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    Histoire - Histoire de la civilisation occidentale (2)

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    HISTOIRE DE LA CIVILISATION OCCIDENTALE (2)

    Par ARNOLD TOYNBEE dans « La grande aventure de l’HUMANITÉ »

     

    3/  L’OCCIDENT CHRÉTIEN[1] (1321-1563)

    Évolutions périodiques

    Pendant le quart de millénaire qui couvre la période 1050-1300, l’occident chrétien avait maintenu son unité religieuse et culturelle. Il avait aussi marché sur la voie du progrès économique. Sa population et sa production s’étaient accrues. Aux premières décennies du XIVe siècle, cette croissance matérielle s’essoufla quelque peu. Et à partir de 1348, la Peste noire vint réduire de façon dramatique et le chiffre de la population et la superficie cultivée.

    Par ailleurs, en 1563, bien que l’Occident chrétien se soit acquis la maîtrise générale des mers, sa frontière terrestre au sud-est n’en avait pas moins reculé par rapport à son tracé de l’an 1300.

    De plus, au terme de cette période, il était devenu une famille divisée, à la fois sur le plan religieux et sur le plan politique. Ces dissensions internes s’aggravaient encore par la coïncidence presque parfaite des lignes de conflit sur les deux plans. Les gouvernants des États locaux – les royaumes, les principautés, les cités-Etats qui se partageaient maintenant le territoire de l’Occident chrétien – s’étaient trouvés d’accord pour décréter qu’il entrait dans les prérogatives du prince de décider lui-même l’obédience religieuse de ses sujets aussi bien que leur allégeance politique.

    Avant 1348, l’Occident chrétien avait déjà connu la récession économique ; la Peste noire à partir de cette date transforma le déclin en catastrophe

    La peste arriva par mer des comptoirs génois de Crimée pour débarquer à Marseille. Elle avait probablement éclaté soit dans la steppe eurasienne, soit dans quelque région située au-delà des limites les plus lointaines de la steppe. Non endémique dans les pays chrétiens occidentaux, elle tua au moins un tiers de la population au cours de ce premier assaut et revint sans cesse à la charge jusqu’au moment où les survivants commencèrent à montrer une certaine faculté de résistance à la maladie. Il fallut pro­bablement attendre jusqu’au début du XVIe siècle pour voir les chiffres de la population et de la superficie cultivée atteindre à nouveau le som­met auquel ils étaient parvenus vers l’an 1300.

    Les conséquences éco­nomiques de cette régression furent proprement révolutionnaires

    La paysannerie mit à profit la pénurie de main-d’œuvre mais non à la mesure de ses espoirs et, restriction plus grave, sans pouvoir assurer son acquis. L’épuisement des ressources humaines dans l’agriculture se joi­gnit à l’extension de l’industrie lainière de la Flandre à l’Angleterre et de l’Angleterre à Florence pour renverser en faveur de l’élevage le rap­port de superficie entre champs et pâtures.

    Mais à l’issue de la Peste noire, d’importantes innovations technologiques apparurent

    Le XIVe siècle vit l’introduction des armes à feu en Occident vers 1440-1490 ; les chantiers navals vécurent une révolution dans le dessin et le gréement de leurs navires. Et dans la seconde moitié du XVe siècle, la technique de l’imprimerie fut adoptée dans tous les pays occidentaux.

     Poudre à canon et imprimerie étaient des inventions chinoises. Les Mongols avaient déjà fait parler la poudre dans leur conquête de l’Empire Song au XIIIe siècle. Quant à la technique de l’imprimerie, elle était employée en Chine depuis le IXe siècle.

    L’utilisation des caractères mobiles pour l’imprimerie

    Les imprimeurs chinois avaient devancé les Occidentaux dans l’usage des caractères mobiles, mais la complexité de l’écriture chinoise leur avait fait préférer aux caractères mobiles le procédé de la xylographie. En Corée, toutefois, la méthode des caractères mobiles avait démarré de manière systématique en 1403 et une écriture phonétique de la langue coréenne, réduite à un petit nombre de signes, avait reçu l’imprimatur officiel en 1446. Malheureusement les germes de la Peste noire., cette invention coréenne promet­teuse devait avorter. Elle fut étouffée par le prestige séculaire que déte­naient dans le pays la langue et les caractères chinois. Les imprimeurs occidentaux du XVe siècle n’étaient pas enfermés dans ce genre de car­can ; le latin comme les différentes langues vernaculaires se rendaient par l’écriture alphabétique latine, laquelle ne dépasse pas vingt-six let­tres ; de plus, l’alphabet latin, fort opportunément ressuscité par des éru­dits italiens du XIVe siècle, se prêtait admirablement aux caractères mobiles, à la fois dans ses capitales classiques et dans ses minuscules carolines. Bientôt, les Occidentaux imprimèrent également des livres en alphabet grec, hébreu ou arabe. Nous ignorons si la technique d’impri­merie de Gutenberg fut une véritable invention ou si l’idée lui vint de Chine par maints détours. La steppe est bonne conductrice. Au XIVe siè­cle, elle avait transmis au continent occidental les germes de la Peste noire. Il est tout à fait concevable qu’elle ait aussi transmis l’idée de l’imprimerie quelque cent ans plus tard.

    Lorsque les Occidentaux maîtrisent l’art typographique, les consé­quences se limitent à leur territoire. Lorsqu’ils maîtrisent l’emploi des armes à feu et inventent un nouveau type de navire, les conséquences vont jusqu’aux confins du monde

    La conquête globale des océans par le navire de construction occidentale sera traitée par ailleurs[2]. La pos­session d’armes à feu a donné aux marins-aventuriers partis de l’Ouest une supériorité militaire décisive sur tous les pays non occidentaux accessibles par mer qui étaient soit dépourvus d’armes à feu soit incapables de s’en procurer au plus vite. Les Chinois en disposaient déjà ; les Osmanlis, les Moscovites, les conquérants timurides de l’Inde septen­trionale et les japonais ne tardèrent pas à en faire l’acquisition. Les Aztè­ques et les Incas succombèrent sans espoir.

    L’adoption de l’imprimerie en chrétienté occidentale au cours de la seconde moitié du XVe siècle relança l’essor culturel qui avait débuté dans le Nord de l’Italie au XIVe et qui devait s’étendre partout ailleurs en Occident au cours du XVIe

    Entre 1266 (l’année où Charles d’Anjou traverse le territoire italien pour aller conquérir le royaume des Deux-Siciles) et 1494 (l’année où Charles VIII de France franchit les Alpes), l’Italie septentrionale avait échappé aux invasions étrangères dont elle avait dû sans cesse subir les horreurs au cours du millénaire qui se termine en 1266 précisément.

    – Cette période qui va de 1266 à 1494 vit l’Ita­lie du Nord créer au sein de la chrétienté occidentale une sous-culture régionale qui ne devait rien à personne. Le progrès culturel occidental était parti de Northumbrie au VIIIe siècle, de France au XIIe. Au XIVe, c’est l’Italie qui prit la tête.

    À la limite des XVe et XVIe siècles un abîme se creusa entre la civilisation italienne et la vie culturelle au nord des Alpes

    Celui-ci se mesure d’un simple coup d’œil, lorsqu’on visite la chapelle d’Henry VII à l’abbaye de Westminster et qu’on y observe le contraste entre l’œuvre du sculp­teur florentin Pietro Torrigiani (1472-1528) et le travail indigène dans la voûte du plafond et la statuaire du plan inférieur. Les deux écoles artistiques s’expriment de façon superbe mais, bien qu’elles soient chro­nologiquement contemporaines, l’esprit les met à des années-lumière l’une de l’autre.

    La différence visuelle vint de la résurrection en Italie septentrionale, depuis le XIVe siècle, du style gréco-romain

    Et cela non seulement dans la sculpture et l’architecture mais aussi dans la peinture et les lettres. Sculpteurs, peintres et architectes se donnent pour modèles les ouvrages survivants de la civilisation gréco-romaine. Les écrivains qui emploient le latin cherchent à reproduire le style de Cicéron plutôt que celui de saint Jérôme ou de saint Thomas d’Aquin. Au XIVe siècle, les Italiens du Nord commencent à maîtriser la langue et la littérature grecques de l’époque hellénique, lesquelles ont cessé d’avoir cours en Occident entre le IIIe et le VIe siècle après Jésus-Christ. Pétrarque (1304-1374) et Boccace (1313-1375) n’ont appris le grec que de façon fragmentaire mais lorsque, en 1439, une délégation grecque vint à Florence assister à un concile, ses membres rencontrèrent des lettrés d’Italie septentrionale suffisamment versés en grec pour discuter avec eux de la littérature et de la philosophie grecques à l’époque préchrétienne.

    Pour cette raison, cette floraison culturelle de l’Italie reçut au XVIe siècle le nom de « Renaissance », ce qui signifiait la renaissance de la civilisation gréco-romaine, cependant que ses porte-drapeaux recevaient l’étiquette d’     « humanistes »

    Désignation réservée jusqu’alors aux admirateurs de la civilisation gréco-romaine préchrétienne, par opposition aux adeptes de la théologie chré­tienne occidentale.

    Ainsi, le terme de « Renaissance », pris dans cette acception, tombe assez mal à propos ; car la résurrection du style gréco-romain n’était que le corollaire et la conséquence d’un deuxième essor spontané de la civilisation occidentale, apparu sous une forme différente de sa pre­mière efflorescence naturelle, laquelle datait du XIe siècle. Ce deuxième mouvement ne s’est pas lancé le jour où Erasme (1469-1536) réalisa l’exploit d’écrire un latin cicéronien presque impeccable, mais lorsque Dante résolut d’écrire sa Divine Comédie dans sa langue maternelle, le toscan, déjà employé par lui dans des poèmes antérieurs[3]. Dante suivait ainsi l’exemple de ses prédécesseurs du nord des Alpes qui avaient déjà écrit de la poésie dans leur propre langue d’oc ou d’oïl.

