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Sciences politiques - La globalisation éducative appliquée à la France
LA GLOBALISATION ÉDUCATIVE APPLIQUÉE À LA FRANCE[1]
(27) (28) Au commencement était léducation libérale (au sens le plus noble du terme : rien à voir avec ce que nos contemporains ont fait du libéralisme). Cette expression désigne une conception humaniste de la transmission des savoirs à travers létude des grandes disciplines qui composent les connaissances humaines , mathématiques, sciences, grammaire, géographie, histoire, musique, harmonie, latin, grec, hébreu, arabe ( pour ne citer que quelques unes des disciplines évoquées par RABELAIS dans la « Lettre de Gargantua à Pantagruel »,sorte de manifeste humaniste). Cette étude des savoirs disciplinaires « à vocation encyclopédique » (le terme ne désigne pas encore la connaissance pléthorique dun Pic de la Mirandole, mais il incarnera par la suite lesprit des Lumières de sorte quil est significatif quil soit désormais honni par nos modernes réformateurs) a pour vocation de former lhonnête homme, le kalos kagathos des Grecs, sorte daboutissement intellectuel et moral, dun citoyen capable de raisonner, de juger du bien ou du mal, de sémouvoir devant la beauté Ces fantaisistes de Français, tout enivrés de leur Révolution ont voulu pour leur part que cette éducation libérale soit celle de tous les futurs citoyens, puisquils nétaient plus des sujets [de Sa Majesté] mais des individus souverains. Ce qui nempêchait pas pour les futurs ouvriers et paysans, de développer un enseignement pratique extrêmement concret en sappuyant sur lefficacité de la « leçon de choses ». (29) Mais sur le fond, lidée était que tout homme, quelle que soit sa condition dans la société devait avant tout ne pas dépendre dautrui pour former son jugement. En quelque sorte une garantie pour le bon exercice de la démocratie. Il nest malheureusement plus question aujourdhui que de luniformisation des « techniques » de formation. Avis aux doux rêveurs et aux fieffés réactionnaires : léducation na rien à voir avec la culture, la perpétuation dune civilisation Léducation est la valorisation dun capital humain purement individuel, qui permettra à chacun de déployer son « employabilité »et de « se former tout au long de sa vie », ce qui devrait générer une « croissance durable ». Ce jargon caricatural semble ridicule ! Il est pourtant celui quon trouve dans la matrice des systèmes scolaires européens; la stratégie de Lisbonne, définie par le Conseil européen en mars 2000 et fixant les objectifs pour 2010. Et il nest pas anodin que cette stratégie de Lisbonne prescrive à la fois la réforme des systèmes éducatifs et la libéralisation des services publics et des grands monopoles de lÉtat. Léducation dans ce projet nest quune des branches de léconomie. Elle sert à rendre les futurs salariés « adaptables aux emplois davenir », à « limiter les personnels non qualifiés » et à « augmenter la valeur ajoutée ». (30) En France, la stratégie de Lisbonne na dabord eu pour conséquence que lharmonisation des diplômes universitaires le fameux LMD (Licence, Master , Doctorat) pour remplacer la vieille organisation française en Deug, bac+2, bac + 3, Maîtrise, bac+4, DEA bac+5, mais ce conservatisme fut vite balayé. Et lon vendit au grand public ravi, cette grande réussite européenne, celle qui résume largumentaire en faveur de la poursuite de la course en avant, Erasmus. Ah, que seraient les plaidoyers pro-européenne sans Erasmus ? Le chômage de masse, la crise des dettes souveraines, linflation technocratique, le mépris des peuples, on peut tout accepter tant quil y a Erasmus. Mais la réforme des systèmes éducatifs, si elle a commencé dans le supérieur, ne sarrête pas là. Bien au contraire, lobjectif principal est de bouleverser lensemble de lédifice, dès lécole primaire, dans un sens qui réponde à limpératif économique. (31) Dans un sens, donc, purement utilitariste, ce qui, pour les sociétés anglo-saxonnes, correspond à peu près à leur mode dorganisation et de pensée, mais qui se révèle en contradiction absolue avec lessence même du modèle républicain à la française. Pour autant, le travail a été fait. Et lanalyse des différentes lois et réformes imposées à lÉducation nationale le prouve. Les enseignants se lancèrent dabord dans une réforme des programmes du lycée. Où lon nettoyait tout ce qui pouvait ressembler à des savoirs classiques, et donc inutiles, toutes les études littéraires dans leur dimension culturelle et esthétique, au profit de la seule dimension argumentative. RACINE, HUGO ou nimporte quel article de journal, même combat : « convaincre et persuader ». Un prétexte, donc, à létude des « techniques argumentatives », parce que cest cela qui sera utile au futur cadre . Vendre et se vendre. Les vertus héroïques et la beauté des alexandrins, cest ringard, et, surtout ça ne fait pas tourner léconomie. Peu de temps après intervient la loi dorientation de 2005, dite loi Fillon, préparée par les travaux de la Commission Thélot de 2004 (qui permit à Jacques Chirac de sasseoir sur sa promesse de référendum sur lécole). Curieusement, on trouve dans cette loi tous les concepts mis en avant par les instances européennes et la stratégie de Lisbonne pour rendre plus « efficaces » les systèmes éducatifs. (32) Mais cest un pur hasard puisque létude relève bien sûr des missions régaliennes de lÉtat. Autonomie des établissements, organisation en équipes, enseignements pluridisciplinaires, baisse des horaires dévolus à des disciplines traditionnelles au profit dexpérimentations pédagogiques, fonctionnement en « séquences », et « projets pédagogiques ». Et au cur de ce dispositif, le socle commun de connaissances et de compétences qui, dans laffichage initial, devait permettre de déterminer ce que doit savoir, un élève à chaque étape du cursus scolaire, et qui se révéla en fait une usine à gaz technocratique dont lunique but était de remplacer progressivement les vieilles connaissances disciplinaires, par des « compétences » évaluables facilement et correspondant aux besoins futurs des salariés en termes de pure fonctionnalité économique et pour garantir la paix sociale par un minimum de comportements « citoyens » (« civiques » ce serait encore trop ; la transformation du nom commun en adjectif en dit long sur lévolution de la démocratie). Petite histoire des « compétences »Ce concept de compétences est un concept clé, Celui qui est au cur de la transformation de lécole. Celui qui sest imposé par une forme de lobbying subtil comme limage même de la modernité éducative. Le concept de compétences vient en effet, et ce nest pas un hasard, de la formation professionnelle. (33) Il apparaît dans les travaux des chercheurs américains dès le début des années 1970 à travers lidée de competency based education, puis au Québec doù il finit par irriguer tous les pays francophones. Le terme de compétence, derrière une définition relativement floue, a abouti à distinguer des compétences « de premier, deuxième et troisième degré ». Du simple automatisme acquis de puis toujours à lécole, à travers une pédagogie classique, à des éléments relevant purement et simplement du vocabulaire de lentreprise. Mais il implique surtout un changement de paradigme. Il ne sagit plus de transmettre des savoirs dont lassimilation modifie la personne et développe lhumanité en elle, mais de vérifier que lélève est capable de « mobiliser » (terme essentiel dans la rhétorique des théoriciens de lécole nouvelle), des « ressources » pour répondre à une question concrète spécifique. Le contenu des programmes na donc plus dimportance. (34) Le socle commun est ainsi dit « de connaissances et de compétences », lordre des mots constituant une concession de pure forme aux indécrottables conservateurs. La logique du socle, ce qui détermine son existence même, cest bien la disparition progressive de tout contenu, et en particulier des savoirs traditionnels au profit de la mise en uvre dattitudes et dactions pour répondre à une situation-problème. Le discours officiel peut donc prétendre que les politiques éducatives relèvent des États, ce qui simpose est en fait un standard international répondant aux besoins des grands groupes à savoir une main duvre elle-même répondant à des critères rationalisés et uniformes. LA GLOBALISATION NA PAS OUBLIÉ LÉDUCATION, CEST MÊME UN TERRAIN DE JEUX PRIORITAIRE. Comment un tel bouleversement a-t-il été possible en lespace de vingt ans ? Il a suffi pour cela dintroduire dans le monde éducatif les principes de benchmarking (danalyse de la concurrence) bien connus des gourous du management et de la gouvernance dentreprises, de développer des outils statistiques apportant le caractère indiscutable des chiffres et le vernis de scientificité nécessaire. (35) Les désormais célèbres étude PISA, produites par lOCDE tous les trois ans depuis 2000, ont opportunément joué ce rôle. Elles eurent le mérite, en France, dapporter un démenti cinglant aux pédagogues autoproclamés qui prétendaient que le niveau « montait » indéfiniment comme dans un bon régime soviétique. Mais ces études PISA permirent surtout dimposer partout une vulgate pédagogique au motif que les « chiffres » démontraient la supériorité de certains modèles