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Sciences politiques - La vérité dans les royaumes de valeur
LA VÉRITÉ DANS LES ROYAUMES DE VALEUR
La vérité, dans lespace social, émerge des différents « royaumes de valeur » tels que décrits par le philosophe britannique ROGER SCRUTON, dans son ouvrage de maturité, « De Lurgence dêtre conservateur »[1]. Il y passe en revue les huit différents royaumes 1quil entend défendre en conservateur quil est, et « où cette défense est destinée au service du bien commun de la communauté. Ce nest pas une défense politique, mais une défense qui nous invite à vivre autrement. Cest que lÉtat a besoin dune politique culturelle, mais cette politique doit reposer sur le jugement pour ne pas offrir son soutien aux habitudes de profanation et de dénigrement et répondre à la vraie voix de la culture. » Qui est Roger SCRUTON et comment en est-il venu au conservatisme ? Né en 1944, Roger SCRUTON entre à luniversité en 1962, et y étudie les sciences morales (la philosophie) à Jesus College (Cambridge). Il reçoit son Bachelor of Arts en 1965 et son Master of Arts en 1967. SCRUTON admirait la façon dont la philosophie était enseignée à Cambridge, à savoir comme prélude aux sciences dures, dans la tradition de la philosophie analytique. Scruton souhaitait néanmoins réconcilier cette façon denvisager philosophie avec un mode de vie artistique. Cest afin de poursuivre cette quête que SCRUTON part un an en France où il enseigne au Collège Universitaire de Pau. Lannée suivante, en mai 1968, très précisément, on le retrouve à Paris. Dans un article du Guardian de lépoque, on y apprend que vivant au quartier latin de Paris, avait tout le loisir dy observer les étudiants renverser les voitures pour élever des barricades, et arracher des pavés pour les jeter sur les policiers. SCRUTON se souvient: « Je me rendais compte soudain que jétais de lautre côté. Ce que je voyais, cétait une foule incontrôlable de voyous complaisants de la classe moyenne. Quand je demandais à mes amis ce quils voulaient, ce quils essayaient dobtenir, tout ce que je recevais comme réponse était un charabia ridicule, délibérément obscur et alambiqué, typique du marxisme. Jen étais dégoûté, et en suis venu à penser quil devait y avoir un moyen de revenir à la défense de la civilisation occidentale contre ces assauts. Cest à ce moment que je suis devenu conservateur. Je savais que je voulais conserver les choses plutôt que de les détruire ». Il se rend compte alors que la ferveur avec laquelle les manifestants détruisent les structures en place na dégale que limprécision de leurs intentions : quest-il proposé en effet pour remplacer ce monde à détruire ? Telle est la question que se pose SCRUTON qui na cessé depuis de suivre avec passion lévolution de la vie intellectuelle française. Après son exil de lUniversité, il sest lié à des dissidents praguois [quil soutient grâce à un réseau universitaire clandestin créé par le dissident tchèque Julius Tomin] et a découvert la cruauté dun État entièrement libéral. Il sest rendu compte que ce quil croyait acquis, la liberté ne létait jamais et que Thatcher était venue le rappeler au Pays dans un style certes direct, parfois naïf et pas très intellectuel, mais dans un élan absolument nécessaire. Dans le SCRUTON daujourdhui on perçoit donc autant linfluence de BURKE et de RUSKIN, que celle dAdam SMITH et de HAYEK, à la faveur dun conservatisme libéral, qui nexiste dans sa forme aboutie que chez les anglophones. Depuis trente ans, cependant, on peut en effet identifier dans le conservatisme de SCRUTON, le même fil conducteur :
SCRUTON aboutit à la métaphysique et à lesthétique, défendant la préservation du sacré et de la beauté dans un monde désenchanté voire adepte de la profanation. Car ils sont seuls capable de donner du sens à lexistence humaine. Cest peut-être là que SCRUTON est le plus original, parvenant à relier dans le même mouvement de pensée une philosophie de la polis et une réflexion sur les grandes questions de la condition humaine. »
ROYAUMES DE VALEUR (211) Il faut bien voir, dune part, que tout ce que la politique peut faire, cest délargir lespace dans lequel peut sépanouir la société civile, Dautre part, la valeur vient à nous de bien des manières, et quand cest le cas, elle apporte avec elle lautorité, la paix et lappartenance. Mais elle ne vient à nous :
(212) Par ailleurs, nos valeurs ne nous sont pas données par avance, avant que nous les découvrions. Nous navançons pas dans la vie avec des buts clairs en usant simplement de notre raison pour les atteindre. Les valeurs émergent par nos efforts de coopération : les choses auxquelles nous nous attachons le plus souvent imprévisibles avant quelles ne nous enveloppent, comme lamour érotique, lamour des enfants, la dévotion religieuse et lexpérience de la beauté. Et toutes sont enracinées dans notre nature sociale de sorte que nous napprenons à les comprendre et à nous concentrer sur elles comme des fins en soi quen dialoguant avec nos semblables, et rarement avant den faire lexpérience. La valeur éclot parce que les êtres humains la créent par les traditions, les coutumes et les institutions qui scellent et promeuvent notre responsabilité mutuelle. Première parmi ces traditions et institutions, la religion, qui jette sa lumière depuis nos sentiments sociaux jusque dans linsondable cosmos. (213) Lorsque BURKE et MAISTRE entreprirent de faire le procès de la Révolution Française, rien ne les impressionna davantage que son zèle antireligieux. Aves la persécution de lÉglise, il nétait pas seulement question dôter à celle-ci son pouvoir social et ses propriétés, les révolutionnaires voulaient posséder les esprits que Église avait recrutés Les révolutions suivantes ont considéré de manière similaire lÉglise comme lennemi public numéro un, précisément parce quelle a créé un royaume de valeurs et dautorité hors datteinte de État. MAISTRE pensait que lon pouvait replacer la magie dans son lieu dorigine, en restaurant non seulement lÉtat monarchique mais le consensus religieux dont il dépendait. BURKE, quant à lui, fut le précurseur de ce qui allait devenir la position conservatrice élémentaire en Grande-Bretagne au XIXe siècle. Il soutenait quune religion établie, tolérante à la dissension pacifique, senracinait dans la société civile, en attachant les hommes à leur patrie et à leurs voisins, et en imprégnant leurs sentiments de certitudes morales quils ne pouvaient aisément acquérir dune autre façon ; mais il reconnaissait aussi que ce nétait pas à lÉtat dimposer une religion au citoyen ou dexiger de sa part une quelconque conformité doctrinale. (214) Où se trouve aujourdhui la religion dans la vision du monde du CONSERVATEUR MODERNE ? La réponse, selon Roger SCRUTON serait la position de conciliation suivante : « La religion joue un rôle indéniable dans la vie de la société, en introduisant lidée du sacré et de la transcendance dont linfluence sétend à toutes les coutumes et les cérémonies dappartenance. Mais laffiliation religieuse nest pas nécessairement partie prenante de la citoyenneté, et en cas de conflit, ce sont les devoirs du citoyen, non ceux du croyant, qui doivent prévaloir. Cest là un des triomphes de la civilisation chrétienne davoir su rester fidèle à la vision chrétienne de la destinée humaine, tout en reconnaissant la priorité du droit séculier. Dintenses conflits furent nécessaires pour y parvenir ainsi que la reconnaissance, lente mais constante, dune société fondée sur lamour du prochain tout en permettant des distinctions de foi. »
LA VÉRITÉ DANS LE NATIONALISME (64) Les démocraties ont besoin dun « nous » national plutôt que religieux ou ethnique. LÉTAT-NATION tel que nous le concevons aujourdhui est le produit dérivé de la relation de bon voisinage façonné par une « main invisible » à partir des innombrables accords entre ceux qui parlent la même langue et vivent côte à côte. Il résulte de compromis établis après bien des conflits et exprime laccord lentement formé entre des voisins, autant pour saccorder mutuellement de lespace que pour protéger cet espace devenu territoire commun Son droit en tant quÉTAT-NATION est territorial plutôt que religieux et ninvoque aucune source dautorité plus haute que les biens intangibles partagés par son peuple. Tous ces caractères sont des forces, car ils entretiennent une forme adaptable de loyauté prépolitique. Tant que les hommes ne sidentifient pas avec le pays, son territoire et son héritage culturel à la façon dont ils sidentifient avec leur famille la politique du compromis ne peut émerger. Nous devons prendre nos voisins au sérieux, comme des gens dont le droit à la protection est égal au nôtre et pour lesquels on peut nous demander, dans des moments de crise, daffronter un danger mortel. Nous le faisons parce que nous pensons que nous appartenons ensemble à une nation commune. Lhistoire du monde en est la preuve. : là où les hommes décrivent leur identité en des termes qui ne sont pas partagés par leurs voisins, alors lÉtat sécroule à la première épreuve cest ce qui sest passé dans lex-Yougoslavie, et se passe aujourdhui en Syrie, en Somalie et au Nigéria. 65) Il est une autre raison plus profonde pour adhérer à la nation comme source dobligation légale. Seule la loi qui dérive de la souveraineté nationale peut sadapter aux changements des conditions de son peuple. Nous le voyons clairement dans la tentative futile des États islamiques modernes de vivre conformément avec la charia. Les premières écoles de jurisprudence islamique nées à la suite du règne du Prophète à Médine, permettaient aux juristes dadapter la loi révélée aux besoins changeants de la société, par un processus de réflexion connu sous le nom de ijtihad ou effort. Mais il semble quon y ait mis un terme au VIIIe siècle de notre ère lorsque lécole théologique désormais dominante maintint que toutes les matières importantes avaient été réglées et que la porte de lijtihad était close Cest pourquoi aujourdhui lorsque les religieux prennent le pouvoir, le droit se réfère à des préceptes conçus pour le gouvernement dune communauté évanouie depuis longtemps. Les juristes ont de grandes difficultés à adapter un tel droit à la vie des hommes modernes. Pour le dire autrement : le droit séculier sadapte, le droit religieux persiste Lorsque Dieu fait les lois, les lois deviennent aussi mystérieuses que Dieu. Lorsque nous faisons les lois, conformément à nos finalités, nous pouvons être certains de ce quelles signifient. La seule question est alors « Qui sommes-nous ? » Et dans les conditions modernes la nation est la réponse à cette question, une réponse sans laquelle nous sommes tous à la dérive. Ainsi, à la suite de la Seconde Guerre mondiale, lélite politique des nations défaites devint sceptique vis-à-vis de lÉtat-nation. (66) LUE naquit de la croyance que les guerres européennes avaient été causées par le sentiment national et que lon avait besoin dune forme nouvelle et transnationale de gouvernement qui unirait les hommes autour de leur intérêt commun pour la coexistence pacifique. . Malheureusement lUnion [faute de reposer sur une première personne du pluriel] est fondée sur un traité et les traités tirent leur autorité des personnes qui les signent. Ces entités sont les États-nations de lEurope, dont émane la loyauté des peuples européens. LUnion qui a entrepris de transcender cette loyauté souffre par conséquent dune crise permanente de légitimité Les traités sont des mainmortes qui ne devraient imposées à un pays quen fonction dobjectifs spécifiques et essentiels, jamais comme moyen de gouvernement. Ainsi, lorsque le traité de Rome fut signé en 1957, il incluait une clause permettant la libre circulation du capital et du travail entre les signataires. À lépoque revenus et opportunités étaient globalement similaires à travers le petit nombre de