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Histoire - La cité humaine
LA CITÉ HUMAINE[1]
(388) Au stade de lhypercapitalisme qui est essentiellement financier, le travail humain en général, et les États qui le protègent encore, ne sont que des coûts dinosauriens qui encombrent le marché. Quon nous en débarrasse donc ! Et la réalité pourra, enfin, respecter la Théorie des cycles réels, sur une planète nettoyée de tout écoumène[2] Tel est le but exaltant vers quoi nous conduisent les fétiches de notre ontologie ; du moins, tant que la démocratie naura pas remis le marché sur la place du marché, à léchelle de la cité humaine et de la biosphère [là où règne le « vivant »].
Ces fétiches quels sont ils ? Notamment deux dentre eux, lobjet architectural et lobjet marchand, unis dans une même abstraction de leur topos respectif hors de la chôra[3] qui les replacerait dans la cité humaine et dans la biosphère. Or cest de ce fait que nous les fétéchisons, par un processus ontologique dont le Timée peut nous donner la clef. En effet, ce qui na pas besoin de chôra pour être, cest len-soi de lêtre absolu, le Modèle intelligible de la réalité sensible, soumise au devenir, qui nen est que limitation parfaite. De ce modèle abstrait du monde sensible, qui pour Platon est dordre divin, le dualisme moderne a fait lObjet. Non moins « abstrait » du sentiment, comme disait Descartes, non moins transcendant et non moins garant dun savoir infaillible. À quoi Platon oppose la croyance mondaine engluée dans sa chôra. Ce que le Timée pose ici, lhistoire des idées y a vu la première définition de la science en tant quelle se distingue de la connaissance vulgaire. Il est révélateur que le texte platonicien la dise suggenès ( de sun et genos), « parente » de son objet. Pour ce qui nous concerne cela veut dire que le discours scientifique est empreint de la divinité de lAbsolu, car il est de même race (genos) que lêtre de son objet. Non moins clairement, le Timée nous suggère par ailleurs que cette divinisation seffectue à raison même de labstraction qui extirpe lObjet de sa chôra. Le déchorétise. Autrement dit, substitue à la réalité (lgS/lgP) une pure topicité (lgS). Mai cest mélanger tout ! Descartes na jamais assimilé la chose étendue à Dieu ! Au contraire, il la définitivement privée dâme ! Et la modernité, cest justement ce qui a permis de ne plus confondre ce quon dit de la chose avec la chose elle-même ! De renvoyer tous les dogmatismes à lhistoricité de leurs paradigmes ! (391) Japprouve, mais çà ne change rien au tour de magie qui dun coup de baguette fait de la chose relative un objet absolu. Qui la dépouille de sa chorésie (lgP), comme si le fait même dinstituer la chose en objet nétait pas une chorésie ! Cest çà la divinisation : apotheôsis, laction délever au rang des dieux. Byzance en avait même fait une mécanique pour impressionner les Slaves, tout ébaubis de voir le trône du Vassilevs emporté dans les airs. Le principe est simple : il suffit de cacher la machinerie. Ou de se la cacher. Le point de vue de la médiance[4] tient effectivement pour apothéose, autrement dit pour une fétichisation dissimulant un processus mondain (une chorésie), toute opération tendant à substituer lObjet à la chose, laquelle est en fait comme telle humanisée par la médiance de toute réalité dans lécoumène. Ce nest là aucunement récuser la science de ce qui, dorigine, ne relève pas du monde sensible. Cela ne vise donc pas le principe des sciences de la nature, lesquelles depuis la lunette de Galilée, sondent lau-delà du sensible ; mais en revanche cest nier la pertinence dun tel savoir aux affaires humaines, par exemple léconomie ou larchitecture lesquelles reposent ontologiquement sur la prédication de len-soi en chose (lgS/lgP), au sein de lexistence qui en outre suppose la prédication du sujet humain par lui-même (lgP/lgS). (Se) dissimuler cette double prédication, là se terre le fétichisme. Celui-ci fait passer pour un en-soi (une topicité, lgS) ce qui nest quun topique : un sujet de conversation, mondain par essence (lgP). Il assimile en effet, par un acte magique, les mots à leurs référents. Comme sils étaient de même genos ! (392) Comme si la réalité de lécoumène pouvait les réduire à un langage mathématique ou autre ! Tel est le retournement moderne, qui a fait régner lempyrée sur terre dans le mouvement même où il le vidait de ses dieux. En changeant les mots, bien sûr. Il est certain que ni Descartes, ni personne aujourdhui ne dirait que les objets sont de la race des dieux, theôn genos. Toutefois, cette apparence du vocabulaire ne doit pas nous cacher la structure ontologique sous-jacente dudit