éducatifs, « le modèle finlandais » dans un premier temps, puis le « modèle canadien ». Un petit laïus accompagne dailleurs pour dire aux médias des pays concernés comment interpréter les précieuses statistiques, qui risqueraient, sinon, de ne pas être suffisamment explicites. Bêtement, le lecteur moyen risquerait de remarquer quautour de la Finlande tous les pays qui arrivent en tête sont asiatiques : Shanghai, Hong Kong, Corée du Sud et Japon, (les deux premiers relevant de la catégorie cités-États, qui présentent lavantage de ne pas voir leurs résultats plombés par des populations rurales et pauvres : le fantasme de lélite urbaine mondialisée se matérialise là). (36) Des systèmes scolaires ultra coercitifs, où leffort et la compétition sont les seules valeurs Le commentaire, bien sûr, préfère mettre en avant, pour le système finlandais, labsence de sélection, les « pédagogies innovantes » et le refus de redoublement (çà coûte cher). À noter que cest le cabinet McKinsey (relayé en France par linstitut Montaigne) à qui lon sadresse en France est-ce un hasard quand il sagit de produire une étude sur les réformes à mettre en place sur le marché du travail. Cest ainsi que sest répandue avec une célérité admirable lidéologie de lenseignement par compétences prolongé en France par le « Livret de compétences » remis aux parents. Y sont regroupées en grandes thématiques, que ce soient les principaux éléments de mathématiques et les cultures
et bien sûr les « compétences civiques et sociales » et « lautonomie et linitiative ». Cest quon a besoin de futurs cadres sinvestissant avec enthousiasme, pas douvriers travaillant à la chaîne. (37) Mais le mot dordre, quelle que soit la compétence évaluée est le même : « mettre en situation » et « privilégier loral » car il ya certains obstacles comme limpossibilité pour certains élèves dentrer dans un processus de rédaction alors quils sont très capables de raisonner et dexpliquer oralement leur raisonnement. Bref, on peut être un grand scientifique injustement freiné par un illettrisme fortuit. Les compétences sont finalement la version moderne et technocratique de ces « savoir faire » et « savoir être » que des pédagogues bienveillants avaient voulu substituer aux savoirs jugés élitistes et discriminants. Là encore, le courant était venu du monde anglo-saxon, et Hannah Arendt en décrit les ravages dans La Crise de la culture. Il se caractérise par une prééminence absolue de lindividu, dont il sagit de laisser sépanouir les talents. (38) Lindividu doit se libérer du passé pour sautoengendrer. Doù la facilité avec laquelle les diktats de lutilitarisme techniciste se sont insinués dans les réformes portées par les gouvernements en matière déducation. En France, la réforme du collège unique portée par Najat Vallaud-Belkacem en est la parfaite illustration. Derrière les mots dordre généreusement égalitaristes sur la « réussite de tous », on y retrouve toutes les préconisations, toutes les injonctions du nouvel ordre éducatif, en particulier cette « mise en situation » à travers les EPI ou Enseignements pratiques interdisciplinaires venant bien évidemment remplacer des heures de cours de mathématiques ; de français ou dhistoire. Traduction : un vague survol qui ne donnera pas la moindre possibilité aux élèves de comprendre la logique de la langue, ni de concevoir ce que notre monde doit aux civilisations grecque et romaine. Lécole de la ministre « de gauche » Najat Vallaud-Belkacem na pas la moindre intention de former des honnêtes hommes, cest-à-dire des hommes libres. Simplement des travailleurs à fort taux demployabilité. (39) Et, bien sûr entièrement soumis aux injonctions publicitaires les transformant en consommateurs des nouvelles technologies. Ainsi le ministère a signé en novembre 2015 un partenariat avec Microsoft pour léquipement des établissements et la formation des enseignants. Pour 13 millions deuros, le géant de linformatique soffrait un pied dans lécole française et la possibilité dhabituer ses futurs acheteurs à lenvironnement numérique. Quant aux programmes de collège, ils regorgent dexercices proposant aux élèves de créer des « conversations numériques », des « pages Facebook », des vidéos à mettre sur YouTube Bref on offre gratuitement aux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), du temps de cerveau disponible. Mais cest pour la bonne cause : les chers petits ne pourraient tout de même pas affronter le monde extérieur sans savoir twitter ! Alors, les manuels scolaires réécrits en fonction des nouveaux programmes leur proposent un EPI « fais bouger ta littérature » pour réaliser un « roman-photo » à