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Sociologie - Crise de la transmission (1)



LA CRISE DE LA TRANSMISSION (1)
 
LE PARTI PRIS DES CENSEURS DE LA TRANSMISSION
 
Selon François-Xavier BELLAMY[1], la dissolution de la culture qui est ici en cause, « est née de la culture elle-même ; et la crise de la transmission qui la caractérise est le résultat, non un accident conjoncturel, mais d’une critique très profonde, dont la généalogie s’étend sur plusieurs siècles. Il suffit, pour s’en rendre compte de prendre le temps d’un rapide retour en arrière. Rechercher les traces de cet effort critique, c’est mesurer l’ampleur de ce qui est en jeu dans la crise qu’il suscite.
Toute la civilisation occidentale est conduite par la modernité jusqu’au point de rupture, dont nous observons aujourd’hui, dans les débats les plus actuels, la proximité concrète. »
F. X. BELLAMY a tenté d’isoler trois moments importants de cette critique de la transmission par la modernité,non sans avoir fait deux remarques préalables :
– s’agissant de transmission, il n’est pas question pour lui de revenir sur l’histoire de la pédagogie, ni sur la discussion des méthodes éducatives à proprement parler. Il a plutôt tenté de dégager des travaux qu’il a isolés, une vérité fondamentale de la culture et de l’éducation ; et c’est à ce même niveau, que dans une seconde partie, il tente de situer sa réponse.
– de la généalogie, qu’il a ici esquissée, il faut comprendre qu’elle ne puisse être que très schématique. En choisissant de citer seulement trois auteurs qui lui ont semblé emblématiquesde cette critique radicale de la transmission, telle qu’elle se déploie dans la pensée occidentale depuis plusieurs siècles. 
Selon lui, « elle permet déjà de poser un constat clair : la crise de la culture – de l’éducation, de la famille, des autorités traditionnellement investies de la responsabilité de la transmission,
– n’est pas un échec, contrairement à ce que nous pourrions penser superficiellement ;
– mais elle est au contraire le résultat d’un travail réfléchi, durable, explicite. La position actuelle de l’école, et de l’autorité éducative en général, marque l’accomplissement d’une vision mûrie depuis longtemps, et dont on peut trouver la trace chez trois auteursmajeurs de notre histoire, DESCARTES, ROUSSEAU et BOURDIEU. »
 
I/ DESCARTES 
LA TRANSMISSION CONTRAINT À UNE
RECONSTRUCTION PERSONNELLE
 
Révolution scientifique
 
Le premier moment de cette révolution souterraine intervient au beau milieu de la révolution scientifique qui marque le XVIIe siècle.
Nous sommes en 1634, René Descartes a trente-huit ans ; il s’est retiré en Hollande depuis quelques années, après une vie d’érudit aventureux et de voyageur infatigable.
Mathématicien, physicien, astronome, moraliste, ingénieur et soldat dans diverses armées. Descartes a touché à tout ce vers quoi son insatiable curiosité le portait. Après de brillantes études au Collège royal de La Flèche, puis à la faculté de droit de Poitiers, il a publié une dizaine d’ouvrages et d’études en latin, qui traitent de musique, d’escrime, de physique des solides, d’optique ou de théologie. Ces premiers essais, reflets de son esprit vif et ouvert, ont contribué à asseoir sa réputation dans les cercles savants des villes où ses pérégrinationsincessantes l’ont conduit : en Hollande, en Allemagne, en Italie puis en France et de nouveau dans les pays nordiques, en Suède ou au Danemark…Il gardera longtemps des relations soutenues avec Beeckman physicien hollandais de renom, ou le père Mersenne, véritable pivot de la vie intellectuelle parisienne. Il ne cesse de se déplacer d’une ville à l’autre, tout en travaillant à une réforme de la notation mathématique et à un recueil d’observations anatomiques. Il prépare également un Traité du monde et de la lumière. Mais au milieu de l’année 1633, un évènement avait transformé en profondeur l’orientation de ses travaux : il venait d’apprendre par Beeckman la nouvelle de la condamnation de Galilée par le Saint-Office. Le célèbre partisan de l’héliocentrisme, ami du pape Urbain VIII, avait réussi à rallier à sa théorie une grande partie de la Cour pontificale, et l’Église avait d’ailleurs expressément autorisé l’exposition du système copernicien comme méthode de calcul astronomique […] Le pape qui avait préalablement demandé à Galilée de rédiger un texte présentant loyalement les deux théories en présence, ce dernier, dans le Dialogue sur les deux plus grands systèmes du monde,choisit de présenterle géocentrisme de Ptolémée et l’héliocentrisme de Galilée en la personne d’un piètre orateur, nommé Simplicius,qui se faisait constamment ridiculiser par ses deux interlocuteurs. C’est le caractère affirmatif et polémique de l’ouvrage qui valut à Galilée d’être condamné par l’autorité ecclésiastique, le 22 juin 1633.
C’est en septembreseulement que Descartes avait appris la condamnation. Sa réaction fut ambivalente. S’il renonçait par prudence à publier son propre Traité du monde et de la lumière, dans lequel il soutenait une thèse héliocentrique proche de celle de Galilée, il ne considérait pas pourtantque ce dernier eût suivi la meilleure voie. En s’enfermant dans sa querelle, en usant des moyens sophistiqués de la scolastique et en abusant des facilités de la rhétorique, l’astronome pisan avait glissé loin de la rigueur propre à la science et avait rendu sa propre doctrine vulnérable. Pour Descartes, une vérité scientifique devait s’imposer par une forme d’évidence rationnelle. Et c’était là le défi principal qui lui semblait devoir être maintenant relevé : échafauder la meilleure méthode, le chemin le plus sûr, pur obtenir un savoir qui soit certain et indubitable.
Descartes ne publiera donc pas son Traité du monde et de la lumière, il va simplement en diffuser trois extraits, la Dioptrique, les Météores et la Géométrie, en les faisant précéder d’un texte introductif intitulé Discours de la méthode (1637). Bientôt ce Discours sera édité à part, et il deviendra beaucoup plus célèbre que les travaux auxquels il devait servir de préface. Le Discours de la méthodeest le premier évènement d’une révolution dont les conséquences seront immenses.
 
L’individu, unique auteur du savoir
 
On a reconnu dans l’itinéraire de Descartes, l’amorce du projet qui le conduira aux Méditations métaphysiques (1641). Muni de la méthode qu’il a mise au point dans le Discours, le bon élève repenti qu’il était, décide une fois pour toutes de faire le tri dans l’ensemble des opinions qu’il a « reçues en [sa] créance ».
Dans la première Méditation, Descartes se propose d’user, pour opérer une sélection rigoureuse dans ses opinions, d’un outil qu’il reconnaît être peu banal, celui que la tradition a baptisé « doute hyperbolique ». Le principe en est très simple : il s’agit de considérer comme faux tout ce dont il est au moins possible de douter, quelque improbable que soit ce doute. Ainsi aurons-nous une chance d’évacuer définitivement les résidus de la transmission dont nous avons été victimes et de tout recommencer depuis le début, aussi bien que si nous n’avions jamais subi la déformation de l’école. C’est d’ailleurs par le constat renouvelé de la tragédie théorique que constitue l’éducation que commencent les Méditations :
 
« Ce n’est pas d’aujourd’hui que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j’ai reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j’ai depuis fondé sur des principes si mal assurés ne saurait être que douteux et fort incertain ; et dès lors, j’ai bien jugé qu’il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j’avais reçues auparavant en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences[…] Maintenant donc que mon esprit est libre de tous soins, et que je me suis procuré un repos assuré dans une paisible solitude, je m’appliquerai sérieusement et avec liberté à détruire généralement toutes mes anciennes opinions. »
 
Le problème de « mes anciennes opinions », c’est précisément qu’elles ne sont pas les miennes, en réalité. Elles sont le dépôt des aléas de l’histoire et de la coutume, le résultat des hésitations et des turbulences de la culture. Aussi faut-il en reprendre les « fondements ».
Descartes retrouve ici la métaphore architecturale qu’il développait dans la seconde partie du Discours de la méthode.
 
« Je m’avisai de considérer que souvent il n’y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces et faits de la main de plusieurs maîtres, qu’en ceux auxquels un seul a travaillé. Ainsi voit-on que les bâtiments qu’un seul architecte a entrepris et achevés, ont coutume d’être plus beaux et mieux ordonnés que ceux que plusieurs ont tâché de raccommoder, en faisant intervenir de vieilles murailles qui avaient été bâties à d’autres fins.
À voir comme ils sont arrangés, ici un grand, là un petit, et comme ils rendent les rues courbées et inégales, on dirait que c’est plutôt la fortune que la volonté de quelques hommes usant de la raison qui les a ainsi disposés. »
 
Plutôt que de maintenir sur pied les murs mal assurés de la culture, mieux vaut encore les détruire pour bâtir sur de nouvelles bases, une « maison » entièrement refondée. Ainsi Descartes est-il plus révolutionnaire que Galilée ; ce qu’il reproche à ce dernier, c’est justement d’avoir cherché à installer son système dans le paysage de la controverse scolastique, plutôt qu’à procéder à la refondation théorique qu’il supposait.
F. X. BELLAMY remarque au passage que, quoiqu’il s’en défende, ce n’est pas seulement sa propre « maison » que Descartes renverse ici mais bien le fondement théorique de la civilisation de son temps. Dans l’ordre du savoir, comme dans celui de la politique et de la morale, l’autorité de la tradition est, à l’âge classique, universellement reconnue. C’est sur la force de la coutume que s’appuie l’ordre établi, qui trouve dans le poids de l’histoire et de l’acceptation générale, dans ce que les anciens appelaientle mos majorum, l’argument ultime qui justifie son bien-fondé. Descartes inverse ici la perspective établie par Aristote : dans les Politiques
Le philosophe affirmait que, la droite raison étant partagée par tous les hommes, il y avait plus de chances, en cas de désaccord, que beaucoup d’hommes soient du côté du vrai plutôt que peu. Le collectif tend vers la vérité plus que l’individu isolé. C’est cette idée que Descartes inverse totalement, en se saisissant d’ailleurs du même point de départ, puisque le Discours de la méthode commence par affirmer que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». 
Pour Descartes, un homme seul a plus de chances d’arriver à construire son savoir avec exactitude. Le projet cartésien se veut individuel : je détruis en moi-même les sédiments de la tradition, pour les remplacer par l’œuvre ordonnée de la raison. Cette idée porte d’emblée sa force révolutionnaire, au sens propre du terme. Un siècle plus tard, c’est dans l’élan du cartésianisme que les Lumières contesteront à la tradition, à l’autorité, aux « préjugés », leur validité autoproclamée. Le projet solitaire de Descartes ne comporte pas qu’une maison, il ébranle la cité tout entière ; la res novædans la connaissance, la révolution théorique, précède la révolution politique.
Si le seul savoir authentique est celui que l’individu construit par lui-même, le rôle de l’éducateur s’en trouve profondément renversé. Son travail, à l’image de ce que Descartes cherche à faire en écrivant, ne sera pas de transmettre une connaissance qui ne saurait être qu’une opinion de plus dans le concert désaccordé de l’incertitude universelle. Il aura au contraire pour mission de proposer une méthode pour aider celui qui subit l’éducation à conserver sa raison naturelleafin de pouvoir, devenu adulte, réitérer l’expérience nécessairement solitaire de la fondation du savoir. L’enseignant, comme tout éducateur (Descartes ne mentionne jamais les parents), ne saurait donc imposer aucun contenu de connaissance à l’enfant, mais seulement à lui enseigner le travail du doute, ou ce que notre pédagogie appelle « l’esprit critique ». Apprendre à douter, plutôt qu’à croire ; à se méfier, plutôt qu’adhérer ; à détruire pour devenir l’auteur de sa propre construction, plutôt que de conserver ce que d’autres ont pu bâtir avant nous. Le cartésianisme inaugure l’être de la tabula rasa. L’école idéale devait être le premier lieu de la déconstruction, conçue comme un gage de liberté dans la recherche de la vérité et comme la possibilité maintenue pour l’enfant d’être vraiment lui-même, de disposer de ses propres connaissances.
 
