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Histoire - Le règne humain (Écoumène)
LE RÈGNE DE LHUMAIN (ÉCOUMÈNE)
Selon Augustin BERQUE[1], « notre être se fonde sur le couplage structurel dun corps animal et dun milieu technique et symbolique, qui engendre la réalité des milieux humains, dont lensemble forme lécoumène : le rapport onto-géographique de lhumanité avec la Terre. » Ainsi, ce géographe et orientaliste étudie les rapports de lhomme avec son environnement. Son approche philosophique et humaine du fait géographique lui a inspiré une théorie du paysage baptisée « pensée paysagère ». A linstar dAlain Roger, (La Théorie du paysage en France), il considère que le paysage est un objet culturel et subjectif, irréductible à lespace physique, qui nexiste pleinement que sous le regard du citadin qui le contemple. Loin dêtre consubstantiel à lenvironnement qui constitue le territoire dun peuple, le paysage napparaît réellement dans lhistoire dune culture quà la faveur de cinq critères réunis : une littérature pour le célébrer, une architecture pour en jouir, une peinture pour le représenter, un lexique pour le désigner et le nommer, des lieux dagrément conçus pour la délectation de la vue et une réflexion, une pensée du paysage. Pourtant, cest là que se niche le paradoxe de notre modernité, plus cette pensée se développe, moins la beauté réelle des paysages subsiste : le discours pléthorique des théoriciens de lespace est le plus sûr symptôme du massacre du paysage. En matière daménagement du territoire, nos sociétés contemporaines nengendrent que laideur, avec pour corollaire le développement de politiques patrimoniales qui sanctuarisent les lieux de façon artificielle et muséale. Lauteur nous met en garde contre ces tentations fétichistes qui transforment les lieux en objets de consommation touristique ou écologique. La vogue même du Fengshui[2], censée réconcilier lOccident avec une forme dharmonie cosmique et contrer la réduction de notre environnement à un paradigme économique, dissimule mal la nostalgie dune pensée paysagère rationnelle.
La contradiction essentielle entre le fait de penser le paysage et celui den jouir Cest en brassant des disciplines aussi diverses que létymologie, la littérature, lhistoire de lart et lethnologie, que Berque lachemine. Au terme de son périple, les responsables de la destruction paysagère sont identifiés : les philosophes classiques du paradigme occidental moderne que sont Bacon, Galilée, Descartes ou Newton, en concevant lespace comme absolu et homogène, infini et décentré, ont anéanti la possibilité du paysage, par essence singulier, hétérogène, orienté et limité par lhorizon. Pour sortir de cette impasse, une solution : substituer au dualisme cartésien, qui ne laisse le choix quentre déterminisme ou essentialisme, les trois ordres ontologiques que sont lÉCOUMÈNE (le règne de lhumain), la BIOSPHÈRE (le règne du vivant) et la PLANÈTE (le règne de la réalité physique) pour penser enfin lhomme dans son milieu et concevoir le paysage comme son mode dinscription dans lenvironnement.
I/ LE SENS
La question du sens est inséparable de celle du langage mais elle ne sy réduit pas Cest au contraire le sens qui englobe le langage, qui le précède et qui subsiste quand il ny a plus de langage[3]. Tel est le postulat qui fonde non seulement lapproche nouménale du sens mais lidée même de relation écouménale. Le déploiement de cette relation est en effet celui dun sens qui va dans un certain sens. Il comporte les fonctions symboliques de lhumanité Au premier chef desquelles le langage que nous définirons sobrement comme : [L]a capacité, spécifique à lespèce humaine, de communiquer au moyen dun système de signes vocaux(ou langue) mettant en jeu une technique corporelle complexe et supposant lexistence dune fonction symbolique et de centres corticaux génétiquement spécialisés. Ce système de signes vocaux utilisés par un groupe social (ou communauté linguistique) déterminé, constitue une langue particulière [ ][4]. Mais également nos fonctions techniques sincarnant dans notre chair Et senracinant dans un écosystème, qui pour être mouvant, nen est pas moins prégnant : nous pouvons le prolonger hors des limites de la biosphère, mais nous ne pouvons pas nous en passer. De ce point de vue, la question du sens ne peut être valablement posée que dans le cadre où elle se constitue (sa chôra) Cest-à-dire dans la relation écouménale. Il est illégitime de létudier à partir du seul langage (son topos), et à plus forte raison car dest là substituer une abstraction à la réalité dappliquer au sens des choses les techniques danalyse du sens développées à partir des signes linguistiques. Une telle approche nest pas seulement partielle ; elle est fausse dans son principe, car elle commet lerreur de prendre la carte pour le territoire. Le signe de la chose nest pas la chose Et une sémiotique ne peut donc pas expliquer les choses. Or les choses ont du sens. Poser aussi brusquement de tels principes risque dêtre réducteur à son tour. En fait, il ne sagit pas de nier, contre toute évidence, que sémiotique ou sémiologie apportent beaucoup à la connaissance des choses, pas seulement à celle des signes. Mais dinsister sur lidée que si, dans la relation écouménale, cest-à-dire dans la réalité La chose est toujours nécessairement symbolique et engage donc des systèmes de signes. Elle est non moins nécessairement toujours aussi autre chose Lequel est antérieur et sous-jacent aux signes. Cette sous-jacence et cette antériorité ne peuvent pas être subsumées par le signe, autrement dit, ce quil y a doriginaire dans le sens est irréductible au sémiotique, lequel au contraire tient de là son existence et le sens quil déploie. Cest de la même façon que lécoumène est postérieur à la biosphère, et quelle la suppose, alors que linverse nest pas vrai. De même entre la biosphère et la planète. Ainsi de la planète à la biosphère et de celle-ci à lécoumène, il y a un sens, alors que linverse nest pas vrai. Ce que lon peut maintenant voir, cest que le point de vue écouménal associe lidée de temps à celle de sens. Le sens en effet ne naît pas dune relation purement spatiale, et donc purement arbitraire entre des signes. Elle se déploie nécessairement dans lespace-temps de lécounème. Cela revient à dire que lon ne peut abstraire les systèmes symboliques naturels (comme les linguistes parlent de « langues naturelles ») de la nature des choses. Ils la déploient dans un sens ou dans un autre, mais ce sens-là nest pas institué par larbitraire du signe seul qui est abstrait. Ce sens naît dans la concrétude au sein de laquelle se rassemblent :
Placer la question du sens dans la perspective de ce croître-ensemble des signes, des choses et des gens, cest dire que le sens est question dhistoire. On ne peut pas le montrer par arrêt sur objet ; ce quil faut avant tout, cest den saisir le fil. Du même coup, cest poser, puisque lhistoire émerge de la préhistoire et celle-ci de la nature que lon ne peut abstraire le sens de son cadre naturel qui est la vie, et au-delà de celle-ci, lunivers. Le point de vue écouménal en matière de sens est de considérer que celui-ci a plusieurs assises Tant du point de vue de loriginel (ce qui est antécédent) que de loriginaire (ce qui est sous-jacent).
Dans la première il est ce en quoi tel état de choses évolue vers tel autre plutôt que linverse Par exemple cela fait sens que lérosion use les montagnes, en rapport avec la gravité, que les cèdres croissent vers le haut et que la chair pèse vers le bas ; tandis que linverse est insensé. Dans la seconde, le sens est la manière dont un organisme vivant connaît létat de choses, dans lequel il se trouve. Par exemple la faculté que nous avons, par notre oreille interne, de nous situer par rapport à la verticale, de même que les hampes des agaves (aloès) ont celle de pousser droit vers le haut. Dans la troisième, le sens est la manière dont un état de choses est connu par représentation[5] Là où il nest pas présent ; par exemple celle où les cinq mots « pousser droit vers le haut », dans le présent texte, représentent ce quil en est dagaves qui ne sy trouvent pas.
B. LA MÉDIANCE (203) Définir la médiance comme « le moment structurel de lexistence humaine »[6], cest dire en effet quil y a dans celle-ci une puissance de mouvoir Ainsi y en a-t-il- dans ce que la physique appelle par exemple « moment dun couple de forces », « moment cinétique », ou « moment magnétique ». Dans le dit moment (keiki), la puissance de mouvoir est fonction de la distance ; ainsi dans le bras de levier dun couple de forces, WATSUJI[7] nexplicite nulle part les raisons pour lesquelles il a été amené à cette définition qui évoque la mécanique, et en particulier il nexplicite pas le terme de keiki. Cependant, ces raisons transparaissent à lanalyse des figures conceptuelles quil utilise dans la suite de son introduction théorique. La principale est celle du « sortir au-dehors » qui est un empreint direct à HEIDEGGER. Il sagit chez celui-ci de « lêtre-au-dehors-de-soi », cest-à-dire, du sens étymologique littéral dexistere : se tenir (sistere) « au dehors » (ex). Cela signifie que lêtre du Dasein nest pas circonscrit par lauto-identité de son enveloppe corporelle ; il est dehors auprès des choses qui le préoccupent. Cela dautant plus intensément que ces choses le préoccupent davantage. On peut penser que cest de là que WATSUJI en est venu à lidée de moment structurel. En effet, sortir au dehors, cest justement constituer un tel moment. Cest établir un tel levier. Cela pourrait même se représenter par un vecteur, dont lintensité serait proportionnelle à la longueur.
C. LA TRAJECTION (204) Lécounème est née dun processus de trajection par lequel les fonctions du corps devenant humain se sont extériorisées dans lenvironnement Ainsi sest constitué notre corps médial. La structure qui sest de la sorte mise en place partage lêtre de lhumain pour ainsi dire en deux moitiés, dont lune est le corps animal et lautre notre corps médial. Cette division en deux moitiés, qui étend notre être du foyer de notre corps animal jusquà lhorizon de notre monde, cest le moment structurel de notre existence. Cest notre médiance. On voit ici clairement que la médiance est proprement humaine. Chez WATSUJI, lidée repose sur la notion de subjectivité (shutaisei). Cela ne suffit pas à établir fermement lidée de médiance, parce que la subjectivité, certes à des degrés variés, se retrouve chez tous les êtres vivants. La subjectivité, si elle est une condition nécessaire à la médiance, nen est donc pas la condition suffisante. Ce qui établit spécifiquement la structure ontologique de la médiance, cest lextériorisation de notre corporéité par les systèmes techniques et symboliques propres à lhumanité. Cette structure est éclairée par létymologie. « Médiance » dérive directement du latin medietas, qui signifie moitié, milieu, nature intermédiaire. Lorsque BERQUE eut à traduire fûdosei, il lui fallut recourir à ce néologisme, il songea surtout à « milieu », car cest par ce terme quil sétait résolu à traduire fûdo (par contraste avec kankyô, « environnement »). Dans cette perspective, la médiance se trouvait définie comme le sens ou lidiosyncrasie dun certain milieu, cest-à-dire de la relation dune société à son environnement. Or, ce sens, il vient justement du fait que la relation en question est dissymétrique. Elle consiste en effet dans la bipartition de notre être en deux moitiés qui ne sont pas équivalentes, lune investie dans lenvironnement par la technique et par le symbole, lautre constituée de notre corps animal. Ces deux moitiés non équivalentes sont néanmoins unies. Elles font partie du même être. De ce fait cette structure ontologique fait sens par elle-même, en établissant une identité dynamique à partir de ces deux moitiés, lune interne et lautre externe, lune physiologiquement individualisée ( le topos qui est notre corps animal), lautre diffuse dans le milieu (la chôra qui est notre corps médial). Dans cette perspective, la définition watsujienne de la médiance prend tout son sens. La médiance, cest bien le moment structurel instauré par la bipartition, spécifique à lêtre humain, entre un corps animal et un corps médial. Ici nous concerne cette dynamique elle-même, laquelle nest autre que la trajection des choses[8]. Si la réalité qui nous entoure est trajective, cest bien parce quelle est structurellement investie par notre médiance. Elle nexiste que sous ce rapport, et nous-mêmes, nexistons que dans cet investissement, qui constitue notre corps médial. Il sagit là une divergence radicale avec lontologie moderne. Dans celle-ci, lêtre du sujet humain sauto-institue dans sa propre conscience, reflet de lAbsolu. Avec lenvironnement, il na quun rapport de projection, donc foncièrement arbitraire. Il nest pas difficile de schématiser lhistoire de cette ontologie : cela commence avec Parménide par laccent mis sur lêtre ; avec Platon se met en place lidée dun être absolu qui se projette dans lêtre relatif ; avec saint Augustin, cette projection de lAbsolu (Dieu) devient exclusivement lapanage de la conscience ; enfin, avec Descartes, sabsolutise la conscience elle-même, à partir de quoi celle-ci pourra se projeter librement sur lenvironnement. Au contraire, dans la médiance, lenvironnement fait structurellement partie de lêtre Ce nest pas dire que nous sommes indistinctement et les choses qui nous entourent et notre propre corps. Le corps médial nest pas le corps animal, mais il nen est pas non plus simplement la projection ; il en est la trajection Le symbole joue là en sens inverse de la technique. Celle-ci est bien une extériorisation qui prolonge notre corporéité hors de notre corps jusquau bout du monde ; mais le symbole est au contraire une intériorisation, qui rapatrie le monde au sein de notre corps. La trajection, cest ce double processus de projection technique et dintrospection symbolique Cest le va-et-vient, la pulsation existentielle, qui, animant la médiance, fait que le monde nous importe. Il nous importe charnellement, parce quil est issu de notre chair sous forme de techniques et quil y revient sous forme de symboles. Cest en cela que nous sommes humains, en cela quexiste lécounème, et cest pour cela que le monde fait sens.
