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Edification morale par les fables - Philosophie et morale





PHILOSOPHIE ET MORALE
 
Selon le professeur de Lettres CLAUDE DREYFUS qui a produit ce texte en tête du «  Second recueil » (LA FONTAINE fables choisies, Nouveaux classiques Larousse), on a souvent parlé de la tentation philosophique et scientifique de La Fontaine :
 
La Nature ordonna ces choses sagement : J'en dirai quelque jour les raisons amplement.
(Un animal dans la lune, livre VII, fable XVIII, vers 13-14.)
 
Il n'a pas tenu ses promesses, mais il eût pu être notre Lucrèce, car la réflexion philosophique se situe désormais au centre de ses préoccupations. Un animal dans la lune (livre VII, fable XVIII) pose le problème de la connaissance sensible et de sa valeur. D'autre part, ce poète dont la sympathie est toujours allée aux bêtes ne peut admettre la théorie cartésienne des animaux-machines,qui établit entre l'animal et l'être humain une différence essentielle : d'un côté, simple comportement; de l'autre, âme et intelligence. Pour la sensibilité de La Fontaine, mais aussi pour son expérience, les choses ne vont pas ainsi : la bête, elle aussi, donne des preuves d'intelligence; elle aussi a une âme, inférieure sans doute, mais qui participe à l'esprit.
Car il faut
 
Que l'homme, la souris, le ver, enfin chacun Aille puiser son âme en un trésor commun.
(La Souris métamorphosée en fille, livre IX, fable VII, vers 65-66.)
 
Non que La Fontaine érige en système ces idées qui s'accordent avec le gassendisme et qu'il tient peut-être de Bernier (mais là encore, avait-il besoin d'un guide ?). En effet, si la fable les Souris et le Chat-Huant (livre XI, fable IX) prête à l'animal la faculté de raisonner et une logique que bien des hommes pourraient lui envier, La Souris métamorphosée en fille (livre IX, fable VII) émet l'idée qu'il n'existe aucune parenté entre les espèces, entre l'animal et l'homme par conséquent, chaque espèce obéissant à son destin,
 
C'est-à-dire, à la loi par le Ciel établie (vers 78).
 
Dans le Discours à M. le Duc de La Rochefoucauld (livre X, fable XIV), La Fontaine va plus loin encore. Le chasseur a observé les lapins, mesuré leur étourderie et leur légèreté d'esprit. Mais n'est-ce pas pour dénoncer la légèreté et l'inconstance de l'homme ?
 
Je me suis dit souvent, voyant de quelle sorte
L'homme agit, et qu'il se comporte En mille occasions comme les animaux : « Le roi de ces gens-là n'a pas moins de défauts Que ses sujets... » (vers 1-5).
 
N'en a-t-il pas dit davantage encore? C'est ce que veut prouver l'Homme et la Couleuvre (livre X, fable I), où La Fontaine dénonce avec force l'ingratitude et l'égoïsme de l'homme. La satire s'est faite impi­toyable. Avec plus de vigueur que jamais, le poète étale l'orgueil du souverain et sa cruauté gratuite. Il n'hésite pas dans les Obsèques de la Lionne (livre VIII, fable XIV) à interrompre le récit et à inter­venir personnellement pour donner de la Cour une définition qui laisse éclater le mépris et l'horreur que lui inspirent les singeries d'un « peuple caméléon » (vers 21).
Ingratitude, égoïsme, calculs fondés sur le seul intérêt, hypocrisies en tous genres, bêtise,
 
Imprudence, babil et sotte vanité, et vaine curiosité,
(La Tortue et les Deux Canards, livre X, fable II, vers 33-34.)
 
tel est le tableau, plus sombre encore que celui du premier recueil. Toute indulgence a disparu, mais cette amertume et ce pessimisme qui paraissent avoir grandi avec l'âge sont heureusement compen­sés par un épicurisme souriant et confiant dans la vie. Art d'être heureux dans la médiocrité, loin des soucis que cause la richesse, dans une simplicité qui préserve candeur et pureté et reste à l'abri de l'envie et du mensonge, art d'être heureux qui dit les plaisirs du songe, du sommeil et de la solitude :
 
Solitude où je trouve une douceur secrète... (Le Songe d'un habitant du Mogol, livre XI, fable IV, vers 22.)
 
