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Histoire - Plaidoyer pour notre enracinement judeo-chrétien
PLAIDOYER POUR NOTRE ENRACINEMENT JUDÉO-CHRÉTIEN
Sommaire
I/ DEUX FIGURES DE PROUE DU JUDÉO-CHRISTIANISME II/ LES RÉFÉRENCES AU JUDÉO-CHRISTIANISME EXCLUES PAR LA FRANCE DE LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE LA CONSTITUTION EUROPÉENNE III/ LHISTOIRE DE NOTRE « ENRACINEMENT » IV/ ÉCRIRE LHISTOIRE AUTREMENT
I/ DEUX FIGURES DE PROUE DU JUDÉO-CHRISTIANISME Laffirmation de lappartenance de la France à la civilisation JUDÉO-CHRÉTIENNE est un slogan que lon rencontre un peu partout. Cest une sorte daffirmation gratuite qui correspond à un savoir non transmis. Elle na été expliquée que par bribes à travers nos dus à laction civilisatrice de ces deux religions monothéistes bien incarnées qui persistent encore aujourdhui[1]. Pourtant, Jules Isaac[2] (1877-1963), historien de grand renom, (sans doute lavons-nous oublié ?) a été lhomme phare du dialogue judéo-chrétien. En 1906, il est introduit chez Hachette, qui publie la collection de manuels d'histoire d'Albert Malet. Il collabore aux ouvrages pour l'enseignement primaire supérieur. En 1940, après avoir été co-fondateur de lAmitié judéo-chrétienne, il est révoqué par le gouvernement de Vichy, en vertu du statut discriminatoire des juifs. Sa femme et sa fille sont arrêtées à Riom le 7 octobre 1943, puis déportées et assassinées à Auschwitz, ce qui lamènera à écrire « Jésus et Israël », un ouvrage sur lantisémitisme et ses racines chrétiennes. Il y énonce une charte qui inspirera les Dix points de la conférence internationale de Seelisberg (Suisse août 1947) au cours de laquelle seront analysées les causes de lantijudaïsme chrétien. Ces dix points de conciliation serviront également de charte à lAmitié judéo-chrétienne de France que Jules Isaac fonde avec Edmond Fleg. On retiendra quà cette période Jules Isaac s'est engagé en faveur d'une meilleure compréhension entre Français et Allemands et milité pour une révision des manuels scolaires. Ce qui est moins connu cest que, dès 1949, il collabora avec Rome pour la préparation de la prochaine encyclique, intervenant auprès du pape Pie XII pour que l'on révise la prière du Vendredi saint, qui comportait des mentions offensantes pour les juifs. En 1960, il sera reçu en audience privée par le pape Jean XXIII, qui convoquera quelques mois plus tôt Vatican II. Ce Concile aboutira à la déclaration sur l'Église et les Religions Non-Chrétiennes Nostra Aetate (1965), deux ans après sa mort à Aix-en-Provence.
Une autre personnalité de la génération qui fait suite à celle de Jules Isaac incarne également ce noble héritage[3]. Il sagit de Simone Weil, lune des grandes philosophes du XXe siècle. Née à Paris le 3 février 1909, dans une famille d'origine juive alsacienne, installée à Paris depuis plusieurs générations. Son père Bernard Weil est chirurgien-militaire. Après avoir obtenu son baccalauréat de philosophie, en octobre 1925, Simone Weil entre en classes préparatoires littéraires au lycée Henri-IV, où elle passe trois ans. Elle a pour professeur de philosophie le philosophe Alain, qui demeurera son maître. Elle entre à lÉcole normale supérieure en 1928, obtient son agrégation de philosophie en 1931 et commence une carrière denseignante dans divers lycées de province. Juive, mais ne se réclamant que des Grecs et de Jésus, elle invente ou réinvente une spiritualité pour notre époque, « où lon a tout perdu ». Intellectuelle engagée, militante syndicale, membre des Brigades internationales et de la France libre, elle ne croit ni au communisme ni au progrès : elle ne croit quau malheur et au travail, quà la justice et à lamour. Chrétienne enfin, ou presque chrétienne, elle refuse de se faire baptiser : elle veut rester du côté des exclus, des pauvres, des hérétiques. Cest une espèce de sainte et de génie. Cest surtout une mystique, qui met son intelligence exceptionnelle au service dune expérience spirituelle qui lest tout autant. Ce quelle a vécu ? La puissance de lamour, qui est la faiblesse de Dieu ou plutôt son refus dexercer sa force. « Dieu est là et attend en silence. Les mendiants qui ont de la pudeur sont ses images. » Dès le début de la Deuxième guerre mondiale, lucide sur ce qui se passe en Europe, elle est sans illusion sur ce qui menace elle et sa famille, en tant que juifs. Lorsque Paris est déclarée « ville ouverte », le 13 juin 1940, ils se réfugient à Marseille. En 1942, elle emmène ses parents en sécurité aux États-Unis mais, refusant le statut de citoyenne américaine quelle ressent comme trop confortable en ces temps de tempêtes, elle fait tout pour se rendre en Grande-Bretagne et travaille comme rédactrice dans les services de la France libre. Son intransigeance dérange. Elle démissionne de l'organisation du général de Gaulle en juillet 1943. Atteinte de tuberculose, un mois plus tard, elle meurt dune crise cardiaque à 34 ans à Ashford (Angleterre) dans lexil et lanonymat. Lessentiel de son uvre ne sera publié quaprès sa mort. LEnracinement[4], en ce qui nous concerne, y tient une place importante. La quatrième de couverture reproduit un passage éclairant : « L'enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. C'est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir. Participation naturelle, c'est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l'entourage. Chaque être humain a besoin d'avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie.»
