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Histoire - Histoire de la civilisation occidentale (2)
HISTOIRE DE LA CIVILISATION OCCIDENTALE (2)Par ARNOLD TOYNBEE dans « La grande aventure de lHUMANITÉ »
3/ LOCCIDENT CHRÉTIEN[1] (1321-1563) Évolutions périodiques Pendant le quart de millénaire qui couvre la période 1050-1300, loccident chrétien avait maintenu son unité religieuse et culturelle. Il avait aussi marché sur la voie du progrès économique. Sa population et sa production sétaient accrues. Aux premières décennies du XIVe siècle, cette croissance matérielle sessoufla quelque peu. Et à partir de 1348, la Peste noire vint réduire de façon dramatique et le chiffre de la population et la superficie cultivée. Par ailleurs, en 1563, bien que lOccident chrétien se soit acquis la maîtrise générale des mers, sa frontière terrestre au sud-est nen avait pas moins reculé par rapport à son tracé de lan 1300. De plus, au terme de cette période, il était devenu une famille divisée, à la fois sur le plan religieux et sur le plan politique. Ces dissensions internes saggravaient encore par la coïncidence presque parfaite des lignes de conflit sur les deux plans. Les gouvernants des États locaux les royaumes, les principautés, les cités-Etats qui se partageaient maintenant le territoire de lOccident chrétien sétaient trouvés daccord pour décréter quil entrait dans les prérogatives du prince de décider lui-même lobédience religieuse de ses sujets aussi bien que leur allégeance politique. Avant 1348, lOccident chrétien avait déjà connu la récession économique ; la Peste noire à partir de cette date transforma le déclin en catastrophe La peste arriva par mer des comptoirs génois de Crimée pour débarquer à Marseille. Elle avait probablement éclaté soit dans la steppe eurasienne, soit dans quelque région située au-delà des limites les plus lointaines de la steppe. Non endémique dans les pays chrétiens occidentaux, elle tua au moins un tiers de la population au cours de ce premier assaut et revint sans cesse à la charge jusquau moment où les survivants commencèrent à montrer une certaine faculté de résistance à la maladie. Il fallut probablement attendre jusquau début du XVIe siècle pour voir les chiffres de la population et de la superficie cultivée atteindre à nouveau le sommet auquel ils étaient parvenus vers lan 1300. Les conséquences économiques de cette régression furent proprement révolutionnaires La paysannerie mit à profit la pénurie de main-duvre mais non à la mesure de ses espoirs et, restriction plus grave, sans pouvoir assurer son acquis. Lépuisement des ressources humaines dans lagriculture se joignit à lextension de lindustrie lainière de la Flandre à lAngleterre et de lAngleterre à Florence pour renverser en faveur de lélevage le rapport de superficie entre champs et pâtures. Mais à lissue de la Peste noire, dimportantes innovations technologiques apparurent Le XIVe siècle vit lintroduction des armes à feu en Occident vers 1440-1490 ; les chantiers navals vécurent une révolution dans le dessin et le gréement de leurs navires. Et dans la seconde moitié du XVe siècle, la technique de limprimerie fut adoptée dans tous les pays occidentaux. Poudre à canon et imprimerie étaient des inventions chinoises. Les Mongols avaient déjà fait parler la poudre dans leur conquête de lEmpire Song au XIIIe siècle. Quant à la technique de limprimerie, elle était employée en Chine depuis le IXe siècle. Lutilisation des caractères mobiles pour limprimerie Les imprimeurs chinois avaient devancé les Occidentaux dans lusage des caractères mobiles, mais la complexité de lécriture chinoise leur avait fait préférer aux caractères mobiles le procédé de la xylographie. En Corée, toutefois, la méthode des caractères mobiles avait démarré de manière systématique en 1403 et une écriture phonétique de la langue coréenne, réduite à un petit nombre de signes, avait reçu limprimatur officiel en 1446. Malheureusement les germes de la Peste noire., cette invention coréenne prometteuse devait avorter. Elle fut étouffée par le prestige séculaire que détenaient dans le pays la langue et les caractères chinois. Les imprimeurs occidentaux du XVe siècle nétaient pas enfermés dans ce genre de carcan ; le latin comme les différentes langues vernaculaires se rendaient par lécriture alphabétique latine, laquelle ne dépasse pas vingt-six lettres ; de plus, lalphabet latin, fort opportunément ressuscité par des érudits italiens du XIVe siècle, se prêtait admirablement aux caractères mobiles, à la fois dans ses capitales classiques et dans ses minuscules carolines. Bientôt, les Occidentaux imprimèrent également des livres en alphabet grec, hébreu ou arabe. Nous ignorons si la technique dimprimerie de Gutenberg fut une véritable invention ou si lidée lui vint de Chine par maints détours. La steppe est bonne conductrice. Au XIVe siècle, elle avait transmis au continent occidental les germes de la Peste noire. Il est tout à fait concevable quelle ait aussi transmis lidée de limprimerie quelque cent ans plus tard. Lorsque les Occidentaux maîtrisent lart typographique, les conséquences se limitent à leur territoire. Lorsquils maîtrisent lemploi des armes à feu et inventent un nouveau type de navire, les conséquences vont jusquaux confins du monde La conquête globale des océans par le navire de construction occidentale sera traitée par ailleurs[2]. La possession darmes à feu a donné aux marins-aventuriers partis de lOuest une supériorité militaire décisive sur tous les pays non occidentaux accessibles par mer qui étaient soit dépourvus darmes à feu soit incapables de sen procurer au plus vite. Les Chinois en disposaient déjà ; les Osmanlis, les Moscovites, les conquérants timurides de lInde septentrionale et les japonais ne tardèrent pas à en faire lacquisition. Les Aztèques et les Incas succombèrent sans espoir. Ladoption de limprimerie en chrétienté occidentale au cours de la seconde moitié du XVe siècle relança lessor culturel qui avait débuté dans le Nord de lItalie au XIVe et qui devait sétendre partout ailleurs en Occident au cours du XVIe Entre 1266 (lannée où Charles dAnjou traverse le territoire italien pour aller conquérir le royaume des Deux-Siciles) et 1494 (lannée où Charles VIII de France franchit les Alpes), lItalie septentrionale avait échappé aux invasions étrangères dont elle avait dû sans cesse subir les horreurs au cours du millénaire qui se termine en 1266 précisément. Cette période qui va de 1266 à 1494 vit lItalie du Nord créer au sein de la chrétienté occidentale une sous-culture régionale qui ne devait rien à personne. Le progrès culturel occidental était parti de Northumbrie au VIIIe siècle, de France au XIIe. Au XIVe, cest lItalie qui prit la tête. À la limite des XVe et XVIe siècles un abîme se creusa entre la civilisation italienne et la vie culturelle au nord des Alpes Celui-ci se mesure dun simple coup dil, lorsquon visite la chapelle dHenry VII à labbaye de Westminster et quon y observe le contraste entre luvre du sculpteur florentin Pietro Torrigiani (1472-1528) et le travail indigène dans la voûte du plafond et la statuaire du plan inférieur. Les deux écoles artistiques sexpriment de façon superbe mais, bien quelles soient chronologiquement contemporaines, lesprit les met à des années-lumière lune de lautre. La différence visuelle vint de la résurrection en Italie septentrionale, depuis le XIVe siècle, du style gréco-romain Et cela non seulement dans la sculpture et larchitecture mais aussi dans la peinture et les lettres. Sculpteurs, peintres et architectes se donnent pour modèles les ouvrages survivants de la civilisation gréco-romaine. Les écrivains qui emploient le latin cherchent à reproduire le style de Cicéron plutôt que celui de saint Jérôme ou de saint Thomas dAquin. Au XIVe siècle, les Italiens du Nord commencent à maîtriser la langue et la littérature grecques de lépoque hellénique, lesquelles ont cessé davoir cours en Occident entre le IIIe et le VIe siècle après Jésus-Christ. Pétrarque (1304-1374) et Boccace (1313-1375) nont appris le grec que de façon fragmentaire mais lorsque, en 1439, une délégation grecque vint à Florence assister à un concile, ses membres rencontrèrent des lettrés dItalie