retournement. La nostalgie de lËtre, ou le manque-à-être, notre médiance en est le moment structurel. Les religions humaines en donnent des métaphores diverses, mais qui toutes se ramènent fondamentalement à la même disposition. Que le rationalisme moderne ait vidé le ciel de sa divinité, cela ny change rien ; sinon que ce moment structurel, désormais, nous pousse à rechercher dans la possession de fétiches lassouvissement que lâme, autrefois, cherchait et trouvait auprès des dieux. Quant à nos fétiches, ce nest que dans la Pub (notre messe) quils nous accordent la grâce de cet assouvissement ; dans la vie quotidienne, ils attisent au contraire notre manque-à-être en raison même de leur consommation ; car lAbsolu, hélas, ne se consomme jamais. (393) OK, belle image mais quest-il conseillé de faire ? Cesser de consommer ? Qui saurait le faire ? Ce nest pas de rationner quil sagit, mais de raisonner. Pour cela il nest pas de recette : il faut juger cas par cas, cest-à-dire ne pas diviniser les modèles, en sachant quils nont dautre vérité que celle de nous aider à prédiquer, cest-à-dire à rapporter un dit (commentaire, contenu de pensée) à un élément stable qui en constitue le support et le repère. Lécoumène nest pas lempyrée du Paradigme. Cela exclut radicalement dagir ex machina, car nous ne sommes pas des dieux. Nous devons humainement tabler sur lexistence des choses et des gens, dans la contingence de lhistoire et de la géographie, parce que cest tout simplement la réalité du milieu nécessaire à notre propre existence. Pour cela il faut en respecter la médiance. Reconnaître la part de nous-mêmes et de nos semblables qui est dans les choses. Voilà qui concerne toutes les affaires de la cité, mais en premier lieu celles de sa mise en forme matérielle : larchitecture, lurbanisme, laménagement du territoire Dans tous les domaines, il faut se répéter quappliquer des modèles nest que du fétichisme ; parce que, radicalement ces domaines sont irréductibles au Paradigme : embrayant directement à la topicité de la Terre, ils ne peuvent jamais être simplement prédiqués par un modèle. Ils sont ce quils sont, dans le milieu qui est le leur. Nous devons toujours compte de cette topicité, pour que, dans la contingence dune prise, il puisse y avoir une échelle entre logique du prédicat et logique du sujet ; autrement dit quil y ait du sens à notre action, à notre prédication de la Terre en monde. Faute de quoi, nous détruisons lécoumène, où pourtant se fonde la cité humaine.
[1] Extrait de « ÉCOUMÈNE, introduction à létude des milieux humains» , Augustin BERQUE, Belin, juin 2010, p. 388-393. [2] Toute relation de l'humain à son milieu : sensible et concrète, symbolique et technique. [3] De façon intéressante, comme Platon effectue un parallèle (qui tient de la mimésis ; il ne s'agit pas d'une simple métaphore ou analogie) entre la structure cosmique et celle de la cité idéale (c'est là un rapport microcosme-macrocosme), de même que le dirigeant de la cité a dans celle-ci la même place que le Démiurge dans l'univers, la chôra (comme territoire à aménager) a dans la cité la même place que la chôra (comme matrice de réalisation des idées par le Démiurge) dans le cosmos. Ainsi, le rapport entre le sens originel du mot chôra et son sens métaphysique est fondé sur plus qu'une simple comparaison : dans un cas comme dans l'autre, la chôra est un espace de réalisation, une ouverture potentielle à l'action bonne, qui doit toutefois saccommoder des accidents concrets comme d'autant d'imperfections inévitables. [4] On entend par médiance la relation d'une société à son environnement. Or, ce sens vient justement du fait que la relation en question est dissymétrique. Elle consiste en effet dans la bipartition de notre être en deux « moitiés » qui ne sont pas équivalentes, l'une investie dans l'environnement par la technique et le symbole, l'autre constituée de notre corps animal. Ces deux moitiés non équivalentes sont néanmoins unies. Elles font partie du même être. De ce fait, cette structure ontologique fait sens par elle-même, en établissant une identité dynamique à partir de ses deux moitiés, l'une interne, l'autre externe, l'une physiologiquement individualisée (le topos qu'est notre corps animal), l'autre diffuse dans le milieu (la chôra qu'est notre corps médial). Dans cette perspective, la définition watsujienne de la médiance prend tout son sens. La médiance, c'est bien le moment structurel instauré par la bipartition, spécifique à l'être humain, entre un corps animal et un corps médial. »
Date de création : 11/10/2015 @ 18:11 Réactions à cet article
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