États signataires. Aujourdhui la situation est différente. LUE sest étendue (sans mandat populaire) pour inclure la plupart des anciens États communistes dEurope de lEst dont les citoyens ont désormais le droit de sinstaller [y compris à lintérieur des frontières nationales comme, par exemple en Grande-Bretagne. Ce que le Brexit tente de rendre caduque aujourdhui]. (67) Reste à comprendre pour nous aujourdhui pourquoi cette entreprise de fédération qui a amené à un empire irresponsable en Europe, a pu aboutir à une démocratie viable aux États-Unis ? La réponse est simple, parce que le fédéralisme américain a créé non un empire mais un ÉTAT-NATION et ce malgré les désaccords sur les droits des États, la guerre civile et lhéritage de lesclavage et du conflit ethnique. Cela a pu se produire parce que la colonie américaine a établi un état de droit séculier, une juridiction territoriale et une langue commune en un lieu que les hommes revendiquent activement come leur chez nous. Sous la colonie américaine, lez hommes devaient avant toute chose se traiter les uns les autres comme des voisins : non comme des membres dune même classe, ethnicité ou religion, mais comme des confrères dimmigration sur une terre partagée. Leur loyauté envers lordre politique prenait sa source dans les obligations de bon voisinage ; et les conflits qui les opposaient devaient être réglés par la « Law of the land » (la loi du pays). Le droit devait opérer à lintérieur de limites territoriales définies par lattachement premier du peuple et non par quelque bureaucratie transnationale. En bref, la démocratie a besoin de frontières et les frontières ont besoin de lÉTAT-NATION. Définir son identité selon le lieu que lon habite joue un rôle dans le renforcement du sentiment national. Par exemple, le droit commun des Anglo-saxons, où les lois émergent de la résolution des conflits locaux plutôt que de leur imposition par le souverain a joué un rôle important pour entretenir ce sentiment propre aux Anglais et aux Américains que la loi est la propriété commune de tous ceux qui résident dans sa juridiction plutôt que la création des prêtres, des bureaucrates ou des rois. Une langue et un système déducation communs ont un effet similaire pour transformer la familiarité, la proximité et lusage quotidien en forces dattachement commun. (68) Lessentiel concernant les nations cest quelles croissent depuis le bas, par lhabitude de lassociation libre entre voisins, et résultent donc des loyautés attachées à un lieu et à son histoire, plutôt quà une dynastie, ou comme en Europe à une classe politique autoentretenue. Les nations peuvent fusionner dans des ensembles plus complexes comme lont fait le Pays de Galles, lÉcosse et lAngleterre ou peuvent se séparer comme les Tchèques et les Slovaques, ou comme le Royaume Uni le fera un jour lorsque les Écossais reprendront possession de leur souveraineté. Les frontières nationales peuvent être faibles ou fortes, poreuses ou imprenables, mais dans toutes leurs formes, elles offrent une identité qui condense les droits et les devoirs des citoyens et leur allégeance envers ceux dont ils dépendent le plus étroitement pour la paix civile. Cest là que se trouve la vérité du nationalisme telle que Roger SCRUTON la comprend Lorsque nous nous posons la question de notre appartenance et de ce qui définit nos loyautés et nos engagements, nous ne trouvons pas la réponse dans une obéissance religieuse commune encore moins dans des liens de tribu ou de parenté. Nous la trouvons dans les choses que nous partageons avec nos concitoyens et en particulier de ce qui permet de maintenir létat de droit et lexistence du consensus politique :
LA VÉRITÉ DANS LE SOCIALISME Selon SCRUTON, la vérité du socialisme, la vérité de notre dépendance mutuelle et du besoin de faire ce que nous pouvons pour offrir un accès au bénéfice de lappartenance sociale à ceux dont les propres efforts ne suffisent pas pour les obtenir. (77) Comment la faire vivre ? Cest une question politique complexe. La situation de lEurope aujourdhui, plus dun siècle après linvention de lÉTAT PROVIDENCE par Bismarck, fournit de nombreuses illustrations de la façon dont les bénéfices sociaux peuvent être étendus à ceux qui ne peuvent occuper demploi ou qui en sont privés, et dont les soins de santé peuvent être fournis comme une ressource publique, soit gratuitement, soit comme un système de remboursement par lÉtat de dépenses engagées par les individus ? Chaque système a des désavantages associés ainsi que des vertus, mais tous sont sujets à deux imperfections. En premier lieu, ils contribuent à la création dune nouvelle classe de personnes dépendantes des personnes qui en sont venues à dépendre des allocations de lÉTAT PROVIDENCE, peut-être sur plusieurs générations, et qui ont perdu toute ambition de vivre autrement. Souvent le système dallocations est conçu de telle sorte que toute tentative den sortir par le travail conduit à une perte plutôt quà un gain pour le revenu familial Des expédients pour maintenir ce revenu se trouvent transmis des parents aux enfants, qui ne peuvent avoir conscience de ceux qui sont dans la normalité, vivant de leur propre industrie.. Mais le coût principal nest pas économique : cela touche directement au sentiment dappartenance, suscite la colère de ceux qui vivent de façon responsable et exclut la minorité dépendante de la pleine expérience de la citoyenneté. En second lieu, les systèmes dÉTAT PROVIDENCE tels quils ont été conçus jusquici, ont un budget sans limite. Leur coût saccroît constamment : la gratuité des soins de santé, qui rallonge la vie de la population, mène à une croissance continue des coûts de ces soins en fin de vie, ainsi quà des engagements de retraite dont les fonds existants ne peuvent sacquitter. En conséquence, les Gouvernements, de plus en plus, empruntent aux générations futures, mettant en hypothèque les actifs des personnes à naître pour le bénéfice des vivants. On a entretenu jusquà présent une dette publique toujours croissante en supposant que les Gouvernements ne faisaient pas et ne feraient pas défaut tant que le niveau de dette resterait dans le présent ordre de grandeur. Mais la confiance dans la dette du Gouvernement a été lourdement secouée par les récents évènements en Grèce et au Portugal, et si cette confiance sévanouissait, lÉtat providence en ferait autant du moins dans sa forme actuelle. (78) En bref, cette vérité du socialisme, pour toutes ces raisons, pointe vers un problème politique majeur et grandissant Deux éléments empêchent les Gouvernements modernes dy répondre :
Les guerres du XXe siècle ont fait prendre conscience de cette vérité fondamentale les peuples combattent pour leur pays et sunissent pour sa défense, mais combattent rarement pour leur classe, même lorsque les intellectuels les y incitent. Parallèlement les hommes attendent que lÉtat récompense leur loyauté. LÉTAT PROVIDENCE a donc émergé naturellement des guerres du XXe siècle, en réponse à un consensus. Maintenant que sa réforme est urgente et nécessaire, un consensus similaire lest tout autant. (79) Les tentatives récentes de réforme du système davantages sociaux par le Parti conservateur britannique, dans le but déliminer la pauvreté et de continuer à pouvoir financer ce système, ont été vivement critiquées par la gauche. Elles ont été vues comme une « attaque contre les pauvres et les personnes vulnérables. » Dans tout le monde occidental, lÉTAT PROVIDENCE, dans sa forme actuelle, surpasse nos moyens financiers, et lemprunt constant auprès de générations futures ne rendra son effondrement que plus dévastateur quand il se produira. Cependant les partis au pouvoir, qui prennent le risque dentreprendre sa réforme radicale, par peur dêtre pris en otage par la gauche pour laquelle ce nest pas seulement une question emblématique, mais un moyen dappeler au rassemblement ses électeurs captifs.
LA VÉRITÉ DU CAPITALISME Cette vérité est simple, à savoir que la PROPRIETE PRIVEE et le LIBRE-ECHANGE sont des caractères nécessaires à toute économie de grande échelle toute économie dans laquelle les hommes dépendent, pour leur survie et leur prospérité de lactivité dinconnus. Cest seulement lorsque les hommes disposent du droit de propriété et peuvent librement échanger ce quils possèdent contre ce dont ils ont besoin, quune société dinconnus peut réussir à se coordonner au plan économique. Les socialistes au plus profond deux-mêmes, ne lacceptent pas. Ils considèrent la société comme un mécanisme de distribution des ressources à ceux qui les revendiquent, comme si les ressources existaient préalablement aux activités qui les créent, et comme sil existait un moyen de déterminer exactement qui peut prétendre à quoi sans se référer à la coopération de long terme entre les acteurs économiques. (95) Ce point fut démontré par les économistes autrichiens VON MISES (1881-1973) et HAYEK (1899-1992) Il le fut au cours du « débat sur le calcul économique[3] » qui accompagna les premières propositions déconomie socialiste, où les prix et la production seraient tous deux contrôlés par lÉtat. La réponse des Autrichiens repose sur trois idées cruciales : premièrement une activité économique dépend de la connaissance des désirs, besoins et ressources dautrui ;
Cependant, lorsque la production et la distribution sont fixées par une autorité centrale, les prix ne fournissent plus dindice Pas plus celui de la rareté dune ressource que celui de létendue de sa demande. La pièce maîtresse de la connaissance économique, celle qui existe dans une économie libre comme fait social, est détruite. soit léconomie seffondre, les queues, lexcès et la pénurie remplaçant lordre spontané de la distribution, soit elle est remplacée par une économie souterraine où les biens séchangent à leur prix réel celui que les hommes sont prêts à payer. (96) Ce résultat sest vu abondamment confirmé par les économies socialistes Toutefois largument donné en sa faveur nest pas empirique mais a priori, concernant linformation générée et dispersée dans la société. Laspect important de largument est que le prix dun bien ne charrie une information économique pertinente que si léconomie est libre. Cest seulement dans les conditions de LIBRE-ÉCHANGE que les budgets des consommateurs individuels entretiennent le processus épistémique, comme on pourrait lappeler, qui distille, sous la forme du prix, la solution collective au problème économique quils partagent le problème de savoir que produire et quéchanger contre cette production. Toutes les tentatives pour interférer avec ce processus, en contrôlant soit loffre soit le prix dun produit mèneront à une perte de connaissance économique. Car cette connaissance nest pas contenue dans un plan mais seulement dans lactivité économique dagents libres qui produisent, mettent en vente et ECHANGENT LEURS BIENS SELON LA LES LOIS DE LOFFRE ET DE LA DEMANDE. Léconomie planifiée, qui propose une distribution rationnelle à la place de la distribution « aléatoire » du marché, détruit linformation dont dépend le fonctionnement adéquat dune économie. Elle sape par conséquent sa propre base de connaissance. Cest là lexemple parfait dun projet supposément rationnel mais absolument dénué de raison, puisquil dépend dune connaissance qui nest disponible que dans les conditions quil contribue à détruire. Corollaire de cet argument, la connaissance économique, celle contenue dans les prix, se déploie dans le système, est générée par la libre activité dinnombrables personnes effectuant des choix rationnels et ne peut pas être traduite en un ensemble de propositions ou incorporée comme prémisse dans un dispositif de résolution des problèmes. (97) Comme les Autrichiens furent sans doute les premiers à le comprendre, lactivité économique exprime une logique particulière Celle de laction collective, lorsque la réponse dune personne