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    La numérisation du monde - Le numérique et ses fortes potentialités

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    LE NUMÉRIQUE ET SES FORTES POTENTIALITÉS

    PRÉAMBULE

    Le numérique même s’il est important ne doit pas être omnipotent

    – Pour l’Académicien, Marc FUMAROLI, le « tout numérique» qui prévaut en Californie, siège de Silicon Valley et de ses nombreux vassaux universitaires, n’empêche pas le même État d’héberger un tout autre Vatican, celui de l'histoire mondiale des arts, le « Getty ». La côte Est, siège de l'Ivy League, se pique de fidélité à l'enseignement classique des humanités... À Harvard, le fameux MIT recrute volontiers de jeunes latinistes et hellénistes surdoués, dont il juge l'esprit affranchi des conformismes intellectuels et des chemins battus par la logique binaire, donc plus imaginatifs que leurs contemporains issus de filières exclusivement modernes (I) ;
    – Pour l’essayiste Natacha POLONY, Cette troisième révolution industrielle (la deuxième ayant eu comme vecteur l’électricité et le pétrole) a une matière première : les données. Des données que les progrès technologiques permettent de traiter, de stocker, d’exploiter, de tronquer, voire de truquer (II) ;
    –  Selon Alain GALLONI et Olivier LLUANSI, conseillers à l'industrie et à l'énergie, il est possible de « stopper la désindustrialisation du pays et de rejoindre la moyenne européenne ;
    encore faut-il que les industriels adoptent les nouvelles technologies pour faire émerger l'usine du futur (III) ;
    –  À nouveau pour Natacha POLONY, les technologies numériques sont un outil formidable tant qu'elles restent un outil, si possible au service d'une pédagogie fondée sur l'effort (sachant que le « ludique » est un artifice qui rencontre assez rapidement ses limites, sauf quand les ambitions sont modestes), la mémorisation (Internet, pas plus que la possession d'une bibliothèque, ne dispense de s'approprier certains savoirs pour simplement avoir l'idée d'aller chercher les autres) et la progression logique (butiner au hasard des rencontres, sur Internet comme au cours de « projets pédagogiques », laisse des pans entiers du savoir inexplorés ou obscurs) (IV) ;
    – Pour le directeur de la rédaction du Figaro Magazine, Guillaume ROQUETTE, on espère simplement que lire signifie en l'occurrence travailler avec des livres, en résistant au déferlement du numérique dans l'institution scolaire. Rappelons que les pays les mieux placés dans le classement mondial Pisa (Shanghaï, Japon, Corée…) sont ceux où les enfants utilisent le moins internet et l'informatique à l'école, ce qui ne les empêche pas de maîtriser à la perfection tous ces outils (V) ;
    – Pour le General Manager, Vincent CHAMPAIN, pour les cadres supérieurs, il s’agit moins d’arbitrer des projets ou d'avoir une vision détaillée à proposer à leur entreprise que de poser des principes d’architecture, d’outiller et d’inspirer leur organisation pour que cette transformation se fasse en grande partie sans eux (VI) ;–
    Pour le Ministre de l’Education nationale, Jean-Michel BLANQUER, sur la question du numérique, le mot-clé est « discernement ». Il ne faut ni le « tout numérique » ni le « zéro numérique ». Je distingue les âges de la vie. Comme vous l’avez écrit, de zéro à sept ans, les écrans peuvent être tout à fait nocifs. Cependant, faut-il ignorer les révolutions majeures qui se produisent sous nos yeux, notamment dans les domaines de la robotique et de l’intelligence artificielle ? (VII) ;
     

    DÉVELOPPEMENTS

    I / LES HUMANITÉS AU PÉRIL D'UN MONDE NUMÉRIQUE (Marc Fumaroli)

    Par Vincent Tremolet de Villers

    Publié le 31/03/2015

    FIGAROVOX/ENTRETIEN - Le professeur et académicien Marc Fumaroli rappelle l'importance de protéger et transmettre les humanités qui permettent le développement durable et profond de ce qui fait notre humanité : la liberté intérieure.
    Docteur es lettres, Marc Fumaroli est professeur des universités, historien, essayiste et académicien. Il est élu au Collège de France en 1986 dans une chaire intitulée «Rhétorique et société en Europe (XVIe-XVIIe siècles)», à l'Académie française en 1995 où il succède à Eugène Ionesco et à l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1998.
    Il a été directeur du Centre d'étude de la langue et de la littérature françaises des XVIIe et XVIIIe siècles. De 1993 à 1999, il a été président de l'Association pour la sauvegarde des enseignements littéraires (S.E.L.), fondée par Mme Jacqueline de Romilly.

    Nous vivons une rupture de transmission?

    Le mot transmission est un très beau mot. Il a la capacité de toucher le public actuel qui s'inquiète de l''état de l'Éducation nationale dans la France libéralo-socialiste. Mais il ne s'agit pas seulement de transmettre comme un bagage fourre-tout un «fonds commun»élémentaire, il s'agit de fournir aux futurs adultes les instruments de leur liberté d'esprit. Le but que nous avons poursuivi en plaidant pour le latin et le grec, ce n'est pas d'alourdir prématurément la mémoire et l'emploi du temps des étudiants avec des formes les plus difficiles de notre héritage. Si tel était le cas, nous donnerions dans le défaut du «genre ennuyeux» dont Mme le ministre habilement nous accuse.

    Il ne s'agit pas seulement de transmettre comme un bagage fourre-tout un « fonds commun » élémentaire, il s'agit de fournir aux futurs adultes les instruments de leur liberté d'esprit.

    Quand nous parlons d'humanités, nous parlons d'un dialogue fécond avec les meilleurs esprits de notre lointain passé, avec les meilleurs poètes, les meilleurs artistes, dialogue d'aujourd'hui qui a été précédé par une suite de dialogues dont les fruits ont été d'une étonnante diversité et nouveauté. C'est cette fécondation passionnante et surprenante de génération en génération qu'il faut faire découvrir et intérioriser. Cela suppose tout autre chose qu'une «pluridisciplinarité» touche à tout dont les «ateliers» feraient, de la salle de classe une annexe des «performances» vouées à l'oubli des galeries d'art contemporain.

    Une pédagogie de la comparaison demande l'apprentissage préalable de disciplines. Si l'on veut, par exemple, comparer un poème du XIXe siècle avec son modèle antique, pour en faire valoir l'originalité, il faut avoir déjà une bonne maîtrise grammaticale et sémantique de la langue mère et de la langue fille. Si l'on en fait autant en peinture, en sculpture ou en architecture, cela supposera que l'on a assez appris par exemple à «lire» dessins et relevés d'architectes d'époques diverses pour être capable de les comparer et d'évaluer les libertés que l'artiste a prises avec sa propre tradition...

    Il y a un temps, dirait l'Ecclésiaste, pour s'approprier d'une discipline, et un temps pour se livrer à des exercices comparatifs justifiés. La pluridisciplinarité qu'invoque Mme Vallaud-Belkacem, c'est un idéal pour l'enseignement et la recherche universitaires, entre disciplines déjà bien maîtrisées, et non dans l'enseignement secondaire, où il faut se rendre maîtres de disciplines, et non pas faire semblant d'en disposer prématurément pour se livrer à des rapprochements hasardeux. Pluridisciplinarité: une belle mais fallacieuse enseigne pour couvrir le renoncement du chef d'orchestre, le professeur, à surmonter la cacophonie des instrumentistes, les élèves, partant dans tous les sens. Les phénomènes humains peuvent toujours être abordés de différents points de vue, mais la pluridisciplinarité peut- être aussi un alibi pour le touche à tout.

    Pluridisciplinarité: une belle mais fallacieuse enseigne pour couvrir le renoncement du chef d'orchestre, le professeur, à surmonter la cacophonie des instrumentistes, les élèves, partant dans tous les sens.

    Vous avez enseigné à l'université de Chicago. Les humanités y sont-elles encore au programme?

