RÉFLEXIONS DANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE Lanthropologie ici développée est à comprendre, non au sens de Lévy-Strauss (Anthropologie structurale), mais comme une sorte dethnologie intégrant les données dautres sciences humaines comme la sociologie, la linguistique ou larchéologie. Ce sens correspond à celui auquel lemployait encore Kant, (Anthropologie in pragmatische Hinsicht) : une approche philosophique de lhomme et de sa nature, approche qui sera aussi théologique en ce quelle considérera lhomme dans son rapport à Dieu. La triade [corps-âme-esprit][1] INTRODUCTION « Si elle nest pas tout à fait ignorée du catholicisme, la triade corps, âme et esprit, ny tient cependant pas une place prépondérante, du moins en un sens où chacun des trois termes qui la composent se verrait reconnu par rapport aux deux autres égales distinction et pertinence. De fait lanthropologie catholique sest plutôt développée sur le registre de la dualité, voire parfois du dualisme, de lâme et du corps. Mais ce registre de la dualité, confronté en christianisme aux affirmations de foi de lIncarnation et de la résurrection de la chair doit nécessairement sinscrire dans une perspective plus unitaire de la personne. Le mouvement que lon peut alors repérer dans lhistoire des compréhensions catholiques de la personne humaine est un mouvement intégrateur qui vise à exprimer lunité de la personne : une dualité travaillée de lintérieur par lunité. Ainsi, la compréhension naturelle de lhomme composé (I) est-elle dominée par une compréhension théologique de lhomme en relation avec Dieu, et, de là, en relation théologale avec ses frères : lhomme est à limage de Dieu (II), et même, plus précisément, à limage de cette image de Dieu quest le Christ, qui assume trois corps pour sunir plus étroitement lhomme et les hommes (III). Alors en son corps et son âme, lhomme accède à lesprit. » DE LA CHAIR À LESPRIT La triade corps, âme et esprit napparaît en tant que telle, quune seule fois dans la Bible, à la fin de la première épître de saint Paul aux Thessaloniciens : Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers, et que tout votre être, esprit [pneuma] et âme [psuchè], et corps [sôma], soit préservé et irréprochable à la venue de notre Seigneur Jésus-Christ. (I Th V, 23.) Noûs et Pneuma Pneuma ne peut y désigner lEsprit Saint, non seulement parce que les deux « et » (esprit et âme et corps) rattachent les trois éléments et les mettent sur un même plan, au moins en tant que dimensions de lêtre humain, mais plus encore parce quon voit mal comment et pourquoi le Saint Esprit a besoin dêtre sanctifié. Ce que les Bibles en français rendent généralement pour « tout votre être », cest holokléros, qui signifie « qui forme un tout, entier, complet ». Grammaticalement, il sapplique ici à « esprit » (pneuma). On pourrait donc traduire par « que votre esprit tout entier, et âme et corps » ; dautant plus quil nest pas rare que dans des formules semblables de bénédictions finales, saint Paul désigne par pneuma lensemble de la personne sujette à la bénédiction : La grâce de notre seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit. (Ga VI, 18 ; PH IV, 23 ; Phm 25.) Il faudrait alors comprendre : « que votre esprit tout entier, qui est âme et corps » ; âme (psuchè) étant ici le souffle vital, lhaleine qui anime le corps (sôma). Toutefois, une lecture attentive à un contexte plus large nous oriente vers une lecture assez différente qui, tout en maintenant la tripartition, invite à ne pas linclure tout entière en lhomme naturel. Le père Fustigière[2] a suggéré que la triade paulinienne pourrait sinscrire dans un contexte aristotélico-platonicien où la psuchè tient le milieu entre lesprit et le corps. Il paraphrase ainsi le verset : Que votre esprit, séparé de tout le reste, cest le sens premier de hagios , soit tourné vers Dieu et ainsi reçoive de sa lumière ; et que votre âme, cette âme des passions si intimement liée à la chair et au sang, à toutes les sensations, séparée elle aussi des choses den bas, se tourne vers le noûs, et de la sorte, à son tour sillumine ; et puisque tout cela est difficile quand le corps souffre [
] que notre pauvre machine enfin soit séparée de tout mal, de tout mal. Dans le Nouveau Testament, noûs est un terme rare : dans les Évangiles, il napparaît quune fois, quen Luc XXIV, 45, et comme dans lApocalypse XIII, 18, il na pas un sens proprement anthropologique, mais désigne la compréhension dun sens profond. Chez saint Paul, dans lÉpître aux Romains, la loi du noûs est identifiée à la loi de Dieu propre à lhomme intérieur, et opposée à une autre loi, présente dans le corps, qui enchaîne à la loi du péché et conduite à la mort (Rm VII, 22-25). Dans le même sens, la même Épître, un peu plu loin (XII, 2), décrit le noûs humain comme capable dadhérer à la volonté divine. En revanche, lÉpître aux Romains présente aussi ce noûs comme susceptible dêtre « sans jugement [adokimos] » (Rm, I, 28). Cest que le noûs est pour l lÉpître aux Romains une capacité naturelle et intérieure de voir Dieu à travers ses uvres (Rm I, 20), mais qui demeure fragile, sinon tout à fait impuissante, quand elle nest pas informée par la grâce : [Le noûs] est assimilable à une « matière » à légard de laquelle la grâce de Dieu jouerait le rôle de forme active spirituelle. Lillumination du noûs par la lumière du Christ, image de Dieu, rend seul le cur (kardia) humain capable de connaître la gloire de Dieu (II Co, IV, 3-6), faisant ainsi passer dynamiquement, de lhomme extérieur, captivé par le visible, le charnel et le temporel, à lhomme intérieur tourné vers linvisible, le spirituel et léternel (II Co IV, 16-18). Lopposition nest pas ici un dualisme ontologique entre le charnel et le spirituel, le corporel et lincorporel, le corps et lintellect ; cest un dualisme entre, dune part, un corps et un noûs qui composent lidentité ontologique et mortelle de lêtre humain, et, dautre part, un corps et un noûs recréés par la mort dans le Christ, et qui trouvent leur véritable intériorité spirituelle dans linhabitation de la grâce, dans « les arrhes de lEsprit [pneuma] » quils ont reçue (II Co V). En recevant lEsprit, lhomme, passé en Christ, devient limage de limage de Dieu quest le Christ, la gloire de la gloire de Dieu, quest le Christ (II Co III, 18). Ainsi, si saint Paul, dans la première épître aux Thessaloniciens, parle de pneuma plutôt que de noûs cest parce que le noûs demeure une réalité humaine et faillible, qui, pour participer à limage divine, doit accueillir le pneuma divin, ce qui fut le cas du premier homme créé, dans lequel Dieu insuffla son souffle. Dieu pour lhomme ne se contente pas de le créer corps et âme, simple vivant. Il lui insuffle quelque chose de lui-même, lui donne part de son esprit. La vie supérieure en lhomme nest donc pas seulement ordonnée au divin, elle est communication de Dieu. Du noûs au pneuma, voilà toute la différence, ce qui dans le genre prochain, distingue spécifiquement le christianisme[3]. Ainsi, à sa cime touchée par le pneuma, lesprit humain pourrait se détacher des passions du corps et de lâme ; participant déjà dune certaine manière au pneuma, il est rendu capable daccueillir lhagion pneuma, le Saint-Esprit. Le célèbre passage de la Première Épître aux Corinthiens qui mentionne un corps psychique (qui est aussi physique, car à limage dAdam, et donc fait de terre) et un corps pneumatique ou céleste (I Co XV, 35-54) va dans ce sens, puisque le second corps, tout en étant apparenté au premier (lun et lautre sont des corps), nen est pas le produit : il apparaît instantanément, du fait de laction du Christ, qui joue là le rôle du Dieu insufflateur de la Genèse. Qui plus est, il ny a pas ici dopposition entre lextériorité corporelle et lintériorité spirituelle : le sujet de cette transformation est toujours le corps, qui désigne donc dans