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Edification morale par les fables - Lire La Fontaine autrement
« La Fontaine un univers où tout se peut, se doit même prendre à la lettre, mais aussiôt après ou avant, en esprit Cest la langue des dieux et le rythme sacré qui permettent la métamorghose » (Pierre Boutang)
LIRE LA FONTAINE AUTREMENT[1]
Autrement que nous ne le lisions, enfants En première possession des formes originelles du sentiment, et selon lhéritage de leur choc immémorial ? Cest linévitable, non lobjet dun désir ; pourtant cette première lecture reste la norme secrète, la limite vers laquelle ont tendu toutes les lectures successives.. Cette lecture initiale et insaisissable renvoie encore à une autre, qui nous rappelle en deçà et au-delà Une réminiscence telle que nous ne lavons soupçonnée que grâce à Platon, et qui, très tard, par malheur, nous a été révélée par Jean-Baptiste Vico. Lire les Fables « autrement », cest dabord les lire dans lhorizon que, moins dun siècle après la mort de La Fontaine, le grand Napolitain allait dégager, certes avec une espèce de timidité douloureuse, mais héroïque et décisive en son fond ; ce que le fabuliste avait rejeté en souriant et Vico souffrant en pleine conscience de lenjeu et de son malheur, nous lavons reconnu au XIIe livre des Fables ; ni leffort de Ballanche, ni la traduction révélatrice (en 1844) de lirrédentiste princesse Belgiojoso, ni quelques feux allumés anarchiquement, et trompeurs, de notre Michelet, nallaient suffire à démontrer en Vico lunique adversaire moderne de Descartes, et des « Lumières », avec (ce qui plus encore nous importe) lesprit le plus proche, lécolier inconnu de La Fontaine, quil devait permettre seul découter et de comprendre. Nous nen sommes pas encore à la guerre, rieuse mais déclarée, sans ambages, de La Fontaine à Descartes Ainsi quà la surdité des philosophes des Lumières à la voix du fabuliste. Sa forme la plus curieuse, toute sotte ou absurde quelle soit, se rencontre dans une lettre de Voltaire à Vauvenargues, repérée par Sainte-Beuve. Il serait injuste de lamputer de la réserve où Voltaire reconnaît le « génie » du « Bonhomme » et le relie à linstinct ; mais sy révèle tout à plein (ou à vide) lécoute de Voltaire et de ses pareils : Dans la conversation, il nétait guère au-dessus des animaux quil faisait parler [...] Labeille est admirable, mais dans sa ruche ; hors de là, labeille nest quune mouche. Le père Beuve (convient-il moins de lappeler « père » que de dire « le Bonhomme » ?) regimbe pourtant ; il veut sauver le renom du fabuliste jusque dans lordre mondain : Oui, il avait ses distractions, ses ravissements intérieurs, son doux enthousiasme [...] mais que survînt quelque femme spirituelle et belle, qui sût lagacer avec grâce, quand il voulait plaire, soyez sûr quil avait tout ce quil faut pour y réussir, au moins en causant. Lau moins est trop restrictif, et assez douteux, mais lauteur des Lundis a escamoté la vraie question sous-jacente à la sottise que Voltaire avait laissé échapper, sur sa propre lecture des Fables, et non sur le style du fabuliste en conversation dans le monde. Lentretien du Loup et de lAgneau, ou celui du Corbeau et de la Gazelle, serait-il en dessous de tel autre entre Voltaire et Madame du Châtelet ? Quant à labeille, ne faut-il pas être tout restriction et abstraction enfant des Lumières pour ne voir en elle, passé louvrage de la ruche, quune mouche ? Tout « infra-cartésienne » que soit la pensée de Voltaire, ce quelle est le moins en mesure de concevoir Cest une langue des bêtes, même muette, allégorique ou « en puissance » ; les « animaux quil faisait parler », hasarde la lettre à Vauvenargues. Quest-ce que faire en ce cas singulier ? Seulement simuler un acte réservé à lhomme ? La bête ne dira-t-elle que ce que lhomme peut dire, lui aussi, ou quelque peu dau-delà ou en dessous ? Mais Voltaire, dont la « poésie » nest jamais que lextrémité et léchec de la prose, une prorsus oratio condamnée à la ligne droite, ne pouvait discerner chez le causeur de nul siècle les marques dun âge héroïque, ni la langue des dieux. La bévue de Voltaire Lire La Fontaine autrement, cest donc non pas dabord, mais à coup sûr négativement, ne pas le