    La relation entre les premiers Modernes occidentaux et la civilisation gréco-romaine péchait par ambivalence

    On y trouvait un rapport sti­mulant lorsqu’un modèle gréco-romain poussait les      « Modernes » à l’imitation pour créer en fin de compte quelque chose de neuf et de bénéfique pour le mode de vie occidental à l’époque ; mais la même influence gréco-romaine avait un effet débilitant lorsqu’elle poussait les « Modernes » à simplement singer les « Anciens ». Filippo Brunelleschi (1377-1446) enrichit son propre monde en bâtissant une cathédrale à Florence (1420-1434) grâce à son étude sur le dôme du Panthéon d’Hadrien à Rome. (Brunelleschi n’avait pas eu l’occasion de comparer ses dessins avec ceux de l’architecte ottoman contemporain de la Mos­quée Verte de Brousse, bâtie en 1421, édifice nettement plus audacieux parce que moins soigneusement étayé.) De même, Andréa Palladio (1518-1580), de Vicence, enrichit la culture occidentale moderne lorsqu’il créa sa version personnelle du style classique après avoir étudié les ruines de Rome et le traité d’architecture de Vitruve.

    Par contre, Sigismondo Pandolfo Malatesta (1417-1468) se rendit coupable d’une pure folie

    Entreprenant en 1447 de transformer l’une des églises de Rimini en une caricature de temple grec. Pour reprendre l’avers de la médaille, Machiavel (1469-1527) employa de manière créatrice les connaissances puisées dans Tite-Live en les appliquant à ses manuels sur les techniques de la guerre et de la politique modernes ; et il en alla de même pour Erasme, lorsqu’il mit à profit sa maîtrise du style cicéronien pour offrir au petit cercle des latinistes de son époque ses commentaires sur les grands problèmes moraux, sociaux, politiques et intellectuels de l’époque.

    Par contre, les tours de force littéraires des « humanistes », qui compensaient leur manque de génie par un latin ruisselant de préten­tion, n’étaient que vains exercices

    Les logiciens du Moyen Age occidental avaient manié le latin de façon plus robuste. Jamais ils n’avaient reculé devant le néologisme nécessaire, fidèles en cela aux principes de Cicéron lui-même. L’anti­humaniste Luther suivit plutôt la voie de Dante (qui était aussi celle de Pétrarque et de Bocacce), et ses œuvres en langue vulgaire atteignirent un public bien plus large que celui du cicéronien Erasme. La traduction allemande de la Bible par Luther compte parmi les plus grandes réalisations de ce mouvement culturel occidental inauguré par la rédaction en toscan de la Divine Comédie.

    Jusque vers la moitié du XVe siècle, la Renaissance moderne se centra sur l’Italie du Nord

    Dans cette région, plus particulièrement sur la Tos­cane; et en Toscane, sur Florence Toutefois, ni Florence ni l’Italie ne conservèrent le monopole de ce nouveau style de culture occidentale – bien que les Italiens s’en soient fait gloire lorsqu’ils répliquèrent aux invasions étrangères, recommencées en 1494, en traitant les envahis­seurs du nom de « barbares ».

    La contribution de Florence à l’essor de l’Occident moderne fut aussi remarquable que celle d’Athènes à l’essor de la civilisation hellénique après 480 avant J.-C. Dante, Pétrarque, Brunelleschi, le platonicien Marsile Ficin (1433-1499), Laurent de Médicis (1449-1492) – ban­quier, despote, protecteur des artistes et des lettrés – Machiavel et Torrigiani étaient florentins. Bocacce était mi-florentin, mi-français. Vinci, la ville natale de Léonard, se trouvait sur le territoire de Pistoie, annexé par Florence un siècle avant la naissance du grand homme. Arezzo, la ville natale du Pogge (1380-1459), le pionnier de l’archéologie, avait été définitivement annexée par Florence alors que le Pogge n’avait que qua­tre ans. Caprese, la ville natale de Michel-Ange (1475-1564) était située dans le territoire d’Arezzo, sur l’un des affluents du Tibre en son cours supérieur.

    Laurent de Médicis fit venir à Florence les érudits Angelo Ambrogini dit Politien (1454-1494), de Montepulciano dans le terri­toire de Sienne, et Pic de la Mirandole, originaire de Mirandola, minus­cule principauté entre Reggio d’Emilie et Modène. Le seul non-Florentin à compter parmi les titans de la Renaissance fut Raphaël (1483- 1520) qui naquit et grandit à Urbino, dans les Marches.

    Néanmoins, ni Florence ni même l’ensemble de l’Italie septentrionale n’étaient les seuls foyers d’effervescence culturelle dans l’Occident moderne

    La Flandre faisait pendant à l’Italie et constituait le second pôle de l’activité occidentale tant sur le plan culturel que sur le plan éco­nomique.

    Fra Angelico (1387-1455), de Fiesole  – la vieille cité qui sur­plombe Florence et fut la première de ses voisines à s’incliner devant la montée de la jeune puissance florentine –, trouvait un égal en la personne de son contemporain flamand Jean van Eyck (1390-1441).

    Comme lati­niste et comme publiciste, Érasme de Rotterdam valait n’importe quel Italien de sa propre génération ou de n’importe quelle autre ; et des tremplins culturels aussi bien que commerciaux rapprochaient la Tos­cane et les Pays-Bas.

    Le paysage et le climat de la côte adriatique en Italie du Nord, entre l’extrémité orientale des Apennins et les Alpes, n’ont-ils d’ailleurs pas infiniment plus de points communs avec les Pays-Bas qu’avec la Tos­cane ou l’Ombrie ? Aussi n’est-il pas étonnant que cette différence de milieu géographique se reflète dans le style choisi par l’école vénitienne de peinture.

    Le Tintoret (1518-1594) et Véronèse (1528-1588) répon­dent à leur contemporain flamand Pierre Bruegel le Vieux (1525-1569).

    Nuremberg se trouve à mi-chemin entre l’Adriatique et les mers nor­diques et Dürer (1471-1528), Hongrois établi dans cette ville, contem­porain de Michel-Ange et Raphaël, ne le cède à aucun artiste italien hors du cercle des quatre géants si fameux qu’on les désigne, comme les rois, par leur seul prénom, les deux autres étant le Titien (1477-1576), originaire de Venise, et Léonard de Vinci [proximité de Florence] (1452-1519).

    Au-delà des Alpes comme en Italie du Nord, les cités-Etats accueil­lirent la floraison culturelle occidentale mais, en 1563, les peuples des Etats-royaumes prirent part, eux aussi, au mouvement, sans aucune réserve

    La multiplication des universités donne la mesure de cette expansion. De 1350 à 1500, leur nombre fit plus que doubler: vingt- trois nouveaux établissements se fondèrent en Europe centrale (le plus ancien étant l’université de Prague, fondée en 1347).

    Sur le plan politique, le quart de millénaire qui commence vers 1300 vit le triomphe posthume de Frédéric II, empereur germanique au siècle précédent La redécouverte par l’Occident, vers la fin du XIe siècle, du code de Justinien et l’acquisition du royaume des Deux-Siciles – un État-successeur de l’Empire romain d’Orient – par son père Henri II en 1194 avaient donné à Frédéric II l’ambition de devenir le maître absolu non seulement de son propre royaume mais aussi de toute l’Italie voire des territoires du Saint-Empire situés au nord des Alpes.

    Frédéric ne par­vint pas à subjuguer les cités-États d’Italie septentrionale, mais son exemple fit se lever sur ces territoires un essaim d’imitateurs. Ceux-ci réussirent parce qu’ils surent, tout en gardant les objectifs de Frédéric II, les adapter à leurs moyens.

    Au cours des XIVe et XVe siècles, la plupart des cités-États d’Italie du Nord furent remplacées par des principautés à gouvernement autocratique

    Certaines d’entre elles (Milan, par exem­ple) comprenaient plus d’une ville, et une cité restée républicaine (comme Venise) pouvait aussi se tailler un empire en imposant son autorité à d’autres villes jadis indépendantes.

    On voit dès lors, en Italie, une diminution du nombre des Etats sépa­rés et une augmentation parallèle de leurs dimensions moyennes.

    Tou­tefois, même les États les plus étendus du nord de l’Italie qui avaient commencé à prendre forme vers la fin du XVe siècle (par exemple Milan, Venise, Florence et les États pontificaux) étaient potentiellement limités

    Ils étaient petits et faibles par comparaison avec les ressources potentielles des États-royaumes occi­dentaux hors d’Italie, qui figurent sur la carte politique de l’année 1563. Ces puissances comprennent les royaumes de France et d’Angleterre, qui existent tous deux depuis le Xe siècle ; le royaume-uni de Castille et d’Aragon (la fusion de 1474-1479) ; enfin, l’Empire des Habsbourg d’Autriche, né en 1526 de l’union entre le patrimoine autrichien des Habsbourg et les Couronnes de Hongrie et de Bohême après le renver­sement par les Osmanlis du royaume de Hongrie jusqu’alors capable de former à lui seul la marche sud-ouest de la chrétienté occidentale, d’abord contre l’Empire d’Orient puis contre l’Empire ottoman. Ces États-royaumes occidentaux du XVe siècle, qui produisirent sur le plan politique des personnalités d’une envergure comparable à celle de Louis XI (1461-1483), en France, de Ferdinand et Isabelle (co-souverains de Castille et Aragon, 1479-1504), et d’Henry VII (1485-1509), en Angle­terre, surclassaient les principautés et républiques d’Italie du Nord.

