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Phénoménologie - Conclusions de Husserl sur ses "méditations cartésiennes"
CONCLUSIONS DE HUSSERL SUR SES « MÉDITATIONS CARTÉSIENNES[1] »
« Nos méditations, nous pouvons bien le dire, ont pour lessentiel atteint leur but : montrer la possibilité concrète de lidée cartésienne dune philosophie comme science universelle fondée de manière absolue. Prouver cette possibilité concrète, la mener à terme pratiquement même si cest, bien entendu, sous une forme programmatique dont la perspective est infinie , cest prouver quil existe un commencement nécessaire et indubitable, ainsi quune méthode également nécessaire, quil faut toujours remettre en uvre et qui dessine du même coup une systématique des problèmes dotés de sens. Et de fait, cest à cela que nous sommes déjà parvenus. Il reste à examiner la ramification, qui nest pas difficile à comprendre, de la phénoménologie transcendantale, telle quelle se développe à titre de philosophie qui commence, dans des sciences particulières objectives, ainsi que sa relation aux sciences de la positivité naïve que la phénoménologie rencontre à titre dexemples. Tournons-nous maintenant vers ces dernières. 1/ La vie pratique quotidienne est naïve, elle consiste à entrer dans le monde donné pour y faire des expériences, y penser, y évaluer, y agir Saccomplissent alors toutes les fonctions intentionnelles de lexpérience à travers lesquelles les choses sont purement et simplement là, mais de manière anonyme : celui qui fait lexpérience nen sait rien, ni rien de la pensée qui opère ; les nombres, les ensembles prédicatifs, les valeurs, les buts, les uvres surgissent grâce à des fonctions cachées, et sédifient élément après élément ; seuls ceux-là sont sous notre regard. Il nen va pas autrement dans les sciences positives. Ce sont des naïvetés dun niveau supérieur, les produits élaborés dune technique théorique fort avisée, sans que les fonctions intentionnelles dont tout cela finalement provient aient été élucidées. Certes, la science revendique de pouvoir justifier chacune de ses avancées théoriques, et elle repose partout sur la critique. Mais sa critique nest pas lultime critique de la connaissance, cest-à-dire létude et la critique des fonctions originaires, le dévoilement de tous ses horizons intentionnels grâce à quoi seulement la « portée » des évidences peut être utilement saisie, et corrélativement évalué le sens dêtre des objets, des produits théoriques, des valeurs et des buts. Cest pourquoi nous avons, et ce jusquau plus haut niveau des sciences positives modernes, des problèmes de fondation, des paradoxes, des absurdités. Les concepts originaires qui, traversant toute une discipline, déterminent le sens de ses sphères dobjets et de ses théories, ont surgi naïvement, ont un horizon intentionnel indéterminé, sont les produits de fonctions intentionnelles inconnues, exercées uniquement dans une naïveté brute. Cela ne vaut pas seulement des sciences particulières, mais aussi de la logique traditionnelle et de toutes ses normes formelles. Toute tentative qui sappuie sur les sciences déjà historiques pour parvenir à une meilleure fondation, à une meilleure compréhension de soi selon le sens et la performance de la discipline nest quun élément de lautoréflexion du savant. 2/ Mais il ny a quune seule autoréflexion radicale : celle de la phénoménologie Autoréflexion radicale et autoréflexion tout à fait universelle sont indissociables, de même quelles sont inséparables de la vraie méthode phénoménologique de lautoréflexion sous la forme
Une phénoménologie déployée avec cohérence construit donc a priori, bien quobéissant à une nécessité comme à une universalité essentielles rigoureusement intuitives, les formes des mondes concevables, et celles-ci dans le cadre de toutes les formes pensables dêtre en général et de leur système de niveaux ; mais cette construction est originaire, cest-à-dire en corrélation avec la priori constitutif, celui des opérations intentionnelles qui les constituent. Comme la phénoménologie ne rencontre dans sa démarche ni effectivité ni aucun concept deffectivité déjà donnés mais puise demblée ses concepts dans loriginarité de lopération (elle-même saisie par des concepts originaires), et que grâce à la nécessité de découvrir tous les horizons, elle domine aussi toutes les différences de portée, toutes les relativités abstraites, elle doit donc parvenir, en partant delle-même, aux systèmes conceptuels qui déterminent le sens fondamental de tous les domaines scientifiques. Ce sont les concepts qui dessinent toutes les démarcations formelles de lidée formelle dun univers dêtre possible en général, donc selon un monde possible en général et, par conséquent, ce sont nécessairement les vrais concepts fondamentaux de toutes les sciences. Pour de tels concepts, structurés de manière originaire, il ne saurait y avoir de paradoxes. Il en va de même pour tous les concepts fondamentaux qui ressortissent à la construction et à la forme de la construction dans son ensemble des sciences qui touchent (ou qui doivent toucher) les diverses régions de lêtre. Ainsi les recherches que nous avons plus haut esquissées de manière indicative, et qui ont pour objectif la constitution transcendantale dun monde, ne sont rien dautre que le commencement dun éclaircissement radical du sens et de lorigine (ou du sens à partir de lorigine) des concepts de monde, nature, espace, temps, être animal, être humain, âme, corps, communauté sociale, culture, etc. Il est certain que mener effectivement à bien les recherches en question devrait nécessairement conduire à tous les concepts qui, sans avoir été examinés, jouent le rôle de concepts fondamentaux des sciences positives, mais acquièrent au sein de la phénoménologie une clarté et une netteté totales qui ny laissent subsister le moindre doute. 