de dévoiler résolument dans une automéditation systématique et en tant quego pur lensemble du champ de conscience de cet ego, autrement dit de soi-même ; on reconnaîtra alors que tout ce qui est pour lego se constitue en lui ; on verra aussi que tout monde dêtre, y compris celui qui est caractérisé comme transcendant, possède sa constitution propre. La transcendance est un caractère dêtre immanent qui se constitue à lintérieur de lego Tout sens concevable, tout être concevable quon le nomme immanent ou transcendant , tombe dans le domaine de la subjectivité transcendantale. Lidée de quoi que ce soit en dehors delle est une absurdité. La subjectivité transcendantale est la concrétion universelle et absolue. Prétendre concevoir lunivers de lêtre véritable, comme quelque chose dextérieur à lunivers dune conscience possible, dune connaissance possible, dune évidence possible ces deux univers étant référés lun à lautre de manière purement extérieure par une loi rigide [33], voilà qui est un non-sens. Ils sentre-appartiennent essentiellement, et ce qui sentre-appartient essentiellement ne fait également concrètement quun, est un dans la concrétion absolue : celle de la subjectivité transcendantale. Celle-ci est lunivers du sens possible, et quelque chose dextérieur est donc précisément un non-sens. Mais tout non-sens est encore une modalité du sens, et son caractère insensé se situe encore dans une possibilité de discernement. Mais tout cela ne vaut pas uniquement pour lego de fait et pour ce qui lui est actuellement accessible comme étant pour lui. Lauto-explicitation phénoménologique est une explication, a priori Ainsi tout ce quelle dégage vaut pour tout ego possible, concevable, et pour tout étant concevable, cest-à-dire pour tous les mondes concevables. Une authentique théorie de la connaissance nest donc significative que si elle est phénoménologique transcendantale ; une telle théorie, au lieu de soccuper dinférences dépourvues de sens, conduisant dune prétendue immanence à une prétendue transcendance, du type de celle des choses en soi, ne soccupe exclusivement que de la clarification systématique de lactivité de connaissance. Celle-ci est comprise, grâce à cette élucidation, comme une production intentionnelle de part en part. Et par là, tout mode détant, quil soit réel ou idéal, est compris comme une formation de la subjectivité transcendantale, qui est constituée dans cette production. Cette façon de comprendre représente la plus haute forme de rationalité concevable. Toutes les interprétations ontologiques erronées résultent dun aveuglement naïf devant les horizons codéterminant le sens dêtre. Ainsi lauto-explici- tation pure de lego conduite dans la pure évidence et donc de manière concrète aboutit à un idéalisme transcendantal, mais celui-ci reçoit un sens fondamentalement et essentiellement nouveau ; ce nest pas un idéalisme psychologique, ce nest pas un idéalisme qui prétend déduire un monde signifiant à partir de data sensibles dépourvus de sens ; ce nest pas un idéalisme kantien qui, au moins comme concept limite, croit pouvoir laisser ouverte la possibilité dun monde de choses-en-soi, mais cest un idéalisme qui nest rien dautre que 1auto-explicitation conduite avec cohérence sous forme dune science égologique systématique, de tout sens dêtre qui doit pouvoir avoir précisément un sens pour moi, lego. Pourtant cet idéalisme nest pas une construction faite dun jeu darguments, dans un conflit engagé avec le réalisme dans le seul but de remporter la victoire [34] Lidéalisme en question consiste dans lexplicitation, menée dans un travail effectif, du sens de la transcendance de la nature, de la culture, du monde en général, telle quelle est prédonnée à lego par lexpérience. Autrement dit, il consiste dans le dévoilement systématique de lintentionnalité constituante elle- même. La démonstration de cet idéalisme est fournie par la réalisation de la phénoménologie elle-même. Il nous faut pourtant formuler la seule objection véritablement inquiétante (celle de solipsisme) qui peut lui être opposée Quand moi, lego méditant, je me réduis à travers lépochè à mon ego absolu et à ce qui se constitue en lui, ne suis-je pas devenu par là même solus ipse ? Est-ce quune telle philosophie de lautoréflexion nest pas intégralement pur solipsisme, fût-il phénoménologico- transcendantal ? Pourtant, avant den décider et de tenter de se tirer daffaire à laide de vains arguments dialectiques, il