D. MÉDIANCE ET RELIGION (208) La structure ontologique de la médiance dispose notre existence en un certain sens, qui naît du rapport entre notre corps animal et notre corps médial. Ce sens varie donc selon les milieux, puisque les écosystèmes, les techniques et les symboles ne sont pas les mêmes dans toute lécoumène. Cependant, il se structure partout selon le principe des trois assises; ce qui nest autre que le rapport entre planète, biosphère et écoumène : la troisième suppose la seconde, qui suppose la première, alors que linverse nest pas vrai. De même, le sens émerge et sélabore du physico-chimique au vivant, et du vivant à lhumain. Si, comme on la vu, lapparition des systèmes symboliques marque un saut, celui dun affranchissement radical par rapport à létendue physique, tant sen faut que la symbolicité puisse de ce fait monopoliser le sens ; car sens il ne peut y avoir que dans la structure ontologique de la médiance, qui suppose la vie, laquelle suppose lunivers. Ce quapporte la symbolicité, cest la faculté dune élaboration incommensurablement plus libre du sens Mais elle ne le crée pas. Elle le tient, par le fil dAriane de lhistoire et par le corps animal de chacun dentre nous, originellement et originairement, de linsondable obscurité du commencement de lunivers. En dautres termes, il ne peut y avoir pleinement signification que dans un certain lien avec les sensations de la chair vivante, celles-ci étant elles-mêmes fondées par les lois de lunivers physique. La force des symboles réside justement dans la capacité de libérer ces liens de leur étendue physique, et ainsi de permettre à chacun de nous, par delà linfinie diversité des choses, de rapatrier le monde en son propre corps et de se sentir ainsi mystérieusement en liaison avec le Tout. De ce point de vue, la structure ontologique de la médiance apparaît directement liée aux origines du sentiment religieux Cest parce que lêtre humain, sans le monde quest son corps médial, nest quune moitié dêtre, quil est spécifiquement porté à interpréter celui-ci sous un rapport irréductible aux étants qui peuplent létendue, cest-à-dire aux choses de la nature ; en dautre termes, à y sentir quelque chose de surnaturel, et à exprimer par la voie des symboles son lien ontologique avec ce corps surnaturel des choses de la nature. Le surnaturel, dans ce rapport, apparaît ainsi comme une métaphore du corps médial Cest dire sa socialité, puisque notre corps médial est éminemment social (nous retrouvons ici linterprétation durkheimienne du religieux). Il est religion au double sens de ce terme : parce quil rassemble lêtre social que nos corps animaux séparent matériellement, et parce quil transcende la forme matérielle des choses vers la dimension dune spiritualité sainte. Par rapport à cette dimension, lhumain est structurellement en manque dêtre, puisque aucun de nous ne peut la réduire au topos de son propre corps animal. Notre inhérente médiance fait que nous ne pouvons pleinement être que par la religion quelles que soient les formes que celle-ci prend au cours de lhistoire, dans linfinie mouvance de nos systèmes symboliques. Certaines sociétés disent ce manque à-être sous la forme du totémisme, dautres sous celles du monothéisme, etc.; tandis que la modernité, quant à elle, a engendré la croyance quil pourrait être comblé par la consommation des étants eux- mêmes (croyance ontologiquement absurde). Mais pourquoi donc y a-t-il eu sanctification du corps médial, donnant par là naissance à la religion au sens actuel du terme ? Une interprétation plausible serait celle que Bernard Stevens a faite de (Quest-ce que la religion?), de Nishitani Keiji. Ce dernier voit lorigine du religieux dans notre finitude : Notre vie est finie (yûgen), mais lessence de cette vie nous monte à la conscience comme une sorte de pulsion infinie (mugen shôdo), comme quelque chose qui nous pousse infiniment depuis lintérieur de nous-mêmes. La nature finie de notre vie manifeste son essence comme une finitude infinie (mugen na yûgensei), ce que Stevens rapproche de 1« être-en-dette » (Schuldigsein) heideggérien. Dans le vocabulaire de Nishitani, imprégné par le bouddhisme, cela sexprime en termes de karma et de transmigration; mais au delà de cette façon de dire, qui relève des métaphores (la mythologie) de toute religion, il faut voir, écrit Stevens, les éléments existentiaux qui composent le noyau du mythe. Il sagit bien de la «finitude infinie » qui est celle de tout être humain. Berque, quant à lui, parlera de lincomplétude infinie que nous tenons de notre médiance De par cette structure ontologique, chacun de nous souvre en effet à linfini ; et la sainteté, qualité du religieux, ce serait cette présence de linfini dans la finitude qui est celle des formes matérielles de notre être. «Finitude» peut être entendu temporellement; cest le cas de Nishitani, de Stevens, et de l«être vers la mort» (Sein zum Tode) heideggérien. Tout en comprenant cette dimension temporelle, la médiance y ajoute la dimension spatiale. Le moment structurel de lexistence humaine, comme y a insisté Watsuji, est même fondamentalement plus spatial que temporel. Notre finitude ne tient pas seulement à ce que notre vie sachèvera un jour; elle empreint tout notre rapport au monde, parce que linfinité virtuelle de notre corps médial rend sensible à tout instant la finitude de notre corps animal. De ce fait même, inversement, la religion donne à chacun la possibilité de transcender cette finitude. Je rapprocherai en ce sens une formule du catholicisme : « le Christ est vie », et la formule que WATSUJI opposa au Sein zum Tode : «être vers la vie». Pour le philosophe japonais, en effet, la dimension sociale de lexistence humaine transcende la mortalité de chaque individu. La médiance de lhumain nest jamais plus sensible quau moment où la mort nous ramène à la terre Alors en effet la vie du corps médial est exaltée par lextinction de celle du corps animal. Par lensevelissement de celui-ci, la terre est pénétrée, fécondée par la symbolicité du corps médial. Elle devient sainte, ce que certaines langues peuvent exprimer littéralement quant aux cimetières (campo santo en italien, par exemple), mais qui est un phénomène beaucoup plus général, participant de ce que Berque a appelé le « rapatriement du monde », par le symbole, dans le corps vivant de chacun dentre nous. En effet, par le truchement de leur corps social et de linvestissement de celui-ci dans la terre, les vivants sont alors possédés par la terre, sous la forme du sacré ; cest-à-dire que leur médiance est condensée, cristallisée dans ce quon appelle un haut lieu. Des hauts lieux, il en est de toute sorte ; mais pour le principal, comme la joliment exprimé Philippe MURAY : Un «haut lieu» est un endroit quen général un événement héroïque et lointain a immortalisé Ce qui signifie, en clair, que vous avez toutes les chances de trouver du cadavre dessous. Il sagit bien, comme Berque la écrit plus haut, dune «possession», parce que le rapatriement symbolique du monde en nous-mêmes se traduit en loccurrence par un asservissement de lêtre humain à lun des lieux de son corps médial; asservissement qui peut aller jusquau sacrifice des vivants à un tel lieu, soit quils en aient violé la sacralité, soit parce que la religion exige que lon y pratique des sacrifices humains. La mise à mort du corps animal, en laffaire, nourrit plus directement la vie du corps médial. Cest en ce sens que BERQUE interprétera le fondement girardien de la TFU («Théorie de la forme urbaine»), quà la suite de Gilles RITCHOT ont développée des géographes et des sémioticiens comme Gaétan DESMARAIS à propos de Paris. La TFU explique la disposition des villes et des formes architecturales par des rapports de position spatiale déterminés par une structure morphologique abstraite, en elle-même non spatiale car elle est engendrée par des motivations anthropologiques fondamentales, telles que vie/mort, pouvoir, salut etc., agencées entre elles par des processus dynamiques de nature sémiotique. Tout cela sarticule à partir dun foyer que RITCHOT appelle «vacuum», parce quil sexprimerait par un interdit de résidence en raison de sa nature sacrée. Dans le cas de Paris, DESMARAIS situe le vacuum originel dans la plaine du Lendit (à Saint-Denis). Son existence est expliquée par référence à lidée girardienne du meurtre sacré de la victime émissaire. Cest toujours comme tombeau que sélabore la culture Le tombeau, ce nest jamais que le premier monument humain à sélever autour de la victime émissaire, la première couche des significations, la plus élémentaire, la plus fondamentale. Sans discuter ici la théorie de René GIRARD quant aux origines de la culture, ni la fécondité des développements de la TFU proprement dite au delà de son postulat girardien, BERQUE contestera seulement lidée que le principe de la structuration susdite puisse être «non spatial». Cette idée-là lui paraît éminemment moderne, en ce quelle suppose que les affaires qui comptent avant tout pour lêtre humain (vie/mort, etc.) sont étrangères à létendue, tout comme la res cogitans lest par rapport à lextensio. Dans sa préface au livre de DESMARAIS, Jean PETITOT parle ainsi de «comprendre comment des formes abstraites dorganisation, donc des entités non spatiales, peuvent se spatialiser et se réaliser matériellement» Dabord, le spatial ne se réduit pas au matériel (cest là un parti ultra-cartésien) ; ensuite et surtout, dans la structure ontologique de la médiance, cest demblée que lexistence humaine est spatialisée, concrètement incarnée par son être-au-dehors, sa trajection dans les formes de son milieu. Il en va ainsi forcément du rapport vie/mort, du pouvoir, du salut etc. Les symboles sont justement ce qui permet que ces notions, relèveraient-elles de la transcendance la plus pure, soient incarnées dans certains lieux de la terre. Les monothéismes nont-ils pas leurs lieux saints ? Du reste, si lon en croit Marcel GAUCHET, cest lincarnation même du Christ qui aurait fait du christianisme «la religion de la sortie de la religion», en supprimant lécart qui existe dans la pensée mythique entre «un passé-source et un présent-copie». Pour chacun et en chacun, le Créateur est en effet présent dans la communion. Du point de vue de la médiance, une telle idée revient à celle dun rapatriement du monde qui ne serait plus une possession par le corps médial, mais qui au contraire préparerait le sujet humain à intégrer le monde sous sa propre domination. Communier en Dieu par le sacrement de lEucharistie, en effet, cest exactement linverse du sacrifice humain dans un haut lieu. Cest aussi, virtuellement, la sécularisation de toute la terre. Mais pour que le processus aille à son terme, il faudra que la modernité en vienne à démembrer notre être même. Avant de clore cette brève incursion dans le religieux, BERQUE assure les croyants de toute obédience que le point de vue de la médiance nest pas une négation mais un déplacement du divin. Par définition, le moment structurel de lexistence humaine concerne lécoumène; il ny a là rien à dire de lorigine des choses ni de celle du sens, hormis quelle est obscure. Obscure, cest dire peut-être divine; mais il sen tient lui-même à lobscurité.
