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Sociologie - Laïcité


LA LAÏCITÉ



Les informations ici rassemblées sont extraites de l’ouvrage de Paul Ricoeur intitulé « La critique et la conviction ».

1. La conception de la laïcité en France n’est que partiellement spécifique lorsqu’on la compare à celles de l’Europe et des Etats-Unis

Notre conception de la laïcité est directement liée à l’histoire des rapports de l’Eglise catholique et de l’Etat. Le politique, en France, a conquis son autonomie à l’encontre de ce que nous avons appelé le théologico-politique des régimes autoritaires, où l’Eglise assure à l’Etat sa légitimité. Ainsi a été trouvé, dans la sphère publique, un équivalent de l’autonomie que Kant réservait à la dimension morale.
Mais il faut ajouter aussitôt que la France n’est, dans ce domaine, que partiellement spécifique : car on ne peut pas ne pas rattacher la situation française à une problématique européenne plus vaste, dont il faut bien dire qu’elle n’est pas toujours présente aux esprits hexagonaux. Il faut partir de la résolution des guerres de religion dans l’Europe centrale avec la paix d’Augsbourg en 1648, c’est là que, pour la première fois, a été défini un Etat fédéral – encore faible, encore extrêmement lâche –, le Saint-Empire romain germanique, mais qui admet néanmoins dans son espace de souveraineté plusieurs religions. Pour l’Europe, cela a été un fait d’une grande importance, mais il se trouve que ce fait n’a pas été vraiment intégré à l’histoire française, de même que n’a pas été intégrée à notre conscience historique la fondation des Etats-Unis par des dissidents d’Eglises instituées, qui onr par conséquent ouvert un espace tout différent du nôtre, où le politique et le religieux sont dans un rapport non conflictuel. Il ne faut jamais perdre cela de vue, de façon à ne pas être tenté de considérer meilleures nos solutions, qui doivent être mises en place dans un espace cosmopolitique où il en existe d’autres. Il faut toujours se rappeler que notre intention universalisante est en partie une prétention, et qu’elle appelle reconnaissance par les autres pour être confirmée dans sa visée.

2. Deux usages du terme laïcité, celui de l’Etat et celui de la société civile

Il me semble qu’il y a dans la discussion publique une méconnaissance des différences entre deux usages du terme laïcité : sous le même mot sont désignées en effet deux pratiques très différentes ; la laïcité de l’Etat, d’une part ; celle de la société civile, d’autre part.
La première se définit par l’abstention. C’est l’un des articles de la Constitution française : l’Etat ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Il s’agit là du négatif de la liberté religieuse dont le prix est que l’Etat, lui, n’a pas de religion. Cela va même plus loin, cela veut dire que l’Etat ne « pense » pas, qu’il n’est ni religieux ni athée ; on est en présence d’un agnosticisme institutionnel.
Cette laïcité d’abstention implique, en toute rigueur, qu’il y ait une gestion nationale des cultes, comme il y a un ministère des Postes et Télécommunications. L’Etat a notamment une obligation de maintenance à l’égard des édifices religieux, qui sont, depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la propriété de ce dernier. Ce devoir qu’exerce l’Etat fait que la séparation des deux instances ne se fait pas dans l’ignorance réciproque, mais par une délimitation rigoureuse de leurs rôles respectifs : une communauté religieuse doit prendre la forme d’une association cultuelle, dont le statut est public, qui obéit à certaines lois quant à la sécurité, quant à l’ordre, quant au respect des autres, etc.
De l’autre côté, il existe une laïcité de confrontation, dynamique, active, polémique, dont l’esprit est lié à celui de discussion publique. Dans une société pluraliste comme la nôtre, les opinions, les convictions, les professions de foi s’expriment et se publient librement. Ici, la laïcité me paraît être définie par la qualité de la discussion publique, c’est-à-dire par la reconnaissance mutuelle du droit de s ‘exprimer ; mais plus encore, par l’acceptabilité des arguments de l’autre. Je rattacherais volontiers cela à une notion récemment développée par Rawls : celle de « désaccord raisonnable ». Je pense qu’une société pluraliste repose non seulement sur le « consensus par recoupement » qui est nécessaire à la cohésion sociale, mais à l’acceptabilité du fait qu’il y a des différends non solubles. Il y a un art de traiter ceux-ci, par la reconnaissance du caractère raisonnable des partis en présence, de la dignité et du respect des points de vue opposés, de la plausibilité des arguments invoqués de part et d’autre. Dans cette perspective, le maximum de ce que j’ai à demander à autrui, ce n’est pas d’adhérer à ce que je crois vrai, mais de donner ses meilleurs arguments. C’est là que s’applique pleinement l’éthique communicationnelle de Habermas.

