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Parcours braguien - Sagesse du monde (3)




LA SAGESSE DU MONDE (3)
 
MODÈLE MÉDIÉVAL – UNE ÉTHIQUE COSMOLOGIQUE [EXTRAITS[1]]
 
Le monde, et avant tout ce qu’i y a de plus cosmique dans le monde, à savoir le ciel, donne à l’homme antique et médiéval l’éclatant témoignage que le bien n’est pas seulement une possibilité, mais une triomphante réalité. La cosmologie a une dimension éthique. À son tour, la tâche de transporter un tel bien dans ce bas-monde où nous vivons enrichit l’éthique d’une dimension cosmologique. C’est par la médiation du monde que l’homme devient ce qu’il doit être et, partant, ce qu’il est. La sagesse ainsi définie est bien une « sagesse du monde. »
La médiation exercée par le monde et avec elle la sagesse qu’elle permet, sont cependant théoriques pour pouvoir devenir pratiques – à supposer que cette séparation du théorique et du pratique permette de saisir adéquatement ce dont il s’agit ici.
 
Le monde comme objet de contemplation
 
La contemplation est la forme que prend, dans certains cas, l’aspiration universelle à atteindre le bien situé au-dessus de soi. Elle est donc une réalité plus vaste que l’homme et, en un sens, toutes choses, même inanimées veulent contempler[2]. Néanmoins, ce n’est pas que chez l’homme qu’elle devient un préambule de l’agir éthique. Aristote, dès le Protreptique avait résolu la question déjà classique sur les trois genres de vie en faveur de la vie contemplative. Il avait reporté à plus tard la question de savoir si l’objet en est le monde (kosmos) ou autre chose[3]. Nous apprenons à la fin de son principal traité d’éthique que la contemplation constitue le mode de vie le plus élevé et le plus digne.
 
L’objet de la contemplation
        Chez Aristote, cet objet n’est dit nulle part. Dans une réponse nuancée, il est dit que l’être le plus haut, le dieu ne contemple que lui-même. Mais il ne saurait à ce propos servir d’exemple. Les recherches sur des êtres humbles comme les animaux compensent par leur facilité le défaut qu’elles présentent quant à la dignité de leur objet par rapport aux corps célestes, ce qui fait que leur charme ne le cède en rien à celui de l’astronomie. Un passage suggère que la philosophie est service et contemplation du dieu, sans nous dire si Aristote songerait par là à ce dieu intérieur qu’est l’intellect humain.
        Chez les penseurs postérieurs, en particulier dans la tradition stoïcienne une réponse toute prête est donnée : l’objet par excellence de la contemplation est le monde dans son indistinction d’avec Dieu. Dignité de la contemplation et dignité du monde se renforcent mutuellement : c’est parce que la contemplation est l’activité la plus haute qu’elle porte sur le monde ; réciproquement, c’est la dignité suprême du monde qui leste la contemplation de toute sa valeur[4]. Le but de l’existence est d’être un cosmotheôros (le mot n’est pas ancien, mais sans doute forgé par Huyghens).
        Chez le présocratique Anaxagore († 428 av. J.C.), antérieurement à Aristote, à qui l’on attribue des propos selon lesquels le but de la vie humaine est la contemplation du ciel[5]. Son modèle est constamment cité au Moyen Âge : il se trouve chez le néoplatonicien chrétien du IVe siècle Chalcidius[6] d’où il passera chez les penseurs de l’école de Chartres et ailleurs. Ainsi Bernard de Tours l’attribue au présocratique Empédocle († 430 av. J.C.) et lui ajoute une formule frappante : « Ôte le ciel, je ne suis rien[7] ». L’idée ne se rencontre pas seulement chez les chrétiens, mais est présente dans la tradition juive dès le Talmud[8].
Penser que le monde est un objet de contemplation est d’autant plus aisé que, depuis Aristote, on prête aux corps célestes des traits divins (les stoïciens identifient le monde céleste avec Jupiter ; pour Pline l’Ancien, « il est lui-même tout, en dehors, au-dedans, comprenant toutes choses en soi, en même temps œuvre de la nature des choses, et la nature même des choses[9] ». C’est le traité pseudo-aristotélicien Du monde, marqué par le stoïcisme, qui, peut-être pour la première fois, assigne à la contemplation son objet propre : la connaissance du monde et la connaissance de ce qu’il y a de plus excellent en lui, voilà l’affaire par excellence de la philosophie[10].  
Dans le Lucullus de Cicéron, le personnage éponyme prononce un discours inspiré du fondateur du moyen platonisme Antiochus d’Ascalon († 66 av. J.C.) contre le scepticisme de la Nouvelle Académie. Cicéron lui répondant en vient à souligner que les stoïciens eux-mêmes sont en désaccord avec certains points de physique, en particulier sur l’importance relative du soleil et de l’éther. Et il ajoute : « …En effet, la considération et la contemplation de la nature sont comme une sorte de pâture pour les esprits et les intelligences ; nous nous redressons, nous nous sentons devenir plus élevés, nous regardons de haut les choses humaines, et à force de réfléchir su les [choses] supérieures et célestes, nous méprisons celles qui sont à nous, comme étroites et minuscules. Le fait même de traquer des choses qui sont à la fois plus grandes et les mieux cachées comporte déjà un charme, et si, en outre, quelque chose se présente qui ait l’apparence de la vérité, l’esprit est comblé d’un plaisir typiquement humain (humanissima voluptas)[11]
L’attitude de recherche prime sur le résultat obtenu, comme si Cicéron anticipait sur des attitudes spécifiquement modernes. La contemplation n’est pas distinguée de la considération, si l’on peut appliquer la distinction, transmise par des sources postérieures, entre la possession de la vérité et sa recherche[12]. Les deux nourrissent l’âme et pas seulement comme c’était le cas chez Platon, leur objet, la vérité divine[13].                     
Plus sobre, le péripatéticien Alexandre d’Aphrodise entérine ce chois en faveur du monde comme objet de la contemplation philosophique[14]. Il distingue deux sortes de connaissances dignes d’intérêt (spoudè) :
        celles qui ne le sont qu’indirectement, parce qu’elles renvoient à d’autres dignes qui, elles, méritent d’être choisies pour elles-mêmes ;
        et celles qui le sont directement du fait qu’elles comportent en elles-mêmes, ce qui est digne d’intérêt.
La philosophie ne consiste pas à connaître n’importe quoi, et il y a même des choses qu’il vaut mieux ignorer. Elle ne désire donc connaître que les choses divines et honorables. Or, ces choses sont celles dont la nature est l’artisan, elle qui est un art divin. En conséquence, la philosophie théorique est la science des choses divines et des choses qui naissent et se constituent naturellement. C’est de ces choses que la connaissance est par-elle-même digne d’intérêt. Alexandre s’exprime d’une façon vague, mais il semble qu’il ait à l’esprit, comme science paradigmatique, l’astronomie. Il dit en effet que c’est cette seule partie de la géométrie qui envisage les substances divines et naturelles. L’astronomie a ce privilège de réaliser le mieux le modèle qui vise à la connaissance intellectuelle (théorétique) en rapport à ce qui est.  
 