II/ LES RÉFÉRENCES AU JUDÉO-CHRISTIANISME EXCLUES PAR LA FRANCE DE LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE LA CONSTITUTION EUROPÉENNE Étant bien actées, ces références au judéo-christianisme, qui font honneur à notre civilisation, ont été diaboliquement entachées par la rupture officielle intervenue au tout début du XXIe siècle. En effet, une violente controverse est survenue lorsque Valéry Giscard dEstaing, qui présidait le comité de rédaction de la Charte, envisagea den faire le rappel dans le préambule (futur « Traité de Rome doctobre 2004 établissant une constitution pour lEurope »). À ce propos, il est intéressant de prêter attention à la phase finale de lélaboration de ce document, telle que la rapportée GÉRARD BOSSUAT[5] dans « Histoire dune controverse. La référence aux héritages spirituels dans la Constitution européenne »[6]. « La charte des droits fondamentaux adoptée le 7 décembre 2000 à Nice, relance [les] débats. Le groupe de pression catholique, réorganisé par le pape Jean-Paul II, se manifeste de différentes façons. Lune dentre elles consiste à utiliser le Conseil des conférences épiscopales (CCEE) ou la Commission des Épiscopats de la Communauté européenne (Comece). La « Déclaration de Louvain » du CCEE, le 22 octobre 2000, demande de mentionner Dieu « dans la Charte européenne des droits fondamentaux ». La France refuse de reconnaître lhéritage religieux de lEurope remplace le mot par spirituel. Or les Églises tant catholiques que protestantes préfèrent le mot religieux parce que, écrit Henri Tinck dans le Monde, le mot spirituel est jugé imprécis, désignant des confessions reconnues mais aussi des expressions sectaires beaucoup plus floues. De plus des chrétiens prestigieux sexprimant dans Témoignage chrétien en déc. 2000, lancent un Appel pour une laïcité enrichie des apports spirituels et humanistes des religions diverses de ce pays. Ainsi pourraient entrer nommément dans la Constitution européenne, différentes confessions et philosophies, sous couvert de la laïcité. La difficulté serait de faire un tri. La Charte [au final savère] un échec pour le groupe de pression religieux puisque le Préambule affirme : Consciente de son patrimoine spirituel et moral, lUnion se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles, celles de dignité humaine, de liberté, dégalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de démocratie et le principe de lÉtat de droit. Elle place la personne au cur de son action en instituant la citoyenneté de lUnion et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice. Dieu nest donc pas dans le Préambule de la Charte, les États ne lont pas voulu même si quatre constitutions le nomment expressément. La constitution de lEire [Irlande] (1937) est écrite au Nom de la Très Sainte Trinité, celle de la Grèce (1975) au nom de la Trinité Sainte, Consubstantielle et Indivisible. La Pologne fait référence à Dieu dans le Préambule : Nous, nation polonaise tous les citoyens de la République, tant ceux qui croient en Dieu, source de la vérité, de la justice, de la bonté et de la beauté, que ceux qui ne partagent pas cette foi et qui puisent ces valeurs dans dautres sources . Enfin, dans la loi fondamentale de RFA, le peuple allemand affirme sa conscience de sa responsabilité historique devant Dieu et devant les hommes. Mais les garanties accordées aux croyants sont très larges : larticle 10 garantit les libertés de pensée, de conscience et de religion, ce qui implique la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, lenseignement, les pratiques et laccomplissement des rites. Larticle 14 assure le droit de donner une éducation conforme aux croyances, larticle 21 rejette toute discrimination religieuse et larticle 22 garantit la diversité culturelle, religieuse et linguistique. Cette exclusion aura des conséquences dont il est difficile de mesurer limportance pour tous les peuples qui constituent lEurope. Pour un grand nombre de Français, sans nul doute, un repère essentiel allait leur faire défaut. Les historiens, quant à eux, à labri des controverses et selon les progrès de leur science, ne cessèrent détablir les justifications historiques, géographiques et philosophiques de lEurope.