lentièreté de la réalité naturelle et ontologique de lêtre humain. Plutôt que de « transformation », il serait dailleurs préférable de parler d« échange ». En effet, le verbe allassô, que saint Paul emploie par deux fois dans ce passage (en I Co XV, 51 et 52) nindique pas dabord une transformation, mais un échange ; il ne faut donc pas lire : « Tous nous serons transformés », mais « Tous nous échangerons » notre corps physico-psychique contre un corps pneumatique. En effet, saint Paul précise juste auparavant que « la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu » (I Co XV, 50) et recourt ensuite à limage du vêtement (I Co XV, 53). Limage est ici la même que dans l Épître aux Hébreux (I, 10-12) où, opposant lÉternité du Seigneur à la caducité du ciel et de la terre créés, lauteur explique que ces derniers seront « roulés » par le Seigneur comme un manteau ou un vêtement, puis « échangés » (cest une citation du Psaume CH, 27, dans la version de la Septante). Saint Paul témoigne encore de la même perspective dans la Deuxième Épître aux Corinthiens (IV, 16-V,8) : le soma est une simple résidence, qui sera détruite par la mort ; la psuchè est la vie ; le pneuma est ce par quoi lidentité personnelle est conservée si celle-ci participe au pneuma du Christ. Toutefois, dans lÉpître aux Romains (VIII, 1-27), saint Paul paraît adopter un autre point de vue : il y est effectivement indiqué la possibilité dune rédemption du corps physico-psychique ; toutefois, celle-ci semble tributaire de la nécessité de participer au pneuma divin, qui, seul peut donner au corps de vivre pleinement et de dépasser la mort. Léchange des corps et la rédemption du corps ne sont pas des notions aisément compatibles entre elles ; et sans doute ne faut-il pas chercher à les concilier, mais plutôt à comprendre quil y a réellement pour sait Paul une solution de continuité entre le corps physico-psychique et le corps pneumatique, mais que, dune certaine manière mystérieuse, le corps pneumatique assume les fonctions et dimensions personnalisantes et personnelles du corps physique et psychique ce pourquoi le corps pneumatique est dit corps. Corps et âme La tradition latine a plutôt développé une conception dualiste de la personne, corps et âme, mais elle na pas toujours oublié la triade de la première Épître aux Thessaloniciens, non pas seulement en proposant des triades internes à lâme, mais plus encore en se situant dans la partie supérieure de lâme, la mens, la ratio superior, lintellectus, le siège par excellence de limage divine, le lieu de jonction à lEsprit-Saint. Saint Augustin (354-430) peut être considéré comme le point de départ de la tradition anthropologique du christianisme latin ; cest lui qui conféra ses caractéristiques majeures ; cest à lombre de son autorité que les théologiens et les philosophes médiévaux raisonnèrent et saffrontèrent ; et cest encore dans les termes de la dualité quaujourdhui bien des catholiques considèrent la personne humaine. À la différence de nombre de ses prédécesseurs, il ne voyait pas dans la différence sexuelle lexercice de la sexualité, la famille et peut-être la société une conséquence du péché originel : au paradis, Adam et Ève étaient déjà dotés dune nature corporelle sexuée semblable à la nôtre, et létat angélique de lhomme nappartenait pas au passé davant la chute, mais à lavenir, à létat ressuscité (conformément à Mt XXII, 30 ; Mc XII ; Lc XX, 36). Ce que le péché avait introduit ce nétait donc ni le corps matériel, mais la défaillance et la perversion de la volonté et la mort ; autant de ruptures dune harmonie originelle entre les hommes, entre lhomme et la femme, entre le corps et lâme. Par conséquent, « on ne pouvait jamais accueillir la mort comme si elle libérait lâme dun corps auquel elle aurait été associée par accident. Cétait un évènement non naturel[4] ». Il est dailleurs remarquable de ce point de vue, quAugustin, tout pénétré de platonisme quil était, nemployât quune seule fois (Contra academicos I, 1, 9) sans le critiquer mais sans le prendre complètement à son compte, le topos platonicien (Phédon 62b ; Cratyle 400c) du corps prison ténébreuse (carcer tenebrosus). Si lâme est prisonnière, ce nest pas du corps, mais du péché, qui entraîne une certaine sujétion, non invincible, de lâme au corps. De fait, à moins dinstaurer une rupture radicale entre le corps davant le péché et le corps daprès le péché ce à quoi se refuse Augustin , lexclusion complète du corps de la définition de lhomme est pour le moins incompatible avec laffirmation chrétienne de la résurrection de la chair et de lincarnation du Verbe, ainsi quavec le théologie et la pratique sacramentaires et liturgiques qui usent de signes sensibles qui, ainsi que le remarquait par exemple Ambroise de Milan, le maître dAugustin, seraient sans objet si lhomme était seulement son âme. Lhomme substance rationnelle formée dune âme et dun corps On trouve chez saint Augustin des formules assez divergentes quant à la nature de lassociation de lâme et du corps : dans un premier temps, dans une ligne néoplatonicienne, il considérait que cette union était dordre simplement instrumental, le corps étant le serviteur et linstrument de lâme, et lâme, la rectrice du corps ; dans un second temps, au contraire, cette union lui sembla substantielle, au point que lâme et le corps conjoints formaient ensemble la nature humaine. Lhomme, écrit-il, est une substance rationnelle formée dune âme et dun corps (De Trinitate, XV, VII, 11.) Et encore : Lhomme nest pas le corps seul ou lâme seule, mais ce qui est composé dâme et de corps (De civitate Dei XIII, XXIV, 2). On ne peut être plus nettement opposé au texte fondateur de lidée selon laquelle « lhomme nest rien dautre que lâme », ni le corps, ni le composé du corps et de lâme : lAlcibiade de Platon (130). Cette unité de lhomme, qui nest ni accidentelle ni substantielle, saint Augustin a suggéré quelle devait être comprise par analogie avec lunion hypostatique, union de deux natures, humaine et divine, en une personne, le Verbe incarné, homme total, plénier et parfait ; union directe, immédiate et sans confusion des natures : de même que le divin Verbe sest uni à lâme humaine (et par elle à lhomme tout entier), lâme humaine sunit au corps ; sur le modèle indépassable de lIncarnation, lâme et le corps forment ensemble lunité de la personne humaine. Il est vrai que la formule longue du symbole dÉpiphane, probablement antérieure à 374, expliquait que Jésus-Christ « a pris la nature humaine parfaite [teleios anthrôpos], âme [psuchè], corps [sôma] et esprit [noûs] » tripartition qui se retrouve aussi dans lHermèneia eis to sumbolon attribué à Athanase et dans le Symbolum maius Ecclesiae Armenicae (ce dernier remplaçant, dans certaines de ses versions sôma par sarx), symboles contemporains à celui dÉpiphane -, mais cette tripartition fit ensuite place à une bipartition . Ainsi le symbole Quicumque, dit dAthanase, (bien quil ne fût pas de lévêque dAlexandrie), qui remonte sans doute à la fin du Ve siècle, précisait que Jésus-Christ est « Dieu parfait, homme [homo] parfait subsistant à partir [ex] dune âme rationnelle [anima rationalis ou rationabilis] et dune chair [caro] humaine ». Le deuxième Concile de Constantinople, en 553, affirme que le Dieu Verbe sest uni « à la chair [sarx, caro] animée par une âme raisonnable et intellectuelle [psuchè logikè kai noera, anima rationabilis et intellectualis] ». La constitution De fide catholica du quatrième concile du Latran (1215) affirme que le Fils unique de Dieu est fait « homme véritable [verus homo] composé [compositus] dune âme raisonnable [anima rationalis] et dune chair [caro] humaine ». Lanimation de lembryon humain et le statut de lenfant à naître dans la pensée médiévale[5] Les récents progrès techniques en matière de reproduction fécondation in vitro, diagnostic prénatal et préimplantatoire, recherches