    En 1563, les États républicains n’avaient pas disparu pour autant de la carte politique de l’Occident chrétien

      –Venise était toujours une puissance souveraine dont l’empire s’étendait à la fois dans la botte ita­lienne et au Levant ;

    – Gênes possédait toujours la Riviera italienne et la Corse ;

    – la Suisse était une confédération de républiques autonomes ;

    – les cités-États d’Allemagne étaient souveraines en fait, sinon en titre, et deux d’entre elles – Nuremberg et Augsbourg – étaient des centres de la finance et du commerce .internationaux. Les Habsbourg avaient su maintenir leur trésorerie à flot grâce à des prêts consentis par les Fugger d’Augsbourg. Les premiers rôles dans la sécession protestante étaient revenus à deux cités-États allemandes – Augsbourg et Strasbourg – à trois cités-Etats suisses – Zurich, Berne et Bâle – enfin, à Genève, alliée de la Confédération suisse ;

    –  par ailleurs, l’union des trois royaumes Scandinaves, réalisée en 1397 pour faire pièce à la domination de la Ligue hanséatique sur la Scandi­navie, avait été brisée par la sécession de la Suède en 1512-1523 ; et la fusion de la Lithuanie avec la Pologne, mise en place en 1386 et com­plétée en 1501 comme en 1569, n’avait pas suffi à faire du nouvel État une véritable grande puissance. Toutefois, l’évolution du XIVe siècle avait prouvé que le type prédominant d’État occidental allait être l’État-royaume plutôt que la cité-État ou même l’association de plusieurs cités- États soit en une ligue commune soit sous la protection d’un despote ou d’une république souveraine. En 1563, la Lombardie et la Flandre, jadis les deux étoiles principales dans la constellation des cités-États occiden­tales, étaient devenues des champs de bataille où les États-royaumes fai­saient assaut de puissance.

    À force de contrecarrer la politique du voisin, les États de l’Italie du Nord se placèrent à la merci des grandes puissances non italiennes de l’Occident chrétien

    Après le partage, en 1477-1482, des posses­sions bourguignonnes entre la France et les Habsbourg, le principe de l’équilibre des forces qui avait empêché l’unification de l’Italie par Milan fut appliqué sur un terrain plus vaste

    Charles Quint (1519-1556) fut bien près en 1525 d’unir toute la chrétienté occidentale sous son sceptre après avoir vaincu et fait prisonnier le roi de France François Ier. Mais Charles Quint dut s’incliner, d’abord devant la vigueur du sentiment national français puis devant l’action politique centrifuge de la Réforme en Allemagne. Finalement, il abdiqua en 1556, au bout de ses illusions. Pourtant Charles Quint était parvenu à réunir sous son auto­rité comme sous celle de son frère Ferdinand un territoire d’une étendue inouïe: les possessions héréditaires des Habsbourg en Autriche, augmentées des biens de la Couronne de Bohême et d’un reste de la Hon­grie ; le plus gros des anciens domaines bourguignons, y compris les Pays-Bas qui étaient l’un des deux centres de prospérité économique de la chrétienté occidentale ; Milan, cœur de l’autre pôle de croissance, l’Italie du Nord ; le royaume des Deux-Siciles ; et enfin l’Espagne qui, sous le règne de Charles Quint, se tailla, au-delà des Colonnes d’Hercule, un empire «sur lequel le soleil ne se couchait jamais».

    En 1563, l’unification politique de l’Occident chrétien n’était certes pas en vue

    Chaque grande puissance ne vivait que pour barrer la route à une éventuelle expansion de sa voisine, restant ainsi fidèle à la ligne suivie aux XIVe et XVe siècles par les États italiens de l’époque. Le plus grand de ces pays occidentaux ne dépassait pas le plan local et chacun était en compétition avec tous les autres. Mais toutes ces rivalités entre puissances politiques locales, majeures aussi bien que mineures, ne les empêchaient pas d’avoir le dernier mot dans les affaires de la chré­tienté occidentale depuis 1303, année ou Philippe IV le Bel avait poussé le pape Boniface VIII à la dernière humiliation.

    Si les papes résidèrent en Avignon de 1309 à 1378, ce n’est pas pour une raison    « logistique » en ce sens qu’on aurait choisi cette ville parce qu’elle était plus proche que Rome du nœud de communications de la chrétienté occidentale au XIVe siècle. La raison en était simplement poli­tique, la Couronne de France voulant avoir le pape sous la main et donc en son pouvoir.

    Le grand schisme de 1378-1417

    Dans ce grand schisme qui ébranla le monde chrétien d’Occident, le problème n’était ni éthique ni doctrinal 

    Il s’agissait en fait de savoir si la papauté allait rester un atout politique pour la France ou redevenir un atout politique pour l’Italie. Les puissances séculières locales et le Saint-Siège faisaient preuve de la même avidité devant la perspective de rentrées fiscales ; depuis le XIIIe siècle, la Curie romaine élaborait des méthodes de plus en plus efficaces pour la levée des impôts ; dans le même temps, les gouvernements séculiers mettaient la main sur un pourcentage toujours plus fort des taxes pon­tificales prélevées sur leurs territoires respectifs : c’était à cette condition qu’ils permettaient à la Curie d’empocher le reste.

    Pour répondre à tous les démons lâchés par le grand schisme, on orga­nisa les conciles de Constance (1414-1418) et de Bâle (1431-1449)

    Ces deux assemblées cherchèrent en vain à faire passer le gouvernement pontifical de l’Église chrétienne occidentale de la monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle où le pouvoir de décision serait donné à un parlement qui réunirait les évêques, les supérieurs des ordres reli­gieux et les représentants des universités. Ce projet devait tomber à l’eau parce que les puissances séculières locales lui refusèrent leur soutien. Si le mouvement conciliaire avait réussi, l’Église occidentale en eût proba­blement été renforcée, perspective qui n’avait rien pour plaire aux prin­ces du siècle. Certains d’entre eux avaient extorqué aux papes tout ce qu’ils pouvaient souhaiter; certains trouvaient maintenant de plus grands avantages encore dans les concordats où ils faisaient payer au Saint-Siège le droit d’affirmer, sinon d’exercer, sa «plénitude du pou­voir» dans le gouvernement de l’Église. Ils savaient que, depuis 1303, la plénitude du pouvoir était passée entre leurs mains, dans leurs terri­toires respectifs. A cette époque, l’autorité du pape ne dépassait plus, en vérité, les territoires où il exerçait une souveraineté temporelle. Ces domaines se réduisaient à une minuscule enclave autour d’Avignon, à laquelle venait s’ajouter, sur le sol italien, une partie de la « Donation de Charlemagne », dont le pape était enfin devenu le véritable souverain séculier en 1353-1363. Le souverain pontife était donc devenu, de facto, un roitelet local.

    Le plus grand bouleversement politique que connut la chrétienté occidentale au cours du quart de millénaire qui va de 1303 à 1563

    Ce fut le transfert à des gouvernements locaux séculiers d’un pouvoir politique et de ressources financières. Lesquelles, jusque-là, étaient l’apanage du Saint- Siège et d’autres institutions de l’Église (comme, par exemple, les monastères). D’institution œcuménique dominante, présidant aux des­tinées de toute la Respublica Christiana dont son prestige était le ciment, la papauté s’était rétrécie comme une peau de chagrin aux dimensions d’une des plus petites principautés locales de l’Occident et, dans une bataille sans espoir contre des puissances locales aux moyens supérieurs, elle s’était aliéné l’allégeance spirituelle de la communauté chrétienne occidentale ; son autorité apostolique s’était affaiblie, même dans ceux des Etats occidentaux qui la reconnaissaient encore. John Wycliffe (vers 1329-1384) passa plus ou moins le même nombre d’années sur terre que les papes résidèrent en Avignon (1309-1378). La vie de Guillaume d’Occam (vers 1303-1349) ou de Marsile de Padoue (vers 1290-1343) aurait couvert la même période si ces deux autres critiques de la papauté n’étaient morts prématurément (Guillaume d’Occam tomba sous les coups de la Peste noire). Jean Hus (vers 1369-1415), enlevé avant l’âge non par l’action des bactéries mais par la main de l’homme, était approximativement contemporain du grand schisme d’Occident (1378-1417).

    Joints aux noms de Guillaume d’Occam et de Marsile de Padoue, ceux bien plus fameux encore de Luther (1483-1546), Zwingli (1484-1531) et Calvin (1509-1564) viennent nous rappeler que la pro­tection des princes n’était que le préalable essentiel à l’action des révolutionnaires de la religion

    Protégés des princes, ces hommes n’avaient rien de princier, ils n’étaient que simples roturiers, et leur œuvre aurait pu tourner court si elle n’avait obtenu l’appui du peuple aussi bien que celui des souverains et des oligarques, dans une grande partie de la chré­tienté occidentale. Lorsque Philippe IV, roi de France, et Henry VIII, roi d’Angleterre, jetèrent le gant au Saint-Siège, chacun d’eux régnait sur un Etat local puissant et chacun s’était assuré le soutien de ses sujets, y compris son clergé national. Pour un simple particulier, lancer un défi à la papauté, même à une papauté déjà déclinante, représentait un acte de courage extraordinaire. C’est pourquoi la révolte de Luther, d’abord à Wittenberg en 1517 – alors que l’université de Wittenberg n’avait que quinze ans d’âge – puis à la diète de Worms en 1521, déclencha l’enthousiasme de ses contemporains ; mais si ce mouvement fut possi­ble, c’est pour la simple raison que les sécessionnistes marchaient contre l’Eglise pontificale sur des terrains admirablement préparés. Les Tchè­ques suivirent leur compatriote Hus parce qu’ils étaient déjà anti-papis­tes et anti-allemands ; les Allemands suivirent leur compatriote Luther parce qu’ils étaient déjà anti-papistes. Le luthéranisme se répandit comme une traînée de poudre en Allemagne, vers le sud-ouest aussi loin que les territoires des Habsbourg au Tyrol et en Styrie, jusqu’à ce que la Contre-Réforme fît tourner le vent. Le nationalisme civique de Zurich, Strasbourg et Genève ouvrit à Zwingli, Bucer (1491-1531) et Calvin les brèches indispensables.