modifie le socle dinformations à disposition dune autre. Cest de cette découverte quest issue la science de la théorie développée par le mathématicien américano-hongrois VON NEUMANN (1903-1957) et le mathématicien et économiste allemand MORGENSTERN (1902-1977) comme première étape dans lexplication des marchés, mais poursuivie aujourdhui comme branche des mathématiques, avec des applications (et certaines malencontreuses) dans les domaines de la vie sociale et politique. La théorie épistémique du marché proposée par HAYEK (1899-1992) ne prétend pas que le marché soit la seule forme possible dordre spontané, ni que le libre marché soit suffisant pour produire la coordination économique ou la stabilité sociale. Sa théorie affirme seulement que le mécanisme de formation des prix génère et contient une connaissance qui savère nécessaire à la coordination économique. Celle-ci peut être mise à mal par les cycles économiques, les imperfections du marché et les externalités, et reste dans tous les cas, dépendante dautres normes dordre spontané pour sa survie à long terme. Léconomiste britannique, membre de la chambre des Lords depuis 2015, JOHN ONEILL (1957-), défendant un socialisme tempéré en opposition au plaidoyer de Hayek en faveur du libre marché, soutient que le mécanisme de formation des prix ne communique pas toute linformation nécessaire à la coordination économique et que, dans tous les cas linformation nest pas suffisante. Pour un conservateur, il y aurait de bonnes raisons daccepter laffirmation de ONeill ; mais ce sont des raisons que Hayek reconnaît. (98) Le marché est maintenu en létat par dautres formes dordre spontané. Mais toutes ne doivent pas être comprises come des dispositifs épistémiques, mais dont certaines les traditions morales et juridiques créent une forme de solidarité que les marchés, livrés à eux-mêmes, pourraient éroder. Chez Hayek, il est sous-entendu que le LIBRE-ÉCHANGE comme pour les coutumes durables doivent être justifiées exactement dans les mêmes termes. Tous deux sont des distillations indispensables au savoir nécessaire à la vie en société, lun opérant de façon synchronique, lautre diachronique de sorte que lexpérience dun nombre indéfini dautres personnes influence les décisions que nous prenons nous-mêmes ici et maintenant. Hayek décrit le marché comme partie dun ordre spontané plus large, fondé sur le LIBRE- ÉCHANGE de biens, didées et de préférences cest « le jeu de la catallaxie[4] » comme il le nomme. Mais ce jeu se joue dans le temps et pour inspirer ici Roger Scruton dune pensée de Burke les morts et les vivants y participent aussi, faisant part de leur présence, non sur le marché, mais par les traditions, les institutions et les lois. Ceux qui estiment que lordre social devrait imposer des contraintes au marché ont donc raison. Mais dans un ordre réellement spontané, ces contraintes sont déjà présentes sous la forme de coutumes, de lois et de morale. Si ces bonnes choses déclinent, selon Hayek, la législation en aucun cas ne peut les remplacer. Car elles émergent de façon spontanée ou némergent pas, et limposition de lois en vue dune « société bonne » peut menacer ce qui reste de la sagesse accumulée qui rend cette société possible. Au lieu de contenir notre activité dans les canaux requis par la justice, ce qui est lapanage du droit commun (common law) la législation sociale revient à imposer à la société un ensemble de buts. Elle fait de la loi un instrument dingénierie sociale et permet à une pensée utilitaire de lemporter sur les prétentions légitimes du droit naturel. En cas durgence, ou dans des conditions de déséquilibre manifeste, la législation est probablement la seule arme dont nous disposons. Mais nous devrions toujours garder à lesprit quune législation ne crée pas dordre juridique mais le présuppose, et que dans notre cas le cas de la sphère anglophone lordre juridique est né sous leffet dune main invisible, parce quil fallait rendre la justice dans les conflits individuels. (99) En dautres termes, lordre juridique est né spontanément. Et non selon un plan rationnel, comme ce fut le cas de lordre économique. Nous ne devrions pas être surpris, par conséquent, que les penseurs conservateurs de notre pays en particulier les britanniques du XIXe siècle que sont Hume, Smith, Burke, et laustralien du XXe siècle Robert Oakeshott aient eu tendance à ne pas voir de contradiction entre la défense du marché et une vision traditionnaliste de lordre social. Car ils avaient foi dans les limites spontanées au marché par le consensus moral de la communauté et voyaient aussi bien dans le marché que dans les contraintes à son endroit luvre de la même main invisible Mais la contradiction entre la défense du marché et une vision traditionnaliste de lordre social menace dapparaitre aujourdhui, doù leffondrement du consensus précédent Cette menace est peut-être réelle aujourdhui. Mais cette menace est en partie le résultat de lintervention de lÉtat ; il y a donc peu de chances que lÉtat puisse y remédier. À ce stade, toutefois, les conservateurs voudront introduire une réserve. Bien quHayek ait probablement raison quand il pense que le marché et la morale traditionnelle sont tous deux des formes dordre spontané et se justifient tous deux dun point de vue épistémique, il ne sensuit pas quils nentreront pas en conflit. Les socialistes ne sont pas les seuls à montrer du doigt les effets corrosifs du marché sur les relations humaines, ou à mettre en avant la distinction entre ce qui a de la valeur et ce qui a un prix. Aussi bien des traditions auxquelles les conservateurs sont les plus attachés peuvent se comprendre (du point de vue de la « rationalité évolutionniste » de Hayek) comme des procédés visant à sauver la vie humaine marchande[5]. La morale sexuelle traditionnelle, par exemple, qui insiste sur le caractère sacré de la personne humaine, sur le caractère sacramentel du mariage et sur limmoralité des relations charnelles en dehors du vu damour est dans la perspective de Hayek un moyen dextraire le sexe de la sphère marchande , de lui refuser le statut de produit et de le mettre à labri de la relation déchange. Cette pratique possède une fonction sociale évidente ; mais cest une fonction qui ne peut être remplie que si les hommes voient le sexe comme un domaine aux valeurs propres et les prohibitions qui sy appliquent comme des ordres absolus. Dans toutes les sociétés, la religion qui émerge spontanément, est liée à cette idée dun ordre soustrait à la négociation. Pour le dire succinctement, est sacré ce qui na pas de prix. Et lintérêt pour ce qui na pas de prix, ni valeur déchange est exactement ce qui définit la vision conservatrice de la société. (100) Il sensuit que le jeu de la « catallaxie » noffre pas de vision complète de lessence de la politique. Pas plus quelle résout la question de savoir comment et dans quelle mesure, lÉtat doit choisir dintervenir dans les échanges marchands, afin dy donner la préséance à une autre forme dordre spontané peut-être en conflit avec le marché, ou bien de corriger les effets secondaires négatifs auxquels toute coopération humaine est susceptible de conduire. Cette question détermine le point de rencontre entre le conservatisme et le socialisme, mais aussi la nature du conflit qui les sépare. La vérité du capitalisme que la PROPRIETE PRIVEE sous le régime du LIBRE-ECHANGE, est la seule façon dentretenir la coopération économique dans une société dinconnus ne répond pas aux critiques à lencontre du capitalisme, qui ne visent pas la liberté économique mais les distorsions qui y apparaissent, et qui nourrissent ressentiment et défiance chez ceux qui sy trouvent perdants.
LA VÉRITÉ DU LIBÉRALISME (111) Dans ce chapitre, ROGER SCRUTON, voudrait exposer la vérité du libéralisme comme philosophie qui pose la liberté de lindividu comme lun de ses objets, sans doute lobjet principal du Gouvernement Et qui dans cette poursuite établit une distinction entre les formes politique et religieuse de lordre social.
Cest un ordre ou les lois sont fondées sur des prescriptions divines et où les charges terrestres sont occupées par délégation de Dieu. Considérées depuis lextérieur, les religions sont définies par les communautés qui les adoptent et leur fonction est de créer un lien à lintérieur de ces communautés pour les protéger de chocs extérieurs et pour garantir leur pérennité. Une religion est fondée sur la piété, cest-à-dire la pratique de la soumission aux ordres divins. Cette pratique, une fois en place, sous-tend tous les serments et promesses, confère un caractère sacré au mariage et sert de socle aux sacrifices nécessaires en temps de guerre et de paix. De ce fait, les communautés qui partagent une religion ont un avantage dans la lutte pour la terre, et tous les territoires peuplés de la planète sont des lieux où quelque religion dominante a autrefois revendiqué et défendu sa place. Telle est lhistoire racontée dans lAncien Testament. (112) Dans lordre politique, par contraste, une communauté est gouvernée par des lois et des décisions humaines Ceci sans référence aux impératifs religieux. La religion est une condition statique ; la politique un processus dynamique. Tandis que les religions exigent une soumission sans réserve, le processus politique propose la participation, la discussion et la législation fondée sur le consentement. Ainsi en est-il de la tradition occidentale, et cest très largement grâce au libéralisme que cette tradition sest maintenue, face à la tentation constante, que nous constatons aujourdhui dans sa forme la plus virulente chez les islamistes, de renoncer à la tâche ardue du compromis et de trouver refuge dans un régime dimpératifs incontestables. La rivalité entre la religion et la politique nest pas moderne en tant que telle. Nous la connaissons non seulement grâce à la Bible, mais aussi à la tragédie grecque. Laction dAntigone de Sophocle repose sur le conflit entre lordre politique appréhendé et maintenu par Créon, et le devoir religieux en la personne dAntigone. Le premier est public et implique lensemble de la communauté ; le second est privé et implique la seule Antigone. Cest pourquoi le conflit ne peut se résoudre. Lintérêt public na aucune incidence sur la décision dAntigone denterrer son frère, tandis que le devoir imposé par limpératif divin à Antigone ne peut possiblement pas être une raison pour Créon de mettre lÉtat en péril. Un conflit similaire innerve lOrestie dEschyle, où une succession de meurtres religieux, à commencer par le sacrifice rituel de sa fille Agamemnon, mène finalement à la persécution dOreste par les Furies. Les dieux exigent des meurtres ; les dieux punissent aussi. La religion relie la maison dAtrée, mais avec les dilemmes quelle ne peut résoudre. La résolution ne survient en définitive que lorsquun jugement est adressé à la ville en la personne dAthéna. (113) Dans lordre politique, nous sommes incités à la compréhension Ainsi la justice remplace la vengeance et les solutions négociées abolissent les impératifs absolus. Le message de lOrestie résonne tout au long des siècles de la civilisation occidentale ; cest par la politique, non la religion que la paix est assurée. La vengeance est mienne dit le Seigneur ; mais répond la cité, mienne est la justice. Les auteurs de la tragédie grecque écrivaient à lorée de la civilisation occidentale. Mais leur univers se poursuit dans la nôtre. Leur loi est celle de la cité, où lon parvient aux décisions politiques par la discussion, la participation et le dissentiment. Cest dans le contexte de la cité-État grecque que la philosophie politique a commencé, et les grandes questions que sont la justice, lautorité et la constitution sont discutées par Platon et Aristote dans les termes aujourdhui courants. Le libéralisme est né de la réflexion, vieille de plusieurs siècles, sur ce qui doit être