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Parcours spinoziste - La vérité

« La vérité serait restée cachée au genre humain pour l’éternité si la mathématique, qui ne s’occupe pas des fins, mais seulement de l’essence et de la propriété des figures, n’avait appris aux hommes d’autres règles de vérité » (Spinoza).



INTRODUCTION

Ce qui importe au professeur Alquié dans cette première leçon, intitulée chez lui « Le naturalisme spinoziste et les mathématiques », c’est de montrer la position nouvelle chez Spinoza du problème de la vérité. Et pour voir en quoi elle est nouvelle, il nous faut examiner, en introduction, quel sens la vérité avait avant lui.

A l’époque de Spinoza, constate Alquié, la notion de vérité n’a pas subi la transformation qu’elle a connue depuis. Les doctrines qui définiront la vérité par le seul rapport de l’assertion avec les lois de l’esprit, avec les exigences du sujet n’ont pas encore pris naissance.


. Vérité de la chose (veritas rei) et vérité de la connaissance (veritas intellectus) : le distinguo des scolastiques

Le mot vérité a seulement deux sens essentiels.

– Il désigne d’abord le réel lui-même, la réalité. Les scolastiques parlaient en ce sens de veritas rei, de la vérité de la chose. Et Descartes reprend cette expression. Vous savez que Descartes nous parle souvent de la vérité de la chose. Bossuet, dans sa Logique, écrit : « Le vrai est ce qui est, le faux est ce qui n’est point ». Vrai veut dire, par conséquent, réel. C’est en ce sens que l’on parle encore, par exemple, de la vraie nature de l’homme. La vraie nature de l’homme, c’est la nature que l’homme possède réellement.

– Mais de façon plus propre peut-être, plus exacte, puisqu’en son premier sens le mot vérité fait double emploi avec le mot réalité, le mot vérité désigne ce qui, en notre esprit, est conforme à ce qui est. C’est la vérité de la connaissance, celle que les scolastiques appelaient veritas intellectus, par rapport à veritas rei. C’est la vérité de l’esprit s’opposant à la vérité de la chose.

Remarquons toutefois qu’en ces deux sens la vérité se trouve tout à fait subordonnée à la chose, à ce qui existe, à l’objet, et si l’on veut, pour rappeler le terme même du titre de ce cours, à la nature. Ou bien, en effet, elle se confond avec le réel, et par conséquent avec la Nature elle-même, ou bien elle se définit par l’accord de l’esprit à cette dite Nature. Si l’esprit énonce ce qui n’existe pas, il est dans l’erreur. S’il énonce ce qui existe, si son idée est adéquate à la chose, il est dans le vrai.

Bref, dans une conception de ce genre, l’esprit semble toujours se trouver devant une nature qui lui préexiste, qui existe en dehors de lui, et à laquelle il doit se soumettre. La mesure du vrai, c’est le réel ; la mesure du vrai, c’est ce qui est. Et l’esprit trouve par conséquent dans la Nature, et en elle seule, c’est-à-dire en dehors de lui, le critère de la vérité et de l’erreur.


. Conformité des idées aux choses : le dubito de Descartes

Descartes, bien qu’apportant, on va le voir, des éléments très nouveaux, a dans l’ensemble maintenu la position du problème. Il est évident, en effet, quand on lit Descartes, que c’est dans le cadre du réalisme le plus classique que toute sa philosophie se développe, que s’exerce d’abord son doute, que se justifie sa méthode, que s’opère la découverte progressive du fondement de la vérité.

Pour Descartes, les idées sont représentatives, elles représentent le réel. Leur vérité se définit donc par leur conformité à la chose. C’est précisément pourquoi, au début de sa philosophie, Descartes doute. Le doute consiste à se demander si les idées sont bien conformes aux choses, si cette conformité est certaine, assurée, établie, et à rejeter comme fausses toutes les idées qui, peut-être, ne correspondent pas aux choses, c’est-à-dire qui ne sont peut-être que des états subjectifs, états ne représentant rien qui soit, comme dit Descartes, hors de moi.

Et la véracité divine fonde la vérité des idées, parce que Dieu, étant la cause unique, et de mes idées et des choses, ne peut avoir effectué, étant un, deux créations divergentes.

Ainsi la philosophie de Descartes commence par un doute qui met en lumière le caractère subjectif et mental de nos idées, pour se terminer par l’adhésion aux idées dont la véracité divine garantit, comme du dehors la correspondance avec le réel. Donc, c’est bien dans un cadre réaliste, où c’est le réel, c’est-à-dire ce qui existe en dehors de moi, qui est le fondement et le critère des idées, que s’exerce la recherche de Descartes prise en général. Je dis prise en général, car on va montrer dans un instant que, précisément, la philosophie de Descartes est en fait plus complexe.

Et c’est pourquoi Descartes (il faut y insister, car ce qui importe, c’est de voir comment tous les thèmes d’une philosophie se tiennent), c’est pourquoi Descartes déclare et professe que les idées ne sont comme telles ni vraies, ni fausses. Il n’y a de vérité et d’erreur, à proprement parler, que dans le jugement, c’est-à-dire dans l’acte de volonté qui rapporte l’idée à la chose, ou, ce qui revient au même, qui affirme l’idée comme répondant à la chose, à ce qui est hors de nous. Descartes est donc fidèle, dans l’ensemble, à la conception classique d’un esprit humain tourné vers un réel qui lui demeure extérieur, et s’efforçant d’atteindre ce réel.