Art d'être heureux qui sait le prix de la vie, qui voit non sans regret approcher la mort, mais qui est fait aussi de l'acceptation d'un destin inévitable. Y a-t-il sagesse plus profonde et plus émouvante que celle qui est exprimée dans la Mort et le Mourant (livre VIII, fable 1)? Tout cela fait irrésistiblement penser à Montaigne. Sagesse un peu étroite, a-t-on dit; mais La Fontaine, comme Montaigne, n'est pas un égoïste. Il sait le prix de l'amitié, d'une amitié si délicate, et si parfaite qu'on n'en trouve peut-être d'exemple qu'au Mono-motapa : pourtant c'est lui – et il ne vit certes pas au Monomo-tapa – qui conçoit le bonheur d'une telle amitié et s'écrie avec ferveur :
 
Qu'un ami véritable est une douce chose!
(Les Deux Amis, livre VIII, fable XI, vers 26.)
 
Quelle leçon enfin donne le vieillard de la fable le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes (livre XI, fable VIII) : loin de s'enfermer dans l'égoïsme d'une vieillesse impitoyable, ce sage tire satisfaction du travail qu'il accomplit pour les générations à venir. Y a-t-il plus bel exemple de solidarité humaine? Ainsi sans qu'il y paraisse, La Fontaine nous propose toute une méditation sur l'homme.
 
Répugnant au didactisme le poète réussira ce tour de force de faire du Discours à Madame de la Sablière (livre IX, fable XXI) l’exposé clair et accessible de problèmes philosophiques, tout en lui donnant la forme d’un entretien, d’un dialogue qui respire le naturel. Le fabuliste ne disparaît pas pour autant, qui respire ses raisonnements sur de véritables apologues dont les héros restent des animaux. Le Discours apparaît évidemment comme un cas singulier, mais il montre à l'évidence toutes les virtualités dont sont pleines les fables du second recueil.
 
 
JUGEMENTS
 
CONTEMPORAINS DES FABLES DE LA FONTAINE [1668]
 
A/ Furetière, qui n’était pas encore l’ennemi du fabuliste, en fait l’éloge dans la Préface de ses propres fables (1671) :
 
Il n’y a personne qui ait fait tant d’honneur aux fables ésopiques que M. de La Fontaine par la nouvelle et excellente traduction qu’il en a faite, dont le style naïf et marotique est tout à fait inimitable et ajoute de grandes beautés aux originaux […] . Encore y en a-r-il beaucoup qui languiraient, s’il n’en avait relevé le sujet par la beauté de son style et ses heureuses expressions.   
 
B/ À Mme de Grignan qui lui paraît manquer d’enthousiasme, sa mère, Mme de Sévigné lui répond :
 
Si je vous avais lu les Fables de La Fontaine, je vous réponds que vous les trouveriez jolies. Je n’y trouve point ce que vous appelez forcé.
Lettre à Mme de Grignan (7 juin 1671)
 
XVIIIe SIÈCLE
 
A/ Vauvenargues le propose en exemple aux écrivains trop amateurs de recherches :
 
Il serait superflu de s'arrêter à louer l'harmonie variée et légère de ses vers, la grâce, le tour, l'élégance, les charmes naïfs de son style et de son badinage. Je remarquerai seulement que le bon sens et la simplicité sont les caractères dominants de ses écrits. Il est bon d'opposer un tel exemple à ceux qui cherchent la grâce et le brillant hors de la raison et de la nature. La simplicité de La Fon­taine donne de la grâce à son bon sens et son bon sens rend sa simplicité piquante : de sorte que le brillant de ses ouvrages naît peut-être essentiellement de ces deux sources réunies.
Vauvenargues, Réflexions critiques sur quelques poètes (1746).
 
