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Parcours habermassien - Les relations entre l'Allemagne et la France
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LES RELATIONS ENTRE LALLEMAGNE ET LA FRANCE
HABERMAS publie un nouvel essai et une biographie lui est consacrée chez Gallimard. Pour Le Point, le grand penseur allemand sexprime sur les relations entre nos deux pays. Le 16 mars 2017, le jeune candidat à la présidentielle française Emmanuel Macron, 39 ans, qui fut un temps l'assistant du philosophe Paul Ricur (1913-2005), a rencontré à Berlin le philosophe allemand Jürgen Habermas, 87 ans.
Propos recueillis par Pascale Hugues,correspondante du Point en Allemagne. « Les intellectuels engagés dans le débat public sont une espèce rare. Heureusement,il y a Jürgen Habernas ! » se réjouissait récemment un éditorialiste allemand. Né en 1929, représentant la seconde génération de lillustre école de Francfort créée après la guerre à leur retour dexil par Max Horkheimer et Theodor Adorno, Jürgen Habermas a toujours pensé à la confluence de la sociologie, des sciences politiques et de la philosophie. Un des intellectuels les plus renommés de notre époque, il na jamais hésité à intervenir, à protester, à donner son avis.De la bioéthique à la mondialisation, du libéralisme à lEurope, Jürgen Habermas se mêle aux débats de notre temps. Il a suivi de près les immenses mutations qui ont chamboulé son pays depuis la chute du Mur, plaidant pour un « patriotisme constitutionnel » afin de défier le « nationalisme économique » qui servit didentité de substitution aux Allemands daprès guerre, Jürgen Habermas est aussi un des grands penseurs de lEurope. Il a soutenu avec enthousiasme le candidat Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle et a même accepté de venir débattre avec lui à luniversité Humboldt de Berlin. Alors que lAllemagne vient de se doter dun accord de gouvernement CDU-SPD après quatre mois et demi de tractations, Jürgen Habermas a choisi de nous livrer ses réflexions. Le Point : En 2017, vous avez soutenu avec beaucoup denthousiasme la candidature dEmmanuel Macron à lélection présidentielle française. Pourquoi ladmirez-vous autant ? Rêvez-vous, comme beaucoup de vos compatriotes, dun « Macron allemand »? Jürgen Habermas : Vos questions me semblent formulées avec un peu trop denthousiasme. Nous navons pas besoin dun Macron allemand puisque nous en avons un français - nous avons besoin dun gouvernement allemand qui apporte la réponse juste. Ce qui distingue Macron de tous les dirigeants européens, cest linstinct politique avec lequel il voit en lavenir de l'Union européenne un défi décisif, non seulement pour celle-ci mais aussi pour sa propre nation. Son sens des priorités va de pair, semble-t-il, avec lheureuse coexistence de trois qualités :
Le Point : Partagez-vous cette image que la plupart des Allemands ont (ou avaient) de la France : un pays déprimé, râleur, incapable de se réformer ? Jürgen Habermas : Je nai pas été en France ces derniers mois, mais jai limpression que cest plus quun gouvernement qui a changé : cela a suscité des attentes et le climat a changé. Bien sûr, jentends aussi les nombreuses voix critiques, mais cette nouvelle polarisation politique est un signe de vitalité. Cependant, je compte sur la sagesse politique et le sens républicain du président : les partis politiques vont bientôt régénérer leurs forces et ne pas se laisser dépérir dans lombre populiste du succès plébiscitaire. Il ny a pas si longtemps, Angela Merkel était «la femme la plus puissante au monde» et lAllemagne conduisait les affaires européennes. Le Point : la France de Macron est-elle en train de reprendre le leadership européen ? Jürgen Habermas : il sagit moins de leadership que de juste initiative. Celle-ci vient aujourdhui du président français. Si cela satisfait les Français, cest bien comme ça. Mais, plus que la fierté nationale, ce qui importe, cest le but auquel doit conduire cette initiative, à savoir renforcer lesprit de coopération entre tous les participants et modérer légoïsme national, y compris le nationalisme économique allemand. Il faut en effet que les peuples dEurope comprennent que la solidarité quils exercent aujourdhui servira à plus long terme leurs propres intérêts. Le Point : Emmanuel Macron a prononcé à la Sorbonne, deux jours après les élections allemandes, un plaidoyer en faveur de la relance de lEurope. Pourquoi, à votre avis, a-t-il trouvé si peu décho, voire denthousiasme, en Allemagne ? Depuis le début de la crise bancaire, le gouvernement comme la presse allemande ont informé lopinion publique de manière unilatérale en ce sens que, pour faire court, nous, Allemands, sommes les trésoriers de lUE et Merkel doit veiller sur notre argent. Dans ce débat sur les causes de la crise et ses remèdes nécessaires, nos divergences de style en matière économique et nos propres expériences des crises au fil de lHistoire jouent, certes, un rôle non négligeable. Mais le respect fanatique des règles qui habite la politique daustérité imposée par Schàuble trouve son écho jusquaujourdhui dans lopinion publique sur un ton qui ne facilitera pas au prochain gouvernement le retour à une appréciation souveraine