III/ LHISTOIRE DE NOTRE « ENRACINEMENT » Selon les termes de Rémi Brague[7], lEurope, notre patrimoine spirituel et moral « nous présente un visage balafré qui garde les blessures qui la constituent. Les Européens doivent garder souvenir de ces cicatrices. Elles jouent un double rôle : dabord elles le définissent par rapport à ce qui nest pas lEurope ; ensuite, elles déchirent lEurope en son intérieur même. Garder mémoire de ces divisions peut nous éviter de commettre plusieurs confusions. [ ] La plus grave dentre elles est sans doute celle qui provient de lusage du mot Orient comme opposé à un Occident. Ex Oriente caligo. En effet, même si les mots se recoupent, la distinction antique entre Orient et Occident ne coïncide nullement avec celle entre Orient et Occident romains, puis chrétiens. Elle coïncide encore moins avec celle qui oppose à lEurope occidentale lOrient de lorientalisme pour lequel le Maroc est oriental et la Grèce, occidentale , opposition pour laquelle, selon Rémi Brague, on pourrait peut-être reprendre les vieux termes de Ponant et d Levant. » Une appartenance graduée « Une culture se définit par rapport aux peuples et aux phénomènes quelle considère comme ses autres. On peut procéder de la même façon pour lEurope. Mais dans ce cas, nous nous trouvons en face de plusieurs autres, que lon ne peut réduire en un faire valoir ou un repoussoir indifférencié. Laltérité de lEurope par rapport à chacun de ces différents autres ne se situe pas sur le même plan. LEurope en tant quOccident est ainsi lautre de lOrient. Mais elle partage cette altérité avec le monde musulman, avec lequel elle a en commun lhéritage gréco-latin. En tant que Chrétienté, elle est lautre du monde musulman. Mais elle partage cette altérité avec le monde orthodoxe, avec lequel elle a en commun le christianisme. En tant que Chrétienté latine, elle est lautredu monde byzantin, de culture grecque. Or cette dernière altérité, elle ne la partage avec personne : la séparation des mondes catholique et protestant passe à lintérieur même de la Chrétienté latine même si le monde protestant se définit par opposition à un Église dite romaine. La notion dEurope est donc variable : on est plus ou moins européen. Ainsi, si le monde protestant semble à Rémi Brague tout aussi décidément européen que le monde catholique, lappartenance à lEurope du monde oriental , de tradition grecque et orthodoxe lui semble poser un problème. Lest de lEurope Le problème est de savoir dans quelle mesure les régions qui composent ce monde se conforment encore au modèle culturel de Byzance, leur fidélité à la version orientale du christianisme nentraînant pas automatiquement quelles demeurassent dans le sillage de la civilisation byzantine. Cest ici que Rémi Brague distingue : Byzance, elle-même ne sest jamais considérée comme européenne. Elle sest toujours considérée comme romaine, et même continuant lEmpire par une deuxième Rome. Revendication dailleurs tout à fait légitime, depuis que Constantin décida dy transférer la capitale de lEmpire (330). De plus Byzance sest toujours considérée comme appartenant à la Chrétienté. Cela dit, quen est-il des nations orthodoxes qui, après la chute de Constantinople (1453), ont connu plus de cinq siècles une histoire mouvementée. Il est clair quon ne saurait les identifier purement et simplement à Byzance, et ce, même si la filiation byzantine y est revendiquée avec une insistance parfois lancinante. Il faudrait donc commencer par évaluer limportance relative de linfluence byzantine dans les pays de tradition orthodoxe. Prenons lexemple de la Russie. Nous pouvons faire abstraction de la légende selon laquelle Moscou serait une troisième Rome, héritière de la Rome du Latium, puis de celle du Bosphore. Elle fut lancée à la fin du XVe siècle, comme légitimation du pouvoir naissant des tsars. Mais même sans cela, le chemin censé mener de Byzance à lactualité est bien sinueux. Sur plus dun point la filiation byzantine de la Russie est fictive, ou montée en épingle, alors que dautres influences, venues de Scandinavie ou des Mongols, ont été au contraire longtemps exclues de lhistoriographie officielle tsariste comme léniniste. Ainsi donc, lappartenance de ces nations à lEurope va-t-elle de soi ? Et déjà va-t-elle de soi pour elles-mêmes ? À partir de quand leur désir dy appartenir sest-il fait jour ne serait-ce quen en revendiquer le nom ? Ainsi donc l« européanité » de ces régions ne va pas de soi : les juifs de Bulgarie, au début de ce siècle, rêvaient de lAutriche-Hongrie comme de lEurope. Et encore aujourdhui, un Athénien qui sembarque pour Paris ou pour Rome dit quil va stin Evropi. Il nest pas question pour Rémi Brague de trancher. Ne pas appartenir à lEurope ne les rejetterait en rien dans les ténèbres extérieures dune quelconque barbarie, car loin de lui la pensée didentifier lEurope avec le monde civilisé. Enfin la constatation dune éventuelle extériorité de ces pays par rapport à lEurope relèverait uniquement de lhistoire culturelle et naurait par conséquent, cela va sans dire, rien à voir avec des problèmes contemporains, pour lesquels Rémi Brague se déclare incompétent LEurope comme lieu et lEurope comme contenu : leur articulation lune sur lautre LEurope comme lieu est lespace que Rémi Brague a essayé de serrer au plus près par une série de dichotomies[8] dont il est clair quelles relèvent surtout dune géographie intellectuelle ou spirituelle. LEurope comme contenu est lensemble des faits historiquement repérables, qui se sont produits à lintérieur de ce lieu. Ces évènements peuvent être ponctuels ou couvrir de longues périodes. Ils ont tous plus ou moins contribué à donner sa physionomie à ce que nous qualifions deuropéen, adjectif employé accessoirement pour désigner des populations ou des évolutions culturelles, qui se sont situées ou se situent encore maintenant en dehors des frontières de lEurope. Il renvoie nécessairement à des réalités qui ont trouvé leur source à lintérieur de lespace européen. LEurope comme lieu précède donc lEurope comme contenu. Un exemple peut nous aider à clarifier cette distinction. On parle des « sciences européennes » (Husserl), ou de la « technique européenne », ou encore de la « métaphysique occidentale » (Heidegger) et là aussi, on veut dire « européenne ». Les réalités culturelles que lon désigne par là ne se limitent pas à lespace européen, ni par leur origine ni par leur expansion ultérieure (mais on sait pouvoir les y rencontrer). La science en général est apparue aussi ailleurs quen Europe, ainsi en Chine. Et ce que lEurope elle-même sest assimilé en fait de mathématiques et de philosophie a dabord été grec, puis arabe. La physique mathématisée, en revanche, est apparue en Europe avec la révolution attachée au nom de Galilée. Et de même, à sa suite ; la technique et le machinisme industriel. De