Que devient la culture ?
 
Elle est cause que l’homme devient étranger à lui-même, qu’il n’est pas le même selon le lieu du monde où il vit et les coutumes qu’il adopte. Aussi devient-il urgent d’assigner pour mission au maître de ne plus transmettre sa culture, ses connaissances, fussent-elles vraies ; mais seulement la méthodeuniverselle qui permettra à l’enfant de développer sa propre raison, ce qui le prémunira d’adopter des opinions qu’il n’a pas choisies ni examinées. Descartes ne déroge d’ailleurs pas à l’esprit qu’il expose ainsi, en présentant son travail, à la fin du Discours de la méthode, comme le point de départ d’un itinéraire solitaire. Je ne veux pas, dit-il, vous communiquer mes idées, mais seulement vous montrer la méthode que j’ai suivie : 
….D’autant [qu’ils] auraient bien moins de plaisir à l’apprendrede moi que d’eux-mêmes ; outre que l’habitude qu’ils acquerronten cherchant […] leur servira plus que mes instructions pourraient le faire. Comme, pour moi, je me persuadeque, si on m’avait enseigné, dès ma jeunesse, toutes les vérités dont j’ai cherché depuis les démonstrations, et que je n’eusse eu aucune peine à les apprendre, je n’en aurais peut-être jamais su aucunes autres, et du moins que jamais je n’en aurais acquis l’habitude et la facilité, que je pense avoir, d’en trouvertoujours de nouvelles, à mesure que je m’applique à les chercher.
 
Tout est dit, quand bien même l’école m’aurait enseigné des vérités démontrées et établies avec certitude, elle aurait commis une faute en m’empêchant de les trouver par moi-même. La transmission est un abus de faiblesse : profitant du fait que la raison de l’enfant n’est pas encore assez formée pour examiner avec soin les opinions qu’on lui propose, nous lui appliquons de l’extérieur, en la maintenant passive un certain état de notre culture. Même si nous ne lui transmettons que des vérités certaines, cette passivité même le maintiendra dans un état de sujétion qui lui ôtera pour toujours la capacité de poursuivre sa propre recherche, s’il ne passe pas par la purgation salutaire du doute radical. Dans sa liberté tout homme doit choisir entre deux positions, celle de l’arbre ou celle du lierre. Ceux qui reçoivent leur savoir d’autres qu’eux-mêmes sont
 
…comme le lierre, qui ne tend point à monter plus haut que les arbres qui le soutiennent, et même souvent qui redescend, après qu’il est parvenu jusques à leur faîte ; car il me semble aussi que ceux-là redescendent, c’est-à-dire se rendent en quelque façon moins savants que s’ils s’abstenaient d’étudier.
 
Mieux vaudraitencore ne rien savoir plutôt que d’avoir des connaissances que nous ayons simplement reçues. Cette idée revient en permanence chez Descartes : il vaut mieux n’avoir que très peu d’idées qui soient vraies et dont nous connaissons le fondement, plutôt que d’en avoir beaucoup et qui soient incertaines. « Je me résolus d’aller si lentement, écrit Descartes, et d’user de tant de circonspection en toutes choses que, si je n’avançais que fort peu, je me garderais bien, au moins, de tomber. »
En reprenant la comparaison végétale :
 
Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,
Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être ; mais tout seul !
 
Tout seul. L’unique connaissance légitime est celle qui est construite et attestée par l’individu connaissant, « ajustée au niveau de [sa] raison ». Tout autre connaissance encombre, pollue, dévie notre raison. Descartes illustre d’ailleurs cette idée en publiant le Discours de la méthode en français, langue du peuple, plutôt qu’en latin, utilisé par les savants et les universitaires. C’est le premier traité de philosophie qui soit édité en langue vulgaire. C’est que, explique-t-il, son œuvre sera mieux comprise par ceux dont la raison n’a pas été obscurcie par la culture et les livres. 
 
L’école, tragédie de l’homme moderne
 
Ainsi F. X. BELLAMY voit-il apparaître peu à peu la figure de l’homme cartésien, qui demeure sa figure de référence. Plus qu’aucun autre, selon lui, Descartes aura contribué à dessiner les grands traits de la modernité, au point que son travail structure implicitement notre conscience collective d’une façon absolue et indiscutable. Passé par la crise du doute qu’il a transformée en méthode, l’homme moderne a révoqué définitivement tout héritage ; il ne veut rien recevoir du passé. Pour être libre, il veut être l’auteur de lui-même. Pour posséder la certitude absolue, à laquelle, en fait, il tient presque plus qu’à la vérité, il veut être le seul juge et créateur de son savoir. Les autres ne lui sont d’aucun secours, si ce n’est que pour l’exercer, l’entraîner, éprouver ses facultés.  
L’homme moderne n’a pas de père ; son drame est que « tous nous avons dû avoir été enfants avant que d’être hommes, et qu’il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs qui étaient souvent contraires les uns aux autres » ; et ce simple fait est la malédiction qu’il s’attache à réparer.
Le cartésien accompli est celui qui aurait eu immédiatement, dès sa naissance, l’usage entier de ses facultés. Nul doute que son savoir aurait été parfait, solide, clair et définitif. Mais son malheur tient dans ce laps de temps qui dure de la naissance à l’âge adulte et dans cette étrange infirmité provisoire de la raison qui s’appelle l’enfance. Dans ce temps de faiblesse et de passivité critique, l’individu a subi l’influence massive de la culture, c’est-à-dire du contenu des savoirs qui lui ont été enseignés.
Ainsi l’homme moderne a trouvé son ennemi : la transmission, la tradition (qui vient du latin tradere, qui signifie « transmettre »). Pour retrouver la « pureté » et la « solidité » de son jugement, il faut qu’il se délivre de la culture, qu’il revienne à la lumière naturelle de sa raison. Ainsi, libéré de toute autorité extérieure, il pourra devenir enfin l’auteur de lui-même.
Mais ne pourrions-nous pas imaginer en fait que la raison soit déjà parfaitement accomplie, naturellement développée chez l’enfant ? Cette idée, c’est ROUSSEAU qui va la défendre donnant ainsi, plus d’un siècle après DESCARTES, un nouveau visage à la modernité.
 
II/ ROUSSEAU
LA TRANSMISSION POLLUE L’ÉTAT NATUREL
 
L’illumination de Vincennes
 
Jamais un auteur n’aura eu, sans doute, autant d’impact sur son siècle que ROUSSEAU. Philosophe des Lumières, sa position est singulière et sa place ambiguë parmi les auteurs de sa génération. C’est dans le décalage entre le solitaire Jean-Jacques et l’optimisme rationaliste du XVIIIe siècle que va se lever le ferment d’une pensée dont la maturation ébranlera l’Occident.
Tout commence un petit matin d’octobre 1749. Âgé de trente-sept ans, Rousseau est encore inconnu du grand public ; au terme d’une vie décousue, faite de pérégrinations, d’études et de petits emplois, il s’est installé à Paris et s’est lié avec des cercles intellectuels de la capitale. Après avoir écrit un opéra, rapidement tombé dans l’oubli, il s’est attaché à proposer un nouveau système de notation musicale, tout en participant à l’Encyclopédie.
Ce matin, donc, Rousseau marche vers Vincennes pour rendre visite à son ami Denis Diderot, emprisonné pour trois mois à la suite de sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient. Sur la route, il va vivre l’ « illumination » qui constitue le véritable point de départ de sa carrière. Il racontera cet épisode à deux reprises, dans les Confessions, etdans une lettre à Malesherbes de 1762.
Lisant en chemin un exemplaire du Mercure de France, Rousseau tombe sur le sujet donné par l’académie de Dijon pour son concours annuel : « Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs. » « À l’instant de cette lecture, écrit Rousseau, je vis un autre univers et je devins un autre homme. » Une idée vient de germer en lui, ou du moins de se cristalliser : « Si jamais quelque chose a ressemblé à une inspiration subite, c’est le mouvement qui se fit en moi à cette lecture. »Cette intuition initiale sera le leitmotiv de toute son œuvre. Il l’exposera non seulement dans son Discours sur les sciences et les arts, sa réponse au sujet du concours, mais aussi dans ses œuvres philosophiques ultérieures comme il l’expliquera lui-même.
 
Tout ce que j’ai pu retenir de ces foules de grandes vérités qui dans un quart d’heure m’illuminèrent sous cet arbre a été bien faiblement épars dans les trois principaux de mes écrits, savoir ce premier discours, celui sur l’inégalité et le traité de l’éducation, lesquels trois ouvrages sont inséparables et forment ensemble un même tout.
 
Cette précision de Rousseau est précieuse, car elle permet de saisir l’unité de ces trois œuvres, unité qui a produit, dans le prolongement paradoxal des Lumières, la société que nous connaissons. Le plus simple sera donc de reprendre le principe posé par Rousseau dans ses trois premiers ouvrages pour mieux comprendre l’étendue de ses conséquences.
Le développement des sciences et des arts, ces deux versants de la culture a-t-il permis d’élever les hommes vers le bien ? Pour les Lumières, cette question de l’académie de Dijon ressemblait à une question rhétorique. L’élan du XVIIIe siècle
vers la libération des énergies de la création et de la recherche est inspiré par la certitude que la culture contient toute la formidable puissance de progrès dont l’humanité dispose. Contre le despotisme et les préjugés, contre le pouvoir étouffant et conservateur du dogme, le savoir est l’arme suprême sur lequel repose la conquête de la liberté. C’est cet optimisme rationaliste, directement inspiré par la conception révolutionnaire de DESCARTES, qui explique le projet de l’Encyclopédie, projet politique autant que scientifique. Les philosophes des Lumières croient dur comme fer que le salut viendra « des sciences et des arts, seuls capables de débarrasser les peuples de leur avilissement superstitieux ».
Au milieu de cet optimisme général, le premier Discours résonne comme un coup de tonnerre. À cette question tranchée d’avance, Rousseau apporte en effet la réponse la plus inattendue qui soit : le progrès de la civilisation affirme-t-il, a rendu l’homme à la fois mauvais et malheureux. Plus l’homme a perfectionné la culture, plus il s’est perdu en s’éloignant de sa nature.
Voilà l’idée qui, après avoir sans doute mûri en secret depuis longtemps, vient à éclore soudainement dans l’esprit de notre marcheur sur le chemin de Vincennes. Incapable d’avancer plus loin ou de différer le moment d’écrire, il s’assied sous un arbre et couche sur le papier un texte qui deviendra célèbre, la prosopopée de Fabricius. Pour expliquer son intuition soudaine, Rousseau fait parler un mort : il imagine le discours qu’aurait tenu Fabricius, un consul romain du IIIe siècle avant Jésus-Christ passé à la postérité pour sa vertu et son désintéressement, s’il avait pu revenir à Rome au temps du luxe, de la richesse et des raffinements de l’Empire :
 
Dieux ! […] que sont devenus ces toits de chaume et ces foyers rustiques qu’habitaient jadis la modération et la vertu ? […] Insensés, qu’avez-vous fait ? Vous les maîtres des nations, vous vous êtes rendus les esclaves des hommes frivoles que vous avez vaincus ? Ce sont des rhéteurs qui vous gouvernent ? […] Romains, hâtez-vous de renverser ces amphithéâtres ; brisez ces marbres ; brûlez ces tableaux ; chassez ces esclaves qui vous subjuguent et dont les funestes arts vous corrompent.
 