    Nos voisins européens et nos amis américains n'ont pas été aussi loin que nous dans l'ostracisme de l'enseignement des langues et littératures classiques. Nous nous trouvons en état de régression par rapport à eux. Le liceo classico italien n'a pas été pour l'essentiel retouché, ce qui explique la facilité avec laquelle les jeunes italiens bien formés dans ces lycées sont prêts à s'adapter à toutes sortes de professions et organismes de recherche en France comme en Europe et aux États-Unis, selon une tradition d'expatriation qui remonte au XVIe siècle. Le lycée classique allemand (Umanistische Gymnasium) a mieux résisté que nos propres collèges et lycées, à ce qu'on me dit, au pédagogisme. Le gouvernement conservateur anglais actuellement au pouvoir, débarrassé des pleurnicheries égalitaristes du blairisme, favorise un retour aux humanités dans de nombreux établissements secondaires publics. Quant aux États-Unis, s'il est certain que l'ensemble des américains scolarisés ne fait pas de grec ni de latin, les parents qui en ont les moyens disposent de ce qu'on appelle College of arts, où le latin et le grec sont enseignés dès ce que nous appelons la sixième.

    Nos voisins européens et nos amis américains n'ont pas été aussi loin que nous dans l'ostracisme de l'enseignement des langues et littératures classiques.

    Le ministère Vallaud-Belkacem donne volontiers la Finlande en exemple vertueux de ce qu'il rêve de transposer dans le secondaire français. C'est oublier que ce beau pays qui parle une langue très singulière a recouru, jusque dans les années 6o, au latin (avec chaîne de radio ad hoc) pour dialoguer avec les pays libres de l'Europe du Nord et de l'Est. Elle est passée, depuis, au tout anglais: en matière d'éducation, elle s'est convertie à un utilitarisme qui fait passer les «besoins de l'industrie et de la société moderne» devant les vrais intérêts de l'épanouissement d' individus complets et libres.

    Aux États-Unis, nation aussi idolâtrée en France que mal connue, il n'existe pas de «mammouth» washingtonien qui régit en bloc, comme le Docteur Knock de la rue de Grenelle, tout le système éducatif public de l'État fédéral. Une extraordinaire diversité prévaut dans tous les ordres d'enseignement. Le «tout numérique» prévaut en Californie, siège de Silicon Valley et de ses nombreux vassaux universitaires, mais le même État héberge un tout autre Vatican, celui de l'histoire mondiale des arts, le «Getty». La côte Est, siège de l'Ivy League, se pique de fidélité à l'enseignement classique des humanités. Elle fourmille en centres de recherches prestigieux où exercent les sommités de leurs disciplines, la byzantinologie à Dumbarton Oaks, l'hellénisme et la latinité, traités à égalité avec l'héritage d'Einstein et d'Oppenheimer, l'histoire de l'art érudite dans la tradition d'Erwin Panofsky, à l'Institute of Advanced Studies de Princeton. À Harvard, le fameux MIT recrute volontiers de jeunes latinistes et hellénistes surdoués, dont il juge l'esprit affranchi des conformismes intellectuels et des chemins battus par la logique binaire, donc plus imaginatifs que leurs contemporains issus de filières exclusivement modernes. D'où viennent ces petits génies révélés à eux-mêmes par l'Antiquité classique? Des Colleges of Arts , privés-et coûteux-, pas très nombreux, mais répartis sur tout le territoire, le plus souvent dans les États riches, comme le Texas. D'où viennent leurs professeurs de grec et de latin, souvent francophones, qui enseignent si confortablement dans ces collèges outrageusement élitistes?

    La côte Est, siège de l'Ivy League, se pique de fidélité à l'enseignement classique des humanités. Elle fourmille en centres de recherches prestigieux.

    Eh bien, puisque vous venez d'évoquer l'Université de Chicago où j'ai longtemps enseigné les lettres françaises, cette puissante et austère institution a été le foyer du néo-libéralisme économique de Milton Friedman, et aussi celui du néo-conservatisme politique des William Kristoll et des Allan Bloom. Cependant, fourmillant déjà de Prix Nobels, elle est aussi le siège du Commitee on Social Thought, fondé en 1941 par John U. Nef dans un esprit pluridisciplinaire, et où enseignèrent longtemps le grand politologue allemand Léo Strauss, interprète éminent de la pensée grecque, la grande dame de l'heideggerisme, Hannah Arendt et le Prix Nobel de littérature, Saül Bellow. Les étudiants boursiers du Committee, plongés pendant plusieurs années dans ces séminaires juxtaposés, tous de très haut niveau, et en fin de parcours, auteurs de thèses de qualité, si les chasseurs de têtes ne les ont pas déjà recrutés dans l'administration ou les affaires, peuvent au moins aller enseigner dans les riches Colleges of Arts.

    Est-ce une bonne idée de remplacer les livres scolaires par des tablettes numériques?

    Encore une idée du Dr Knock de la rue de Grenelle, d'autant plus favorablement accueillie qu'elle flatte le conformisme ambiant du «tout numérique». Le livre, sous sa forme traditionnelle, ne survivrait donc que pour les riches bibliophiles et leur famille. Les enfants du tout venant n'auraient plus à se mettre sous la dent que cet objet glacial, la tablette, et à se passer sous les yeux les aveuglants écrans du livre numérique. Ce fantôme de livre, désincarné du papier, de l'encre, des pages, du cartonnage de son original, a perdu l'autonomie d'objet vivant qui lui est propre. Entre l'invasion du «tout numérique» et la retraite progressive de l'enseignement des humanités, on a instauré en haut lieu une corrélation qui rend inévitable à terme la disparition des secondes, alors que l'on devrait chercher une souhaitable coopération et compensation entre les deux univers mentaux d'où ils procèdent.

    Le plus grave de ces dommages est l'atrophie sans douleur et sans symptôme, sinon à long terme, d'un autre mode de notre rapport au monde et aux êtres .

    L'univers technologique secrété par les surdoués de la logique binaire répond à l'évidence à un postulat de l'esprit humain, il prolonge et métamorphose démesurément le monde fantasmatique du machinisme et il achève de le substituer au travail servile, à la condition toutefois de mettre entre parenthèse la fabrication de ces tablettes par un féroce travail à la chaîne dans de gigantesques villes dortoirs chinoises ou coréennes, et de mettre en garde les usagers contre les dommages collatéraux de l'accoutumance à ces petits chefs d'œuvre d'horlogerie informatique…..

    Le plus grave de ces dommages est l'atrophie sans douleur et sans symptôme, sinon à long terme, d'un autre mode de notre rapport au monde et aux êtres. Cet autre mode, allégorique et non algorithmique, analogique et non linéairement logique, nous donne accès à l'univers de la qualité, de la saveur, de l'ambiguïté, de la beauté, de l'amour, du goût, où se fait et se défait notre bonheur. À cet ordre immémorial du connaître, l'on ne peut être éduqué que par la pratique des arts; des lettres, et de rites sociaux délicats et doux. Ce que peut faire de mieux l'école, si possible secondée par la famille, c'est d'éveiller les enfants et les adolescents à ce monde et à ce mode du vivant, c'est-à-dire de la qualité et des saveurs, en d'autres termes de la poésie. L'éveil à l'esprit poétique, pour le moins aussi humain que l'autre, son jumeau logiciel, mais beaucoup plus ancien, beaucoup moins abstrait, libère les jeunes âmes qui s'ignorent de ce qui les enferme dans le monde utilitaire et manipulable de la quantité.

    C'est là l'enjeu ultime et le sens profond du combat que Jacqueline et moi avons mené pour un retour en fanfare des humanités à l'école et pour l'immersion des jeunes générations dans l' univers que leur nature intuitive postule, pour le moins autant que l'univers numérique rassasie leur nature logicienne. À l'univers des affinités électives cher à Goethe donnent accès la comparaison, la métaphore, les figures, le rythme, le rite, toute la technologie artisanale des poètes, des artistes, des anthropologues, des mystiques.