septentrionale suffisamment versés en grec pour discuter avec eux de la littérature et de la philosophie grecques à lépoque préchrétienne. Pour cette raison, cette floraison culturelle de lItalie reçut au XVIe siècle le nom de « Renaissance », ce qui signifiait la renaissance de la civilisation gréco-romaine, cependant que ses porte-drapeaux recevaient létiquette d « humanistes » Désignation réservée jusqualors aux admirateurs de la civilisation gréco-romaine préchrétienne, par opposition aux adeptes de la théologie chrétienne occidentale. Ainsi, le terme de « Renaissance », pris dans cette acception, tombe assez mal à propos ; car la résurrection du style gréco-romain nétait que le corollaire et la conséquence dun deuxième essor spontané de la civilisation occidentale, apparu sous une forme différente de sa première efflorescence naturelle, laquelle datait du XIe siècle. Ce deuxième mouvement ne sest pas lancé le jour où Erasme (1469-1536) réalisa lexploit décrire un latin cicéronien presque impeccable, mais lorsque Dante résolut décrire sa Divine Comédie dans sa langue maternelle, le toscan, déjà employé par lui dans des poèmes antérieurs[3]. Dante suivait ainsi lexemple de ses prédécesseurs du nord des Alpes qui avaient déjà écrit de la poésie dans leur propre langue doc ou doïl. La relation entre les premiers Modernes occidentaux et la civilisation gréco-romaine péchait par ambivalence On y trouvait un rapport stimulant lorsquun modèle gréco-romain poussait les « Modernes » à limitation pour créer en fin de compte quelque chose de neuf et de bénéfique pour le mode de vie occidental à lépoque ; mais la même influence gréco-romaine avait un effet débilitant lorsquelle poussait les « Modernes » à simplement singer les « Anciens ». Filippo Brunelleschi (1377-1446) enrichit son propre monde en bâtissant une cathédrale à Florence (1420-1434) grâce à son étude sur le dôme du Panthéon dHadrien à Rome. (Brunelleschi navait pas eu loccasion de comparer ses dessins avec ceux de larchitecte ottoman contemporain de la Mosquée Verte de Brousse, bâtie en 1421, édifice nettement plus audacieux parce que moins soigneusement étayé.) De même, Andréa Palladio (1518-1580), de Vicence, enrichit la culture occidentale moderne lorsquil créa sa version personnelle du style classique après avoir étudié les ruines de Rome et le traité darchitecture de Vitruve. Par contre, Sigismondo Pandolfo Malatesta (1417-1468) se rendit coupable dune pure folie Entreprenant en 1447 de transformer lune des églises de Rimini en une caricature de temple grec. Pour reprendre lavers de la médaille, Machiavel (1469-1527) employa de manière créatrice les connaissances puisées dans Tite-Live en les appliquant à ses manuels sur les techniques de la guerre et de la politique modernes ; et il en alla de même pour Erasme, lorsquil mit à profit sa maîtrise du style cicéronien pour offrir au petit cercle des latinistes de son époque ses commentaires sur les grands problèmes moraux, sociaux, politiques et intellectuels de lépoque. Par contre, les tours de force littéraires des « humanistes », qui compensaient leur manque de génie par un latin ruisselant de prétention, nétaient que vains exercices Les logiciens du Moyen Age occidental avaient manié le latin de façon plus robuste. Jamais ils navaient reculé devant le néologisme nécessaire, fidèles en cela aux principes de Cicéron lui-même. Lantihumaniste Luther suivit plutôt la voie de Dante (qui était aussi celle de Pétrarque et de Bocacce), et ses uvres en langue vulgaire atteignirent un public bien plus large que celui du cicéronien Erasme. La traduction allemande de la Bible par Luther compte parmi les plus grandes réalisations de ce mouvement culturel occidental inauguré par la rédaction en toscan de la Divine Comédie. Jusque vers la moitié du XVe siècle, la Renaissance moderne se centra sur lItalie du Nord Dans cette région, plus particulièrement sur la Toscane; et en Toscane, sur Florence Toutefois, ni Florence ni lItalie ne conservèrent le monopole de ce nouveau style de culture occidentale bien que les Italiens sen soient fait gloire lorsquils répliquèrent aux invasions étrangères, recommencées en 1494, en traitant les envahisseurs du nom de « barbares ». La contribution de Florence à lessor de lOccident moderne fut aussi remarquable que celle dAthènes à lessor de la civilisation hellénique après 480 avant J.-C. Dante, Pétrarque, Brunelleschi, le platonicien Marsile Ficin (1433-1499), Laurent de Médicis (1449-1492) banquier, despote, protecteur des artistes et des lettrés Machiavel et Torrigiani étaient florentins. Bocacce était mi-florentin, mi-français. Vinci, la ville natale de Léonard, se trouvait sur le territoire de Pistoie, annexé par Florence un siècle avant la naissance du grand homme. Arezzo, la ville natale du Pogge (1380-1459), le pionnier de larchéologie, avait été définitivement annexée par Florence alors que le Pogge navait que quatre ans. Caprese, la ville natale de Michel-Ange (1475-1564) était située dans le territoire dArezzo, sur lun des affluents du Tibre en son cours supérieur. Laurent de Médicis fit venir à Florence les érudits Angelo Ambrogini dit Politien (1454-1494), de Montepulciano dans le territoire de Sienne, et Pic de la Mirandole, originaire de Mirandola, minuscule principauté entre Reggio dEmilie et Modène. Le seul non-Florentin à compter parmi les titans de la Renaissance fut Raphaël (1483- 1520) qui naquit et grandit à Urbino, dans les Marches. Néanmoins, ni Florence ni même lensemble de lItalie septentrionale nétaient les seuls foyers deffervescence culturelle dans lOccident moderne La Flandre faisait pendant à lItalie et constituait le second pôle de lactivité occidentale tant sur le plan culturel que sur le plan économique. Fra Angelico (1387-1455), de Fiesole la vieille cité qui surplombe Florence et fut la première de ses voisines à sincliner devant la montée de la jeune puissance florentine , trouvait un égal en la personne de son contemporain flamand Jean van Eyck (1390-1441). Comme latiniste et comme publiciste, Érasme de Rotterdam valait nimporte quel Italien de sa propre génération ou de nimporte quelle autre ; et des tremplins culturels aussi bien que commerciaux rapprochaient la Toscane et les Pays-Bas. Le paysage et le climat de la côte adriatique en Italie du Nord, entre lextrémité orientale des Apennins et les Alpes, nont-ils dailleurs pas infiniment plus de points communs avec les Pays-Bas quavec la Toscane ou lOmbrie ? Aussi nest-il pas étonnant que cette différence de milieu géographique se reflète dans le style choisi par lécole vénitienne de peinture. Le Tintoret (1518-1594) et Véronèse (1528-1588) répondent à leur contemporain flamand Pierre Bruegel le Vieux (1525-1569). Nuremberg se trouve à mi-chemin entre lAdriatique et les mers nordiques et Dürer (1471-1528), Hongrois établi dans cette ville, contemporain de Michel-Ange et Raphaël, ne le cède à aucun artiste italien hors du cercle des quatre géants si fameux quon les désigne, comme les rois, par leur seul prénom, les deux autres étant le Titien (1477-1576), originaire de Venise, et Léonard de Vinci [proximité de Florence] (1452-1519). Au-delà des Alpes comme en Italie du Nord, les cités-Etats accueillirent la floraison culturelle occidentale mais, en 1563, les peuples des Etats-royaumes prirent part, eux aussi, au mouvement, sans aucune réserve La multiplication des universités donne la mesure de cette expansion. De 1350 à 1500, leur nombre fit plus que doubler: vingt- trois nouveaux établissements se fondèrent en Europe centrale (le plus ancien étant luniversité de Prague, fondée en 1347). Sur le plan politique, le quart de millénaire qui commence vers 1300 vit le triomphe posthume de Frédéric II, empereur germanique au siècle précédent La redécouverte par lOccident, vers la fin du XIe siècle, du code de Justinien et lacquisition du royaume des Deux-Siciles un État-successeur de lEmpire romain dOrient par son père Henri II en 1194 avaient donné à Frédéric II lambition de devenir le maître absolu non seulement de son propre royaume mais aussi de toute lItalie voire des territoires du Saint-Empire situés au nord des Alpes. Frédéric ne parvint pas à subjuguer les cités-États