Dans ce discours éclate une rage destructrice dont les accents sont dignes d’un Savonarole républicain : les savants ont fait notre malheur ; les artistes nous ont pervertis. Car derrière la décadence romaine, c’est bien de son siècle dont Rousseau parle. On se passionne pour la culture, les arts, la philosophie ; on cultive le beau langage et les mœurs élégante. Mais dans cette société artificieuse et fière de ses dérisoires vanités, il n’est plus rien qui soit naturel, plus rien qui soit simple et bon. « Depuis que les savants ont commencé à paraître parmi nous, […] les gens de bien se sont éclipsés. »
Au-delà de la question particulière des sciences et des arts, on voit ici se dessiner la contradiction fondamentale que Rousseau place entre la nature et la culture. Tout progrès dans la culture nous éloigne de la nature qui est, dès le premier Discours, présentée comme la norme originelle et universelle. Dans l’accord avec la nature se trouvent la sagesse, la vertu et le bonheur. Tout ce que nous avons fait pour ajouter quelque chose à la nature, pour la cultiver, est une rupture coupable de cet équilibre initial. Par définition, nous sommes naturellement incultes ; et nous aurions dû le rester. Si nous avons perdu notre bonheur originel, c’est seulement affirme Rousseau,
 
[…] le châtiment des efforts orgueilleux que nous avons faits pour sortir de l’heureuse ignorance où la sagesse éternelle nous avait placés […] Les hommes sont pervers ; ils seraient pire encore s’ils avaient eu le malheur de naître savants.
 
Dès le premier Discours, Rousseau retourne littéralement la perspective moderne tout en la récupérant. Descartes rêvait d’un homme qui n’aurait jamais été enfant, qui serait né tout de suite avec la plénitude de sa raison. Rousseau, quant à lui, fixe pour modèleun homme qui reste toujours enfant, qui ne deviendra jamais savant ; un homme qui pourrait conserver toute sa vie la plus grande proximité avec son état naturel.Mais qu’il sache tout par lui-même ou qu’il ne sache rien, l’individu qu’ils dessinent tous deux est celui qui n’a rien reçu de ses parentsou de ses enseignants. Le point commun de ces deux versants de la modernité, et celui qui restera, c’est une condamnation irrémédiable de la transmission.
 
Rousseau et la société contemporaine
 
Cinq ans après le premier Discours, Rousseau répond à une nouvelle question du même concours et prolonge son premier essai par le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Il tente d’y reconstituer ce que pourrait être une situation de l’humanité antérieure à l’apparition d’une société, un état parfaitement naturel de l’homme. Cette description de « l’homme à l’état de nature » est inspirée par les observations des explorateurs qui, au même moment sillonnent les espaces encore largement inconnus du continent américain. De ces voyages, beaucoup rapportent des récits exotiques que l’Europe des Lumières étudie avec passion.[…] Pour notre philosophe, la description des sociétés primitives d’Amériqueest une trace de choix sur la piste de l’état de nature. Dans ces tribus, qui vivent sobrement, au contact de la nature, sans tomber dans la recherche artificielle de l’apparat et du superflu, il voit le signe d’un équilibre originel que notre civilisation a perdu depuis longtemps. Son travail va contribuer, comme celui de Diderot plus tard, à élaborer la figure hautement emblématique du « bon sauvage », encore indemne de la maladie de la culture.[…] On le voit très concrètement, toute acquisition d’un savoir technique est une perte pour la condition humaine, qui s’en trouve paradoxalement fragilisée. C’est aussi une rupture avec la nature : tant qu’il ne cherche pas à la soumettre, l’homme trouve en elle tout ce qui lui est nécessaire pour vivre, aussi bien que les animaux.[…] Rousseau prend soin de justifier cette remarque par une longue note : il y affirme que l’agriculture – la première forme anthropologique de la culture – n’augmente pas la somme des biens produits par la nature. Au contraire, « la cognée » vient épuiser les ressources d’un environnement que l’on aliène pour le dominer, quand l’homme aurait pu se satisfaire de vivre en harmonie avec la nature nourricière.
Signe de cette harmonie originelle : l’homme de l’état de nature ne connaît pas la maladie. Toutes nos pathologies, affirme Rousseau, sont le produit des prétendus progrès de notre société. Alcools divers et variés, nourritures compliquées, rythmes de vie déréglés – et nous pourrions beaucoup compléter.[…] Nous voilà donc sur la piste : sa description ressemble étonnamment à notre conception contemporaine du rapport de l’homme à la nature. […]
C’est dans les deux Discours que la classe politique et les médias de notre XXIe siècle semblent avoir puisé leurs « éléments de langage ». Dans notre conscience collective est profondément imprimée que l’homme du savoir, de la culture, est l’ennemi de la nature, qui constitue seule la clé d’un équilibre spontané, d’une harmonieessentielle et immédiate. Cet équilibre, cette harmonie, nous les avons rompuspar les maléfices de notre technologie artificieuse.[…] Nous sommes des vivants contre-nature dans la société de consommation, prêts à risquer l’extinction de toute vie pour satisfaire un désir d’avoir et de pouvoir perpétuellement frustré.Le seul responsable de notre malheur, c’est nous-mêmes, c’est notre culture, dont il faudrait nous dépouiller pour retrouver, enfin, le sens de la nature.
Tout cela, ne l’entendons-nous pas chaque jour ? Les nouveaux impératifs du développement durable ne sont certainement pas dénués de fondement ; mais de la vision du monde qui inspire un certain discours écologique, il faut savoir reconnaître les origines et les conséquences. L’une de ces origines est assurément la pensée de Rousseau, qui a contribué plus que quiconque à forger cette vision irénique de la nature et à l’ériger en principe ultime de la sagesse. Et l’une des premières conséquencesde cette conception, c’est le refus de la transmission.
 
« O douce ignorance ! »
 
Après les deux Discours qui lui ont permis de développer cette critique de la culture, il était logique que Rousseau se penche sur la question de l’éducation. C’est ce qu’il entreprendra quelques années plus tard en en rédigeant Émile ou De l’éducation, un long traité qui suscitera le scandale – il sera banni en France et en Suisse, et brûlé sur la place publique – avant de connaître un succès important et durable. Dans ce long texte, Rousseau s’imagine dans la position d’un précepteur ; il crée le personnage d’un élève imaginaire, Émile, qu’il va accompagner depuis sa naissance jusqu’à ce que, devenu père d’un premier enfant, cet élève soit dans la situation de devenir à son tour éducateur. […] Dans les deux premiers Discours, nous entendions résonner des accents qui sont devenus familiers à la société de l’écologie et du retour à la nature.Mais dans les lignes de l’Émile, nous lisons plus que cela : c’est un véritable programme, un projet pédagogique, qui s’est réalisé avec toute l’exactitude que permet un système aussi structuré que l’Éducation nationale. En lisant ce traité, on réalise que ce qui est souvent considéré comme un échec de l’éducation contemporaine est en réalité un succès, la réussite complète d’une théorie parfaitement explicite – celle du refus absolu de la transmission des connaissances. D’où l’importance de le relire aujourd’hui avec la distance critique qui laissera sans doute apparaître, en creux, la possibilité d’une nouvelle fondation.
Abandonnons tout de suite, cependant, un procès déloyal que l’on intente souvent à l’auteur de l’Émile : Voltaire, le premier, reprocha à Rousseau de se poser en pédagogue après avoir placé aux Enfants-Trouvés ses propres enfants nés de son union avec Françoise Levasseur. […] Ni le passé d’un homme ni son passif ne peuvent efficacement invalider sa pensée. Essayons donc de comprendre sa théorie éducative. 
Toute la pensée de l’Émile se comprend à la lumière de l’intuition fondatrice du rousseauisme. L’enfant qui naît est encore « à l’état de nature » ; par conséquent, tout le travail de l’éducateur sera de faire en sorte qu’il apprenne ce qui sera nécessaire à sa vie future, et même à sa vie en société – puisque le passage de l’humanité à l’état social est irréversible –, en s’éloignant le moins possible de cette pureté naturelle. Or, cette pureté naturelle, c’est l’ignorance, l’heureuse ignorance dont parlait déjà le premier Discours.
 
Naturellement, l’homme ne pense guère. Penser est un art qu’il apprend comme tous les autres, encore que plus difficilement.
 
L’ignorance est naturelle à l’homme, la pensée va contre sa nature. C’est même une perversion affirmait le second Discours : « L’état de réflexion est un état contre nature, et l’homme qui médite est un animal dépravé. » Si l’ignorance est une forme de pureté, c’est parce qu’elle est, pour Rousseau, un gage d’innocence : c’est là le point de départ de l’Émile.
 
…Cette ignorance ne nuit ni à la probité ni aux mœurs ; souvent même elle y sert ; souvent on compose avec ses devoirs à force d’y réfléchir, et l’on finit par mettre un jargon à la place des choses. La conscience est le plus éclairé des philosophes : on n’a pas besoin de savoir les Offices de Cicéron pour être un homme de bien ; et la femme du monde la plus honnête sait peut-être le moins ce que c’est qu’honnêteté.
 