Mais simplicité et naïveté n'excluent pas la profondeur de la pensée et le travail de la forme. Qui mieux que les auteurs de ce siècle philoso­phique pouvait le sentir? D'Alembert admire La Fontaine, tout en lui refusant, comme Rousseau le fit dans son Émile (1762), le pouvoir d'intéresser les enfants :
La Fontaine, qu'on regarde assez mal à propos comme (le poète des enfants, qui ne l'entendent guère, est, à bien plus juste titre, le poète chéri des vieillards. L'esprit exige que le poète lui plaise toujours et il veut cependant des repos : c'est ce qu'il trouve dans La Fontaine, dont la négligence même a ses charmes, et d'autant plus grands que son sujet la demandait.
D'Alembert, Réflexions sur la poésie (1753).
 
B/ Voltaire se montre très réservé sur le style et le langage :
 
La Fontaine, bien moins châtié dans son style [que les grands écrivains du XVIIe siècle] bien moins correct dans son langage, mais unique dans sa naïveté et dans les grâces qui lui sont propres, se mot, par les choses les plus simples, presque à côté de ces hommes sublimes.  
                                                                          Voltaire,
Le siècle de Louis XIV (chap. XXXII) [1751].
  
C/ C'est Chamfort qui, le premier, met vraiment en lumière la résonance profonde des Fables :
 
Une source de beautés bien supérieures, c'est cet art de savoir, en paraissant vous occuper de bagatelles, vous placer d'un mot dans un grand ordre de choses. Quand le loup, par exemple, accu­sant auprès du lion malade, l'indifférence du renard sur une santé si précieuse,
 
Daube, au coucher du roi, son camarade absent,
 
suis-je dans l'antre du lion? Suis-je à la cour? Combien de fois l'auteur ne fait-il pas naître du fond de ses sujets si frivoles en appa­rence, des détails qui se lient comme d'eux-mêmes aux objets les plus importants de la morale et aux plus grands intérêts de la société? [...] Voilà sans doute un de ses secrets; voilà ce qui rend sa lecture si attachante, même pour les esprits les plus élevés : c'est qu'à propos du dernier insecte, il se trouve plus naturellement qu'on ne croit près d'une grande idée et qu'en effet il touche au sublime en parlant de la fourmi [...].
Si ses lecteurs, séduits par la facilité de ses vers, refusent d'y reconnaître les soins d'un art attentif, c'est précisément ce qu'il a désiré. Nier son travail, c'est lui en assurer la plus belle récompense. O La Fontaine! Ta gloire en est plus grande; le triomphe de l'art est d'être ainsi méconnu.
Chamfort, Éloge de La Fontaine (1774).
 
 
XIXe SIÈCLE
 
A/ Tandis que Marmontel parle de son art de dissimiler l’art, ce siècle, sensible à l’art de la forme, admire le travail des Fables. Chateaubriand prétend même       « découvrir » La Fontaine :
 
La Fontaine et Molière sont mes dieux. Les fables de Jean sont de deux espèces : les unes offrent la comédie de mœurs des ani­maux. Le Lion, l'Ours, le Loup, le Renard, l'Ane, le Cheval, le Chat, le Coq, le Hibou, le Rat, etc., sont des personnages vivants peints d'après nature et peints bien autrement que par des natura­listes. Les autres fables sont ce que j'appelle les grandes fables; dans le Chêne et le Roseau, dans l'Homme et la Couleuvre, dans le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes, il s'élève à la plus haute poésie et rivalise avec les plus grands poètes anciens et modernes. Je ne puis finir quand je parle de Jean. Sa réputation, certes, est immense et populaire; eh bien! je soutiens qu'on ne le connaît pas encore et que peu d'hommes savent ce qu'il vaut.
Chateaubriand, Lettre à M. Feuillet de Conches (29 septembre 1836).
 
B/En1840, LaMennaisvoit en lui l'expression la plus parfaite du génie français :
 
La France, à cette époque, produisit un poète auquel les autres nations, soit anciennes, soit modernes, n'en ont aucun à comparer; nous parlons de La Fontaine, cette fleur des Gaules qui, dans l'ar­rière-saison, semble avoir recueilli tous les parfums du sol natal. Ailleurs, il eût langui sans se développer jamais. Il lui fallait pour s'épanouir l'air et le soleil de la terre féconde où naquirent Joinville, Marot et Rabelais. Par la correction, par la pureté de la forme il appartient au siècle poli dont il reçut l'influence directe; par l'es­prit, la pensée, il procède des siècles antérieurs, et en cela Molière se rapproche de lui.
La Mennais, Esquisse d'une philosophie (IX, II) [1840].
 