II/ PRISES
(239) Dans la cinquième des Lettres à la princesse de Galles quil écrivit contre les newtoniens[9], Leibniz commençait par distinguer entre motifs et causes. Pour lui, un motif « incline sans déterminer, préservant ainsi la liberté et la spontanéité du sujet », tandis quune cause « produit nécessairement son effet » ; « doù la distance infinie qui sépare la nécessité morale cest-à-dire libre dune action pleinement motivée de la nécessité dénuée de liberté et passive dun mécanisme »[10]. Dans lécoumène, causes et motifs se combinent dans la trajection de la réalité. Celle-ci est donc à mi-chemin entre nécessité morale et nécessité physique. Toutefois ainsi que le soulignait WATSUJI, cest en dernier ressort lêtre humain qui interprète son milieu. De ce fait, les phénomènes qui manifestent la réalité pour notre perception relèvent toujours, en fin de compte., plus du motif que de la cause. Ils suscitent par conséquent des raisons dagir, soutenues par une motivation et par là créatrices., plutôt quils ne sont des facteurs de comportement. Cest ce type de relations que pressentit la géographie vidalienne[11], à propos de quoi Lucien FEBVRE devait parler de possibilisme[12]. En ce sens, le point de vue de la médiance est fort étranger au béhaviorisme et au déterminisme, ainsi quau scientisme en général, lesquels ne savent penser quen termes de facteurs et de causes. Toutefois, comme vu précédemment, ce nest là nullement prétendre que la perception et laction humaines seraient dépourvues de causes et de facteurs naturels, cest-à-dire instituées dans la pure mondanité dun sans-base revenant à faire de lhumain la métaphore dun créateur divin. La trajectivité des choses nest pas une pure phénoménalité, moins encore une simple projection de la subjectivité humaine sur ces choses Elle nous donne bel et bien prise sur leur dimension physique, dont la topicité relève de la terre et de lunivers, plutôt que du monde. Par cette même trajectivité, la terre et lunivers sont en prise avec nos motivations ; ce qui est autre chose quun simple effet physique sur notre corps animal. Létude des milieux humains sattache donc à reconnaître comment sorganisent les prises trajectives qui permettent aux diverses sociétés de comprendre et dutiliser la réalité des choses. Ces prises trajectives, dans la concrétude et la singularité de leur histoire, se configurent en motifs, lesquels, agrégés en contrées, permettent de qualifier et didentifier régions ou pays, tant du point de vue de lhabitant que de celui du géographe Ces motifs écouménaux sont spatio-temporels, un peu à la manière dont le même terme «motif » peut désigner quelque chose de spatial en architecture (les motifs dune frise, par exemple) et quelque chose de temporel, en musique (tel le motif dune mélodie). Ce sont à la fois, dans lespace, des configurations, et, dans le temps, des motivations. Autrement dit, les motifs de lécoumène sont à la fois ce que nous y voyons (des forêts, des villes, des montagnes...) et quelque chose qui suscite en nous des raisons dagir de telle ou telle façon. Cela parce quils sont trajectifs, cest-à-dire quils contribuent au moment structurel de notre existence : notre médiance. De ce point de vue, les motifs écouménaux sont en même temps des empreintes et des matrices Empreintes parce quils portent la marque de lexistence humaine, que ce soit matériellement (par exemple ces aménagements que sont la Muraille de Chine ou le bocage vendéen) ou immatériellement (par exemple la manière aborigène ou la manière aussie de percevoir, fort différemment, le même environnement), mais le plus souvent les deux à la fois (tels les effets matériels du dualisme moderne, ou les effets psychologiques dun tremblement de terre). De manière générale, les motifs écouménaux portent lempreinte des systèmes techniques de lhumanité; ils sont lincarnation visible de notre corps médial. Mais eh même temps, ils en sont la part symbolique, celle que nous ne voyons pas mais qui, rapatriant le monde en nous-mêmes, émeut notre corps animal par le truchement des signes. En ce sens, les motifs écouménaux sont des matrices de notre sensibilité, ainsi que, à travers elle, de notre comportement. Comme on le voit, cela ne relève pas du seul déterminisme causal, mais cela ne relève pas non plus du seul arbitraire Lécosystème du tundar (mot lapon qui a donné le russe toundra) nest pas la cause de la civilisation finnoise, qui repose sur lélevage du renne, mais celle-ci neût pas existé sans le tundar, qui en est le motif de base. De même, ladobe (brique crue mêlée de paille) est un motif très répandu de lhabitat en milieu aride, et il explique en partie les formes architecturales qui en procèdent (par exemple labsence de voûtes de grande portée) ; mais pour le reste, dautres facteurs sont en jeu, et ladobe lui-même, sil suppose une certaine aridité, ne sexplique pas seulement par laridité. Dans ces rapports, causes, raisons et facteurs se mêlent et se répondent au sein dune motivation complexe, forme et mobile tout à la fois, qui nest autre que la médiance du milieu en question. De la sorte se compose le poème du monde, que nous pouvons en partie lire consciemment dans le paysage Lequel, en même temps se chante à notre insu au fond de notre corps et dans la biosphère. Cette expression qui nous vient de lAntiquité gréco-latine, BERQUE la comprend comme un synonyme de la médiance. Les mots de ce poème, ce sont des géogrammes : des motifs, identifiés souvent par un toponyme, qui relèvent à la fois dun sens accessible à la conscience humaine (celui de la chorésie de notre monde, IgP) et dune dimension propre à la terre, enfouie dans sa topicité (lgS). Ce sont les formes perceptibles de notre environnement, mais aussi les mobiles inconscients qui nous y guident, nous y attachent et nous font laménager dans un certain sens. Les géogrammes incarnent en effet concrètement, dans une contrée, len-tant-que de lécoumène Cest-à-dire les ressources, contraintes, risques et agréments sous lespèce desquels, et seulement sous lespèce desquels, nous apparaît lenvironnement, et qui en sont les motifs. Un même géogramme, par exemple la neige du Valais peut être ressource pour les uns (les promoteurs de stations de ski), contrainte pour les autres (les éleveurs), agrément pour bien dautres encore, et risque davalanche pour tout un chacun. Cela, dans un rapport qui ne cesse dévoluer. Les sociétés dites primitives sont en général beaucoup plus attachées à leurs géogrammes que les sociétés modernes, au point que les tropicalistes français, à la suite de Jean-Pierre RAISON, ont pu parler de «sociétés géographiques», voire d«hommes-lieux» comme Joël BONNEMAISON à propos de la Mélanésie, lidentité dune personne étant là indissociable de celle dun certain lieu. Cependant, même les sociétés modernes continuent davoir leurs propres géogrammes, soit reprenant des motifs anciens dans/un sens nouveau, soit les instituant à partir de la nature. Les vagues, géantes de lhiver à Waimea, par exemple, ne sont devenues quau XXe siècle agrément et ressource pour une fraction, nouvelle et limitée, de lespèce humaine : les surfeurs de gros[13]10, leurs fournisseurs de planches longues et leurs spectateurs. Inverse¬ment, les kaya (herbes des pampas, etc.) qui avaient été pendant des millénaires une ressource pour la couverture des maisons, au Japon, ne sont plus aujourdhui quun agrément paysager, lautomne venu. La logique trajective (lgS/lgP) des géogrammes dans une contrée peut se comparer au fonctionnement de la conscience elle-même, où noèse et noèmes uvrent mutuellement comme empreintes et comme matrices. La noèse (lactivité mentale) suppose et produit à la fois les noèmes (ce que pense lactivité mentale), tandis que ceux-ci fondent la noèse en même temps quils en procèdent. Pareillement, dans le poème du monde, la dimension poïétique (celle de lagent uvrant) de luvre humaine et la dimension poïématique (celle de la chose faite) de ses motifs sentre-composent en spirale Cette logique fait que les sociétés perçoivent leur milieu en fonction de la manière dont elles laménagent, tandis quelles laménagent en fonction de la manière dont elles le perçoivent. Cela, sans nullement tourner en rond dans le cercle vicieux dune pure mondanité ; car les géogrammes incarnant ce poème la médiance dun certain milieu composent aporétiquement deux logiques irréductibles lune à lautre : celle de la chorésie, et celle de la topicité. Or cest cette irréductibilité même qui rend possible le déploiement de lécoumène ; car elle lui fournit continuellement pour base une aporie : quelque chose sur quoi lon peut faire fond, parce quon ne passe pas à travers. Comme on a pied dans une eau peu profonde, comme nous tablons sur lamour de ceux qui nous aiment, et comme la conscience vogue sur locéan de linconscient. Les géo-grammes, en effet, ne sont pas sans cousinage dans les sciences contemporaines Il sagit, fondamentalement, de concevoir les liens de lêtre humain avec les choses qui lentourent, en dépassant la dichotomie que nous avons héritée de Descartes. BERQUE en relève le cas représentatif qui suit : Si lidée de médiance lui vient de WATSUJI, ce qui la mis sur la piste de la trajection est la notion daffordance, due à James GIBSON[14]. Il sagit des prises que lenvironnement offre (affords) à la perception et en même temps de la capacité que celle-ci possède (affords) davoir prise sur ou dêtre en prise avec ces prises. Celles-ci donc sont relatives. Ce sont elles justement qui incarnent la relation à lenvironnement de lanimal ou de lêtre humain. Elles ne sont ni proprement subjectives, ni proprement objectives. Pour autant, ces prises ne sont pas seulement phénoménales. Elles ont en effet aussi une réalité physique. Et de ce fait, ce sont en même temps des invariants attachés à la chose, qui ne cessent pas dexister quand bien même nous ne percevons plus la chose. Cette idée a été critiquée par Francisco Varela, pour lequel le couplage structurel entre lanimal et son environnement exclut toute invariance de ce dernier. BERQUE, pour sa part se range du côté de GIBSON, car, du point de vue de la médiance, il y a toujours une échelle en jeu dans les rapports écouménaux. En loccurrence, il sagit dune échelle dinertie. Notre environnement nous offre des prises parce quil est relativement stable par rapport à nous. Cela ne veut pas dire quil est inerte, mais que son inertie est plus grande que la nôtre. Cette échelle nous fournit le sol aporétique (le contraire dune passoire) grâce auquel nous ne sommes pas en apesanteur dans le sans-base dune mondanité absolue. La société a ainsi du répondant par rapport à lindividu, la terre du répondant par rapport à la société, etc. Ce «répondant», il nous est fourni par les prises trajectives et les motifs de la médiance. Par exemple, si telle paroi offre (affords) des prises au varappeur, cela suppose bien sûr lexistence de la varappe (sans quoi il ne sagirait de prises pour personne), mais cela suppose dabord certaines formations rocheuses, leur tectonique et leur météorisation. Entre les deux termes du couple varappeur/paroi, il faut une échelle de durée et de dureté; sans quoi pas de varappe. En ce sens, les géogrammes (par exemple la Varappe du Salève, près de Genève) combinent trajectivement linvariance et la mouvance, tout comme les affordances de GIBSON. Le point de vue de la médiance est en outre parfaitement en accord avec lidée gibsonienne que ce que nous percevons, ce ne sont pas les propriétés de lobjet, mais ses affordances. En effet, nous avons vu dans le même sens que, dans lécoumène, nos mots se réfèrent à la trajectivité des choses (lgS/lgP) et non à leur topicité (lgS). Les motifs de lécoumène, dans leur en-tant-que dagréments, de risques, de ressources ou de contraintes, ce sont bien les affordances de notre environnement. Cest avec cela que nous sommes en prise et non pas avec ce que les choses ont dintrinsèque, bien que cela le suppose toujours.