même la démocratie est apparue en Grèce. Mais ce nest quà lintérieur de lespace européen quelle a progressivement levé la restriction qui la limitait à une mince élite de citoyens, à lexclusion des esclaves et des femmes. On peut dire la même chose des Lumières, en tout cas sous leur forme moderne. Les phénomènes dont on vient de parler sont en tout cas nés à lintérieur dun espace qui existait déjà et quils nont donc pas créé. Bien plus, on peut se demander si leur émergence nest pas liée à un lien plus quaccidentel à ce qui a défini lEurope en la séparant de ses « autres ». Il nous faut donc savoir dabord ce que cest que lEurope avant de pouvoir faire le bilan de son histoire. Nous pouvons ainsi reposer la classique question didentité. On se demande qui sommes-nous ? Et lon répond : des Grecs, ou des Romains, ou des juifs, ou des chrétiens. Ou en un sens, un peu de tout cela, mais selon quel principe de classement ? Il est pourtant un fait si historiquement massif que Rémi Brague ne le rappelle alors que pour mémoire : la Chrétienté ne sest pas conçue elle-même, et elle na pas été perçue par les autres civilisations comme grecque ou comme juive, mais bien comme romaine. [En effet, on ne peut être fidèle à lenseignement des apôtres quen union avec le successeur du premier dentre eux, lévêque de Rome, qui a pour mission de conserver et dapprofondir, de défendre et de répandre.] Les Grecs eux-mêmes, dès lépoque byzantine se considéraient comme des Romains et, encore maintenant, désignent la langue quils parlent comme le roméique. Le monde musulman nomme les Byzantins de langue grecque ou syriaque, des roumis, et lEmpire ottoman appelait « Roumélie » ce que nous appelons, nous, la Turquie dEurope. Quant à lEurope au sens étroit, il y a un trait quelle est peut-être seule à posséder, seule à revendiquer, et qui est en tout cas ce que personne ne lui dispute. Cest la romanité. Ou plus précisément la latinité. Si la romanité a été revendiquée[9], par contre, de la latinité, personne dautre que lEurope na voulu.
Ce qui est propre à lEurope Ce qui est propre à lEurope doit constituer son unité. Cest lacceptation commune de ce propre qui doit permettre à lunité européenne de se fonder. Or, ce rapport de, lEurope à ce qui lui est propre abrite lui-même un paradoxe. Un propre double Ce qui fait lunité de lEurope, cest la présence en elle de deux éléments irréductibles lun à lautre : dune part la tradition juive, puis chrétienne ; et dautre part, la tradition du paganisme antique. Pour symboliser chacun de ces courants par un nom propre, on a pu proposer : Jérusalem et Athènes. Cette opposition se fonde sur celle du juif et du Grec empruntée à saint Paul[10] [De nombreuses versions similaires ont été proposées, de Tertullien à Léon Chestov au siècle dernier]. On a cherché à isoler le contenu propre de chacun de ces deux éléments. Les façons de le faire peuvent varier : on peut les opposer comme la religion de la beauté à celle de lobéissance, comme lesthétique à léthique, ou encore comme la raison à la foi, la recherche autonome à la tradition, etc.. Dans tous les cas, on a fait de la différence une polarité, et on a cherché lessence de chacun des deux éléments dans ce qui loppose le plus radicalement à lautre. La tension devient alors une déchirure douloureuse dans lunité de la culture européenne. Rien nest alors plus tentant que de rechercher la place dancêtre légitime à lun des deux éléments, tandis que lon rejettera purement et simplement lautre comme nétant quadventice. Pourtant, ce sont les deux éléments qui font vivre lEurope, par le dynamisme même quentretient leur tension. Cette idée dun conflit fécond, voire constitutif, a été, à date récente remarquablement défendue par Léo Strauss[11].
Le troisième terme : le romain Dans toutes ces tentatives, on néglige le plus souvent un troisième terme. Or, ce troisième terme, aux yeux de Rémi Brague, est celui qui semble fournir le meilleur paradigme pour penser le rapport de lEurope à ce quelle a de propre. Il sagit de la dernière des trois langues (et les langues on le sait sont plus que de la linguistique) qui ont reçu une valeur exemplaire du fait davoir donné au plus juste, sur le panneau que Pilate avait apposé à la croix [ INRI signifiant « Jésus le nazôréen, Roi des Juifs »], Celui qui y pendait : le latin ou plutôt, comme le dit lévangéliste, le « romain » (Jean, 49,20). Rémi Brague pose donc comme thèse : lEurope nest pas seulement grecque, ni seulement hébraïque, ni même gréco-hébraïque. Elle est tout aussi décidément romaine. « Jérusalem et Athènes », certes, mais aussi Rome. Elle a trouvé son expression magnifique dans quelques phrases de Paul Valéry relevées dans la fameuse note de 1924 à « La crise de lesprit » : Partout où les noms de César, de Gaius, de Trajan et de Virgile, partout où les noms de Moïse et de saint Paul, partout où les noms dAristote, de Platon et dEuclide ont eu une signification et une autorité simultanées, là est lEurope. Toute race et toute terre qui a été successivement romanisée, christianisée et soumise, quant à lesprit, à la discipline des Grecs, est absolument européenne[12]. Il faut ainsi trois ingrédients pour faire lEurope, Rome, la Grèce, le christianisme auquel Valéry noublie pas daouter son soubassement dans lAncien Testament. Quant à Rémi Brague, il prétend plus radicalement que nous ne sommes et ne pouvons être « grecs » et « juifs », que parce que nous sommes dabord « romains ». En proposant de réfléchir sur ce que lEurope a de romain, Rémi Brague est bien conscient de sengager dans un domaine où sévissent bien des affects, positifs et négatifs dont il nous suggère de prendre conscience. [Ne seront ici relevés que les éléments les plus marquants]
Rien inventé
[En contrepoint des précédentes affirmations, cet article vient minimiser lapport de Rome. Cest ce quon peut retenir de ce texte dun grand historien du judaïsme] :
Quelle origine a donc la hauteur de vue morale dont se vantent les peuples civilisés du monde actuel ? Ils ne sont pas eux-mêmes ceux qui lont produite : ils sont les heureux héritiers qui ont spéculé avec lhéritage de lAntiquité et lont fait fructifier. Ce sont deux peuples créateurs qui ont été les auteurs de la noble moralité, qui ont élevé lhomme et lont fait sortir de létat primitif de barbarie et de sauvagerie : le peuple hellénique et le peuple israélite. Il nen est point de troisième. Le peuple latin na rien créé et transmis dautre que lordre strict dune société policée, et un art de la guerre développé ; et ce nest quà son âge décrépit quil a, en outre, rendu le service que rendent les insectes : transporter un pollen préexistant jusquau sol fertile qui était prêt à le recevoir ; mais des créateurs, des fondateurs, dune civilisation supérieure, il ny a que les Grecs et les Hébreux qui lont été , et eux seuls[13].