dItalie septentrionale, mais son exemple fit se lever sur ces territoires un essaim dimitateurs. Ceux-ci réussirent parce quils surent, tout en gardant les objectifs de Frédéric II, les adapter à leurs moyens. Au cours des XIVe et XVe siècles, la plupart des cités-États dItalie du Nord furent remplacées par des principautés à gouvernement autocratique Certaines dentre elles (Milan, par exemple) comprenaient plus dune ville, et une cité restée républicaine (comme Venise) pouvait aussi se tailler un empire en imposant son autorité à dautres villes jadis indépendantes. On voit dès lors, en Italie, une diminution du nombre des Etats séparés et une augmentation parallèle de leurs dimensions moyennes. Toutefois, même les États les plus étendus du nord de lItalie qui avaient commencé à prendre forme vers la fin du XVe siècle (par exemple Milan, Venise, Florence et les États pontificaux) étaient potentiellement limités Ils étaient petits et faibles par comparaison avec les ressources potentielles des États-royaumes occidentaux hors dItalie, qui figurent sur la carte politique de lannée 1563. Ces puissances comprennent les royaumes de France et dAngleterre, qui existent tous deux depuis le Xe siècle ; le royaume-uni de Castille et dAragon (la fusion de 1474-1479) ; enfin, lEmpire des Habsbourg dAutriche, né en 1526 de lunion entre le patrimoine autrichien des Habsbourg et les Couronnes de Hongrie et de Bohême après le renversement par les Osmanlis du royaume de Hongrie jusqualors capable de former à lui seul la marche sud-ouest de la chrétienté occidentale, dabord contre lEmpire dOrient puis contre lEmpire ottoman. Ces États-royaumes occidentaux du XVe siècle, qui produisirent sur le plan politique des personnalités dune envergure comparable à celle de Louis XI (1461-1483), en France, de Ferdinand et Isabelle (co-souverains de Castille et Aragon, 1479-1504), et dHenry VII (1485-1509), en Angleterre, surclassaient les principautés et républiques dItalie du Nord. En 1563, les États républicains navaient pas disparu pour autant de la carte politique de lOccident chrétien Venise était toujours une puissance souveraine dont lempire sétendait à la fois dans la botte italienne et au Levant ; Gênes possédait toujours la Riviera italienne et la Corse ; la Suisse était une confédération de républiques autonomes ; les cités-États dAllemagne étaient souveraines en fait, sinon en titre, et deux dentre elles Nuremberg et Augsbourg étaient des centres de la finance et du commerce .internationaux. Les Habsbourg avaient su maintenir leur trésorerie à flot grâce à des prêts consentis par les Fugger dAugsbourg. Les premiers rôles dans la sécession protestante étaient revenus à deux cités-États allemandes Augsbourg et Strasbourg à trois cités-Etats suisses Zurich, Berne et Bâle enfin, à Genève, alliée de la Confédération suisse ; par ailleurs, lunion des trois royaumes Scandinaves, réalisée en 1397 pour faire pièce à la domination de la Ligue hanséatique sur la Scandinavie, avait été brisée par la sécession de la Suède en 1512-1523 ; et la fusion de la Lithuanie avec la Pologne, mise en place en 1386 et complétée en 1501 comme en 1569, navait pas suffi à faire du nouvel État une véritable grande puissance. Toutefois, lévolution du XIVe siècle avait prouvé que le type prédominant dÉtat occidental allait être lÉtat-royaume plutôt que la cité-État ou même lassociation de plusieurs cités- États soit en une ligue commune soit sous la protection dun despote ou dune république souveraine. En 1563, la Lombardie et la Flandre, jadis les deux étoiles principales dans la constellation des cités-États occidentales, étaient devenues des champs de bataille où les États-royaumes faisaient assaut de puissance. À force de contrecarrer la politique du voisin, les États de lItalie du Nord se placèrent à la merci des grandes puissances non italiennes de lOccident chrétien Après le partage, en 1477-1482, des possessions bourguignonnes entre la France et les Habsbourg, le principe de léquilibre des forces qui avait empêché lunification de lItalie par Milan fut appliqué sur un terrain plus vaste Charles Quint (1519-1556) fut bien près en 1525 dunir toute la chrétienté occidentale sous son sceptre après avoir vaincu et fait prisonnier le roi de France François Ier. Mais Charles Quint dut sincliner, dabord devant la vigueur du sentiment national français puis devant laction politique centrifuge de la Réforme en Allemagne. Finalement, il abdiqua en 1556, au bout de ses illusions. Pourtant Charles Quint était parvenu à réunir sous son autorité comme sous celle de son frère Ferdinand un territoire dune étendue inouïe: les possessions héréditaires des Habsbourg en Autriche, augmentées des biens de la Couronne de Bohême et dun reste de la Hongrie ; le plus gros des anciens domaines bourguignons, y compris les Pays-Bas qui étaient lun des deux centres de prospérité économique de la chrétienté occidentale ; Milan, cur de lautre pôle de croissance, lItalie du Nord ; le royaume des Deux-Siciles ; et enfin lEspagne qui, sous le règne de Charles Quint, se tailla, au-delà des Colonnes dHercule, un empire «sur lequel le soleil ne se couchait jamais». En 1563, lunification politique de lOccident chrétien nétait certes pas en vue Chaque grande puissance ne vivait que pour barrer la route à une éventuelle expansion de sa voisine, restant ainsi fidèle à la ligne suivie aux XIVe et XVe siècles par les États italiens de lépoque. Le plus grand de ces pays occidentaux ne dépassait pas le plan local et chacun était en compétition avec tous les autres. Mais toutes ces rivalités entre puissances politiques locales, majeures aussi bien que mineures, ne les empêchaient pas davoir le dernier mot dans les affaires de la chrétienté occidentale depuis 1303, année ou Philippe IV le Bel avait poussé le pape Boniface VIII à la dernière humiliation. Si les papes résidèrent en Avignon de 1309 à 1378, ce nest pas pour une raison « logistique » en ce sens quon aurait choisi cette ville parce quelle était plus proche que Rome du nud de communications de la chrétienté occidentale au XIVe siècle. La raison en était simplement politique, la Couronne de France voulant avoir le pape sous la main et donc en son pouvoir. Le grand schisme de 1378-1417 Dans ce grand schisme qui ébranla le monde chrétien dOccident, le problème nétait ni éthique ni doctrinal Il sagissait en fait de savoir si la papauté allait rester un atout politique pour la France ou redevenir un atout politique pour lItalie. Les puissances séculières locales et le Saint-Siège faisaient preuve de la même avidité devant la perspective de rentrées fiscales ; depuis le XIIIe siècle, la Curie romaine élaborait des méthodes de plus en plus efficaces pour la levée des impôts ; dans le même temps, les gouvernements séculiers mettaient la main sur un pourcentage toujours plus fort des taxes pontificales prélevées sur leurs territoires respectifs : cétait à cette condition quils permettaient à la Curie dempocher le reste. Pour répondre à tous les démons lâchés par le grand schisme, on organisa les conciles de Constance (1414-1418) et de Bâle (1431-1449) Ces deux assemblées cherchèrent en vain à faire passer le gouvernement pontifical de lÉglise chrétienne occidentale de la monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle où le pouvoir de décision serait donné à un parlement qui réunirait les évêques, les supérieurs des ordres religieux et les représentants des universités. Ce projet devait tomber à leau parce que les puissances séculières locales lui refusèrent leur soutien. Si le mouvement conciliaire avait réussi, lÉglise occidentale en eût probablement été renforcée, perspective qui navait rien pour plaire aux princes du siècle. Certains dentre eux avaient extorqué aux papes tout ce quils pouvaient souhaiter; certains trouvaient maintenant de plus grands avantages encore dans les concordats où ils faisaient payer au Saint-Siège le droit daffirmer, sinon dexercer, sa «plénitude du pouvoir» dans le gouvernement de lÉglise. Ils savaient que, depuis 1303, la plénitude du pouvoir était passée entre leurs mains, dans leurs territoires respectifs. A cette époque, lautorité du pape ne dépassait plus, en vérité, les territoires