mis en place pour que les hommes se soumettent volontairement à des lois faites par dautres hommes plutôt que par Dieu. Une société gouvernée par le consentement ne provient pas forcément dun contrat social, quil soit réel ou implicite. Cest une société où les échanges entre citoyens, et entre les citoyens et leurs dirigeants, sont consensuels, à la manière de la courtoisie quotidienne des matchs de football, des soirées au théâtre ou des repas en famille. (114) Adam SMITH a clairement montré lémergence de lordre des échanges consensuels Mais il émerge « sous leffet dune main invisible » et non comme une règle, parce que quelquun laurait imposé. Dans le chapitre précédent consacré au capitalisme, Roger SCRUTON a mentionné la défense du droit commun par HAYEK, exposée dans Loi, Législation et Liberté où il soutient aussi que le droit émerge de nos libres transactions, non parce quil est imposé mais parce quil est sous-entendu par nos échanges. Le droit commun résume ce que les êtres raisonnables présument déjà explicitement ou non, lorsquils sengagent dans des transactions libres. Le principe du tort, où son auteur doit dédommager sa victime ; le principe du contrat où celui qui le rompt doit dédommager lautre partie de sa perte ; le principe déquité où celui qui y aspire doit agir équitablement ces principes sont présumés dans lacte même de laccord libre. Le droit commun naît de leur application à des cas particuliers, qui mène à des remèdes et à des règles par lesquels nous négocions, comme êtres libres et comptables de nos actions, de notre place dans un monde peuplé dinconnus. Dans un ordre consensuel, les décisions dont dépendent nos relations avec les autres sont, excepté en cas durgence, prises librement. Nos décisions sont libres lorsque chacun de nous négocie son chemin dans la vie en jouant ses cartes selon son meilleur jugement et sans contraindre autrui. Selon le libéralisme tel que traditionnellement conçu, une telle société nest possible que si ses membres sont les souverains de leur propre vie ce qui signifie quils sont libres daccorder autant que de retirer leur consentement quand ils entrent en relation quelle quelle soit avec les autres ? Cette souveraineté individuelle nexiste que là où lÉtat garantit des droits, tel le droit à la vie, à lintégrité physique et à la propriété, afin de protéger les citoyens de la violation et de la contrainte opérées par autrui, y compris celles de lÉtat. (115) Il est commun de faire une distinction entre le sujet et le citoyen dans la discussion de ces questions Lun comme lautre sont dans lobligation dobéir à la loi et à lÉtat qui le fait respecter. Mais tandis que lobéissance des sujets est sans réserve, exigée par lÉtat sans conditions, lobéissance des citoyens est conditionnée au respect par lÉtat de leur souveraineté. Cest une réussite précieuse de la civilisation occidentale, qui nest pas la règle dans toutes les régions du monde, et qui est largement mal comprise par les islamistes, qui aspirent à une obéissance parfaite et inconditionnelle envers une loi établie par Dieu, de la part de sujets qui ont renoncé pour toujours à la liberté de sen démarquer. Une démocratie moderne est inévitablement une société dinconnus. Dans une démocratie florissante, ces inconnus sont expressément inclus dans la toile des obligations mutuelles. La citoyenneté implique la disposition à reconnaître des obligations envers ceux que nous ne connaissons pas et à agir conformément à elles. Elle permet à des inconnus de résister ensemble à lautorité et daffirmer les droits quils partagent. Elle pourvoit dès lors un bouclier contre loppression et un écho à la voix dissidente. Sans ce recours, point dexutoire pour lopposition, si ce nest par un complot pour subvertir le pouvoir en place. Ces pensées sont déjà en germe dans lordonnance dhabeas corpus. (116) Les démocraties occidentales et la République nont pas créé la vertu de la citoyenneté Au contraire, elles sont nées de celle-ci. Rien de plus évident dans le Fédéraliste[6]que lesprit public quil met en jeu, par opposition aux factions, cabales et intrigues privées. Comme le quatrième Président des États-Unis, James MADISON (1757-1836) a remarqué, les élections démocratiques ne suffisent pas pour surpasser les factions ou installer un véritable sens de la responsabilité publique dans le cur des élus. Cest seulement dans une république un système de charges représentatives occupées par des citoyens tenus responsables auprès de ceux qui les ont élus que le véritable patriotisme anime le mécanisme du pouvoir[7]. La Constitution des États-Unis fut une réussite en grande partie parce que ceux qui la conçurent cherchèrent à fonder une république dans laquelle les factions nauraient quun pouvoir social, plutôt que politique. La démocratie fut adoptée comme un moyen envers cette fin ; mais cest un moyen dangereux, qui dépend du maintien de lesprit public des citoyens si lon ne veut pas quelle dégénère en un champ dintérêts particuliers. Il est emblématique de notre temps didentifier la vertu de citoyenneté avec lesprit démocratique Encourageant ainsi la croyance que le bon citoyen est simplement celui qui soumet toute question au vote. Au contraire, le bon citoyen est celui qui sait à quel moment le vote est la mauvaise façon de se prononcer sur une question, et à quel moment il est la bonne façon. Car il sait que ses obligations envers les autres peuvent être violées lorsque la seule opinion de la majorité décide de leur sort. Cest en partie ce que TOCQUEVILLE et Stuart MILL avaient en tête lorsquils nous prévenaient de la tyrannie de la majorité[8]. Lordre politique nous permet de transcender la règle de la majorité. Le grand cadeau du libéralisme politique à la civilisation occidentale est davoir trouvé les conditions dans lesquelles le dissident est protégé et lunité religieuse remplacée par une discussion rationnelle entre adversaires Dans les démocraties occidentales, nos Gouvernements sont bien conscients que bien des personnes, peut-être même la majorité, ne les ont pas élus et quils doivent donc se rendre acceptables auprès de ceux avec lesquels, ils ne sont pas daccord. (117) Bien sûr, certains aspects de la vie humaine nappellent pas le compromis, soit quil soit suspect, soit quil soit interdit : Dans la bataille on ne fait pas de compromis avec lennemi.
Mais cest précisément lorsque la religion simmisce dans la politique que le processus politique est le plus menacé. Cest la raison pour laquelle dans lhistoire de lÉgypte moderne, les Président successifs ont tenté dempêcher les Frères musulmans daccéder au pouvoir. Les frères pensaient que le droit et la politique ne consistaient pas dans le compromis mais dans lobéissance à la volonté inaltérable de Dieu. Au XVIIe siècle, la Grande-Bretagne était déchirée par la guerre civile, et au cur de cette guerre se trouvait la religion le désir puritain dimposer la règle divine dopposer au peuple de Grande-Bretagne, au mépris de sa volonté, et le penchant des rois Stuart pour une foi catholique devenue profondément antipathique à la majorité, véhicule dune ingérence étrangère non désirée. Dans une guerre civile les deux parties agissent mal, précisément parce que le principe de compromis a quitté la scène. La solution nest pas dimposer un ensemble de décrets tombés du ciel, mais de rétablir la légitimité de lopposition et la politique du compromis. Cest ce que reconnut la Glorieuse Révolution de 1688, lorsque le Parlement fut rétabli comme institution législative suprême et les droits du peuple contre le pouvoir souverain (y compris le droit inscrit dans lhabeas corpus) réaffirmés lannée suivante dans la Déclaration des droits (Bill of Rights). Ainsi conçu, un droit est un bouclier placé devant lindividu. Cest en creusant ce concept que nous comprendrons non seulement ce quest le libéralisme, mais aussi les désordres et les mensonges importants qui, sous son ère, se sont insinués dans la politique. (118) L lidée des droits « naturels » ou « de « lhomme » est née de deux courants dopinion distincts
En combinant ces deux concepts, le précurseur britannique des Lumières, John LOCKE (1632-1704) défendit lidée dun système de droits naturels. Ces droits garantissaient la souveraineté de lindividu sur sa propre vie, et sa capacité à entrer en relation avec autrui par un accord comme de sen retirer par consentement mutuel. Sous cette acception, incorporée dans le Bill of Rights de 1689, les droits de lhomme doivent être compris comme des libertés des droits que nous respectons parce que nous laissons les autres tranquilles. La doctrine des droits de lhomme sert à imposer des limites au Gouvernement et ne peut pas être utilisée pour autoriser quelque accroissement Que ce soit du pouvoir gouvernemental qui ne soit pas requis par la tâche fondamentale quest la protection de la liberté. Cest ce que suggère le texte original de la Convention européenne des droits de lhomme qui détaille les implications de ces droits le droit à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur, qui sont également défendus dans la Déclaration américaine dindépendance. Cette tradition est à lorigine des points de repère de la jurisprudence libérale : la doctrine de séparation des pouvoirs, la théorie de lindépendance judiciaire, et lidée de la justice procédurale, selon laquelle tous les citoyens sont égaux devant la loi et le juge doit être impartial. (119) Cest à ce point, cependant que la vérité du libéralisme glisse imperceptiblement vers lerreur Car la recherche de la liberté est allée de pair avec une recherche d« émancipation », venue la contrebalancer. Les libertés négatives offertes par les théories traditionnelles du droit naturel telles que celles de LOCKE, ne réparent pas les inégalités de pouvoir et dopportunité des sociétés humaines De fait, les égalitaristes ont commencé à insérer davantage de droits positifs dans la liste des libertés, ajoutant aux droits-liberté précisés par les diverses conventions internationales, des droits qui non seulement exigent la non-intrusion dautrui mais leur imposent un droit positif. Ici, ils en appellent à lautre racine du concept de droit de lhomme la racine du « droit naturel » qui requiert que chaque code juridique se conforme à une norme universelle. Cest chose apparente dans la Déclaration universelle des droits de lhomme, qui commence par une liste de droits-libertés et qui soudain, à larticle 22, énonce des revendications radicales à légard de lÉtat revendications qui ne peuvent être satisfaites que par laction positive du Gouvernement. Voici larticle 22 : Toute personne en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale : elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels, indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à leffort national et à la coopération internationale, compte tenu de lorganisation et des ressources de chaque pays. Cet article vaut son pesant de philosophie politique. Ce droit contient une liste sans précision aucune dautres droits « économiques, sociaux et culturels », considérés comme indispensables non pour la liberté, mais pour la « dignité » et le « libre développement de sa personnalité ». Quel que soit en pratique le sens de cette affirmation, il va sans dire quelle implique sûrement une extension considérable du champ des droits de lhomme au-delà des libertés fondamentales reconnues par la Déclaration américaine. Celles-ci sont sans doute nécessaires à toute sorte de gouvernement par consentement ; on ne peut pas en dire autant des revendications de larticle 22 de la Déclaration universelle. La Déclaration poursuit sur ce registre, convoquant le droit au travail, au loisir, à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé et dautres avantages qui sont, dans les faits, des revendications à légard de lÉtat plutôt que lévitement de son intervention.