    Ce que peut faire de mieux l'école, si possible secondée par la famille, c'est d'éveiller les enfants et les adolescents à ce monde et à ce mode du vivant, c'est-à-dire de la qualité et des saveurs, en d'autres termes de la poésie.

    Qu'avons-nous perdu?

    Perdus, ou plus exactement oubliés et ignorés ensemble, cet autre monde qui est la vraie patrie de nos sens, de notre cœur, de notre esprit, et le mode imaginatif du connaître cet autre monde par le jeu baudelairien des correspondances. Avez-vous entendu un seul de nos écologistes français intarissables sur la pollution et le changement climatique, se préoccuper de l'hypertrophie numérique dès l'enfance et de l'atrophie de l'enseignement du poétique et du beau? Si peu enviable par ailleurs, le passé, moins avancé que nous dans l'abstraction, avait du moins un rapport plus direct avec cette expérience du monde et des autres qui s'exprime par métaphores.

    Délivrons-nous de la pathologie égalitariste, elle a brisé les élans ambitieux de notre république méritocratique.

    Dans ses chefs d'œuvre littéraires et artistiques, le passé nous a laissé de fabuleux témoignages sur cet autre mode du connaître dont nous sommes de plus en plus exilés dans nos machines à habiter et devant tous nos écrans. Ils font écran au monde des qualités, des saveurs, de l'humain et du divin incarnés, ils nous sèvrent de nos cinq sens, réduits aux fantômes qu'un effleurement de l'index fait surgir dans et sous le verre de la tablette numérique. N'ayons plus peur du passé, c'est un excellent ami. Filtré par le temps, il ne nous a laissé que le meilleur de lui-même, quelques clefs pour rouvrir à notre tour les portes de la perception et de la connaissance analogiques. Virgile, Dante, Shakespeare, Hugo n'ont jamais pris une ride.

    Du même mouvement, délivrons-nous de la pathologie égalitariste, elle a brisé les élans ambitieux de notre république méritocratique. Là se trouvait, pourtant, le ressort de la vitalité ascensionnelle de cette société séculière. Dépouillés de ce puissant ressort qui pousse vers le haut et le rare, nous sommes passés tour à tour d'un sentiment de stagnation à l'obsession névrotique de sombrer dans un triste et monotone déclin. Il serait temps d'en sortir.

     

    II/  BIENVENUE DANS LE PIRE DES MONDES[1] (Natacha Polony),

    Pour tenter de sortir de la dépendance aux marchés financiers, trouver un nouveau souffle, le système mise sur les accords de libre-échange, mais aussi et surtout sur le numérique et les entreprises d’Internet, ce « septième continent[2] ».

    Celles-ci sont incarnées par les GAFA, Google, Apple, Facebook, Amazon, auxquels il faut ajouter Microsoft , pour constituer les GAFAM[3]. Ce sont les nouveaux maîtres du monde, ou du moins ils aspirent à l’être. Le capitalisme numérique, inspiré de ce qu’on appelle le modèle californien, présente les mêmes caractéristiques que le capitalisme financier. L’un de ses thuriféraires en est d’ailleurs le petit-fils de Milton FRIEDMAN, Patri FRIEDMAN, pour qui     « le gouvernement est une industrie inefficace et la démocratie inadaptée[4] ». La technologie n’est plus un outil, un moyen de développer l’économie pour le bien-être de tous, mais une fin en soi. Une philosophie, même. L’économie numérique, née du mariage de l’informatique et des réseaux de télécommunications, est une nouvelle phase dans les processus de production de biens et de services. Mais elle est plus que cela, puisqu’elle touche toutes les activités humaines. En ce sens, c’est bien une révolution. Cette troisième révolution industrielle (la deuxième ayant eu comme vecteur l’électricité et le pétrole) a une matière première : les données. Des données que les progrès technologiques permettent de traiter, de stocker, d’exploiter, de tronquer, voire de truquer.

    Les prévisions pour l’avenir

    « En 2020, on traitera par an 40 zettaoctets [(1 zettaoctet = 1 millier de milliards de milliards d’octets d’informations], c’est-à-dire plus qu’il n’y a de grains de sable sur toute la planète. On doublera en 2021... et ce n’est que le début. Nous avons la capacité de traiter, de stocker toutes ces données. Les applications sont absolument infinies[5]. »
    Chaque minute, 300 000 tweets, 15 millions de SMS, 204 millions de mails sont envoyés sur les réseaux. Les GAFA détiennent 80 % des informations personnelles numériques de l’humanité. Sur les treize serveurs qui gèrent les noms de domaine, neuf sont américains. L’économie numérique, loin de pâtir de la crise, en a profité. On peut même dire qu’elle l’a .accélérée. Au nom du principe de SCHUMPETER : il faut détruire l’ancien monde pour reconstruire le nouveau. Le poids des GAFAM est devenu tel que le pouvoir politique et financier américain ne peut plus rien leur refuser. Les relations avec la NSA (National Security Agency[6]) sont désormais connues. Sans la collaboration des entreprises de la Silicon Valley, pas de réseau Echelon, pas d’écoutes régies par les algorithmes. Derrière l’alibi de la lutte contre le terrorisme, la NSA pratique bel et bien l’espionnage économique et politique, pour le plus grand profit des intérêts américains, qui se trouvent être ceux du big business et des GAFAM.
    Ce qui reste du pouvoir politique a mis des années à comprendre que la prospérité de ces entreprises numériques était également fondée sur des pratiques systématiques d’optimisation, pour ne pas dire d’évasion fiscale.

    Les nouveaux piliers de l’économie américaine

    Aujourd’hui, on essaie, des deux côtés de l’Atlantique, de récupérer un peu de matière fiscale, mais la puissance de ces trusts du XXIe siècle est devenue telle qu’ils ont des moyens de chantage fort efficaces. Les GAFAM, comme les grandes banques, sont devenus les piliers de l’économie américaine. Il suffit de regarder les palmarès des capitalisations boursières. Aux deux premiers rangs : Alphabet, maison mère de Google, avec plus de 750 milliards de dollars, et Apple, 670 milliards. On peut y ajouter Amazon (370 milliards), Microsoft (390), Facebook (200), Oracle (180). Le Nasdaq est le lieu de cotation privilégié à New York des entreprises technologiques du monde entier.

    Ces géants du Web sont assis sur des montagnes de cash, localisées dans les paradis fiscaux. Cela leur permet de faire une razzia sur toutes les start up qui peuvent les intéresser.

    Chaque jour, on annonce un nouveau rachat. Tous les secteurs d’activité sont concernés : l’intelligence artificielle bien sûr, les drones, l’éducation, la médecine... À coups de milliards de do1lars, ces géants cherchent à conserver leur position monopolistique. À l’image de ce qu’avaient fait les Rockefeller dans le secteur pétrolier au début du XXe siècle. Mais cette fois, le cas de figure est très différent. Car, avec leur monopole sur le traitement des données, ces nouveaux trusts du numérique touchent à tous les domaines de l’activité humaine, à la vie privée, au comportement des individus.