Comment s’est constituée la théorie de la vérité chez Spinoza

A partir de l’état existant du fondement de la vérité rencontré par Spinoza, il nous faut examiner successivement :

. Les déterminations de Spinoza par rapport à cet existant : d’abord face à la chose constituante du réel (A), puis face au système philosophique de Descartes (B),

. Le choix fait par Spinoza parmi les éléments fournis par Descartes,

. Les trois traits essentiels de la doctrine spinoziste de la vérité.

. Là où réside l’originalité profonde du spinozisme.


LES DÉTERMINATIONS DE SPINOZA
A/ PAR RAPPORT À LA CHOSE

. Chez lui, plus de référence à la chose

La théorie spinoziste de la vérité, où la vérité se définit par un caractère intrinsèque de l’idée, ne fait plus de référence à la chose. En conséquence, à l’opposé de chez Descartes, chez lui, il n’y a plus de doute, plus d’intervention de la volonté dans le jugement. Ainsi, nous ne retrouvons plus cet acte, cette décision nécessaire pour que l’esprit, pour que la volonté rapportent l’idée à la chose. Enfin plus de véracité divine, elle devient inutile.


B/ PAR RAPPORT À LA DOCTRINE DE DESCARTES
. Chez lui, un réel désir de la parfaire

C’est, en effet, le caractère ambigu de la philosophie de Descartes qui semble avoir contraint Spinoza à la modifier et à la critiquer pour parvenir à une conception plus cohérente et plus exacte.

Car, chez Descartes, à la notion de représentativité de l’idée, deux autres notions se trouvent juxtaposées : d’une part, la reconnaîssance d’une réalité propre à l’idée et, d’autre part, l’ajout d’ un certain mathématisme.


La reconnaissance d’une réalité propre à l’idée

Descartes parle d’une réalité formelle de l’idée elle-même. Formel voulant dire réel, la réalité est donc la réalité de la chose. Mais l’idée en tant qu’idée, a comme telle une réalité formelle et les idées ont plus ou moins de réalité. En sorte que la théorie de la véracité divine sert, comme on l’a vu précédemment, à fonder le rapport de l’idée à la chose. Mais cette théorie de la véracité divine peut avoir chez Descartes deux autres acceptions différentes : parfois elle est veut nous signifier que Dieu, étant souverain être, ne peut causer la néant et que l’idée est vraie parce qu’elle est « quelque chose » ; d’autres fois, elle est invoquée de telle sorte qu’elle justifie d’un coup et en bloc, toutes les idées claires, et que donc, en fait, la garantie de la véracité divine étant une fois pour toutes admise, il faut encore que je trouve un autre critère pour savoir, parmi mes idées, celles qui sont vraies et celles qui sont fausses.

1er cas, l’idée est « quelque chose ».

Descartes reconnaît que certaines idées ont une fausseté matérielle. Par exemple, il dit que l’idée sensible a une fausseté matérielle parce qu’elle est un moindre être. L’idée sensible « est » moins que l’idée intellectuelle. En sorte que là, nous sommes devant une tout autre doctrine, où il semble qu’il y ait une réalité propre aux idées, une réalité des idées, qui varie avec chacune d’elles. La fausseté matérielle est liée au moindre être de l’idée.

2ème cas, l’idée se révèle claire.

Dès lors, le seul critère effectif de la vérité de telle ou telle idée, c’est précisément la clarté et la distinction de cette idée, c’est-à-dire, cette fois un caractère interne de l’idée. Quand je me demande si une de mes idées est vraie, quand pour séparer, comme dit Descartes, le vrai d’avec le faux, je distingue parmi les idées, celles qui sont vraies et celles qui sont fausses, comment est-ce que je procède ? Je ne compare pas ces idées au réel, je me demande lesquelles de ces idées sont claires et distinctes. Si une idée est vraiment claire et vraiment distincte, je suis assuré que la véracité divine joue. Dieu n’étant pas et ne pouvant pas être trompeur, si j’ai une idée claire et distincte, cette idée est vraie. Ce qui revient à dire que, la garantie de la véracité divine étant acquise une fois pour toutes, à la base, le critère de distinction du vrai et du faux, le seul signe effectif de la vérité de telle ou telle idée est la clarté et la distinction de cette idée, et apparaît donc comme un critère intrinsèque, à l’idée elle-même.

A cela s’ajoute un certain mathématisme.

La méthode mathématique, telle que la conçoit Descartes, est en effet la méthode qui, dans les sciences, ne subordonne pas la vérité de ce qu ‘elle affirme à la réalité de l’objet. Qu’il existe ou non un triangle ou un cercle, les propriétés du cercle ou du triangle mathématiquement établies demeurent vraies[1]. Il y a donc ici antériorité de la vérité par rapport à l’existence. C’est ce qui permet la fameuse preuve ontologique développée par Descartes, avec la théorie des essences mathématiques dans la Méditation cinquième. Cette preuve ontologique n’a de sens que si l’on peut parler avec vérité de Dieu avant de savoir s’il existe ou non.