    La révolution protestante

    Si Luther n’avait montré la voie, les autres révolu­tionnaires auraient peut-être reculé devant la rupture complète avec l’Eglise pontificale. Toutefois, le luthéranisme ne devait pas dépasser l’Allemagne et sa dépendance culturelle, la Scandinavie. D’autre part, le calvinisme ne parvint jamais à une position dominante dans son pays d’origine, la France, et finit même par s’en faire refouler ; mais il s’éten­dit bien loin au-delà de la cité francophone qui lui avait offert un refuge, Genève. A la suite de sa fusion avec le protestantisme zwinglien de Zurich, le calvinisme poussa vers l’est jusqu’en Hongrie et en Pologne-Lithuanie, vers le nord-ouest jusqu’en Allemagne du Nord-Ouest, aux Pays-Bas septentrionaux, en Angleterre et en Ecosse. Le calvinisme prit au luthéranisme la frange occidentale de l’Allemagne protestante et, sous le règne d’Edouard VI (1547-1553), enleva partiellement l’Angle­terre à la religion nationale d’Henry VIII, à forte coloration romaine. Le calvinisme fut vaincu par la Contre-Réforme dans une certaine mesure en Hongrie, et totalement en Pologne-Lithuanie, mais il maintint sa domination sur le Nord-Ouest de l’Allemagne, les Pays-Bas septentrionaux et l’Écosse.

    La révolution protestante entraîna dans son sillage maintes révolu­tions politiques

    Elle confirma l’indépendance souveraine de facto des princes locaux et des cités-Etats en Allemagne (bien qu’officiellement les uns et les autres restent sujets du « Saint-Empire romain de la Nation germanique»). Mais aucune révolution sociale ne vint s’y greffer. Au cours du demi-siècle qui suivit l’arrivée de la Peste noire dans la chré­tienté occidentale, plusieurs rébellions vouées à l’échec agitèrent la pay­sannerie en Angleterre et en France, les travailleurs de l’industrie dans les villes flamandes et rhénanes, ainsi qu’à Florence. Une autre jacquerie manquée éclata en Angleterre en 1450, suivie d’une autre encore en Allemagne en 1525. Une aile extrémiste de la secte anabaptiste fonda en 1534-1536 une république communiste en Westphalie, à Münster, siège d’une principauté épiscopale catholique. Luther marcha main dans la main avec les autorités politiques séculières, aussi bien catholi­ques que protestantes, pour s’opposer à ces mouvements sociaux révo­lutionnaires. En 1525, il prit publiquement position pour les princes et contre les paysans.

    En principe, Luther soutenait que son Église devait s’abstenir de toute intervention sur la scène politique. À son avis, les Etats luthériens devaient réserver le monopole de la politique aux autorités civiles. Au contraire, les idées de Calvin sur les relations entre l’Église et l’État res­semblaient plutôt à celles du pape Grégoire VII ou même à celles de Boniface VIII. Calvin ne prétendait pas que son Église dût mener les affaires d’un État calviniste mais il entendait que, dans la cité-État de Genève, le gouvernement séculier fît la preuve qu’il agissait en accord avec les règles de son Église. Cette exigence conduisit Calvin à l’exil de Genève en 1538, après avoir expérimenté son régime pendant deux années seulement (1536-1538). Mais en 1541, il fut rappelé sous les acclamations et, à partir de cette date jusqu’à sa mort en 1564, il fit à Genève la pluie et le beau temps.

    – À Florence, en 1494-1495, le moine dominicain Jérôme Savonarole avait reçu d’un régime républicain, comme Calvin à Genève en 1536, les pleins pouvoirs pour réformer la moralité publique ; Savonarole avait fini en 1498 non par un bannissement suivi d’un retour en triomphe mais par la mort sur le bûcher. L’Italie du Nord était en avance sur la chrétienté occidentale du XVe siècle ; pourtant, même sur ce terrain pri­vilégié, la mission de Savonarole venait avant l’heure et il dut payer un prix atroce pour cette initiative prématurée. Toutefois, dès avant la dénonciation par Luther des débordements de la papauté en 1517, un groupe d’ecclésiastiques et de laïcs italiens, conduits par l’évêque Jean-Pierre Caraffa, avait lancé un mouvement qui voulait réformer l’Église romaine de l’intérieur. Ses membres commencèrent, comme jadis saint François d’Assise, par faire vœu de pauvreté et par se consacrer à la vie sainte et aux bonnes œuvres. Comme saint François et au contraire de Savonarole et de Luther, ces gens n’étaient pas des révolutionnaires, ce qui leur permit d’échapper aux foudres du Saint-Siège. À telle enseigne que Caraffa lui-même fut élu pape sous le nom de Paul IV (1555-1559).

    Les pères fondateurs du protestantisme avaient accompli une vérita­ble révolution en clouant la papauté au pilori et en faisant sécession de l’Église romaine

    Mais, tout autant que leurs prédécesseurs et contempo­rains catholiques, ils se montraient autoritaires et intolérants. Chacun d’eux pris individuellement avait suivi son propre jugement et sa propre conscience en se dressant contre la papauté, mais ils n’étaient guère plus enclins que les catholiques à concéder la liberté religieuse dans les États dont ils avaient converti les dirigeants politiques.

    Les révolutionnaires proclamaient que l’autorité de la Bible l’emportait sur l’autorité des papes et des conciles. Luther lui-même traduisit la Bible en allemand de manière que tout fidèle germanophone pût accéder directement à cette source ultime d’autorité. Chaque chrétien devait interpréter par et pour lui-même les principes et les commandements bibliques. Luther, Zwin­gli et Calvin invoquèrent ce droit pour formuler leur théologie. Mais ils se gardèrent de laisser à leurs adeptes la même liberté d’interprétation.

    Les clergés et les gouvernements protestants et catholiques du XVIe siècle s’accordaient pour soutenir qu’un gouvernement local avait la prérogative de dicter leur religion à ses sujets (cuius regio, eius religio). Les dissidents n’avaient qu’à émigrer ou courir le risque d’être mis à mort – le plus souvent par le feu. Les anabaptistes étaient la seule secte religieuse du XVIe siècle à se montrer, par principe, tolérante. Les seuls Etats occidentaux du XVe siècle où se pratiquait la tolérance vis-à-vis de plusieurs religions différentes étaient Venise et la Pologne-Lithuanie (deux États catholiques qui toléraient les cultes de leurs ressortissants orthodoxes), les provinces hongroises sous régime ottoman et la princi­pauté autonome de Transylvanie, alternativement placée sous suzerai­neté ottomane et habsbourgeoise. La Transylvanie compta à partir de 1571 quatre religions reconnues – le catholicisme, le luthéranisme, le calvinisme et l’unitarisme – qui pouvaient être pratiquées en toute liberté.

    Depuis la guerre à mort qui, au XIIIe siècle, avait dressé le Saint-Siège contre Frédéric II et ses héritiers, les chrétiens occidentaux les plus sen­sibles aux horreurs du conflit avaient pris leur distance par rapport à la hiérarchie ecclésiastique. Au cours des XIVe et XVe siècles, certains d’entre eux cherchèrent un autre terrain pour leur activité spirituelle, abandonnant leur participation aux exercices du culte institutionalisé pour approfondir la relation entre l’âme individuelle et Dieu.

    Le dominicain allemand, Maître Eckhart (vers 1260-1327), connut, comme certains des contemporains du Bouddha au VIe siècle avant J.-C, l’identification de son moi propre avec l’ultime réalité spirituelle. L’expérience mystique est incompatible avec une religion où l’ultime réalité est conçue comme l’homologue divin de la personne humaine ; en effet, deux personnes ne peuvent transcender ce qui les sépare sans que l’une et l’autre perdent leur personnalité individuelle. Eckhart entra dès lors en conflit avec les autorités ecclésiastiques. Le mouvement mystique qui s’installe à la même époque au mont Athos (hésychasme) fut également contesté par des théologiens occidentaux, bien que l’hésychasme eût reçu l’approbation d’un concile de l’Église orthodoxe en 1351.

    Les frères de la vie commune (la Devotio Moderna), fondés par un Néerlandais, Gérard Groote (1340-1384), ancien chartreux, n’étaient aux yeux de l’orthodoxie chrétienne occidentale ni des hérétiques ni des asociaux, c’étaient, en particulier, des pédagogues qui favorisèrent le renouveau des études classiques et accueillirent avec enthousiasme la presse à imprimer. Érasme fut leur disciple le plus fameux sinon le plus docile. Les frères pratiquaient une forme de dévotion qui, sans franchir les limites de l’orthodoxie, ressemblait au mysticisme d’Eckhart en ce qu’elle sortait du cadre officiel de l’Église occidentale. Pourtant, Tho­mas a Kempis, l’auteur ou compilateur de l’ouvrage le plus influent de la Devotio Moderna, l’Imitation de Jêsus-Christ, passa les cinquante derniè­res années de sa vie dans un monastère augustin.

    Au XVe siècle, les chrétiens occidentaux eurent l’horreur obsessionnelle de la mort

    Horreur de cette antithèse même du plaisir serein dans lequel les Égyptiens de l’époque pharaonique attendaient l’éternité, à laquelle il convient d’ajouter une véritable fascination devant les souffrances physiques du Christ en croix Les peintres, graveurs et sculpteurs occidentaux de l’époque – surtout au nord des Alpes – mirent toutes les ressources de leur art à exprimer ces thèmes dans le réalisme le plus atroce. Cette atmosphère morbide d’un âge sur ses fins conduisit Luther – habituel­lement d’une disposition d’esprit qui tendait nettement vers l’exubé­rance – à s’interroger lugubrement sur ses péchés comme sur son impuissance à les vaincre par ses seuls efforts. D’où son allégresse à trou­ver refuge dans son ultime conviction que le salut lui viendrait, unique­ment mais certainement, de sa foi dans le pouvoir rédempteur du sacri­fice offert par le Christ à Dieu le Père.

