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Parcours habermassien - Entre foi et savoir (2)
ENTRE FOI ET SAVOIR (II) LES FILIATIONS MÉTACRITIQUES MENANT DE HEGEL, SCHLEIERMACHER, KIERKEGAARD À AUJOURDHUI A/ HEGEL Hegel critique en Kant lhomme des Lumières qui a conçu la religion selon les critères dun concept abstrait de lentendement, et a fait fi de son contenu essentiel, quil a simplement traité comme positif. Cest là une critique que lon peut cependant encore comprendre comme une radicalisation de lapproche kantienne dans la mesure où elle souhaite elle aussi dépasser lopposition entre foi et savoir en restant dans lhorizon dun savoir élargi par la raison. Hegel conçoit, certes, lhistoire des religions à travers léventail de leurs pratiques rituelles et de leurs mondes des idées, mais cest pour y trouver néanmoins la généalogie dune raison englobante, dont la philosophie est le porte-voix. Il sen tient donc, lui aussi, à la prétention de la pensée philosophique des Lumières de justifier les contenus de vérité de la religion selon les critères de la raison. La philosophie reconnaît ce qui, dans les représentations de la pensée religieuse est raisonnable. Elle sannexe, certes, les idées fondamentales du christianisme et érige en principe de sa propre dialectique le Dieu fait homme mais elle le fait au prix dune double désillusion : dune part, par une rechute dans la métaphysique, dautre part par un mouvement qui conduit la théorie à se retirer de la pratique au prix dune sorte de quiétisme. Cette double désillusion poussa les jeunes hégéliens de gauche à radicaliser la critique kantienne de la religion dans un sens différent et matérialiste. Feuerbach et Marx, en présentant la religion à la fois comme le reflet de conditions de vie dégradées et comme le mécanisme qui empêche que lon se représente cette vie aliénée, ils en donnent une conception sans illusion[1]. Cette appropriation des contenus religieux par lathéisme a connu de vifs prolongements dans le marxisme occidental. On y déchiffre sans peine les thèmes théologiques, que ce soit dans la philosophie de lespérance fondée sur une philosophie de la nature que propose Ernst Bloch, dans leffort de sauvetage, désespéré mais dinspiration messianique, quaccomplit Walter Benjamin, ou encore dans le négativisme âpre que développe Adorno. Certaines de ses approches philosophiques ont dailleurs reçu un écho au sein de la théologie elle-même, comme par exemple chez J. B. Metz ou chez J. Moltmann. De Hegel à Marx et au marxisme hégélien, la philosophie tente donc se sapproprier, sur la trace sémantique laissée par « le peuple de Dieu » de Kant, le contenu permettant une émancipation collective, que porte le message de salut judéo-chrétien. B/ SCHLEIERMACHER A la différence de Hegel, Schleiermacher respecte les bornes frontières placées par Kant à la suite de sa critique de la métaphysique. Certes, il partage la réserve hégélienne à légard dune critique qui ne retrouve jamais dans la religion que la morale. Mais dun point de vue épistémologique, il sen tient à une raison subjective renvoyée à elle-même. Il déplace ainsi la frontière entre foi et savoir au profit dune foi authentique quil situe par-delà la simple raison, en dégageant lidiosyncrasie (réceptivité) et le droit propre du religieux à partir de lhorizon ouvert par les catégories de la philosophie de la conscience. En tant que philosophe, Schleiermacher ne sintéresse pas aux contenus de la foi religieuse fides quae creditur , mais à la question de savoir ce quimplique performativement que lon croit[2] fides qua creditur. Il distingue ainsi une théologie scientifique, qui dégage dogmativement les contenus de la foi, et la piété, qui inspire et soutient la conduite personnelle de vie.