Il y a donc une vérité propre à l’idée, indépendante de toute référence existentielle, et cette vérité consiste bien dans une sorte d’antériorité de l’idée par rapport à son objet dont elle contient la loi, et qu’elle peut poser , si l’on peut dire par là même[2].

Par conséquent, on voit que la théorie de Descartes sur le fondement de la vérité est double : elle contient, d’une part un réalisme, elle s’exerce tout entière, dans le cadre d’une conception où la vérité de l’idée tire son sens et sa valeur de la vérité de la chose. Mais, d’un autre côté, elle contient d’autres éléments qui l’orientent en sens inverse, dans le sens du mathématisme.


LE CHOIX FAIT PAR SPINOZA PARMI LES ÉLÉMENTS FOURNIS PAR DESCARTES

Pour Spinoza, la théorie de Descartes sur la vérité est ambiguë, mais elle n’en comporte pas moins des éléments qui l’intéressent pour la parfaire ; et l’on voit son choix s’opérer sur les éléments « mathématiques » et non pas sur ceux que l’on peut qualifier de « réalistes ». Pourquoi ce choix ?

Alquié répond qu’en fait, il semble y avoir chez Spinoza, dès le départ une intuition première qui est déjà propre à renverser l’inspiration majeure de la doctrine cartésienne de la vérité, tout en se nourrissant de certains éléments du cartésianisme. Et cette intuition a trait, précisément aux rapports que nous allons préciser entre la vérité et la Nature, ou, si l’on veut aux rapports entre l’esprit au sein duquel, et pour lequel, il peut y avoir vérité, et la Nature que l’esprit doit connaître.


. Les rapports entre l’esprit et la Nature au regard de la finalité

Or, sur ce point encore, on peut apercevoir, dans la position cartésienne du problème, une certaine tension, une certaine discordance. Dans les doctrines scolastiques, et précartésiennes par conséquent, l’esprit et la Nature pouvaient aisément être mis d’accord, vu qu’ils étaient conçus l’un et l’autre, comme régis par la finalité. Nous trouvons là des conceptions résolument finalistes. Chez Descartes (et nous constatons toujours ce caractère ambigu de la théorie de Descartes), une conception mécaniste de la Nature, une conception mathématicienne de l’esprit ont pris la place des conceptions anciennes, et ont rejeté, semble-t-il, tout appel à la finalité.

Descartes bannit les causes finales de la science. Il déclare que nous ne devons pas les chercher. Il déclare que nous ne devons pas tenter d’entrer dans les desseins de Dieu. Tout cela est bien connu. Mais si nous y regardons de près, la finalité naturelle, bannie en théorie par Descartes, est sans cesse au cœur de sa doctrine.


Une finalité omniprésente qui adhère à plusieurs attributs du Dieu vrai (bonté, loyauté, volonté constante) et à certains de ses pouvoirs (création et motricité d’un monde matériel inerte, d’une Nature privée d’être et de machines vivantes)
.

Tout d’abord, le fait d’appuyer et de garantir le jugement humain par un Dieu personnel transcendant, par un Dieu véridique, par un Dieu bon, par un Dieu qui ne peut pas mentir, qui ne peut pas me tromper, suppose une finalité, une bonté, et fait de la connaissance humaine une sorte de dialogue dont l’interlocuteur n’est pas la chose à connaître, mais une autre personne qui me parle, et qui me parle avec vérité.

Mais ce n’est pas le seul point. Et la véracité du Dieu de Descartes n’est pas la seule trace de finalisme. Ce ne sera pas la seule marque qui, aux yeux de Spinoza, donnera aux à la philosophie de Descartes le caractère d’une philosophie anthropomorphique, d’une philosophie marquée par un anthropomorphisme finaliste.

En effet, mon rapport avec Dieu est bien, chez Descartes, celui d’une volonté à une autre volonté. Par ailleurs, le monde en face duquel je suis, n’a de sens que si je suppose en Dieu une volonté elle-même finaliste.

Pour Descartes, en effet, Dieu est le créateur, Dieu est le moteur et le fabricateur du monde.

Le créateur, ce qui implique une certaine séparation de Dieu avec ses créatures, et ce qui implique aussi quelque finalité, quelque but proposé dans la création même. Dire que Dieu a créé le monde, c’est dire qu’il aurait pu ne pas le créer, c’est dire qu’il a voulu le créer ; c’est donc admettre qu’il l’a créé pour quelque chose, qu’il l’a créé dans un but, qu’il l’a créé selon une fin. Donc, l’idée même du Dieu qui crée le monde suppose bien une certaine finalité dans la volonté divine.

En sorte que, bien que la finalité, telle que la concevait Aristote, soit chez Descartes bannie de la Nature, il demeure que cette Nature a déjà globalement, si je peux dire, une finalité, puisqu’elle est le produit de l’acte libre d’un Dieu qui l’a créée.