Le « jargon », le langage, dont on verra combien Rousseau se méfie, pollue tout ce que l’ignorance aurait pu garder vierge. Si nous pouvions ne rien apprendre aux enfants, ils garderaient l’innocence que nous leur envions : c’est ce que nous leur transmettons qui crée les pièges dans lesquels ils tomberont.[…] Le savoir est donc un danger : produit de la culture, il nous éloigne de notre ignorance naturelle. Aussi le précepteur imaginaire d’Émile choisit-il de l’emmener vivre à la campagne, dans la nature pour le préserver le plus longtemps possible du savoir et même de la curiosité qu’il pourrait recevoir de ses semblables.
Notons d’ailleurs que le premier acte de l’éducation, dans ce texte qui inspira la construction du système éducatif pendant la Révolution, consiste à retirer l’enfant à ses parents. Rousseau affirme que le précepteur doit être désigné « avantla naissance » de l’enfant pour le prendre tout de suite sous sa coupe. En l’occurrence, pour nous simplifier l’histoire, il fait d’Émile un orphelin ; mais au fond, « il n’importe qu’il ait son père et sa mère ». Pour l’éducateur, les parents sont des absents dont la présence pourrait être nuisible. […]
L’autorité parentale était ainsi explicitement décritecomme une prison dont il est urgent d’affranchir l’enfant. Quant au précepteur idéal, Rousseau lorsqu’il le dessine, prend le contre-pied du sens commun : il faut autant que possible que celui-ci soit jeune, car ainsi il sera plus proche de la sagesse naturelle. Dans un monde idéal, il faudrait même, pour être certain qu’il ne nuise pas à l’enfant qu’il soit comme lui : « Je voudrais qu’il fût lui-même un enfant, s’il était possible, qu’il pût devenir le compagnon de son élève, et s’attirer sa confiance en partageant ses amusements. » C’est dire que le rôle spécifique de l’éducateur se voit annulé : la figure du « pair » remplace celle du « père ».
La première parole de Rousseau sur l’éducateur est donc pour condamner, en creux, les adultes ; et son premier mot à leur intention est un avertissement sévère. Ils vont bientôt toucher à la nature de l’homme encore intacte dans leur élève, et il faut que leur intervention soit la plus faible possible. Ainsi est fondé le principe de ce qu’on appellera « l’éducation négative » : puisque l’ignorance est innocente et la culture dangereuse, l’éducateur doit d’abord mesurer ce qu’il ne doit pas enseigner à l’enfant, plutôt que ce qu’il convient de lui apprendre. Pour servir ce choix, il peut s’appuyer sur un double critère, qui permet d’évacuer deux types de savoirs : « Des connaissances qui sont à notre portée, les uns sont fausses, les autres sont inutiles. » Plutôt que d’entreprendre d’encombrer l’esprit de l’enfant d’une culture qu’il n’aura de toute façon jamais fini d’absorber, il ne faut lui faire découvrir que ce qui est strictement nécessaire : c’est là le premier critère. Parmi tous les savoirs qu’a produits l’histoire humaine, en effet, la plupart ne servent à rien, si ce n’est à flatter l’orgueil de celui qui sait – ou qui croit savoir. Voilà introduit le second critère : celui de la certitude. Car, bien souvent les connaissances humaines sont incertaines : les faire siennes, c’est donc s’exposer au risque de l’erreur. Or, affirme Rousseau, si nous n’avions rien appris, « nous ne serions jamais dans le cas de nous tromper ». Et puisqu’il vaut mieux ne pas se tromper, rappelons-nous que « le seul moyen d’éviter l’erreur est l’ignorance ».
C’est ici que le point d’accord entre DESCARTES et ROUSSEAU trouve sa concrétisation : pour ces deux figures antagonistes de la modernité, il est clair qu’il vaut mieux ne rien savoir que d’accepter un savoir qui ne soit pas absolument certain. Or, ce qui est incertain, c’est l’opinion que l’on a reçue, le savoir qui nous a été transmis. Son précepteur rendra donc un immense service à Émile, en ne lui transmettant jamais aucune connaissance, mais en le laissant construire par lui-même tout son savoir, dût-il renoncer pour cela à ce qu’il sache beaucoup de choses. Mieux vaut la pureté de l’ignorance que l’aliénation de la transmission. Voilà pourquoi Rousseau, au lieu de l’encourager, avertit l’éducateur : « O toi qui va conduire un enfant dans ces périlleux sentiers et tirer devant ses yeux le rideau sacré de la nature, tremble ! […] Souviens-toi, souviens-toi sans cesse que l’ignorance n’a jamais fait de mal, que l’erreur seule est funeste, et qu’on ne s’égare point parce qu’on ne sait pas, mais parce qu’on croit savoir. »
Après un tel avertissement comment penser l’acte éducatif ? […] Rousseau ne nie pas que, dans l’état social, le rôle di précepteur soit indispensable ; mais obligé d’incarner u mal nécessaire, ou tout du moins de courir ce danger que la faiblesse de l’enfant rend inévitable, il devra s’interdire à tout prix la faute qui consisterait à enseigner à l’élève un savoir dont ce dernier ne serait pas l’auteur et le maître. 
 
La souveraineté de l’« ici et maintenant »
 
L’enseignant ne doit donc surtout pas transmettre un savoir, il doit se faire l’organisateur des situations dans lesquelles l’élève construira son propre savoir. Cet impératif garantit que l’enfant n’apprendra que ce qui lui est utile : en effet, c’est lui qui donnera son rythme à la relation pédagogique. « Laissez venir l’enfant », conseille Rousseau ; il faut s’abstenir soigneusement de faire naître une curiosité qui ne serait pas spontanée et immédiate. Ainsi évitera-t-on de le surcharger de connaissances inutiles : le savoir ne viendra jamais que pour répondre à une question suscitée par une nécessité du quotidien.
C’est là aussi la règle d’une éducation démocratique, du moins en apparence. Pour Rousseau, il s’agit de ne jamais rien imposer à Émile : « Qu’il croie toujours être le maître ». Bien sûr il y a là une part de mensonge, qui dissimule le caractère machiavélique du pédagogue : l’enfant n’est pas réellement le maître. Sans le lui dire, le précepteur ne cesse d’organiser pour son élève des situations fictives, en faisant jouer des rôles aux personnes qu’il rencontre, en dissimulant certaines réalités pour en mettre d’autres en évidence, en biaisant les résultats de telle ou telle expérience, pour que chaque fois puissent en être torées des conclusions toutes préparées. L’égalité du maître et de l’élève est une illusion dont l’enfant est dupe ; mais il faut qu’il en soit dupe pour que soit « préparé de loin le règne de sa liberté ».
Car, ainsi en croyant « être le maître », l’élève apprend à ne pas être un sujet. L’enjeu est bien sûr politique : l’Émile est publié la même année que Le Contrat social. La pédagogie prépare ce que la démocratie accomplira, l’édification d’un citoyen libre à l’intérieur d’une société ordonnée par des lois. Pour y parvenir, il faut que, dès l’enfance le citoyen en devenir soit accoutumé à ne pas se laisser soumettre, à écarter tous les jougs, y compris celui du savoir – à refuser d’être subjugué. […]
Émile propose donc à l’éducateur une nouvelle définition du rapport à l’enfant, qui exclut l’acte d’autorité : « L’enfant ne doit rien faire malgré lui. » Du coup, les interdits s’inversent dans la relation éducative : ils pèsent désormais sur l’adulte qui se voit fixer des règles strictes dans son rapport à l’enfant : « Ne lui commandez jamais rien, quoi que ce soit au monde, absolument rien. Ne lui laissez pas même imaginer que vous prétendiez avoir aucune autorité sur lui. » Pour Rousseau, ces interdits n’excluent pas l’influence dissimulée de l’adulte ; mais elle doit demeurer cachée, pour que les enfants ne soient pas enfermés dans un assujettissement définitif. Même sielle n’exclut pas un rapport de force latent, cette disqualification de l’autorité doit être efficace : « Faites-en vos égaux afin qu’ils le deviennent. »
– Première conséquence de cette nouvelle relation : elle empêche l’éducateur de prévenir l’enfant des risques qu’il peut courir, et de lui éviter des erreurs qu’il ne manquera pas de commettre. Mais cela n’effraie pas Rousseau, au contraire : mieux vaut tomber en s’étant risqué sur des chemins dangereux que d’être trop guidé et de ne pouvoir apprendre par soi-même. « Le bien-être de la liberté rachète beaucoup de blessures. » Aussi faut-il laisser ‘enfant faire lui-même sa propre expérience, cela dût-il lui laisser quelques cicatrices.
– Seconde conséquence, plus importante, qui concerne la connaissance. S’il détient le moindre savoir que l’enfant ne possède pas, c’en est fini du sentiment de leur égalité. Aussi l’enseignant n’est-il pas là pour transmettre un savoir. Il n’organise pas d’apprentissage – « c’est à l’enfant de désirer ce qu’il doit apprendre ». Et quand, dans l’un de ces situations de la vie qui font naître des questions, l’élève dit : « Je ne sais pas », le précepteur lui répond : « Je ne sais pas non plus, cherchons ensemble. » Émile se rend compte, par exemple, au cours d’une promenade au bord d’une rivière, qu’un bâton tout droit apparaît pourtant courbé quand il est plongé dans l’eau. L’enseignant doit-il lui expliquer qu’il s’agit d’une illusion d’optique et lui parler des lois de la réfraction ? Surtout pas : il fait tenter, nous dit Rousseau, de les retrouver ave lui. « Émile ne saura jamais la dioptrique, ou je veux qu’il l’apprenne autour de ce bâton. »
Évidemment, cela risque de prendre du temps ; et, parvenu à l’âge adulte, Émile ne saura que très peu de choses. Par cette méthode, en utilisant le truchement de l’expérience, le précepteur lui montre l’immense étendue des chemins de la connaissance qui s’ouvrent devant lui ; et pourtant, reconnaît Rousseau, « je ne lui permets jamais d’aller loin ». Mais en quoi cela pose-t-il problème ? Au moins l’enfant n’aura-t-il acquis que des savoirs utiles, puisqu’ils seront venus répondre à ses propres besoins ; et surtout, il sera l’auteur de toutes ses connaissances. Rien ne lui aura été transmis de l’extérieur qui serait venu perturber sa nature et l’aurait rendu redevable à qui que ce soit. […]
La pédagogie de Rousseau est fascinante dans la radicalité avec laquelle elle assume ce refus de la transmission, c’est-à-dire tout simplement de la culture.
Ce qui se manifeste par exemple dans la méfiance qu’il entretient vis-à-vis de cette forme primordiale de la culture qu’est la langue : quel malheur, se lamente Rousseau que nous soyons si pressés d’apprendre aux enfants à parler ! Les voilà aliénés, contraints, en utilisant nos mots, de plier leur propre expérience du monde à la nôtre, de l’assimiler, à ces termes qui leur viennent pourtant d’ailleurs. Voilà surtout leur esprit éveillé à d’innombrables questions qu’ils ne seraient jamais posées seuls. Les mots sont nécessaires pour communiquer : en cela ils sont le signe de cette société qui pervertit la nature de l’homme. […] « Resserrez donc le plus possible le vocabulaire de l’enfant. C’est un très grand inconvénient qu’il ait plus de mots que d’idées, et qu’il sache dire plus de choses qu’il n’en peut penser. »
L’éducation ne devra donc pas passer par le langage, ou le moins possible, mais par l’expérience. « Je n’aime point les explications en discours, affirme Rousseau ; les jeunes gens y font peu d’attention et ne retiennent guère. Les choses ! les choses ! je ne répéterai jamais assez que nous donnons trop de pouvoir aux mots. »
[…] « Émile prend ses leçons de la nature et non pas des hommes. » Ces leçons ne passent pas par le mot, mais par la chose ; elles n’instruisent pas l’enfant par l’intelligence mais par l’expérience. Elles sont donc tout entières à la mesure de l’enfant : il ne s’agit pas de le faire sortir de sa condition initiale, de l’éduquer au sens étymologique du terme (ex-ducere : « faire sortir de », « conduire au dehors »). Au contraire, l’enfant ne retient que ce qui vient à sa perception, ce qui passe à sa portée.
[…] « Ne montrez jamais rien à l’enfant qu’il ne puisse voir. Tandis que l’humanité lui est presque étrangère, ne pouvant l’élever à l’état d’homme, rabaissez pour lui l’homme à l’état d’enfant…Il ne faut pas « faire grandir l’enfant », mais au contraire le maintenir en enfance, le faire demeurer dans son état naturel, immédiat. Exercez son corps, ses organes, ses sens, ses forces, mais tenez son âme oisive aussi longtemps qu’il se pourra. » La vraie mesure de l’éducation, ce n’est pas l’adulte, le résultat de la médiation ; c’est l’enfant, la situation de l’immédiateté. Voilà ce qui inspire tout le projet pédagogique de Rousseau, que le critique genevois Jean Starobinski (1920) définit par cette simple expression : « restaurer la souveraineté de l’immédiat ».
 