Avec ce texte de Henri Graetz, force est de prendre en compte la modestie relative de lapport romain. Rien détonnant, donc, à ce que le romain nait que rarement été hypostasié et pourvu des honneurs de la majuscule pour devenir le Romain. Les philosophes nont que peu réfléchi sur lexpérience romaine. Là où ils lont fait, ce fut de façon très négative. Cest le cas de Heidegger. Cest aussi celui de Simone Weil qui, dune manière dailleurs très intéressante pour ce propos, met en parallèle, pour les englober dans la même réprobation, Rome et Israël, censés incarner le même « gros animal ». On ne peut guère citer, comme exception très brillante que le cas de Hannah Arendt. Dans la pratique, il nest pas rare que la redécouverte de lAntiquité classique depuis [lhistorien dart allemand du XVIIIe siècle] Winckelmann, saffirme comme un désir denjamber ce qui est romain pour regagner directement la source grecque. Et on le comprend, si vraiment les Romains sont aussi peu intéressants quon le dit Il est un seul domaine de la culture que, de laveu de tous, les Romains ont inventé et légué à la postérité et cest le droit[14]. Le fait est avéré. Il est de grande importance et Rémi Brague ne peut ici quen prendre acte. Mais, une fois lévidence admise, le paradoxe se répète : le droit est justement de qui règle les transactions. Permettant la circulation des richesses, il libère le temps qui aurait été requis pour les produire chacun de son côté, et permet de laffecter à la création de biens nouveaux. Le Romain, de ce point de vue, ne peut apparaître que comme ayant réussi ce paradoxe dêtre à la fois décadent et primitif. Tout ce que les juges les plus sévères concèdent à la romanité, cest davoir diffusé les richesses de lhellénisme et de les avoir fait parvenir jusquà nous. Ce peu de chose que lon accorde à Rome, cest peut-être tout Rome. La structure de transmission dun contenu qui nest pas le sien propre, voilà justement le véritable contenu. Les Romains nont fait que transmettre, mais ce nest pas rien. Ils nont rien apporté de nouveau par rapport aux deux peuples créateurs, le grec et lhébraïque. Mais cette nouveauté, ils lont apportée. Ils ont apporté la nouveauté même. Ils ont apporté ce qui était pour eux de lancien comme nouveau.
Lexpérience romaine
Or, Rémi Brague soutient quune telle façon dapporter nest pas purement accidentelle et contingente, due aux hasards de lhistoire. Elle est selon lui le centre de lhistoire romaine.
Lexpérience romaine est dabord une expérience de lespace Le monde y est vu du point de vue du sujet qui, tendu vers lavant, oublie ce qui est derrière lui. Cette façon de voir se reflète dans la découverte de la réalité supposée par la langue. Ainsi le même mot (altus) signifie aussi bien « haut » que « profond » : ce que la langue a retenu est non pas la situation dans un espace objectivement orienté mais la distance par rapport au locuteur. Ce que nous appelons un carrefour, alors que nous le surplombons nous voyons quatre directions (quatre routes), le latin quant à lui, [se situant sur lune de ces routes] le voit comme un trivium (trois routes). On a pu soutenir que la même façon de voir se faisait jour dans lart : alors que le temple grec est fait pour que lon tourne autour, le temple romain est une ouverture adossée à un dos impénétrable. Alors que la statue grecque est faite pour quon la regarde sous tous les angles parce quelle est installée au repos, la statue romaine est en marche[15].
Reconstitution du temple romain de la Concorde
Lexpérience romaine traduit la même avancée dans le registre du temps Elle a le même arrachement par rapport à une origine. Hegel la bien vu, en y voyant même un trait dévalorisant : « Dès le départ, Rome fut quelque chose dartificiel, de violent, rien doriginel[16] ». Or, cette situation est très explicitement assumée. À la différence des Grecs qui mettent leur point dhonneur à ne rien devoir à personne, à ne pas avoir eu de maîtres, les Romains avouent volontiers ce quils doivent aux autres. À la différence des Grecs qui revendiquent avec fierté une autochtonie évidemment légendaire, les Romains rattachent leur origine à une non-autochtonie, à une fondation, à une transplantation dans un sol nouveau.
IV/ ÉCRIRE LHISTOIRE AUTREMENT
Les philosophes de lhistoire, comme Rémi Brague vient de nous le montrer, nous invitent à considérer lhistoire dun point de vue global exceptionnellement élevé, le seul doù ses lignes de force apparaissent en toute clarté. Deux auteurs récemment rencontrés ont choisi cette démarche, Arnold Toynbee au siècle dernier et tout récemment Louis Manaranche.