Dieu, vient-il d’être dit encore, est le moteur du monde, ce qui implique que la matière elle-même soit inerte, et que tout dynamisme soit en Dieu, en Dieu qui, selon la doctrine de la création continuée, crée les corps à chaque instant, en un lieu différent, ce qui enlève à la Nature toute force intérieure, tout pouvoir de libre développement. Il faut insister d’ailleurs sur ce point où l’on verra Spinoza s’opposer de façon très nette à Descartes.

La Nature de Descartes est une Nature qui n’a, pour ainsi dire, pas d’être ; elle n’a pas d’être, elle n’a pas de force propre, elle n’a pas de force intérieure. On ne peut pas dire que son état, à un moment donné, contienne le véritable raison de son état à l’instant suivant. C’est Dieu qui la crée à chaque instant. Et, par exemple, le mouvement vient, non pas d’une force qui serait intérieure aux corps, mais de ce que Dieu crée à chaque instant un corps, un mobile en un lieu différent. Ce qui, par conséquent, nous permet de voir les positions futures d’un corps en mouvement, ce n’est pas du tout une force qui serait intérieure aux corps et aux mobiles ; c’est le fait qu’il existe des lois du mouvement, résultant elles-mêmes du fait que Dieu agit toujours selon une volonté constante. Nous pouvons donc prévoir les états postérieurs du mobile. Mais leur raison d’être est en Dieu.

Enfin, le Dieu de Descartes est un Dieu ouvrier, et ceci est lié à la théorie célèbre de Descartes relative aux animaux machines, aux corps machines. Le Dieu de Descartes a fait les êtres vivants. Il les a construits comme des machines . En sorte que, si toute finalité est bannie de la Nature elle-même, la Nature elle-même, l’esprit, pour comprendre la Nature, doit cependant se rapporter à une finalité inhérente à l’intelligence créatrice, à l’intelligence divine, ne fût-ce qu’en tenant un corps pour une machine, machine dont chaque organe a une fonction, machine dont chaque organe n’a de sens que par rapport à l’ensemble de ladite machine, ce qui suppose une intelligence ouvrière et fabricatrice.

. Spinoza va s’opposer d’une manière formelle à tous les éléments finalistes maintenus par Descartes dans une théorie pourtant mécaniste et essentiellement mathématique du monde

Négligeons ici la question, tant controversée, des sources de Spinoza[3], mais constatons qu’il existe, à la base même, à la racine de la philosophie de Spinoza une intuition qui est à l’opposé de celle de Descartes ; c’est celle d’un certain infinitisme immanentiste, et d’un certain naturalisme dynamiste.

Chez Spinoza, le mot nature, le mot substance et le mot Dieu sont synonymes.

Dieu est la nature, la Nature est Dieu. Descartes prétendait exactement le contraire, Descartes nous disait toujours : « Souvenez-vous que la Nature n’est pas une déesse. » Il voulait bannir de la Nature toute force interne. Ici, en revanche, la Nature se développe d’elle-même. Elle est la source, et elle est la cause de tout. Et Spinoza reproche à Descartes d’être fort éloigné de connaître la première cause et l’origine de toutes choses.

Pour Spinoza, en effet, Dieu est cause unique. Ce terme aurait été accepté par Descartes, car pour Descartes aussi Dieu est cause unique. Mais pour Spinoza, dire que Dieu est cause unique, c’est dire, non pas comme le faisait Descartes, qu’il crée le monde hors de lui, qu’il pose instant par instant un monde hors de lui, c’est dire qu’il est Substance unique et qu’il est omniprésent. Autrement dit, chez Spinoza, la notion de cause rejoint la notion de substance.

La notion de cause immanente.

Et, il y a dans le spinozisme, une notion capitale, celle de cause immanente, celle d’une chose qui produit des effets non distincts d’elle. Notion obscure, du reste, mais notion fondamentale. On voit par conséquent, ici, s’assimiler et se confondre la cause et la substance. Et la Nature devient à la fois unité et totalité.

Cettenotion de cause immanente est une des plus anciennes que nous rencontrions chez Spinoza, puisqu’on la trouve non seulement dans le Court Traité, son premier ouvrage, mais encore dans les dialogues qui s’y trouvent insérés ; ces derniers sont, d’après Alquié, les textes les plus anciens que l’on connaisse de Spinoza. Et cette doctrine de la cause immanente se retrouve à la proposition 18 de l’Ethique, livre premier, déclarant que : « Dieu est cause immanente et non pas cause transitive de toutes choses ». Autrement dit Dieu est cause de tout. Mais il ne produit rien hors de lui, ses effets ne sont pas distincts de lui ; ils sont, si l’on peut dire des modes de substance. Il n’est donc pas l’auteur de la nature. Il est la Nature, Deus sive Natura, comme le dit Spinoza.

Sans examiner aujourd’hui les difficultés inhérentes à une telle notion, notons seulement que la conception de la Nature est ici, par rapport à la doctrine de Descartes, très profondément modifiée. Et l’on verra que c’est en fonction de cette transformation que la notion de la vérité va elle-même changer.

La spontanéité de la Nature se retrouve dans la substance et dans l’infinité de ses attributs.

La Nature cartésienne était suspendue à un Dieu qui lui demeurait extérieur, Dieu qui lui influait, instant par instant, son mouvement et son être. La Nature de Spinoza sera au contraire cause d’elle-même, causa sui, et cause de toutes choses. Elle sera par conséquent avant tout spontanéité, principe actif de développement.