LA VÉRITÉ DU MULTICULTURALISME (134) Lidée de citoyenneté issue des Lumières a été enchâssée dans la loyauté sous-jacente des citoyens Ceci selon Roger SCRUTON est la vérité du multiculturalisme. Grâce à la « culture civique » qui sest développée dans lOccident à la suite des Lumières, lappartenance sociale sest libérée de laffiliation religieuse, des attachements raciaux, ethniques et parentaux, et des rites de passage par lesquels les communautés revendiquent le contrôle de leurs membres, en les sauvegardant de linfluence dautres coutumes et dautres tribus. Cest pourquoi il est facile démigrer dans les États occidentaux rien de plus nest requis de limmigrant que ladoption de la culture civique et la prise ne charge des devoirs quelle implique. Il nen résulte pas que lobligation politique se réduise à un contrat, même si certaines personnes le comprennent de cette manière. Cette obligation est toujours enracinée dans une appartenance prépolitique spécifique où le territoire, lhistoire, le voisinage et la coutume jouent un rôle décisif. Mais cette appartenance prépolitique sest avérée perméable à la conception individualiste et libérale du citoyen. Nos obligations envers les autres, envers notre pays et envers lÉtat ont été révisées dans une perspective ayant ouvert la voie à la mission de personnes extérieures à la communauté pourvu quelles aussi vivent selon lidéal libéral de la citoyenneté. Inutile de dire que bien des immigrants rejoignent les pays occidentaux et surtout les pays anglophones pour y rechercher les avantages que confère létat de droit libéral, et sans en comprendre ou en accepter les coûts. Nombre dentre eux deviennent hostiles à légard dune forme de loyauté qui semble obscure, détachée et purgée de lintimité chaleureuse de la religion. Cest un sujet sur lequel il faudra revenir. (135) La vision de la nature humaine issue des Lumières était fondée sur lidée que les êtres humains jouissaient en tous lieux du même pouvoir de raisonner et que ce pouvoir menait de son propre chef à une morale commune et à un répertoire commun de passions. Mes uvres dart de lEurope des Lumières prirent comme objet dautres cultures, dautres pays et dautres cieux, afin de dessiner expressément lhumanité partagée des différents pays du monde. Des exemples tels Les Lettres persanes de Montesquieu, Nathan le Sage de Lessing, LEnlèvement au Sérail de Mozart, les poèmes dOssian de MacPherson, le Divan occidental-oriental de Goethe, et un millier de créations de moindre importance nous rappellent limmense curiosité qui naquit dans les sociétés européennes et américaines pour la variété de lexpérience et de la communauté humaines. Et cest grâce au travail des anthropologues occidentaux du XIXe siècle que nous en savons tant sur le comportement des êtres humains, avant quils soient affectés par la technologie, la science et la connaissance modernes. En conséquence, sur le long terme, les sociétés occidentales se sont ouvertes à limmigration, transmettant un idéal de citoyenneté qui, espère-t-on, doit permettre aux personnes dorigine et de milieux disparates de vivre ensemble, en reconnaissant que la véritable source de leurs obligations réside non dans ce qui les divise lethnicité et la religion en particulier mais ce qui les unit le territoire, le bon gouvernement, les routines quotidiennes du bon voisinage , les institutions de la société civile et le mécanisme du droit. Parfois cela fonctionne, parfois non. Et cest ce à quoi il faut sattendre. Pour que cela fonctionne, des efforts de part et dautre sont nécessaires pour intégrer les nouveaux arrivants dans le mode de vie environnant, de sorte que la culture commune de la citoyenneté sadapte pour les y inclure. (136) Telle est la vérité du multiculturalisme. Grâce aux Lumières et à tout ce quelles représentent pour la civilisation européenne, des communautés peuvent être absorbées et intégrées dans notre mode de vie, même lorsquelles vénèrent des dieux inconnus. Mais cette vertu, propre à notre civilisation, si évidente aux États-Unis, a été précisément utilisée pour répudier lexigence de cette civilisation à notre égard et pour soutenir lidée, au nom du multiculturalisme, que, nous devons marginaliser nos coutumes et nos croyances héritées, voire nous en défaire, afin de devenir une société « inclusive » où tous les nouveaux arrivants puissent de sentir chez eux, au mépris de tout effort dadaptation à leur nouvel environnement Nous y avons été poussés au nom du politiquement correct, qui est allé de pair avec le libéralisme de la répudiation que Roger SRUTON, a décrit au fichier concernant le « Libéralisme ». Le politiquement correct nous exhorte à être aussi « inclusifs » que nous le pouvons, et à ne pas discriminer, ni en pensée, ni en paroles, ni en actes les minorités ethniques, sexuelles, religieuses ou comportementales. Afin que nous soyons inclusifs, on nous encourage à dénigrer ce que nous ressentons particulièrement nôtre.
LA VÉRITÉ DE LENVIRONNEMENTALISME (150) Les conservateurs reprennent à leur compte la conception de BURKE de la société celle dun partenariat entre les hommes vivants, morts et à naître ; ils croient dans lassociation civile entre voisins plutôt quà lintervention de lÉtat : et ils reconnaissent que la chose la plus importante que les vivants puissent faire est de sinstaller quelque part, dy fonder un foyer et de le transmettre à leurs enfants. Oikophilia, lamour du foyer, se prête volontiers à la cause environnementale, et il est stupéfiant que les différents partis conservateurs de la sphère anglophone ne laient pas encore fait leur. Roger SCRUTON voit deux raisons à cela :
(151) La vérité de lenvironnementalisme est essentielle à lidée dordre politique et a été reconnue par le droit commun anglais tout au long de son histoire. Dans une grande quantité de cas, les problèmes environnementaux naissent de notre habitude, entièrement raisonnable, de vouloir tirer des bénéfices de nos activités sans en acquitter le prix. Lenvironnement se dégrade parce que nous externalisons les coûts de nos actions ; la solution est alors de mettre au point une incitation par laquelle ces coûts seront réattribués à leur auteur [principe du pollueur-payeur]. La tendance chez les environnementalistes, est à désigner les grands auteurs du marché comme les principaux coupables : à mettre le crime contre lenvironnement sur le dos de ceux comme les groupes pétroliers, lindustrie agroalimentaire et les supermarchés qui senrichissent en transférant leurs coûts aux autres (y compris à ceux qui ne sont pas encore nés). Mais cest là prendre leffet pour la cause. Dans une économie libre, cette sorte denrichissement émerge sous leffet dune main invisible, à partir des choix de tous. Cest la demande de voitures, de pétrole, de nourriture bon marché et de luxe superflu qui explique, en réalité, lexistence des entreprises qui les produisent. Bien sûr, il est vrai que les acteurs majeurs externalisent leurs coûts dès quils le peuvent. Mais nous aussi. Dès que nous prenons lavion, allons au supermarché ou consommons de lénergie fossile, nous transférons nos coûts à dautres et aux générations futures. Le moteur dune économie libre est la demande individuelle. Dans une économie libre, les individus, autant que les grandes entreprises, sefforcent de transférer les coûts de leurs actes. (152) La solution nest pas celle des socialistes abolir léconomie libre La solution aujourdhui consiste simplement à conférer un énorme pouvoir économique à des bureaucrates qui ne rendent aucun compte à autrui, et qui saffairent tout autant à transférer leurs coûts, tout en jouissant de la sécurité dune rente sur la richesse nationale. La véritable solution serait dajuster notre demande, afin den assumer nous-mêmes le coût, et de trouver le moyen de faire pression sur les entreprises pour quelles fassent de même. Et nous ne pouvons nous corriger en ce sens que si nous avons des raisons de le faire des raisons suffisamment fortes pour restreindre nos appétits. La rationalité de lintérêt personnel a ici un rôle important à jouer. Mais elle est sujette aux paradoxes bien connus de la théorie du choix social, qui émergent lorsque des agents mus par lintérêt personnel se retrouvent à rechercher au même moment des ressources qui sont affectées par leurs décisions. Aux problèmes bien connus du passager clandestin et du dilemme du prisonnier, les environnementalistes ont ajouté « la tragédie des communs » la compétition humaine pour une ressource limitée et, en conséquence, lépuisement de celle-ci. Les théoriciens du contrat social, de HOBBES à RAWLS, ont tenté de dépasser les problèmes du choix social, mais ont toujours buté, sous une forme ou sous une autre, sur la difficulté de départ : pourquoi est-il plus raisonnable de respecter un contrat que de faire semblant de le faire ? De plus en plus, la réponse à ces problèmes a été bureaucratique : établir un système de régulations qui crée des incitations à conserver, plutôt quépuiser, les ressources dont nous dépendons collectivement. Mais, comme SCRUTON tente de le montrer dans Green Philosophy, cette réponse, bien que souvent nécessaire en premier lieu, crée elle-même des incitations négatives propres, tout en retirant le problème des mains de ceux qui sont les mieux adaptés pour le résoudre. (153) Nous avons besoin de motivations non égoïstes qui puissent être déclenchées chez nimporte quel citoyen et qui soient suffisamment fiables pour servir le but écologique sur le long terme Il nous faut reconnaître que la protection de l'environnement sera une cause perdue, à défaut de trouver les incitations susceptibles de nous pousser à la promouvoir nous tous, et non simplement nos représentants auto-proclamés et non élus. Cest là où les environnementalistes et les conservateurs peuvent et devraient faire cause commune. Cette cause est le territoire lobjet dune affection qui a trouvé son expression politique la plus forte dans lÉtat-nation. Nombreux sont les environnementalistes qui reconnaissent que les loyautés et les préoccupations locales doivent se voir accorder une véritable place dans la prise de décision, si nous voulons contrer les effets néfastes de léconomie mondiale. Doù le slogan souvent répété : « Penser mondial, agir local. » Cependant, ils tendent à rejeter la suggestion que la loyauté locale doive être considérée dans des termes nationaux, plutôt que comme lexpression à petite échelle dun universalisme humain. Pourtant, mettre laccent sur la dimension nationale se justifie pleinement. Car les nations sont des communautés dotées dune forme politique. Elles sont prédisposées à affirmer leur souveraineté, en traduisant le sentiment partagé dappartenance en décisions collectives et en lois librement choisies. Le sens de la nation est une forme dattachement territorial, mais aussi un arrangement prélégislatif. De plus, les nations sont les agents collectifs dans la sphère de la prise de décision mondiale. (154) Cest en développant cette idée, celle dun sentiment territorial porteur des graines de la souveraineté, que les conservateurs contribuent de façon distinctive à la pensée écologique Si le conservatisme devait adopter un slogan, ce serait : « Sentir local, penser national. » Dans la présente crise environnementale, il ny a pas dautre agent capable de prendre les mesures nécessaires, ni dautre point de convergence de la loyauté susceptible dobtenir le consentement à celles-ci, que lÉtat-nation. Par conséquent, plutôt que de tenter de rectifier les problèmes environnementaux et sociaux au niveau mondial, les conservateurs cherchent à réaffirmer la souveraineté locale sur des territoires familiers et