A/ Dans « LA GRANDE AVENTURE DE LHUMANITÉ », maître livre du grand historien anglais ARNOLD TOYNBEE, membre étranger associé de notre Institut jusquen 1975, il a été procédé à partir de « loccident chrétien » pour en arriver à la France. Quon en juge par quelques éléments de sa préface :
« Entre 1837 et 1897, lOccident avait achevé détendre sa suprématie sur le reste du monde. Au terme de cette période, le monde semblait sêtre placé sous ladministration occidentale. Apparemment, lhistoire avait atteint son dénouement avec lunification politique de lItalie et de lAllemagne en 1871 Ainsi pouvait-on penser, juste avant les deux Grandes guerres mondiales, que lhistoire était constituée de toute une série dévènements particuliers du passé qui ont conduit à la suprématie de lOccident. Mais cette occidentalisation du monde était alors récente et les pays occidentalisés occupaient une position périphérique . Les Israélites et leurs héritiers les Juifs avaient indéniablement participé à lhistoire, et ce fut vrai au moins jusquen 70 de notre ère (date de la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains) , car leur histoire était le prélude de lhistoire du christianisme catholique romain et protestant, et celui-ci était devenu la religion de lOccident. La participation des Grecs de lépoque classique à lhistoire était également indéniable La voie qui menait du judaïsme et de lhellénisme au monde occidental semblait facile à retracer. Les Juifs et les Grecs avaient été incorporés à lEmpire romain celui-ci étant la matrice politique du christianisme. »
B/ Dans « RETROUVER LHISTOIRE », la démarche récente de LOUIS MANARANCHE[17] sapparente à celle de Toynbee dans la mesure où il traite certains contenants avant leur contenu. Ici, trois chapitres sont consacrés aux contenants (Europe, mondialisation) préalablement à l incarnation de la France: Difficile identité européenne. La France et lEurope face à la mondialisation. Agir dans lhistoire de la globalisation.
EUROPE
(53) Après avoir spontanément répondu que cest avant tout une entité géographique, on tente dexplorer la piste des racines : lEurope, cest larbre qui a poussé sur les semences dAthènes, de Rome, de Jérusalem, de la chrétienté médiévale, des grandes découvertes, de la philosophie des Lumières, des révolutions industrielles et du rejet des totalitarismes. Il est certain que cette analyse de Paul Valéry (qui remonte à une conférence faite à Zurich en 1922) était dune profonde justesse, mais nul ne prétend que le résultat de cette rencontre dinfluences soit a priori homogène. (54) Comment la caractériser, sans doute par ce qui en fait la fragilité. Deux idées phares doivent retenir notre attention : 1) lÉtat-nation et un certain rapport à la culture. Cest en Europe qua émergé ce que Rémi Brague a appelé un certain rapport à la « secondarité culturelle ». 2) LEurope a reçu sa culture philosophique et sa foi religieuse de contrées éloignées, linvitant ainsi à lhumilité. Platon et Aristote sont des Grecs quon adopte comme tels, dans une langue dont même lalphabet est étranger à la masse des Européens ; on chante depuis des siècles dans les églises, de la Pologne à la Bretagne, la petite colline de Sion, baignée du soleil de Judée. A une échelle moindre, lhistoire des Gaules elle-même nest connue que par le témoignage des ennemis romains dont la victoire a été si profonde. (55) LEurope entretient à légard de la culture un rapport fait de quêtes progressives, dapports et de renaissances. Cela permet dapprofondir la notion de culture : une manière de dire le mystère de lhomme. Ni une idéologie qui aurait un dessein sur lhomme, ni une vision restrictive de celui-ci à la mode de nos jours, qui en ferait un simple acteur économique ou un simple individu libre de fixer ses normes et ses limites, lanthropologie qui sest attachée à dire lhomme. (56) Si lEurope a réussi à constituer une culture propre de ses apports successifs, cest bien parce quelle a précocement établi un socle commun grâce à la philosophie grecque, au droit romain, et à la religion chrétienne. Même exogènes, ces éléments ont constitué pour elle des racines culturelles aux fruits sans nombre. (57) Lautre spécificité qui fragilise lEurope autant quelle la constitue, cest lÉtat-nation. La communauté nationale, façonnée par une langue, par des murs, des coutumes, parfois par une foi commune, a fait valoir le droit dêtre gouvernée de manière autonome, quand bien même la communauté voisine partagerait les trois quarts de ses caractères. De la même manière que le rapport à la culture a entraîné une humilité à légard de la vision de lhomme, cette idée, arrivée à maturation après bien des guerres, a permis une humilité à légard de la politique. Il est désormais vain de tenter de trouver le plus petit commun dénominateur pour faire une grande gouvernance commune qui aurait à terme toute lautorité politique pour elle. LÉtat-nation trouve sa place dans un beau principe qui honore la liberté et lautonomie des personnes et des communautés : la subsidiarité, prônant laction indépendante de chaque échelle selon sa pertinence. Se pose inévitablement la question de la possibilité de tenir ensemble une Union européenne, qui offre de véritables perspectives davenir, et une diversité de nations. (59) En définitive, lEurope ne se laisse jamais saisir aussi bien que dans lévaluation de ce quelle est pour les nations et pour le monde. Elle est, entre le particularisme des premières et la globalité vertigineuse du second, une ouverture à luniversel, à condition quelle se refuse à être le champ dexpérimentation du règne de lindividu et de la gouvernance mais quelle reste une conscience féconde
MONDIALISATION