 
La haine des livres
 
La critique de la transmission se fixe toujours sur un symbole : le livre. Figure même d’un savoir figé, comme contenu offert à notre réception passive, le livre est l’objet qui incarne et signifie la médiation asymétrique qu’il accomplit [il livre !]. Chez DESCARTES, il portait le poids désespérant des incertitudes de la tradition. Avec ROUSSEAU, la critique du livre prend un tour plus radical. Puisqu’il importe avant tout de préserver Émile de l’influence de la société, il faudra le protéger du livre, qui en représente la menace accomplie. 
– D’abord le livre est parfaitement inutile. Imaginons, suppose Rousseau, un philosophe abandonné sur une île déserte avec des outils et des livres ; il est probable qu’il ne touchera pas un seul ouvrage. En revanche, il se préoccupera de survivre, et pour cela il commencera par explorer son environnement…Comme lui, « bornons-nous aux connaissances que l’instinct nous porte à chercher ».
– De plus, l’intérêt pour le livre n’est pas naturel ; il doit donc être écarté comme un artifice, signe de cette société qui nous éloigne de l’essentiel. Car le livrenous détourne du réel : donner un livre à un enfant, c’est l’enfermer dans une fiction, au lieu d’explorer la nature. « L’enfant qui lit ne pense pas, il ne fait que lire ; il ne s’instruit pas, il apprend des mots. »Pour Rousseau, qui veut des choses et non des mots, le choix est donc vite fait : «  qu’il apprenne en détail, non dans des livres, mais sur les choses. »
–En réalité, on n’append rien dans les livres : ils nous éloignent de l’expérience directement vécue et nous font entrer dans l’abstraction d’un discours délié du réel. « Appesantis sur des livres dès notre enfance, accoutumés à lire sans penser, […] nous sommes hors de la nature. » À cette nature authentique, il faut donc ramener l’élève immédiatement, par l’expérience sensible, physique : « Au lieu de coller un enfant dans les livres, si je l’occupe dans un atelier, ses mains travailleront au profit de son esprit. » C’est en effet, pour Rousseau de l’expérience et d’elle seule que peuvent naître des idées ; des mots et des livres ne sortent jamais que la confusion du réel et du virtuel. Par la langue, par le livre, nous sommes seulement capables de parler sans rien connaître. D’où ce violent anathème porté par Rousseau : « Je hais les livres ; ils n’apprennent qu’à parler de ce qu’on ne sait pas. » La culture livresque produit unmonde artificiel où tout est faux – comme au théâtre. C’est donc le monde du mensonge dont il faut éloignerÉmile : « Je ne veux qu’il soit ni musicien, ni comédien, ni faiseur de livres. […]
L’autorité, ce mot que Rousseau veut évacuer, n’est-elle pas au sens littéral l’attribut propre de l’auteur ? Le livre fait autorité ; et en ce sens, il fait effraction dans notre liberté, pour charger notre esprit de tous les préjugés qu’il contient, et que l’enfant ne peut qu’admettre sans discuter. Le livre ne nous apprend pas à réfléchir, mais à adopter la réflexion d’autrui.
Le comble de cette dénonciation est d’ailleurs atteint lorsque Rousseau s’en prend à la médiation dans sa forme la plus radicale, c’est-à-dire à la religion révélée. Dans le texte de l’Émile, la célèbre Profession de foi du vicaire savoyard est une charge réglée contre l’idée même qu’un livre, en l’occurrence la Bible, puisse contenir un savoir susceptible de faire autorité.  Qui pourra nous garantir qu’un livre contient une vérité ? Tout ce qui s’y trouve raconté n’est jamais confirmé que…par d’autres livres. « Toujours des livres ! Quelle manie ! » Aucun de ces ouvrages ne saurait donc par lui-même emporter notre adhésion. Aucun d’eux ne peut prétendre être nécessaire. De toute façon, « tous les livres n’ont-ils pas été écrits par des hommes ? Comment donc l’hommeen aurait-il besoin pour connaître ses devoirs ? » La culture n’est pas nécessaire pour accomplir notre nature – pire, elle la pollue, en nous aliénant à un monde d’artificialité où nos devoirs humains sont remplacés par des règles arbitraires. Le précepteur lui-même en tire la conclusion qui s’impose : « J’ai refermé tous les livres. » C’est de celle libération dont Rousseau est le plus fier : j’ai délivré les enfants de leurs devoirs, écrit-il, et surtout « des instruments de leur plus grande misère à savoir les livres. La lecture est le fléau de l’enfance ». […]
À douze ans, au plus tôt, on permettra à Émile de toucher un ouvrage en particulier – mais un seul. Ce livre pourra servir de support à toutes les conversations avec le précepteur : il contient en effet tout ce qu’il est utile de savoir ; il sera lu avec profit pendant des années et, si le goût d’Émile n’est pas altéré, il lui plaira toujours. « Quel est donc ce merveilleux livre ? Est-ce Aristote ? Est-ce Pline ? Est-ce Buffon ? Non : c’est Robinson Crusoé. » Rousseau provoque, évidemment, en donnant au roman de Daniel Defoe l’importance qu’il refuse aux plus grands auteurs de l’Antiquité et de l’âge classique. Mais la provocation est pourtant très sérieuse : Rousseau veut qu’il soit le critère qui permettra de juger de tout : celui de l’individu solitaire, perdu sur son île déserte, et qui ne s’intéresse à rien de ce qui ne lui est pas directement utile. « Je veux que la tête lui en tourne […] qu’il pense être Robinson lui-même… »
 
La solitude d’Émile
 
La pédagogie de Rousseau ne manque pas de nous étonner. Ses impératifs nous paraissent peut-être étranges, et ses radicalité choquantes. Et pourtant, il est indéniable que l’on peut dans l’Émile, lire ce qui constitue la charte de l’éducation contemporaine, et ce qui structure jusque dans ses détails, notre vision partagée de la pédagogie. Au nombre de nos lieux communs, on pourrait citer celui qui consiste à présenter la médiation comme une aliénation. […] Autre banalité que ce désir généreux de « laisser l’enfant être lui-même », et pour cela de porter le soupçon sur la famille, qui, en transmettant une culture, véhicule des interdits, des préjugés, des partis pris susceptibles d’enfermer un enfant ou d’altérer sa liberté. Que dire de notre conception de la liberté, dont l’acte est devenu impensable ! Il est jusqu’à notre discours sur le livre où l’on retrouve bien souvent, un écho évident de la condamnation rousseauiste. Le plus souvent, la seule différence entre Rousseau et nous ne tient pas à notre pensée profonde, mais au fait que, contrairement à lui, nous n’osons pas à l’assumer jusqu’au bout.
Dans les faits, cette inspiration a largement affecté nos pratiques pédagogiques elles-mêmes. Il faudrait rappeler les expériences de certains pédagogues, qui poussèrent l’audace jusqu’à tenter une application littérale des conseils de l’Émile. Ainsi du béarnais Georges Lapassade (1924-2008), ce professeur qui entrait en classe et ne disait rien, pour « laisser venir »les élèves et construire le cours au rythme qu’ils voudraient lui donner. Ainsi également de Carl Rogers (1902-1987), psychologue américain sur qui l’influence de Rousseau pour être indirecte, ne fut pas moins évidente. Dans Liberté pour apprendre, Rogers entreprit d’élaborer concrètement les bases d’une « éducation non directive », tout entière laissée à l’expérience et à l’initiative de l’apprenti. Pour le psychologue, la transmission n’a pas de sens dans une société en permanente évolution : le but du pédagogue n’est donc plus d’enseigner, mais de « faciliter l’apprentissage ».
Mais il n’est pas besoin d’aller aussi loin pour voirles intuitions rousseauistes inspirer, en tous points, la pédagogie contemporaine.Exposés, ateliers, travaux personnels encadrés, classes inversées, autant de moyens promus pour permettre qu’un savoir soit acquis par l’action de l’élève, non par l’écoute de l’enseignant. À l’opposé le « cours magistral » recueille une condamnation quasi unanime… Dès les petites classes, le débat sur les méthodes de lecture fait écho à la préoccupation rousseauiste : la méthode globale voulait proposer une façon d’apprendre l’écrit qui ne procède pas par inculcation mais par compréhension. Imposer une langue avec sa discipline, l’effort mécanique d’un b.a.ba, n’est-ce pas là une forme de violence ?
La culture elle-même se trouve implicitement mise en accusation, comme lieu d’enfermement de la liberté des enfants : de ce point de vue, la dénonciation des « stéréotypes », nouveau cheval de bataille pédagogique, est un symptôme révélateur. Lorsque l’on affirme que l’école au lieu de transmettre une culture, doit déconstruire les repères véhiculés par l’histoire, la littérature, ou la langue elle-même, on ne fait qu’exprimer cette inquiétude profondément rousseauiste : ce que nous transmettons n’est-il pas facteur d’aliénation ?
Mais s’il ne fallait garder qu’un exemple, F.X. BELLAMY choisit le plus éloquent, et le plus paradoxal en même temps : c’est la fascination que l’Éducation nationale éprouve aujourd’hui pour le numérique, devenu la grande utopie pédagogique. Le développement des nouvelles technologies laisse entrevoir en effet la possibilité d’un accompagnement inouï de la promesse de Rousseau, celle d’une enfance enfin débarrassée de toute transmission. Puisque désormais tout le savoir est accessible par Internet, il n’est plus nécessaire d’imposer à nos successeurs la peine d’apprendre. À quoi bon fatiguer les élèves dans l’effort stérile de la mémorisation, du laborieux « par cœur » ? La disponibilité constante de la connaissance universelle, progressivement mise en ligne, nous permettra d’accéder à chaque instant aux données qui nous seront utiles. Nous voilà relevés de l’obligation d’apprendre tant d’informations superflues. Désormais, nous mobiliserons le savoir à la mesure immédiate de notre besoin, et sans passer par un tiers. Voilà la double immédiateté qui abolit définitivement, dans cette utopie nouvelle, la nécessité de la médiation, achevant ainsi la critique de l’Émile
C’est un accomplissement paradoxal, puisque c’est la technologie qui sert le projet de Rousseau, pourtant grand pourfendeur de la technique ; mais ‘est un accomplissement malgré tout. L’Éducation nationale le perçoit ainsi : indépendamment des sensibilités politiques, ministres, élus et cadres administratifs partagent une belle unanimité lorsqu’il s’agit de vanter les mérites de l’« école connectée » et de ses équipements innovants : classes informatiques, tableaux numériques, tablettes tactiles… De ce point de vue l’institution n’est pas elle non plus à un paradoxe près : si méfiante d’ordinaire envers le monde de l’entreprise, elle se met sans complexes au service des géants de l’industrie numérique et endosse avec enthousiasme la fonction commerciale auprès de toutes les collectivités chargées d’investir. Rousseau sourirait d’entendre des inspecteurs généraux expliquer doctement que, grâce au numérique, il n’est plus nécessaire de faire apprendre à l’élève des chronologies, des tables ou des poèmes, mais qu’il suffit de lui apprendre à chercher pour qu’il puisse trouver par lui-même, le jour venu, l’information qui lui sera nécessaire. 
L’utilité demeurera le critère de notre seul rapport au savoir, si tant est qu’on puisse encore parler de savoir, dès lors que la mémoire n’est plus en jeu. C’est exactement ce que laissait entrevoir l’Émile : Robinson sur son île ne s’intéresse qu’à ce qui lui est profitable. Nous voilà tout près de le rejoindre dans son calcul solitaire. Au fond, il semble que nous ne sommes collectivement plus du tout persuadés que l’école ait pour mission de transmettreà tous une forme de culture générale gratuite, indépendante de toute « rentabilité » ou de toute visée strictement professionnelle. Mais alors, quand nous nous plaignons que le niveau baisse, ne sommes-nous pas entrain de déplorer les conséquences d’une conception de l’éducation que nous partageons pourtant largement ? Il faudrait, dans ces moments-là, se souvenir de la claire conscience de Rousseau, disant de son élève : « Je lui apprends bien plus à […] ignorer qu’à […] savoir. »
Car enfin, si l’on ne voit pas assez cette proximité dans l’inspiration qui structure aujourd’hui notre système éducatif, il faut au moins le considérer dans ses conséquences. Rousseau consacre ses plus belles pages, et les plus audacieuses, à un portrait de son élève. Il le décrit comme « un sauvage fait pour habiter les villes ».Peut-être faut-il lire dans ce portrait, les conséquences inassumées de notre conception de l’éducation.
 