    L’idée sous-jacente est de conférer au système bancaire le monopole de la circulation monétaire

    En valorisant le concept de communauté d’utilisateurs hors frontières, qui correspond à une idéologie hyper individualiste, ces géants du Web ont monté les populations contre les États et ceux qui sont censés les incarner, pour mieux asseoir leur domination.
    Capitalisme financier et capitalisme numérique vont se faire la courte échelle en matière de moyens de paiement. L’idée, non encore exprimée officiellement, est de donner au système bancaire le monopole de la circulation monétaire. Comment ? En supprimant peu à peu les espèces. « Le 7 avril 2057, les collectionneurs s’arrachent les vieux billets en euro. » Cet épisode du Journal du futur, la série estivale d’anticipation de RTL saison 2016, ne nous transporte pas dans un monde où la monnaie unique, disparue, fait le bonheur des numismates. C’est un monde où le billet, le cash, s’est évanoui au profit des moyens de paiement électroniques, voire d’une monnaie digitale lointaine cousine du Bitcoin. « Le mouvement est irrémédiable, et on voit déjà apparaître un nouveau système qui ringardise les banques traditionnelles : la blockchain. Désormais, on fait confiance à son collègue et plus aux organismes bancaires. La technologie garantit la confidentialité », tel est le constat fixé en 2016 sur lequel se fonde l’anticipation. Pour l’auditeur, une bonne nouvelle au moins dans ce maelstrôm : la disparition des banques. Grossière erreur. Outre que cette petite pastille est sponsorisée par BNP-Paribas, les banques elles- mêmes sont déjà sur le qui-vive pour organiser cette transition, comme l’a révélé un article du New York Times[7].

    En réalité, le cash est devenu le nouvel ennemi numéro un de la finance. Mais pas question d’avancer au grand jour

    C’est sous le prétexte toujours efficace de lutte contre le crime organisé, friand de grosses coupures, qu’au début 2016 la Banque centrale européenne, renonçant à retirer de la circulation purement et simplement le billet de 500 euros, a finalement cessé toute nouvelle émission. À l’été 2015, toujours avec le même argument qui fait mouche dans le public, le gouvernement français a réduit le plafond de paiement en liquide à 1000 euros. Sauf que cette restriction ne s’applique pas aux résidents étrangers (spontanément honnêtes, selon le gouvernement), puisque ceux-ci peuvent encore faire leurs emplettes en cash à hauteur de 15000 euros. Ce seul grand écart incite à chercher ailleurs que dans la lutte contre la délinquance l’objectif de mise à mort des espèces sonnantes ou de papier. Parmi les économistes les plus investis dans cette grande corrida, s’est imposé Larry SUMMERS. L’ancien ministre de l’Economie de Bill Clinton (l’homme à qui l’on doit la fin du Steagall Act, principal fait générateur de la crise de 2008), champion du lobby bancaire, a mis une banderille[8] remarquée. Celle de Kenneth ROGOFF[9], professeur de finance au MIT, qui lui dispute le titre, donne cependant la clé du mystère.

    Dans un papier académique, ROGOFF explique que le billet, en ce qu’il représente une créance sûre et certaine sans taux d’intérêt, est une menace pour le système financier

    Plus encore depuis que les banques centrales des principales zones monétaires de la planète ont été contraintes de pratiquer une politique inédite de taux d’intérêts négatifs. Dès lors, stocker du cash en liquide est plus intéressant que de le déposer à la banque. Pour les particuliers, mais aussi les grands groupes. Munich RE, un des principaux réassureurs de la planète, a officiellement mis en place cette stratégie, bourrant ses coffres de cash et d’or. Disposer de liquidités permet de s’abstraire du pilotage de la monnaie et conduit donc mécaniquement à réduire sensiblement les effets de la politique monétaire. En tout cas à permettre à un certain nombre d’acteurs de s’en abstraire. Tel est l’argument de ROGOFF. Très bien, sauf que l’agrégat M1 (composé de l’ensemble de la monnaie en pièces et billets), comme le désignent les comptables nationaux, ne représente qu’epsilon au regard des masses d’argent enregistrées dans les livres des banques. Mais là encore l’argument d’efficience n’épuise pas la question. Parmi les États les plus en pointe sur la disparition du cash : Singapour. La cité-Etat n’est pas seulement une puissance économique, elle est à la fois le modèle singulier d’une société riche à fort contrôle social et une place offshore. Preuve s’il en est que l’argent sale s’accommode très bien de l’absence de cash, comme l’ont bien compris les mafias qui adorent le Bitcoin. « Vers une société sans cash ?» : dans un papier de 2003[10], )

    Laurence SCIALOM, professeur à l’université Paris-Ouest-Nanterre, avait déjà bien vu les enjeux, qui vont nettement au-delà de la simple efficience économique

    « Une fois disparu le sigle monétaire, l’anonymat et l’absence de contrainte de sécurisation qu’il garantit, la monnaie ne deviendra-t-elle pas un puissant dispositif de contrôle social ? » La réponse, à l’évidence, est dans la question.

    L’ubérisation est une paupérisation

    « Ces emplois ne reviendront jamais ».Telle fut la réponse lapidaire de Steve Jobs à Barack Obama, qui lui demandait de rapatrier aux Etats-Unis des emplois manufacturiers. Depuis, les ténors de la Silicon Valley ne ratent jamais une occasion de répéter ce message. Ces emplois délocalisés dans les pays à bas coût de main-d’œuvre et à faible réglementation environnementale reviendront d’autant moins que demain la plupart n’existeront plus. Les robots auront pris leur place. Pas seulement sur les chaînes de production, mais aussi dans les laboratoires. Le robot de demain ne se contentera pas d’effectuer une tâche répétitive même complexe, il s’adaptera. Mieux même, il participera à l’amélioration de ses performances. Non seulement il n’y aura plus d’ouvriers, de techniciens, mais il n’y aura même plus d’ingénieurs, voire de concepteurs. Le rêve des docteurs Folamour de la Silicon Valley risque de devenir réalité.

    La technologie se nourrit de la technologie

    Elle est dans les mains de ces nouveaux maîtres du monde qui ont engagé une course de vitesse pour devenir incontournables et rendre inéluctable l’avènement de ce capitalisme numérique. Quels que soient les dégâts humains et sociaux. Sans se préoccuper d’éthique. Sans se poser de questions existentielles. Et si besoin est, ils feront appel au sentiment patriotique, les seuls capables de contester leur monopole étant les géants chinois du secteur (Baidu, Tencent, Alibaba...) et les Russes. La Chine et la Russie ne sont-elles pas les deux nouveaux ennemis du camp du Bien que prétend incarner la démocratie américaine ?

    S’il est impossible de chiffrer avec précision les pertes d’emploi que cette troisième phase d’automatisation de la production va engendrer, son impact sur l’emploi n’en sera pas moins ravageur. De différentes études américaines, on peut estimer que, d’ici à vingt ans, les algorithmes et la nouvelle robotique auront détruit environ 50 % des emplois actuels.          « Rien d’étonnant, nous explique-t-on, ce sont les emplois du passé qui disparaissent. Ils vont être remplacés par de nouveaux emplois, une nouvelle approche du travail. » Cela fait des années, pour ne pas dire des décennies, que l’on nous tient ce discours. Ces emplois nouveaux, ce sont essentiellement ceux générés par les nouvelles plateformes de distribution, qui suppriment tous les intermédiaires entre acheteurs et vendeurs. Les noms des nouveaux acteurs sont universellement connus, les NATUR : Netflix, Airbnb, Telsa, Uber... Ils cherchent à acquérir, comme leurs aînés des GAFAM, des positions monopolistiques.

    Le modèle des NATUR est pratiquement identique à celui des GAFAM

    Très peu de frais fixes, le moins possible de salariés, une optimisation fiscale totale, une capitalisation boursière surévaluée. Et bien sûr, des algorithmes très performants. S’ajoute à cela une communication fort habile. Ce que l’on a appelé l’ubérisation du monde est en fait la mise en concurrence totale de chacun par tous, et de tous par chacun. Un combat qui peut paraître populaire, parce qu’ainsi on s’attaque à des petits monopoles, des professions réglementées, des secteurs protégés, des rentes de situation. Le numérique casse toutes les règles du jeu. Au même titre que le libre- échange absolu. Il ne faut pas être dupe. En filigrane, c’est tout un modèle juridique, économique, social, qui s’impose. Les notaires, c’est bien connu, n’ont pas bonne presse en France. Pourtant, ce sont des officiers ministériels. Comme tels, ils garantissent la conformité des actes signés entre particuliers. Notamment pour les biens immobiliers. Cela n’a l’air de rien, mais c’est beaucoup, lorsqu’on compare le système français à ce qui se passe dans d’autres pays où les mauvaises surprises ne sont pas rares. Les frais prélevés par les notaires, à ne pas confondre avec les droits d’enregistrement de l’Etat, sont très faibles (1 %) par rapport au travail fourni et surtout à la garantie accordée par le notaire. On voudrait aujourd’hui faire sauter ce système pour le remplacer par de simples contrats entre parties, rédigés par des avocats. Le modèle anglo-saxon. Il n y a plus de garanties. En cas de litige, il faudra engager des procès coûteux... en avocats.