sur les cellules souches, clonage, etc. ont bousculé les notions traditionnelles de la parenté et suscité de vifs débats sur le statut de lembryon, tout en provoquant des initiatives répétées pour encadrer ces techniques sur le plan juridique. Le caractère inédit des possibilités techniques et de leurs implications sociales, peut faire oublier que les questions quelles posent sinscrivent en même temps dans une longue tradition[6]. Dans lOccident médiéval, le statut de lenfant à naître constitue déjà un problème où enjeux scientifiques, religieux, juridiques et éthiques sentremêlent. À partir de quand lembryon vit-il ? À partir de quand est-il un être humain ? Doù vient lâme ? Lavortement est-il toujours un crime ? Quel est le destin des ftus avortés et des enfants mort-nés ? Ces questions, et dautres encore, font lobjet de débats détaillés et systématiques à partir du IIe siècle, dans le cadre dun renouveau intellectuel et culturel général et sous linfluence particulière de nouvelles traductions douvrages médicaux de la tradition hippocratico-galénique[7]. Lassimilation progressive de la philosophie naturelle dAristote, durant les premières décennies du XIIe siècle, apporte un stimulus supplémentaire, tout en modifiant profondément les termes dans lesquels la question de lanimation de lembryon, et dautres problèmes relatifs à lembryon, se posent. Lembryologie ou pour employer un terme médiéval , la théorie de la génération, est loin dêtre un thème marginal dans la pensée médiévale et cest un sujet qui traverse toutes les disciplines. Les médecins et les philosophes, mais aussi les théologiens, et dans une moindre mesure les juristes sy intéressent. Gilles de Rome (1243-1316), lun des théologiens les plus en vue de sa génération, est en même temps lauteur dun traité embryologique, certes unique en son genre, mais très influent et souvent cité, par les médecins et les philosophes. Remarque : Plus souvent, lintérêt des théologiens pour lembryologie est directement lié à des problèmes dordre doctrinal, comme celui de la transmission du péché originel et de lhumanité du Christ, ou, au XIIIe siècle, à des questions philosophiques et métaphysiques, comme la pluralité ou lunicité des formes substantielles. Même si les différentes disciplines nenvisagent pas lembryon sous le même angle, elles posent souvent les mêmes questions, suivent des méthodes analogues, et partagent, en grande partie les mêmes autorités. Traducianisme[8], créatianisme[9], préexistence Ce problème est lié en premier lieu à la question de lorigine de lâme. La première scolastique envisage deux théories : le traducianisme et le créatianisme. Lidée du traducianisme que lâme se transmet avec la semence (thèse défendue, chez les Pères latins, par exemple par Tertullien et par Augustin dans certains de ses écrits) facilite lexplication de la doctrine du péché originel. En revanche, dans un schéma traducianiste, il nest ni aisé dexpliquer pourquoi lâme est immortelle, ni comment une nouvelle âme se détache de celle des parents. Un autre aspect du problème de lorigine de lâme est la question de sa préexistence. Les théologiens de la première scolastique affirment que Dieu crée chaque jour de nouvelles âmes, alors que les philosophes, dans leurs commentaires sur limage platonicienne de la « descente de lâme », maintiennent une certaine ambiguïté. Néanmoins, cest lidée que Dieu crée chaque âme individuellement et linfuse dans lembryon qui simpose très majoritairement dès le XIIe siècle. En ce qui concerne le péché originel, dautres formes du traducianisme qui nimpliquent pas la transmission de lâme, sont cependant largement acceptées. Par exemple, lidée quune particule du corps dAdam se multiplie de génération en génération, ou linterprétation scolastique dAugustin, selon laquelle la concupiscence des parents infecte, au moment de lacte sexuel la semence, et ainsi le corps de lenfant à naître. Le corps transmet ensuite sa souillure à lâme au moment de son infusion par Dieu. Le moment de linfusion de lâme humaine À quel moment de lembryogenèse lâme créée par Dieu sassocie-t-elle au corps ? . Au milieu du XIIe siècle, le philosophe Guillaume de Conches (1090-1154) (qui se rallie également au créatianisme) pose cette question sans se prononcer, en déclarant quil na rien lu de définitif sur le sujet. Cependant, des quatre moments possibles la conception, lachèvement de la forme, lapparition du mouvement, et la naissance le deuxième moment est selon lui le plus souvent admis. Lidentification entre animation et mouvement semble effectivement plutôt rare. Elle se retrouve dans un petit traité médical du corpus constantinien que Guillaume de Conches a pu connaître. Dans le De natura humana, Constantin lAfricain (1015-1087), né à Carthage, donne en effet une description détaillée de lembryogenèse, en soutenant quau quatrième mois, au moment de la formation des organes vitaux (le cur et le foie), le ftus sanime et bouge. À moins que Guillaume de Conches ne pense aux expériences de femmes ou à la scène de la Visitation. Lidée de lanimation à la naissance vient, elle, de la tradition stoïcienne. Selon cette théorie, lembryon, qui na aucune existence propre, ne possède quun souffle vital, issu de lâme du générateur, qui le nourrit, lui permet de se développer et se trransforme en une âme au moment de la naissance, lorsquil se mélange avec lair froid lors de la première inspiration du nouveau-né. Le concept stoïcien du souffle, dont la présence se manifeste par le battement du cur et la pulsation des des artères, occupe une place centrale dans la physiologie galénique véhiculée par les traductions gréco-arabes comme le Liber Pantegni du médecin attribué à Constantin lAfricain[10] qui, en 1077 avait rejoint lécole de Salerne[11]. Le fait que ces textes médicaux décrivent lembryogenèse, en ignorant lâme, pouvait peut-être suggérer que lanimation nintervient quà la naissance. On peut encore rattacher cette position à des logiques juridiques plutôt que médicales qui placent lacquisition de la personnalité juridique à la naissance. Selon un principe du droit romain, inspiré sur ce point par la philosophie stoïcienne, et bien connu des juristes médiévaux, lenfant à naître nest, avant de pousser son premier cri, quune partie des entrailles de la mère. Jusque-là, il est considéré comme une simple espérance de vie, non comme un être vivant. Sil ne naît pas (avortement, fausse couche, enfant mort-né), lespérance sévanouit. Le droit romain protège certes les intérêts du ftus, surtout en reconnaissant un droit dhéritage aux enfants posthumes. Cependant, les juristes recourent, pour ce faire, à la fiction, en faisant comme si lenfant était déjà né. Le droit canon et la théologie partagent la subordination de la personnalité juridique à la naissance, en interdisant, à la suite dAugustin, le baptême de lenfant dans le ventre de sa mère, car « il faut naître avant de pouvoir renaître ». Cela nempêche pas londoiement, en cas durgence, une fois la tête, voire une autre partie du corps sortie. Achèvement de la forme qui correspond à la pleine différenciation des membres Dans la Philosophia mundi, uvre plus désinvolte du début de sa carrière, Guillaume de Conches adopte lui-même la seconde des quatre hypothèses mentionnées plus haut, en situant lanimation au moment de lachèvement de la forme. Lâme ne peut sassocier au corps quau moment où les conditions nécessaires à la vie sont remplies, cest-à-dire lorsque la puissance de formation et de façonnage qui se trouve dans la semence (virtus informativa et concavativa) a fait son travail rendant possible la circulation de la virtus naturalis, force ou souffle responsable de la nutrition, à travers les membres . Dans un autre chapitre du même traité, Guillaume de Conches situe la circulation des forces vitales et lapparition de la forme humaine (humanam figuram) au soixante-dixième