B. LA NAISSANCE DE LA SAUVAGERIE Les sciences sociales, notamment le courant structuraliste, nous ont habitués à lidée dune opposition entre nature et culture. Or dans beaucoup de milieux, pareille idée naurait aucun sens; soit que, tel le taoïsme, on récuse cette opposition dun point de vue moral, ou même, plus radicalement, que lon nen conçoive pas les termes. Ceux-ci en effet nont quune valeur très relative; ils sont marqués par lhistoire et par la culture. La notion de nature (shizen) napparaît par exemple au Japon quau VIIIe siècle, par suite de lemprunt du terme chinois ziran. En Europe, elle remonte au VIe siècle avant J. C., quand les philosophes présocratiques ont commencé à employer phusis dans un sens voisin; mais chez Homère, phusis na encore que le sens de propriété dune plante médicinale (phusis pharmakou dans lOdyssée, 10, 303), alors quétymologiquement[15] Natura est le « devant-naître » des choses vivantes. Il est évident, comme le seul exemple de cette traduction le montre, que « nature » peut se concevoir et se dire de façons très différentes selon les cultures Dabord, de très nombreuses cultures nont pas connu cette notion, laquelle suppose que lon abstraie un caractère universel des êtres multiformes qui peuplent lenvironnement. Quoi de commun en effet entre la pluie, un renard, la Grande Ourse, une sauterelle ou un lichen? Immédiatement, rien. La poésie japonaise antérieure à la sinisation témoigne ainsi dune grande sensibilité à légard de ce que nous appelons aujourdhui «la nature», mais celle-ci nest jamais dite ; ce dont on parle, cest seulement des divers phénomènes qui lincarnent : montagnes, nuages, lune, érables de lautomne, etc. Ils ont lunité dun milieu, mais leur attribut commun, celui dêtre naturels, nest pas envisagé. De fait, on pourrait penser que tant que les peuples vivent au sein immédiat de la nature, ils ne la conceptualisent pas comme telle Cette conceptualisation demande en effet un certain recul, une médiatisation qui va de pair avec lanthropisation du milieu sous leffet de la civilisation. «La nature» se dessine alors comme ce qui ne relève pas de cette artificialité. Cependant, dès avant la formation de cette figure, chaque société sest déjà campée dans une attitude singulière à légard de ce qui un jour sera « la nature ». Ces attitudes sont aussi diverses quil existe de cultures. Chacune de celles-ci conçoit, perçoit, interprète et utilise en effet la nature selon des termes qui lui sont propres. Cette réalité humaine a permis par exemple à Georges GUILLE-ESCURET dintituler lun de ses livres, où il sinterroge sur linterrelation des faits sociaux et des faits écologiques, Les Sociétés et leurs natures. Encore ce livre ne sattache-t-il quaux aspects les plus objectivement saisissables de la dite interrelation, sans approfondir les aspects éthiques, esthétiques, politiques et métaphysiques dont pourtant sont tissées les représentations humaines, et qui interviennent .forcément dans les rapports matériels à lenvironnement. Prendre en compte ces aspects-là ne ferait que renforcer lévidence de la diversité de la relation humaine à la nature. Cela étant, GUILLE-ESCURET conclut que dans cette relation, lon ne peut isoler des contraintes écologiques les contraintes sociales Il y a indissociation des faits naturels et des faits sociaux. Plutôt que la vieille alternative «naturel ou social», il faut ainsi considérer que «les problèmes écologiques ne sont jamais sociologiquement accessoires ni sociologiquement fondamentaux, car ils sont sociologiques», étant forcément médiatisés par des systèmes économiques, politiques, etc. Pour sociologiste quapparaisse une telle conclusion (GUILLE-ESCURET se place résolument dans la sociologie comparative), il ne sy trouve rien que lon doive récuser du point de vue de la médiance. Notre environnement écologique, cest en effet notre corps médial, qui est forcément social. Pour en comprendre la nature et le fonctionnement, lapproche de la sociologie, et celle des sciences sociales en général, est donc indispensable. Ce que récuse le point de vue de la médiance, ce nest pas le poids du social; cest que lon fasse tourner le social sur lui-même. Le fait que la structure ontologique de notre existence implique toujours notre corps animal exclut en effet toute interprétation de notre rapport à lenvironnement qui ne serait que sociologique. En revanche, en vertu de la même structure, ce quil y a en nous de plus animal est toujours, aussi, tant soit peu social; et il en va de même de la nature qui nous environne. A cet égard, il faut donc affirmer que « la nature », cest toujours celle que nous nous représentons Elle est toujours médiatisée, socialisée, culturalisée du fait même que nous la percevons et qu'a fortiori nous la concevons. Autrement dit, elle est trajective, et non pas objective. Ce principe découle du moment structurel de notre existence. Il vaut donc même pour les sciences modernes de lenvironnement. Toutefois, cest à rebours que celles-ci culturalisent la nature; à savoir en postulant que lon peut totalement lobjectiver (autrement dit la découpler de notre existence), ce qui est sinterdire den concevoir la réalité, puisque celle-ci est trajective. Cette option culturelle, cest celle du paradigme occidental moderne classique, Or cest là tout simplement faire preuve de subjectivité; car ignorer lexistence alors que lon existe, ce nest pas objectif, mais seulement objectiviste. Cest ne pas voir que la nature concerne toujours des êtres humains, à commencer par soi-même; et quil faut donc, objectivement, toujours tenir compte de leur subjectivité. De fait, la science au sens strict (qui nest pas le scientisme) ne peut et ne doit considérer que des « étants-là-devant » : des objets purs dans un pur espace, et donc vidés de sens. Au delà de cette abstraction, parler de la nature, du sens des choses ou de la vie, cest parler de notre existence même ; et mieux vaut le savoir que lignorer. Ainsi, «la nature» nous engage toujours; et cela dautant plus que nous la pensons comme telle Cest- à-dire pure, ou vierge. Sur terre en effet, il nexiste pas de nature vierge. Cette notion est une représentation qui a une histoire, celle de sa construction; et cette construction diffère selon les cultures. Maurice GODELIER a relevé par exemple que les Pygmées Mbuti, en Afrique centrale, habitant ce que nous appelons la «forêt vierge», la voient tout autrement que les peuples voisins, qui sont agriculteurs et éleveurs. Pour ceux-ci, la grande forêt est un domaine étrange, effrayant. Les Pygmées, qui vivent là-dedans, sont donc pour eux lincarnation même de la sauvagerie : ce qui relève de lespace sauvage, de lespace forestier. « Sauvage » en effet descend de silvaticus : ce qui vit dans la forêt, silva. Cela fait peur. Et comme les bêtes sauvages nous font peur, létrangeté des Pygmées fait peur à leurs voisins bantous. Du côté des Mbuti, cest linverse : ils ont peur quand ils sortent de la forêt, qui est leur domaine familier. Tels les Achuar et leur nature «domestique», celle qui au contraire est pour les autres la grande forêt sauvage : la selva. La selva, cest le poumon de la Terre, si lon en croit nos écologistes ; alors que pour les écologues, la selva, non exploitée, ne produit guère plus doxygène quelle nen consomme. Elle est équilibrée. Ce qui nest pas équilibré, cest le manque-à-être de la condition moderne, lequel induit structurellement en nous le besoin dun poumon existentiel : lidée de nature vierge et son incarnation nécessaire, que ce soit dans la selva, lAntarctide ou à Yellowstone, le premier parc national de lhistoire (1872). Yellowstone, où sont aujourdhui atteintes les plus fortes concentrations de monoxyde de carbone aux Etats-Unis... En fait de poumons, plutôt que de passer la nuit de Noël à Yellowstone, mieux vaut aller fumer une nuit grave dans un square de banlieue[16]! Il est vrai que les poumons existentiels sont affaire de corps médial plus que de corps animal. Ils relèvent de notre structure ontologique, plutôt que de notre système respiratoire. Cela ne veut pas dire quils soient immatériels, du reste. Si moi, domicilié à Sendai, je naime pas lidée que lon construise un aérodrome en Terre Adélie, ce nest pas que jen perçoive les décibels ni les vapeurs de kérosène ; cest parce que les systèmes symboliques de la modernité les rendent présents dans mon corps animal; et sils me les rendent présents, cest indissolublement parce que les systèmes techniques de la même modernité, fort matériellement, produisent et peuvent reproduire de tels artefacts, ainsi que ceux qui my rattachent physiquement (réseaux de communication, etc.). La Terre Adélie, ce nest pas quà travers des symboles quelle fait partie de mon existence; elle en fait partie réellement, pour autant que jexiste au sein de la civilisation moderne. La civilisation moderne, certes, a exacerbé notre besoin structurel de nature vierge, mais la structure en question est en soi fort ancienne. Elle remonte à la naissance de la sauvagerie et de lespace sauvage.
Il faut revenir à la situation paléolithique qui a duré si longtemps : une espèce humaine pas trop nombreuse vivant des surplus dune nature riche, variée, libre, quelle ne modifie que très localement. En fait, comme le montre le cas des Mbuti ou celui des Achuar, « lespace sauvage » ou la nature « libre », ce nest quune représentation de ceux qui ny vivent pas. Une idée dagriculteur bantou, par exemple, ou de dessinateur suisse comme HAINARD. Pour les peuples de la forêt « vierge », celle-ci est au contraire un espace empreint de (et astreint à la) civilité. Comme eux, dont la médiance ne comporte pas la sauvagerie ; ce qui ne veut pas dire quelle ne soit pas structurée, car elle comporte en revanche la barbarie, voire la non-humanité de ceux qui ne vivent pas comme des Mbuti ou des Achuar. Elle est en tout cas autrement structurée que celle dagriculteurs. Chaque peuple, encore une fois, connaît sa propre nature : son corps médial, qui à sa façon nourrit lesprit et le corps animal de ses membres. Ainsi quen effet lécrit Serge BAHUCHET, justement à propos de nutrition : «Lhomme est consommateur de symboles autant que daliments» [Trémolières ; ce qui illustre le rapatriement trajectif du monde en notre chair par les symboles, et éclaire en particulier le sacrement de lEucharistie]. Deux ethnies vivant dans le même milieu nopèrent pas nécessairement les mêmes choix alimentaires. Au point .que lune pourra juger parfaitement non comestible ce qui, pour lautre, sera un aliment recherché. Cet arbitraire culturel rend aléatoire lexercice consistant à postuler un régime alimentaire à partir des ressources potentielles dun écosystème.