importe de nous engager assez avant et de manière suffisamment systématique dans le travail phénoménologique concret Ceci pour voir comment sannonce et savère dans lego, à titre de donnée empirique, lalter ego ; pour voir quel type de constitution doit être introduit pour que lexistence de lalter ego puisse apparaître comme telle dans la sphère de ma conscience et de mon monde. Car jai bien lexpérience effective des autres, et jen ai lexpérience non pas seulement comme de ce qui est à côté de la nature, mais comme de ce qui lui est si étroitement mêlé quil ne fait quun avec elle. Pourtant, jai des autres une expérience singulière : je ne les expérimente pas seulement en tant quils apparaissent dans lespace, psychologiquement mêlés à lensemble de la nature, mais je les expérimente comme ceux-là qui ont aussi lexpérience de ce même monde dont jai lexpérience, qui ont de moi lexpérience, comme je lai deux, etc. Jexpérimente en moi-même, dans le cadre de la vie transcendantale de ma conscience, absolument tout, et jexpérimente le monde non pas comme mon propre monde privé, mais comme un monde intersubjectif, donné pour tout un chacun et également accessible dans ses objets, un monde dans lequel les autres existent en tant quautres et en même temps les uns pour les autres, pour tout un chacun. Comment cela peut-il séclairer, si demeure pourtant incontestable le fait que tout ce qui est pour moi ne peut acquérir sens et confirmation que dans ma vie intentionnelle ? Il nous faut ici une interprétation authentiquement phénoménologique de lopération transcendantale de lempathie Il nous faut, aussi longtemps que cette opération est en question, procéder à une abstraction qui suspend la valeur dautrui et de toutes les couches de sens de mon monde ambiant, telles quelles [35] soffrent à moi en fonction de lexpérience valide dautrui. Par là même se détache, dans le domaine de lego transcendantal, cest-à-dire dans son domaine de conscience, lêtre égologique spécifiquement propre mon être-propre concret , cet être dont je peux ensuite à partir des motivations de mon ego appréhender empathiquement lanalogon. Je peux expérimenter directement et proprement la totalité de ma propre vie de conscience en tant que telle, mais non pas une vie étrangère : sensation, perception, pensée, sentiment, volonté étrangers. Mais cette vie dune conscience étrangère est coéprouvée en moi-même en un second sens, sur le mode dune aperception spécifique de la ressemblance ; elle présente des indices conséquents et par là se confirme de manière concordante. Dans ma sphère originaire, dans ma monade, donnée de manière apodictique pour parler comme Leibniz se réfléchissent des monades étrangères, et cette réflexion est une indication qui se confirme de façon continue. Mais ce qui sindique par là, quand jaccomplis lauto-explicitation phénoménologique et en elle lexplicitation de ce qui est indiqué de manière légitime, cest une subjectivité transcendantale étrangère. Lego transcendantal pose en soi, non pas arbitrairement, mais nécessairement, un alter ego transcendantal Or cest précisément par là que la subjectivité transcendantale sélargit pour devenir intersubjectivité, socialité intersubjective-transcendantale, qui est le sol transcendantal pour la nature et le monde intersubjectif en général, et tout autant pour lêtre intersubjectif de toutes les objectités idéales. Le premier ego auquel conduit la réduction transcendantale nest pas en mesure de faire la distinction entre lintentionnel qui lui appartient en propre originellement et celui qui est en lui réflexion de lalter ego. Il faut dabord une phénoménologie concrète bien développée pour accéder à lintersubjectivité dans sa dimension transcendantale. Mais il apparaît aussi par là que cest lego originaire quatteint dabord le philosophe qui médite sur lego, et que lintersubjectivité nest ensuite pensable, pour tout ego concevable, comme alter ego, que dans la mesure où celui-ci se réfléchit dans lego originaire. Cette élucidation de lempathie montre également quil y a une différence abyssale entre la constitution de la nature qui possède déjà un sens dêtre, même si ce nest pas un sens intersubjectif, pour lego abstraitement isolé, et la constitution du monde spirituel. [36] L'idéalisme phénoménologique se révèle ainsi comme monadologie phéno-ménologico-transcendantale À cette réserve près quelle nest pas une construction métaphysique, mais une explicitation systématique