3. La laïcité pose problème pour l’école, du fait que celle-ci se trouve située en position mitoyenne entre l’Etat (service public) et la société civile qui l’investit de l’une de ses fonctions les plus importantes, l’éducation

L’éducation est l’un des biens sociaux – pour reprendre encore une fois une catégorie de Rawls – primaires dont il faut assurer la distribution. Cette tâche n’appartient pas à l’Etat comme tel : l’éducation est l’une des choses que distribue une société dans sa fonction de répartition des rôles, des droits, des obligations, des avantages et des charges : distribuer de l’éducation est du ressort de la société civile. C’est si vrai que l’on a été obligé d’inscrire, à côté de la laïcité de l’Etat, la liberté de l’enseignement. Que signifie en effet cette expression : liberté de l’enseignement ? Que c’est une des fonctions de la société civile d’effectuer l’enseignement, mais sous certaines conditions, que l’on retrouve dans d’autres domaines, comme le droit ou la médecine ; notamment celle de satisfaire à des épreuves de qualification. Autrement dit, le fait même que l’on reconnaisse dans la Constitution la liberté de l’enseignement montre bien que celui-ci n’est pas entièrement défini par la fonction publique.

4. A l’intérieur même de l’enseignement se situe la nécessaire composition avec la pluralité des opinions propres aux sociétés modernes

Deux aspects de cette composition sont à distinguer. Un aspect d’information d’abord. Il est tout à fait incroyable que dans l’enseignement public, sous prétexte de la laïcité propre à l’Etat, on ne présente jamais vraiment, dans toute la profondeur de leur signification, les grandes figures du judaïsme et du christianisme. On arrive à ce paradoxe que les enfants connaissent beaucoup mieux le panthéon grec, romain ou égyptien, que les prophètes d’Israël ou les paraboles de Jésus ; ils savent tout des amours de Zeus, ils connaissent les aventures d’Ulysse, mais ils n’ont jamais entendu parler de l’Epître aux Romains, ni des Psaumes. Or, ces textes ont fondé notre culture, bien davantage en fait que la mythologie grecque. Il est vrai qu’on est là devant un problème difficile à résoudre. Qui enseignerait ces matières ? Des historiens ? Des gens de religion ? Indubitablement, c’est un vrai problème ; mais le fait qu’il ne soit jamais posé n’est pas normal. Comme il n’est pas normal, encore une fois, que les élèves n’aient pas accès à leur propre passé, à leur propre patrimoine culturel, lequel comporte, outre l’héritage grec, les sources juive et chrétienne. On leur parle en histoire des guerres de religion, mais leur a-t-on jamais montré clairement autour de quels enjeux elles se sont déroulées, ce que signifie, par exemple, la prédestination chez Luther, l’eucharistie chez les catholiques, ce qu’implique le débat autour de l’ordination des prêtres ?
A côté de cet aspect d’information, que l’école devrait assurer, il y a un aspect d’éducation à la discussion. Si la laïcité de la société civile est une laïcité de confrontation entre des convictions bien pesées, alors il faut préparer les enfants à être de bons discutants ; il faut les initier à la problématique pluraliste des sociétés contemporaines, peut-être en entendant des argumentations contraires conduites par des gens compétents. Bien entendu, il faudrait déterminer à quel âge cela devrait être commencé, à quelle dose cet enseignement devrait être prodigué. Mais il est sûr, en tout cas, que l’on ne pourra pas éluder indéfiniment ce problème. Un exemple parmi d’autres de cette carence culturelle : nous avons maintenant des enfants qui vont au musée ; mais ils sont parfaitement incapables de comprendre ce qu’est une mise au tombeau, ce qu’est une Vierge à l’enfant ou même une crucifixion. Or cette thématique religieuse traverse toute la peinture occidentale, depuis les mosaïques byzantines et les fresques romanes jusqu’au Christ jaune de Gauguin et à la crucifixion de Dali. C’est là une incroyable amputation de la culture.
Autrement dit, la position instable et difficile de l’école doit faire l’objet d’une reconnaissance comme telle, et doit, à ce titre, justifier l’ouverture d’une négociation. De même que nous avons des comités consultatifs d’éthique, pour discuter des cas limites posés par la biologie, nous devrions avoir une instance pour discuter des problèmes de l’enseignement religieux à l’école, instance où l’on trouverait aussi bien des représentants de l’Etat que de la société civile.