C. LA NAISSANCE DU PAYSAGE Une révolution toutefois sépare les renonçants de lInde ancienne, ou les anachorètes de la Thébaïde au IIIe siècle, des randonneurs daujourdhui. Cest quentretemps le sens de «la nature» sest pour ainsi dire inversé Jadis, lespace sauvage était négatif : repoussant, effrayant, et de ce fait même propice à lascèse. Aujourdhui, cet espace est positif : attrayant, agréable, bel à voir, source de plaisirs. En un mot, cest un espace amène. Certes, il nest pas impossible de trouver quelque parenté entre les exercices spirituels de lanachorète et lentraînement draconien, la vie ascétique même que simposent aujourdhui certains amateurs de nature. Enchaîner les huit mille sans oxygène dans lHimalaya, par exemple, cest physiquement voire spirituellement de lordre de lascèse. De telles conduites restent effectivement lexception. Davantage compte ce renversement de structure existentielle : alors quun ermite, autrefois, trouvait dans la nature lenvers des plaisirs du monde, aujourdhui, au contraire, la nature est source de jouissance commune. Elle nest plus lautre du monde; elle en est laménité la plus haute. Lespace sauvage est de nouveau civil. Cependant, il né lest pas au sens des Achuar ou (peut-on supposer) des Magdaléniens; car loin dêtre censé domestique, il ne tire sa valeur que dune virginité putative. Ce renversement est de la plus grande importance historique, puisquil a bouleversé un motif écouménal Lespace sauvage, qui sétait instauré avec la révolution néolithique. Cela ne sest pas fait en un jour. Pour ce qui est de lEurope, deux mille ans séparent la villégiature romaine de nos congés payés. Néanmoins, dans ce processus pluriséculaire, certains événements ont compté plus que dautres. Le plus décisif, et de loin, aura été la découverte du paysage, en Chine, au IVe siècle de notre ère. Cest là en effet que la montagne boisée, motif par excellence de la sauvagerie, a été transmutée du négatif au positif. Nous vivons encore aujourdhui, et de plus en plus, dans la médiance qui sest alors mise en place. Levons dabord une ambiguïté. Le paysage est un motif écouménal, où se composent lintrinsèque (lgS) et la représentation (lgP) Non seulement il est trajectif (comme toute réalité dans lécoumène), mais cest lillustration même de la trajectivité. En effet, le paysage existe dans certaines médiances, mais pas dans dautres. On le voit naître au cours de lhistoire, dabord en Chine, plus tard en Europe à la Renaissance, et à partir de ces deux foyers se diffuser dans le monde; mais auparavant, il sagit dautre chose que de paysage. On peut certes étudier la morphologie de lenvironnement du point de vue des sciences de la nature, et appeler cet objet «paysage» (telle lécologie du paysage) ; mais il faut être conscient que, ce faisant, lon abstrait du monde sa propre existence et celle des autres humains, lesquels peuvent avoir avec cet environnement de tout autres prises que celles que nous ramassons dans le terme de paysage. Leur attribuer les nôtres, cest ignorer les leurs; cela relève de limpérialisme ou de lanachronisme. Il serait par exemple absurde et usurpatoire de parler de paysage tant à propos des «pistes du Rêve» aborigènes que des peintures contemporaines qui, si lon peut dire, les représentent. Le «Temps du Rêve» du CentreRouge de lAustralie, Tjukurrpa, il ne nous appartient pas dy substituer nos paysages. Quest-ce donc qui permet de parler de paysage ? Les prises qui témoignent que ce motif existe pour ceux que cela concerne. Elles sont multiples et variées, mais on peut les ranger sous cinq critères., par ordre de détermination décroissante :
Quand ces critères, et nécessairement le premier, ne sont pas remplis, parler de paysage est un abus. De quoi parler, alors ? Eh bien, de ce dont parlent les sociétés concernées. De « len-tant-que » dans les termes duquel ces sociétés sont en prise avec leur milieu. Bref, de leur réalité. Sans doute cela risque-t-il dêtre trop divers pour quon le conceptualise. Il y a néanmoins, dans toutes les sociétés qui ne sont ou nétaient pas paysagères, un trait commun : cest quelles voient dans leur environnement lexpression dun certain ordre, dun kosmos qui empreint dun même sens leur corps médial et le corps animal de leurs membres. Ce kosmos visible fait delles des sociétés cosmophaniques ; ce que lEurope a cessé dêtre quand la vision scientifique de lunivers a divorcé du sensible, cest-à-dire du paysage (moment que lon peut symboliser par la parution de lOpticks de Newton, en 1704). La civilisation romaine est un cas de cosmophanie presque paysagère. Elle remplissait les critères 3, 4,5, mais il est sûr quelle ne remplissait pas le premier, et douteux quelle ait rempli le deuxième. Quant à BERQUE, il est davis que non. Prospectus, cest ce que lon peut voir devant soi, mais ce nest pas ce que nous entendons par « paysage »; il y manque les connotations esthétiques. Celles-ci sont présentes en revanche dans dautres expressions, mais qui à la différence de «paysage», ne concernent pas en priorité la vue[17]. Pourtant, il manque dans le vocabulaire et les mentalités romaines quelque chose de décisif[18]. Cela dit, lon ne peut contester que les Romains aient eu la fibre paysagère; celle-ci se manifeste en effet tant dans la littérature que dans la peinture, les jardins et le goût de la villégiature. Horace par exemple a vanté le charme des collines et des rivières de la Sabine, et cela jusquaux escarpements inhospitaliers des tesqua (mot sabin désignant les contrées sauvages et désertes, autrement dit le wilderness) ! Gardons-nous pourtant de lanachronisme. Ce qui, décisivement, a manqué aux Romains, cest une conscience du paysage en tant que tel, avec le mot pour le dire. Corrélativement, il ny a pas eu à Rome de réflexion sur le paysage, ni grandeur nature, ni dans la peinture. Cest au contraire ce qui est apparu en Chine, à peu près au moment où, en Occident, lorthodoxie augustinienne allait pour mille ans détourner les chrétiens dadmirer le spectacle du monde. A la différence des langues européennes, il existe en chinois de nombreux mots pour dire «paysage» : shanshui, fengjing, fengguang, qingjing, etc.; fait qui témoigne que la civilisation chinoise a été non seulement la première, mais la plus intégralement paysagère de lhistoire. Intégralement, cela signifie que la Chine, contrairement à lEurope, na pas discriminé la nature du physicien de celle du peintre ou du poète, ni dailleurs de la religion. Le paysage, pour elle, est resté cosmophanique, exprimant toute la palette des valeurs de la société; doù à la fois la diversité des mots qui en parlent, et la possibilité décrire, comme Tao Yuanming: « Dans cela se trouve le vrai sens ». Bien que le thème de lermite réfugié dans la montagne sauvage ait en Chine une longue histoire, celle-ci, jusquaux changements idéologiques dont BERQUE a parlé antérieurement, est restée sous le signe de lépreuve et de la peur. Significatif à cet égard est un poème très connu, le Gaotang fu, attribué à un poète que lon pense avoir vécu vers la fin du IVe siècle avant J.-C., SongYu. Bien quil soit rempli de descriptions de paysages montagneux, ce poème témoigne en effet, comme la écrit Paul DEMIÉVILLE, que «la montagne y suscite plus deffroi quelle néveille dintérêt esthétique». La littérature des siècles suivants garde cette tonalité, mais peu à peu se font sentir les prémices de cë que Donald HOLZMAN appelle la grande permutation dans les attitudes qui se produisit au IVe siècle de notre ère et qui permit la floraison dune véritable poésie de paysage [à savoir que] les poètçs de cette époque décrivirent les montagnes comne des lieux bons en eux-mêmes ; la nature devint alors une chose à apprécier en elle-même. Ce sont en effet, en Chine, plutôt les poètes que les peintres, comme en Europe, qui découvrirent le paysage; mais il est vrai que cette distinction y est moins significative que chez nous, puisque calligraphies, peintres et poètes étaient gens du même pinceau, voire une seule personne en certains cas fameux. Durant cette période, dans les poèmes apparaissent des figures prémonitoires[19]et nombre de ces poèmes témoignent incontestablement dune esthétique paysagère ; et. en particulier, les deux sinogrammes shan shui, « monts et eaux », y prennent clairement le sens de « paysage », shanshui. Nous sommes là déjà plus avancés, dans une esthétique proprement paysagère, que ce que nous offre la littérature latine. Cependant le plus décisif à cet égard, une réflexion sur la nature du paysage comme tel, se trouvera deux générations plus tard dans les uvres du poète Xie Lingyun (385-433) et dans le Hua shanshui xu (Introduction à la peinture de paysage) de son contemporain, le peintre Zong Bing (375-443). BERQUE dit y avoir décerné ce que bien plus tard notre esthétique appellera lartialisation ; à savoir lidée que le beau nest pas dans la chose elle-même, mais dans le rapport entre la chose et un regard éduqué par lart. En dautres termes, le pressentiment de la trajectivité du paysage. Dès la naissance du paysage, en effet, lesthétique chinoise a posé quil nétait pas un simple objet délimité par le contour de sa « forme extérieure », waixing (son topos). Il va au-delà. Autrement dit, le paysage est une chorésie, une Räumung,. un déploiement de lécoumène. Voilà en effet presque littéralement ce quécrit Zong Bing, cet autre contemporain de saint Augustin, dans les premières lignes de son Introduction à la peinture de paysage : Quand au paysage, tout en ayant forme matérielle, il tend vers lesprit.
D. LA MOUVANCE[20] DES CATHÉDRALES Augustin BERQUE, comme tant dautres a pèleriné vers Chartres sans avoir lu Péguy- Ce qui lavait intéressé , cétait plutôt la balade, un avant-goût des vacances. Il nempêche quil na pas vu les flèches fameuses monter au dessus des blés sans ressentir quelque exaltation. Ces choses-là font en effet partie dun motif ancré dans notre culture depuis quun cerveau médiéval imagina daugmenter, au moyen de clochers, la portée des angélus. Par la même occasion, cela signalait aux regards paysans que, par là, itur ad caelum. Cet effet paysager anime encore nos campagnes. Cest un repère de notre identité; à plus forte raison quand cela monte plus haut, comme à Chartres. Les religions en effet ne sont pas que spirituelles ; il faut quelles engagent notre corps animal et notre corps médial, vu que nous ne sommes pas des anges. Les hauts lieux sont tels parce que, souvent, il faut y monter, à grand peine du jarret. La terre serait-elle plate, comme est la Beauce, que lon y élèvera des cathédrales. Du moins, en pays de transcendance ; mais même en terre dimmanence, on pratique la pagode. Se dresser vers le ciel étant le propre de lhumain, ce bipède vertical, on conçoit que lextériorisation de son corps animal lait conduit à créer des systèmes techniques et symboliques exaltant la hauteur, pour autant que son degré de civilisation le lui ait permis. Tours de radiodiffusion mises hors concours, les gratte-ciel du XXe siècle auront ainsi frisé les 500 m, comme à Kuala Lumpur; et il est sûr que le troisième millénaire ira au delà. Nous atteignons, dans ces altitudes, un domaine où la distinction du profane et du sacré tend à sévanouir. Au vent des cimes, une ville à ses pieds, nul ne peut plus être terre-à-terre. Bref, les tours, de Babel ou autres, sont les prises que nous avons sur le ciel, ou qui nous assurent que nous sommes en prise avec lui. Ces prises, comme tout motif écouménal, sont de nature écosymboíique. Ce sont des géogrammes, lesquels, par la technique et par les signes, embrayent lesprit à la topographie et aux écosystèmes. Sans solution de continuité. Cest ainsi que les cathédrales, comme Notre-Dame de Chartres, traduisent à la fois les capacités environnementales et les modes de pensée du Moyen Âge. Toutefois, comme elles furent bâties pour répondre à un besoin spirituel et quelles continuent dexercer cette fonction première, nous sommes enclins à penser que leurs formes nexprimeraient que des motivations de cet ordre. Elles sexpliqueraient avant tout par leur symbolicité, ce qui du reste nest pas pour déprécier le statut des historiens de lart. Cette façon de voir a par exemple donné lieu à une thèse célèbre dErwin Panofsky, Architecture gothique et pensée scolastique (Gothic architecture and scholasticism,1951), laquelle dégagea diverses homologies entre les modes de raisonnement et de construction de lépoque. Du coup, nous en oublierions volontiers que ces formidables édifices mirent à contribution toutes les forces matérielles, toutes les ressources techniques et environnementales de leur époque, et quelles en subirent donc les contraintes et les limitations. Cest cet aspect beaucoup moins connu de la mouvance de nos cathédrales que je voudrais ci-dessous mettre en relief, en me fondant sur les recherches de larchitecte, historien et géographe Roland Bechmann. A la question de savoir pourquoi lon est passé du roman au gothique, il nest pas de réponse que larbitrarité