du sens que le monde possède pour nous avant tout philosopher. Un tel sens peut être philosophiquement déplacé, mais il ne peut pas être altéré. Tout le chemin parcouru devait être orienté sur le but, assigné par DESCARTES et maintenu par nous, celui dune philosophie universelle, cest-à-dire dune science universelle fondée absolument. Il est permis de dire que DESCARTES a pu sen tenir à cette visée, et que celle-ci est effectivement réalisable. La vie quotidienne pratique est naïve, elle est expérience, pensée, évaluation, action toutes opérations qui simmergent dans le monde prédonné. Toutes ces productions intentionnelles de lexpérience, grâce auxquelles les choses sont là purement et simplement, saccomplissent de façon anonyme, sans que celui qui expérimente en sache rien ; il ne sait rien non plus de la pensée opérante : les nombres, les états de choses prédicatifs, les valeurs, les fins, les uvres surgissent en vertu dopérations cachées. Ces uvres, sédifiant morceau par morceau, soffrent seules au regard. Il en va de même dans les sciences positives. Elles sont des naïvetés dordre supérieur, des uvres conduites par une technique théorétique habile, sans que les opérations intentionnelles doù finalement tout cela résulte aient jamais été explicitées. La science entend assurément pouvoir justifier ses progrès théoriques et elle sappuie toujours sur la critique bien quelle ne soit pas entièrement satisfaisante La critique scientifique, en effet, nest pas l'ultime critique de la connaissance, cest-à-dire létude et la critique des productions originelles, le dévoilement de tous leurs horizons intentionnels. Cest pourtant seulement par là que peut être finalement appréhendée la portée des évidences et que peut être évalué de manière corrélative le sens dêtre des objets, ses formations théoriques, des valeurs et des fins. Cest pourquoi nous rencontrons précisément, au niveau supérieur des sciences positives modernes, des problèmes de fondement, des paradoxes, des obscurités. Les archi-concepts, ceux qui traversent la science tout entière et déterminent le sens de sa sphère dobjets et de sa théorie, ont une origine naïve ; ils comportent des horizons intentionnels indéterminés, [37] ce sont des configurations (Gebilde) de productions intentionnelles inconnues, qui opèrent dans une entière naïveté. Cela ne sapplique pas seulement aux sciences positives spécialisées, mais aussi à la logique traditionnelle avec toutes ses normes formelles. Chaque tentative de passer des sciences historiquement établies à une meilleure fondation, à une meilleure autocompréhension en fonction du sens et des productions (Leistungen), est un élément de lautoréflexion du savant. La seule automéditation radicale, cest celle de la phénoménologie Automéditation radicale et automéditation entièrement universelle sont inséparables, et inséparables du même coup de lauthentique méthode de laudoméditation sous la figure de luniversalité essentielle. Mais lauto-explicitation universelle et essentielle implique de dominer toutes les possibilités idéales qui sont innées à lego et à lintersubjectivité transcendantale. Une phénoménologie développée de manière conséquente construit donc a priori, mais dans une nécessité et une universalité dessence rigoureusement intuitive, les formes de mondes concevables, et elle construit derechef ces mondes dans le cadre de son système de stratifïcation. Mais elle le fait de manière originelle, cest-à-dire en corrélation avec la priori constitutif, celui des prestations intentionnelles qui les constituent. La phénoménologie, dans sa démarche, ne possède ni réalités effectives prédonnées ni concept de réalité effective, mais elle tire demblée ses concepts de loriginarité de sa production (Leistung), elle-même appréhendée dans des concepts originels. La nécessité de dévoiler tous les horizons loblige à dominer toutes les différences de portée, toutes les relativités abstraites ; il lui faut donc accéder delle- même à ces systèmes conceptuels qui déterminent le sens fondamental de toutes les configurations (Gebilde) scientifiques. Ce sont ces concepts qui tracent toutes les démarcations formelles de lidée de forme dun monde possible en général et qui doivent par conséquent être les véritables concepts fondamentaux de toutes les sciences. Sagissant de tels concepts, les paradoxes ne sont plus de mise. Cela vaut de tous les concepts fondamentaux relatifs à la construction et à la forme