déjà maîtrisés. Cela implique de prôner le droit des nations à disposer delles-mêmes et à adopter des politiques qui soient en harmonie avec les loyautés et les coutumes locales. Cela implique aussi de sopposer à la tendance dominante des gouvernements modernes à la centralisation, et de redonner activement aux communautés locales certains pouvoirs confisqués par les bureaucraties centralisées y compris par les institutions supranationales telles que lOMC, les Nations unies et lUE. En effet, cest seulement au niveau local quil est réaliste despérer une amélioration. Car il ny a aucune preuve que les institutions politiques transnationales aient fait quoi que ce soit pour limiter les dégâts en la matière au contraire, en encourageant la communication mondiale et en érodant la souveraineté nationale et les barrières législatives, elles ont alimenté lentropie mondiale et affaibli les seules véritables sources de résistance contre celle-ci. SCRUTON dit connaître beaucoup denvironnementalistes qui reconnaissent comme lui que lOMC et la Banque mondiale sont des menaces potentielles pour lenvironnement, non seulement en détruisant des économies paysannes autosuffisantes et durables, mais aussi en érodant la souveraineté nationale dans tous les cas où elle constitue un obstacle au développement du libre marché[10]. Nombreux aussi sont ceux qui semblent reconnaître comme lui que les communautés traditionnelles méritent dêtre protégées contre le changement soudain et conçu en dehors delles, non simplement pour le bien de leurs économies, durables, mais aussi en raison des valeurs et des loyautés qui constituent la somme de leur capital social. (155) Mais nous aussi méritons dêtre protégés de lentropie mondiale De même que, nous aussi, devons retenir ce que nous pouvons des loyautés qui nous attachent à notre territoire, pour pouvoir faire de ce territoire notre « chez-nous ». Lorsque des tentatives pour inverser la marée de la destruction écologique ont porté leurs fruits, elles ont découlé de projets nationaux ou locaux visant à protéger des lieux reconnus comme « nôtres » définis, en dautres termes, par un droit hérité. SCRUTON pense aux bénévoles et militants qui ont entrepris de protéger la nature en Grande-Bretagne au XIXe siècle ; au National Trust anglais, association civile aux quatre millions de membres, qui se consacre à conserver notre campagne et ses formes de vie ; à linitiative des amoureux de la nature aux États-Unis, et à son action sur le Congrès pour créer des parcs nationaux ; à laction de lIslande pour protéger la zone de reproduction du cabillaud en Atlantique ; à la législation qui a libéré lIrlande des sacs en plastique ; aux initiatives dénergie propre en Suède et en Norvège ; aux lois suisses durbanisme qui ont permis aux communautés locales de garder le contrôle de leur environnement et de lentretenir ensemble comme une possession commune ; aux « Ceintures vertes » britanniques qui ont mis un terme à létalement urbain ; aux initiatives des pêcheurs de homards dans le Maine et de cabillaud en Norvège pour établir des zones de pêche indépendantes dirigées par la population locale. Ce sont des réussites à petite échelle, mais elles sont réelles et pourraient, si elles étaient reproduites plus largement, changer la face de la planète pour le mieux[11]. De plus, elles rencontrent le succès parce quelles font appel à une motivation naturelle lattachement à un lieu partagé, et aux ressources quil fournit à ceux qui y vivent. (156) Cest, il semble à SCRUTON, le but vers lequel un environnementalisme sérieux et un conservatisme sérieux Lesquels tendent tous deux à savoir le chez-soi, le lieu où nous sommes et que nous partageons, le lieu qui nous définit, dont nous sommes dépositaires pour le léguer à nos enfants, et que nous ne voulons pas gâcher. Personne ne semble avoir identifié un motif plus utile à la cause environnementale que celui-ci. Cest un motif pour les gens ordinaires. Il fournit un fondement aussi bien à la conservation des institutions quà celle de la terre. Cest un motif qui peut nous permettre de réconcilier la demande de participation démocratique avec le respect des générations futures et le devoir de responsabilité. Cest, au dire de SCRUTON, la seule ressource sérieuse que nous ayons dans notre combat pour maintenir un ordre local face à un désordre dorigine mondiale. Les conservateurs ou ceux qui se prétendent tels ont été beaucoup critiqués, souvent à juste titre, pour leur croyance que toutes les décisions politiques étaient en définitive des décisions économiques, et que les solutions du marché étaient les seules qui vaillent. Mais, comme SCRUTON la suggéré au chapitre 2, nous devons replacer Yoikos au cur de Yoikonomia. Le respect de Yoikos est la véritable raison pour laquelle les conservateurs se dissocient des formes aujourdhui prisées dactivisme environnemental. Les environnementalistes radicaux tendent à définir leurs buts dans des termes mondiaux et internationaux, et soutiennent les ONG et les groupes de pression qui combattent les prédateurs multinationaux sur leur terrain et avec des armes qui ne font aucun usage de la souveraineté nationale. Mais, comme SCRUTER tente de le montrer en détail dans Green Phylosophy leurs arguments ne mènent nulle part, précisément parce quils nidentifient aucun motif susceptible danimer les gens ordinaires, naturellement passifs, sans la coopération desquels aucune solution nest viable. (157) LA VÉRITÉ DE LENVIRONNEMENTALISME, ainsi, est cette vérité que les êtres rationnels externalisent les coûts qui leur incombent Quils le fassent lorsquils manquent dune motivation à agir autrement. La réponse conservatrice est de trouver cette indispensable motivation. Lorsque les Britanniques ont commencé à se préoccuper de lenvironnement et de sa destruction imprudente, le principal objet de leur inquiétude était la forêt la forêt du mythe de Robin des Bois, célébrée abondamment dans la poésie et la chanson populaire du temps de SHAKESPEARE, et transformée en cause célèbre par John EVELYN dans son livre Silva, or a Discourse on Forestation, publié en 1664. Il a fallu deux cents ans de plus pour que le mouvement environnemental commence sérieusement, bien que lart, la littérature et la religion eussent déjà fait de la sauvegarde du paysage lun de leurs thèmes perpétuels. Lorsque le mouvement prit réellement son essor, ce fut en réaction à la révolution industrielle, et son guide emblématique, John RUSKIN, se considérait comme un tory, plutôt quun libéral ou un socialiste bien que de telles étiquettes soient toujours trompeuses quand il sagit de personnes authentiquement intelligentes. (158) La protection de lenvironnement a fait son entrée dans le droit anglais en 1865 avec la jurisprudence, dans une affaire de droit civil, Rylands v, Fletcher Larrêt établit un régime de responsabilité stricte, où celui qui cause le dommage doit aussi offrir une compensation aux victimes. Ce fut là le jugement dune cour selon les principes du droit commun, et non luvre du Parlement. La même chose se produisit un siècle plus tard lorsque lAnglers Association[12] utilisa les principes du droit commun pour obtenir une décision de justice contre les gros pollueurs des rivières - les gouvernements locaux et les fournisseurs dénergie appartenant à lÉtat[13]. En général, nous devrions connaître et protéger ces précieux instruments légaux qui sont les nôtres et dépendent souvent de principes déquité et de droit naturel, non dune législation imposée den haut. Mais lenvironnementalisme ne nous a-t-il pas aussi éveillés à une autre vérité, concernant limbrication de tout ce qui se produit dans notre environnement et limpossibilité de rectifier des externalités en se contentant de regarder par le petit bout de la lorgnette ? Aucun événement dans lunivers nest isolé du réseau causal qui lie tout à toute chose, et les écosystèmes de la planète ne respectent ni les limites nationales, ni les attachements historiques. En réponse à cette observation, les militants de lenvironnement tendent à rechercher lappui de traités, de comités internationaux et de régulateurs transnationaux en bref, de bureaucraties dénuées dattachement aux lieux sur lesquels elles exercent leur pouvoir, mais dotées dune légitimité dintervention internationale.
LA VÉRITÉ DE LINTERNATIONALISME (168) La vérité de linternationalisme est symptomatique de: la résolution des disputes entre les souverains par le traité plutôt que par la force. Son origine est ancienne : au cours du Moyen Âge tardif on fit des tentatives pour extraire, dans les présupposés qui sous-tendaient les traités une sorte de droit commun des nations. Le grand uvre du diplomate et juriste néerlandais (1583-1648) GROTIUS, De Jure belli ac pacis (1625) sur le droit de la guerre et de la paix était une tentative dadapter les principes du droit naturel au gouvernement des affaires entre les États souverains. GROTIUS posa les fondations du droit international tel que nous le connaissons désormais. KANT, dans son bref discours sur le Projet de paix perpétuelle, reconnut que le droit international serait toujours impuissant sil ny avait aucun moyen de lappliquer en dehors de la guerre. Il défendit de ce fait une « Ligue des nations » où les différents États-nations mettraient sur pied un accord pour soumettre leurs différends à une autorité centrale, où seraient représentés, et qui auraient le pouvoir de régler leurs différends. Cette suggestion a conduit à la fondation de léphémère Ligue des nations à la suite de la Première Guerre mondiale et à lONU après la Seconde. Et bien quon puisse critiquer lONU, que ses institutions et procédures ne soient pas, en loccurrence, une garantie contre la préemption des États voyous et de tyrans se faisant passer pour des souverains légitimes, on saccorde largement sur le fait que lexistence de cette organisation a contribué à la résolution de bien des conflits qui auraient été autrement hors de contrôle. (169) LA VÉRITÉ DE LINTERNATIONALISME est que les États souverains sont des personnes morales et devraient traiter les unes avec les autres par lintermédiaire dun système de droits, de devoirs et de responsabilités. En dautres termes, par lintermédiaire du « calcul de droits et devoirs » auquel SCRUTON se référait au chapitre 6 (Libéralisme). Elles devraient pouvoir signer de leur plein gré des accords qui aient la force légale des contrats, et ces accords devraient lier les gouvernements exactement de la même façon que des contrats conclus par une entreprise lient ses futurs dirigeants. Pour rendre ces relations possibles, les États doivent être souverains cest-à-dire capables de prendre des décisions pour eux-mêmes et aussi disposés à abandonner leurs pouvoirs à ces entités chargées de faire respecter les accords internationaux et le droit qui les gouverne. Jusque-là, ce nest que du bon sens. Mais ce nest pas là le sens de linternationalisme. À nouveau, une vérité fondamentale a été prise au piège et mise au service dune motivation cachée, et ainsi changée en mensonge. Cette transformation de lidée internationaliste a influencé non seulement lONU mais, plus concrètement, lUE et la Cour européenne des droits de lhomme, deux institutions issues des guerres européennes et de la pression dinternationalistes utopiques. (170) Lidée dintégration européenne, dans sa forme actuelle, fut conçue pendant la Première Guerre mondiale. Elle devint une réalité politique à la suite de la Seconde et porte la marque des conflits qui lui ont donné naissance. En 1950, il semblait raisonnable et même impératif de rassembler les nations européennes de façon à prévenir les guerres qui avaient