lire comme Voltaire lentend ou croit entendre sa conversation Où est, précisément, la différence entre les deux voix, donc entre les deux lectures ? Lorsque nous prononçons les mots parole humaine sur une parole supposée, et que nous savons fictive , de faire parler les bêtes, nous voulons dire, sans aucun besoin de définir et dexpliciter, un jeu immémorial, « insaisissable pour toute mémoire empirique », qui est là, qui fut là, auprès de nous, où les gestes des vivants qui nous entourent renvoient à des paroles que nous aurions pu, parfois que nous devrions, prononcer. Cette ambiguïté rend égales les deux, « provisoirement deux », conditions, de lhomme et de la bête ; explicite pour lhomme, de lenfance à la mort, quand il sagit du vivant « non cartésien », du vivant humain réel qui ne croit pas savoir quil est parce quil pense, ni que la seule certitude première fût cette existence pensée ; implicite pour la bête, dont le mode dappartenance aux signes et aux lois quelle suggère, sans pouvoir rien déterminer, demeure énigme et mystère, à déchiffrer, en quel temps inconnu, menaçant en sa forme même, qui est celle de limminence, dont les oiseaux sont chez La Fontaine, par privilège et singulièrement, avertis. Telle est la première certitude dont la bévue de Voltaire nous procure la facile évidence Celui du jeu divin de faire parler et donc, au moins, de feindre découter la parole divine, quelque brouillée quelle paraisse « donc aussi, et comme y mène le sens originel » et vrai, la parabole de lêtre, de la nature créée, par là de toute création. Ce jeu divin nest pas séparable de lexistence même dun être là, même dun être le là que Heidegger mettra au jour, et ôtera du jour, en un autre siècle. La polémique anti-cartésienne du IXe livre nest pas un accident de la répétition dÉsope, qui appartient à un âge absolument autre, mais une décision essentielle et totale, inséparable pour lévidence daujourdhui, de celle de Vico découvrant ses . Lecture des « Fables » en 1850 Cela fut dit de plusieurs, jamais plus exactement que de notre poète : davant-hier et daprès-demain, daucune époque; lépoque est suspension ou relâche du temps ; les âges ont plus de sens ; leur succession ne va pas sans retours, les ricorsi de la Scienza nova. Écartons la tentation des hypothèses sur ce que La Fontaine aurait pu vérifier
En revanche les trois siècles écoulés, non depuis avril 1695 (trop loin), autorisent la question des monstres ou du point de vue du Loup. Sûrement aurait-elle pu être posée à partir de Napoléon et de lEurope guerrière du début de son siècle La fin de celui-là et les débuts du nôtre lui donnent une autre force et dimension. Premier signe, celui que Sainte-Beuve, encore, a relevé, au hasard dune réflexion sur des lectures publiques organisées en janvier 1850, et, entre autres, de La Fontaine, que « les fables amusent. Mais la morale quelles expriment déroute parfois les ouvriers Ils cherchent où est la leçon. » Quest-ce qui pouvait ainsi déconcerter les auditoires ouvriers ? Le pessimisme apparent ? Le peuple allait en voir, si lon peut dire, bien dautres... Les socialismes du XIXe étaient assez souvent affranchis des Lumières ; ils ne pouvaient lêtre tout à fait, ni par Proudhon, ni après Marx ; la férocité bourgeoise dans la répression de la Commune, ce nétait pas encore assez pour contrôler le « quiconque est loup agisse en loup ! / Cest le plus certain de beaucoup »... Seule linvasion énorme et patente du mal, se chiffrant en dizaine de millions de morts, des massacres perpétrés contre elle-même par la race des hommes, pouvaient dégriser la progéniture de Japet[2] Seule elle pouvait obtenir que les victimes possibles ou probables ne fussent plus « déroutées » par une morale dont le pessimisme avait été, déjà, forfait accompli, « enjambé » par une histoire évidemment en marche pour continuer de plus belle. Les deux fables les plus probantes sur cette route de lentropie universelle, que La Fontaine ne tenait ni pour unique, ni pour fatale, sont « LOiseau blessé dune flèche », et « Le Loup et les Bergers ». L'Oiseau blessé et les monstres Parfaitement claires, dans la première, la preuve et lépreuve ;
Des enfants de Japet toujours une moitié Fournira des armes à lautre.