5. La laïcité d’abstention, telle que pratiquée par l’enseignement ne saurait se suffire à elle-même

Entre les deux formes de laïcité, d’abstention et de confrontation, il y a une circularité, ou plutôt la première ne vit que par la seconde. Car c’est à la laïcité de confrontation qu’incombe la tâche de produire, à un moment de l’histoire, un vouloir vivre ensemble, c’est-à-dire une certaine convergence de convictions. L’Etat laïc ne pratique jamais complètement la laïcité d’abstention ; il s’appuie sur ce que Rawls appelle « consensus par recoupement ». Selon lui les Etats démocratiques ne fonctionnent bien que dans des conditions historiques déterminées, lorsque sont présentes trois composantes : une conception libérale de la religion – c’est-à-dire des religions qui acceptent que la vérité dont elles sont le dépositaire ne sature pas l’espace total de la vérité ; qui ne soient pas libérales par condescendance, ou par contrainte, mais par conviction qu’il y a de la vérité ailleurs que chez elles ; une tradition des Lumières qui admette que le religieux a une signification admissible, plausible, qu’il ne se réduit pas à la catégorie voltairienne de l’« infâme » ; enfin, une composante romantique, avec ses valeurs originales d’amour de la nature, de la vie, de la création, valeurs qui ne s’épuisent pas le moins du monde dans les mouvements écologistes, mais qui forment une composante vitaliste, un élément d’enthousiasme à côté de l’élément de conviction religieuse et de l’élément de rationalité des Lumières.

6. Pour entreprendre l’ouverture nécessaire du contenu de l’enseignement, il est besoin pour la France de faire un peu de comparatisme et de clarifier les concepts