C/ Et D. Nisard semble répondre à Voltaire en s'extasiant sur la richesse linguistique des Fables :
 
Par sa langue, La Fontaine est le plus français de nos poètes. On pourrait extraire de ses ouvrages, du milieu de la langue nou­velle où il les reçoit, des échantillons des meilleurs tours de la vieille langue; le neuf et le vieux, tout y paraît du même temps. La Fontaine est doublement créateur; il sent dans la vieille langue tout ce qui vit encore, et il le remet au jour; et, pour la langue nouvelle, aucun poète n'y est plus hardi.
Désiré Nisard, Histoire de la littérature française (t. III, chap. X) [1844].
 
D/ Dans la dernière moitié de ce siècle, à la recherche de la personnalité profonde de l'auteur, chacun, inter­prète à sa façon les données de l'œuvre.
 
         Pour certains, contrairement à l'opinion établie, La Fontaine n'avait pas d'intentions satiriques :
 
La Fontaine fut, de tous les hommes de son temps, le moins enclin à tout attentat, même indirect, contre la majesté royale. Incapable de cet orgueil qui se repaît de sa propre audace, et de ce courage qui n'est que la peur d'un danger créé à plaisir, il ne songeait qu'à exprimer l'utile et l'agréable, sans aucun retour sur lui-même, et sans aucune application directe. Le fablier se couvrit de ses fleurs, exhala ses parfums et porta ses fruits, sans blesser jamais d'aucune épine les mains qui s'empressaient à les cueillir.
Joubert, Pensées (1877).
 
         Pour d'autres, sa morale est une petite sagesse, au jour le jour :
 
Dans la morale de La Fontaine, l'élément vraiment moral, le sentiment du devoir est précisément ce qui fait défaut. Les fables qui composent la majeure partie de son recueil, et où l'intention satirique est moins prononcée, offrent des directions pour la conduite de la vie; mais ce n'est pas la vertu, c'est la prudence qu'elles enseignent.
                        Alexandre Vinet, Poètes du siècle de Louis XIV (1861).
 
– Cependant Taine, dans sa célèbre thèse, prête aux Fables un caractère
   universel :
 
C'est La Fontaine qui est notre Homère. Car d'abord il est uni­versel comme Homère : hommes, dieux, animaux, paysages, la nature éternelle et la société du temps, tout est dans son petit livre. Les paysans s'y trouvent, et à côté d'eux les rois, les villageoises auprès des grandes dames, chacun dans sa condition, avec ses sentiments et son langage, sans qu'aucun des détails de la vie humaine, trivial ou sublime, en soit écarté pour réduire le récit à quelque ton uniforme ou soutenu. Et, néanmoins, ce récit est idéal comme celui d'Homère. Les personnages y sont généraux; dans les circonstances particulières et personnelles, on aperçoit les diverses conditions et les passions maîtresses de la vie humaine, le roi, le noble, le pauvre, l'ambitieux, l'amoureux, l'avare, pro­menés à travers les grands événements, la mort, la captivité, la ruine; nulle part on ne tombe dans la platitude du roman réaliste et bourgeois. Mais aussi nulle part on n'est resserré dans les conve­nances de la littérature noble; le ton est naturel ainsi que dans Homère.
         Hippolyte Taine, La Fontaine et ses fables (chap. III) [1853].
 
XXeSIÈCLE
 
Les auteurs du XXesiècle renient quelquefois les jugements portés par leurs prédécesseurs.
 
A/ Si le XVIIe siècle croyait à la facilité d'écriture des Fables, Paul Valéry fait justice de cette légende :
 
Prenons garde que la nonchalance ici est savante, la mollesse étudiée; la facilité, le comble de l'art. Quant à la naïveté, elle est nécessairement hors de cause : l'art et la pureté si soutenus excluent à mon regard toute paresse et toute bonhomie [...]. Même un fabu­liste est loin de ressembler à ce distrait que nous formions distraite­ment naguère. Phèdre est tout élégances ; le La Fontaine des fables est plein d'artifices.
                                Paul Valéry, Au sujet d'Adonis (Variété) [1924].
 