Il faut aller plus loin. Ce caractère de spontanéité absolue ne sera pas réservé par Spinoza à la seule substance. Il sera accordé aux attributs de la substance. On sait que la substance qui est unique, a une infinité d’attributs, et que ces attributs sont infinis dans leur genre. Les deux attributs que nous connaissons sont l’étendue et la pensée.

Pour Spinoza, qui s’oppose à tous les métaphysiciens de son époque, il y a existence par soi de l’infini en son genre, c’est-à-dire de l’attribut et non pas seulement de la Substance, c’est-à-dire de Dieu, qui est infini dans tous les genres.

Donc, l’attribut spinoziste existe par soi. Il est une cause en tous les sens de ce mot, il est une cause absolument première, il n’est jamais un effet. Il n’est pas un effet de la substance. Il exprime la substance, mais il n’est pas causé par elle.

Spontanéité physique de l’attribut qu’est l’étendue, spontanéité intellectuelle de l’attribut qu’est la pensée.

Voyons d’abord le cas de l’étendue. Chez Descartes, l’étendue est inerte. C’est Dieu qui la crée, instant par instant, et qui influe le mouvement, si l’on peut dire, enelle.Chez Spinoza, tout est changé : tous les corps sont des modes de l’étendue.

L’étendue elle-même est un attribut de la substance, mais cet attribut exprime la substance. Il est infini. Il est par soi. Il contient le principe de tout ce qui se passe en lui, il est une source indéfinie de transformation et d’action. On pourrait presque dire qu’il est un Dieu, en tout cas, il est en Dieu.

Que va devenir alors la pensée ? Faut-il croire que, placé devant une nature physique si suffisante, si autosuffisante, l’esprit n’a plus qu’à essayer de la comprendre et de rejoindre cette nature en constatant passivement les effets qui s’y rencontrent ? Bien au contraire, de même qu’il y a spontanéité physique de l’étendue, il y a spontanéité intellectuelle de la pensée, qui est, elle aussi, attribut divin. D’ailleurs, on verra par la suite que Spinoza, très curieusement, et c’est cela qui le sépare de tous les autres philosophes de son époque, accorde cette spontanéité, non seulement à la pensée attribut de Dieu, mais encore à l’entendement fini. Non seulement à la pensée, non seulement à l’entendement divin, car il y a aussi un entendement divin, mais encore à tous les entendements, même finis. Et c’est uniquement pour cela, du reste, qu’in fine, sera possible le salut.

On comprend déjà, par tout ce qui vient d’être dit, que la vérité ne pourra plus se définir par référence à la chose, c’est-à-dire à une nature, ou à un espace qui lui seraient extérieurs, et qu’il lui faudrait constater du dehors. Et l’on comprend ainsi comment une intuition première, à la fois rationaliste et naturaliste, a permis à Spinoza de choisir, entre les thèmes de Descartes, les uns pour rejeter les autres, et de détruire ce que la conception cartésienne avait d’ambigu. Et l’on peut dire qu’en ce sens, devant les deux inspirations cartésiennes, Spinoza rejette l’une, accepte l’autre et ne retient plus que l’un des aspects de la doctrine, aspect que désormais il privilégie ; il le fait, non par un simple souci logique, mais avant tout parce que l’idée générale et première qu’il se fait de la Nature le pousse en ce sens.

Ce qu’en définitive Spinoza rejette
Il rejette :

– la notion cartésienne de l’idée représentation, de l’idée tableau, et il ne retient plus de l’idée que sa puissance de développement interne ;

– le caractère passif de l’entendement et il ne retient que le mathématisme, considéré comme la doctrine qui révèle que l’entendement construit librement et activement ses notions ;

– la référence, pour juger de la vérité de l’idée, à quelque chose qui serait extérieur à l’idée, et il ne retient plus qu’un pur critère interne.



LES TROIS TRAITS ESSENTIELS DE LA DOCTRINE SPINOZISTE DE LA VÉRITÉ

. Là où l’on constate que la conception spinoziste du vrai résulte de la transformation radicale que son auteur fait subir à l’idée de Nature

– Premier trait : la vérité est intérieure à l’idée vraie. L’idée est vraie par une dénomination purement intrinsèque. L’esprit atteint la vérité sans se référer jamais à ce qui lui est extérieur, et par le seul développement de ses forces et de ses puissances natives. Donc, plus de subordination de la pensée à la chose, plus de passivité dans la connaissance, plus de recherche d’une convenance extrinsèque.

Il est clair que ce premier caractère de la vérité chez Spinoza s’explique par l’influence des mathématiques, et résulte en un sens tout entier du mathématisme cartésien, et n’a de sens que par lui.

On conçoit très bien que si la science sur laquelle Spinoza avait réfléchi avait été non pas les mathématiques mais les sciences naturelles, il aurait conçu autrement la vérité. Et c’est ce que faisait Aristote, et c’est ce que faisait même Descartes, qui était soucieux de sciences naturelles, beaucoup plus que Spinoza. Il n’y a en effet qu’en mathématiques que l’on ne se soucie pas de savoir si les objets dont on parle existent ou non dans la Nature, et que l’on ne subordonne pas la vérité de ce qu’on affirme à l’expérience des choses qui existent, à la constatation des existants.