    Cette conception chrétienne fait pendant à la croyance des bouddhis­tes mahayana en la possibilité d’une vie éternelle offerte aux convaincus pour qui le Bodhisattva Amitabha (Amida) conduira ses adeptes, après leur mort, dans son paradis de la Terre pure. Cette version du boud­dhisme, introduite au Japon au cours du Xe siècle, s’y était popularisée aux dernières décennies du XIIe et aux premières du XIIIe siècle. Cette période fut pour l’histoire japonaise une pénible suite de bouleverse­ments sociaux et moraux tout comme la transition entre le XVe et le XVIe siècle pour la chrétienté occidentale. En faisant passer des épaules du pécheur à celles du Christ la responsabilité de la rédemption, le moine augustin Luther n’était pas sans rappeler son adversaire même, le moine dominicain Tetzel qui proposait de faire passer ce même far­deau sur les épaules du pape. L’argumentation de Tetzel en faveur des indulgences était un répugnant maquignonnage, l’argumentation de Luther était un acte de foi, mais l’une comme l’autre fournissaient un substitut commode à la difficile imitation du Christ telle que la prati­quaient, chacun à sa manière, saint François ou Thomas a Kempis.

    Pour les bouddhistes mahayana de la doctrine de la Terre pure, le Bodhisattva Amida était un être plein de compassion et de sollicitude. Pour Luther comme pour Calvin, le dieu des chrétiens, des juifs et des musulmans était un tyran impénétrable, imprévisible et omnipotent, le même que pour Mahomet et les auteurs des livres préprophétiques dans les Écritures juives d’« Ancien Testament» des chrétiens). Mahomet pense que Dieu a, tout au moins, envoyé à l’humanité une série de mises en garde qui ont donné à l’homme une chance d’échapper au châtiment par la contrition et la lutte contre le péché. Le Dieu de Luther et de Calvin prédestine de façon arbitraire certaines de ses créatures au salut et certaines autres à la damnation. Telle est l’interprétation que saint Augustin donne à la théologie de saint Paul. Luther avait été moine augustin, et saint Paul était le patron presque obligé d’un opposant à la papauté puisqu’il était le seul apôtre égal à saint Pierre, fondateur et patron de la papauté.

    La doctrine de la prédestination[4] semble incompatible avec la croyance dans le salut par la foi puisque la foi est un acte de l’Homme et non un acte de Dieu

    Ces deux principes fondamentaux des pères fon­dateurs du protéstantisme peuvent se concilier, mais uniquement dans l’hypothèse où l’être humain est un automate et où son acte de foi, pour autant qu’il l’accomplisse, est, comme tous ses autres actes, prédestiné. Il est moins difficile de concilier la croyance du bouddhisme mahayana dans le salut par la foi en Amida et la croyance dans le karma qu’exprime le Petit Véhicule; en effet, bien que le karma soit la destinée, c’est une destinée faite par l’homme, et le karma peut changer, pour le meilleur ou pour le pire, à la suite des actes de l’être humain pendant l’une ou l’autre de ses incarnations successives.

    Sur les autres points où les protestants s’écartent de la pratique de l’Église catholique romaine, on constate des précédents qui ne doivent rien au protestantisme

    En Chine, de 842 à 845, les monastères et cou­vents bouddhistes avaient été dissous, leurs biens expropriés, leurs occu­pants renvoyés de force à la vie séculière.

    En Occident, Philippe le Bel a confisqué les possessions de l’Ordre du Temple en France et atroce­ment persécuté ses membres entre 1307 et 1314; Édouard II d’Angle­terre avait suivi son exemple. Les images ont été bannies du monde orthodoxe au cours des VIIIe et IXe siècles. L’obligation du célibat, imposée au clergé séculier en Occident pendant le XIe siècle, a été levée en 1439 au concile de Florence pour les uniates venus d’Églises non occi­dentales où le clergé était marié. Les utraquistes tchèques avaient rétabli le droit des laïcs à communier «sous les deux espèces». Zwingli nia la «présence réelle» du corps et du sang du Christ dans les «éléments» ; Calvin ne l’admit que dans un sens non corporel; mais Luther la confirma et des protestants de toutes les sectes gardèrent avec l’Église d’Occident l’interpolation schismatique du filioque dans le Credo.

    La manière dont les protestants concevaient le Dieu des juifs, des chrétiens et des musulmans, et tout particulièrement leur insistance à lui attribuer l’horrible pratique de la prédestination, leur aliéna des « humanistes » chrétiens

    Parmi eux, notamment Erasme et Thomas More. Ces érudits avaient constaté et attaqué les abus de la papauté mais ils considéraient ces errements comme un mal moindre que la doctrine et l’esprit de Luther. En vérité, la théologie protestante représentait une régression par rapport à la raison chère à Erasme et au rationalisme de saint Thomas d’Aquin. Pourtant, à l’exception de Luther, les pères du protestantisme étaient aussi des humanistes. Zwingli et Calvin étaient de fervents adep­tes des études classiques. Le collègue de Luther, Philippe Melanchton (forme grécisée de Schwarzerd) était professeur de grec à l’université de Wittenberg. Il partageait avec ses collègues humanistes non luthériens certaines réticences devant la doctrine de Luther sur la prédestination - et, après la mort de ce dernier, persuada l’Eglise luthérienne d’atténuer quelque peu la rigueur de cette doctrine (mais la version originale de Luther finit par prévaloir). Bien que, parmi les fondateurs de la nouvelle religion, Luther se singularisât en restant en dehors de l’humanisme, il n’en fut pas moins un écrivain de premier plan. Sa traduction de la Bible en allemand l’aurait immortalisé même s’il ne s’était jamais dressé contre le Saint-Siège.

    Pour leur part, les auteurs de la Contre-Réforme catholique embras­sèrent l’humanisme avec enthousiasme

    Saint Ignace de Loyola eut à cœur de recevoir une formation universitaire complète pour préparer l’œuvre de sa vie, et la Compagnie de Jésus, qu’il fonda en 1540, croyait en la pédagogie et la pratiquait avec la même ferveur que les frères de la vie commune au siècle précédent. Pourtant, saint Ignace avait com­mencé sa carrière comme soldat ; le trait dominant de son ordre fut donc la discipline toute au service de la papauté.

    Au XVIe siècle, tout comme au XIIIe et plus loin encore au XIe, c’est un grand homme qui sauva le Saint-Siège, lui évitant de payer le prix fort pour ses égarements. L’esprit de saint François était la parfaite antithèse de l’esprit de Grégoire VII et de saint Ignace, mais la papauté n’en pro­fita pas moins de ce dévouement absolu qui caractérise ses trois sauveurs successifs. Le concile de Trente, qui siégea par intermittence de 1545 à 1563, confirma le pouvoir temporel du pape sur ce qui restait de l’Eglise catholique mais, par contre, mit fin à quelques-uns de ses abus les plus criards. Si ces réformes avaient été conçues et appliquées, comme elles pouvaient et auraient dû l’être, à un moment quelconque entre 1414 et 1517, Luther n’aurait peut-être jamais eu l’occasion de brandir l’éten­dard de la révolte.

     

    4/  L’OCCIDENT CHRÉTIEN[5] (1563-1763)

    De 1563 à 1763, l’Occident chrétien accomplit la révolution psychologique et spirituelle la plus profonde qu’il eût jamais connue depuis le jour où il avait émergé des cendres de l’Empire romain

    Les intellectuels refusent alors d’accepter aveuglément l’héritage de leurs aînés. Ils

    décident de soumettre désormais les doctrines reçues au crible d’un examen indépendant sur tous les phénomènes et de ne permettre à personne de- leur dicter leur pensée. Ils acceptent également l’idée d’une coexistence pacifique avec les minorités hétérodoxes.

    Car ils ne ressentent plus ni l’obligation ni le désir d’imposer par la force le credo ou le rite d’une majorité

    Ni l’une ni l’autre de ces révolutions ne fut ins­tantanée. Dans l’une et dans l’autre, il y eut des pauses et des reculs. En 1686, Fontenelle publiait dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes une doctrine qui avait coûté la vie à Giordano Bruno en 1600 ; pourtant, Fontenelle mourut en 1757 dans son lit et centenaire. En 1687, Newton (1642-1727) publiait ses Principes, sans qu’aucune autorité ecclésisastique ne vînt le forcer à la rétractation, épreuve à laquelle avait été soumis Galilée en 1633. Par contre, l’Édit de Nantes, qui avait accordé la tolérance à la minorité protestante française, fut révoqué par Louis XIV en 1685.

    Les Occidentaux se libéraient alors d’une pusillanimité devant le pou­voir qui remontait à l’aube de la civilisation

    La tyrannie intellectuelle exercée sur l’Occi­dent

    Avant la fin du Ve siècle, toutes les religions chré­tiennes avaient été réprimées de vive force par le gouvernement impé­rial romain ainsi que dans certains Etats occidentaux successeurs de l’Empire romain.

    Ce fut le cas, par exemple en Espagne au cours des années 1391-1492 et au Portugal en 1497 où tous les juifs n’ayant pu trouver un refuge à l’étranger avaient dû, l’épée dans les reins, se conver­tir au christianisme.

    • Depuis le XllIe siècle, on imposait les principes d’Aristote aux théologiens et aux philosophes.
    •  Depuis le XVe siècle, les modernes écrivant en latin étaient tenus  d’adopter le style des Romains écrivant à l’époque de Cicéron et sous le règne d’Auguste.

    L’émancipation progressive de cette tyrannie

    L’autorité du christianisme, fidèle qu’il était dans son credo à l’interpolation occidentale du filioque, n’avait pas été contestée par la révolte protestante contre la papauté. Les protestants avaient substitué l’auto­rité de la Bible à celle de la Curie. Les princes protestants s’étaient mon­trés aussi intolérants que leurs homologues catholiques dans la façon dont ils imposèrent leur propre version du christianisme à leurs sujets.

    La rupture au sein de la chrétienté occidentale n’avait inspiré aux deux antagonistes qu’une conduite encore plus fanatique, des atrocités encore plus horribles que celles commises par leurs prédécesseurs communs, les catholiques.

    L’imitation servile des auteurs latins « classiques» avait moins apporté que l’ancienne obédience à Aristote. Par contre, l’impression et la dif­fusion en Occident de traités scientifiques et mathématiques remontant à l’époque hellénique avaient semé la graine d’une pensée indépen­dante ; car ces interprétations «anciennes» de phénomènes physiques avaient été réfutées à plusieurs reprises par des inventions techniques et des découvertes géographiques postérieures. Dans ce domaine, la « renaissance » de données « anciennes » avait conduit à de véritables innovations.