a) Un espace transcendantal propre est ménagé à la foi religieuse Schleiermacher élargit larchitectonique kantienne de la faculté de la raison mais ne la saborde pas ; il ménage à la foi religieuse un espace transcendantal propre, à côté de ceux du savoir, de lintuition morale et de lexpérience esthétique. La religion de la personne croyante, qui prend immédiatement conscience à travers son sentiment de piété, non seulement de sa propre spontanéité, mais encore de sa pure et simple dépendance à autrui, voisine ainsi avec la faculté de la raison telle que nous la connaissons. Schleiermacher montre comment la certitude de soi-même et la conscience de Dieu sont intriquées lune à lautre. Son célèbre argument part de la position intramondaine dun sujet, caractérisé tout à la fois par ses aptitudes à recevoir et à faire par soi-même et par une action réciproque entre ses rapports passif et actif au monde. Pour un sujet fini qui va vers le monde, ni labsolue liberté ni labsolue dépendance ne sont par conséquent pensables. Comme une absolue liberté est inconciliable avec les restrictions que le monde impose à lagir situé, inversement une absolue dépendance ne saccorde pas non plus avec la distance que lon peut prendre intentionnellement vis-à-vis du monde, et sans laquelle nous ne pourrions pas objectiver les états de choses afin de les appréhender ou dagir dur eux. Mais si le sujet se détourne du monde, il est alors saisi, dans la manifestation de sa propre vie consciente, dun sentiment de pure et simple dépendance ; en effet, en même temps que nous nous assurons intuitivement de nous-mêmes, nous prenons conscience de notre dépendance à légard dautrui sans lequel à la différence de ce que nous accueillons du monde et de ce sur quoi nous agissons dans le monde notre vie consciente serait impossible. b) Lexpérience religieuse peut revendiquer sa cooriginarité avec la raison Lanalyse transcendantale du sentiment de piété procure à lexpérience religieuse une base indépendante de la raison théorique comme de la raison pratique à partir de laquelle Schleiermacher développe, par rapport à la religion fondée sur la raison des Lumières, une solution de rechange. Lexpérience religieuse prenant racine dans « la conscience immédiate de soi », elle peut revendiquer sa cooriginarité avec la raison, qui provient de la même racine. En proposant une philosophie transcendantale qui ménage une place à la religiosité, Schleiermacher défend une position qui a lavantage, sur la conception dune religion fondée sur la raison, de pouvoir prendre en compte le pluralisme religieux dans le cadre de la société et de lEtat, sans que la forme positive que sont susceptibles de prendre les traditions religieuses, avec tout cela suppose didiosyncrasie, voie son droit nécessairement amputé, voire contesté. Le fait de dégager lintériorité à partir de la piété conduit en effet à cet autre argument, selon lequel le sentiment de dépendance, qui est universel du point de vue anthropologique, se décline en traditions diverses, dès lors que le sentiment pieux est articulé dune certaine manière, cest-à-dire dès lors quil est élevé au-delà du seuil de lexpression symbolique afin de prendre, dans la communautarisation communicationnelle des croyants, la forme pratique dune foi pratiquée dans une perspective ecclésiale. Lidée philosophique qui se dégage de la cooriginarité de toutes les religions avec la raison permet aux Eglises et aux dogmatiques propres à chacune de trouver une place légitime dans lhabitat différencié quoffrent les sociétés modernes. Sur cette prémisse, elles peuvent, sans limiter leur prétention respective à la vérité vis-à-vis des fidèles dautres religions ou vis-à-vis des non-croyants, pratiquer la tolérance mutuelle, reconnaître lordre séculier de lEtat libéral et respecter lautorité des sciences spécialisées dans le savoir du monde (Weltwissen)[3].
c) Vers la réconciliation de la foi et du savoir La justification philosophique de lexpérience religieuse en général libère, en effet, la théologie des charges probatoires devenues non nécessaires. Les preuves métaphysiques de lexistence de Dieu et toutes les spéculations analogues sont devenues superflues. La théologie peut, en adoptant les meilleures méthodes scientifiques pour dégager son noyau dogmatique, sétablir discrètement au sein des universités comme une discipline pratique parmi dautres. Il reste que le « protestantisme culturel[4] » qui a fleuri à la fin du XIXe et au début du XXe siècle fait apparaître clairement le prix que doit payer cette élégante réconciliation de la religion et de la modernité, de la foi et du savoir. Lintégration sociale de lEglise et la privatisation de la foi dérobent en effet à la référence religieuse, à la transcendance, toute la force explosive quelle peut avoir. Schleiermacher explique pourquoi la religion nest pas un pur et simple passé qui ne pourrait que se bloquer face à la complexité moderne. Il montre comment lEglise, la conscience religieuse et la théologie peuvent saffirmer dans la cadre de la différenciation culturelle et sociale comme des formes contemporaines et même fonctionnellement spécifiées de lesprit. Schleiermacher est le penseur qui fait faire un pas décisif à la conscience dune société postséculière capable de sadapter à la perpétuation de la religion dans un environnement qui continue de se séculariser. Dans le même temps, il réalise, pour ainsi dire, de lintérieur une modernisation de la conscience religieuse, en lui permettant de saccorder avec les conditions indispensables du point de vue normatif du droit postconventionnel, avec le pluralisme des visions du monde et avec le savoir scientifique et institutionnalisé du monde. Mais, dans la mesure où cest avec des moyens philosophiques que Schleiermacher amène religion et modernité à se réconcilier, il soppose néanmoins à une philosophie qui sefforce de détecter dans la foi des éléments du savoir.