où il exerçait une souveraineté temporelle. Ces domaines se réduisaient à une minuscule enclave autour dAvignon, à laquelle venait sajouter, sur le sol italien, une partie de la « Donation de Charlemagne », dont le pape était enfin devenu le véritable souverain séculier en 1353-1363. Le souverain pontife était donc devenu, de facto, un roitelet local. Le plus grand bouleversement politique que connut la chrétienté occidentale au cours du quart de millénaire qui va de 1303 à 1563 Ce fut le transfert à des gouvernements locaux séculiers dun pouvoir politique et de ressources financières. Lesquelles, jusque-là, étaient lapanage du Saint- Siège et dautres institutions de lÉglise (comme, par exemple, les monastères). Dinstitution cuménique dominante, présidant aux destinées de toute la Respublica Christiana dont son prestige était le ciment, la papauté sétait rétrécie comme une peau de chagrin aux dimensions dune des plus petites principautés locales de lOccident et, dans une bataille sans espoir contre des puissances locales aux moyens supérieurs, elle sétait aliéné lallégeance spirituelle de la communauté chrétienne occidentale ; son autorité apostolique sétait affaiblie, même dans ceux des Etats occidentaux qui la reconnaissaient encore. John Wycliffe (vers 1329-1384) passa plus ou moins le même nombre dannées sur terre que les papes résidèrent en Avignon (1309-1378). La vie de Guillaume dOccam (vers 1303-1349) ou de Marsile de Padoue (vers 1290-1343) aurait couvert la même période si ces deux autres critiques de la papauté nétaient morts prématurément (Guillaume dOccam tomba sous les coups de la Peste noire). Jean Hus (vers 1369-1415), enlevé avant lâge non par laction des bactéries mais par la main de lhomme, était approximativement contemporain du grand schisme dOccident (1378-1417). Joints aux noms de Guillaume dOccam et de Marsile de Padoue, ceux bien plus fameux encore de Luther (1483-1546), Zwingli (1484-1531) et Calvin (1509-1564) viennent nous rappeler que la protection des princes nétait que le préalable essentiel à laction des révolutionnaires de la religion Protégés des princes, ces hommes navaient rien de princier, ils nétaient que simples roturiers, et leur uvre aurait pu tourner court si elle navait obtenu lappui du peuple aussi bien que celui des souverains et des oligarques, dans une grande partie de la chrétienté occidentale. Lorsque Philippe IV, roi de France, et Henry VIII, roi dAngleterre, jetèrent le gant au Saint-Siège, chacun deux régnait sur un Etat local puissant et chacun sétait assuré le soutien de ses sujets, y compris son clergé national. Pour un simple particulier, lancer un défi à la papauté, même à une papauté déjà déclinante, représentait un acte de courage extraordinaire. Cest pourquoi la révolte de Luther, dabord à Wittenberg en 1517 alors que luniversité de Wittenberg navait que quinze ans dâge puis à la diète de Worms en 1521, déclencha lenthousiasme de ses contemporains ; mais si ce mouvement fut possible, cest pour la simple raison que les sécessionnistes marchaient contre lEglise pontificale sur des terrains admirablement préparés. Les Tchèques suivirent leur compatriote Hus parce quils étaient déjà anti-papistes et anti-allemands ; les Allemands suivirent leur compatriote Luther parce quils étaient déjà anti-papistes. Le luthéranisme se répandit comme une traînée de poudre en Allemagne, vers le sud-ouest aussi loin que les territoires des Habsbourg au Tyrol et en Styrie, jusquà ce que la Contre-Réforme fît tourner le vent. Le nationalisme civique de Zurich, Strasbourg et Genève ouvrit à Zwingli, Bucer (1491-1531) et Calvin les brèches indispensables. La révolution protestante Si Luther navait montré la voie, les autres révolutionnaires auraient peut-être reculé devant la rupture complète avec lEglise pontificale. Toutefois, le luthéranisme ne devait pas dépasser lAllemagne et sa dépendance culturelle, la Scandinavie. Dautre part, le calvinisme ne parvint jamais à une position dominante dans son pays dorigine, la France, et finit même par sen faire refouler ; mais il sétendit bien loin au-delà de la cité francophone qui lui avait offert un refuge, Genève. A la suite de sa fusion avec le protestantisme zwinglien de Zurich, le calvinisme poussa vers lest jusquen Hongrie et en Pologne-Lithuanie, vers le nord-ouest jusquen Allemagne du Nord-Ouest, aux Pays-Bas septentrionaux, en Angleterre et en Ecosse. Le calvinisme prit au luthéranisme la frange occidentale de lAllemagne protestante et, sous le règne dEdouard VI (1547-1553), enleva partiellement lAngleterre à la religion nationale dHenry VIII, à forte coloration romaine. Le calvinisme fut vaincu par la Contre-Réforme dans une certaine mesure en Hongrie, et totalement en Pologne-Lithuanie, mais il maintint sa domination sur le Nord-Ouest de lAllemagne, les Pays-Bas septentrionaux et lÉcosse. La révolution protestante entraîna dans son sillage maintes révolutions politiques Elle confirma lindépendance souveraine de facto des princes locaux et des cités-Etats en Allemagne (bien quofficiellement les uns et les autres restent sujets du « Saint-Empire romain de la Nation germanique»). Mais aucune révolution sociale ne vint sy greffer. Au cours du demi-siècle qui suivit larrivée de la Peste noire dans la chrétienté occidentale, plusieurs rébellions vouées à léchec agitèrent la paysannerie en Angleterre et en France, les travailleurs de lindustrie dans les villes flamandes et rhénanes, ainsi quà Florence. Une autre jacquerie manquée éclata en Angleterre en 1450, suivie dune autre encore en Allemagne en 1525. Une aile extrémiste de la secte anabaptiste fonda en 1534-1536 une république communiste en Westphalie, à Münster, siège dune principauté épiscopale catholique. Luther marcha main dans la main avec les autorités politiques séculières, aussi bien catholiques que protestantes, pour sopposer à ces mouvements sociaux révolutionnaires. En 1525, il prit publiquement position pour les princes et contre les paysans. En principe, Luther soutenait que son Église devait sabstenir de toute intervention sur la scène politique. À son avis, les Etats luthériens devaient réserver le monopole de la politique aux autorités civiles. Au contraire, les idées de Calvin sur les relations entre lÉglise et lÉtat ressemblaient plutôt à celles du pape Grégoire VII ou même à celles de Boniface VIII. Calvin ne prétendait pas que son Église dût mener les affaires dun État calviniste mais il entendait que, dans la cité-État de Genève, le gouvernement séculier fît la preuve quil agissait en accord avec les règles de son Église. Cette exigence conduisit Calvin à lexil de Genève en 1538, après avoir expérimenté son régime pendant deux années seulement (1536-1538). Mais en 1541, il fut rappelé sous les acclamations et, à partir de cette date jusquà sa mort en 1564, il fit à Genève la pluie et le beau temps. À Florence, en 1494-1495, le moine dominicain Jérôme Savonarole avait reçu dun régime républicain, comme Calvin à Genève en 1536, les pleins pouvoirs pour réformer la moralité publique ; Savonarole avait fini en 1498 non par un bannissement suivi dun retour en triomphe mais par la mort sur le bûcher. LItalie du Nord était en avance sur la chrétienté occidentale du XVe siècle ; pourtant, même sur ce terrain privilégié, la mission de Savonarole venait avant lheure et il dut payer un prix atroce pour cette initiative prématurée. Toutefois, dès avant la dénonciation par Luther des débordements de la papauté en 1517, un groupe decclésiastiques et de laïcs italiens, conduits par lévêque Jean-Pierre Caraffa, avait lancé un mouvement qui voulait réformer lÉglise romaine de lintérieur. Ses membres commencèrent, comme jadis saint François dAssise, par faire vu de pauvreté et par se consacrer à la vie sainte et aux bonnes uvres. Comme saint François et au contraire de Savonarole et de Luther, ces gens nétaient pas des révolutionnaires, ce qui leur permit déchapper aux foudres du Saint-Siège. À telle enseigne que Caraffa lui-même fut élu pape sous le nom de Paul IV (1555-1559). Les pères fondateurs du protestantisme avaient accompli une véritable révolution en clouant la papauté au pilori et en faisant sécession de lÉglise romaine Mais, tout autant