    La tyrannie intellectuelle exercée sur l’Occi­dent s’émancipa

    Deux ouvrages illustrèrent l’émancipation de la tyrannie exercée par ses prédécesseurs gréco-latins :

    •  Celui  de Fontenelle, Digression sur les Anciens et les Modernes (1688),
    •  et celui de William Wotton, Reflections upon Ancient and Modern Learning (1694).

    Mais l’attaque lancée par Jean Bodin (1530-1596) avait dû être poursuivie par Francis Bacon (1561-1626) et René Des­cartes (1596-1650) avant que les adeptes des Modernes ne remportent une victoire définitive.

    En outre, les vainqueurs durent convenir que les panégyristes de Louis XIV n’étaient point meilleurs poètes qu’Homère

    Du fait qu’ils ne la sanctionnaient pas, ils ne purent rendre son éclat à la vieille idée du christianisme selon laquelle une civilisation chrétienne était supérieure à une civilisation préchrétienne. Les domaines où ces champions de l’Occident moderne connurent leurs plus beaux succès furent les sciences naturelles, la technologie et la philosophie.

    Le relâchement de l’emprise du christianisme

    Le principal discrédit dont le christianisme occidental a souffert est celui jeté par la constance des guerres de religion qui, commencées en 1534, se prolongèrent de façon intermittente jusqu’en 1648.

    Ces guerres joignirent le fanatisme à l’hypocrisie. Les mobiles et les objectifs des princes belligérants étaient politiques, mais le masque de la conviction religieuse était bien com­mode et la haine réciproque des adversaires s’envenimait encore d’une ardeur apostolique profondément ressentie mais guidée par l’esprit de vengeance et l’obscurantisme.

    • En Angleterre, la Royal Society fut fon­dée en 1660 par quelques esprits scientifiques qui voulaient non point saper le christianisme mais le réhabiliter moralement. Leur politique était d’éloigner les pensées et les sentiments de leurs contemporains des controverses théologiques à la fois stériles et interminables pour les diri­ger vers l’étude des phénomènes naturels que l’on pouvait traiter sans passion et résoudre définitivement par l’observation ou par l’expérience.
    • Dans le même temps, d’autres critiques et victimes des « guerres de religion » cherchaient vraiment à faire se relâcher l’emprise du christianisme sur les cœurs et les esprits d’Occident Et, comme c’était encore un jeu dangereux, ces gens agissaient à la dérobée – sauf hors des fron­tières de la chrétienté, au Japon notamment où les Hollandais parvinrent à faire prolonger leur « permis de commerce » en proclamant bien haut leur intention de renoncer à toute activité missionnaire. Fontenelle inséra des maximes peu compatibles avec le christianisme dans ses éloges funèbres de savants. Il se révéla moins subtil et plus audacieux dans son Histoire des oracles, publiée en 1688. Pierre Bayle (1647-1706), un pro­testant français réfugié dans les Pays-Bas du Nord, publia en 1695-1697 à Rotterdam un Dictionnaire historique et critique, le protoype de L’Ency­clopédie que Diderot et d’Alembert allaient publier en France entre 1751 et 1765. Bayle copiait le format des éditions annotées d’auteurs latins et grecs, fréquentes en Occident à l’époque. Son exposé est anodin ; par contre, les notes qu’il ajoute à son propre texte, imprimées discrètement en plus petits caractères mais occupant bien souvent le plus clair de la page, sont dans certains cas franchement subversives – pour autant que la postérité ne s’y trompe pas en décelant l’ironie de ses commentaires énigmatiques.Edward Gibbon, qui écrit quelque quatre-vingts ans plus tard, adopta la méthode de Bayle mais n’en fut pas moins inquiété pour les chapitres de  L’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, publiée entre 1776 et 1788, où il explique la conversion de l’Empire romain au chris­tianisme sans y voir le moindre miracle.

    Parmi les pays occidentaux, l’Angleterre, fit œuvre de pionnier en établissant la tolérance religieuse, mais elle mit longtemps à ne plus s’indigner devant l’expression de croyances ou de sentiments antichrétiens

    John Wesley (1703-1791) s’était lancé dans sa mission évangélique en 1739, alors que Gibbon (1737-1794) n’était encore qu’un enfant. Les contemporains français de Gibbon, Voltaire (1694-1778) et les Encyclopédistes, purent mieux s’exprimer sans craindre de représailles  Mais, même en plein XVIIIe siè­cle, Voltaire jugea prudent de s’établir à quelques mètres de la France, juste derrière la frontière franco-suisse.

    Tandis que dans la France du XVIIe siècle

    • Blaise Pascal (1623-1662) avait joint au génie scientifique une foi ardente dans le christianisme janséniste ; 
    • Bossuet, quant à lui, avait publié un Discours sur l'histoire universelle où l’évolution de l’humanité était toujours décrite, comme dans Eusèbe de Césarée (vers 264-340), par rapport à la Providence d’un dieu unique et omnipotent, le Yahvé judaïque. Voltaire répondit à Bossuet en écrivant une histoire culturelle et sociale de l’humanité où il donnait la préséance non aux juifs mais aux Chinois dont la civilisation avait été révélée à l’Occident par des missionnaires jésuites.

    L’histoire de la tolérance religieuse en Occident

    Elle est jalonnée par des œuvres littéraires

    •  Ainsi les Lettres sur la tolérance (à partir de 1689), de l’exilé anglais rapatrié John Locke (1632-1704) et ses deux Traités du gouvernement civil (1690).
    • Léopold Ier, souverain de l’Empire catholique des Habsbourg d’Autriche, prit l’initiative de faire franchir à ce mou­vement ses étapes politiques. En 1690, il lançait une proclamation à tous les peuples chrétiens jadis sujets de la Couronne de Hongrie et à tous ceux qui se trouvaient encore sous le régime ottoman pour leur offrir sous la maison de Habsbourg une liberté de culte et une autonomie communale égales à celles que leur consentait la Sublime Porte.

    En 1690-1695, Léopold donnait asile à une communauté serbe orthodoxe en lais­sant à ces réfugiés, sur territoire habsbourgeois, les privilèges d’un millet ottoman.

    •  En 1664 encore, certains habitants de la Silésie – l’une des pos­sessions de la Couronne de Bohême reconquises par l’empire des Habsbourg au cours de la guerre de Trente Ans (1618-1648) – avaient exprimé ouvertement leur désir d’être libérés par une conquête otto­mane. Dans les vingt-cinq ans d’intervalle, les Habsbourg avaient adopté une politique de tolérance religieuse, poussés qu’ils étaient par le besoin de disputer aux Russes l’allégeance politique des chrétiens orthodoxes soumis aux Ottomans mais qui commençaient à leur glisser entre les doigts suite à l’échec désastreux, en 1682-1683, du second siège de Vienne par leurs maîtres turcs.

    Toutefois, les Occidentaux furent aussi longs à bâtir la tolérance reli­gieuse qu’à conquérir leur indépendance intellectuelle

    • En France, l’Edit de Nantes fut révoqué en 1685.
    • En Chine, les missionnaires jésui­tes avaient mis un pied dans la place en s’initiant à la culture confu­céenne, en introduisant dans le pays la technique occidentale, précieuse dans les domaines de l’astronomie et de l’art militaire, et en laissant leurs convertis vénérer leurs ancêtres selon la tradition chinoise, sous le pré­texte, fort plausible d’ailleurs, que ce rite était civil et non religieux. Matteo Ricci (1552-1610), pionnier de l’action jésuite en Chine, avait même été reçu dans la fraternité des érudits chinois, sous un nom de plume autochtone, en récompense de sa profonde connaissance de Confucius. Les jésuites avaient traduit Deus par Tien (« le Ciel »).
    •  Rome, dans son intransigeance, sabota l’œuvre des jésuites en interdisant aux convertis chinois de pratiquer les rites traditionnels pour la vénération des ancêtres et en exigeant que Deus fut traduit T'ien-ti, voulant montrer par là que le Dieu des chrétiens n’est pas supra-personnel mais revêt une forme humaine. L’Eglise romaine entraîna donc le gouvernement impé­rial chinois dans une controverse qui s’acheva au bout de trente ans (1693-1723) par l’expulsion du christianisme. La Curie n’avait pas tiré la leçon de l’épisode japonais de 1587-1638.
    • En Europe, quarante-deux ans après que l’Empire des Habsbourg d’Autriche eût accordé la liberté de culte à des chrétiens orthodoxes, sa voisine la principauté épiscopale de Salzbourg bannissait encore les protestants en 1731-1732.

    Le XVIIe siècle vit mourir dans les pays occidentaux la superstition qui faisait d’une comète un miracle envoyé par Dieu pour annoncer aux hommes l’imminence de certains châtiments

    La comète de 1680 éveilla encore quelques frayeurs. En 1682, Bayle publia Pensées diverses sur la comète, affirmant que la comète de 1680 et toutes les autres étaient des phénomènes naturels. Lorsqu’une autre comète apparut en cette même année 1682, l’astronome Edmund Halley (1656-1742) prouva qu’elle était semblable à celles de 1456, 1531 et 1607 ; en outre, il calcula son orbite, sa périodicité, sa vitesse. Halley soumit au même examen scien­tifique la comète de 1680. Mais une autre superstition occidentale, la croyance en la sorcellerie, mit plus de temps a disparaître. Deux siècles (1563-1762) s’écoulèrent entre la première réfutation publiée en Occi­dent et la dernière exécution de «sorcière». Entre-temps, des milliers d’innocents connurent une mort honteuse.

    Le rejet de l’autoritarisme, de l’intolérance et de la superstition représenta un véritable triomphe intellectuel et moral

    Encore qu’il laissât des vides dans la structure culturelle et sociale de la société occidentale. Vides qui furent comblés, avec plus ou moins de bonheur, dans divers domaines de la vie quotidienne, par des substitutions plus ou moins déli­bérées.