Or Hitler, ou Lénine, pour ne désigner que deux des monstres qui semblent avoir été à lorigine de lextermination du nombre le plus colossal de leurs frères humains, au prétexte dune fraternité dun autre ordre (raciale ou révolutionnaire), ont-ils incarné un achèvement de lêtre-homme, de son espèce véritable, disons, provisoirement, et de son animalité spécifique ? Ou ne furent-ils des monstres que dans la rencontre des conditions dexercice de leur volonté de puissance singulière ? Cest la question du Loup qui se pose à toutes les phases de lhistoire Telle que devinée le plus génialement par La Fontaine, dans au moins quinze fables, directement, dont la cinquième du Xe livre appelle entre toutes, lanalyse. Avant de la tenter en bref, et pour en marquer les limites, rappelons cet aphorisme de la Scienza nova de Vico ; Nature des peuples, dabord cruelle, sévère ; puis gagne en bienveillance, devient délicate, avant de se perdre dans le libertinage... Au Loup ! (De Vico à Hegel) Il y a donc, pour lhistoire philosophique de Vico, et avant un ricorso (recours) à la férocité primitive (celle des Titans aux cimes des montagnes ou dans leurs enfers chez Platon), une civilisation Laquelle dont lerreur nest que de croire à sa coïncidence avec la nature même de lhomme ; ce que Vico désigne là comme libertinage nest que le raffinement excessif et la prodigalité. Lessentiel est quà vue proche, dans ce quil distingue comme lâge de lhomme, par rapport à celui des héros, la sauvagerie initiale, le temps dun homme « loup pour lhomme » semble distant, encore, de plusieurs siècles. Quant à ce moment dernier de lâge des hommes, la traduction de la princesse Belgiojoso, en 1844, ny parle pas de libertinage ; elle préfère pour cet état de faiblesse et de perte de la virtu, traduire : « enfin ils sénervent », qui est plus exact : la perte dénergie peut précéder le retour à la cruauté sauvage. Revenons à notre Loup, et à la singularité de cette cinquième fable du Xe livre Cest la seule des quelque quinze où celui que nous ne voudrions pas tenir par les oreilles, et qui garde encore le premier rôle dans quelques romans de sauvagerie, entre, pour ainsi dire, en dialectique, comme tels humains entrent en religion. Cest lhistoire dune conversion, de son apostasie, et du retour à limmédiat originel. Trois moments tels que Hegel nen présentera pas de meilleur, sappliquent mieux pli sur pli à la destinée de la conscience Eh ! Quoi ? Le loup... Oui, situez-le comme vous voulez, feignez quil soit un dinosaure ou quelque bête métaphorique : tout sauf un monstre. Si le mot et lidée de « monstre » voisinent quelque part dans les fables avec la lupéïté spécifique, et ce auprès dun loup, ce serait à la vingt-septième du VIIIe livre, et le Loup y est innocent. Le monstre, le loup essentiel, le voici : Fureur daccumuler, monstre de qui les yeux Regardent comme un point tous les bienfaits des dieux, Te combattrai-je en vain sans cesse en cet ouvrage ? La morale, toutefois, avec lissue de la bataille, se déclare : Lhomme, sourd à ma voix comme à celle du sage, Ne dira-t-il jamais : « Cest assez, jouissons » ? - Hâte-toi mon ami, tu nas pas tant à vivre. Notre Loup hégélien (autant que loup peut être, et que laffabulation a besoin quil le soit) commence par une bonne négation et rejet de limmédiat et de la nature. De la sienne ? Ne préjugeons pas... La Fontaine dit seulement quen la phase première où lon percevrait, un siècle après, que sa conscience est déjà médiatrice, ce Loup [...] rempli dhumanité [...] Fit un jour sur sa cruauté, Quoiquil ne lexerçât que par nécessité, Une réflexion profonde. Si lhumanité ne débordait pas, et davance, en ce Loup étrange, mais dont la dialectique pourra devenir exemplaire, limmédiat de la conscience, jusque-là sans douleur ni malheur, ne serait pas « médiatisé » Nous voilà immobiles ? Non pas : il y a un continu de cette conscience, hardiment égalée à une réflexion profonde. Quel contenu pour cette réflexion ? Ceci, dans une merveilleuse simplicité : « Je suis haï, dit-il ; et de qui ? de chacun. » Notre Loup nest pas seulement réfléchi et profond. Cest déjà un dialecticien capable de surprendre lantithèse en plein énoncé de la thèse ; rhétoricien encore, car il y intègre davance ce qui ferait obstacle à son progrès : dans létat de férocité, qui fondait la haine universelle - la tête des loups mise à prix en Angleterre - le dénombrement et la confession de ses péchés est rapide, en toute bonne foi : « un âne rogneux », « un mouton pourri », « quelque chien hargneux »...Le passage à lantithèse grâce à un Eh bien absolutoire, dont tout pécheur endurci connaît la valeur dusage, sera donc facile et rapide : Eh bien, ne mangeons plus de chose ayant eu vie : Paissons lherbe, broutons, mourons de faim plutôt. Est-ce une chose si cruelle ? Vaut-il mieux sattirer la haine universelle ? À ce moment, le passage, celui de la récupération dune nature aliénée et oubliée dans la conscience malheureuse Celle-cine peut être, comme dans dautres fables où lallégorie animale révèle le retour à une nature « plus première » et secrète, que le choc de lévénement pur. Ailleurs : « Chemin faisant il vit le col du chien pelé. » Ici : Disant ces mots, il vit des bergers, pour leur rôt, Mangeants un agneau cuit en broche. Cest la synthèse ultime À moins que le loup, comme toute histoire, jusquau jugement dernier, sil en est un pour les loups, ne fasse lépreuve dun ricorso (recours) du côté du rejet de la guerre ou haine universelle : synthèse dont la colère indignée nest pas incapable. Cest aussi, en cette « synthèse », le moment de la justice rendue par le poète en faveur du loup qui nest pas homme et contre les vrais loups que sont les hommes : Ce loup avait raison. Est-il dit quon nous voie Faire festin de toute proie, Manger les animaux ; et nous les réduirons Aux mets de lâge dor autant que nous pourrons ? [...] Bergers, bergers ! le loup na tort Que quand il nest pas le plus fort : Voulez-vous quil vive en ermite ? Mais lhomme, justement, quand il nest pas berger (peut-être même sil lest), le fabuliste veut-il quil vive en ermite ? Il ne la pas toujours voulu ; et quest-ce que vouloir en cet ordre ? Nous nessaierons de le savoir quavec la dernière des fables, Le Juge arbitre, lHospitalier et le Solitaire, au terme de ce petit livre.
LES TROIS FABLES CITÉES DANS LE TEXTE
LOiseau blessé dune flèche Mortellement atteint dune flèche empennée, Un oiseau déplorait sa triste destinée, Et disait, en souffrant un surcroît de douleur : « Faut-il contribuer à son propre malheur ? Cruels humains ! vous tirez de nos ailes De quoi faire voler ces machines mortelles. Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié : Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre. Des enfants de Japet toujours une moitié Fournira des armes à lautre. »
Le Loup et les Bergers Un loup rempli dhumanité (Sil en est de tels dans le monde) Fit un jour sur sa cruauté, Quoiquil ne lexerçât que par nécessité, Une réflexion profonde. « Je suis haï, dit-il ; et de qui ? dun chacun. Le loup est lennemi commun : Chiens, chasseurs, villageois, sassemblent pour sa perte ; Jupiter est là-haut étourdi de leurs cris : Cest par là que de loups lAngleterre est déserte, On y mit notre tête à prix. Il nest hobereau qui ne fasse Contre nous tels bans publier ; Il nest marmot osant crier Que du loup aussitôt sa mère ne menace. Le tout pour un âne rogneux, Pour un mouton pourri, pour quelque chien hargneux, Dont jaurai passé mon envie. Eh bien, ne mangeons plus de chose ayant eu vie : Paissons lherbe, broutons, mourons de faim plutôt. Est-ce une chose si cruelle ? Vaut-il mieux sattirer la haine universelle ? » Disant ces mots, il vit des bergers, pour leur rôt, Mangeants un agneau cuit en broche. « Oh ! oh ! dit-il, je me reproche Le sang de cette gent : voilà ses gardiens Sen repaissants, eux et leurs chiens ; Et moi, loup, jen ferai scrupule ? Non, par tous les dieux ! non ; je serais ridicule : Thibaut lagnelet passera, Sans quà la broche je le mette ; Et non seulement lui, mais la mère quil tette, Et le père qui lengendra. » Ce loup avait raison. Est-il dit quon nous voie Faire festin de toute proie, Manger les animaux ; et nous les réduirons Aux mets de lâge dor autant que nous pourrons ? Ils nauront ni croc ni marmite ? Bergers, bergers ! le loup na tort Que quand il nest pas le plus fort : Voulez-vous quil vive en ermite ?