3/ Nous pouvons maintenant affirmer aussi que cest de la phénoménologie a priori et transcendantale que proviennent, dans leur ultime fondation, en vertu de la recherche de corrélation, toutes les sciences a priori en général Les considérant ainsi du point de vue de cette origine, elles appartiennent à une phénoménologie a priori et universelle, et elles en sont les ramifications systématiques. Il faut donc aussi définir ce système de la priori universel comme le déploiement systématique dun a priori universel inné à lessence de la subjectivité transcendantale, donc aussi à celle de lintersubjectivité, ou comme le déploiement du logos universel de tout être concevable. Ce qui signifie à son tour que la phénoménologie transcendantale complètement et systématiquement développée serait ipso facto la véritable et authentique ontologie universelle, non pas une ontologie simplement vide et formelle, mais une ontologie qui engloberait demblée toutes les possibilités régionales dêtre, selon aussi toutes les corrélations qui en font partie. Cette ontologie universelle concrète (ou encore cette doctrine universelle et concrète de la science, cette logique concrète de lêtre) serait aussi en soi le premier univers de science qui serait fondé de manière absolue. Dans lordre, il y aurait,
Cette science totale de la priori serait alors le fondement de vraies sciences empiriques et dune véritable philosophie universelle au sens de Descartes, la science universelle de ce qui existe en fait, fondée de manière absolue. Toute rationalité de ce qui est factuel réside, en effet, dans la priori. Une science a priori est une science du principiel, auquel doivent recourir les sciences empiriques justement pour être en fin de compte fondées sur des principes à ceci près que la science a priori ne doit pas être naïve, mais doit avoir pour origine dultimes sources transcendantales et phénoménologiques, et ainsi être structurée en un a priori total qui repose sur lui-même et qui se légitime lui-même. Pour conclure, je voudrais, afin de ne laisser place à aucun malentendu, indiquer que la phénoménologie, comme nous lavons déjà dit, nexclut que la métaphysique naïve occupée à dabsurdes choses en soi, mais non pas la métaphysique en général, quelle ne fait pas violence aux thèmes de réflexion, ressorts internes de la vieille tradition persistant dans sa méthode erronée et sa manière fausse de poser les problèmes, et quenfin elle ne prétend aucunement refuser daborder les questions « ultimes et dernières ». Lêtre en soi premier, préalable à toute objectivité mondaine et qui la sous-tend cest lintersubjectivité transcendantale, le tout des monades qui, sous diverses formes, se communautarise. Mais à lintérieur de la sphère monadique factuelle, et dans toute sphère pensable, en tant que possibilité idéale dune essence, interviennent tous les problèmes de la facticité contingente, de la mort, du destin, de la possibilité, quon veut « douée de sens » en un sens tout particulier, dune vie humaine « authentique », et, parmi ces problèmes, la question du « sens » de l'histoire, et ainsi de suite. Nous pouvons dire également que ce sont les problèmes éthico-religieux, mais posés sur la base où doit aussi être établi tout ce qui pour nous doit être en mesure davoir un sens possible. Ainsi devient effective lidée dune philosophie universelle tout autrement que ne se le figuraient Descartes et son temps, guidés quils étaient par la nouvelle science de la nature , non comme le système universel dune théorie déductive, comme si tout étant se situait dans lunité dun calcul, mais et le sens fondamental de la science en général sen trouve ainsi radicalement modifié comme un système de disciplines phénoménologiques corrélatives dans leur thématique, fondées sur la base plus profonde non de laxiome ego cogito, mais dune autoréflexion universelle. Autrement dit, le chemin nécessaire qui conduit à une connaissance fondée de manière ultime au sens le plus élevé du terme, ou, ce qui revient au même, une connaissance philosophique, cest le chemin propre à une connaissance de soi universelle, dabord monadique, puis intermonadique. Nous pouvons dire aussi : une continuation radicale et universelle des Méditations de Descartes ou, ce qui revient au même, dune connaissance de soi universelle, cest la philosophie même, et elle embrasse toute science véritable et responsable. Loracle de Delphes « Connais-toi toi-même » (Nosce te ipsum) acquiert alors une signification nouvelle. La science positive devient science en perdant le monde. Il faut donc commencer par perdre le monde avec lènoxh[2] pour le reconquérir dans lautoréflexion universelle. Ne vas pas au-dehors. Ne te disperse pas à l'extérieur, dit Augustin, Rentre en toi-même. » (« Noli foras ire, in te redi, in interiore homine habitat veritas ».)
[1] HUSSERL in « Méditations cartésiennes », puf, décembre 1994, p. 204 à 208. [2] C'est par la foi qu'Enoch fut enlevé pour qu'il ne vît point la mort, et qu'il ne parut plus parce que Dieu l'avait enlevé; car, avant son enlèvement, il avait reçu le témoignage qu'il était agréable à Dieu.
Date de création : 03/11/2015 @ 19:12 Réactions à cet article
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