que leurs prédécesseurs et contemporains catholiques, ils se montraient autoritaires et intolérants. Chacun deux pris individuellement avait suivi son propre jugement et sa propre conscience en se dressant contre la papauté, mais ils nétaient guère plus enclins que les catholiques à concéder la liberté religieuse dans les États dont ils avaient converti les dirigeants politiques. Les révolutionnaires proclamaient que lautorité de la Bible lemportait sur lautorité des papes et des conciles. Luther lui-même traduisit la Bible en allemand de manière que tout fidèle germanophone pût accéder directement à cette source ultime dautorité. Chaque chrétien devait interpréter par et pour lui-même les principes et les commandements bibliques. Luther, Zwingli et Calvin invoquèrent ce droit pour formuler leur théologie. Mais ils se gardèrent de laisser à leurs adeptes la même liberté dinterprétation. Les clergés et les gouvernements protestants et catholiques du XVIe siècle saccordaient pour soutenir quun gouvernement local avait la prérogative de dicter leur religion à ses sujets (cuius regio, eius religio). Les dissidents navaient quà émigrer ou courir le risque dêtre mis à mort le plus souvent par le feu. Les anabaptistes étaient la seule secte religieuse du XVIe siècle à se montrer, par principe, tolérante. Les seuls Etats occidentaux du XVe siècle où se pratiquait la tolérance vis-à-vis de plusieurs religions différentes étaient Venise et la Pologne-Lithuanie (deux États catholiques qui toléraient les cultes de leurs ressortissants orthodoxes), les provinces hongroises sous régime ottoman et la principauté autonome de Transylvanie, alternativement placée sous suzeraineté ottomane et habsbourgeoise. La Transylvanie compta à partir de 1571 quatre religions reconnues le catholicisme, le luthéranisme, le calvinisme et lunitarisme qui pouvaient être pratiquées en toute liberté. Depuis la guerre à mort qui, au XIIIe siècle, avait dressé le Saint-Siège contre Frédéric II et ses héritiers, les chrétiens occidentaux les plus sensibles aux horreurs du conflit avaient pris leur distance par rapport à la hiérarchie ecclésiastique. Au cours des XIVe et XVe siècles, certains dentre eux cherchèrent un autre terrain pour leur activité spirituelle, abandonnant leur participation aux exercices du culte institutionalisé pour approfondir la relation entre lâme individuelle et Dieu. Le dominicain allemand, Maître Eckhart (vers 1260-1327), connut, comme certains des contemporains du Bouddha au VIe siècle avant J.-C, lidentification de son moi propre avec lultime réalité spirituelle. Lexpérience mystique est incompatible avec une religion où lultime réalité est conçue comme lhomologue divin de la personne humaine ; en effet, deux personnes ne peuvent transcender ce qui les sépare sans que lune et lautre perdent leur personnalité individuelle. Eckhart entra dès lors en conflit avec les autorités ecclésiastiques. Le mouvement mystique qui sinstalle à la même époque au mont Athos (hésychasme) fut également contesté par des théologiens occidentaux, bien que lhésychasme eût reçu lapprobation dun concile de lÉglise orthodoxe en 1351. Les frères de la vie commune (la Devotio Moderna), fondés par un Néerlandais, Gérard Groote (1340-1384), ancien chartreux, nétaient aux yeux de lorthodoxie chrétienne occidentale ni des hérétiques ni des asociaux, cétaient, en particulier, des pédagogues qui favorisèrent le renouveau des études classiques et accueillirent avec enthousiasme la presse à imprimer. Érasme fut leur disciple le plus fameux sinon le plus docile. Les frères pratiquaient une forme de dévotion qui, sans franchir les limites de lorthodoxie, ressemblait au mysticisme dEckhart en ce quelle sortait du cadre officiel de lÉglise occidentale. Pourtant, Thomas a Kempis, lauteur ou compilateur de louvrage le plus influent de la Devotio Moderna, lImitation de Jêsus-Christ, passa les cinquante dernières années de sa vie dans un monastère augustin. Au XVe siècle, les chrétiens occidentaux eurent lhorreur obsessionnelle de la mort Horreur de cette antithèse même du plaisir serein dans lequel les Égyptiens de lépoque pharaonique attendaient léternité, à laquelle il convient dajouter une véritable fascination devant les souffrances physiques du Christ en croix Les peintres, graveurs et sculpteurs occidentaux de lépoque surtout au nord des Alpes mirent toutes les ressources de leur art à exprimer ces thèmes dans le réalisme le plus atroce. Cette atmosphère morbide dun âge sur ses fins conduisit Luther habituellement dune disposition desprit qui tendait nettement vers lexubérance à sinterroger lugubrement sur ses péchés comme sur son impuissance à les vaincre par ses seuls efforts. Doù son allégresse à trouver refuge dans son ultime conviction que le salut lui viendrait, uniquement mais certainement, de sa foi dans le pouvoir rédempteur du sacrifice offert par le Christ à Dieu le Père. Cette conception chrétienne fait pendant à la croyance des bouddhistes mahayana en la possibilité dune vie éternelle offerte aux convaincus pour qui le Bodhisattva Amitabha (Amida) conduira ses adeptes, après leur mort, dans son paradis de la Terre pure. Cette version du bouddhisme, introduite au Japon au cours du Xe siècle, sy était popularisée aux dernières décennies du XIIe et aux premières du XIIIe siècle. Cette période fut pour lhistoire japonaise une pénible suite de bouleversements sociaux et moraux tout comme la transition entre le XVe et le XVIe siècle pour la chrétienté occidentale. En faisant passer des épaules du pécheur à celles du Christ la responsabilité de la rédemption, le moine augustin Luther nétait pas sans rappeler son adversaire même, le moine dominicain Tetzel qui proposait de faire passer ce même fardeau sur les épaules du pape. Largumentation de Tetzel en faveur des indulgences était un répugnant maquignonnage, largumentation de Luther était un acte de foi, mais lune comme lautre fournissaient un substitut commode à la difficile imitation du Christ telle que la pratiquaient, chacun à sa manière, saint François ou Thomas a Kempis. Pour les bouddhistes mahayana de la doctrine de la Terre pure, le Bodhisattva Amida était un être plein de compassion et de sollicitude. Pour Luther comme pour Calvin, le dieu des chrétiens, des juifs et des musulmans était un tyran impénétrable, imprévisible et omnipotent, le même que pour Mahomet et les auteurs des livres préprophétiques dans les Écritures juives d« Ancien Testament» des chrétiens). Mahomet pense que Dieu a, tout au moins, envoyé à lhumanité une série de mises en garde qui ont donné à lhomme une chance déchapper au châtiment par la contrition et la lutte contre le péché. Le Dieu de Luther et de Calvin prédestine de façon arbitraire certaines de ses créatures au salut et certaines autres à la damnation. Telle est linterprétation que saint Augustin donne à la théologie de saint Paul. Luther avait été moine augustin, et saint Paul était le patron presque obligé dun opposant à la papauté puisquil était le seul apôtre égal à saint Pierre, fondateur et patron de la papauté. La doctrine de la prédestination[4] semble incompatible avec la croyance dans le salut par la foi puisque la foi est un acte de lHomme et non un acte de Dieu Ces deux principes fondamentaux des pères fondateurs du protéstantisme peuvent se concilier, mais uniquement dans lhypothèse où lêtre humain est un automate et où son acte de foi, pour autant quil laccomplisse, est, comme tous ses autres actes, prédestiné. Il est moins difficile de concilier la croyance du bouddhisme mahayana dans le salut par la foi en Amida et la croyance dans le karma quexprime le Petit Véhicule; en effet, bien que le karma soit la destinée, cest une destinée faite par lhomme, et le karma peut changer, pour le meilleur ou pour le pire, à la suite des actes de lêtre humain pendant lune ou lautre de ses incarnations successives. Sur les autres points où les protestants sécartent de la pratique de lÉglise catholique romaine, on constate des précédents qui ne doivent rien au protestantisme En Chine, de 842 à 845, les monastères et couvents bouddhistes avaient été dissous, leurs biens expropriés, leurs occupants renvoyés de force à la vie séculière. En