ou au quatre-vingt dixième jour de la gestation, pour une gestation totale de sept ou de neuf mois. Ce calendrier de lembryogenèse sinspire de Macrobe (370-après 430) et diffère dans le détail dautres traditions circulant en Occident à cette époque. Par exemple, un passage très influent dAugustin, place lachèvement de la forme à quarante-six jours, alors que la Glose ordinaire sur le Lévitique popularise lidée que la formation du garçon prend quarante jours et celle de la fille le double. Selon le Pantegni, la formation dun garçon prend trente, quarante ou quarante-cinq jours, selon que la gestation est de sept, neuf ou dix mois (selon une tradition très diffusée remontant à lAntiquité, lenfant né à huit mois nest pas viable) ; pour une fille, il faut, dans chaque cas, cinq jours de plus et il suffit de doubler la durée de la formation de lembryon pour obtenir le moment de lapparition du mouvement. Tous ces calendriers, plus ou moins complexes, ainsi que ceux dAvicenne (980-1037) qui a traduit et a fait sienne la philosophie dARISTOTE connus seulement au XIIIe siècle , saccordent pour situer la venue de la forme humaine dans les premiers mois de la grossesse. En même temps, ces descriptions de lembryogenèse se concentrent sur la formation du corps et font abstraction de lanimation. Guillaume de Conches a néanmoins raison de considérer que la thèse de la coïncidence entre formation et animation est la plus répandue. Cette position est défendue dans dautres contextes, notamment par les théologiens qui sopposent surtout à lanimation immédiate. Dans la médecine arabe qui exercera une très grande influence à la fin du XIIe siècle, les étapes du développement de lembryon se présentent de la manière suivante : Ali Ibn al-Abbas (Haly) : Formation Mouvement Développement complet Enfant de 7 mois Mâle 30 j 60 j 180 j Femelle 35 j 70 j 210 j Enfant de 9 mois Mâle 40 j 80 j 240 j Femelle 45 j 90 j 270 j Corollaire du traducianisme, la présence de lâme dès la conception est aussi compatible, comme chez certains Pères grecs, avec lidée de linfusion de lâme par Dieu. Grégoire de Nysse dont lOccident latin connaît très tôt le traité anthropologique, la défend au nom de lunité de la personne humaine. Lhomme ne peut être plus âgé ni plus jeune que lâme. La première scolastique ne suit pas le Père grec, car affirmer que lembryon acquiert une âme dès le moment de sa conception impliquerait une augmentation absurde du nombre dâmes damnées. Même les embryons avortés lors de fausses couches devraient être considérés comme des êtres humains. Dautre part, même sils condamnent toute interruption volontaire de grossesse comme un péché grave, les théologiens et canonistes médiévaux ne qualifient pas dhomicide grave, lavortement intentionnel ou accidentel dembryons informes. Lembryon informe ne possède pas encore dâme et nest donc pas un être humain. En matière davortement, le critère de la forme qui se fonde, in fine, sur un passage de lExode dans la version de la Septante et son interprétation par Augustin reste fondamental tout au long du Moyen Âge, même chez les civilistes. Linfusion de lâme dans le corps et son immortalité (du XVe siècle à nos jours)[12] Linfusion de lâme par Dieu Rappel du questionnement des médiévaux Leur questionnement ne portait pas uniquement sur le moment de linfusion de lâme intellectuelle, mais aussi sur le rapport de cette dernière avec les principes vitaux et sensitifs qui la précèdent au cours du développement embryonnaire. . a) Du côté de ceux qui maintenaient lunicité de lâme humaine comme forme substantielle, les uns considéraient que lembryon, avant dêtre formé et de recevoir de Dieu son âme, est animé par lâme de sa mère ; dautres jugeaient que lenfant, à compter de sa conception, possède successivement, mais non simultanément, plusieurs âmes transitoires, chacune disparaissant quand une supérieure apparaît, jusquà ce quadvienne finalement, de Dieu, lâme intellectuelle ; dautres encore pensaient que lâme, dans ses parties végétatives et sensitives, provient de la matière informée par la virtus paternelle, et que sa dimension intellectuelle lui est ensuite conférée par Dieu. b) Dun autre côté, des théologiens et philosophes, postulaient une pluralité des formes substantielles : au cours du développement embryonnaire adviennent successivement à lembryon dabord lâme végétative, puis lâme sensitive, enfin lâme intellective ; la supérieure intégrant linférieure, en sorte que finalement lâme possède une certaine unité en subordonnant ses différentes formes à la plus élevée dentre elles. c) Lintroduction de la théorie aristotélicienne de lacquisition progressive de lâme humaine, jointe au développement des sciences naturelles, conduisit enfin à préciser davantage les phases de développement embryonnaire : non plus seulement le moment de la conception, puis le moment où la formation est achevée et lâme alors infusée, et enfin le moment de la naissance, mais encore des états intermédiaires de formation, qui mènent à la pleine différenciation des membres, et des états intermédiaires danimation , qui précèdent lacquisition de lâme intellectuelle. Les médiévaux ne réduisaient donc pas la génération au moment de la conception, mais y voyaient avant tout un processus qui se poursuit tout au long du développement embryonnaire, dont toutes les étapes, particulièrement celle de linfusion de lâme sont importantes. Laprès Moyen Âge En 1482, le poète et philosophe toscan Marsile Ficin (1433-1499) suivait encore la conception aristotélicienne quand il écrivait : Quand lâme est-elle infusée dans le corps ? Dès que dans la matrice de la femme, la semence qui est sortie de tout le corps de lâme, entraînant avec elle la puissance formatrice qui provient de lâme de lhomme a subi grâce à cette puissance, pendant quarante-cinq jours les transformations suivantes : les six premiers jours, elle devient du lait ; les neuf jours suivants, du sang ; les douze autres, de la chair ; et les huit restants, elle est configurée ; alors lâme est créée et infusée (Theologia platonica XVIII, VI.) De la fin du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle, deux thèses seulement saffrontaient : lune faisait se coïncider conception et animation, lautre les distinguait, plaçant la seconde après la première. Les partisans de lanimation postérieure à la conception sappuyaient non seulement sur lautorité dAristote et de saint Thomas (ainsi la quinzième des vingt-quatre thèses thomistes de 1914 validée par la Sacrée Congrégation des études affirme que « lâme humaine subsiste par elle-même », quelle est incorruptible et immortelle, et quelle est « créée par Dieu pour être infusée à u sujet suffisamment disposé »), mais aussi sur les théories scientifiques de la formation de lembryon, qui remarquaient que ce dernier nest pas formé dès sa conception , mais progressivement pendant le cours de sa gestation. a) Les partisans de lanimation immédiate considéraient que leur position était communément reçue et navait donc pas à être discutée, dautant que la pratique pastorale du baptême des ftus abortifs, pourvu quils fussent possiblement vivants pratique quentérina le canon 747 du Code de droit canonique de 1917, supposait que le ftus possède une âme proprement humaine dès le moment de sa conception. La disposition du Code de 1917 est reprise par le Code de droit canonique de 1983 (canon 871). Déjà en 1869, Pie IX, dans sa constitution Apostolicae Sedis, avait considéré que tout avortement volontaire était passible dexcommunication, sans que lon ait ici à faire entrer en jeu la question de lanimation du ftus. À partir du milieu du XXe siècle, les positions se diversifièrent et se nuancèrent. Lembryologie aristotélicienne, qui accordait seulement une participation passive à la femme dans la conception, nétant plus communément admise, on soutenait que la conception résulte de la rencontre