Émile n’a que des connaissances naturelles et purement physiques. Il ne sait pas même le nom de l’histoire, ni ce que c’est que métaphysique et morale. Il connaît les rapports essentiels de l’homme aux choses, mais nul des rapports moraux de l’homme à l’homme. Il sait peu généraliser d’idées, peu faire d’abstractions. Il voit des qualités communes à certains corps sans raisonner sur ces qualités en elles-mêmes. […] Il ne cherche point à connaître les choses par leur nature, mais seulement par les relations qui l’intéressent. Il n’estime ce qui lui est étranger que par rapport à lui. […]Il se considère sans égard aux autres, et trouve bon que les autres ne pensent point à lui. Il n’exige rien de personne, et ne croit rien devoir à personne. Il est seul dans la société humaine ; il ne compte que sur lui seul.
 
III/ BOURDIEU
LA TRANSMISSION EST LA TARE DES ÉLITES
 
La culture comme capital
 
Il semble que BOURDIEU n’ait jamais eu beaucoup d’admiration pour ROUSSEAU ; le point où parvient le pédagogue de l’Émileest pourtant celui d’où il part, pour construire ce qui sera le troisième volet dans la dénonciation de la transmission.Il s’agit bien en effet d’une dénonciation : étant désormais entendu que l’adulte n’est, pour l’enfant, que perturbation ou pollution, comment pouvons-nous la comprendre ? Comme une faute. L’ultime question qui demeure est donc simple : à qui profite ce crime ? C’est à cette question que Bourdieu va s’attacher, employant le scalpel du sociologue pour disséquer l’institution scolaire, en espérant y retrouver assez d’indices pour identifier les coupables et les profiteurs de la reproduction culturelle.
Issu au départ d’une formation philosophique, Pierre Bourdieu traverse la seconde moitié du XXe siècle, largement polarisée par le marxisme qui influence en profondeur l’université française ; mais son propre itinéraire intellectuel s’explique par une rupture avec le caractère réducteur de la théorie marxiste. Au début du Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels affirment que « toute l’histoire de l’humanité depuis les origines est l’histoire de la lutte des classes ». Ce postulat initial ramène tous les phénomènes sociaux à une clé d’interprétation unique, qui devait permettre de tout analyser : les rapports de force économiques entre les classesopposant ceux qui possèdent un capital aux autres, les prolétaires qui, parce qu’ils ne sont pas propriétaires de moyens de production ne peuvent que vendre leur force de travail.
Or la sociologie oblige à considérer certains faits qui semblent contredire cette généralisation : Bourdieu étudie, par exemple, le cas de ces grandes familles individuelles qui, bien qu’elles connaissent parfois des revers de fortune, parviennent cependant à se maintenir dans l’élite. Phénomène inexplicable pour un simple regard économique : une famille peut perdre l’intégralité de son capital sans pour autant basculer dans la condition prolétaire. Et il arrive le plus souvent, qu’après quelques générations, elle réussisse à reconstituer l’ensemble de la fortune intégralement dilapidée. Comment expliquer ce phénomène ?
L’analyse de ces situations paradoxales conduit Bourdieu à formuler une hypothèse : le capital, affirme-t-il n’est peut-être pas uniquement de nature économique. Le patrimoine d’une famille, c’est-à-dire ce qui se lègue de père en fils. Elle comprend aussi d’autres éléments immatériels, donc plus difficilement mesurables mais tout aussi efficaces dans la lutte pour le pouvoir. Et le premier d’entre eux, c’est le capital culturel.
Qu’est-ce que la culture ? Bourdieu reviendra plus tard dans la Distinction (1979) surcettequestionfondamentale. Mais relevons déjà quelques traits caractéristiques de ce qu’on appelle « culture ». Elle est :
– d’abord un contenu dont on hérite, ce que l’on reçoit d’une transmission, sous la forme de savoirs, qui sont des savoirs théoriques mais aussi, corrélativement, de se comporter dans le monde, de parler, d’entrer en relation.
– également un ensemble d’habitus ; Bourdieu récupère ce terme pour y faire entrer un concept important de son enquête sociologique. L’habitus est une disposition acquise, dont nous n’avons pas ou plus conscience, et qui nous prédispose à agir de telle ou telle manière dans une situation donnée. Il y a des habitus dans n’importe quel rôle social, dans un métier, une fonction hiérarchique, une identité sexuelle, un loisir…La culture sécrète ces habitus, dans leur variété.
Elle est donc, affirme Bourdieu, totalement arbitraire, et ce point est important pour bien comprendre sa réflexion. Aucune culture, affirme-t-il, ne peut prétendre avoir plus de valeur qu’une autre : les habitus qui marquent le comportement des élites ne sont pas en eux-mêmes d’une plus grande « qualité » que ceux qui caractérisent la vie des classes populaires ou défavorisées. Ces habitus ne sont pas meilleurs ou moins bons ; ils sont simplement différents. C’est même là leur fonction propre : l’habitus permet une différenciation, une distinction.
Nous tenons là la véritable efficacité de la culture : elle consiste tout entière à apprendre à faire des distinctions. Il faut une certaine expérience, un certain habitus, pour distinguer un grand opéra d’un air pompier, une toile de maître d’une mauvaise copie ; il faut être cultivé, c’es-à-die posséder la culture dominante, pour distinguer les sports élégants de ceux qui ne le sont pas. En devenant « cultivés », nous apprenons à faire des distinctions ; et ces distinctions en retour nous distinguent. Ne dit-on pas d’une personnetrès supérieure par son savoir, ou par son savoir-vivre qu’elle est distinguée ? Voilà donc à quoi sert la culture : elle sert à différencier, à hiérarchiser, à reconnaître – et, en particulier, elle sert aux membres des classes dominantes à se distinguer entre eux [l’étiquette]. Cela ne vient pas d’une supériorité intrinsèque de leur culture – non, encore une fois, il n’y a dans ces distinctions que du pur arbitraire, comme le montrent d’ailleurs les phénomènes de mode : ce qui était hier élégant est aujourd’hui ridicule, preuve que ces différences ne reposent sur rien d’objectif [c’est la vogue, l’air du temps]. Simplement, si nous appartenons à l’élite, elles nous permettent de faire reconnaître à nos pairs combien nous sommes familiers de la culture dominante ; et si nous ne le sommes pas…nous serons éliminés.
Voilà expliquée sous un jour nouveau la lutte des classes qui traverse la société. Selon Bourdieu, la clé de leur domination sociale est bien le capital, mais ce capital n’est pas, contrairement à ce que croyait le premier marxisme, exclusivement matériel : il se déploie aussi en d’autres dimensions, d’autant plus efficaces sans doute qu’elles sont moins visibles, moins directement perceptibles et donc moins contestables. Car le propre de la sélection par la culture, c’est que nul ne songe à la contester : celui qui s’en trouve écarté ne se révolte pas pour autant. Le capital culturel se transmet pourtant, comme tous les patrimoines, dans l’espace fermé des lignées, des familles, des milieux sociaux. Il produit et reproduit cette caste que le sociologue dénonce dans u premier ouvrage, au titre évocateur, Les Héritiers.  
Nous sommes alors en 1964, au milieu de ces années d’effervescencequi précèdent le grand bouleversement de 1968. Dans l’élan de la contestation de toutes les institutions établies, les recherches de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron jettent le soupçon sur le discours officiel qui, en France particulièrement, entoure l’école. Dans la mythologie de la Troisième République, gratuite, laïque, obligatoire, est un lieu neutre, offert à tous pour garantir entre les citoyens une égalité de départ et une justice méritocratique. La thèse défendue par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron fait littéralement exploser cette prétention : Bourdieu et Passeron décrivent, chiffres à l’appui, le caractère inégalitaire de l’école. Surtout ils affirment que c’est l’école elle-même qui produit ces inégalités, et qu’elle est ainsi, tout entière au service du maintien de la domination des classes populaires par les élites.
 