Occident, Philippe le Bel a confisqué les possessions de lOrdre du Temple en France et atrocement persécuté ses membres entre 1307 et 1314; Édouard II dAngleterre avait suivi son exemple. Les images ont été bannies du monde orthodoxe au cours des VIIIe et IXe siècles. Lobligation du célibat, imposée au clergé séculier en Occident pendant le XIe siècle, a été levée en 1439 au concile de Florence pour les uniates venus dÉglises non occidentales où le clergé était marié. Les utraquistes tchèques avaient rétabli le droit des laïcs à communier «sous les deux espèces». Zwingli nia la «présence réelle» du corps et du sang du Christ dans les «éléments» ; Calvin ne ladmit que dans un sens non corporel; mais Luther la confirma et des protestants de toutes les sectes gardèrent avec lÉglise dOccident linterpolation schismatique du filioque dans le Credo. La manière dont les protestants concevaient le Dieu des juifs, des chrétiens et des musulmans, et tout particulièrement leur insistance à lui attribuer lhorrible pratique de la prédestination, leur aliéna des « humanistes » chrétiens Parmi eux, notamment Erasme et Thomas More. Ces érudits avaient constaté et attaqué les abus de la papauté mais ils considéraient ces errements comme un mal moindre que la doctrine et lesprit de Luther. En vérité, la théologie protestante représentait une régression par rapport à la raison chère à Erasme et au rationalisme de saint Thomas dAquin. Pourtant, à lexception de Luther, les pères du protestantisme étaient aussi des humanistes. Zwingli et Calvin étaient de fervents adeptes des études classiques. Le collègue de Luther, Philippe Melanchton (forme grécisée de Schwarzerd) était professeur de grec à luniversité de Wittenberg. Il partageait avec ses collègues humanistes non luthériens certaines réticences devant la doctrine de Luther sur la prédestination - et, après la mort de ce dernier, persuada lEglise luthérienne datténuer quelque peu la rigueur de cette doctrine (mais la version originale de Luther finit par prévaloir). Bien que, parmi les fondateurs de la nouvelle religion, Luther se singularisât en restant en dehors de lhumanisme, il nen fut pas moins un écrivain de premier plan. Sa traduction de la Bible en allemand laurait immortalisé même sil ne sétait jamais dressé contre le Saint-Siège. Pour leur part, les auteurs de la Contre-Réforme catholique embrassèrent lhumanisme avec enthousiasme Saint Ignace de Loyola eut à cur de recevoir une formation universitaire complète pour préparer luvre de sa vie, et la Compagnie de Jésus, quil fonda en 1540, croyait en la pédagogie et la pratiquait avec la même ferveur que les frères de la vie commune au siècle précédent. Pourtant, saint Ignace avait commencé sa carrière comme soldat ; le trait dominant de son ordre fut donc la discipline toute au service de la papauté. Au XVIe siècle, tout comme au XIIIe et plus loin encore au XIe, cest un grand homme qui sauva le Saint-Siège, lui évitant de payer le prix fort pour ses égarements. Lesprit de saint François était la parfaite antithèse de lesprit de Grégoire VII et de saint Ignace, mais la papauté nen profita pas moins de ce dévouement absolu qui caractérise ses trois sauveurs successifs. Le concile de Trente, qui siégea par intermittence de 1545 à 1563, confirma le pouvoir temporel du pape sur ce qui restait de lEglise catholique mais, par contre, mit fin à quelques-uns de ses abus les plus criards. Si ces réformes avaient été conçues et appliquées, comme elles pouvaient et auraient dû lêtre, à un moment quelconque entre 1414 et 1517, Luther naurait peut-être jamais eu loccasion de brandir létendard de la révolte.
4/ LOCCIDENT CHRÉTIEN[5] (1563-1763) De 1563 à 1763, lOccident chrétien accomplit la révolution psychologique et spirituelle la plus profonde quil eût jamais connue depuis le jour où il avait émergé des cendres de lEmpire romain Les intellectuels refusent alors daccepter aveuglément lhéritage de leurs aînés. Ils décident de soumettre désormais les doctrines reçues au crible dun examen indépendant sur tous les phénomènes et de ne permettre à personne de- leur dicter leur pensée. Ils acceptent également lidée dune coexistence pacifique avec les minorités hétérodoxes. Car ils ne ressentent plus ni lobligation ni le désir dimposer par la force le credo ou le rite dune majorité Ni lune ni lautre de ces révolutions ne fut instantanée. Dans lune et dans lautre, il y eut des pauses et des reculs. En 1686, Fontenelle publiait dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes une doctrine qui avait coûté la vie à Giordano Bruno en 1600 ; pourtant, Fontenelle mourut en 1757 dans son lit et centenaire. En 1687, Newton (1642-1727) publiait ses Principes, sans quaucune autorité ecclésisastique ne vînt le forcer à la rétractation, épreuve à laquelle avait été soumis Galilée en 1633. Par contre, lÉdit de Nantes, qui avait accordé la tolérance à la minorité protestante française, fut révoqué par Louis XIV en 1685. Les Occidentaux se libéraient alors dune pusillanimité devant le pouvoir qui remontait à laube de la civilisation La tyrannie intellectuelle exercée sur lOccident Avant la fin du Ve siècle, toutes les religions chrétiennes avaient été réprimées de vive force par le gouvernement impérial romain ainsi que dans certains Etats occidentaux successeurs de lEmpire romain. Ce fut le cas, par exemple en Espagne au cours des années 1391-1492 et au Portugal en 1497 où tous les juifs nayant pu trouver un refuge à létranger avaient dû, lépée dans les reins, se convertir au christianisme.
Lémancipation progressive de cette tyrannie Lautorité du christianisme, fidèle quil était dans son credo à linterpolation occidentale du filioque, navait pas été contestée par la révolte protestante contre la papauté. Les protestants avaient substitué lautorité de la Bible à celle de la Curie. Les princes protestants sétaient montrés aussi intolérants que leurs homologues catholiques dans la façon dont ils imposèrent leur propre version du christianisme à leurs sujets. La rupture au sein de la chrétienté occidentale navait inspiré aux deux antagonistes quune conduite encore plus fanatique, des atrocités encore plus horribles que celles commises par leurs prédécesseurs communs, les catholiques. Limitation servile des auteurs latins « classiques» avait moins apporté que lancienne obédience à Aristote. Par contre, limpression et la diffusion en Occident de traités scientifiques et mathématiques remontant à lépoque hellénique avaient semé la graine dune pensée indépendante ; car ces interprétations «anciennes» de phénomènes physiques avaient été réfutées à plusieurs reprises par des inventions techniques et des découvertes géographiques postérieures. Dans ce domaine, la « renaissance » de données « anciennes » avait conduit à de véritables innovations. La tyrannie intellectuelle exercée sur lOccident sémancipa Deux ouvrages illustrèrent lémancipation de la tyrannie exercée par ses prédécesseurs gréco-latins :
Mais lattaque lancée par Jean Bodin (1530-1596) avait dû être poursuivie par Francis Bacon (1561-1626) et René Descartes (1596-1650) avant que les adeptes des Modernes ne remportent une victoire définitive. En outre, les vainqueurs durent convenir que les panégyristes de Louis XIV nétaient point meilleurs poètes quHomère Du fait quils ne la sanctionnaient pas, ils ne purent rendre son éclat à la vieille idée du christianisme selon laquelle une civilisation chrétienne était supérieure à une civilisation préchrétienne. Les domaines où ces champions de lOccident moderne connurent leurs plus beaux succès furent les sciences naturelles, la technologie et la philosophie. Le relâchement de lemprise du christianisme Le principal discrédit dont le christianisme occidental a souffert est celui jeté par la constance des guerres de religion qui, commencées en 1534, se prolongèrent de façon intermittente jusquen 1648. Ces guerres joignirent le fanatisme à lhypocrisie. Les mobiles et les objectifs des princes belligérants étaient politiques, mais le masque de la conviction religieuse était bien commode et la haine réciproque des adversaires senvenimait encore dune ardeur apostolique profondément ressentie mais guidée par lesprit de vengeance et lobscurantisme.