d) Dautres auteurs sinscrivent dans la lignée de Schleiermacher Max Weber et Ernst Troeltsch conçoivent, à linstar de Schleiermacher, la religion comme une formation de la conscience qui conserve son autonomie et sa force structurante, même dans les sociétés modernes. Le sens de la tradition religieuse sy dévoile encore, mais cest en partant de preuves empiriques tangibles quon ly recueille. Ainsi les sociétés modernes peuvent-elles tirer profit du sillage de lhistoricisme et en retirer, si elles en passent par une réflexion sur les racines chrétiennes de cette culture individualiste du temps présent, éclairée par le libéralisme, dans lequel elles retrouvent la compréhension quelles ont delles-mêmes, un contenu normatif, hérité de la religion, quil conserve sa force dobligation.
C/ KIERKEGAARD Luvre de Kierkegaard sinscrit en contrepoint de lanalyse apaisante de Schleiermacher de lexistence pieuse, réconciliée avec la modernité. Il partage avec son contemporain Marx la conscience de crises qui agitent cette modernité sans repos. Mais à la différence de celui-ci, ce nest pas en procédant au renversement du rapport entre la théorie et la pratique quil cherche le moyen de sextirper de la pensée spéculative et de la société bourgeoise corrompue, mais dans la production dune réponse existentielle à la question que pose le luthéranisme à propos du Dieu bienveillant, question qui na cessé de lagiter. La conscience radicalisée du péché fait sombrer lautonomie de la raison dans les zones obscures qui entourent la puissance purement hétérogène dun Dieu ne communiquant quavec lui-même, qui nous est inconnaissable, et dont seule lhistoire atteste.Cetteripostenéo-orthodoxeàlacompréhensionanthropocentrique de soi de la modernité constitue un stade important dans lhistoire de la réception de la philosophie kantienne de la religion. Elle renforce en effet létablissement dune frontière entre ola raison et la religion, mais cette fois du côté de la foi en la révélation. Pour ce faire, Kierkegaard retourne lautodélimitation transcendantale de la raison telle que la déduit Kant[5]. Ce nest pas la raison qui trace les frontières censées contenir la religion, cest lexpérience religieuse qui renvoie la raison à ses propres limites. Kierkegaard nignore cependant pas quon ne peut battre la raison quavec ses propres armes. Il lui faut donc convaincre « Socrate », ainsi quil désigne la figure de son adversaire kantien, quune morale postconventionnelle de la conscience (morale) ne peut devenir ce autour de quoi se cristallise une vie conduite en conscience que si elle sinscrit dans une compréhension religieuse de soi. Ainsi Kierkegaard décrit-il, en recourant à des formes de vie pathologiques, les stades symptomatiques dune « maladie à la mort » comme maladie salutaire les formes dun désespoir tout dabord refoulé, puis qui franchit le seuil de la conscience et qui, enfin, impose le renversement dune conscience centrée sur le « je ». Ces diverses formes du désespoir sont autant de manifestations de léchec de la relation existentielle fondamentale, qui pourrait rendre possible un être-soi authentique. Léchec désespéré de cet acte ultime daffirmation de soi du vouloir être-soi sobstinant sur soi-même amène lesprit fini à se transcender lui-même et à reconnaître sa dépendance à légard dun Autrui absolu en qui se fonde sa propre liberté. Cest ce retournement qui marque le tournant, cest-à-dire le moment où est surmontée la compréhension sécularisée qua delle-même la raison moderne : « Dans son rapport à lui-même, en voulant être lui-même, le soi plonge à travers sa propre transcendance dans la puissance qui la posé ». Il ny a que cette conscience qui rende possible un être-soi authentique. La raison, réfléchissant à ce qui la fonde au plus profond, découvre son origine dans un autre quelle-même, dont elle doit reconnaître la puissance quil exerce sur son destin, faute de quoi elle entre dans limpasse dune maîtrise de soi hybride, qui ne peut que lui faire perdre son caractère de raison. Chez Schleiermacher, cette conversion de la raison par la raison est enclenchée à partir de la conscience de soi, du sujet connaissant et agissant ; chez Kierkegaard, à partir de lhistoricité des voies par lesquelles chacun accède existentiellement à la certitude de soi. Dans les deux cas, une raison qui prend conscience de ses limites, se transcende en un autre quelle-même[6]. La différence décisive réside dans le