La violence de l’école
 
Quelle est en effet la fonction propre de l’école ? Elle consiste à produire de la sélection – à admettre certains, à en exclure d’autres, à orienter, pour reprendre un
terme familier de l’institution scolaire, les enfants dans la voie qui leur sera propre. Pour Bourdieu, c’est la définition même de l’école : « Le système d’éducation doit […] produire des sujets sélectionnés et hiérarchisés une fois pour toutes et pour toute la vie. » L’école crée donc des groupes à l’intérieur d’une génération. Elle divise, sépare et répartit. En fait l’institution scolaire établit des discontinuités qui sont elles-mêmes arbitraires. […]
L’examen a pour effet de se présenter comme une forme de justice immanente ; il fait disparaître, dans une sorte de mythe, son caractère artificiel et arbitraire. Le mensonge de l’institution scolaire repose sur l’idée que la sélection qu’elle opère est juste, naturelle et transparente, et qu’elle récompense objectivement le mérite de chacun, à partir d’une égalité initiale devant les exigences de la compétition. Là se trouve, affirme Bourdieu la véritable escroquerie : car, en réalité, l’égalité des élèves devant l’école est purement formelle. Le problème n’est pas seulement le caractère artificiel, accidentel, de ces discontinuités que crée l’école.
L’injustice fondamentale provient d’un fait encore antérieur : la culture de l’école, c’est la culture de l’élite ; et dans le jeu de la sélection, les enfants de l’élite, ces « héritiers » de la culture dominante, bénéficient nécessairement d’une familiarité à son égard qui constitue en leur faveurun avantage irrattrapable par les autres.
De ce fait le passé social devient passif scolaire. Pour illustrer ce biais de départ, Bourdieu prend l’exemple de la langue : le propre de l’école, c’est qu’on y parle et qu’on y écoute parler. Or la langue de l’école, celle que parle les enseignants et les cadres éducatifs, c’est la langue de l’élite. Elle suppose comme tout habitus, une certaine familiarité, qui s’acquiert par des stratégies bien connues des classes dominantes – notamment par l’apprentissage des langues anciennes. Le choix d’apprendre le latin ou le grec est statistiquement déterminant pour la réussite ultérieure d’un élève : il lui permet en effet d’apprivoiser une langue classique qui restera sinon, pour lui, une barrière. « Les études de l’américain R. Bernstein, cite Bourdieu, ont montré la place que tient, parmi les obstacles culturels, la structure de la langue parlée dans les familles ouvrières. »  
La sélection est donc jouée d’avance – mais cela ne se sait pas. […]
La fonction de l’école n’est pas seulement de sélectionner de hiérarchiser : c’est aussi de rendre légitime la hiérarchie qu’elle produit – ou qu’elle reproduit –, de la faire accepter par tous et de dissimuler l’arbitraire réel derrière des mérites fictifs. Car quels mérites, sauf dans des cas exceptionnels, peuvent permettre de survivre à la sélection scolaire lorsqu’on n’est pas un héritier ? Seuls ceux qui ont déjà reçus de leur famille, de leur milieu social, les codes nécessaires pour franchir les étapes y parviendront finalement. Ce n’est pas l’école qui donnera ces codes. Paradoxalement, c’est même une certaine distance envers la culture scolaire qui fait la réussite de l’élève brillant. Il faut montrer une culture qui n’est pas réellement dépendante de l’école pour être reconnu comme un véritable héritier.
On ne dit pas autre chose lorsqu’on admire ce surcroît de réussite qu’est la précocité d’un élève. Non seulement l’élève précoce franchit les étapes, mais il les franchit plus rapidement que la normale, c’est-à-dire ayant passé moins de temps en classe que les autres. L’élève précoce fait ainsi la preuve de ce qu’il fallait démontrer : ce n’est pas la quantité de travail scolaire que l’école récompense. On n’apprend rien à l’école de ce qu’il faut savoir pour y triompher : s’il en était ainsi nous admirerions un élève en proportion du temps qu’il y aurait passé. Or il n’en est rien. À rebours de l’élève précoce, Bourdieu nous montre l’élève laborieux, celui qui redouble, qui « piétine ».Il nous montre aussi l’élève « méritant », justement, mais qui a le grand tort de ne pas être un héritier. Parce qu’il ne possède pas cette forme de supériorité par rapport à la culture, cette distance aristocratique, cette liberté familière, les enseignants reprocheront à l’élève travailleur d’être trop « scolaire ». Dans ce reproche, Bourdieu voit le comble de la violence de l’institution – l’école reprochant à l’élève d’être trop scolaire…Qu’est-ce que cela signifie, sinon que, puisqu’il ne fait pas partie de la caste, sa condamnation est sans appel ?
Même le plus méritant, celui qui joue totalement le jeu de l’école ne s’en sortpas. Comment justifier que certains puissent survivre à la sélection. Ici joue à fond ce que Bourdieu appelle « l’idéologie du don ». De celui qui dispose de tous les habitus pour se faire reconnaître comme un familier de la culture scolaire, c’est-à-dire de la culture arbitrairement dominante, de l’héritier donc, on dira qu’il est « doué », qu’il a un don. Et de notre malheureux élève laborieux mais trop « scolaire » on dira qu’il n’était pas « doué ». L’idéologie du don est totalement irrationnelle : comment pourrait-elle expliquer la relation statistique marquée entre milieu social d’origine et réussite scolaire ? Bourdieu refuse de se prononcer sur d’éventuelles différences naturelles des aptitudes entre les individus ; car, quoi qu’il en soit, peut-on envisager qu’il y aitde telles variations de « nature » entre les classes de la population ? Pour accepter l’explication par le « don », il faut refuser de regarder en face la réalité statistique de l’importance du milieu social d’origine. « La cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités, particulièrement en matière de réussite scolaire, comme inégalités naturelles, inégalité de dons. »
L’idéologie du don rend légitimes les sélections scolaires qui servent de support aux hiérarchies structurant toute la société. Avec ses examens et ses concours, l’école se présente comme un lieu de sélection égalitaire, mais en réalité elle reproduit des rapports de domination arbitraires. « Le concours ne fait que transformer le privilège en mérite puisqu’il permet à l’action de l’origine sociale de continuer à s’exercer, mais par des voies secrètes. » […]
Selon Bourdieu, il y a un écueil à éviter : celui qui consisterait à croire que ce sont les inégalités sociales qui agissent de l’extérieur sur l’école et que lutter pour réduire ces inégalités permettrait enfin d’assurer une équité devant la réussite scolaire.[…] par exemple l’attribution de bourses d’études, d’un accès égal aux outils d’apprentissage, d’un accompagnement personnalisé pour chacun…car, en réalité c’est l’école elle-même qui produit et reproduit les inégalités. La véritable cause de la marginalisation des classes populaires, c’est la domination de la culture des élites à l’intérieur de l’école et dans ses critères de sélection. Ce n’est donc pas en en améliorant les conditions initiales d’une compétition structurellement biaisée que l’on pourrait rendre plus juste – au contraire, ce serait l’accomplissement du mensonge de l’idéologie du « don », puisque l’échec serait définitivement imputé à l’étudiant lui-même, et non plus aux conditions de ses études, l’égalité de ces conditionsayant été affichée. « L’égalité formelle des chances étant réalisée, l’école pourrait mettre toutes les apparences de la légitimité au service de la légitimité des privilèges. »
L’école est donc intrinsèquement violente ; elle est tout entière violente. Elle est violente dans son principe : le lexique adopté par Bourdieu est saturé d’expressions qui expriment cette violence extrême. Par exemple, le taux d’échec à un examen est désigné sous le vocable de « mortalité scolaire ». L’école élimine, évacue, enferme. Mais elle est violente surtout parce qu’elle ne se contente pas de condamner : elle demande en plus au condamné d’acquiescer à sa condamnation.[…] L’essentialisme de l’école, cette tendance à considérer que les sélections scolaires reflètent l’essence même d’une personne et sa valeur propre, est adopté par tous, à commencer par les classes populaires – ce qui ajoute encore à la probabilité de leur autoexclusion. « Les étudiants de basses classes tiennent ce qu’ils font pour un simple produit de ce qu’ils sont, et le pressentiment obscur de leur destin social ne fait que renforcer les chances de l’échec. »
 
Pour une pédagogie rationnelle
 
L’école est donc une scène de crime : on y trouve des coupables, des complices, des victimes. L’arme du crime, c’est la culture : elle est le moyen de cette sélection biaisée, l’outil qui permet de reproduire et de légitimer les rapports de domination
– et elle n’est que cela. Il n’y a pas de valeur en soi de la culture : elle est un champ arbitraire de distinctions. Bourdieu se moque d’un sondage sur les lauréats du concours général, qui disent tous préférer la philosophie grecque à Johny Halliday : expression transparente du mimétisme des « héritiers ». Préférer Platon à une rock star, c’est simplement trahir un symptôme de la lenteur inhérente à la culture scolaire, culture dominante qui peine à s’adapter à la nouveauté d’une époque. Les lauréats du concours général, ironise Bourdieu, ressembles à des notices nécrologiques ; ils sont âgés et sclérosés comme l’institution dont ils sont les produits parfaits. […]
 
Il y a donc au cœur de l’école et de sa violence, une forme d’irrationalité
Bourdieu le constate, avec le regard de l’ethnologue, lorsqu’il observe les rituels caractéristiques de l’itinéraire étudiant. Que de superstitions autour d’un examen, d’un concours, d’une période de révisions ou d’une intégration réussie ! La pensée magique y prend plus de place que la préparation technique.D’une façon générale, que de mythes et de fantasmes autour de l’apprentissage, et plus encore de l’enseignement…L’étudiant ne produit rien : son temps d’études devrait simplement le préparer à produire. C’est la raison pour laquelle le temps des études est un temps irréel, éloigné des contraintes et du sérieux de la vie sociale. Le moyen propre que l’école offre à l’étudiant, c’est l’exercice par lequel il s’entraîne. L’exercice est une forme d’illusion organisée : c’est un « faire fictif », un « faire semblant » ; ce n’est donc qu’une préparation, une transition vers le « faire réel ». En ce sens, avec ses notes, qui marquent le succès ou l’échec d’un exercice, l’école organise une évaluation qui lui est propredans un univers tout entier irréel : elle ressemble à un grand jeu plutôt qu’au monde concret dans lequel l’étudiant devra demain agir et produire. L’école n’a de réalité « que par procuration et par anticipation ».
 
Cette analyse conduit Bourdieu à affirmer qu’une pédagogie vraiment rationnelle devrait assumer qu’elle n’est qu’un moyen
Moyen en vue d’un objectif unique, la préparation au seul univers qui soit sérieux : celui du travail, de la production réelle. Pour l’étudiant, le seul but rationnel consisterait à tout faire pour n’être très vite plus étudiant, pour entrer dans la vie professionnelle – le vrai monde. Le professeur doit « [se donner] pour tâche de préparer sa propre disparition en tant que professeur ». Ainsi une école vraiment rationnelle saurait se restreindre à un seul objectif, la préparation au monde du travail ; c’est à cela qu’il faut limiter l’enseignement. «L’illusion de l’apprentissage comme fin en soi […] nie les fins que sert réellement l’apprentissage, à savoir l’accession à une profession. »
 
Pour le marxiste qu’est Bourdieu, l’éducation est simplement un capital comme un autre  
L’école, en validant des « acquis », délivre des « titres » scolaires et universitaires, lesquels sont ensuite valorisés sur le marché de l’emploi – exactement comme on valoriserait des titres boursiers sur les marchés financiers. Les diplômes sont convertibles en liquidités économiques : voilà ce que savent les familles qui détiennent le capital, et ce que l’institution scolaire, qui sert la reproduction des privilèges, cherche à dissimuler aux victimes désignées de la sélection sociale. Il suffit pour cela de leur faire croire que l’apprentissage vaut pour lui-même…« La condition étudiante, affirme Bourdieu, ne peut tenir son sérieux que de l’avenir professionnel auquel elle prépare », mais « par des moyens très divers, les étudiants, et surtout les plus favorisés d’entre eux, se dissimulent généralement la vérité objective de leur condition ». En occultant le fait qu’elle n’est qu’un outil au service de la lutte pour la richesse, l’école prend les étudiants à son jeu : elle les infantilise en les enfermant dans son monde proprement virtuel, cet univers de hiérarchies, de règles et de distinctions artificielles qu’elle présente comme un monde sérieux.
 