Parmi les pays occidentaux, lAngleterre, fit uvre de pionnier en établissant la tolérance religieuse, mais elle mit longtemps à ne plus sindigner devant lexpression de croyances ou de sentiments antichrétiens John Wesley (1703-1791) sétait lancé dans sa mission évangélique en 1739, alors que Gibbon (1737-1794) nétait encore quun enfant. Les contemporains français de Gibbon, Voltaire (1694-1778) et les Encyclopédistes, purent mieux sexprimer sans craindre de représailles Mais, même en plein XVIIIe siècle, Voltaire jugea prudent de sétablir à quelques mètres de la France, juste derrière la frontière franco-suisse. Tandis que dans la France du XVIIe siècle
Lhistoire de la tolérance religieuse en Occident Elle est jalonnée par des uvres littéraires
En 1690-1695, Léopold donnait asile à une communauté serbe orthodoxe en laissant à ces réfugiés, sur territoire habsbourgeois, les privilèges dun millet ottoman.
Toutefois, les Occidentaux furent aussi longs à bâtir la tolérance religieuse quà conquérir leur indépendance intellectuelle
Le XVIIe siècle vit mourir dans les pays occidentaux la superstition qui faisait dune comète un miracle envoyé par Dieu pour annoncer aux hommes limminence de certains châtiments La comète de 1680 éveilla encore quelques frayeurs. En 1682, Bayle publia Pensées diverses sur la comète, affirmant que la comète de 1680 et toutes les autres étaient des phénomènes naturels. Lorsquune autre comète apparut en cette même année 1682, lastronome Edmund Halley (1656-1742) prouva quelle était semblable à celles de 1456, 1531 et 1607 ; en outre, il calcula son orbite, sa périodicité, sa vitesse. Halley soumit au même examen scientifique la comète de 1680. Mais une autre superstition occidentale, la croyance en la sorcellerie, mit plus de temps a disparaître. Deux siècles (1563-1762) sécoulèrent entre la première réfutation publiée en Occident et la dernière exécution de «sorcière». Entre-temps, des milliers dinnocents connurent une mort honteuse. Le rejet de lautoritarisme, de lintolérance et de la superstition représenta un véritable triomphe intellectuel et moral Encore quil laissât des vides dans la structure culturelle et sociale de la société occidentale. Vides qui furent comblés, avec plus ou moins de bonheur, dans divers domaines de la vie quotidienne, par des substitutions plus ou moins délibérées. Les polémiques religieuses responsables datrocités comme les massacres de la Saint-Barthélemy, à Paris en 1572, et de Drogheda (Irlande) en 1649 firent, heureusement, place à un intérêt pour les mathématiques et les sciences naturelles stimulé par lespoir daméliorer le sort du genre humain grâce à lapplication systématique, dans le domaine technique, dune science mathématisée. Cet idéal, précocement exprimé par Léonard de Vinci, fut ardemment défendu par Francis Bacon dont les disciples fondèrent la Royal Society.
Dans le domaine philosophique, le vide laissé par lémancipation de la dictature aristotélicienne navait pas été comblé par le culte que les humanistes vouaient à Platon Les penseurs occidentaux du XVIIe siècle cherchèrent donc à résoudre le problème par une franche rupture avec le passé, suivie dun nouveau départ.
La chrétienté occidentale du Moyen Age sétait cimentée par la double action de la religion et de la culture Les papes présidaient une Respublica Christiana et le latin était la lingua franca de la diplomatie, de la vie savante et même dune poésie qui coexistait avec les poèmes écrits dans les nombreuses langues vernaculaires. La Respuhlica Christiana ecclésiastique fut remplacée jusquà un certain point par une « République des Lettres » littéraire et scientifique. Erasme en avait été le fondateur, mais Bayle lui offrit à partir de 1684 un périodique, Nouvelles de la République des Lettres. Les échanges intellectuels entre hommes de lettres aussi bien quentre hommes de science se trouvèrent singulièrement facilités par lamélioration des services postaux et par leur mise à la disposition de la correspondance privée, une méthode par laquelle les autorités pensaient permettre aux postes de trouver leur propres ressources. La correspondance privée amena les bulletins dinformation, et ces derniers donnèrent naissance aux journaux. Le premier périodique imprimé en Occident parut en 1609, le premier quotidien en 1702. Au XVIIe siècle, la plupart des universités occidentales, avec toutefois les deux notables exceptions, celles de Padoue et dÉcosse, avaient perdu leur vitalité et leur créativité du Moyen Âge. Ce vide fut partiellement comblé par les académies que fondaient ou patronnaient les gouvernements de certains Etats locaux et, dans le Paris du XVIIIe siècle, par les salons de grandes dames férues de culture. Le vide laissé par lécroulement de la Respublica Christiana pontificale fut lui aussi comblé en partie seulement par le réseau mondain des familles royales et aristocratiques dOccident Ces deux classes placées au sommet de la société occidentale étaient liées, par-delà les frontières nationales, par une chaîne de mariages et par une maîtrise des diverses langues vernaculaires qui franchissaient les barrières entre nationalités. La solidarité des familles royales et aristocratiques survécut au schisme religieux qui déchira la chrétienté occidentale. Les conversions pour raison dÉtat devinrent la norme. Un roitelet calviniste de Navarre devint catholique pour devenir Henri IV de France. Guillaume, le prince calviniste des Pays-Bas du Nord et George, lElecteur luthérien de Hanovre, entrèrent dans lEglise épiscopale dAngleterre pour devenir, respectivement, Guillaume III, roi dAngleterre, et George Ier, monarque du Royaume-Uni dAngleterre et dÉcosse. Comme le calvinisme était la religion officielle de lÉcosse, Guillaume III ne dut ajouter à sa foi protestante quune seule autre forme de protestantisme ; mais les quatre George, de même que Guillaume IV, durent se montrer presbytériens calvinistes en Écosse, épiscopaliens en Angleterre, tout en restant luthériens fidèles sur le territoire du Hanovre. Dès le XIIe siècle, les langues vivantes de lOccident saffirmèrent en poésie, côte à côte avec une poésie en latin, où le style vernaculaire perçait sous le vernis classique Laccession des langues locales à la suprématie eut pour premier effet de libérer une exubérance qui fit naître une série de génies. Les exemples les plus fameux sont
Lépoque des « guerres de religion » fut aussi un âge dor pour la poésie de lOccident. Le prix culturel à payer pour la mort de la superstition et la fin de la persécution fut la descente de la poésie à la prose, non en musique mais dans les genres ayant une langue vernaculaire pour véhicule.