partir dune chorégraphie collective (en danse ou arts du cirque) inspirée de la réception que les élèves ont des textes lus et étudiés en classe de français Oralité, effacement systématique de toute référence patrimoniale, de toute dimension universelle, mise en avant de lindividu comme mesure de toute chose (40) Lidéologie qui dicte la réforme du collège unique est celle qui inspire toute les précédentes réformes depuis vingt ans : rendement public ; puisque cest bien la seule notion qui vaille : les dépenses déducation ne se justifient que parce quelles contribuent à la production de richesse. Mais dans un marché mondialisé, luniformisation des systèmes scolaires permet une mise en concurrence absolue des marchés du travail. De sorte que les éventuels ratés de tel ou tel pays en matière déducation niront pas émouvoir outre mesure les décideurs. Certes, cela fait mauvais genre, et lon entend régulièrement certains dentre eux promettre quils mettront fin au « décrochage scolaire » (150 000 jeunes chaque année en France qui sortent du système sans qualification, 3 millions de personnes en vingt ans cela commence à peser sur la population dun pays ). Mais de là à sintéresser aux causes de ce décrochage La dernière lubie ministérielle est plutôt de payer les décrocheurs ; une cagnotte de 1000 euros par an. puisquils ne viennent à lécole que pour alimenter le marché du travail, autant commencer de les payer tout de suite. Ca voilà bien le paradoxe de ce nettoyage généralisé des systèmes éducatifs des pays occidentaux (on a vu que les pays asiatiques étaient pour lheure largement préservés, de même que la Russie. Discipline, aux deux sens de ce terme, y est un maître mot). (41) Il aboutit à un effondrement culturel, ce qui, redisons-le, ne dérange absolument pas les, promoteurs de ce système puisquil est bien entendu quun cadre épanoui na nul besoin de savoir comment Henri IV mit fin aux guerres de Religion, mais il aboutit surtout à un abrutissement généralisé par la baisse dramatique de la maîtrise du vocabulaire, de la grammaire, du raisonnement et de la logique. LUnion européenne avait vendu aux peuples léconomie de la connaissance, grâce à la stratégie de Lisbonne. Ils se retrouvent avec le chômage de masse et lignorance pour tous. La machine à broyer les classes moyennesLe paradoxe, pourtant, nest quapparent. Jean-Claude MICHÉA lavait démontré dès 1999 dans un livre, LEnseignement de lignorance et ses conditions modernes (Climats), qui expliquait comment les réformes récentes du système éducatif visaient à la mise en place de l« école du capitalisme total », cest-à-dire à la suppression de tous les obstacles idéologiques et culturels au règne du marché. Or la résistance intellectuelle des classes populaires constitue un de ces obstacles. La démocratie, et particulièrement sous sa forme française de la République, sest appuyée depuis deux siècles sur deux éléments essentiels :
(42) Ce sont ces deux piliers du pacte démocratique que les réformes décrites plus haut ont mis à bas. Dans un système où les intérêts des classes supérieures se désolidarisent des autres catégories de population, le renouvellement des élites nest plus un sujet. Bien au contraire, la baisse du niveau global denseignement dans lécole républicaine favorise ceux dont la famille peut pallier les défaillances du système gratuit. Dabord en payant. Lécole privée, bien sûr, mais surtout des cours complémentaires. Le « marché de léducation » pèse désormais 2,5 milliards deuros en France. Lévacuation des classes moyennes se fait de façon plus subtile. Elles étaient les principales bénéficiaires des systèmes des concours nationaux et anonymes qui permettaient en France de sélectionner les futures élites. Bien sûr, le brassage ne se faisait pas immédiatement mais sur deux générations. Un fils de paysan pouvait devenir professeur, un fils de professeur pouvait espérer entrer à Normale sup. Or, non seulement la baisse générale du niveau concentre désormais le recrutement des grandes écoles sur un tout petit nombre de lycées, dont la province est de plus en plus exclue, mais la philosophie même ci concours anonyme est remise en cause. La transformation de Sciences Po au début des années 2000 est emblématique dune reconfiguration de lenseignement supérieur français sur le modèle anglo-saxon, reconfiguration qui, dans la tête de son concepteur Richard DESCOINGS devait sétendre par la suite au secondaire. (43) Pour laffichage : une remise en cause « de gauche » de cette injustice qui voit le recrutement se resserrer pour exclure presque totalement les classes populaires. Mais en fait de classes populaires