fait que Kierkegaard conçoit la conversion de la raison comme une abdication de la raison face à lautorité du Dieu chrétien communiquant avec lui-même, alors que Schleiermacher sen tient à une visée anthropologique et justifie philosophiquement lexpérience religieuse fondamentale qui némerge que des traditions de foi positives. Karl Barth et Bultmann se réclament de Kierkegaard pour, à contre-courant de la pensée historique, et en opposition à la pression sécularisatrice de la société et à la privatisation de la foi, constamment faire droit, à la fois à lidiosyncrasie normative dont est porteuse la foi de la révélation, et à lexistence spécifique du chrétien à laquelle donne lieu la foi. Ils dégagent du message dont est porteuse la foi chrétienne ce quil y a en lui de non-intégrable, lopposition inconcialiable de la foi et du savoir. Mais cest une confrontation qui se déroule sur la base dune pensée postmétaphysique, préservant la critique de la modernité (ainsi que le montre lattitude de Barth et de Bultmann vis-à-vis du régime nazi) dun antimodernisme réactionnaire. On trouve enfin, qui se rattache elle aussi à lhéritage kierkegaardien, la philosophie de lexistence. Elle le prolonge sur la voie menant à une éthique qui ne distingue plus que formellement le mode historique dune conduite de vie rendue consciente par lautocritique. Karl Jaspers sefforce, en outre, en partant du point de vue séculier propre à ce quil appelle l« éclairement de lexistence », de reconstruire au moyen de la raison la tension radicale qui existe entre la transcendance et lespace intramondain. Il ny parvient cependant quau prix dun nivellement qui confère à la prétention à la validité des énoncés philosophiques le même statut quaux vérités de foi. Il généralise la conception kantienne dune foi médiatisée par la raison élaborée sur mesure pour intégrer les postulats de Dieu et de limmortalité à la philosophie dans son ensemble et démarque par là même la « foi philosophique » du mode de connaissance de la science de sorte quémerge entre les doctrines philosophiques et les traditions philosophiques un air de famille. On demeure de part et dautre dans une concurrence des puissances de foi. Tout au plus revient-il, en ce cas, à la philosophie de spécifier le caractère du conflit, mais sûrement pas de pouvoir le régler au moyen darguments[7]. [1] Karl Marx, Introduction à la critique de la philosophie hégélienne du droit : « Lhomme cest le monde de lhomme, lEtat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce quils sont un monde inversé. La religion est la théorie universelle de ce monde, [ ] son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement universel qui le justifie et nous en console. Elle est la réalisation fantasmatique de lêtre humain, parce que lêtre humain ne possède aucune vraie réalité effective. La lutte contre la religion est ainsi, de manière médiate la lutte contre ce monde, dont la religion est larôme spirituel ». J. Feuerbach, Principes de la philosophie de lavenir : « Lindividu pour soi ne possède en lui lessence de lhomme ni au titre dêtre moral ni au titre dêtre pensant. Lessence de lhomme nest contenue que dans la communauté, dans lunité de lhomme avec lhomme, unité qui ne repose que sur la réalité de la distinction du moi et du soi ». [2] Cela explique que Bultmann ait pu trouver un chemin menant de Schleiermacher à Kierkegaard. [3] Le concept de Weltwissen est double ; il renvoie dun côté au « mondain », par opposition au religieux, mais cest aussi un concept devenu très usuel qui embrasse à la fois tout ce que lhomme sait et a besoin de savoir du monde, autrement dit les savoirs encyclopédiques comme les savoirs que lon dit, en allemand, darrière-plan ( Hintergrund-wissen), équivalent de notre culture générale. [4] Mouvement propre au protestantisme allemand, dans la mesure où la notion de Kultur était alors dinvestigations dans lensemble des sciences sociales visant à retrouver un principe intégrateur au sein même de la pluralité moderne. [5] contre son propre anthropocentrisme. [6] que ce soit : dans le sentiment dune dépendance protégée vis-à-vis dune conscience cosmiquement englobante, ou dans lespérance sans espoir dans lévènement historique de la rédemption. [7] K. Jaspers, La Foi philosophique face à la révélation, Paris, Plon, 1973. Date de création : 21/12/2009 @ 13:38 Réactions à cet article
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