Mais, dès laube des Lumières, les poètes occidentaux choisirent délibérément le prosaïsme Linitiative de cette révolution dans lesprit et dans le style vint des dramaturges français du XVIIe siècle : Corneille (1606-1684), Molière (1622-1673), Racine (1639-1699). Ces génies enfermèrent leurs vers dans le cadre de la sobriété. Ils tenaient là des prosateurs français contemporains un instrument linguistique tout neuf une innovation qui devait beaucoup à Pascal. La prose française façonnée au cours du XVIIe siècle était simple, claire et précise. Elle convenait infiniment mieux que le style grec ou latin « classique » aux langues indo-européennes. A cette époque, les langues romanes, et langlais, sous leur influence, terminent leur évolution menant de la structure inflexionnelle à la structure analytique où les particules séparables, les prépositions et les verbes auxiliaires remplacent le procédé beaucoup moins commode qui soude préfixes et suffixes aux radicaux des substantifs et des verbes. La nouvelle prose française renonçait également à lusage latin ou turc qui étouffe les phrases sous un afflux de subordonnées. La nouvelle structure de la phrase française était paratactique[6]. Lauteur laissait au lecteur le soin détablir le rapport logique entre deux courtes phrases successives. Cette révolution stylistique du français prit dassaut la littérature anglaise et, sur ce terrain, la mutation, étant dorigine étrangère, fut très nette. Les révolutionnaires comprenaient toute la portée de leur audace et y prenaient un certain plaisir. Dryden, par exemple, jurait que son style, à la fois en prose et en vers, représentait une amélioration considérable sur celui de Milton. Lexportation, dans dautres pays occidentaux, du style français en littérature dune part, et dautre part des émigrés protestants français, offrit à la France une suprématie culturelle dans tous les domaines sauf celui de la musique Là, cétait maintenant lAllemagne qui prenait la tête devant lItalie. En Allemagne du Nord après la guerre de Trente Ans, la prolifique famille Bach récoltait plus de gloire que les princes qui lui offraient leur patronage. Jean-Sébastien Bach (1685-1750) et Georg Friedrich Händel (1685-1759) furent les Allemands les plus renommés de leur génération. Le « grand » Frédéric II de Prusse (1740- 1786) réalisa le tour de force de transformer en grande puissance un royaume petit et pauvre, mais il parvint également à trouver les fonds nécessaires pour financer des représentations dopéra à Berlin. De toute manière, la principale ambition de Frédéric hors du métier des armes était décrire un français qui pût passer linspection des cercles littéraires parisiens. Gibbon, lui aussi, écrivit en français jusquà ce quil décide, comme Dante, demployer sa langue maternelle à la rédaction de son chef-duvre. Au cours des guerres de 1667-1713, la France faillit couronner sa suprématie culturelle par une domination politique. Elle ne sinclina que de justesse devant une coalition dEtats occidentaux plus faibles, où les Pays-Bas septentrionaux supportèrent le plus dur du combat. Lépreuve de force entre les deux superpuissances catholiques quétaient le Territoire impérial sous lautorité des Habsbourg et la France Au premier stade de sa lutte contre le pouvoir des Habsbourg bourguignons, la France navait pu faire front et, en 1525, elle avait été momentanément mise à genoux. Lépreuve de force fut alors interrompue par des guerres civiles, les « guerres de religion ». La première reprise se livra sur le sol allemand en 1534-35. Suivirent alors des guerres civiles en France (1562-1598), aux Pays- Bas (1569-1609), en Allemagne à nouveau (1618-1648) et en Angleterre (1642-1648) Toutes ces guerres civiles appelaient lintervention étrangère dans une mesure minime en Angleterre, mais maximale pendant la guerre de Trente Ans en Allemagne[7] qui se termina par le traité de Westphalie (1648). La France catholique qui avait déjà donné son appui aux princes protestants dAllemagne contre lempereur habsbourgeois Charles Quint de 1534 à 1555, marcha main dans la main avec la Suède protestante pour empêcher les Habsbourg de subjuguer les Etats protestants dAllemagne. Cette politique française fut conduite par deux hommes dEtat qui étaient également cardinaux de lEglise romaine: Richelieu (1585-1642), arrivé au pouvoir en 1624, et Mazarin (1604-1660), le successeur immédiat de Richelieu. La France fut finalement le principal bénéficiaire de la guerre de Trente Ans
Si lEspagne avait perdu sa puissance maritime, son grand empire restait presque intact, largent de ses mines dans les Andes et au Mexique continuait à lui parvenir. Mais il en fallait davantage pour la sauver du déclin. Elle ne pouvait rivaliser avec la France quant à létendue des terres exploitables, et son agriculture était handicapée par un élevage nomade pratiquée à grande échelle. En conséquence, lEspagne, comme la Suède, navait pas une population suffisante pour soutenir le rôle quelle cherchait à jouer. La France, par lépuisement de lEspagne, de la Suède et de lAllemagne trouva une occasion quelle sempressa de saisir En 1552 déjà, elle avait acquis les trois évêchés-clés de Lorraine : Metz, Toul et Verdun. Pendant la guerre de Trente Ans, elle acquit lAlsace. LEmpire des Habsbourg dAutriche, quant à lui, vint en seconde place. Il reprit les terres de la Couronne de Bohême et survécut à lépreuve. En France, lémigration en 1685 de la plus grande partie de sa minorité protestante ne resta pas sans conséquence Si, grâce à son peuplement favorable, elle se portait beaucoup mieux que lEspagne après lexpulsion de ses ressortissants juifs et musulmans, larrivée de ces émigrés français compétents et dynamiques, par contre contribua à renforcer les adversaires présents et futurs de la France : les Pays-Bas septentrionaux, lAngleterre et surtout le Brandebourg, tout comme le Wurtemberg, létablissement hollandais au cap de Bonne-Espérance et létablissement anglais en Caroline du Sud.
Le monde occidental en 1672 Elle fut cependant battue dans sa compétition avec la Grande-Bretagne pour lAmérique du Nord et lInde Ceci intervint à la fin des guerres de 1667-1713, après lentrée de lAngleterre dans une alliance militaire avec les Hollandais et, par la suite, au cours des guerres franco-anglaises de 1740-1748 et 1756-1763.
Pourtant, parmi les pays occidentaux parvenus au statut de grandes puissances en 1621, seuls la France et lEmpire des Habsbourg dAutriche gardaient encore ce rang un siècle plus tard LEspagne était sortie épuisée de la guerre de Trente Ans, les Pays-Bas septentrionaux avaient fort souffert des guerres de 1667-1713 et la Suède de sa guerre malheureuse contre la Russie en 1700-1721. A cette date, 1721, la place des Provinces-Unies avait été prise par la Grande-Bretagne, celle de la Suède par la Russie et la Prusse. LEmpire des Habsbourg dAutriche, qui régnait dans le bassin du Danube, sétait, une fois de plus, remarquablement tiré daffaire. Il avait hérité les possessions des Habsbourg dEspagne en Lombardie et dans les Pays-Bas méridionaux et sétait étendu vers lest aux dépens de lEmpire ottoman après léchec, en 1682- 1683, du second siège de Vienne par les Turcs. Vers la moitié du XVIIe siècle, lOccident passa enfin des « guerres de religion » à des conflits où lon se battit pour dautres opportunités Ce changement dattitude saccompagna dune certaine humanisationdes campagnes militaires. Les Etats occidentaux virent alors la guerre non plus comme le combat à outrance de peuples ou de sectes qui sabominent mutuellement mais comme des « compétitions modérées » (le mot est de Gibbon) entre des gouvernements qui emploient des troupes professionnelles, en uniforme et respectueuses de la discipline. Les militaires sont censés épargner la vie et les biens des civils. Les armées ont pour consigne demmener leur propre intendance et de ne plus «vivre sur le pays». Les populations civiles placées sous la souveraineté dun Etat et passant sous celle dun autre sont, en principe, protégées contre la spoliation, lexpulsion et le massacre. Encore que les gouvernements occidentaux ne se satisfirent pas toujours de ces nouvelles règles La guerre est en elle-même une horreur ; le seul remède est de ne pas la faire ; les tentatives, même sincères, pour la rendre moins atroce ne peuvent être, au mieux, que des palliatifs plus ou moins efficaces. Les Français dévastèrent délibérément le Palatinat rhénan en 1674, puis à nouveau en 1688 ; si une ville fortifiée était prise dassaut après que sa garnison eut rejeté un appel à la capitulation, les troupes ennemies victorieuses sadjugeaient toujours le droit de piller et de violer. Il nempêche que, de 1688 à 1792, dans lensemble de lOccident chrétien, on parvint à réduire la guerre au degré de sauvagerie relativement bas que lItalie du Nord avait atteint au XVe siècle. [1] Cf. Arnold TOYNBEE, § 71, p.467 à 480. [2] Dans le chapitre 75, Loikoumenè unique, on lit en effet que cest bien Vasco de Gama, qui fut, en 1498, le premier marin à réaliser lexploit que représentait alors une circumnavigation de lAfrique douest en est, jusqualors restée sans succès ; on y lit aussi quil est pratiquement certain que le Victoria lunique survivant des cinq vaisseaux composant la flottille de Ferdinand de Magellan fut le tout premier navire à réussir le tour du monde (1519-1522). [3] Composition et premières éditions manuscrites entre 1307 et 1321. Première édition imprimée en 1472. [4] Concept théologique selon lequel Dieu, aurait choisi de toute éternité, et secrètement, ceux qui seront graciés et auront droit à la vie. [5] Cf. Arnold TOYNBEE, § 76, p.508 à 517. [6] La parataxe (du grec ancien parátaxis, coordination) est un mode de construction par juxtaposition de phrases ou de mots dans lequel aucun mot de liaison nexplicite les rapports syntaxiques de subordination ou de coordination quentretiennent les phrases ou les mots. Elle est opposée à lhypotaxe où des prépositions et des conjonctions assurent lenchaînement logique des phrases. Quand la parataxe de phrases prédomine, on parle de « style coupé ». La parataxe caractérise alors plutôt le discours oral. [7] Elle est constituée par une série de conflits armés qui a déchiré lEurope. Les causes en sont multiples mais son déclencheur est la révolte des sujets tchèques protestants de la maison de Habsbourg, la répression qui suivit et le désir de ces derniers daccroître leur hégémonie et celle de la religion catholique dans le Saint-Empire.
Date de création : 26/09/2015 @ 09:16 Réactions à cet article
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