Dans les enquêtes dopinion, on nest pas sans constater une profonde méfiance envers la mondialisation. Les Français sont le peuple qui, de toute lUnion européenne, sen méfie le plus et y voit une menace pour ses emplois et son mode de vie. Celle-ci est perçue comme une perte de prise sur le destin collectif qui entraîne la destruction de la possibilité même du politique. Aussi rebutante que puisse paraître la mondialisation, elle nen est pas moins, par ses conséquences économiques, sociales, politiques et médiatiques, un élément structurant de la vie quotidienne de chaque Français. Quon le regrette ou quon lexalte, on vit dans un monde globalisé qui a modifié nos territoires, nos environnements et nos mentalités à toutes les échelles. La série américaine en vogue du moment, les hamburgers, nems ou sushis que lon commande pour la regarder. (70) Les vacances que lon projette en Tunisie ou à Bali en sont des marqueurs, de même que linfluence des flux migratoires, lintensité des échanges financiers reliant nos métropoles à celles du monde entier ou encore léclatement international des sites industriels de production. Sans doute, les Français sont aujourdhui mis en contact permanent avec la globalisation, dune manière sans doute inédite par sa rapidité, sa profondeur et sa généralisation par rapport aux mutations antérieures à notre histoire. (71) Cest dautant plus vrai pour les générations nées dans cet univers déjà globalisé, aux attaches familiales, sociales, religieuses ou politiques fragilisées par lindividualisme, mais à laptitude aigüe à ladaptation aux nouvelles technologies, à linternationalisation des parcours universitaires ou professionnels, au décloisonnement général des perspectives individuelles. (75) Nouvel ensemble reconnu comme nécessaire dans une globalisation multipolaire, lUnion européenne est devenue larchétype de la sortie du politique, si lon considère celui-ci comme un projet collectif informant un territoire délimité et associant ses populations. Pour lhistorien du Collège des Bernardins, Antoine Arjakowsky, la réponse à cette dilution de lEurope ne peut être que la redécouverte du personnalisme (se reporter à Emmanuel Mounier) « pour faire face à la crise actuelle tant du socialisme que du libéralisme ». (78) Il serait faux de prétendre quil ny a pas de gagnants et de perdants dans ce processus de mondialisation, ou que les anciens rapports de domination ont été balayés dun revers de main. Le décloisonnement a favorisé une prospérité économique évidente dans lancien tiers-monde où des inégalités criantes demeurent, mais où lon a éradiqué une majeure partie de lextrême pauvreté. Les avancées de la santé, de lhygiène, de la prophylaxie sont aussi des fruits de la mondialisation, grâce notamment à lOMS. Sans tomber dans limage irénique dun monde « plat », les potentialités en terme de communication quentraînent des effectifs aussi vertigineux quun milliard de personnes inscrites sur Facebook ou 700 millions de comptes sur Twitter, pour sen tenir aux réseaux sociaux, sont incomparables, par leur échelle avec celles générées par les mondialisations antérieures. (79) Des analystes nont dailleurs pas manqué de montrer le rôle des réseaux sociaux dans les Printemps arabes. La mondialisation a ses symboles mais elle a aussi ses lieux, moins souvent étudiés. Cest le cas, en particulier de la métropole. (81) De même que la démocratie sans finalité ni anthropologie devient une caricature delle-même, la mondialisation nengendre pas le bien par essence, sans être habitée. Benoît XVI lexprime très clairement dans lencyclique Caritas in Veritate : « Si on regarde la mondialisation de façon déterministe, les critères pour lévaluer et lorienter se perdent. [ ] Il faut donc travailler sans cesse afin de favoriser une orientation culturelle personnaliste et communautaire, ouverte à la transcendance, du processus dintégration planétaitre. » Pour que la mondialisation soit habitée justement, il convient quà partir dune juste compréhension de ce que signifie la « famille humaine » des processus de philia, cest-à-dire damitié civique constitutive du lien social, se mettent à luvre. Cest à partir de ces sentiments quà léchelle nationale les structures dentraide et de solidarité se sont développées. Avec inventivité doivent se mettre en place des processus similaires à léchelle mondiale, cela passe avant tout par la libre initiative des personnes et dautres types de communautés comme les ONG, les Églises, les entreprises (82) À léchelle personnelle, la conscience, désormais assez commune, dêtre membre dune authentique famille humaine, doit se transformer en actes qui touchent aussi bien la finance que la consommation ou la charité. Cela nécessite un véritable changement de paradigme, notamment dans les manières de consommer. Le temps où signer un chèque annuel à une ONG suffisait pour croire que lon était partie prenante de la solidarité mondiale est révolu. Linterdépendance des structures économiques et marchandes doit amener à penser et à peser chaque acte économique dans une chaîne globale de causes et de conséquences. De même une révolution des mentalités similaires doit se faire du côté des acteurs politiques élus et électeurs pour que le bien particulier des nations et des communautés de nations comme lUnion européenne soit pensé de manière coordonnée au bien de la famille humaine. (83) Ce nest quune fois cette pédagogie réellement mise en pratique que lon pourra songer sérieusement à des instances de régulation et de gouvernement fondées sur la subsidiarité. En nhonorant pas les communautés intermédiaires que sont, à cette échelle les nations, une telle autorité serait dénuée de sens car déconnectée du lieu réel du politique. Caritas in Veritate offre encore un éclairage précieux : « La mondialisation réclame certainement une autorité, puisquest en jeu le problème du bien commun quil faut poursuivre ensemble ; cependant cette autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique pour, dune part ne pas porter atteinte à la liberté et, dautre part, être concrètement efficace. » Enfin, un regard sur la mondialisation ne saurait se dispenser de prendre en considération les flux migratoires.