    En fait, cette ubérisation va se doubler d’une très grande instabilité juridique

    La caractéristique de ce capitalisme numérique, c’est l’instabilité permanente. C’est le pendant de ces accords de libre-échange où les Etats, les collectivités seront à la merci des tribunaux d’arbitrage et de procédures interminables lancées contre eux par les multinationales. L’objectif de ces plateformes est, bien sûr, de casser les prix. Ce qui ne peut que séduire dans un premier temps le consommateur. Selon le Boston Consulting Group, l’automatisation, la numérisation de la société entraînera, d’ici à 2025, une baisse de 16 % du coût total de la main-d’œuvre. C’est exactement le même processus que l’on a connu avec les délocalisations massives en Chine et ailleurs. Seul problème, c’est qu’on oublie toujours que le consommateur est aussi un producteur. Il achète moins cher certains biens, mais son pouvoir d’achat diminue régulièrement. Pis, il a de plus en plus de mal à trouver ou à retrouver un emploi. Qu’à cela ne tienne. Les idéologues du numérique ont une réponse : l’économie collaborative, l’autoentrepreneuriat, le partage. L’autoentrepreneuriat est au XXIe siècle ce que l’artisanat, les indépendants étaient au XXe. Ce ne sont pas cependant les mêmes revenus. L’autoentrepreneuriat est un palliatif, un substitut. S’il s’est développé sur les deux rives de l’Atlantique, c’est tout simplement parce que les plus dynamiques des chômeurs n’ont trouvé que ce moyen pour exercer un minimum d’activité. Au rabais. Reste que l’autoentrepreneuriat est la mort des systèmes de protection sociale bâtis durant les Trente Glorieuses.

    En escamotant les cotisations employeur, on revient aux beaux jours de ce capitalisme de la seconde moitié du XIXe siècle

    Un capitalisme déjà globalisé, dont les excès avaient engendré le communisme et débouché sur la guerre de 1914. Aujourd’hui, la globalisation à outrance, la numérisation, et leurs excès, sont le terreau du populisme, des extrémismes. Comme les revenus des classes moyennes diminuent, on leur propose, grâce aux plateformes, non seulement de payer un peu moins cher, mais de rentabiliser les quelques actifs qu’ils ont encore. On met en location son appartement par Airbnb, sa voiture, son bateau. On partage une location, un trajet, on propose des repas chez soi. Tout cela, évidemment, en essayant de ne pas payer d’impôts. Au passage, les plateformes engendrent toujours plus de profits délocalisés avec le minimum de salariés. Et des secteurs entiers d’activité sont déstabilisés. Certes, il serait absurde de nier les services rendus par ces plateformes. Mais on ne peut pas accepter qu’elles ne respectent aucune règle et pratiquent une concurrence déloyale, en contournant toutes les législations. Certains, qui se croient jeunes, s’imaginent qu’il suffît de prendre le train « en marche », de coller au mouvement californien, de vanter la réforme pour la réforme. Ils devraient pourtant se souvenir qu’un système économique ne peut perdurer que si une part des gains de productivité est redistribuée sous forme de salaires. Or, avec le numérique, les automates, ces gains sont de moins en moins redistribués vers ceux qui travaillent. Ils sont confisqués pour l’essentiel par les nouveaux trusts et leurs actionnaires.

    Comment éviter que les populations paupérisées ne se révoltent ?

    Comment faire en sorte qu’elles continuent d’acheter les produits proposés par les géants du Web, alors que la masse de travail disponible diminue ? Une vieille idée ressurgit : l’allocation universelle. Une sorte de RSA-Smic, distribué tout au, long de la vie. D’autres prônent un revenu contributif, qui ouvre à l’individu le droit « à un temps dédié au développement de ses savoirs » ! Traduisez: l’individu alternera des périodes où il sera employé et rémunéré. Avec des moments où il sera chômeur mais se formera. Une sorte de régime des intermittents du spectacle appliqué à l’ensemble de la population. A ceci près que le financement en est impossible. Sauf à réduire drastiquement et les revenus du travail et les allocations en période de non-emploi, et, bien sûr, les cotisations sociales. S’il le faut, les géants du Web sont prêts à faire quelques concessions. Et à nous payer – le moins cher possible – les données sur nous-mêmes qu’ils accumulent chaque jour gratuitement. Une sorte de consentement tacite à une nouvelle forme d’esclavage.
     

    III/ IL EST ENCORE TEMPS D'ENRAYER LA DÉSINDUSTRIALISATION (Alain Galloni et Olivier Lluansi)

    Par Annelot Huijgen
    3 juil. 2017

    LIVRES & IDÉES - Pour la première fois en vingt ans, le gouvernement français ne possède ni ministre ni secrétaire d'État dédié à l'Industrie. Pourtant, il permettrait de «stopper la désindustrialisation du pays», selon la société de conseil EY.

    Croire en l'industrie du futur et au futur de l'industrie: le titre du livre blanc de la société de conseil EY est autant un appel à l'action aux industriels qu'au nouveau gouvernement. Selon  Alain Galloni et Olivier Lluansi qui ont côtoyé Emmanuel Macron de 2012 à 2014 à l'Élysée en tant que conseiller à l'industrie et à l'énergie, il est possible de « stopper la désindustrialisation du pays et de rejoindre la moyenne européenne ».
    NumeriquePotentialitesFig1.jpgLe poids de l'industrie dans le PIB européen, selon Eurostat, est de 13,9 % contre seulement 10 % en France et 20,3 % en Allemagne. Mais encore faut-il que les industriels adoptent les nouvelles technologies pour faire émerger l'«usine du futur» selon l'expression en vogue en France et que les Allemands appellent «Industrie 4.0».

    Or, selon les enquêtes menées par E&Y auprès d'industriels français et allemands, dans huit groupes sur dix, la réflexion sur l'impact des robots, des tablettes ou la réalité augmentée a à peine débuté. Mais même « si les grands groupes se sont dotés de feuilles de route – davantage que les ETI ou les PME –, ils sous-évaluent parfois l'urgence de la transformation ou encore son caractère global », alertent les auteurs de ce livre blanc très didactique, à la fois récit de l'histoire industrielle française et guide pratique.

     

    Ni ministre de l'Industrie ni secrétaire d'État

                                                                    On ne vend plus en effet aujourd'hui des moteurs,
                                                                    mais des heures-moteur, des trains d'atterrissage
                                                                    mais des cycles atterrissage-décollage, des pneus
                                                                    mais des kilomètres de roulage et une performance
                                                                    de consommation énergétique »
                                                                    Olivier Lluansi et Alain Galloni

    Car l'arrivée des technologies numériques a un impact de la conception d'un produit à sa fabrication et à sa commercialisation. Sa vente, qui sera de plus en plus accompagnée de services, suppose donc une organisation différente. « On ne vend plus en effet aujourd'hui des moteurs, mais des heures-moteur, des trains d'atterrissage mais des cycles atterrissage-décollage, des pneus mais des kilomètres de roulage et une performance de consommation énergétique», énumèrent les auteurs. C'est déstabilisant pour les industriels, reconnaissent-ils.
    Ils les exhortent à se concentrer d'abord sur les gains de performance très importants que les technologies permettent d'atteindre. Car, «si les services, notamment la personnalisation, les délais de livraison et la maintenance prendront une part plus importante dans la valeur ajoutée industrielle, la compétition restera essentiellement basée sur les coûts pour quelques années encore», estiment Olivier Lluansi et Alain Galloni.D'autres pays, notamment la Chine
    , ont commencé eux aussi à investir pour entrer dans la nouvelle ère industrielle. Si les industriels français s'y mettaient massivement, cela pourrait empêcher des délocalisations, voire conduire à des relocalisations. Toutefois, le solde en termes d'emplois risque d'être négatif au moins au début, selon E&Y, avant d'être compensé par des créations d'emplois dans les services.