densemble de la construction des sciences référées ou devant être référées aux différentes régions de lêtre. Nous pouvons maintenant dire également : toutes les sciences a priori en général ont leur origine et leur fondation ultime dans la phénoménologie apriorique et transcendantale [38] Et cela en vertu de sa recherche des corrélations ; envisagées dans cette origine, elles font partie dune phénoménologie universelle et a priori dont elles sont comme les ramifications systématiques. Le système de la priori universel doit être caractérisé comme le développement systématique de la priori universel inné à lessence de la subjectivité transcendantale et donc aussi de lintersubjectivité ; ou encore comme le développement systématique du logos universel de tout être concevable. En dautres termes, une phénoménologie transcendantale entièrement développée de manière systématique serait ipso facto la vraie et lauthentique ontologie universelle ; non pas une ontologie vide et formelle, mais telle quelle pourrait inclure en elle toutes les possibilités régionales dêtre et toutes les corrélations qui leur appartiennent. Cette ontologie universelle concrète (ou encore cette logique universelle de lêtre) serait donc luniversum scientifique premier en soi, reposant sur une fondation absolue. Du point de vue de lordre, la première en soi des disciplines phénoménologique serait donc légologie dans sa limitation solipsiste ; viendrait ensuite, par élargissement, la phénoménologie intersubjective, et cela dans une généralité où se trouvent dabord traitées les questions essentielles qui sont ensuite développées et ramifiées dans des sciences a priori. Cet a priori universel servirait alors de fondement pour dauthentiques sciences factuelles et pour une authentique philosophie universelle au sens cartésien, une science universelle de fondation absolue. Toute la rationalité dun fait (Faktum) réside dans un a priori. La science apriorique est science de ce qui est principiel, et auquel les sciences de fait doivent être reconduites finalement et en principe pour être fondées à cette réserve près que la science a priori ne doit pas être naïve, mais doit prendre son origine dans les ultimes sciences phénoménologiques transcendantales. Je voudrais, pour finir, et afin de ne laisser subsister aucun malentendu, indiquer que la phénoménologie nexclut que la métaphysique naïve qui traite dabsurdes choses en soi, mais nullement la métaphysique en général Le premier être en soi qui précède toute objectivité mondaine et lui sert de base portante, cest lintersubjectivité transcendantale, [39] la totalité des monades qui se manifeste à travers différentes formes de communauté. Mais à lintérieur de la sphère monadique de fait et à titre de possibilité dessence dans chaque sphère monadique concevable surgissent tous les problèmes de la facticité contingente, de la mort, du destin, de la possibilité, dont on attend quelle soit sensée selon une accentuation particulière, dune vie subjective individuelle et communautaire ; les problèmes aussi du sens de lhistoire, etc. Nous pouvons donc dire aussi que ce sont les problèmes éthico-religieux, mais posés sur le sol où doit être posé tout ce qui pour nous doit pouvoir avoir un sens possible. Ainsi se trouve réalisée lidée dune philosophie universelle mais cela en un sens très différent de celui quenvisageaient DESCARTES et son siècle, en prenant pour fil conducteur la nouvelle science de la nature. Elle se réalise non pas comme un système universel de théorie déductive, comme si tout étant se tenait sous lunité dun calcul, mais comme système de disciplines phénoménologiques corrélatives, à la base duquel se trouve non plus laxiome ego cogito, mais une automéditation universelle. En dautres termes, le chemin nécessaire pour accéder à une connaissance ultimement fondée en un sens suprême, ou encore, ce qui revient au même, à une connaissance philosophique, cest celui dune autoconnaissance universelle, dabord monadique, ensuite intermonadique. Linjonction delphique a reçu une nouvelle signification. La science positive est la science perdue dans le monde. Il faut dabord perdre le monde avec lépochè pour le regagner ensuite dans lautoméditation transcendantale. Noli foras ire, disait AUGUSTIN, in te redi, in interiore homine habitat veritas.(« Ne vas pas au-dehors. Ne te disperse pas à l'extérieur. Rentre en toi-même. »)
Date de création : 17/10/2015 @ 17:17 Réactions à cet article
|