B/ Gide, très classique, se délecte de la culture de La Fontaine, et lui décerne un éloge sans réserve :
 
Je reprends, avec délices, depuis la fable I, toutes les fables de La Fontaine. Je ne vois pas trop de quelle qualité l'on pourrait dire qu'il ne fasse preuve. Celui qui sait bien voir peut y trouver trace de tout; mais il faut un œil averti, tant la touche souvent est légère. C'est un miracle de culture. Sage comme Montaigne; sen­sible comme Mozart.
[...] Achevé la relecture complète des Fables de La Fontaine. Aucune littérature a-t-elle jamais offert rien de plus exquis, de plus sage, de plus parfait.
André Gide, Voyage au Congo [1927].
 
 
LE CORPUS MORAL À L’AUNE DE LA CRITIQUE
 
Les Fables de La Fontaine avaient été très vite adoptées comme textes scolaires, sans qu’on mette en doute leur valeur pédagogique et morale. C’est seulement vers le milieu du XVIIIe siècle qu’on a commencée à se poser la question à la suite de la critique de d’Alembert [« on regarde La Fontaine comme le poète des enfants qui ne l’entendent guère »] et de celle de Rousseau pour qui [«  l’instruction qu’on en veut tirer force d’y faire des idées que l’enfant ne peut saisir, et que le tour même de la poésie, en les lui rendant plus faciles à retenir, les lui rend plus difficiles à concevoir »].
Ces critiques, malgré les problèmes qu’elles posaient n’ont cependant pas réussi à écarter les Fables des programmes scolaires. Lamartine sera l’un des rares écrivains à reprendre à son compte les mêmes reproches que Rousseau : « leur immoralité choque la sensibilité d’un cœur à la recherche d’un ‘bien idéal’ ». Dans sa Préface des Premières Méditations (éditions de 1849), il a d’ailleurs développé ses critiques les plus sévères en entendant ces Fables ‘au premier degré’:
– Ces histoires d’animaux qui parlent, qui se font des leçons, qui se moquent les uns des autres, qui sont égoïstes, railleurs, avares, sans pitié, sans amitié, plus méchants que nous , me soulevaient le cœur . Les Fables de La Fontaine sont plutôt la philosophie dure, froide et égoïste du vieillard, que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d’un enfant. –
Il y a joint les griefs d’un poète qui a de l’harmonie une conception opposée à celle du fabuliste :
 – On me faisait bien apprendre par cœur quelques fables de La Fontaine ; mais ces vers boiteux, disloqués, inégaux, sans symétrie ni dans l’oreille, ni sur la page, me rebutaient –.
Quant à Alexandre Vinet, en 1861, dans ses Poètes du siècle de Louis XIV, il a souligné, avec plus de pertinence, que les Fables « offrent des directions pour la conduite de la vie ; mais ce n’est pas la vertu, c’est la prudence qu’elles enseignent ».  
 
En fait précise CLAUDE DREYFUS :
– Il n’était sans doute pas dans l’intention de La Fontaine de prêcher une morale, et on pourrait même découvrir certaines contradictions d’une fable à l’autre, si l’on voulait y chercher des préceptes. Ce que n’ont pas vu Rousseau et ses imitateurs, c’est que les enfants découvrent dans La Fontaine beaucoup plus un univers poétique, qui sourit à leur imagination, qu’un code moral.
En définitive, pourquoi La Fontaine, dont l’art est si subtil, est-il cependant si populaire, si accessible à toutes les générations depuis trois siècles ? C’est au XIXe siècle que naît cette idée que La Fontaine est un génie ‘bien français’, et que son prestige est lié à des formes d’esprit profondément enracinées dans la nation. Et on l’associe souvent à Molière. Cette idée se précise à mesure qu’on avance dans le siècle. Stendhal, dans son Journal (10 mai 1804), a noté son admiration :
« Je suis étonné du talent de La Fontaine pour peindre. La Fontaine et Pascal, voilà les deux hommes qui m’ont inspiré le plus d’amour » –.



Date de création : 29/10/2012 @ 08:58
Dernière modification : 29/10/2012 @ 10:26
Catégorie : Edification morale par les fables
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