Bourdieu et Passeron, dans Les Héritiers, laissent entrevoir la possibilité d’une réforme de l’éducation
Elle supposerait de faire sauter cette hypocrisie pour adopter un rapport purement rationnel à l’apprentissage. Il faudrait cesser d’attacher la moindre importance à tout ce qui n’est pas vraiment formel, objectif, scientifique dans l’enseignement – l’idée que la culture aurait une valeur en elle-même, que les étudiants seraient plus ou moins « doués », ou que les enseignants pourraient avoir une forme de « charisme ». Cela permettrait de ramener l’école à sa réalité et à son but : une préparation au combat pour le capital économique. « La manière la plus rationnelle de faire le métier d’étudiant consisterait à organiser toute l’action présente par référence aux exigences de la vie professionnelle, et à mettre en œuvre tous les moyens rationnels pour atteindre, dans le moins de temps possible, cette fin explicitement assumée. »
De façon étonnante, l’analyse de Bourdieu finit ici par rejoindre un certain discours utilitariste, de plus en plus répandu à droite et dans le monde de l’entreprise qui voudrait faire de l’école une simple préparation à l’emploi, n’ayant pour objectif que la rentabilité globale du système économique.[…]
 
Dans cette perspective, il ne s’agit plus de transmettre des savoirs, mais de développer des « aptitudes »  
Et pour cela, au lieu de faire confiance à l’autorité du maître, il faut faire de la pédagogie une technique rationalisée et calculée. Bourdieu décrit cette révolution méthodique en termes purement économiques : « une pédagogie réellement rationnelle devrait se fonder sur l’analyse des coûts relatifs aux différentes formes d’enseignement […] et leur rendement différentiel selon l’origine des étudiants […] ; elle devrait prendre en compte les fins professionnelles ».
Bien sûr ce projet a une histoire. De façon très singulière, on y retrouve, jusque dans son expression économique, l’idée cartésienne d’un apprentissage tourné vers un « profit » personnel ; et bien sûr, on peut y lire aussi la conception rousseauiste d’une éducation qui aurait pour seule source l’expérience et pour seul but l’action utile. […] Dans la droite lignée de la « rationalisation » prônée par Bourdieu, une génération de spécialistes [enseignants et chercheurs en « sciences de l’éducation » formés dans les universités] s’applique à réformer l’enseignement par les méthodes positivistes de ces sciences. Naturellement les résistances sont vives : Bourdieu l’explique comme une conspiration inconsciente contre la rationalisation de l’éducation. Pour le sociologue qu’est Bourdieu, les enseignants sont incapables d’ouvrir la voie à « leur négation en tant que maîtres », tout en trouvant aussi, hélas, des complices faciles en leurs étudiants qui se complaisent dans l’irréalité d’une situation transitoire érigée en idéal de vie, pour mieux se cacher la réalité de la compétition violente dans laquelle ils sont de toute évidence déjà engagés. Et malgré tout, en concluant leur travail sur Les Héritiers, Bourdieu et Passeron laissent encore place à un espoir : malgré tous les conservatismes, il serait possible de rationaliser l’art d’enseigner – et cette rationalisation des moyens et des institutions pédagogiques serait immédiatement « conforme à l’intérêt des classes les plus défavorisées ». La suite de leurs travaux viendra bientôt interdire cet optimisme.
 
Pédagogie et désespoir
 
Lorsqu’ils écrivent ensemble La Reproduction, en 1970, Bourdieu et Passeron semblent avoir renoncé à réformer le système éducatif. L’ouvrage dénonce toutes les promesses pédagogiques, comme autant d’illusions, au premier rang desquelles le « mythe rousseauiste » d’une éducation naturelle. Il est temps, affirment les auteurs, de cesser de dissimuler la vérité objective de l’action pédagogique ; parce qu’elle consiste nécessairement à imposer un arbitraire culturel à l’enfant, elle ne peut être qu’une violencepure et simple.
 
Il n’y a pas de transmission qui ne soit violence
Pas d’éducation qui ne repose sur l’affirmation brutale et indiscutée d’un parti pris du monde des adultes. Bourdieu reprend à son compte l’affirmation de Durkheim : «  Il n’est pas d’éducation libérale. » L’éducation fait toujours référence à un arbitraire culturel ; on pourrait tenter de le faire évoluer, d’intégrer par exemple à l’enseignement des produits culturels venus d’autres univers ou issus des classes populaires, cela ne changera rien au fait que l’autorité pédagogique demeurera fondée sur l’imposition arbitraire de certaines préférences – et des exclusions qui en sont le corrélat. L’adulte peut devenir parfaitement relativiste, mais jamais l’enseignant. Bourdieu affirme la nécessité de renoncer à l’utopie d’une éducation multiculturelle : aucune pédagogie ne fera d’un individu « l’indigène de toutes les cultures ».
Tout enseignement admet et rejette, valorise et disqualifie.Ce fonctionnement est inhérent à l’action pédagogique. Les rapports de sens qu’elle crée sont donc des rapports de force, des rapports de violence. Contrairement aux Héritiers, le second ouvrage de Bourdieu et Passeron veut seulement manifester le caractère de violence de toute transmission. Assimilée à la figure du « père », l’autorité pédagogique inculque par effraction l’arbitraire culturel à des générations d’élèves, arbitraire par lequel la classe dominante reproduit indéfiniment la domination
L’école ne sera donc jamais un lieu de liberté, d’affranchissement, d’ouverture.Elle est au contraire, par essence, un lieu d’autorité. En cela, elle est assimilée par le sociologue à « la famille, l’église, l’hôpital psychiatrique et l’armée – tous ces lieux dans lesquels, aux yeux du sociologue, des rapports de contrainte et de domination. Pour Bourdieu, le travail pédagogique est un substitutde la contrainte physique : la coercition proprement dite marque toujours un échec. Si elle fonctionne correctement, les habitus transformés en normes par la culture dominante sont silencieusement inculqués, par l’effort de l’apprentissage qui, sous la plume de Bourdieu, finit par ressembler au dressage.
 
Il y a cependant un vice supplémentaire dans l’entreprise pédagogique
C’est qu’elle dissimule ses buts réels, qu’elle cache les rapports de force qui pourtant sont à son principe. Comme vu précédemment, la transmission est la tactique par laquelle les puissantsconservent et reproduisent leur domination ; et cependant elle se présente au contraire comme un moyen d’émancipation et d’égalité. Cette conception commune de l’éducation comme moyen d’accès à une égale liberté est même la source de sa légitimité auprès du peuple, et en particulier des classes les plus défavorisées. Ce n’est que parce qu’ils ignorent tout ce que l’école produit (ou reproduit) en réalité que les citoyens lui font confiance. Pour atteindre son but, l’action pédagogique doit d’abord les dissimuler, masquer son arbitraire hiérarchique. Au moins dans la caserne ou dans la prison, les rapports de domination apparaissent-ils de façon transparente, assumée, visible. Il n’en va pas de même dans l’école, qui se présente au service de la liberté des élèves, par leur ouverture intellectuelle à la dimension de l’universel. Cette universalité n’est que le résultat d’une inculcation parfaitement accomplie d’un arbitraire culturel particulier et contingent : lorsque l’école a imposé à l’élève tous les habitus de la culture dominante, elle lui apparaît comme universelle…[…] Ce faisant, l’école impose un rapport de force, en même temps qu’elle le dissimule ; et il faut qu’elle le dissimule comme pur moyen de domination pour continuer à s’imposer.
 
Le but de Bourdieu et Passeron, six ans après Les Héritiers, est tout simplement de dévoiler la supercherie   
De montrer ce qu’est au fond, l’éducation – toute éducation quelle qu’elle soit. Il s’agit de « ramener l’éducation pédagogique à sa vérité objective de violence ».Max Weber décrivait l’État comme l’institution possédant le monopole de la violence physique légitime.         
L’autorité pédagogique est ainsi dénoncée comme un pouvoir violent au service de la reproduction des rapports de domination dissimulé derrière le mythe irrationnel d’une promesse d’égalité. Ce diagnostic ne pouvait apporter de remède : il signait l’arrête de mort de la transmission, désormais définitivement criminalisée. Les Héritiers laissaient entrevoir une réforme de l’action pédagogique ; La Reproduction ne pourra que culpabiliser, sans solution, ceux qui se rendent complices de ce qui désormais décrit comme pure violence. Leur seule excuse était l’ignorance, l’immense illusion du discours éducatif qui les a trompés. « Toue action pédagogique, écrit Bourdieu, a pour condition d’exercice la méconnaissance sociale de la vérité objective de l’action pédagogique. » Il faut ignorer ce qu’est réellement l’enseignement pour devenir un enseignant. Mais une fois cette réalité dévoilée, comment faire ?
 
À celui qui sait ce qu’est l’éducation, éduquer devient impossible  
C’est d’ailleurs pour les enseignants que sont nos auteurs, un problème qui se présente de façon concrète et immédiate : comment enseigner que tout enseignement est une violence ?
Cette condamnation sans appel a portant servi de fondement à cinquante ans de discours sur l’éducation. Cinquante ans d’analyses, de commentaires, de formation – et aussi paradoxal que cela puisse paraître cinquante ans de formation des enseignants eux-mêmes. À l’IUFM qu’il fréquentait, F.X. BELLAMY déplore les propos qui y étaient tenus: « nos formateurs expliquaient sans sourciller aux jeunes enseignants que nous étions la réalité « objective » de notre métier : nous devenions à nos propres yeux les complices actifs de l’inégalité sociale. En faisant cours, nous reproduisions la fausse légitimité des rapports de domination. En transmettant un savoir, nous imposions des habitus, nous faisions acte de violence, pure, arbitraire, destructrice. En mettant des notes – suprême et « macabre violence –, nous préparions pour le grand capital les bataillons de prolétaires résignés qu’il attendait. Nous avions rejoint la corporation des coupables ; car si l’école était si inégalitaire, c’est que les professeurs résistaient encore à ces bienveillants formateurs qui voulaient les réformer.
Cette condamnation a largement pénétré le discours commun sur l’enseignement et sur la transmission en général, quelles que soient d’ailleurs les sensibilités politiques. Il cite Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur qui, en 2009, en pleine polémiquesur les concours d’accès aux grandes écoles, déclare dans un discours officiel que la culture est « discriminatoire ».
 
En adoptant l’analyse de Bourdieu, nous avons hérité de son fatalisme
Ainsi nous sommes entrés avec lui dans l’impasse qu’il ouvre à la mission éducative en général. La dénonciation des héritiers rend impossible la transmission ; elle nous empêche de l’assumer. Et de ce fait, le soupçon que notre société porte sur eux – et qui se transforme si nécessairement en une forme de mauvaise conscience latente – a fini par faire entrer tous les dépositaires d’une autorité dans un désespoir partagé. C’est en particulier le cas de l’Éducation nationale, plongée dans une sorte de dépression collective singulièrement frappante, malgré les énergies qui tentent de se manifester partout. Comment pourrait-il en être autrement puisque la fonction même de l’enseignant, puisque la place même de l’adulte semblent avoir perdu leur sens et leur légitimité ? S’il ne nous reste aucune raison, ne subsiste plus, paradoxalement, que la répétition mécanique d’un acte traditionnel, d’un rôle social qui, pour n’être plus habité, n’en est pas moins nécessaire pour assurer un semblant d’ordre public et renouveler le potentiel économique. Ne subsiste plus qu’une responsabilité parentale sans signification, complétée par une administration sans âme. Faut-il nous y résigner ? Sommes-nous condamnés à enseigner, à éduquer sans trop savoir pourquoi, et sans oser nous le demander ?
Sans doute, après avoir cédé à la fascination d’une déconstruction qui semblait libératrice, est-il désormais urgent de rouvrir la discussion, de retrouver des perspectives nouvelles et de dépasser a culpabilité des héritiers pour refonder le sens de la pédagogie qui est précisément le contraire du désespoir.
 
En condamnant la transmission et la culture qui en est l’objet, l’ingratitude de nos trois censeurs a abouti exactement aux conséquences qu’ils voulaient dénoncer. Ironie de l’histoire cette fois-ci ; l’œuvre de Bourdieu a eu une immense influence, mais elle a produit exactement l’école qu’elle voulait condamner. En interdisant aux enseignants de transmettre la culture, nous condamnons comme jamais les enfants dont les familles n’ont pu prendre le relais. Une école qui ne transmet rien abandonne les enfants de milieux moins favorisés : elle fait ainsi du niveau socialdes élèves un déterminisme quasiment infranchissable.
 
 
 
 
 
 


[1] François-Xavier BELLAMY, agrégé de philosophie, extraits de « LES DÉSHÉRITÉS ou l’urgence de transmettre », Plon, août 2014, pp. 23-108.




Date de création : 02/06/2015 @ 08:52
Dernière modification : 02/06/2015 @ 19:16
Catégorie : Sociologie
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