des signes, fussent-ils de pierre. Il faut aussi se figurer que sur le territoire de la France actuelle, durant la période de trois siècles à lissue de laquelle (fin Xe - début XIVe siècle) on comptait une église pour deux cents habitants, dune capacité totale supérieure à la population du pays, lon a extrait, charroyé et mis en uvre plus de pierre que lEgypte ancienne en trois mille ans. Dans cette fièvre constructrice, les techniques romanes, trop grosses consommatrices de pierre et de bois, ont laissé la place à des modes de construction de plus en plus économes en ces matières. Si économes quen fin de période, certaines structures sallégèrent au delà des seuils critiques; par exemple à Saint-Pierre de Beauvais, dont le chur sécroula en 1284, et dont la flèche ne tint que de 1566 à 1573. Ainsi, cette période de grand élan religieux fut aussi une période dintense rationalisation architectonique, rapportée aux capacités limitées du transport des pondéreux et à la raréfaction des ressources en bois. Ni lidéalisme, ni le matérialisme ne peuvent à eux seuls rendre compte de linterrelation créatrice qui se mit alors en uvre, et dont lexpression fut le style gothique; elle est exemplairement trajective. Un passage des Caractères originaux de Lhistoire rurale française, de Marc Bloch (1931), a rendues proverbiales les difficultés que labbé Suger, reconstructeur de léglise de Saint-Denis en 1144, rencontra pour se procurer du bois duvre. Ce nest pas seulement que les grands arbres étaient devenus rares. Cest aussi que transporter le bois ou la pierre était difficile. On estime que, de ce fait, le prix de la pierre pouvait alors doubler sur 18 km; et quil était par exemple multiplié par cinq entre Tonnerre et Troyes. Péages, insécurité, absence de chaussées convenables on utilisait encore les voies romaines, qui nétaient plus entretenues depuis les Carolingiens ! , tout cela obligeait à calculer au plus près, au sens très concret de : faire venir les choses du moins loin possible. Ce nest quen 1185 que Philippe Auguste fera paver les rues de Paris... Aussi redoublait-on dingéniosité pour vaincre lobstacle du poids et de la distance. Devant lessor technique de cette époque, les historiens ont pu parler de «Renaissance du XIIe siècle» et de «Révolution industrielle du XIIIe siècle»; tout cela sur base de «Révolution agricole» pour la période du Xe au XIIe siècle... Mais quoi quon fît, le renouvellement des futaies ne pouvait être accéléré. En ces climats, le chêne ne pousse quà un certain rythme. La nécessité déconomiser le bois non seulement pour les charpentes, mais aussi pour les cintres et autres échafaudages, conduisit donc à inventer de nouvelles techniques dutilisation de la pierre. Sagissant de couvrir lespace, on rencontrait dabord le problème de la stabilité des voûtes. Les gothiques étaient conscients de lintérêt darmer la maçonnerie pour quelle travaillât non seulement à la poussée, mais à la traction. Le fer toutefois, en rouillant, fissurait les pierres ; et son coût en bois était prohibitif (pour produire un quintal de fer, il fallait cinquante stères de bois de charbonnière). La pierre coûtant cher, il fallait aussi diminuer la poussée, en allégeant les voûtes. On en réduisit donc lépaisseur, ce qui permit corrélativement des structures plus ouvertes, plus aériennes, plus claires. Du même coup lon pouvait économiser le bois des cintres, dont on systématisa aussi le réemploi. La première solution de ces problèmes fut de surhausser les arcs en les brisant. À largeur et poids égaux, cela réduisait en effet la poussée (tel est le principe de léchelle double : si langle est plus aigu, les pieds ne glissent pas). Vers 1100, logive était devenue dusage courant, ce qui permettait de standardiser et de préfabriquer les claveaux en les taillant dans les carrières; doù moins de pierre à transporter. Parallèlement, larc brisé chargeait moins les cintres, qui sallégèrent. La voûte darête gothique, par une simplification ingénieuse, résolut un problème insoluble par les mathématiques de lépoque : celui des intersections de surfaces. On partit désormais des arêtes elles- mêmes, tracées sur le plan et matérialisées par des arcs en pierre facilement appareillables. En outre, les voûtes darête permettaient déconomiser les cintres, car une fois bâties elles jouaient elles-mêmes le rôle de cintres pour les compartiments de voûte. On apprit aussi à gauchir ces derniers (leur intrados nétant donc pas une surface développable), ce qui leur procurait une résistance supplémentaire, permettant den réduire lépaisseur jusquà une quinzaine de centimètres. Les arcs sélevant de plus en plus, lempattement croissant des butées eût exigé des contreforts énormes. On apprit à les remplacer par des arc-boutants, beaucoup plus économes en pierre et qui, à la diffé¬rence des nefs latérales (la solution romane), ne réduisaient pas léclairage. Toutefois, cette solution ne se répandit guère hors de lîle-de-France. Reporter sur les arc-boutants tous les efforts sécartant de la verticale permettait aussi dalléger les piliers. Pour une largeur de nef similaire, les piliers du chur de Canterbury (1175) ont ainsi une section dix-sept fois inférieure à ceux de Durham (1093)! Mais à Beauvais, lon alla trop loin... Pour les charpentes, ladoption dun système de chevrons-fermes faisant porter le poids sur toute la longueur du mur extérieur, sans pannes ce qui est a priori paradoxal, puisque les structures de pierre, quant à elles, rassemblaient au contraire les poussées en quelques points permit, fort rationnellement, de multiplier les éléments de petite section (technique préconisée par Villard de Honnecourt). Le lien avec la pénurie de bois est évident, car les fermes massives de la charpente classique se maintinrent là où le bois était plus abondant, ou la pierre plus rare. Corrélativement, vu les hauteurs auxquelles il fallait hisser les pièces de charpente, les fermettes légères à chevrons-fermes préfabriqués facilitaient grandement la construction. Ajoutons que la hauteur était en elle- même une solution rationnelle, car, outre la réduction des poussées latérales, elle mettait les charpentes des cathédrales à labri des incendies de la ville. Au demeurant, toutes ces solutions reflétaient la variété des milieux. LAngleterre par exemple, du fait des mises en défense imposées par la monarchie normande, fut longtemps plus riche en bois, mais moins en pierre que la France ; aussi put-on y faire relativement plus de charpentes, et moins de voûtes. Les Normands ayant exproprié les Saxons, peuple conquis, les abords des cathédrales y étaient plus dégagés quen France, où lon dut, pour cette raison qui au départ nétait point de transcendance, trouver la lumière davantage vers le haut. Cest grâce à leur dégagement latéral que les cathédrales dAngleterre nont généralement pas cherché à être aussi hautes, et que leurs baies pouvaient descendre jusquà hauteur dhomme. Ainsi toujours se poursuit, dans les milieux humains, linterrelation des techniques et des symboles, de même que, par les techniques, celle des symboles et des écosystèmes ; y compris dans le domaine de la religion, dont les symboles sont larmature la plus évidente. A travers les formes de nos cathédrales, cest bien le corps médial et pas seulement lesprit de nos ancêtres qui se dressa vers la transcendance ; et en lui, par ces pierres que leurs corps animaux ont extraites à si grand peine de la terre, cest tout un territoire qui a été porté vers le ciel. Cela en raison inverse, pourrait-on dire, de la vitesse de croissance des arbres vers nos latitudes, mais dans la trajectivité dune prise écouménale : celle des forêts avec les cathédrales ; car lessentiel, dans le déploiement de lécoumène, relève du motif plutôt que de la cause.
E. LA MOUVANCE DES RIZIÈRES Si les systèmes techniques aident à lexaltation des croyants, ils ont eu pour fonction première de mieux nourrir notre corps animal (les systèmes symboliques, de leur côté, nourrissant notre corps médial, cest-à-dire donnant plus de sens au monde). Cette fonction, devenue lagriculture voici une dizaine de milliers dannées, reste celle qui a le plus vastement structuré lécoumène, et qui a non seulement produit la majeure partie de nos paysages, mais encore a largement déterminé notre manière de considérer le reste. Lagriculture, en somme, est un facteur essentiel de notre médiance. Nous allons le vérifier en analysant le fonctionnement dun géogramme remarquable, la rizière, qui sustente la vie humaine par milliards (seul la surpasse à cet égard le champ de blé, vu dans le paysage de la Beauce). Pour ce faire, BERQUE a choisi deux archipels où la rizière a formé le motif dominant de lécoumène, y reste la souveraine du paysage rural, et atteint des sommets de productivité de la terre : la Japonésie et lIndonésie. Quest-ce quune rizière, dabord ? Ce nest pas un simple champ, même irrigué. Au Japon, un champ, cela se «cultive» (tagayasu), mais une rizière, cela se «fabrique» (tsukuru). Cest en effet quelque chose de beaucoup plus artificiel, dont non seulement la construction demande de gros travaux de terrassement et dhydraulique, mais dont le fonctionnement exige une savante gestion des eaux. Cette gestion est davantage quune répartition des tours dirrigation, comme dans les huertas méditerranéennes ; cest aussi une régulation des hauteurs deau, en fonction de la saison et des températures, ce qui demande une haute maîtrise des flux et de la perméabilité du sol. Par exemple, dans les Alpes japonaises où les rizières atteignent laltitude denviron 1 300 m, la fraîcheur de leau pose de constants problèmes. Cela exige des bassins dattiédissement, des rigoles damenée plus longues, une irrigation limitée dans le temps (doù la nécessité dimperméabiliser au maximum le sol de la rizière), une modulation des hauteurs deau, un échelonnement des rizières suivant la robustesse des plants, etc. À ce prix, la rizière est un écosystème remarquablement stable ; elle népuise pas le sol, grâce entre autres à ses algues microscopiques, fixatrices dazote. Elle admet la répétition indéfinie de la culture du riz, sans baisse de rendement. Par ces temps dinquiétude écologique, on ne lui reproche guère que de favoriser leffet de serre par ses émissions de méthane... Un tel système, on sen doute, ne va pas sans contraintes. Au delà de la discipline sociale nécessaire à son fonctionnement, cest toute la spatialité japonaise qui a été marquée par la rizière. Un peu à la manière dont lagriculture a engendré le motif écouménal de lespace sauvage, la rizière, accentuant le contraste entre terres cultivées et non cultivées, a introverti lagriculture japonaise de telle sorte quil est devenu, au cours de lhistoire, plus efficace et plus rationnel daugmenter le rendement des premières que de défricher les secondes. Cette dynamique est très étrangère, inverse même à celle qui a longtemps dominé les campagnes européennes et a fortiori leur extension aux nouveaux mondes (Amériques, Australie...). Elle nest pas sans rapport avec lattitude générale des sociétés dExtrême-Orient, lesquelles, après les expéditions de Zheng He, se sont les unes après les autres retournées sur elles-mêmes plutôt que de découvrir et conquérir la Terre Il y a là en effet une homologie entre comportement socio-spatial, système moral et système agricole. Le principe dominant de la spatialité qui en résulte peut se résumer par une formule : ce sont là des sociétés aptes et enclines aux fortes densités. Ce principe se trouve déjà exprimé dans un traité dagronomie chinois du VIe siècle, le Qimin Yaoshu, lequel recommande daméliorer lexploitation à lintérieur de ses limites, plutôt que de chercher à les dépasser. Lhistorien de lagriculture Iinuma Jirô, commentant ce traité, parlera de « développement par le dedans » (nai naru hatten). Dans ce système, montre-t-il en se fondant sur lanalyse de loutillage, lintensité du travail humain constitue le facteur déterminant du rendement de la terre. Le travail économisé par accroissement de la productivité sera donc réinvesti sur place pour accroître lintensité, au lieu de servir à étendre les surfaces ; car toute unité de travail supplémentaire engendre un gain de productivité dans le premier cas supérieur au second. Cest affaire de seuil critique, car au dessous dune certaine quantité de travail par unité de surface, le système devient au contraire très peu efficace. Dans le cas du Japon, ce seuil critique a été dépassé dès lAntiquité (VIIe-XIIe siècle), à partir de laquelle les rizières furent repiquées, non plus semées. Tamaki Akira dégage la même logique dun autre point de vue, celui de léconomie politique. Le système de la rizière suppose des aménagements collectifs et cumulatifs qui invalident la conception occidentale classique de la rente et de la propriété privée. Il ne peut en effet y avoir de propriété privée au sens strict quand la fertilité du sol dépend dun bien géré collectivement (un capital social cumulatif), à savoir le système