de deux principes actifs, le sperme masculin et lovule féminine. Cette rencontre marque le début de la vie. La question nétant plus dabord celle de lanimation du ftus, tant en lui-même que par rapport aux parents. On sappuyait alors sur le code génétique, voire sur la simple combinaison des gênes parentaux. Les tenants de cette conception génétique plaçaient dans lindividualisation très tôt, sinon toujours dès le moment de la conception. b) Une autre approche privilégia le développement ; à lindividuation génétique, on ajoutait lhominisation : la conception est un processus continu au cours duquel, à un certain moment, le ftus devient un homme. On se fondait alors sur le développement du cortex cérébral, sur le caractère irréversible de lorganisation du ftus, par exemple quand il ne peut plus donner des jumeaux, etc. c) Une dernière approche tenait surtout compte des conséquences sociales. Elle ne sinterrogeait pas à proprement parler sur le moment de lanimation, mais sur les conséquences sociales de la conception et notamment de linterruption volontaire de grossesse. Dans les documents magistériels récents, lÉglise ne tranche pas la question du moment de lanimation. Elle tient que la vie apparaît dès la conception, cest-à-dire dès la fécondation de lovule ; et que cette vie est une vie humaine parce quelle appelle lâme ; ce pourquoi, dès linstant de sa conception, le ftus ne doit pas être tué, car il est peut-être déjà un homme. Ainsi selon le Catéchisme de lÉglise catholique de 1992 : La vie humaine doit être respectée et protégée de manière absolue depuis le moment de la conception. Dès le premier moment de son existence, la créature humaine doit se voir reconnaître les droits de la personne, parmi lesquels le droit inviolable de toute créature innocente à la vie (Catéchisme de lÉglise catholique, § 2270.) [
] la vie humaine est sacrée. Dès son origine, elle comprend laction créatrice de Dieu et demeure pour toujours dans une relation spéciale avec le Créateur, son unique fin. Il nest permis à personne de détruire directement un être innocent, car cela est gravement contraire à la dignité de la personne humaine et la sainteté du Créateur ( Catéchisme de lÉglise catholique : abrégé,§ 466.) En 1995, dans son Encyclique Evangelium vitae (§ 60), le pape Jean-Paul II sopposa formellement à ceux qui « tentent de justifier lavortement en soutenant que le fruit de la conception, au moins jusquà un certain nombre de jours, ne peut pas être considéré comme une vie humaine personnelle. Selon lui, (reprenant ici la Déclaration sur lavortement provoqué de la Congrégation pour la doctrine de la foi de 1974), la science génétique montrerait que dans lembryon, « dès le premier instant se trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant : une personne, cette personne individuelle avec ses notes caractéristiques déjà bien déterminées ». Dans cette perspective, cest davantage la vie que la raison qui caractérise lhumain, à condition que la vie dont il est question possède, au moins à titre personnel ou virtuel la capacité raisonnable qui caractérise lhumanité. Ce jugement est un jugement de prudence. Prudence qui s »impose, car comme le soulignait en 1987 linstruction Donum vitae de la Congrégation pour la doctrine de la foi « aucune donnée expérimentale ne peut être de soi suffisante pour faire reconnaître une âme spirituelle ». Ainsi, lenseignement magistériel contemporain, parce que confronté à la légalisation de lavortement, a choisi de séparer la question de la conception de celle de lanimation pour qualifier lhominisation : lâme rationnelle est bien créée par Dieu, elle nest pas transmise par les parents mais, parce que le ftus est dès ses débuts comme en attente dune telle âme, il peut déjà être considéré comme un homme et comme une personne son animation, quel que soit le moment, ne faisant alors que confirmer cette qualité. Telle est peut-être la raison du flottement du vocabulaire du Catéchisme de lÉglise catholique relatif à lâme rationnelle : elle est nommée anima, forma corporis, spiritus, principium spirituale comme pour éviter quun recours trop exclusif au vocabulaire aristotélico-thomiste nincite à qualifier lhominisation uniquement à partir de lanimation. Limmortalité de lâme À la fin du XVe siècle et au début du siècle suivant, le débat sur lâme fut relancé, notamment contre laverroïsme latin, qui était plutôt un avicennisme qui avait fait perdre toute consistance propre à lâme humaine[13]. À cet avicennisme sopposaient aussi bien certains aristotéliciens radicaux, comme Pietro Pomponazzi[14] dans son Traité de l'immortalité de l'âme, que des platonisants comme Marsile Ficin, qui vient dêtre rencontré à propos de linfusion de lâme. Farouche partisan de limmortalité de cette dernière, il consacra à ce thème son ouvrage peut-être le plus important : la Theologia platonica de immortalitate animarum. Ladjectif « platonicienne » ne doit pas tromper : si la théologie de Ficin est effectivement dominée par le platonisme, elle nen accorde pas moins, dans un souci conciliateur, une large place à laristotélisme et, en ce qui concerne la nature de lâme, à saint Augustin et à saint Thomas. Lâme tient le milieu entre les réalités supérieures (Dieu et les intelligences supérieures, les anges) et les réalités inférieures (la qualité et le corps) ; étant le milieu elle est aussi comme le lien qui tient ensemble le monde, permettant ainsi aux différents degrés de communiquer dynamiquement entre eux, en lui et par lui. [
] lâme rationnelle [
] apparaît comme le lien [vinculum] de toute nature, elle gouverne le corps et la qualité, et elle sunit à lange et à Dieu (Theologia platonica I, I.) Lâme nest donc pas un corps, mais elle agit dans le corps grâce à la puissance végétative, par le corps grâce au sens externe, et par elle-même grâce à lintelligence (VI, II). Lâme (anima) est une forme tout entière présente dans chaque partie du corps (VII, I), avec qui elle forme un composé unique (XV, V). En lhomme, ce qui est forme du corps, cest la mens (XV, II), qui sunir au corps, afin de la faire participer à elle, en lélevant jusquà elle pour quensemble ils forment un unique être (XV, III). Cette forme du corps est unique, car lâme rationnelle inclut les puissances sensitive et végétative, « comme le rectangle comprend le triangle ». Elle est unie au corps sans intermédiaire, parce quelle est elle-même intermédiaire entre le corporel et lintelligible (XV, IV). Elle est directement infusée par Dieu dans la matière corporelle (XV, V). Elle est créée par Dieu chaque jour et ne préexiste pas au corps, mais commence en quelque sorte avec lui (XVIII, III). Pietro Pomponazzi adopta sur la question de lâme une position selon laquelle, si saint Thomas avait eu raison, du point de vue de la foi, de défendre limmortalité de lâme, il avait eu tort du point de vue de laristotélisme et de la raison naturelle. Lhomme nest pas dune nature simple mais multiple ; pas certaine, mais incertaine ; et il doit être placé entre les choses mortelles et les choses immortelles (De immortalitate animae I.) Quil soit tel est manifesté par les opérations de lhomme et de son âme. À cet égard en effet, lâme nest pas séparable du corps, et nest donc pas immortelle, car, pour toutes ses opérations, elle requiert le corps : Si lâme [anima] humaine dépend dans toutes ses opérations dun organe, elle est inséparable et matérielle [inseparabilis et materialis]. (VIII). Par conséquent, lâme commence et finit avec le corps. Mais, lhomme tenant le milieu entre le matériel et limmatériel, lâme peut saisir luniversel, et, de la sorte, elle participe malgré tout, dans une certaine mesure de limmortalité Puisque [lâme humaine] est entre ce qui est purement abstrait et ce qui est immergé dans la matière, elle participe dune certaine manière à limmortalité (IX.) Prudent, Pomponazzi conclut son De immortalitate