                                                                « Il est donc primordial que l'État accompagne les
                                                                 industriels pour qu'ils puissent continuer à innover,
                                                                 à exporter et à rester implantés en France »
                                                                 Olivier Lluansi et Alain Galloni

    Ce constat rejoint celui dressé par d'autres cabinets de conseil en stratégie. Selon Roland Berger, le numérique peut compenser les dégâts de l'automatisation et créer deux millions d'emplois en Europe. La grande question est plutôt de savoir où insiste le Boston Consulting Group.
    Il est donc primordial, jugent Olivier Lluansi et Alain Galloni, que l'État accompagne les industriels pour qu'ils puissent continuer à innover, à exporter et à rester implantés en France. Le premier signal du gouvernement Philippe est pourtant peu positif: l'industrie n'a pas ni ministre ni secrétaire d'État dédié. C'est la première fois depuis vingt ans.

     

    IV/ NUMÉRIQUE À L'ÉCOLE, NOS ENFANTS COMME PACTOLE (Natacha Polony)

     Mis à jour le 25/08/2017  | Publié le 25/08/2017 à 14h18

    CHRONIQUE - L'Éducation nationale pourrait entrer de plain-pied dans le « paradis radieux » de l'environnement numérique de Google, Apple et autres... Les deniers des contribuables français abonderaient alors les caisses des géants américains.
    L'information avait fait peu de bruit. À peine quelques articles de journalistes alertés par les éditeurs français de numérique scolaire. En mai dernier, alors que la France se passionnait pour l'arrivée au pouvoir du Bonaparte des cadres supérieurs, le directeur du numérique pour l'Éducation nationale, Mathieu Jeandron, autorisait l'entrée sur le marché des géants américains, Google, Apple et consorts. «Et si on arrêtait avec le “vilain Google” ou le “méchant Apple” pour se concentrer sur des services numériques originaux», tweetait-il élégamment en réponse aux inquiétudes des entrepreneurs qui, depuis quelques années, développaient des outils appuyés sur des logiciels libres en respectant scrupuleusement les exigences de la Cnil en matière de protection des données privées. Selon lui, les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) auraient mis leurs conditions générales d'utilisation en conformité avec le droit français. Tout va bien, les élèves français peuvent entrer sereinement dans le paradis radieux de l'environnement numérique.
    Soudain, pourtant, des esprits inquiets se réveillent. Si les professeurs qui utilisent les             « Google apps for education» (le globish règne en maître à l'école), pour lesquels le géant californien promet de ne pas réutiliser les données ni définir le profil des usagers, se mettent à naviguer à la recherche d'une carte sur Google Maps, ils subiront alors ce que subit avec son consentement paresseux l'usager lambda: une collecte de données réutilisable pour toute opération susceptible de rapporter un peu. Or, les éditeurs français l'ont bien compris, le principe du capitalisme californien étant d'écraser toute forme de concurrence, ils seront rapidement étouffés sous le poids gigantesque de ces nouveaux entrants… qui consacrent vingt emplois en France aux questions scolaires, quand les éditeurs français représentent deux cents salariés.

    Les technologies numériques sont un outil formidable tant qu'elles restent un outil...

    Il ne fallait sans doute pas espérer de l'Éducation nationale une politique de défense de la souveraineté qu'aucune administration ni aucun politique n'ont voulu mener depuis des décennies. Une fois de plus, on livrera le marché français et ses millions de futurs usagers. Et les deniers des contribuables français abonderont les caisses d'Apple et Google dans les divers paradis fiscaux de la planète.
    Car le numérique coûte cher. On y engouffre des millions, au niveau de l'État, au niveau des régions comme au niveau des départements. Peu importe, répondent les commentateurs enthousiastes (et empressés de montrer leur patte blanche progressiste): rien n'est trop cher pour garantir la réussite de nos jeunes (applaudissements nourris du côté des parents). Oui, de Claude Allègre en son temps à François Hollande lançant en septembre 2014 son «grand plan numérique à l'école», la liste est longue de ceux qui ont promis de sauver l'institution scolaire par le miracle de la tablette.
    Aussi, rappelons quelques chiffres. Ils émanent du dernier rapport Pisa sur la question. Une comparaison des performances des pays de l'OCDE en fonction de leurs usages numériques: 10 % des élèves de Shanghaï (1er du classement Pisa 2012) naviguent sur Internet à l'école (contre 42 % en moyenne dans l'OCDE), 4 % des élèves japonais (5e du classement Pisa 2012) travaillent en groupe sur des ordinateurs (contre 23 % dans l'OCDE), 2 % des élèves japonais font leurs devoirs sur un ordinateur de l'école (contre 21 % dans l'OCDE), 2 % des élèves coréens (4e du classement Pisa 2012) postent leur travail sur le site du collège (contre 12 % dans l'OCDE). Les pays qui obtiennent les meilleures performances sont également ceux où le temps passé chaque jour sur Internet à l'école est le plus faible et où les élèves utilisent le moins l'ordinateur à la maison pour le travail scolaire (alors que, paradoxalement, les pays asiatiques sont ceux où les élèves maîtrisent le mieux l'environnement numérique). On ne rappellera jamais assez que les premiers à ne pas s'y tromper sont les cadres supérieurs des géants de la Silicon Valley, qui inscrivent massivement leurs enfants dans des écoles d'où les écrans sont proscrits.
    Les technologies numériques sont un outil formidable tant qu'elles restent un outil, si possible au service d'une pédagogie fondée sur l'effort (le « ludique » est un artifice qui rencontre assez rapidement ses limites, sauf quand les ambitions sont modestes), la mémorisation (Internet, pas plus que la possession d'une bibliothèque, ne dispense de s'approprier certains savoirs pour simplement avoir l'idée d'aller chercher les autres) et la progression logique (butiner au hasard des rencontres, sur Internet comme au cours de « projets pédagogiques », laisse des pans entiers du savoir inexplorés ou obscurs). Mais la sacralisation de ces technologies a ceci d'opportun qu'elle conduit des milliards dans la poche des géants du Net, et qu'elle prépare nos enfants non à penser le monde et maîtriser ces outils, mais à s'en faire les esclaves en devenant de simples consommateurs.
    Le rôle de la puissance publique étant de mettre en œuvre ce bien commun défini collectivement par les citoyens, il serait profitable que nos décideurs lisent un peu plus attentivement les études qui démontrent qu'embrasser le nouveau totalitarisme des géants du Net est non seulement cher, mais surtout parfaitement contre-productif. Sauf pour qui se réjouirait de n'avoir à gouverner qu'une armée de gentils consommateurs serviles.

     

    V/ LE HUSSARD ET LE MAMMOUTH (Guillaume Roquette)

    Publié le 01/09/2017

    TRIBUNE - L'Éducation nationale va peut-être enfin se réformer pour de bon sous la direction du ministre Jean-Michel Blanquer.