il nest question que des « jeunes de quartiers », les « nouveaux publics » qui comportent trois volets : dabord la fameuse filière ZEP, qui permet à des jeunes issus de quartiers difficiles daccéder à lécole sans passer le concours anonyme imposé à tous. Les lycées choisis sont évidemment situés dans des banlieues à forte densité ethnique : les difficultés des jeunes de la Creuse ou de la Somme intéressent moins le réformateur. À cela sajoutent deux autres volets. La réforme prévoit laugmentation des droits dinscription, avec un système de bourse pour les plus défavorisés. Enfin le concours traditionnel ayant été accusé dimposer une épreuve de culture générale de caractère discriminatoire envers les jeunes issus de limmigration, on a considéré que ces populations de banlieue se suffiraient de lintérêt quelles portent au rap et au slam, et quil nétait donc plus nécessaire dexiger deux la moindre culture « classique » pour laccès aux grands corps de lÉtat. (44) Dans lesprit de Richard DESCOINGS, les choses sont claires : le contenu nest rien, la culture, les connaissances nont aucun intérêt ; une école comme Science-Po ne sert quà fournir des « réseaux ». Doù une sélection fondée non plus sur les connaissances mais sur la personnalité. Le résultat dune telle réforme révèle la nature même de cette idéologie et son lien avec le système néolibéral qui la sous-tend : le recrutement de lécole continue à se concentrer sur une petite élite ultra favorisée à laquelle on ajoute des boursiers recrutés sur dossiers. Les classes moyennes, elles, peuvent envoyer leurs enfants dans les facs paupérisées[2]. La « consultation nationale » confiée par Nicolas Sarkozy à Richard DESCOINGS, en 2009, visant à faire passer sa réforme des lycées dans sa première version a mis professeurs et lycéens dans la rue ; cest quelle entendait généraliser une organisation du lycée sous forme de modules semestriels, voulant ainsi en finir avec tout apprentissage disciplinaire et chronologique. TittytainmentAllant de pair avec lécrasement des classes moyennes, qui constituaient au contraire le premier soutien de lécole républicaine, le phénomène sans doute le plus brutal est laffaissement massif du niveau culturel des populations occidentales dans leur ensemble. (45) Résultat conjugué dun abandon des ambitions culturelles dans le lieu même qui devait les promouvoir, lécole, et de linvasion dun modèle de divertissement massifié auquel lécole, bien loin de résister, donne peu à peu une légitimité en intégrant cette « culture » à ses références pour « motiver » les élèves et « parler leur langage ». Les réformes scolaires censées promouvoir « léconomie de la connaissance » fabriquent des crétins satisfaits, que la mise en avant de loral et lobsession de la self esteem (chère aux pédagogues américains) à coups de suppression des notes et de « remarques positives » sur les bulletins rendent hermétiques à toute idée deffort, de rigueur et dexigence. On ne peut comprendre cet apparent paradoxe quen gardant à lesprit lobjet premier de ces réformes : une harmonisation des systèmes scolaires pour permettre un élargissement du marché du travail à lensemble de la planète. Les ingénieurs français ne sont plus au niveau ? Aucune importance, les ingénieurs indiens répondent parfaitement à la demande , comme le prouve depuis des années la politique de recrutement chez EADS, Capgemini ou dautres. Le marché, somme toute restreint, des emplois à haute valeur ajoutée nécessitant une formation pointue, se contente assez facilement dune situation où seule une petite élite mondiale accède à la formation. Une petite élite mondiale dont lOccident naura plus le monopole. De toute façon, les gains de productivité induits par la révolution numérique attaquent les emplois des anciennes classes moyennes après avoir laminé les classes ouvrières des pays développés. (46) Ce processus est dailleurs parfaitement explicité, anticipé, par certains. Il nest besoin pour sen convaincre que de relire louvrage de Hans Peter MARTIN, Harald SCHUMANN, Le piège de la mondialisation, publié en 1997 (et cité par Jean-Claude MICHÉA dans LEnseigement de lignorant). Les auteurs y décrivent une réunion, la première du State of the World Forum, un think tank se donnant de réunir les grands esprits de ce monde pour proposer des solutions aux défis globaux (rien que çà ). Réunis à San Francisco, à lhôtel Fairmont fin septembre 1995, Mikhail Gorbatchev, George Bush, Margareth Thatcher, Vaclav Havel, Bill Gates, Ted Turner et les autres arrivent à la conclusion quest inevitable ce quils baptisent la société de 80/20, ou société des « deux