Le Juge arbitre, lHospitalier et le Solitaire Trois saints, également jaloux de leur salut, Portés dun même esprit, tendaient à même but. Ils sy prirent tous trois par des routes diverses : Tous chemins vont à Rome ; ainsi nos concurrents Crurent pouvoir choisir des sentiers différents. Lun, touché des soucis, des longueurs, des traverses Quen apanage on voit aux procès attachés, Soffrit de les juger sans récompense aucune, Peu soigneux détablir ici-bas sa fortune. Depuis quil est des lois, lhomme, pour ses péchés, Se condamne à plaider la moitié de sa vie : La moitié ? les trois quarts, et bien souvent le tout. Le conciliateur crut quil viendrait à bout De guérir cette folle et détestable envie. Le second de nos saints choisit les hôpitaux. Je le loue ; et le soin de soulager ces maux Est une charité que je préfère aux autres. Les malades dalors, étant tels que les nôtres, Donnaient de lexercice au pauvre hospitalier, Chagrins, impatients, et se plaignant sans cesse. « Il a pour tels et tels un soin particulier, Ce sont ses amis ; il nous laisse. » Ces plaintes nétaient rien au prix de lembarras Où se trouva réduit lappointeur de débats : Aucun nétait content ; la sentence arbitrale À nul des deux ne convenait : Jamais le juge ne tenait À leur gré la balance égale. De semblables discours rebutaient lappointeur : Il court aux hôpitaux, va voir leur directeur : Tous deux ne recueillant que plainte et que murmure, Affligés, et contraints de quitter ces emplois, Vont confier leur peine au silence des bois. Là, sous dâpres rochers, près dune source pure, Lieu respecté des vents, ignoré du soleil, Ils trouvent lautre saint, lui demandent conseil. « Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même. Qui mieux que vous sait vos besoins ? Apprendre à se connaître est le premier des soins Quimpose à tous mortels la Majesté suprême. Vous êtes-vous connus dans le monde habité ? Lon ne le peut quaux lieux pleins de tranquillité : Chercher ailleurs ce bien est une erreur extrême. Troublez leau : vous y voyez-vous ? Agitez celle-ci. Comment nous verrions-nous ? La vase est un épais nuage Quaux effets du cristal nous venons dopposer. Mes frères, dit le saint, laissez-la reposer, Vous verrez alors votre image. Pour vous mieux contempler demeurez au désert. » Ainsi parla le solitaire. Il fut cru ; lon suivit ce conseil salutaire. Ce nest pas quun emploi ne doive être souffert. Puisquon plaide, et quon meurt, et quon devient malade, Il faut des médecins, il faut des avocats. Ces secours, grâce à Dieu, ne nous manqueront pas : Les honneurs et le gain, tout me le persuade. Cependant on soublie en ces communs besoins. ô vous, dont le public emporte tous les soins, Magistrats, princes et ministres, Vous que doivent troubler mille accidents sinistres, Que le malheur abat, que le bonheur corrompt, Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne. Si quelque bon moment à ces pensers vous donne, Quelque flatteur vous interrompt. Cette leçon sera la fin de ces ouvrages : Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir ! Je la présente aux rois, je la propose aux sages : Par où saurais-je mieux finir ? [1] Troisième chapitre extrait de La Fontaine, de Pierre Boutang, Hachette, avril 1995. [2] Japet (en grec ancien Iapetós, « celui qui précipite ») ou Iapétus, est un Titan, fils d'Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre).
Date de création : 21/01/2017 @ 16:07 Réactions à cet article
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