    Les polémiques religieuses responsables d’atrocités comme les massa­cres de la Saint-Barthélemy, à Paris en 1572, et de Drogheda (Irlande) en 1649 firent, heureusement, place à un intérêt pour les mathémati­ques et les sciences naturelles stimulé par l’espoir d’améliorer le sort du genre humain grâce à l’application systématique, dans le domaine tech­nique, d’une science mathématisée. Cet idéal, précocement exprimé par Léonard de Vinci, fut ardemment défendu par Francis Bacon dont les disciples fondèrent la Royal Society.

    • William Harvey (1578-1657), diplômé anglais de l’université de Padoue, publia en 1628 son De motu cordis et sanguinis.
    • Robert Boyle (1627-1691) créa la chimie au départ de l’alchimie.
    • Isaac Newton révolutionna la physique et l’astronomie.
    • Charles Linné (1707-1778) établit une première classification systématique de la flore et de la faune. Linné croyait à l’immutabilité des espèces et des genres qu’il avait ainsi répertoriés. À ses yeux, la Nature était sta­tique.
    • Buffon (1707-1788), contemporain de Linné, prouva que la Nature est devenue ce qu’elle est par un long processus de changements au cours des siècles et il émit l’opinion que ce processus va se poursuivre dans l’avenir.

    Dans le domaine philosophique, le vide laissé par l’émancipation de la dictature aristotélicienne n’avait pas été comblé par le culte que les humanistes vouaient à Platon

    Les penseurs occidentaux du XVIIe siècle cherchèrent donc à résoudre le problème par une franche rupture avec le passé, suivie d’un nouveau départ.

    •  Descartes entreprit cette démar­che pour l’épistémologie. Son Discours de la méthode (1637) devait rester un monument intellectuel, même pour ceux de ses successeurs qui allaient contester ses prétentions à une œuvre de caractère définitif.
    • John Locke voulut traiter l’épistémologie par la méthode empirique.
    • Spinoza (1632-1677) et Leibniz (1646-1716) cherchèrent à creuser de nouvelles fondations pour la métaphysique. Dans le domaine de la sociologie ;
    • Thomas Hobbes étaya son hypothèse d’un contrat social par une reconnaissance préalable du psychologique.
    • Locke, qui travaillait aussi ce champ, ne creusait pas si profond. Dans ses Principi d’una scienza nuova (1718) ;
    • Giambattista Vico (1668-1744) ouvrit de nouvelles pers­pectives à l’histoire culturelle. L’œuvre était tellement en avance sur son temps que son importance passa inaperçue. Vico s’inspirait de la théorie hellénique des    « récurrences cycliques » mais, au contraire de ses men­tors grecs, il pouvait joindre la culture chrétienne occidentale au cercle de ses connaissances et, ainsi armé d’une information plus vaste, il fut le premier en Occident à se lancer dans l’étude comparative des civili­sations.

    La chrétienté occidentale du Moyen Age s’était cimentée par la dou­ble action de la religion et de la culture

    Les papes présidaient une Respublica Christiana et le latin était la lingua franca de la diplomatie, de la vie savante et même d’une poésie qui coexistait avec les poèmes écrits dans les nombreuses langues vernaculaires. La Respuhlica Christiana ecclésiastique fut remplacée jusqu’à un certain point par une « Républi­que des Lettres » littéraire et scientifique. Erasme en avait été le fonda­teur, mais Bayle lui offrit à partir de 1684 un périodique, Nouvelles de la République des Lettres. Les échanges intellectuels entre hommes de let­tres aussi bien qu’entre hommes de science se trouvèrent singulièrement facilités par l’amélioration des services postaux et par leur mise à la dis­position de la correspondance privée, une méthode par laquelle les auto­rités pensaient permettre aux postes de trouver leur propres ressources. La correspondance privée amena les bulletins d’information, et ces der­niers donnèrent naissance aux journaux. Le premier périodique imprimé en Occident parut en 1609, le premier quotidien en 1702. Au XVIIe siècle, la plupart des universités occidentales, avec toutefois les deux notables exceptions, celles de Padoue et d’Écosse, avaient perdu leur vitalité et leur créativité du Moyen Âge. Ce vide fut partiellement comblé par les académies que fondaient ou patronnaient les gouverne­ments de certains Etats locaux et, dans le Paris du XVIIIe siècle, par les salons de grandes dames férues de culture.

    Le vide laissé par l’écroulement de la Respublica Christiana pontificale fut lui aussi comblé en partie seulement par le réseau mondain des familles royales et aristocratiques d’Occident

     Ces deux classes placées au sommet de la société occidentale étaient liées, par-delà les frontières nationales, par une chaîne de mariages et par une maîtrise des diverses langues vernaculaires qui franchissaient les barrières entre nationalités. La solidarité des familles royales et aristocratiques survécut au schisme religieux qui déchira la chrétienté occidentale. Les conversions pour rai­son d’État devinrent la norme. Un roitelet calviniste de Navarre devint catholique pour devenir Henri IV de France. Guillaume, le prince cal­viniste des Pays-Bas du Nord et George, l’Electeur luthérien de Hano­vre, entrèrent dans l’Eglise épiscopale d’Angleterre pour devenir, res­pectivement, Guillaume III, roi d’Angleterre, et George Ier, monarque du Royaume-Uni d’Angleterre et d’Écosse. Comme le calvinisme était la religion officielle de l’Écosse, Guillaume III ne dut ajouter à sa foi pro­testante qu’une seule autre forme de protestantisme ; mais les quatre George, de même que Guillaume IV, durent se montrer presbytériens calvinistes en Écosse, épiscopaliens en Angleterre, tout en restant luthé­riens fidèles sur le territoire du Hanovre.

    Dès le XIIe siècle, les langues vivantes de l’Occident s’affirmèrent en poésie, côte à côte avec une poésie en latin, où le style vernaculaire perçait sous le vernis classique

    L’accession des langues locales à la supré­matie eut pour premier effet de libérer une exubérance qui fit naître une série de génies. Les exemples les plus fameux sont

    • en prose, Rabelais (vers 1494-1553),
    • et, en poésie, Shakespeare (1564-1616).

    L’époque des « guerres de religion » fut aussi un âge d’or pour la poésie de l’Occident. Le prix culturel à payer pour la mort de la superstition et la fin de la per­sécution fut la descente de la poésie à la prose, non en musique mais dans les genres ayant une langue vernaculaire pour véhicule.

    • Au nord des Alpes, les poètes du XVIe siècle avaient écrit, tout comme leurs prédécesseurs et contemporains d’Italie, sous la fascination des modèles « classiques » grecs et latins. Cette obédience se constate en France chez Joachim du Bellay (1522-1560), Pierre de Ronsard (1524- 1585) et les cinq autres membres de la Pléiade.
    • En Angleterre, les pionniers Sir Thomas Wyatt (vers 1503-1542) et Henry Howard, comte de Surrey (vers 1517-1547) suivent la même voie, eux-mêmes suivis par la galaxie des poètes élisabéthains et par leurs successeurs jusqu’à la restauration en 1660 de la monarchie en Angleterre et en Écosse. Mais la tradition se brise, les lumières que sont Shakespeare et Milton (1608- 1674) rejettent dans l’ombre de nombreux poètes anglais et écossais de cette époque qui auraient brillé d’un éclat certain sans l’existence de ces deux phares.

    Mais, dès l’aube des Lumières, les poètes occidentaux choisirent délibérément le prosaïsme

    L’initiative de cette révolution dans l’esprit et dans le style vint des dramaturges français du XVIIe siè­cle : Corneille (1606-1684), Molière (1622-1673), Racine (1639-1699). Ces génies enfermèrent leurs vers dans le cadre de la sobriété. Ils tenaient là des prosateurs français contemporains un instrument linguistique tout neuf – une innovation qui devait beaucoup à Pascal.

    La prose française façonnée au cours du XVIIe siècle était simple, claire et précise. Elle convenait infiniment mieux que le style grec ou latin « classique » aux langues indo-européennes. A cette époque, les langues romanes, et l’anglais, sous leur influence, terminent leur évolution menant de la structure inflexionnelle à la structure analytique où les particules séparables, les prépositions et les verbes auxiliaires rempla­cent le procédé beaucoup moins commode qui soude préfixes et suffixes aux radicaux des substantifs et des verbes. La nouvelle prose française renonçait également à l’usage latin ou turc qui étouffe les phrases sous un afflux de subordonnées.

    La nouvelle structure de la phrase française était paratactique[6]. L’auteur laissait au lecteur le soin d’établir le rapport logique entre deux courtes phrases successives.

    Cette révolution stylistique du français prit d’assaut la littérature anglaise et, sur ce terrain, la mutation, étant d’origine étrangère, fut très nette. Les révolutionnaires comprenaient toute la portée de leur audace et y prenaient un certain plaisir. Dryden, par exemple, jurait que son style, à la fois en prose et en vers, représentait une amélioration consi­dérable sur celui de Milton.

    L’exportation, dans d’autres pays occidentaux, du style français en lit­térature d’une part, et d’autre part des émigrés protestants français, offrit à la France une suprématie culturelle dans tous les domaines sauf celui de la musique

    Là, c’était maintenant l’Allemagne qui prenait la tête devant l’Italie.

    En Allemagne du Nord après la guerre de Trente Ans, la prolifique famille Bach récoltait plus de gloire que les princes qui lui offraient leur patronage. Jean-Sébastien Bach (1685-1750) et Georg Friedrich Händel (1685-1759) furent les Allemands les plus renommés de leur génération. Le « grand » Frédéric II de Prusse (1740- 1786) réalisa le tour de force de transformer en grande puissance un royaume petit et pauvre, mais il parvint également à trouver les fonds nécessaires pour financer des représentations d’opéra à Berlin. De toute manière, la principale ambition de Frédéric hors du métier des armes était d’écrire un français qui pût passer l’inspection des cercles littéraires parisiens. Gibbon, lui aussi, écrivit en français jusqu’à ce qu’il décide, comme Dante, d’employer sa langue maternelle à la rédaction de son chef-d’œuvre. Au cours des guerres de 1667-1713, la France faillit cou­ronner sa suprématie culturelle par une domination politique. Elle ne s’inclina que de justesse devant une coalition d’Etats occidentaux plus faibles, où les Pays-Bas septentrionaux supportèrent le plus dur du com­bat.