dixièmes ». Voici comment les auteurs du livre décrivent la réunion en question : « Lavenir, les pragmatiques de Fairmont le résument en une fraction et un concept : « deux dixièmes » et « tittytainement ». Dans le siècle à venir, deux dixièmes de la population active suffiraient à maintenir lactivité de léconomie mondiale. « On naura pas besoin de plus de main duvre », estime le magnat Washington SYCIP. Un cinquième des demandeurs demploi suffira à produire toutes les marchandises et à fournir les prestations de services de haute valeur que peut soffrir la société mondiale. Ces deux dixièmes de la population participent ainsi activement à la vie, aux revenus et à la consommation dans quelque lieu que ce soit. Il est possible que ce chiffre sélève de 1 ou 2 %, admettent les débatteurs, par exemple en y ajoutant les héritiers fortunés. » (47) « Mais pour le reste ? Peut-on envisager que 80% des personnes souhaitant travailler se retrouvent sans emploi ? Il est sûr, dit lauteur américain Jeremy RIFKIN qui a écrit La Fin du travail, que les 80% restants vont avoir des problèmes considérables. Le manager de Sun, John GAGE, reprend la parole et cite le directeur de son entreprise, Scott MCNEALY : à lavenir, dit-il, la question sera to have lunch or be lunch : avoir à manger ou être dévoré. « Cet aréopage de haut niveau qui était censé travailler sur lavenir du travail se consacre ensuite exclusivement à ceux qui nen auront plus. Les participants en sont convaincus : parmi ces innombrables nouveaux chômeurs répartis dans le monde entier, on trouvera des millions de personnes qui, jusquici avaient plus daccointances avec la vie quotidienne confortable des environs de la baie de San Francisco, quavec la lutte quotidienne pour la survie à laquelle doivent se livrer les titulaires demplois précaires. Cest un nouvel ordre social que lon dessine au Fairmont, un univers de pays riches sans classe moyenne digne de ce nom et personne ny apporte de démenti. (48) « Lexpression tittytainement, proposée par ce vieux grognard de Brzezirisky, fait en effet, carrière. Ce natif de Pologne a été durant quatre années conseiller pour la Sécurité nationale de Jimmy Carter avant de sintéresser aux questions stratégiques. Tittytainement, Selon lui est une combinaison des mots entertainement, et tits, le terme dargot américain pour désigner les seins. Il semble avoir pensé moins au sexe, en loccurrence, quau lait nourricier qui coule de la poitrine dune mère allaitant, et qui permet, selon lui, de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète[3]. » Lavantage des cyniques est quils expriment tout haut une logique que beaucoup acceptent implicitement, mais sans jamais lassumer. Brzezirisky na fait que mettre un mot sur une réalité qui apparaît vingt ans plus tard dans toute sa brutalité. Lavantage du chômeur-consommateur, cest quil ne vote quasiment pas. Tant que son divertissement lui est garanti par un pouvoir dachat minimal, il ne se révolte pas. Lécole de la bienveillance et de la « liberté dexpression » garantie lui a donné la parole mais sest bien gardée de lui donner les mots. Novlangue, respect et développement durable« Ce qui se conçoit bien, sénonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Combien décoliers français ont ânonné ces vers de BOILEAU qui présidaient au culte de la grammaire et de la belle langue dans la bouche du plus modeste des hussards noirs de notre République ? (49) Georges ORWELL et sa sombre utopie sont venus nous désiller et nous enseigner que les mots, contrairement à ce que disait BOILEAU, préexistent à la pensée. Ce que lon sait nommer se conçoit aisément dans chacune de ses nuances. Cest sur le niveau de la maîtrise de la langue que le niveau scolaire sest effondré de la façon la plus marquante. Pas seulement lorthographe dont nous explique doctement et avec un certain mépris quelle est une obsession française, une marotte sans grand intérêt, en oubliant au passage que lorthographe se pose différemment pour chaque langue puisquelle reflète la plus ou moins grande correspondance entre phonèmes[4] et graphèmes[5]. Le français de ce point de vue, pose des problèmes spécifiques qui expliquent ladite obsession. Mais la déperdition est bien plus vaste. Elle résulte dun phénomène global mis en évidence par de nombreuses études anglo-saxonnes, la France étant peu versée dans la critique de la petite lucarne (petit écran). En effet, le SAT-Verbal (Scholastic Aptitud Test), test standardisé daptitude langagière que passent les étudiants américains, a vu ses résultats seffondrer entre 1965 et1980. Et cest une chercheuse, Marie WINN[6], qui a démontré