animae en affirmant que « la question de limmortalité de lâme est un problème neutre, comme celle de léternité du monde », que la raison naturelle (dont Pomponazzi voit le parangon dans laristotélisme) ne peut apparemment pas trancher de manière certaine et que, dès lors, elle laisse le dernier mot à la Révélation , laquelle affirme clairement limmortalité de lâme « que lâme est immortelle est un article de foi » ; cest pourquoi, ce nest quen nous appuyant sur la Révélation et les Écritures que nous pouvons, et devons, affirmer que lâme est immortelle (XV.) La position de Pomponazzi déclencha aussitôt de violentes critiques qui le contraignirent à réaffirmer, avec davantage de force, une position de type fidéiste : le De immortalitate animae navait pour seul but que dexposer la position authentique dAristote, selon laquelle il pensait lâme immortelle, mais, quant à lui, Pomponazzi, il tenait fermement que limmortalité de lâme est un article de foi.Sur le fond, on peut résumer ainsi avec le naturaliste italien Martin L. Pine, la pensée de Pomponazzi sur lâme : À la différence du thomisme, du platonisme et de laverroïsme, qui tous distinguaient lhomme de la nature par quelque sorte dessence jointe de lextérieur, Pomponazzi considère que la perfection de lhomme provient des processus naturels présents en toute vie[15]. Une différenciation originelle et bonne[16] Du milieu du XIIe siècle au XIVe siècle, âge dor de lexégèse médiévale, le De Genesi litteram de saint Augustin fut, peut-être plus quauparavant la référence première. Il permettait aux commentateurs de concilier les deux récits de création de lhomme comme deux états de la création liés lun à lautre : linformatio et la formatio ou conformatio, la virtualité et sa réalisation. Il leur permettait aussi de sopposer à la théorie dune androgynie primordiale sur un plan grammatical : il est écrit que Dieu les créa homme et femme et quIl les bénit ; lhomme ela femme étaient donc deux, et non pas un. La création de la femme nest pas le résultat de la scission dun être à la fois homme et femme, mais bien comme le soulignait le franciscain Nicolas de Lyre (1270-1340), un travail dédification (la Bible latine emploie le verbe aedificare, la Bible grecque oikodomeô, et la Bible hébreu le verbe bänäh, de même sens). Qui plus est, landrogynie ou lhermaphrodisme étant alors supposé incliner à lhomosexualité, Dieu ne pouvait pas avoir créé un tel être. De saint Augustin, on reprenait ainsi lidée que la différenciation sexuelle est une réalité de la nature humaine, déjà effective au paradis, et quelle était tout entière ordonnée à la procréation. La pénétration de la philosophie naturelle aristotélicienne suscita une nette inflexion de la compréhension et de la justification de la différenciation sexuelle humaine. Selon Aristote, comme mentionné par saint Thomas, les animaux les plus parfaits, dont au premier chef lêtre humain, se reproduisent par le coït, qui évite la confusion de lactif et du passif en un même individu. La postériorité chronologique de la création dÈve par rapport à Adam a son homologue dans les théories embryologiques médiévales. Presque toutes, considéraient que la formation dun embryon féminin est plus longue que celle dun embryon masculin. Ce nétait pas là, dans la perspective aristotélicienne qui dominait, le signe que la perfection du premier serait supérieure à celle du second, mais une sorte déchec de la nature. Celle-ci en effet, tend à la génération de garçons, mais quand la vertu du sperme qui fournit la forme est trop faible, ou quand le sang menstruel, qui fournit la matière est mauvais, cest une fille qui est conçue un homme manqué. La femme, ici aussi accuse un retard. Celui-ci nest pourtant pas sans objet : sans lui, seuls des garçons seraient engendrés ; alors, faute de femme, la procréation cesserait. La perspective se faisait essentiellement utilitaire : cest la seule procréation qui justifierait la différence des sexes. Et les rôles différents de lhomme et de la femme dans la procréation, actif pour le premier, passif pour la seconde, justifierait la subordination de lune à lautre. En revanche, sur le plan de la relation à Dieu et du salut, les situations respectives de lhomme et de la femme sont identiques, lun comme lautre étant à limage de Dieu. Cette reconnaissance de la théomorphie de la femme, dans la différence sexuelle et dans lunité hylémorphique, impliquerait que, à la résurrection des corps, la différence serait conservée ; même alors, quand aura cessé toute procréation, il y aura encore des hommes et des femmes. Aujourdhui, le Catéchisme d lÉglise catholique insiste sur le fait quen Adam cest le genre humain (genus humanus, § 360) qui est créé. Par conséquent, cest « ensemble [simul] » que lhomme et la femme furent créés (§ 371) : la différenciation sexuelle est voulue par Dieu et originelle ; lhomme et la femme sont dune parfaite égalité en tant que personnes humaines et en tant quhomme et que femme. Ils sont, « avec une même dignité, à limage de Dieu » (369). Dailleurs, poursuit le Catéchisme : Dieu nest aucunement à limage de lêtre humain [homo]. Il nest ni homme [vir] ni femme [mulier]. Dieu est un pur esprit dans lequel la différence des sexes na pas place. Mais les perfections de lhomme [vir] et de la femme [mulier] reflètent quelque chose des infinies perfections de Dieu : telles les perfections de la mère, celles du père et celle de lépoux. (§ 370) Dieu nest pas anthropomorphe mais lêtre humain est théomorphe : la différenciation sexuelle de ce dernier ne peut pas être transposée en Dieu, mais, analogiquement, elle révèle quelque chose de Dieu, y compris en tant que différenciation. Il nest pas question de dénier à la femme quelle soit à limage de Dieu, ni même de subordonner cet « être à limage » à celui de lhomme : de manière tout à fait significative, le Catéchisme ne cite jamais les versets 1 à 17 du onzième chapitre de la Première Épître aux Corinthiens (alors quil cite une fois, Gal III, 28, à propos du corps ecclésial qui est le corps du Christ, § 791 ce qui ne signifie pas pour autant quil ny aurait plus ni femme ni homme dans lÉglise, puisque le § 1577 souligne que seul un homme (vir) peut être ordonné évêque, prêtre ou diacre, car Jésus, puis les apôtres nont choisi que des hommes pour ces fonctions). Dans son Commentaire sur Ezéchiel, saint Jérôme (c. 342-420) apparente les quatre faces des quatre vivants vus par Ezéchiel dans sa vision du char divin (Éz I, 10) à quatre puissances de lhomme : la face humaine au rationnel (logikon), qui a son siège dans le cerveau; la face léonine à lirascible (thumikon), qui procède du fiel; la face véline au concupiscible (epithumêtikon), qui a son siège dans le foie; et la face aquiline à létincelle de la conscience (scintilla conscientiae), que les Grecs appellent suntèrèsis(In Hiezechielem I, I, 6/8), et qui a son siège « dans la poitrine », cest-à-dire dans le cur. Ce suntèrèsis, parfois orthographié sundèrèsis, semble être une faute de copiste pour suneidèsis (conscience psychologique ou conscience morale; suntèrèsis signifiant plutôt conservation, préservation ou observation). Quoi quil en soit, la « syndérèse » connut une longue postérité, tant en théologie morale quen théologie mystique, au moins jusquà Jean Gerson (1363-1429). Selon saint Jérôme, cette étincelle de la conscience, imagée par laigle, est « au-dessus et hors des » trois puissances de lâme, avec lesquelles elle ne se mêle pas, mais quelle peut corriger et rectifier quand elles errent : elle ne fut pas détruite par le péché ni supprimée lors de lexpulsion du paradis, bien quelle puisse déchoir; et cest grâce à elle que « nous sentons quand nous péchons ». Elle est, poursuit saint Jérôme, fréquemment appelée par les Écritures « spiritus »; cest donc elle quévoquerait saint Paul quand il écrit : L'esprit sollicite pour nous en des gémissements ineffables. (Ro VIII, 26.) Personne ne sait les choses qui sont en lhomme, sinon lesprit qui est en lui. (I Co II, 11.) Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers, et que tout votre être, esprit, et âme, et corps, soit préservé irréprochable à la venue de notre Seigneur Jésus-Christ. (I Th V, 23.) La ligne prioritairement morale de saint Jérôme, selon quoi la syndérèse est la conscience morale qui nous fait distinguer spontanément le bien du mal, domina. On la trouve par exemple chez saint Thomas dAquin, qui, rappelant le commentaire de saint Jérôme, considère que la syndérèse est un habitus naturel de la raison pratique ordonnée à laction, une connaissance innée des principes moraux : Cest pourquoi on dit que la syndérèse incite au bien et proteste contre le mal, quand, par les premiers principes, nous nous mettons à la recherche [de ce quil faut faire] et jugeons ce que nous avons trouvé. (Summa theologica I, qu. 79, art. 12, cf. aussi I-II, qu. 94, art. 1.) Toutefois, à partir des mêmes notations de saint Jérôme sur Ezéchiel, se développa aussi, particulièrement à partir du XIIIe siècle, une interprétation mystique qui, sans exclure le discernement moral, sappuyait surtout sur la caractérisation de la syndérèse comme supérieure et extérieure aux autres puissances de lâme comme laigle, elle vole au-dessus et monte vers les sommets , ainsi que sur les citations pauliniennes à propos de lesprit qui seul peut sonder les profondeurs de lhomme et de Dieu. Il semble que ce soit le chanoine de Saint- Victor, de Paris, Thomas Gallus ( 1246), qui, le premier, interpréta ainsi la scintilla synderesis, y voyant comme létincelle qui naît de la rencontre entre le sommet de lâme, là où lêtre à limage de Dieu se fait le plus ressemblant, et Dieu Lui- même. Selon une perspective très inspirée par saint Denys lAréopagite, Thomas Gallus décrit lascension de lâme vers Dieu comme une ascension des degrés de lâme et des neuf ordres des hiérarchies angéliques. Aux trois derniers degrés, qui correspondent respectivement aux Trônes, aux Chérubins et aux Séraphins, lintellectus et laffectus sont séparés par la Grâce de lesprit, puis lintellectus et laffectus, attirés par Dieu, atteignent leur perfection et laissent place, au-dessus deux, au sommet le plus haut (« summus apex », Explanatio, Theologia mystica I, II), à lapex affectionis, le sommet de laffection, le séraphin de lesprit, dont le contact avec Dieu, ou, plus précisément, avec lEsprit de Dieu (Explanatio, Theologia mystica, prol. I), produit, den haut, la scintilla synderesis, seule chose que retient ici lesprit (Troisième commentaire du Cantique des cantiques, prol., B 89 c; V 155 b; V 168 a). Cette scintilla est alors « pure participation à la bonté divine qui flue de la vérité [Dieu] dans limage [i.e. lâme] » et la déifie (prol., B 89 c). Alors la Lumière divine déificatrice peut redescendre progressivement tous les degrés de lâme, les inondant chacun dans la mesure de leur capacité daccueil de cette lumière. Cette approche mystique de la syndérèse se continua jusquà Jean Gerson, qui, au début du XVe siècle, croise les acceptions morales et théologiques de la syndérèse, laquelle est une «portiuncula [une petite partie] » de lâme, plutôt dordre affectif, que lon appelle aussi apex mentis (sommet de lesprit), scintilla rationis (étincelle de la raison), scintilla intelligentiae (étincelle de lintelligence), naturalis instinctus ad bonum (inclination naturelle au bien), instinctus indelebilis (inclination indélébile), habitus practicus principiorum (habitus pratique aux principes) (De theologia mystica XIV ; Jacob autem). Saint François de Sales (1567-1622), au début du XVIIe siècle, sinscrivit encore dans cette tradition morale et mystique affective, quand, sans plus parler toutefois de syndérèse, il évoquait la « pointe de lesprit » (apex se traduit aussi par « pointe »), la « pointe et suprême éminence de lesprit », 1« extrémité et cime de notre âme », la « pointe de lâme », la « suprême pointe de lâme » doù les vertus théologales « sépanchent [...] sur les parties et facultés inférieures » (.Traité de lamour de Dieu I, XI). Cest sans doute aussi cette syndérèse que, au XVIe siècle, saint Jean de la Croix (1542-1591) et sainte Thérèse dAvila (1515-1582) appelaient « centro de alma » (centre de lâme) ou encore « fondo de alma » (fond de lâme). Lun des principaux représentants de la théologie mystique de la syndérèse, dautant plus intéressant quil ne se situe pas dans une perspective prioritairement affective, voire antiintellectualiste, mais sinscrit dans la lignée de saint Albert le Grand et de saint Thomas dAquin, est Maître Eckhart. Lui aussi comprend la syndérèse, comme une lumière den-haut venue dans lâme la conformer à limage de Dieu. Commentant la parabole de lhomme (innomé, précise Maître Eckhart, parce que cet homme, cest Dieu) qui fait un grand repas (que Maître Eckhart identifie au repas eucharistique) et qui envoie son serviteur à la recherche des invités (Le XIV, 16-24), il explique : [...] ce serviteur est la petite étincelle de lâme [daz vünkelîn der sêle; on reconnaît ici la scintilla animae] qui est créée par Dieu et qui est une lumière imprimée d'en haut ; cest une image de la nature divine [ein bilde gôtlicher natûre] qui toujours s oppose à ce qui n est pas divin; ce nest pas une puissance de lâme comme lont voulu quelques maîtres [ce pourquoi saint Thomas la dit habitus], et elle est toujours inclinée vers le bien; même en enfer elle est encore inclinée vers le bien. Les maîtres disent : cette lumière est de telle nature que sa lutte est constante, elle se nomme syndérèse [sindéresis], ce qui veut dire unir et détourner[18]. Elle a deux opérations. Par lune delles, est en conflit avec ce qui nest pas pur. Lautre opération est dattirer sans cesse vers le bien et elle est imprimée directement dans lâme même encore chez ceux qui sont en enfer. (Homo quidam fecit cenam magnam 20 a[19].) On reconnaît ici plutôt linterprétation de la syndérèse comme conscience morale habituelle et innée. Mais, précisément parce que la petite étincelle attire vers le bien et quelle est lumière imprimée den haut, elle peut recevoir une interprétation mystique. Prêchant encore sur le même texte, Maître Eckhart écrit en effet : La puissance du Saint-Esprit prend [...] véritablement ce quil y a de plus pur, de plus subtil et de plus élevé, la petite étincelle de lâme, et lemporte tout en haut, dans le brasier, dans lamour [...]. [...] la petite étincelle dans lâme est élevée dans la lumière et dans le Saint-Esprit, emportée de cette manière vers sa première origine[in den ersten ursprung] ; elle devient totalement une avec Dieu, tend absolument à lunité et est une avec Dieu plus véritablement que la nourriture avec mon corps, bien davantage même, dans la mesure où elle est plus pure et plus noble. (Homo quidam fecit cenam magnam 20 b.) Plus encore, il parla dun « on ne sait quoi de tout à fait secret et caché », qui est « dans lâme » comme son « fond » et « très au-dessus de la première diffusion où se diffusent les puissances de lintellect et de la volonté », comparable en cela au lieu « doù le Fils sort du Père dans la première diffusion » (Populi eius) ; un on ne sait quoi que lon appelle parfois « une puissance dans lesprit », parfois « une garde de lesprit », parfois « une lumière de lesprit », parfois « une petite étincelle », parfois encore « un petit château fort dans lâme [ein bürgelîn in der sêle] », mais dont le nom propre est : « ce nest ni ceci ni cela [ez enist weder diz noch daz] », car ce quelque chose est dune telle unité et dune telle simplicité quil est semblable à Dieu, sans forme (« ist von allen formen blôz ») et sans nom (« ist von allen namen vrî »)(Intravit Jésus in quoddam castellum). [...] il y a quelque chose dans l'âme qui dépasse lessence créée de lâme, quelque chose que rien de créé ne touche, quelque chose qui n est rien. [...] Cest une parenté despèce divine, cest Un en soi-même, cela na rien de commun avec quoi que ce soit. [...] Car cest un pays étranger et cest un désert, trop innommable pour quon le nomme, trop inconnu pour quon le connaisse. (Ego elegi vos de mundo.) Ce quelque chose, qui est une lumière, est donc incréé et incréable (« ungeschaffen und ungeschepfelich »), « saisit Dieu sans intermédiaire, sans rien qui le recouvre et dans sa nudité, tel quil est en lui-même », sans distinction ce pourquoi cette lumière « a plus dunité avec Dieu quelle na dunité avec quelque faculté humaine, avec laquelle est cependant un dans lêtre. Car [...] cette lumière nest pas plus noble dans lêtre de mon âme que la puissance la plus basse ou la plus grossière de toutes [...]