    Lire, écrire, compter et respecter autrui: la feuille de route pour l'école primaire du ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, n'a rien de très original. Mais l'affirmation claire et nette de ces objectifs de bon sens est en soi une bonne nouvelle. D'autant que le ministre les assortit d'une évaluation de chaque élève à l'entrée et à la sortie du primaire, qui devrait permettre de vérifier qu'ils sont effectivement atteints. On espère simplement que lire signifie en l'occurrence travailler avec des livres, en résistant au déferlement du numérique dans l'institution scolaire. Rappelons que les pays les mieux placés dans le classement mondial Pisa (Shanghaï, Japon, Corée…) sont ceux où les enfants utilisent le moins internet et l'informatique à l'école, ce qui ne les empêche pas de maîtriser à la perfection tous ces outils.
    Dans le secondaire aussi, la direction prise par le hussard de la Rue de Grenelle va dans le bon sens. La calamiteuse réforme du collège voulue par Najat Vallaud-Belkacem est très largement détricotée et les classes bilangues rétablies. On se souvient qu'elles avaient été abolies au nom d'un égalitarisme qui n'était rien d'autre qu'une forme de racisme, interdisant de fait l'excellence aux enfants des classes populaires ou récemment arrivés en France.
    «L'Éducation nationale souffre d'une pédagogie dépassée dispensée par un corps enseignant qui n'est pas toujours à la hauteur de sa tâche, faute d'une sélection/promotion suffisante en son sein»
    Qui sait, cette fois, le mammouth va peut-être enfin se réformer pour de bon. Évidemment, les mauvaises habitudes ne sont pas complètement perdues: l'Éducation nationale va encore voir son budget augmenter en 2018, alors que toutes les rallonges obtenues par les prédécesseurs de Blanquer n'ont en rien ralenti la dramatique baisse de niveau du système français. Mais au moins la plus grande autonomie promise aux chefs d'établissement laisse-t-elle espérer que tout cet argent sera utilisé un peu moins inutilement.
    Il reste maintenant à s'attaquer aux racines du mal dont souffre notre Éducation nationale: une pédagogie dépassée dispensée par un corps enseignant qui n'est pas toujours à la hauteur de sa tâche, faute d'une sélection/promotion suffisante en son sein. On est loin d'en avoir fini avec ce que les pédagogistes appellent dans leur jargon «l'autoconstruction», cette fiction selon laquelle les enfants n'apprendraient vraiment que ce qu'ils construiraient par eux-mêmes. Le plus souvent, ce n'est qu'une aimable fumisterie. Comme le pointe pertinemment Luc Ferry dans son nouveau livre (La Plus Belle Histoire de l'école, chez Robert Laffont): «La créativité, en matière de grammaire, cela s'appelle les fautes d'orthographe.» Et le même Ferry de rappeler qu'on ne s'intéresse vraiment qu'a ce à quoi on a d'abord beaucoup travaillé. Beau programme pour une rentrée des classes.

     

    VI / LES CINQ MYTHES DE L’INDUSTRIE 4.0 ET COMMENT LES DÉPASSER (Vincent Champain)

    General Manager, GE Digital Foundry Europe[11]

    Publié le 5 septembre 2017

    Sélectionné dans : Actualités & Analyses, Economie & Finance.

    L’usine du futur est un concept prometteur, mais il peine encore à se faire une place dans les usines d'aujourd’hui. Rares sont les sites à la fois totalement équipées de capteurs et où l’ordinateur a remplacé l’homme. Beaucoup de démarches d’entreprises grandes ou moyennes peinent à remplir leurs promesses.. Non parce que le digital n’a rien à apporter à l’industrie, mais, parce qu’une partie de ces promesses a pêché par manque de réalisme.

    Premier mirage : « l’intelligence artificielle en boîte » à laquelle il suffirait de fournir des données sans connaissance de ce qu’elles signifient. Dans la pratique, ces technologies sont utiles pour réaliser des tâches impossibles à modéliser, notamment pour doter l’ordinateur des cinq sens (analyse d’images, de bruits ou de vibrations...). Mais elles doivent être associées à une expertise industrielle et à une modélisation physique des machines ou des processus. C’est une différence vis-à-vis de l’internet grand public, où le consommateur est impossible à modéliser et le droit à l’erreur est plus grand. 90% de recommandations d’achat pertinentes est une bonne performance pour une librairie, mais un crash tous les dix décollages serait une catastrophe dans le secteur aérien.

    De même pour la conception « magique » du big data : il suffirait d’investir pour voir surgir la valeur des données. Or certaines données n’offrent pas assez de valeur pour être collectées. D’autres doivent être collectées, mais pas stockées car elles peuvent être prétraitées au niveau de « l’edge », c’est à dire le système embarqué ou contrôleur de la machine. Pour garantir un retour sur investissement, il faut au contraire partir des leviers de valeur technologique, c’est-à-dire les améliorations concrètes attendues (prototypage accéléré avec l’impression 3D, puissance de calcul dans le cloud, analyse de données automatisée, méthodes agiles...). Puis trouver un chemin rentable pour confirmer puis extraire largement cette valeur (produit minimal dans un site, stratégie d’extension à d’autres cas et d’autres sites…).

    Autre mythe : les compétences traditionnelles, dans la science des matériaux, la chimie ou les processus, seraient dévalorisées par celles du digital. En réalité, ces compétences traditionnelles continueront probablement à représenter 90% de la valeur ajoutée. Certes, les entreprises qui ne seront pas au meilleur niveau de performance sur les 10% restants seront anéanties par leurs concurrents. Mais il en va de même pour celles qui délaisseront les premiers 90 %.

    Quatrième erreur : sous-estimer le facteur humain et l’appropriation de la technologie. Par le passé, de nombreux accidents d’avion sont intervenus avec des données et des logiciels corrects dans des circonstances – météorologiques, de fatigue ou de stress - où un pilote peine à absorber toutes les informations reçues pour réaliser le bon geste. Ce risque existe partout où l’on rencontre de grands volumes d’information (salle de contrôle ou d’intervention médicale...), des conditions de travail difficiles (environnement sale ou bruyant…) ou lorsque le logiciel n’a pas été adapté à la qualification de ses utilisateurs. Ces problèmes sont bien connus des industriels des secteurs critiques (aéronautique, santé, transports, énergie…), et il existe des méthodes pour les résoudre. Malheureusement elles sont souvent ignorées par ceux qui se concentrent trop sur l’usine de demain et pas assez sur le souci de la faire fonctionner dans le monde présent !

    A l’inverse, ceux qui ont parié sur des technologies éprouvées ont obtenu des succès intéressants. Par exemple :

    • Impression 3D pour la production - et plus seulement le prototypage - de pièces industrielles pour l’aéronautique ou l’automobile. Elle permettra de remplacer un nombre croissant de pièces complexes ou soumises à des contraintes d’approvisionnement ;
    • Maintenance prédictive pour réduire les arrêts de production, basée à la fois sur l’expertise des ouvriers responsables de ces équipements et l’analyse de “signaux faibles” permettant de réparer une machine avant qu’elle ne tombe en panne, et au moment où l’arrêt de production est le moins coûteux ;
    • Optimisation de la production pour réduire de plus de moitié les rebuts dans un site réalisant la découpe de tubes, pourtant réputé performant, grâce à une application réalisée en quelques semaines et conçue pour être facilement utilisable sans formation ;
    • Passage du « Lean » – gestion ‘au plus juste’– (amélioration de la production donnant aux opérateurs la possibilité d’identifier et de résoudre les problèmes rencontrés) au « Digital Lean » (qui dote ces méthodes d’outils flexibles, notamment de visualisation ou d’analyse). Pour les spécialistes du domaine, c’est une révolution : les puristes du « Lean » privilégient souvent le papier et le crayon afin de libérer les ouvriers de la rigidité des systèmes de production d’ancienne génération ;
    • Utilisation de « jumeaux numériques », des doubles numériques de machines créés à partir des plans originaux et des données liées de fonctionnement qui permettent de mieux évaluer l’état précis d’une machine et de suivre son évolution au cours du temps (usure ou remplacement de certaines pièces, température, pression...). On peut ainsi mieux anticiper les problèmes ou comprendre leur cause sans devoir arrêter l’équipement pour l’inspecter ; il s’agit de faire en sorte que l’ensemble d’un système de production tire les bénéfices des dernières technologies (faible coût de captation, de stockage et d’analyse des données, développement et déploiement accéléré, impression 3D…). Pour cela, il va falloir doter son entreprise des bases (infrastructure, outils, talents, partenariats…) qui vont permettre à chaque site et chaque collaborateur de rendre les produits qu’ils proposent à leurs clients moins coûteux, plus fiables, plus performants et associés à de meilleurs services. Et ceci d’une multitude de façons, la plupart peu visibles d’un comité d’engagement unique.