Mais il est clair aussi, et c’est ce qui va être montré maintenant, que Spinoza n’a pu étendre cette conception mathématique de la vérité à toutes les vérités, qu’au nom de la conception qu’il se fait de la Nature. Car enfin, il était connu depuis bien longtemps que les sciences mathématiques procédaient ainsi. Et Descartes, dans la Méditation première, en parlant des sciences mathématiques, nous parle déjà de ces sciences qui ne se préoccupent guère de savoir si les choses dont elles parlent sont dans la Nature ou n’y sont pas. Il s’agit là des sciences mathématiques, telles qu’elles étaient conçues de tout temps, et par tous. Spinoza n’a rien à inventer : il n’a qu’à reprendre cette idée que lui livre la tradition philosophique.

Ce qu’il importe, par conséquent, de découvrir, ce n’est pas du tout la source de cette idée d’une vérité intérieure à l’esprit ; c’est comment Spinoza a été conduit à croire que cette définition mathématique de la vérité pouvait être étendue à toute réalité. Or, précisément il ne l’a pu qu’au nom de la conception qu’il s’est faite tout d’abord de la Nature.

Ce qui fonde ce premier caractère de la vérité chez Spinoza, c’est en effet la doctrine de l’indépendance radicale des attributs dont chacun est infini et se suffit en son ordre. Et il ne faut pas croire ici que la métaphysique de Spinoza résulte elle-même d’une projection de son mathématisme. Elle émane au contraire de cette vision naturaliste première, de cette théologie qui estime qu’un attribut ne peut vraiment être attribut divin que s’il exprime Dieu, et qu’il ne peut exprimer Dieu que s’il n’est pas au-dessous de lui, que s’il n’est pas indigne de lui, et par conséquent que que s’il possède lui-même cette indépendance et cette infinité qui sont les caractères de Dieu.

– Le second trait de la doctrine, c’est le fameux verum index sui, au titre duquel la vérité est sa propre marque, son propre signe, « Celui qui a une idée vraie, dira la proposition 43 de la seconde partie de l’Ethique, sait en même temps qu’il a une idée vraie, et ne peut douter de la vérité de la chose ».

Selon la conception courante, en effet, il n’y a entre idée vraie et idée fausse aucune différence intrinsèque, aucune différence de nature, et par conséquent nous ne pouvons jamais savoir, par le seul examen d’une idée, si elle est vraie ou si elle est fausse. Pour savoir si une idée est vraie ou fausse, il faut que je la rapporte à la chose. L’idée est fausse ou vraie selon qu’elle est d’accord avec son objet extérieur, en sorte que la vérité est toujours l’objet d’une rencontre.

Spinoza, là-dessus, va prendre une attitude tout à fait radicale. Alquié le montre par deux exemples. Si je dis : « Pierre passe dans la rue, Pierre se trouve dans la cour », il peut se trouver que cela soit vrai ou que cela soit faux, selon que Pierre passe effectivement dans la rue, ou se trouve effectivement dans la cour, ou ne soit pas dans la rue ou dans la cour. Si je dis : « Mon ami Untel est dans la cour », est-ce vrai ou est-ce faux ? Il faut aller y voir. S’il y est, c’est vrai ; s’il n’y est pas, c’est faux.

Pour Spinoza, selon sa définition, l’affirmation : « Pierre est dans la cour » ne peut prétendre au nom de vérité. D’une part, en effet, une rencontre extérieure ne saurait définir la vérité. Tomber par hasard sur le vrai, c’est être dans l’erreur. Et les choses seront exactement semblables, selon que Pierre y sera ou qu’il n’y sera pas, cela n’a aucune importance. D’autre part, dans ce cas, l’examen de l’affirmation comme telle ne révèle pas, et ne peut pas révéler la marque du vrai. Je dis : « Pierre est dans la cour de la Sorbonne ». Comment voulez-vous qu’en examinant cette proposition même je sache si c’est vrai ou si c’est faux ? Rien n’est ici « veritas index sui ».

Ce n’est donc pas cela que Spinoza appelle vérité. Ce n’est pas là la vérité. Cet ordre de proposition ne comprend aucune marque interne, aucun index sui. De telles propositions ne sont par conséquent pas vraies. L’idée vraie, c’est celle qui se justifiera d’elle-même devant la raison, parce qu’elle est le fruit de la seule raison.