par deux fois presque détruit le continent. Et parce que les conflits nourrissent le radicalisme, la nouvelle Europe a été conçue comme un programme général, qui éliminerait les sources du conflit européen et placerait la coopération, plutôt que la rivalité, au cur de lordre continental. Les architectes de ce plan, qui étaient pour la plupart des chrétiens-démocrates, avaient peu en commun si ce nest leur croyance dans la civilisation européenne et une méfiance envers lÉtat-nation. Leur éminence grise[14], Jean MONNET, était un bureaucrate transnational, inspiré par la vison d'une Europe unie où la guerre appartiendrait au passé. Son proche collaborateur, Walter HALLSTEIN, était un universitaire technocrate allemand qui voyait dans la juridiction internationale le successeur naturel des lois des États-nations. MONNET et HALLSTEIN furent rejoints par Altiero SPINELLI, un communiste romantique qui promouvait lidée dÉtats-Unis dEurope fondés en légitimité sur un Parlement européen élu démocratiquement. De tels individus nétaient pas des enthousiastes isolés, mais appartenaient à un large mouvement au sein de la classe politique daprès guerre. Ils choisirent des dirigeants populaires tels Konrad ADENAUER, Robert SCHUMAN et Alcide DE GASPERI comme les porte-parole de leurs idées, et proposèrent la Communauté européenne du charbon et de lacier (le Plan SCHUMAN) comme but initial croyant que leur grand projet acquerrait de la légitimité sil était dabord compris et accepté sous cette forme circonscrite. (171) Le but de SCRUTON nest pas de dénigrer les réussites de ces personnes soucieuses de lintérêt général Nous devrions cependant garder à lesprit que lorsque les premiers instruments de la coopération européenne ont été conçus, notre continent était divisé par le rideau de fer la moitié de lAllemagne et lensemble des pays slaves étaient sous occupation soviétique et des régimes fascistes régnaient au Portugal et en Espagne. La France était en constante ébullition, le Parti communiste bénéficiant du soutien de plus dun tiers de lélectorat ; ce qui demeurait libre en Europe dépendait de façon cruciale de lAlliance atlantique, et les traces de lOccupation et de la défaite (hormis en Grande-Bretagne et dans la péninsule ibérique) étaient partout apparentes. Seules des mesures radicales, semblait-il, pouvaient restaurer la santé politique et économique du continent, et ces mesures devaient remplacer les antagonismes anciens par un nouvel esprit damitié. Résultat, lintégration européenne fut conçue dans des termes unidimensionnels, comme un processus dyunité en constante croissance, sous une structure de pouvoir centralisée. Toute augmentation de pouvoir, au centre, devait saccompagner dune diminution corrélative du pouvoir national. Chaque sommet, chaque directive et chaque avancée du cliquet de lacquis communautaire[15] a depuis lors véhiculé cette équation. Et parce que lEurope a atteint un nouveau tournant, nous devons en considérer, désormais, les résultats. Depuis cette époque, nous avons indéniablement beaucoup gagné : la prospérité matérielle, une plus grande espérance de vie, la santé et la sécurité face à la menace extérieure. Et ces avantages ont été étendus par les institutions internationales établies après la Seconde Guerre mondiale par exemple, par les efforts de maintien de la paix de lONU, par lOtan, à laquelle nous devons leffondrement de lUnion soviétique, et par lAccord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt désormais remplacé par lOMC). Les institutions européennes ont joué un rôle similaire. En nous offrant des liens stables avec lenvironnement mondial, elles ont facilité la démocratisation de pays autrefois sujets à la dictature fasciste ou communiste ; et en liant la France et lAllemagne lune à lautre, elles ont stabilisé ces deux pays, à lintérieur comme à lextérieur. (172) En revanche, il nous faudrait aussi reconnaître que les conditions ont changé et que les instruments pour faire face aux problèmes dil y a cinquante ans ne sont plus adaptés aux problèmes daujourdhui Bien que lEmpire soviétique se soit effondré, il a laissé un héritage de méfiance politique et dillégalité voilée qui ne peut être surmonté que par le renforcement, plutôt que laffaiblissement, des attachements nationaux. La part de lEurope dans le commerce et la richesse mondiale, en rapide diminution, fait partie de ces rééquilibrages du pouvoir qui se produisent tous les quelques siècles. Limmigration de masse dAfrique, dAsie et du Moyen-Orient a donné naissance à des minorités potentiellement déloyales, ou à tout le moins antinationales, au cur de la France, de lAllemagne, des Pays-Bas, des pays scandinaves et de la Grande-Bretagne. La foi chrétienne a reculé de la vie publique, laissant un vide où le nihilisme, le matérialisme et lIslam militant se sont engouffrés sans résistance. La population européenne vieillit et diminue sauf en Grande-Bretagne, destination de choix de tant de migrants européens, désormais en proie, de ce fait, à un profond conflit. Face à ces maux, qui définissent la nouvelle crise de lEurope autant que la montée du totalitarisme définissait lancienne, mettre exclusivement laccent sur 1« intégration » est au mieux une idée sans pertinence, au pire une erreur fatale. Quelque radicale que soit notre vision de lavenir de lEurope, nous dépendrons des États-nations pour la réaliser. En remplaçant la responsabilité nationale par une bureaucratie lointaine, la machinerie de lUE nous a laissés désarmés et désemparés face à la crise actuelle. Sa captation constante de pouvoirs et de privilèges sans aucune tentative corrélative pour rendre compte de leur exercice sape toute confiance dans le processus politique. En contrant constamment la diversité profondément ancrée des nations européennes, le projet dune « union sans cesse plus étroite » sest non seulement aliéné les peuples dEurope, mais a montré son incapacité à puiser dans les véritables ressources et le potentiel créatif de ces peuples pour revitaliser lidée de civilisation européenne. (173) Il est vrai que BISMARCK a rassemblé les principautés allemandes en imposant un système de droit unifié et une bureaucratie administrée de façon centralisée Et il est tout à fait probable que le succès de BISMARCK ait inspiré Jacques DELORS et ses semblables, qui ont cherché à obtenir une unification similaire à travers lEurope. Mais lintention de BISMARCK était de créer un État-nation ; il partait de la présupposition dune langue commune, de coutumes communes et de frontières validées par lhistoire. Dans sa Kulturkampf contre lÉglise catholique, il montra clairement quil souhaitait neutraliser les sources transnationales dautorité et ne pas les reconnaître. Penser quun projet d« unité par la régulation » puisse fonctionner sans le but bismarckien de construction dune nation est sans aucun doute naïf. BISMARCK ne visait pas seulement à créer une structure politique unifiée, mais à créer un nouveau noyau de loyauté qui remplacerait les allégeances traditionnelles des peuples germanophones et leur donnerait une identité commune dans le monde industriel émergent. LUE a fait quelques tentatives en demi-teinte pour sapproprier les loyautés et les identités des nations européennes ; mais la futilité de la tâche et labsurdité de son expression nont fait que rappeler aux peuples dEurope que les lois faites à Bruxelles sont des lois faites par d'autres, situés en dehors de lallégeance qui lie la nation à elle-même. Les intégrationnistes ont tenté dapaiser le mécontentement croissant des peuples par la doctrine de la « subsidiarité ». Ce terme, incorporé dans le traité de Maastricht et garantissant ostensiblement la souveraineté locale, trouve son sens actuel dans lencyclique du pape Pie XI en 1931, qui décrit la décentralisation du pouvoir comme une composante fondamentale de la doctrine sociale de lÉglise. Selon Pie XI, la « subsidiarité » signifie que les décisions doivent toujours être prises au niveau le plus bas, tout en étant compatibles avec lautorité surplombante du Gouvernement. Le terme a été repris par Wilhelm RÔPKE, léconomiste allemand qui, exilé de lAllemagne nazie en Suisse, fut saisi détonnement et de curiosité devant une société suisse à lopposé de celle à laquelle il avait échappé[16]. (174) Il vit que la société suisse était organisée du bas vers le haut et résolvait ses problèmes au niveau local Cette résolution se faisait par lassociation libre de citoyens dans ces « petites sections » auxquelles Edmund BURKE avait fait un appel si passionné en décriant la dictature verticale de la Révolution française. La subsidiarité, telle que comprise par RÔPKE, se réfère au droit des communautés locales à prendre des décisions pour elles-mêmes, y compris celle de soumettre une question à un forum supérieur. La subsidiarité impose un frein absolu aux pouvoirs centralisés, en nautorisant leur implication que si on les requiert. Cest le seul moyen de réconcilier léconomie de marché avec les loyautés locales et lesprit public quelle pourrait sans cela éroder. Dans lUE telle quelle est aujourdhui, le terme « subsidiarité » dénote non pas les moyens par lesquels le pouvoir est transmis du bas vers le haut, mais ceux par lesquels il est alloué en bas depuis le haut. Cest lUE et ses institutions qui décident le point où débute le pouvoir subsidiaire et là où il sarrête, et en prétendant accorder du pouvoir par le mot même qui lôte, le terme « subsidiarité » drape de mystère toute idée de gouvernement décentralisé. Pour les Eurocrates, les gouvernements nationaux ne sont autonomes quau niveau « subsidiaire », les institutions européennes étant les seules à pouvoir déterminer de quel niveau il sagit. Il est peu surprenant que les Suisses, en constatant leffet de ce procédé, aient, en dépit de leur classe politique, refusé de façon persistante de rejoindre lUE. Les conservateurs défendent la subsidiarité, entendant par ce terme ce que RÔPKE entendait, tout comme PUBLIUS (Alexander HAMILTON) en défendant la constitution « fédérale » des États-Unis, à savoir un arrangement politique où « le pouvoir est accordé par la liberté, non pas la liberté par le pouvoir[17] ». Comment atteindre cet arrangement, de telle sorte quon restaure la responsabilité, la flexibilité et lavantage compétitif de lUE ? Cest une question qui ne peut être simplement résolue. Cependant, SCRUTON pense que sans une forme authentique de subsidiarité, il ne peut y avoir de réel avenir pour TUE, qui se fragmentera sous la pression de son lourd fardeau législatif, des migrations de masse et des perturbations quelles entraînent perturbations qui ont déjà conduit à un puissant mouvement de sécession en Grande-Bretagne. La crise à laquelle les institutions dEurope répondirent était le résultat dune approche centralisée et dictatoriale de la politique, comme lavaient illustré aussi le bellicisme du Parti nazi, le contrôle totalitaire du Parti communiste et lemprise fasciste sur lItalie et lEspagne. LUE a des origines bienveillantes et des intentions nobles qui ne supportent aucune comparaison avec ces projets aujourdhui disparus. Cependant, la même approche dictatoriale a été incorporée dans le processus européen, lui qui a une seule et unique direction, à savoir « plus de lois, plus de règles, plus de Gouvernement, plus de pouvoir au centre ». Les dangers qui découlent de cette concentration des pouvoirs ne sont pas dordre belliqueux, militaire ou totalitaire. Ils sont subtils et insidieux : ce sont les dangers de laliénation civile, de la perte de compétitivité économique et de la domination par une élite qui rend de moins en moins compte de ses actions.