que la baisse du vocabulaire suivait très exactement le déploiement de la télévision dans les foyers américains, avec un décalage dans le temps de dix-sept, dix-huit ans (le temps que les enfants ayant grandi avec la télévision soient en âge de passer le test). (50) Le seul ouvrage français reprenant ces études est signé Michel DESMURGET et il porte un titre explicite : TV Lobotomie[7]. Les mêmes études démontrent dailleurs également comment se déploient, parallèlement, lobésité chez les enfants et adolescents, les névroses alimentaires et lobsession du corps chez les petites filles. Plus étonnants, les effets délétères du petit écran croissent avec le niveau social des parents ? Est-ce anecdotique, une étude de Dimitri A. CHRISTAKIS montre que le temps de discussion dans le foyer diminue proportionnellement au temps passé devant la télévision, et que cest en premier lieu, le temps de parole du père de famille qui se trouve ainsi ramené à la portion congrue On finit par se demander si cet abrutissement généralisé ne semble pas si dramatique que cela à ceux qui nous dirigent. Or, ce phénomène global, non seulement nest pas atténué, mais il est amplifié par lécole. (51) Entre la baisse drastique du nombre dheures de français dans les quarante dernières années et la disparition progressive de la grammaire dans les programmes de primaire et de collège remplacée par une « observation réfléchie de la langue » qui consiste à partir du texte pour en tirer de vagues conclusions sur lorganisation des phrases , à rebours dune grammaire logique et déductive permettant aux élèves de maîtriser les subordonnées De même lusage du subjonctif, mode qui exprime le potentiel devient de plus en plus hasardeux. Les collégiens et lycéens sont prisonniers de lindicatif, le mode du réel, de ce qui est. Pas de danger quils imaginent un jour ce qui pourrait être, ce quils voudraient voir advenir. Pour autant il ne faudrait pas que cette masse biberonnée à la pulsion dachat et soumise à son individualisme primaire, ne mette en danger la paix sociale, synonyme de doux commerce. Aussi les systèmes éducatifs développent-ils en parallèle des compétences de base nécessaires à lemployabilité éventuelle des compétences comportementales. Du tri sélectif qui consiste à donner une seconde vie aux déchets , au « respect » dautrui et de ses opinions, on y apprend à vivre en société. Une forme de catéchisme « citoyen » qui se traduit en France dans le « socle commun de connaissances et de compétence » et son pilier n°6, les « compétences sociales et civiques. » (52) Ce qui donne par exemple : « Lélève sait identifier une situation de discrimination », ou encore »dans une situation ordinaire (classe, couloir, cour, CDI, autocar ) et en sappuyant sur sa connaissance des règles fondamentales de la démocratie et de la justice, lélève est capable dargumenter pour prendre la défense de lélève ou du groupe délèves « discriminé » à défaut de savoir que cest un poète latin dorigine berbère, Térence, né au IIe siècle avant Jésus-Christ à Carthage dans lactuelle Tunisie, qui écrivit le premier : « Rien de ce qui est humain ne mest étranger » Mais trop de réflexion philosophique est superflue. On se contentera de « lutter contre les discriminations. » Lélève apprendra également à connaître « sa responsabilité de préservation envers soi-même et envers les autres « en apprenant en situation le rapport « risques/sécurité.» Sy est ajoutée, depuis les attentats une « charte de la laïcité » que doivent signer parents et élèves. Une laïcité détachée de tout contexte historique et philosophique pour des élèves qui nont aucune chance d »apprendre ce que fut lÉdit de Nantes[8] signé en avril 1598 par Henri IV, et quelle influence purent avoir les guerres de Religion sur la conception française du rapport entre État et religions Voilà bien linconvénient dinjonctions détachées de tout substrat culturel et civilisationnel. (53) Elles sont bien incapables de contrebalancer les forces centrifuges déployées par une construction idéologique purement individualiste dans laquelle chacun uvre à laffirmation de son moi en dehors de toute communauté nationale, de tout destin collectif. Dautant que ces forces centrifuges sont utilisées comme une arme de fragmentation des derniers bastions de résistance à la nouvelle idéologie totalitaire. LÉtat-nation comme lieu dexercice de la démocratie a perdu son principal pilier, lécole. Les autres suivent. À qui profite le crime ? En loccurrence, le mot « profiter » prend ici son sens le plus concret, celui de « tirer un profit ». Un profit en forme de gigantesque capitalisation boursière.