. En sorte que si lon considère les puissances dans lêtre, elles sont toutes un et également nobles, mais si lon considère les puissances dans leurs opérations, lune est beaucoup plus noble et plus élevée que lautre » (Ein meister sprichet). Unité donc de lêtre humain, et de son âme, et de ses puissances, sans que rien en lui ne soit plus noble ou plus bas que le reste ; être humain créé, âme créée (Eckhart le souligne, par exemple dans le sermon Intravit Jesum in templum) qui est intellective et volitive, et forme animatrice du corps, faite à limage de Dieu (Nunc scio veré) âme créée et une, créée jusquau sommet de la lumière naturelle de son intellect, mais dans laquelle réside quelque chose dincréé et dincréable, qui nest pas de lâme, qui est un don divin dillumination, mais qui, par son contact avec lâme, la transforme totalement, parce que ce contact sopère comme à la racine de lâme, avec la racine de Dieu (si lon peut dire), au lieu même de la naissance des Personnes divines, en sorte que la petite étincelle peut être dite, elle aussi, incréée et incréable, et quen elle lêtre à limage de Dieu saccomplit. Dieu étant en tout temps au-dessus de lâme, Dieu flue en tout temps dans lâme et ne peut jamais faire défaut à lâme. L âme peut bien lui faire défaut, mais tout le temps que lhomme se tient au-dessous de Dieu, tout le temps, il reçoit directement linflux [învluz] divin, pur, venant de Dieu [...]. [...] lâme ne reçoit pas Dieu comme une chose étrangère, ni comme étant au-dessous de Dieu, car ce qui est au-dessous dun autre lui est étranger et lointain. [...] Il est dans lâme une chose [einez] où Dieu est dans sa nudité, et les maîtres disent que cest innomé et na pas de nom particulier. Cela est et n a cependant pas dêtre propre, ce n est ni ceci ni cela, ni ici ni là, car cest ce que cest en un autre, et cela en ceci, car ce que cest, ce lest en cela, et cela en ceci, car cela flue en ceci, et ceci en cela[...] Je dis que Dieu, éternellement et sans cesse, a été présent en ceci et quen ceci lhomme est un avec Dieu ; point nest besoin ici de grâce, car la grâce est créée, et rien de créé na affaire ici, car dans le fond [grund] de lêtre divin, où les trois personnes sont un seul être, lâme est une selon ce fond. Cest pourquoi, si tu le veux, toutes choses et Dieu sont à toi. Cest-à-dire, détache-toi de toi- même et de toutes choses, et de tout ce que tu es en toi-même, et saisis-toi selon ce que tu es en Dieu. (Sant Paulus Sprichet.)
[1] Essai de JEROME ROUSSE-LACORDAIRE, [corps-âme-esprit] par un catholique, éditions Le Mercure dauphinois, juin 2007 p. 10 sq.. [2] Festugière, Lidéal religieux des Grecs et lEvangile, Paris, J. Gabalda, 1932, p.196-220. [4] Peter Brown, Le renoncement à la chair : virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, Paris, Gallimard, 1995, p. 485. [5] Essai dû à MAAIKE VAN DER LUGT. [6] Les spéculations scolastiques sur les implications de linsémination artificielle et de la mère porteuse pour les notions de paternité et de maternité, montrent que ce type de questionnement peut exister indépendamment de toute possibilité technique. Sur ce sujet, Maaike van der Lugt renvoie à son étude Le ver, le démon et la vierge. Les théories médiévales de la génération extraordinaire, Paris, 2004, surtout p. 525-30. [7] Sur la « renaissance » du XIIe siècle, retenons, parmi labondante bibliographie, R. L. Benson et G.Constable (éd.), Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, Cambridge, Mass, 1982. Pour le développement dune science de la vie et les débats sur la génération, cf. Joan Cadden, Meanings of Sex Difference in the Middle Ages. Medicine, Science and Culture, Cambridge, 1993, p. 541-04 et Van der Lugt, Le ver, le démon et la vierge (cit. n. 2), p. 43-59 [8] Théorie selon laquelle lhérédité joue pour lensemble du corps et de lâme. [9] Un ou plusieurs êtres divins sont créateurs de la vie. Cette théorie ne soppose pas à lévolutionnisme. [10] Cette attribution fut mise en cause quarante ans après sa mort au Mont-Cassin. En effet, lorsquen 1127, Stéphane dAntioche entreprit de traduire le Liber regalis dAll ibn Abbas ( 993), il retrouva des passages entiers du Pantegni que Constantin, après leur traduction, avait purement et simplement plagiés. De ce fait, les médecins de Salerne qui pouvaient être des hommes ou des femmes, car la profession était alors accessible aux deux sexes, ont été sans rivaux dans toute la Méditerranéeoccidentale pour le haut niveau de leur pratique. [12]JEROME ROUSSE-LACORDAIRE, [corps-âme-esprit] par un catholique, éditions Le Mercure dauphinois, juin 2007 p. 49-56 et p.75-79. [13]D'un point de vue philosophique, Averroès a repris les grandes lignes du philosophe arabe Avicenne, qui s'était lui-même inspiré Aristote. Mais Averroès a durci Aristote et a ajouté ses propres thèses, notamment : L'unité de l'intelligence humaine (Averroès enseigne une dépersonnalisation de l'homme). Non seulement l'intellect agent, mais la partie spirituelle de l'intelligence humaine est nécessairement unique pour tous les hommes. Les variations que nous constatons sont dues à la vie matérielle et sensible. L'intelligence acquise est la raison impersonnelle en tant que participée par l'être personnel. Seule la race humaine, concentrée en cette unique intelligence, est immortelle, elle est aussi éternelle comme l'univers. Or, les premières traductions latines d'Aristote (utilisées pour l'enseignement des théologiens chrétiens à Paris) s'accompagnaient des commentaires d'Averroès, parfois mêlées au texte. C'est pourquoi l'Eglise a réagi. [14]Publié pour la première fois en 1516, le traité du philosophe et alchimiste italien Pomponazzi (1462-1525) est vite apparu comme un ouvrage emblématique dune position mortaliste à la limite de lhétérodoxie. Pomponazzi sattache à prouver, à partir dune lecture serrée des textes dAristote, quil est impossible dapporter une démonstration rationnelle de limmortalité de lâme. [15] Martin L. Pine, Pietro Pomponazzi : radical philosopher of the Renaissance, Padoue, Antenore, 1986, p. 234. [16] JEROME ROUSSE-LACORDAIRE, [corps-âme-esprit] par un catholique, éditions Le Mercure dauphinois, juin 2007 p.106-110. [17] JEROME ROUSSE-LACORDAIRE, [corps-âme-esprit] par un catholique, éditions Le Mercure dauphinois, juin 2007 p.146-155. [18] Dans son Commentaire de la Genèse, Maître Eckhart explique que synderesis signifie soit « sine haeresi », cest-à-dire division par rapport au bien, retranché du bien, soit syn (con : avec) haereo (être attaché, sattacher), cest-à-dire « semper cohaerens bono » (adhérent toujours au bien). Voir Maître Eckhart, Predigten, Stuttgart, W. Kohlhammer, 1958-1976, t. I, p. 334, n. 1. [19] Deux sermons sont cités Homo quidam fecitcenam magnam et les sermons Ein meister sprichet et Saint Paulus sprichet, Paris, Seuil 1974 ; et les sermons Intravit Jesus in quoddam castellum, Ego elegi vos de mundo
dans la traduction dAlain de Libera (Maître Eckhart, Traités et sermons, Paris, Flammarion, 1993).
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