LA VÉRITÉ CONSERVATRICE (187) Il nest pas dans la nature du CONSERVATISME de soccuper de corriger la nature humaine ou de la façonner conformément à une société idéale Le conservatisme tente de comprendre comment les sociétés fonctionnent et de leur offrir les conditions nécessaires pour y réussir. Son point de départ est dans la psyché humaine. Sa philosophie fondamentale na jamais été aussi bien saisie que par HEGEL dans Phénoménologie de lesprit, qui montre :
Le processus par lequel les êtres humains acquièrent leur liberté est aussi celui qui construit leurs attachements, et les institutions du droit, de léducation et de la politique en font partie ce ne sont pas des choses que nous choisissons librement dans une position de détachement, mais des choses à travers lesquelles nous acquérons notre liberté, et sans lesquelles nous ne pourrions pas exister comme agents pleinement conscients de soi. (188) La vérité du conservatisme réside dans cette pensée : LA LIBRE ASSOCIATION NOUS EST NECESSAIRE, NON SEULEMENT PARCE QUAUCUN HOMME NEST UNE ILE[18], MAIS PARCE QUE DES VALEURS INTRINSEQUES EMERGENT DE LA COOPERATION SOCIALE Elles ne sont pas imposées par une autorité extérieure ou instillées par la peur. Elles croissent par en bas grâce à des relations damour, de respect et de responsabilité. Inutile dattaquer ici lerreur qui consiste à penser que nous pouvons agencer une société où lépanouissement soit à portée de main, dispensée à tous par une bureaucratie bienveillante, les choses qui nous importent, et cest là un aspect crucial adviennent grâce à nos propres efforts pour les construire, et presque jamais den haut, si ce nest dans les situations durgence où le commandement vertical est indispensable. (189) De la matière première quest laffection humaine, nous construisons des associations durables, avec leurs règles, leurs charges, leurs cérémonies et leurs hiérarchies, lesquelles dotent nos activités dune valeur intrinsèque. Les écoles, les églises, les bibliothèques ; les chorales, les orchestres, les groupes de musique, les troupes de théâtre ; les clubs de cricket, les équipes de football, les tournois déchecs ; la société dhistoire, le Womens Institute, le musée, la chasse, le club de pêche à la ligne de mille manières les hommes se lient dans des cercles amicaux mais dans des associations structurées, où ils adoptent et acceptent des règles et des procédures qui régissent leur conduite et les rendent responsables de leurs actes. Ces associations sont une source, non seulement de plaisir mais aussi de fierté : elles créent des hiérarchies, des fonctions et des règles auxquelles les hommes se soumettent volontairement parce quils en voient le sens. Elles sont aussi regardées avec suspicion par ceux qui croient que la société civile devrait être dirigée par de prétendus experts. Quand le Parti communiste sest emparé de lEurope de lEst, sa première tâche fut de détruire les associations civiles quil ne contrôlait pas[19] Janos Kâdâr, ministre hongrois de lIntérieur du gouvernement Rakosi de 1948, a fermé 5000 de ces associations en une année : des fanfares, des chorales, des troupes de théâtre, des associations de scouts, des clubs de lecture, des clubs de marche, des écoles privées, des institutions ecclésiastiques, etc Sous le communisme, la charité privée était illégale, et les comptes bancaires des fondations de bienfaisance confisqués par le parti. Létendue de ce mal nest pas bien connue en Occident, et sa signification nen est pas souvent analysée. Une fois lassociation civile absorbée dans la grande entreprise de progrès, une fois lavenir fait monarque du présent et du passé, une fois le grand but en place, lÉtat ou le parti y menant les citoyens, alors tout se trouve réduit à létat de moyen, et les fins de lactivité humaine se retirent dans lespace privé, voire lobscurité. (190) Bien sûr, dans tous les systèmes de gouvernement, il est nécessaire de fixer les limites à lassociation Conspirations et organisations subversives surgissent spontanément, même dans les sociétés les plus inoffensives, et tous les ordres politiques ont de bonnes raisons de les supprimer. En outre des associations se créent pour des fins criminelles, immorales ou socialement destructrices, et lÉtat doit conserver le droit de les contrôler ou les empêcher. Mais ce ne sont pas, en règle générale, ces associations qui sont aujourdhui source de controverse dans nos sociétés. Si les gens sont libres de sassocier, alors ils peuvent former des institutions durables, en dehors du contrôle de lÉtat. Ces institutions peuvent conférer des avantages à leurs membres sous forme de connaissance, de compétences et de réseaux de confiance et de générosité. Elles contribueront à la stratification de la société, en offrant ces avantages de manière sélective. (191) Car cest une loi de lassociation que linclusion est aussi lexclusion Or lexclusion peut être douloureuse. En effet, dans aucun domaine la tension entre la liberté et légalité ne se révèle plus durement que dans celui-ci. La libre association conduit naturellement à la discrimination et lappel à la non-discrimination conduit à un contrôle vertical. Comment choisir un juste milieu acceptable et à qui conférer le droit de nous imposer des limites ? Pour les libertariens, personne nest légitime à exercer cette sorte de contrôle, toujours en définitive en de mauvaises mains les mains de ceux qui désirent nous diriger tel un troupeau dans la direction que nous désirons le moins. Il y a là une certaine vérité mais ce nest pas là toute la vérité Car nous savons que nos libertés sont diminuées si nos concitoyens sont exclus de leur exercice. Le privilège de ladhésion à un groupe ne devrait pas être refusé pour des motifs tel que lethnie ou la classe qui nont absolument rien à voir avec lexercice de ce privilège. Pour cette raison, la plupart dentre nous acceptent aujourdhui que là où la discrimination apporte avec elle une punition inacceptable, par exemple dans les contrats de travail ou lentrée à lécole ou luniversité, cest le véritable rôle de la société civile que dinterdire ses propres penchants à la division. Demeure la question de savoir dans quelle mesure les associations doivent être soumises à ce genre de contrôle Le mouvement des droits civiques américain a mis un terme à la ségrégation raciale aux États-Unis à la grande satisfaction des honnêtes gens. Mais les mêmes personnes seraient moins rigoureuses dapprendre que lÉglise catholique en Europe ne peut plus diriger dagences dadoption pour des enfants placés sous sa garde, car lattitude de lÉglise à légard des couple homosexuels viole les clauses de non-discrimination de la législation européenne. Elles pourraient sinquiéter que des clauses similaires commencent à produire leur effet sur les activités des scouts et des organisations de jeunesse confessionnelles en Europe et en Amérique ? Devrions-nous accepter cela comme le prix de légalité réelle ? Ou devrions-nous plutôt tenir à la liberté de nous associer comme nous le souhaitons, et comme notre conscience lexige ? (192) Ce problème dexclusion trouve son illustration dans lhistoire des clubs réservés aux hommes en Amérique Les hommes éprouvent le besoin dune certaine « camaraderie masculine » Cette camaraderie qui leur permet de faire des affaires, de rivaliser entre eux pacifiquement et de former des réseaux dentreprise et de prise de risque qui donnent un sens à leur vie tout en désamorçant leur agressivité. Ils forment donc des clubs, où ils se rencontrent autour dun verre et dun repas, et partagent nimporte quel ragot croustillant ou tapageur susceptible dapaiser leur rivalité. Quel mal y a-t-il à cela ? Un grand mal disent les féministes ? Car le club devient une arène de privilège, un endroit où lon fait des affaires et des carrières. Et ces affaires et ces carrières ne sont proposées quà leurs membres, donc seulement aux hommes. Ainsi le club est un instrument de discrimination injuste et de nature sexiste. Cest seulement si les femmes y étaient admises que son existence pourrait être conciliée avec les exigences de la justice sociale. Suite à ces arguments, les clubs masculins ont été interdits en Amérique un assaut plutôt radical contre la libre association au nom dun principe égalitaire. Exemple tout aussi révélateur, celui de lécole privée et en particulier, lécole privée (appelée « publique ») en Grande-Bretagne [Indépendamment de lhistoire complexe de cette institution, il est très largement reconnu que les écoles privées, précisément du fait de leur autonomie, ont su accumuler des ressources de lexpertise et des traditions Lesquelles leur confèrent non seulement des connaissances mais aussi du style, du charme et de linfluence aux enfants qui les fréquentent ; ces écoles offrent ces biens de façon sélective à ceux qui en ont les moyens financiers ou sont assez talentueux pour obtenir une bourse. Par conséquent elles entretiennent les divisions de classe de la société britannique. (193) Plusieurs fois dans le passé, les égalitaristes ont cherché à faire interdire les écoles privées de telle sorte que léduction soit entièrement assurée par lÉtat Mais les plus sages dentre eux ont reconnu que cela ne changerait pas grand-chose. Si lon oblige tous les enfants à fréquenter les écoles publiques, les parents contrebalanceront cette obligation par des cours particuliers, des séances de lecture à la maison et tous les avantages que les parents transmettent naturellement et jalousement à leurs enfants par amour. La solution de PLATON était de considérer comme des biens de lÉtat à élever dans des fermes collectives sous la direction de gardiens impartiaux. Mais la résilience de laffection parentale vainc toutes les tentatives de léteindre et les classes moyennes réussissent toujours à transmettre leurs avantages comme elles lont toujours fait sous le communisme grâce aux petites sections que Roger SCRUTON a décrites au fichier du « Socialisme ». Que répondent les conservateurs à cette situation ? Une réponse est de faire valoir, avec quelque vraisemblance, que la discrimination nest inacceptable que si elle est injuste dune façon ou dune autre. Et supposer quune institution est injuste simplement parce quelle confère des avantages à ses membres quelle ne confère pas à dautres revient dans les faits à écarter toute libre association et à défendre un État totalitaire. Nul besoin de nous préoccuper ici des arguments complexes qui ont été développés sur ce point certains découlant de RAWLS, en identifiant la justice à léquité, dautres de NOZIK et finalement de KANT, en estimant que la justice réside dans le respect des transactions libres. Car que lexistence des écoles privées soit ou non injuste dans les faits, de nombreuses personnes le croient. Lenseignement privé est donc la source du ressentiment, et le ressentiment doit être pris au sérieux, même si linjustice réside davantage dans le ressentiment que dans sa cause. [1] Ce livre résulte de la traduction en français de « How to be a conservative » (2014) , traduction due à Laetitia Strauch Bonart (2016) . [2] L.ROBBINS, An Essay in the Nature and Signifiance of Rconomic Science (Londres,Macmillzn, 1932). [3] La calculation debate, qui a cours depuis le XXe siècle, concerne la façon dont une économie socialiste peut réaliser des valorisations économiques. En particulier, il interroge la pertinence de léconomie planifiée pour allouer les biens de production à la place des marchés. [4] Hayek a forgé le terme « catallaxie » pour désigner « lordre engendré par lajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché ». Une catallaxie est ainsi « lespèce particulière dordre spontané produit par le marché à travers les actes de ceux qui se conforment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats » (Individualism and Economic Order). [5] La « rationalité évolutionniste » chez Hayek est la rationalité qui se construit sur le temps long, en réaction aux circonstances , et par un processus dessais et derreurs , sur le modèle de lévolution darwinienne. [6] The Federalist est une collection de 85 articles et essais écrits par A. Hamilton, J. Madison et J. Jay, et publiés en 1787 et 1788 pour promouvoir la ratification de la Constitution des Etats-Unis. [7] Voir J. Madison, The Federalist, n° 10 inG.W. Careyet J.McClelan (éd), The Federalist Dubuque,IA: Kendall Hunt , 1990),p.46-49. [8] A. De Tocqueville, De la démocratie en Amérique ; Stuart Mill, Of Representative Governement. [9] Instrument dagitation et de propagande. [10] Les critiques de gauche formulées à rencontre de ces institutions sont rassemblées sur les sites internet du Global Justice Center et du Global Justice Ecology Center. Voir aussi le scepticisme éclairé exprimé par Joseph Stiglitz, Globalization and Its Discontents (New York et Londres : W. W. Norton, 2002) et Making Globalization Work (New York et Londres : W. W. Norton, 2006). [11] Certaines de ces solutions consensuelles ont fait lobjet dune étude importante par Elinor Ostrom. SCRUTON étudie ses arguments au chapitre 5 de Green Philosophy. Certains ont aussi été détaillés au chapitre 5 de W. A. Shutkin, The Land that Could Be: Environmentalism and Democracy in the Twenty-First Century (Cambridge, MA : MIT Press, 2001). [12] Lassociation des pêcheurs à la ligne. NdT. [13] SCRUTER aborde ces cas et le raisonnement qui les sous-tend dans Green Philosophy, op. cit., chapitre 5. [14] En français dans le texte. NdT. [15] En français dans le texte. NdT. [16] W. Rôpke, A Humane Economy: The Social Framework of the Free Market (Londres : O. Wolff, 1960). [17] « Publius » était le pseudonyme adopté par Alexander Hamilton, James Madison et John Jay dans The Federalist, publié en deux volumes en 1788. La citation est de Hamilton, dans Letter 39. [18] Lexpression est un extrait devenu célèbre de « Meditation XVII » du poète anglais John Donne (1572-1631), NdT. [19] Voir A. Appelbaum , Iron Curtain, (New-York : Doubleday ; et Londres : Allen Lane, 2012. Louvrage a été traduit en français : Rideau de fer, Grasset, 2014, NdT.
Date de création : 11/11/2016 @ 11:55 Réactions à cet article
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