hydraulique. Le capital agricole est fondamentalement duel : un capital foncier régional qui est collectif, et un capital dexploitation qui est individuel. Laménagement cumulatif du premier (construction de canaux, etc.) fait que la terre est moins un bien naturel quun capital fixe. Autrement dit, la rizière japonaise a construit son milieu. Cette accumulation socio-historique de capital foncier, via dincessantes bonifications, a réduit à peu de chose la rente différentielle : les différences de fertilité seffacent, car celle-ci est artificielle. Lune des conséquences de ce système est laugmentation de la charge totale de la rente pour la société. Une autre, que lélévation et lhomogénéisation de la rente dans les terres aménagées entraîne une différenciation croissante entre celles-ci et les terres non aménagées, lesquelles sont de facto exclues de lespace agricole par le trop bas niveau de leur rente. En outre, défricher de nouvelles terres devient de plus en plus difficile, à léchelle de lentrepreneur individuel, parce quil faudrait, pour que lopération soit rentable, y investir dun coup léquivalent du capital accumulé collectivement en plusieurs siècles dans les terres aménagées. Il en résulte un freinage de plus en plus sévère de lextension des terres cultivées. Ce goulet ne peut être enfreint que par des décisions politiques spectaculaires et de considérables investissements publics, comme la montré la tardive colonisation de Hokkaidô. Le « développement par le dedans » du système de la rizière japonaise na pas seulement permis très tôt des rendements élevés dès le Ve siècle de lordre de ceux du Brésil vers la fin du XXe, et de ceux de lInde dès le XVIIIe; il a même été, grâce à la réforme de limpôt foncier, à la base du décollement industriel du Japon de Meiji. Or si lon se tourne vers le système de la rizière javanaise, tout en constatant des tendances fort analogues, on aboutit en résultante non point au développement, mais à ce que Clifford GEERTZ, dans une étude qui a fait date, a qualifié d«involution agricole» Linvolution agricole (agricultural involution) est une notion créée dans les années trente par lanthropologue américain Alexander GOLDENWEISER, lequel y voyait la complication interne dun modèle qui globalement ne change pas. GEERTZ la redéfinit comme le passage en surmultipliée (overdriving) dune forme établie, en sorte quelle se rigidifie par surélaboration de ses détails vers lintérieur (inward overelaboration of détail). Toutefois, létude de GEERTZ ne démontre pas tant linvolution propre du système du sawah (le mot javanais désignant la culture intensive irriguée, dont le pôle opposé est lessartage, ladang), quelle ne montre sa perversion par la colonisation hollandaise. Le «système des cultures» (cultuurstelsel) ou «système van den Bosch», en particulier, engendra un dualisme pernicieux entre une agriculture intensive en capital (les cultures dexportation : canne à sucre, café, etc., aux mains des Hollandais), dune part, et dautre part une agriculture indigène intensive en travail, le sawah. De la sorte, les gains de productivité globaux furent moins réinvestis dans le sawah quils ne profitèrent aux plantations hollandaises. La capitalisation permise par ce système, en outre, ne devait pas engendrer une industrialisation locale, puisquelle était pompée vers la métropole. On aboutit ainsi, en ce qui concerne lIndonésie (mais pas les Pays-Bas) à ce que lon a pu qualifier d«expansion statique». GEERTZ, en comparant le système javanais au système japonais, a résumé leur contraste par une jolie formule : au Japon, «plus cest la même chose, plus ça change», tandis quà Java, «plus ça change, plus cest la même chose» ; car le Japon avait et garda, tandis que Java eut et perdit, une économie intégrée. Par quoi lon saperçoit que les motifs écouménaux, telle la rizière, nont dhistoire que dans la mesure où un certain foyer, dans une certaine cité, leur donne sens.
F. LÉCOSYMBOLE DU JARDIN Lenfant qui joue au jardin sait par instinct ce quil doit faire : un monde, le sien. Comme, dans le Timée le Démiurge et son kosmos. Au jardin dImintanout, qui déjà pourtant était un monde, jai ainsi construit des villes, creusé des mers et entretenu des réseaux routiers ; non sans la société de mes surs et de mes frères, parfois public, parfois main-duvre; ni sans les neiges du Haut-Atlas, en arrière, par une cluse doù venait la vie de ce jardin[21]. Comme à Anthwerrke; mais aussi, comme par toute la Terre, pour autant quy existent des enfants de lespèce humaine. Il y faut peu détendue, mais il y a là beaucoup despace : un espace démesurable[22]. Le jardin, en effet, manifeste notre médiance en la démesurant aux libres échelles de limaginaire. Symbolisant ainsi le déploiement de lécoumène, il nous assure de notre humanité. Comme en effet lécoumène, quil rapporte par le symbole à nos gestes immédiats, le jardin est le théâtre dun jeu déchelles Dans lespace, dabord. Le jardin, nous dit la langue avestique[23], est la nature enclose (pairie daeza). Enclore, telle est aussi lidée quexprime la racine indo-européenne gher-, doù sont venus le français jardin, lespagnol huerto, lallemand Garten, etc. Gher- comporte également lidée de saisir, dempoigner; doù sont venus les mots grecs cheir (main) et choros (danse dans une enceinte), qui a donné le français chur (BERQUE pense ici au rôle cosmogénétique de la place de danse mélanésienne, découverte dans luvre de Joël Bonnemaison). Ainsi, le jardin saisit la nature immense et la fait tenir dans son enclos, par un jeu déchelles qui va de lunivers à une main denfant (voire à un grain de moutarde, comme on dit en Chine), et inversement : de la main dun enfant à lunivers. Et cette nature est vivante, à la différence des images ou des cartes, qui nen sont que leffigie. Lart du jardin est en effet aussi chorégraphie des rythmes de la nature, du liseron qui souvre au matin jusquau cèdre séculaire, en passant par le cycle des saisons. Les échelles despace et de temps qui sy enchevêtrent composent ainsi une cosmologie : un rapport entre des mondes, qui emboîtent les uns dans les autres leurs étendues et leurs durées. Par exemple : Porte de lAtlas, Imintanout, sur litinéraire qui va de Marrakech à Agadir par le Tizi Maachou, est à mi-chemin entre ce quon appelle en géographie une huerta et une oasis...Le jardin lui-même, huerto dans la huerta, rassemblait diverses essences parmi les oliviers, pins, eucalyptus, palmiers, orangers et mandariniers, abricotiers, voire un pommier... Le Maroc a aujourdhui des forêts entières deucalyptus, mais à lépoque, au pied de lOurgouz, il ny en avait guère que dans ce jardin, celui du hakim (le « contrôleur civil » de cette circonscription, dans le langage de la métropole). Le dernier étage dans cette cosmologie, cétaient les routes : lespace le plus démesurable. Il nen reste rien. Devenu bourg détape sur une route nationale, Imintanout a grandi aussi. Mont pelé jadis, lOurgouz est vert aujourdhui, des arbres que planta le hakim. En arrière, le Ras Moulay Ali, lui, demeure tel quen lui-même ; à notre échelle de temps, cest le propre des montagnes : Guo po shan he zai[24] Périssent les nations, fleuves et montagnes sont là. Au jardin dImintanout, la cosmologie nétait quimplicite; mais composer une cosmologie, les créateurs de jardins lont souvent érigé en principe Un simple détail suffit du reste pour embrayer le lieu où lon se trouve à lunivers. Ainsi à Bourges, au jardin des Prés Fichaux, qui fut réalisé en 1930 sur les plans de Paul Marguerita : dans un parterre de fleurs à un croisement dallées, un cadran solaire saccompagne dun bas relief représentant un berger avec ses moutons. Cest renvoyer doublement à lordre cosmique et à lhistoire de la campagne berrichonne. Voilà qui aide à vous situer ! Mais le motif quexalte ici un jardin public, les jardins familiaux des marais de lYèvre[25], non loin de là, en montrent bien la pulsion inconsciente : avoir prise sur un bout de terre, y composer le travail humain avec la nature, cest bien lessence de la relation écouménale. Un concentré de médiance. Aussi bien, télescoper sur un lopin, corps animal et corps médial, quel outil de contrôle social[26]! Les patrons anglais du XIXe siècle en savaient quelque chose, qui inventèrent le jardin ouvrier.. même sils ne pensaient guère en termes découmène ! Suivant les cultures, lart du jardin rendra la médiance qui le fonde par des formes diverses. [Par exemple, dans la Chine des Tang, la capitale, Changan, avait des formes orthogonales; mais ses jardins, eux, inspirés par la peinture de paysage, avaient des formes systématiquement irrégulières. Dans la Perse des Séfévides, au contraire, cest la ville qui était irrégulière, tandis que le jardin était orthogonal : un axe majeur et un axe mineur, perpendiculaires, délimitant quatre compartiments. Lon a même vu permuter ce couple, dans un changement déchelle démiurgique, lors de la construction dIspahan]. Dans quelques cas célèbres, le jardin, comme « concentré de lécoumène », a tout simplement reproduit, à petite échelle, certains motifs du monde placé sous lautorité dun souverain Telle fut la Villa Adriana, la résidence dHadrien (r. 117-138) à Tibur, aujourdhui Tivoli, près de Rome. Lempereur y fit représenter les lieux quil avait le plus appréciés au cours de ses multiples voyages, par exemple la Fontaine de Canope, évoquant lembouchure canopique du Nil[27]. Telle fat également la villa dété de Kangxi (c. 1662-1722) à Chengde, dans le nord du Hebei. De telles reproductions restent exceptionnelles; et du reste, elles noffrent pas la version la plus élaborée du principe écouménal qui est mis en uvre dans les jardins Ce principe fondateur de lécoumène, cest « len-tant-que » selon lequel, la logique intrinsèque de la chose (lgS), embraye à la logique de ce que la chose est pour nous (lgP). Tous les jardins en sont peu ou prou la métaphore, ou plus exactement lécosymbole, car la végétation là-dedans reste pour lessentiel, qui est sa vie, soumise à lordre écologique (lgS). Cependant, beaucoup dentre eux sont allés plus loin; ils ont systématisé cet « en-tant-que », voire, comme au Japon, lont explicitement mis en uvre, sous le nom de mitate (mot à mot « instituer par le regard », autrement dit voir en tant que). À Tibur ou à Chengde, le travail poétique de len- tant-que se borne au degré minimal : à la taille et à quelques adaptations près, la forme reste dans le domaine qui est le sien. Le temple tibétain de Chengde, en plus petit, nest quun temple tibétain. Cela relève tout juste de licône[28], pour ne pas dire de la maquette. En revanche, dans les jardins paysagers de lEurope du XVIIIe siècle, ainsi à Ermenonville, lélaboration est à deux degrés, jouant ainsi sur trois domaines ontologiques Non seulement la forme de ces jardins renvoie aux peintures de paysage des Poussin, Lorrain ou Rosa, mais celles-ci traduisent un modèle littéraire antique, celui de la poésie bucolique dHorace ou de Virgile. Comme lécrit à ce sujet Jean-Louis HAQUETTE, « le paysage est tissé de littérature ». Du jardin au tableau, de celui-ci au poème, il faut un double décodage ; et le plaisir du visiteur se nourrit justement de ce passage dune dimension à lautre; car il participe ainsi au carmen mundi, au poème de monde quest le jardin. Il goûte ainsi, sans le savoir, à lessence même du déploiement écouménal, qui est une trajection. Ce sont les grands jardins promenades de lépoque dEdo[29] qui ont poussé au plus au degré la mise en uvre du principe de trajection Sy divertiront ceux qui sauront le lire [mot à mot : qui peuvent se divertir par cette voie]. Le jardin, ce sont les six genres de la poésie, à laquelle fin il comporte, parmi ses motifs, quatre-vingts évocations de lieux ou de scènes célèbres dans lhistoire de la poésie japonaise. Ces motifs sont appelés kyô, lecture japonaise du sinogramme jing, lequel se lit également sakai et signifie : limite, frontière, région, zone liminale dun état de chose à un autre. Kyô correspond ici à ce que lon appelle plus ordinairement mitate (voir en tant que) ou, plus généralement encore, meisho (lieu renommé)[30]. Cet usage de kyô révèle la nature profonde des mitate ou des meisho ; à savoir que ce sont des passages de la forme matérielle à la sémiosphère, des déclencheurs systématiques de la «tension vers le spirituel ». Ajoutons que ces kyô rapportent à léchelle dun jardin, à partir de la littérature, un territoire imaginaire que la littérature elle-même, dans les siècles précédents, avait construit en élaborant une poétique des meisho à partir du territoire réel. ★ Le kyô, cette frontière équivoque entre le matériel et limmatériel, nest autre que le symbole des prises que, par notre médiance, nous avons sur la réalité de lécoumène. Comme ces prises, il est porteur dun sens, que sa fonction est justement de déployer, de démesurer. De ce fait, entre lici du jardin et lailleurs où il nous emmène, il donne à sentir, comme à portée de main, le moment structurel de lexistence humaine.