[1] Lune dans une diaspora israélite forte de 470 000 sujets (53% de la diaspora européenne), lautre au sein dune population reconnue comme catholique de 39,6 millions dhabitants (61% de la population nationale). Pour mémoire aux Etats-Unis, la population israélite comporte 5 300 000 sujets. [2] Né à Rennes où réside son père, militaire de carrière et juif dorigine alsacienne. Puis, il perd à treize ans ses deux parents. À lâge de vingt ans, il rencontre Charles Péguy avec lequel il crée les Cahiers de la Quinzaine, et s'engage conjointement dans le camp dreyfusard. À vingt cinq ans, il est reçu à l'agrégation d'histoire, [3] Une troisième personnalité aurait ici sa place, il sagit du Cardinal Lustiger de naissance juive, et par ailleurs membre de lAcadémie française. [4] L'Enracinement (1943), Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain, 1ère éd. (due à Albert Camus) Paris, Gallimard, coll. « Espoir », 1949, 381 p. ; rééd. Gallimard, coll. "Folio essais", 1990, 384 p. [5] Professeur dhistoire contemporaine à lUniversité de Cergy-Pontoise, chaire Jean Monnet. [6] « Matériaux pour lhistoire de notre temps », Année 2005, volume 78, n°78, pp. 69-82. [7] Europe, la voie romaine, Gallimard, Folio/essais, janvier 2013, pp.23-41. uvre traduite en catalan, allemand, italien, hongrois, espagnol, russe et turque. [8] a) La première se fait selon un axe Nord/Sud. Elle divise un Ouest et un Est, en gros le bassin méditerranéen dune part (« Occident ») et, dautre part, le reste du monde (« Orient »). Elle commence à sopérer lorsque la Grèce conquiert sa liberté par rapport à lEmpire perse, au moment des guerres médiques. b) Vient ensuite une seconde division, selon un axe est/ouest. Elle sopère à lintérieur du bassin méditerranéen quelle sépare en deux moitiés à peu près égales : il sagit de la division nord/sud consécutive à la conquête musulmane de lest et du sud de la Méditerranée au VIIe siècle. Les frontières entre ces deux domaines nont guère bougé depuis cette époque jusquà aujourdhui. c) On assiste alors à une troisième division. Elle sopère à lintérieur de la Chrétienté, selon un axe nord/sud. Cest le schisme entre Latins et Byzantins survenu au niveau religieux peut-être dès le Xe siècle, en tout cas en 1054, et politiquement consommé en 1204 avec la prise de Constantinople par les soldats de la IVe croisade. Il inaugure une tension qui ira croissant entre un Ouest catholique et un Est orthodoxe. Cette division sopère à lintérieur du monde resté romain et chrétien. d) Enfin, une dernière division sopère selon un axe est/ouest. Elle est consécutive à la Réformation. Rémi Brague préfère ce terme qui permet de singulariser les évènements qui ont suivi lan 1517, par rapport aux multiples réformes de lhistoire de lÉglise, y compris la réforme catholique liée au Concile de Trente et effectuée en réponse à la Réformation. Cette dernière division sopéra à lintérieur de la Chrétienté dOccident. Comme celle-ci coïncide avec lEurope, elle nen remit pas en cause lexistence. Avec la Chrétienté, cest aussi lEurope qui se trouva divisée. De la sorte, le monde réformé est tout aussi décidément européen que le monde catholique, évidence que Rémi Brague souligne ici pour éviter des malentendus sur ladjectif « romain », auquel il donnera plus tard un sens précis. [9] Revendiquée par Byzance, en tant que continuité de lempire romain dOrient, et « seconde Rome », puis par Moscou, qui a prétendu elle aussi au titre de « troisième Rome » ; elle la même été par lEmpire ottoman, le sultan dIstanbul revendiquant avec le titre de « sultan de Rome », la succession des empereurs vaincus de Constantinople., [10] Romains, I. 16 ; 3, 9 ; I Corinthiens I, 24 ; 10, 32. [11] L. Strauss, « Jerusalem and Athens, Some Preliminary Reflections (1967), dans Studies in Platonic Philosophy, Chicago University Press, 1983, p. 147-173. [12] P. Valéry, « La crise de lesprit », uvres, Pleïade, t. 1, p. 1087 sq.,cité p. 1013. [13] H. Graetz, Geschischte der Jüden , introduction, t.1, Leipzig 1874, p. xx. [14] Parmi une bibliographie sans limites : Ph. Cormier, Généalogie de personne, Critérion, Paris, 1994, chap. in notamment p. 107. [15] H. Kähler, « Traits essentiels de lart romain », dans Rome et son empire, Albin Michel, Paris, 1963, p. 5-31. [16] Hegel, Philosophie der Geschichte, SW, t. 11, p. 366, Glockner. [17] LOUIS MANARANCHE, agrégé dhistoire enseignant à lUniversité Paris IV est également linitiateur du collectif « fonderdemain.com » ; cest essentiellement un laboratoire didées indépendant de tout parti politique, qui souhaite, avec sa charte pour boussole, proposer une réflexion de fond sur les mutations et blocages de notre société. Fonder Demain accueille tous ceux qui se reconnaissent dans son projet et sont prêts à y sacrifier du temps et de lénergie.
Date de création : 23/08/2015 @ 09:35 Réactions à cet article
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