Il est nécessaire que les Français se demandent comment ces problèmes sont résolus ailleurs. Car, lorsqu’on fait un tour d’horizon des solutions adoptées dans les pays occidentaux, ce qui frappe, c’est leur très grande variété, qui contraste avec l’égalisation de la société sur le plan du travail et de la production d’une part, du loisir d’autre part. Peut-être est-ce en réaction contre ce nivellement qu’on constate une sorte de rétraction, non seulement sur le plan des idéologies ethniques, mais sur le plan culturel de la défense des systèmes éducatifs. Il est étonnant de constater à quel point, en Europe, nous sommes en retard pour établir quelque chose comme une circulation entre les différents systèmes d’éducation. Je pense que c’est par un détour de ce type qu’apparaîtront des changements, lorsque davantage d’enseignants et d’élèves auront en France une pratique personnelle des systèmes anglo-saxon et allemand. Toutes les solutions possibles et imaginables existent : catéchisme à l’école ou non, enseigné par des professeurs spécialisés ou non ; la proportion de l’enseignement public et privé, selon les pays est éminemment variable. Dans la mesure où les systèmes éducatifs sont le produit de l’histoire, et d’histoires très différentes selon les pays, dans la mesure où ils sont liés à la lente production de l’Etat moderne, avec ou contre les autorités ecclésiastiques, avec ou sans le support de ce qu’il y a d’hérétiques et de dissidents dans les Eglises, on comprend que leur diversité soit extrême. Il s’agit là d’une histoire d’une grande complexité, que nous avons beaucoup schématisée dans notre pays tout en pensant que ce schématisme était universel.
C’est ici que la République, en l’occurrence la IIIe, s’est constituée dans et par son affrontement à l’Eglise. Il est d’ailleurs probable que dans cette histoire la guerre de 1914-1918 a été l’un des tournants importants. Car elle a rapproché dans une même contribution patriotique ceux qui avaient été si violemment opposés au cours des années 1900-1904. Et puis il ne faut pas oublier la reconnaissance, même tardive, de la démocratie par le Vatican, après les condamnations prononcées contre elle durant tout le XIXe siècle. Tout cela explique que tous les pays catholiques, ou anciennement catholiques, rencontrent des difficultés particulières que ne connaissent pas les pays protestants, même s’il ne faut pas se figurer qu’ils s’en tirent toujours mieux. Certains pays ont des retards institutionnels considérables : par exemple, en Suède, le luthéranisme continue d’être une religion d’Etat. C’est là que l’on voit combien le religieux, mais aussi le politique, sont liés à une histoire. Chacune de ces histoires est déjà complexe, mais leurs intersections le sont encore davantage. Je crois qu’il faudrait avoir, pour aborder les problèmes de la laïcité, davantage de sens historique et moins de sens idéologique.
Par exemple, l’une des difficultés du problème français – et peut-être des pays latins en général – tient au fait que l’Eglise catholique a été, et demeure, de structure monarchique, et qu’elle constitue ainsi un modèle de politique autoritaire. De plus, ce serait une illusion de croire que le politique est définitivement quitte de toute référence au théologique : à la racine du politique, à son fondement, il y a l’énigme de l’origine de l’autorité. D’où vient-elle ? C’est une chose qui est toujours non réglée, et qui fait que l’ombre ou le fantôme du théologique continue de rôder autour du politique. Par conséquent pour fabriquer la laïcité telle qu’elle existe en France, il a fallu composer ensemble, dans un dialogue constructif, un modèle qui a cessé d’être monarchique dans le politique et un modèle qui l’est resté dans l’ecclésiastique. Le débat autour de l’école publique et privée gagnerait en clarté si on lui restituait ses références historiques.
D’ailleurs, le terme privé est lui-même source de confusion. Il a deux sens : privé peut vouloir dire non public ; c’est en ce sens que l’école est dite privée. Mais privé peut aussi signifier ce qui est de l’ordre des convictions individuelles. Je comprends très bien qu’aucune Eglise n’accepte d’être refoulée dans le privé au sens de l’intériorité des âmes : toute Eglise pense qu’elle a un côté public, selon l’autre acception du terme, comme voulant dire non individuel. Et privé, dans le sens de « non public » indique, par extension, ce qui n’est pas du ressort de l’Etat, et ce qui n’est pas du ressort de la collectivité. Toutes ces connotations sont d’usage difficile ; et, comme toujours, l’une des tâches de la réflexion philosophique est de clarifier les concepts. Clarifiez d’abord votre langage, ne cessent de nous dire les Anglo-Saxons, distinguez les emplois des mots.


[1] « La critique et la conviction » (Entretien avec François Azouvi et Marc de Launay des années 1994 et 1995), Hachette Littératures, août 2006.




Date de création : 25/09/2007 @ 09:10
Dernière modification : 26/09/2007 @ 10:03
Catégorie : Sociologie
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