du nécessaire équilibre des intérêts en Europe. La réunification allemande sous le sigle du retour à la « normalité » nationale a, hélas, engendré un changement de mentalité politique : il en résulte que laccent est mis sur la défense des intérêts nationaux. Cette myopie est peu favorable à une politique de relance de la coopération européenne. Le Point : Au sommet de sa puissance économique, lAllemagne est-elle en pleine crise identitaire ? Votre pays est-il en train de changer profondément ? Jürgen Habermas : Longtemps le verrou du « plus jamais ça » a tenu ; mais, depuis les législatives du 24 septembre, les nouveaux députés de lAfD siègent au Bundestag. Le Point : Y voyez-vous un danger ? Jürgen Habermas : Quelque chose a changé, en effet, mais lextrémisme de droite ne minquiète pas vraiment, pas encore. Ce point de vue est subjectif et seulement valable pour linstant, car il est difficile de présumer de lavenir à ce sujet. Que le populisme de droite sexprime sous la forme dun parti politique est certes une nouveauté en République fédérale. Mais cela résulte du cumul de réactions fort diverses non seulement le rejet du nombre croissant de migrants mais aussi, par exemple, la peur du déclassement due à la prise de conscience des inégalités croissantes dans les classes moyennes. La répartition régionale des succès électoraux de lAfD révèle aussi que le vote extrémiste de droite est le reflet de certaines expériences négatives et des conséquences sociales de la réunification dans lex-RDA. Avant tout, je vois dans le populisme diffus la note à payer pour une décennie de dépolitisation voulue dans une république du bien-vivre douillet où les vrais sujets dimportance, tel lavenir de l'Europe, ne relevaient plus du débat public. Cette phase sest terminée sous leffet polarisant de la crise des migrants. Le Point : Doit-on par conséquent dédramatiser ? LAllemagne est-elle en voie de «normalisation» comme tous les autres pays européens, elle a, elle aussi, un parti populiste? Jürgen Habermas : Je nirai pas jusquà dire cela. Car, depuis la fin du régime nazi, ce nest pas la même chose que cela advienne en Allemagne ou en France à savoir que certaines expressions, certains ressentiments, tabous chez nous depuis des décennies, acquièrent à nouveau une certaine normalité. Sur ce point, lopinion publique en Allemagne fédérale réagit encore avec une sensibilité particulière. Le Point : Comment percevez-vous aujourdhui votre pays? Les Allemands sont-ils plus décontractés, plus sûrs deux-mêmes? Jürgen Habermas : Plus sûrs sur la scène internationale. Le Point : Trump, Erdogan, Poutine et le reste éveillent chez vous et chez nous les mêmes sentiments. Jürgen Habermas : Mais la nécessité que lEurope devienne enfin « adulte », comme on dit, inquiète davantage lAllemagne, plus transatlantiste et plus pacifiste. Dune manière générale, le sentiment dune identité nationale prétendument « saine » est moins prononcé chez nous... Ce qui nest pas sans avantages dans la constellation postnationale quest lAllemagne. Donc plus sûrs deux-mêmes, oui. Plus décontractés, non. Mais il y a des raisons à cette forme de tension : la menace terroriste nous concerne aussi, ainsi que les mutations.
Le Point : Le « patriotisme constitutionnel » que vous aviez théorisé, selon lequel les Allemands ne doivent pas se sentir attachés à leur pays, coupable datrocités durant la Seconde Guerre mondiale, mais aux institutions démocratiques qui garantissent le respect des citoyens, est-il toujours dactualité à lheure de la montée des populismes dans toute lEurope ? Jürgen Habermas : Votre président aime les grands gestes; et sans doute, après tous les malheureux grands gestes que lAllemagne a faits, pour lesquels lempereur Guillaume II était déjà connu avant la Première Guerre mondiale, manquons-nous du juste regard pour apprécier les choses. Jai le sentiment que Macron, lui, ne perdra pas son regard, et sous ces prémices, il ne peut pas être dommageable quil rappelle à ses collègues, timides et étriqués, que la politique ne se limite pas à lopportuniste adaptation aux nécessités du jour et du pouvoir, prétendument systémiques. Le courage dinnover en politique exige un regard informé sur lavenir. Il faut avoir le goût den savoir plus que les réalistes blasés qui sempressent de dire que « celui qui a des visions doit consulter un médecin ». Jusquà présent, les visions de Macron demeurent à la hauteur de son intelligence. Et tant que cest le cas, je suis reconnaissant à toute personnalité politique qui ose exiger encore de ses électeurs un raisonnement dépassant le cadre de la norme. Le Point : Ne voyez-vous pas le danger que cette commémoration attise les ressentiments contre lAllemagne? Jürgen Habermas : Je ne vois pas ce danger. Mais il serait bon, à mon sens, que, par peur dun tel danger, nos dirigeants rappellent que lancienne République fédérale, jusquà Helmut Kohl, sest inscrite tranquillement dans le concert des nations, et que cest précisément en considérant les intérêts de toute lEurope quelle y a joué un rôle moteur, et ce à lavantage de son propre peuple.
Date de création : 17/03/2018 @ 16:21 Réactions à cet article
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