Ainsi, deuxième exemple qui, cette fois-ci, va être celui de l’idée vraie ; si j’affirme que la sphère est la figure engendrée dans l’espace par un demi-cercle qui tourne autour de son diamètre, là, je sais aussitôt que je suis devant une idée vraie. Non pas que j’aie à me demander, pour le savoir, s’il existe ou non des sphères dans la Nature, non pas que j’aie non plus à me demander si les sphères qui existent dans la Nature, à supposer qu’il y en ait, ont été effectivement engendrées de la sorte. Il est bien évident qu’elles n’ont pas été engendrées de la sorte, et que pour fabriquer une boule de billard, je ne fais pas tourner un demi-cercle autour de son diamètre. Mais ce qui se passe dans la Nature, dans les choses, m’est ici indifférent. Quand je définis une sphère, un triangle ou un cercle, il me suffit de concevoir leur construction comme rationnelle et comme possible pour que leur idée soit vraie. En sorte que, dit Spinoza passant de facto de l’idée d’une construction mathématique à celle d’une construction technique, si un ouvrier invente une machine qui peut fonctionner, cette idée est vraie bien que la machine n’ait pas encore été fabriquée. Mais si je dis : « Jacques est dans la rue », même s’il est vraiment dans la rue, cette idée ne mérite pas le nom de vérité. Voilà, sur ce point, la différence du vrai et du faux.

Or, en ce qui concerne ce second point, comme en ce qui concerne le premier, il est clair que Spinoza s’inspire des mathématiques, se réfère à une construction mathématique accompagnée de la compréhension de sa propre nécessité. La conception d’un vrai index sui, c’est la conception de l’évidence rationnelle. Mais on comprendra plus tard que, là encore, chez Spinoza, cette évidence nous renvoie, en dernière analyse, à l’entendement divin. Car toute idée se double en Dieu d’une idée d’idée, et il faut dire en dernière analyse que si le vrai est marque de soi, c’est parce que Dieu pense en nous. En sorte que, sur ce point encore, la théorie de la vérité ne se fonde que sur la théorie métaphysique.

– Enfin troisième trait, c’est le idem est de Spinoza, où l’ordre de la pensée se confond avec l’ordre des choses : ils ne sont qu’une même chose : idem est dit Spinoza.

Or, sur ce troisième trait, on peut encore trouver la source de la pensée de Spinoza dans les sciences mathématiques, et dans cette fameuse géométrie analytique, alors tellement en faveur, puisque sa découverte est encore récente et qui permet de penser les lois de l’espace selon celles de l’esprit.

Pourtant, en y regardant de près, on verra qu’il ne s’agit pas seulement de cela. Il s’agit moins, en effet, pour Spinoza, d’établir une correspondance, comme c’est le cas dans la géométrie analytique entre un espace pensé et un espace imaginé , que d’affirmer l’identité de l’ordre de la pensée et de celui de l’espace réel, de l’espace en soi, et même de l’ordre propre à tous les autres attributs, puisqu’il a déjà été dit que l’espace n’est qu’un des attributs de Dieu, et que les attributs sont, selon Spinoza , en nombre infini.

Or, il est clair qu’en ceci encore, la théorie spinoziste de la vérité ne prend son sens qu’à la lumière de la théorie de la Nature, nature unique se confondant avec la substance que chacun des attributs exprime à sa façon. C’est parce que la Nature est unique, c’est parce qu’un mode de l’étendue et l’idée de ce monde ne sont qu’un seule et même chose exprimée de deux façons différentes, que le processus causal, par lequel les choses se produisent les unes les autres, et le processus logique, par lequel les choses se déduisent les unes des autres, ne sont qu’un seul et même processus et qu’il n’y a par conséquent qu’un seul ordre.

Ainsi, la doctrine spinoziste de la vérité, affirme que la vérité est le propre d’un jugement libre, et ne dépendant que de l’esprit, d’un jugement évident, propre à un esprit conscient de la vérité qu’il affirme, et enfin d’un jugement conforme au réel ; elle renvoie, en tous ses thèmes essentiels, à une double source de référence, d’une part au mathématisme, d’autre part à une théorie de la Nature qui semble préexister à ce mathématisme même.

Etsil’onvoulait en ce sens, rapprocher la philosophie de Spinoza des philosophies qui l’ont précédée, et montrer que, là encore, il y a d’une certaine façon référence de l’idée vraie à autre chose qu’elle-même, on pourrait prétendre, à la rigueur, que la pensée, absolument première par rapport à tout objet, et n’étant jamais soumise à son objet, est néanmoins seconde par rapport à la substance, c’est-à-dire à la Nature conçue cette fois-ci, non pas comme nature spatiale, mais comme nature divine, à la Nature conçue dans son unité pure, centrale, originaire, Nature qu’en effet elle exprime comme étant un de ses attributs.

LÀ OÙ RÉSIDE L’ORIGINALITÉ PROFONDE
DU SPINOZISME

Il est clair que les mathématiques ont joué un rôle essentiel, et c’est ce qu’il faut encore préciser. En effet, avant d’avoir découvert Descartes, autant que l’on peut reconstruire ses premières pensées, Spinoza était déjà porteur d’une vision naturaliste qui accordait à la Nature tout le dynamisme et toute la suffisance désirable. Mais il a trouvé, dans le seul cartésianisme et dans la vision mathématique des choses, le moyen de rationaliser cette intuition première. Et l’on peut dire que toute l’originalité du spinozisme est là.

Sans vouloir, en effet, revenir au problème des sources, il est très vraisemblable que Spinoza a tiré l’idée d’une Nature qui se suffit, qui se développe, des penseurs de la Renaissance qui l’ont précédé, en particulier chez Bruno où elle se trouve exactement dans les mêmes termes.