[1] Extrait de louvrage « Bienvenue dans le pire des mondes » de Natacha Polony et du Comité Orwell, Plon, novembre 2016, pp.27-53. [2] On est en mesure, aujourdhui (novembre 216), de faire un bilan des difficultés rencontrées dans ces établissements. Obtenir sa licence sans redoubler une année reste, hélas, une exception. Et la hausse continue du nombre détudiants risque de ny rien changer. Seuls 27,5% des étudiants ayant commencé leur première année de licence en 2011 lont obtenue en trois ans, et 39% au bout de quatre ans, comme lindique la note «Parcours et réussite aux diplômes universitaires» publiée par le ministère de lEnseignement supérieur et portant sur la session 2015. Selon la filière quils ont choisie ou luniversité où ils sont inscrits, les étudiants ne sont pas tous égaux. Ceux issus dun bac technologique sont seulement 9,2% à obtenir leur licence du premier coup, contre 35% pour les titulaires dun bac général. Pire, à peine 3,1% des bacheliers professionnels ont obtenu leur licence après trois années détudes. Toutes filières confondues, les hommes réussissent moins bien, puisque 33,2% dentre eux obtiennent leur licence en trois ou quatre ans, contre 43% pour les femmes. La poursuite détudes en master diffère selon les filières. Les chiffres du ministère confirment aussi lexistence de fortes disparités géographiques. Le taux de réussite en licence en trois ans varie grandement dune université à lautre. Ainsi, celle dAngers affiche depuis plusieurs années le taux le plus élevé (44,3%), suivie de Lyon 2 (40,6%) et de Clermont-Ferrand 1 (39,5%). À linverse, dans les territoires doutre-mer et les universités de la banlieue parisienne, moins dun étudiant sur cinq obtient sa licence en trois ans. Les universités Paris 13 (Seine-Saint-Denis) et Paris 8 (Val-de-Marne) affichent respectivement 19,5% et 16,1% de taux de réussite. Evry-Val dEssonne ne fait pas mieux avec 18,7 %. Ce taux tombe à 12,7% à La Réunion et à 9,5% aux Antilles.
[3] Hans Peter Martin, Harald Schumann, Le piège de la mondialisation, Solin Actes Sud, 1997. [4] La plus petite unité discrète ou distinctive (c'est-à-dire permettant de distinguer des mots les uns des autres (exemple, chat et rat). [5] Unité minimale de la forme écrite d'une langue ayant son correspondant dans la forme orale (s, c, ss, sc, ç sont des graphèmes correspondant au phonème |s|.). [6] The Plig-InDrug, Penguin Group, 2002. [7] Max Milo, 2012, rééd. Jai lu. [8] ÉDIT DE NANTES EN FAVEUR DE LA RELIGION PRÉTENDUE RÉFORMÉE Salut Entre les grâces infinies qu'il a plu à Dieu nous départir, celle est bien des plus insignes et remarquables de nous avoir donné la vertu et la force de ne céder aux effroyables troubles, confusions et désordres qui se trouvèrent à notre avènement à ce royaume, qui était divisé en tant de parts et de factions que la plus légitime en était quasi la moindre, et de nous être néanmoins tellement roidis contre cette tourmente que nous l'ayons enfin surmontée et touchions maintenant le port de salut et repos de cet État. De quoi à lui seul en soit la gloire tout entière et à nous la grâce et l'obligation qu'il se soit voulu servir de notre labeur pour parfaire ce bon uvre. Auquel il a été visible à tous si nous avons porté ce qui était non seulement de notre devoir et pouvoir, mais quelque chose de plus qui n'eût peut-être pas été en autre temps bien convenable à la dignité que nous tenons, que nous n' avons plus eu crainte d'y exposer puisque nous y avons tant de fois et si librement exposé notre propre vie. Et en cette grande concurrence de si grandes et périlleuses affaires ne se pouvant toutes composer tout à la fois et en même temps, il nous a fallu tenir cet ordre d'entreprendre premièrement celles qui ne se pouvaient terminer que par la force et plutôt remettre et suspendre pour quelque temps les autres qui se devaient et pouvaient traiter par la raison et la justice, comme les différends généraux d'entre nos bons sujets et les maux particuliers des plus saines parties de l'État que nous estimions pouvoir bien plus aisément guérir, après en avoir ôté la cause principale qui était en la continuation de la guerre civile
Date de création : 27/11/2016 @ 21:57 Réactions à cet article
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