    L’épreuve de force entre les deux superpuissances catholiques qu’étaient le Territoire impérial – sous l’autorité des Habsbourg – et la France

    Au premier stade de sa lutte contre le pouvoir des Habsbourg bour­guignons, la France n’avait pu faire front et, en 1525, elle avait été momentanément mise à genoux. L’épreuve de force fut alors interrompue par des guerres civi­les, les          « guerres de religion ». La première reprise se livra sur le sol allemand en 1534-35.

    Suivirent alors des guerres civiles en France (1562-1598), aux Pays- Bas (1569-1609), en Allemagne à nouveau (1618-1648) et en Angle­terre (1642-1648)

    Toutes ces guerres civiles appelaient l’intervention étrangère dans une mesure minime en Angleterre, mais maximale pendant la guerre de Trente Ans en Allemagne[7] qui se termina par le traité de Westphalie (1648).

    La France catholique qui avait déjà donné son appui aux princes protestants d’Allemagne contre l’empereur habsbour­geois Charles Quint de 1534 à 1555, marcha main dans la main avec la Suède protestante pour empêcher les Habsbourg de subjuguer les Etats protestants d’Allemagne. Cette politique française fut conduite par deux hommes d’Etat qui étaient également cardinaux de l’Eglise romaine: Richelieu (1585-1642), arrivé au pouvoir en 1624, et Mazarin (1604-1660), le successeur immé­diat de Richelieu.

    La France fut finalement le principal bénéficiaire de la guerre de Trente Ans

    • La Suède s’épuisa dans une aventure qui dépassait ses forces.
    • L’Espagne s’écroula tout simplement. Elle n’avait pu tirer profit de la paralysie de la France en 1562-1598. Son union avec le Portugal en 1580 avait paru la porter au pinacle de la puissance ; mais, à ce moment, la guerre aux Pays-Bas sapait déjà ses forces. En plus d’une guerre civile entre autochtones pro­testants et catholiques, ce conflit représentait une révolte nationale des protestants contre le régime espagnol ; et l’association politique du Por­tugal et de l’Espagne exposait l’Empire portugais d’outremer aux rudes assauts des Hollandais. Lorsque, en 1621, l’Espagne tenta en vain de reprendre les Provinces-Unies, c’est-à-dire la partie septentrionale des Pays-Bas, ses ressources subirent une nouvelle ponction. La destruction d’une armada espagnole par les Hollandais en 1639 confirma la défaite navale devant l’Angleterre en 1588. Sur la terre ferme, dans l’Ancien Monde, l’Espagne fut littéralement paralysée par les révoltes du Portu­gal et de la Catalogne en 1640.

    Si l’Espagne avait perdu sa puissance maritime, son grand empire res­tait presque intact, l’argent de ses mines dans les Andes et au Mexique continuait à lui parvenir. Mais il en fallait davantage pour la sauver du déclin. Elle ne pouvait rivaliser avec la France quant à l’étendue des ter­res exploitables, et son agriculture était handicapée par un élevage nomade pratiquée à grande échelle. En conséquence, l’Espagne, comme la Suède, n’avait pas une population suffisante pour soutenir le rôle qu’elle cherchait à jouer.

    La France, par l’épuisement de l’Espagne, de la Suède et de l’Allemagne trouva une occasion qu’elle s’empressa de saisir

     En 1552 déjà, elle avait acquis les trois évêchés-clés de Lorraine : Metz, Toul et Verdun. Pendant la guerre de Trente Ans, elle acquit l’Alsace.

    L’Empire des Habsbourg d’Autriche, quant à lui, vint en seconde place. Il reprit les terres de la Couronne de Bohême et survécut à l’épreuve.

    En France, l’émigration en 1685 de la plus grande partie de sa minorité protestante ne resta pas sans conséquence

    Si, grâce à son peuplement favorable, elle se portait beaucoup mieux que l’Espagne après l’expulsion de ses ressortissants juifs et musulmans, l’arrivée de ces émigrés français compétents et dynamiques, par contre contribua à renforcer les adversaires présents et futurs de la France : les Pays-Bas septentrionaux, l’Angleterre et surtout le Brandebourg, tout comme le Wurtemberg, l’établissement hollandais au cap de Bonne-Espérance et l’établissement anglais en Caroline du Sud.

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    Le monde occidental en 1672

    Elle fut cependant battue dans sa compétition avec la Grande-Bretagne pour l’Amérique du Nord et l’Inde

    Ceci intervint à la fin des guerres de 1667-1713, après l’entrée de l’Angle­terre dans une alliance militaire avec les Hollandais et, par la suite, au cours des guerres franco-anglaises de 1740-1748 et 1756-1763.

    • Entre 1690 et 1763, les Britanniques s’assurèrent aux dépens de la France un pouvoir exclusif en Amérique du Nord, et en Inde (à l’exception de quelques petites enclaves) en 1746-1761.
    • En 1767, Hume prit Gibbon à partie pour lui reprocher d’écrire en français. Il prédit que l’Amérique du Nord allait devenir le foyer d’une nombreuse population anglophone et Gibbon lui-même souscrivit à cette prophétie dans un passage écrit en anglais après le début de la révolution américaine. La France ne put donc l’emporter en Amérique du Nord et en Inde.

    Pourtant, parmi les pays occidentaux parvenus au statut de grandes puissances en 1621, seuls la France et l’Empire des Habsbourg d’Autri­che gardaient encore ce rang un siècle plus tard

    L’Espagne était sortie épuisée de la guerre de Trente Ans, les Pays-Bas septentrionaux avaient fort souffert des guerres de 1667-1713 et la Suède de sa guerre malheu­reuse contre la Russie en 1700-1721. A cette date, 1721, la place des Provinces-Unies avait été prise par la Grande-Bretagne, celle de la Suède par la Russie et la Prusse. L’Empire des Habsbourg d’Autriche, qui régnait dans le bassin du Danube, s’était, une fois de plus, remarqua­blement tiré d’affaire. Il avait hérité les possessions des Habsbourg d’Espagne en Lombardie et dans les Pays-Bas méridionaux et s’était étendu vers l’est aux dépens de l’Empire ottoman après l’échec, en 1682- 1683, du second siège de Vienne par les Turcs.

    Vers la moitié du XVIIe siècle, l’Occident passa enfin des « guerres de religion » à des conflits où l’on se battit pour d’autres opportunités

    Ce changement d’attitude s’accompa­gna d’une certaine humanisationdes campagnes militaires. Les Etats occidentaux virent alors la guerre non plus comme le combat à outrance de peuples ou de sectes qui s’abominent mutuellement mais comme des  « compétitions modérées » (le mot est de Gibbon) entre des gouvernements qui emploient des troupes professionnelles, en uniforme et respectueuses de la discipline. Les militaires sont censés épargner la vie et les biens des civils. Les armées ont pour consigne d’emmener leur propre intendance et de ne plus «vivre sur le pays». Les populations civiles placées sous la souveraineté d’un Etat et passant sous celle d’un autre sont, en principe, protégées contre la spoliation, l’expulsion et le massacre.

    Encore que les gouvernements occidentaux ne se satisfirent pas toujours de ces nouvelles règles

    La guerre est en elle-même une horreur ; le seul remède est de ne pas la faire ; les tentatives, même sincères, pour la rendre moins atroce ne peuvent être, au mieux, que des palliatifs plus ou moins effi­caces. Les Français dévastèrent délibérément le Palatinat rhénan en 1674, puis à nouveau en 1688 ; si une ville fortifiée était prise d’assaut après que sa garnison eut rejeté un appel à la capitulation, les troupes ennemies victorieuses s’adjugeaient toujours le droit de piller et de vio­ler. Il n’empêche que, de 1688 à 1792, dans l’ensemble de l’Occident chrétien, on parvint à réduire la guerre au degré de sauvagerie rela­tivement bas que l’Italie du Nord avait atteint au XVe siècle.



    [1] Cf. Arnold TOYNBEE, § 71, p.467 à 480.  

    [2] Dans le chapitre 75, L’oikoumenè unique, on lit en effet que c’est bien Vasco de Gama, qui fut, en 1498, le premier marin à réaliser l’exploit que représentait alors une circumnavigation de l’Afrique d’ouest en est, jusqu’alors restée sans succès ; on y lit aussi qu’il est pratiquement certain que le Victoria – l’unique survivant des cinq vaisseaux composant la flottille de Ferdinand de Magellan – fut le tout premier navire à réussir le tour du monde (1519-1522). 

    [3] Composition et premières éditions manuscrites entre 1307 et 1321. Première édition imprimée en 1472.

    [4] Concept théologique selon lequel Dieu, aurait choisi de toute éternité, et secrètement, ceux qui seront graciés et auront droit à la vie. 

    [5] Cf. Arnold TOYNBEE, § 76, p.508 à 517.

    [6] La parataxe (du grec ancien  parátaxis, coordination) est un mode de construction par  juxtaposition de phrases ou de mots dans lequel aucun mot de liaison n’explicite les rapports syntaxiques de subordination ou de coordination qu’entretiennent les phrases ou les mots. Elle est   opposée à l’hypotaxe où des prépositions et des conjonctions assurent l’enchaînement logique des phrases. Quand la parataxe de phrases prédomine, on parle de « style coupé ». La parataxe caractérise alors plutôt le discours oral.

    [7] Elle est constituée par une série de conflits armés qui a déchiré l’Europe. Les causes en sont multiples mais son déclencheur est la révolte des sujets tchèques protestants de la maison de Habsbourg, la répression qui suivit et le désir de ces derniers d’accroître leur hégémonie et celle de la religion catholique dans le Saint-Empire.

     


    Date de création : 26/09/2015 @ 09:16
    Dernière modification : 26/09/2015 @ 09:25
    Catégorie : Histoire
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