[1] Dans ÉCOUMÈNE, Introduction à létude des milieux humains, édition Belin Poche, juin 2010, p.187 sq. [2] Le feng shui qui signifie littéralement « le vent et l'eau ») est un art millénaire d'origine chinoise qui a pour but d'harmoniser l'énergie environnementale d'un lieu de manière à favoriser la santé, le bien-être et la prospérité de ses occupants. En Chine, on l'appelle généralement la discipline fēng shuǐ xué (« étude du vent et de l'eau »). Cet art vise à agencer les habitations en fonction des flux visibles (les cours d'eau) et invisibles (les vents) pour obtenir un équilibre des forces et une circulation de l'énergie. Il s'agit de l'un des arts taoïstes, au même titre que la médecine traditionnelle chinoise ou l'acupuncture, avec lesquelles il partage un tronc commun de connaissances. [3] Image de l« île qui subsiste quand il ny a plus de mer ». [4] Jean DUBOIS et al..,Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse 1994, , p. 264, art. « langage ». [5] Touchant la représentation, toute une série de nouveaux problèmes peuvent alors se poser, mais du point de vue écouménal, ont nécessairement pour assises les trois premiers aspects du sens. [6] Ce concept et sa définition apparaissent dans la première ligne de Fûdo, livre de WATSUJI, traduit par BERQUE. Fûdo est un mot composé de deux sinogrammes « vent » et « terre » qui signifie lensemble des caractères dune contrée, plutôt du point de vue physique (relief, climat, hydrologie, etc.), mais quelquefois aussi du point de vue social, cest-à-dire comprenant les us et coutumes de cette contrée. Ainsi fûdosei conceptualise-t-il cet ensemble de caractères. On pourrait dire quil sagit de lidiosyncrasie de la contrée en question. Le point essentiel est que cette idiosyncrasie suppose le regard des habitants de la contrée sur les phénomènes de leur environnement. Ils les ressentent, les interprètent et les vivent dune certaine manière. Cest cela quil sagit dappréhender , ce qui suppose , de même que la mondanité (Weltlichkeit) heideggerienne, une méthode herméneutique. Cette démarche diffère radicalement de celle du naturalisme, qui considère du dehors des objets mesurables ; là, il sagit au contraire de saisir par le dedans comment cela peut faire sens, et de caractériser ce sens. Voilà ce que WATSUJI exprime en distinguant les milieux humains des milieux naturels. [7] Historien du culturel, philosophe japonais (1889-1960). Nommé lecteur à lUniversité Tōyō en 1920, il devient professeur assistant à lUniversité impériale de Kyoto en 1925. Il est promu professeur six ans plus tard. Entre 1927 et 1928, il séjourne en Allemagne où il découvre HEIDEGGER. Les principaux travaux de WATSUJI portent sur léthique, la société et les arts au Japon. Il tenta dintégrer les apports de la philosophie occidentale au sein dune éthique japonaise moderne. En français, le seul livre de WATSUJI disponible est Fūdo, le milieu humain (CNRS, 2011), traduit et commenté par Augustin Berque. [8] Nous avons avec les choses un rapport bien plus complexe et plus mouvant que la simpliste dualité sujet/öbjet. (148) Lontologie des choses force à admettre que le mode écouménal de lêtre cest-à-dire tout bonnement la réalité ne relève ni proprement de lobjectif, ni proprement du subjectif. Ce mode, BERQUE lappelle la trajectivité. Lêtre du crayon est trajectif, comme lest celui de toutes les choses de lécoumène. Cela veut dire quil chevauche le subjectif et lobjectif,et quil excède son lieu matériel, tout en le supposant nécessairement. De même, le milieu est à la fois matériel et immatériel, subjectif et objectif ; et telle va lécoumène dans son ensemble. Ce nest pas tout ; car dans lécoumène, le présent nest rien sans le passé, ni sans lavenir ? Si, à linstant présent mon crayon me « renvoie » aux forêts de Scandinavie que par un transfert symbolique (dans la sémiosphère ou dans la noosphère), avant cela, nécessairement a eu lieu la chaîne de transferts matériels par laquelle un bout de sapin scandinave sest finalement retouvé crayon sur mon bureau . Dautre part, ce crayon , je sais déjà que sa mine va suser, quil va raccourcir et finir un jour dans la corbeille, etc..Tel est le trajet de lexistence du crayon ; et cest en cela quil est trajectif. [9] Leibniz, en effet, sopposait à lidée newtonienne despace et de temps absolus. Pour lui, lespace nétait rien de plus que lordre de coexistence des corps et le temps que lordre de la succession des choses et des évènements. [10] KOYRÉ, Du monde clos à lunivers infini, Gallimard 1973, p.315. [11] Paul VIDAL de la BLACHE, « Principes de géographie humaine », Paris, Utz, 1995. [12] Lucien FEBVRE, « La terre et lévolution humaine », La Renaissance du Livre, 1922. [13] Un surfeur de gros se définit comme quelquun pour qui les vagues ne commencent à être inté»ressantes quau-dessus de vingt pieds. [14] James J. GIBSON, The ecological approach to visual perception, Boston, Houghton,Mifflin, 1979. [15] Le terme vient en effet de phuô, pousser, croître comme le font les plantes. Les Romains, qui ne possédaient pas la notion, traduisirent quelques siècles plus tard le mot grec par natura, participe futur du verbe nasci, naître. [16] Dans nos squares de banlieue, « nuit grave » (de : « le tabac nuit gravement à notre santé) signifie une cigarette. [17] Cest le cas damnitas locorum (le charme des lieux) et damnia (lieux charmeurs). Par ailleurs, à la suite de lart hellénistique, les Romains ont peint des choses que nous appellerions, nous, des paysages ; ainsi, à Pompéi, la célèbre fresque Ulysse chez les Lestrygons. En se référant à lart des jardins, ils appelaient cela « uvres topiaires », topiaria opéra, ou simplement topia. Vitruve (De architectura VII, 5, 2) parle ainsi à ce sujet des Ulixis errationes per topia, ce quil semble difficile de traduire autrement que « les errances dUlysse dans les paysages. [18] Les topia en question, ce sont des motifs picturaux. Le mot est en effet pluriel (le singulier topion, ou topium nexiste apparemment ni en grec ni en latin). En outre, ce nest pas un synonyme damnia. Ces deux faits indiquent labsence dun concept de paysage qui eût à la fois intégré les topia dans un ensemble, et assimilé les topia aux amnia. Cest cette unification qui, en revanche, sest produite à la Renaissance, et qui a justement exigé la création dune nouvelle terminologie.
[19] Tels les Sept Sages de la Bambousaie, Zhulin Qixian, dont la tradition rapporte que, «profondément liés, ils fuyaient le monde et samusaient dans la Forêt de Bambous» . Du plus célèbre dentre eux, le poète Ruan Ji (210- 265), on dit quil «parcourait les montagnes boisées pendant des journées entières sans retourner chez lui». Dans le Lanting ji (Recueil de Lanting) sont rassemblés les poèmes que quarante-deux lettrés écrivirent à loccasion dune cérémonie lustrale, le 22 avril 353, au Pavillon des Orchidées (LanTing), villa que le calligraphe Wang Xizhi (303 ?-379?) possédait aux environs de lactuel Shaoxing (dans le Zhejiang). [20] Dire « mouvance », selon les précisions dAugustin Berque (141), évoque à la fois lappartenance et la mobilité. Le premier sens nous vient du vocabulaire féodal, où le mot pouvait sentendre soit comme la dépendance dun fief à légard du domaine éminent dont il relevance (mouvance passive), soit comme la domination de celui-ci sur celui-là (mouvance active). Le deuxième sens dit le caractère de ce qui est mouvant, cest-à-dire qui se meut, change, évolue.
[21] En langue berbère, le toponyme imi n tanout signifie : petite source. [22] Lincommensurable végétal suggéré en posant une biche et quelques nains sur une pelouse (Räumung heideggerienne). [23] L'avestique, jadis appelée zend, est une langue iranienne ancienne et celle de l'ancien livre sacré des zoroastriens, l'Avesta ; ce texte présente nombre de similitudes avec les textes védiques indiens du Rig-Véda, car les Indiens et les Iraniens sont issus des mêmes souches culturelles et religieuses. [24] Premier vers, devenu proverbe dans toute lAsie orientale, dun poème de DU FU (712-770), poème qui a été reproduit par François CHENG en 1977. [25] L'Yèvre est une rivière qui coule dans le département du Cher et qui se jette en rive droite dans le Cher à Vierzon. [26] Le contrôle social qui est nécessairement lié à lexistence humaine, se situe quelque part entre la socialisation (nécessaire) et la coercition (détestable). [27] Le Canope est l'une des plus importantes parties du vaste ensemble d'édifices que l'empereur Hadrien fit construire vers l'an 130 à Tibur et dont les ruines portent encore le nom devilla Hadrienne. Destiné à rappeler à l'empereur les fêtes qu'il avait vu célébrer en l'honneur de Sérapis dans la ville égyptienne de Canope (ci-dessous), près l'embouchure du Nil, cette partie de la villa, placée entre les Thermes et l'Académie, comprenait un long canal artificiel, alimenté par des sources, entouré de portiques et de chambres de repos, et à l'extrémité méridionale duquel s'élevait un grand édifice, à la fois temple et château d'eau et décoré de niches dont les statues, retrouvées en 1744, forment une salle spéciale au musée du Capitole. D'une niche immense placée au fond de l'édifice jaillissaient de nombreuses cascades, et des marbres, des mosaïques et des peintures ornaient cette partie, l'une des plus riches de la villa d'Hadrien. (Ch. L.). [28] Dans la terminologie de Pierce, licône se définit par un rapport de ressemblance (ex. un portrait), lindice par un rapport de contiguité (ex. la fumée par rapport au feu) et le symbole par un rapport purement conventionnel. [29] L'époque d'Edo ou période Tokugawa est la subdivision traditionnelle de l'histoire du Japon qui commence vers 1600, avec la prise de pouvoir deTokugawa Ieyasu lors de la bataille de Sekigahara, et se termine vers 1868 avec la restauration Meiji. Elle est dominée par le shogunat Tokugawa ( dynastie de shoguns qui dirigèrent le Japon de 1603 à 1867). dont Edo (ancien nom de Tokyo) est la capitale. [30] Le meisho relève en principe du territoire grandeur nature, et le jardin nen contient que le mitate ; mais il nest pas rare que celui-ci soit également dit meisho, à la fois parce quon lidentifie à ce quil évoque, et parce que lui-même est devenu un lieu fameux !
Date de création : 11/10/2015 @ 17:58 Réactions à cet article
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