Spinoza le déclare expressément dans l’appendice du livre 1er de l’Ethique, texte capital qui est un de ceux qui expriment le mieux l’intention profonde de Spinoza. Spinoza y entreprend de dégager l’origine de tous les préjugés qui empêchent les hommes de parvenir à la vérité, et aussi à la moralité, car il ne faut pas oublier que l’Ethique est, au sens large, un livre de morale, et qu’il se propose avant tout de nous amener à changer, à transformer notre conduite.

Or, tous ces préjugés, déclare Spinoza, « dérivent de ce seul fait que les hommes supposent communément que toutes les choses de la Nature agissent comme eux-mêmes, en vue d’une fin, et que Dieu, lui aussi, dirige toutes les choses vers une finalité déterminée ». on a vu un exemple de cela chez Descartes lui-même.

Or, c’est de là que viennent toutes les erreurs, c’est pour cela que l’on croit qu’il y a un bien et un mal, pour cela que l’on croit que Dieu punit les hommes quand il cause des tremblements de terre, des éruptions volcaniques, etc. Tout cela provient en effet de ce qu’on a commencé par croire que tout était fait en vue d’une fin. On commence donc par louer Dieu, en admirant qu’il nous a donné un soleil pour nous chauffer, des fruits pour nous nourrir. Puis, quand il nous envoie au contraire des maladies ou le Déluge, à ce moment-là, il est assez difficile de le remercier. Alors, nous pensons que c’est parce que nous avons été méchants, et que Dieu nous punit par de tels moyens.

Or, selon Spinoza, c’est un véritable délire que de penser ainsi les choses. Mais comment se délivrer de ce délire ? Et qu’est-ce qui délivrera les hommes de ce délire ?

Il s’agit, dit Spinoza, après avoir décrit la conception générale de la Nature qui découle d’une telle erreur, de « renverser tout cet échafaudage ». Ce terme est important car il ne s’agit rien de moins que de renverser cet échafaudage, et de réfléchir pour en élever un nouveau.

On peut considérer que c’est vraiment d’elle que Spinoza est parti. On sait que, dès son enfance, quand il était à l’école rabbinique, il discutait ferme avec ses professeurs, et qu’il s’opposait de façon très violente à l’interprétation qui lui était donnée des livres sacrés et aux enseignements du Talmud, tels qu’ils lui étaient transmis.

Donc, il veut renverser tout cela. Mais reprenons la citation de Spinoza donnée au bas de la page de titre : « La vérité serait restée cachée au genre humain pour l’éternité si la mathématique, qui ne s’occupe pas des fins, mais seulement de l’essence et de la propriété des figures, n’avait appris aux hommes d’autres règles de vérité ».

Ainsi Spinoza, porteur depuis le début, d’une conception selon laquelle la Nature se suffit, animé dès le début, de l’intention de nier toute finalité dans cette Nature, et par conséquent tout Dieu séparé, tout Dieu transcendant la Nature, reconnaît que les penseurs dont il s’est inspiré n’ont opposé à une conception finaliste et chrétienne de la Nature qu’un dynamisme confus. Ce sont les seules mathématiques qui vont permettre de fonder un naturalisme et un rationalisme nouveaux, car ce sont elles qui nous montrent comment l’esprit, par sa seule force, sans aucune passivité, et sans se référer à rien qui lui soit extérieur, peut construire librement ses notions.



[1] Dans le raisonnement mathématique disant : « si ceci est vrai, cela est vrai », le mathématicien ne se demande pas si le monde réel est conforme à ce qu’il dit ; il se demande si ce qu’il dit est correctement déduit des principes qu’il a admis.

[2] On assiste, ici, à un changement tout à fait considérable dans la définition de la vérité, par rapport à la théorie biologique, qui était celle d’Aristote. En sciences naturelles, en effet, quand on décrit tel ou tel animal, ou tel et tel végétal, quand on décrit le lion, le chat ou le chêne, il faut d’abord savoir s’il y a des lions, des chats ou des chênes. L’imaginaire n’a pas sa place dans les traités de sciences naturelles.

[3] A-t-il trouvé ses sources dans une certaine tradition juive ou dans les doctrines naturalistes de la Renaissance (doctrines contre lesquelles Descartes s’était élevé) ou chez tel ou tel auteur, chez Plotin, chez Giordano Bruno, etc. ?

Cet italien, Bruno (1548-1600), entré à dix sept ans au couvent des Dominicains à Naples, a étudié pendant treize ans la théologie thomiste, lisant dans le même temps les philosophes modernes et anciens. Mis en procès par Rome, il quitte l’Italie pour Genève, puis Toulouse et Paris où il publie en 1582 ;un premier livre qu’il dédie à Henri III (De umbris idearum) qui lui vaut une chaire à la Sorbonne. L’année suivante il enseigne à Oxford, revient à Paris, puis se dirige vers l’Allemagne et Prague. Revenu à Venise où il fréquente Galilée, il est finalement livré au Saint-Offive qui le fait martyriser et brûler vif pour ses thèses coperniciennes et sur la connaissance du monde fondée uniquement sur la raison comme but suprême de la pensée.


Date de création : 23/01/2007 @ 10:50
Dernière modification : 03/02/2007 @ 17:44
Catégorie : Parcours spinoziste
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