    C’est sans doute là le plus grand défi posé à l’encadrement supérieur : il s’agit en effet moins d’arbitrer des projets ou d'avoir une vision détaillée à proposer à son entreprise que de poser des principes d’architecture, d’outiller et d’inspirer leur organisation pour que cette transformation se fasse en grande partie sans eux.

     

    VII / Il ne faut ni le « tout numÉrique » ni le « zÉro numÉrique » (Jean-Michel Blanquer)

    Extraits de l’Article du Causeur du 7 septembre 2017 intitulé « Entretien Blanquer / Polony »

    Concrètement, comment articuler l’école avec le marché du travail sans renoncer à la transmission des humanités ?

    J-M. B : Jusqu’à l’âge de la fin du collège, je considère justement que ce qui doit être transmis, ce sont les « humanités », entendues dans un sens large et éventuellement renouvelées, parce que ce sont à la fois les humanités au sens classique – auxquelles je tiens énormément –, mais aussi les « humanités numériques ». Savoir comment un monde de plus en plus technologique peut rester un monde humain est la question majeure de notre temps. Nous devons y répondre par un jeu d’équilibre entre, d’une part, les enjeux d’enracinement, de transmission des savoirs, des humanités classiques et, d’autre part, les enjeux d’adaptation, de compréhension de notre époque et de maîtrise des technologies, de façon à les utiliser dans un sens positif

    .N. P. : L’ennui, c’est que ces humanités auxquelles vous vous dites attaché sont aujourd’hui instrumentalisées au service d’une évaluation des « compétences » des élèves. Si l’on considère train de s’adapter à ce modèle international profondément utilitariste !

    J.-M. B. : J’ai dit que les débats étaient très franco-français, pas l’école !

    N. P. : Justement, il y a une doxa mondiale profondément utilitariste qui instrumentalise les savoirs afin d’en faire un outil permettant à chaque individu de développer son capital de « compétences ». C’est ce qui rend d’ailleurs complètement inopérante la transmission des savoirs, lesquels ne sont plus enseignés pour eux-mêmes. La question de la technologie vient ensuite se greffer dessus : puisqu’on a des visées purement utilitaristes, on éprouve le besoin de s’adapter totalement à la supposée modernité. On fait donc entrer les technologies modernes dans l’école à grands coups de subventions étatiques ou régionales – chacun voulant des tablettes pour ses collégiens –, au lieu de donner aux élèves la capacité, par les savoirs, d’ensuite utiliser ses outils. Il suffit de lire les dernières enquêtes Pisa sur l’usage des technologies pour s’apercevoir que les pays qui sont les plus performants dans ce classement sont justement ceux où les élèves utilisent le moins internet et les ordinateurs, aussi bien à l’école que chez eux !

    J.-M. B : Sur la question du numérique, le mot-clé est « discernement ». Il ne faut ni le « tout numérique » ni le « zéro numérique ». Je distingue les âges de la vie. Comme vous l’avez écrit, de zéro à sept ans, les écrans peuvent être tout à fait nocifs. Cependant, faut-il ignorer les révolutions majeures qui se produisent sous nos yeux, notamment dans les domaines de la robotique et de l’intelligence artificielle ? Aujourd’hui, des robots interviennent devant des enfants autistes et jouent un rôle-clé pour le développement de leur sociabilité. Donc, on doit bien se garder, au nom d’une pensée républicaine, qui est la mienne, de basculer dans une pensée antimoderne, qui exclurait le numérique au nom des dangers bien réels qu’il recèle.

    N. P. : N’y a-t-il pas, tout de même, au sein de l’Éducation nationale une fétichisation du numérique et des écrans ?

    Qui coûte très cher et qui permet d’enrichir les Gafa ! D’autant que l’Éducation nationale vient de faire entrer le loup dans la bergerie en autorisant les outils proposés par Apple et Google, qui vont tuer les acteurs français du numérique scolaire et dont le but est à la fois de récolter des données et de se préparer un vivier de futurs consommateurs. Déjà, Najat Vallaud-Belkacem avait consenti un contrat de 11 millions d’euros à Microsoft…

    J.-M. B. : Vous avez largement raison, mais ce n’est pas une fatalité ! Il serait absurde que cela nous amène à ne pas avoir de politique numérique à l’école. La liberté dont vous parlez se conquiert progressivement, aussi ce qui se passe à l’école primaire doit-il être différent de ce qui se passe au collège et au lycée. Le numérique doit jouer un rôle important dans le secondaire, mais un rôle pensé, construit ; ne serait-ce que pour que nos élèves soient outillés pour la civilisation numérique dans laquelle nous entrons.



    [1] Source pricipale: « Bienvenue dans le pire des Mondes », Natacha Polony, Plon, nov. 2016.

    [2] Le « septième continent » : c’est Internet, ce continent virtuel où on pourra installer tout ce qui existe dans les continents réels, mais sans les contraintes de la matérialité : des bibliothèques d’abord, puis des magasins, bientôt des usines de production, des journaux, des studios de cinéma, des hôpitaux, des juges, des policiers, des hôtels, des astrologues, des lieux de plaisir. A l’intérieur de ce continent, vide d’habitants réels, se développera un gigantesque commerce entre les agents virtuels d’une économie de marché sans intermédiaire.

    [3] Ils sont dits également les « big data ».

    [4] Lire à cet égard le remarquable ouvrage de Marc Dugain et Christophe Labbé, L’Homme nu, la dictature invisible du numérique, Robert Laffont/Plon, 2016.

    [5] Thierry Breton, PDG d’Atos, lors d’une rencontre de République moderne, le 25 mai 2016.

    [6] Cette agence chargée de diriger les activités de cryptologie du gouvernement américain a été fondée par lle Président Harry Truman en 1952.

    [7]  “Bitcoin technology seen being global” , 12 août 2016.

    [8] « L’Europe a eu raison de tuer le billet favori des criminels », Financial Times, 8 mai 2016.

    [9] « Costs and benefits to phasing out paper currency », NBER Macroeconomocs Annual Conference, avril 2014.

    [10] Anthropolis, vol.1, n°2.

    [11]  Il ne suffit pas de vanter les mérites de l’Internet Industriel...

    ... Il faut le créer et l’intégrer aux opérations et chaines de valeur des Industries européennes et internationales. Là est la mission du centre d’innovation de General Electric implanté au cœur de Paris, dans le 2ème arrondissement. « Avec GE Digital Europe Foundry, nous voulons créer un lieu où nous pouvons construire l'industrie numérique du futur avec nos clients et partenaires », affirme ainsi Vincent Champain, son directeur.
    L’objectif est d’y développer des applications logicielles capables d’optimiser la performance des actifs industriels. Mais pas seulement. Pour digitaliser l’industrie, GE Digital Europe Foundry a été pensée comme un écosystème ouvert. On ne parle pas d’un espace virtuel, mais bien d’un « lieu physique, où nos clients peuvent rencontrer tous nos experts et talents sur les défis industriels et numériques qu’ils ont. Nous avons conçu cet espace pour favoriser l’émergence de nouvelles idées. On y trouve donc des pièces pour co-créer et échanger, dotées d’écrans interactifs ou de tableaux blancs. Nous voulons offrir à nos clients un véritable voyage dans un centre d'innovation », poursuit Vincent Champain. Et les premières impressions clients valident le choix opéré par GE.

     

     


    Date de création : 04/02/2018 @ 13:54
    Dernière modification : 03/03/2018 @ 17:39
    Catégorie : La numérisation du monde
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