Un texte de Sénèque sur la prééminence de la vie active ou de la vie contemplative
C’est sans doute ce texte produit vers l’an 63 dans le traité De otio (« de la disponibilité ») qui donne le plus d’ampleur à l’idée de la contemplation des choses divines (horân ta theia). Sénèque, philosophe de l’école stoïcienne et précepteur de Néron, neutralise cette question de prééminence en ramenant les deux types de vie à des versions différentes de la même attitude fondamentale : s’occuper des objets de la contemplation c’est se livrer à la plus haute politique. Cette réponse, on la rencontre encore chez Plotin : la contemplation est la plus haute forme d’action[15]. Or, pour un Ancien, « action » (praxis) désigne avant tout la vie politique, les affaires de la cité. L’assimilation de la contemplation à l’action est donc rendue possible par l’assimilation de l’univers à une cité, « le cosmopolitisme », au sens fort, tel qu’il est soutenu par les stoïciens. L’« oisiveté », l’effort de se libérer pour la contemplation, est de la sorte elle aussi une façon de servir la cité.
Sénèque énumère tout un programme de recherches éthiques et physiques. Contempler n’est donc pas accueillir de façon passive le spectacle des choses, mais ouvrir une enquête sur une réalité qui ne se donne pas d’emblée. Le but dernier est cependant que l’œuvre de dieu ne reste pas sans témoin. Vivre selon la nature était le vieil idéal stoïcien et le reste ici sous une forme nouvelle : la formule désigne désormais le fait de remplir la mission assignée par la nature. Elle est double : « agir et me livrer à la contemplation ; je les fais l’une et l’autre, puisque aussi bien la contemplation même ne peut se concevoir sans action. »
Le désir de connaître les choses cachées prouve que nous sommes naturellement aptes à contempler. Le désir de savoir en matière de géographie, de théâtre, d’histoire, d’ethnographie, le montre – et même le voyeurisme. Le désir naturel de savoir, sur lequel Aristote se fondait déjà, mais qu’il laissait au niveau théorique, est ici rapproché de sa source quotidienne. Aristote prenait lui aussi à témoin notre goùt des voyages[16]. Ce désir reçoit enfin son nom, resté classique[17]. Sauf que chez Sénèque le mot « curiosité » ne signifie pas encore ce qu’il signifie maintenant. Il laisse encore deviner un concept très important chez lui, cura, l’attention inquiète portée à une chose, le souci qu’on se fait pour elle. La totalité des choses, considérée comme belle, bien organisée comme kosmos donc, doit avoir un spectateur. Et ce spectateur dont la nature a besoin est l’homme. Les caractéristiques de celui-ci, à commencer par sa situation centrale, sont déduites de la finalité « spectatrice » de l’homme : la station droite, la tête orientable. Sénèque reprend un thème devenu banal. La situation centrale de l’homme n’est donc pas un privilège que celui-ci pourrait s’arroger. Il remplit ici, dans le théâtre de la nature, non la fonction du héros, mais celle moins glorieuse de la claque. De même, le mouvement diurne est sensé permettre à la nature de présenter successivement aux regards humains la totalité de ses richesses.
Cependant nous ne voyons pas tout ; nous ne voyons pas non plus toutes les choses selon leurs dimensions exactes. La vue n’agit qu’en éclaireur, elle ne fait qu’ouvrir la voie qui mène au-delà même du monde. À nouveau, Sénèque énumère des questions de physique qui sont classées de haut en bas, des astres aux hommes de sorte que les dernières questions reproduisent comme en miroir, à petite échelle, le mouvement du passage entier. Toutes concernent la genèse du monde plutôt que sa structure, la cosmogonie plutôt que la cosmographie. L’au-delà… est plutôt un en-deçà !... En transcendant ainsi le sensible, « notre pensée traverse les remparts du ciel et ne se contente pas de connaître ce qui tombe sous les sens : « Je sonde, dit-elle, l’étendue qui s’ouvre au-delà du firmament ». L’image est ancienne et n’a rien d’exclusivement stoïcien. Bien au contraire, elle a sa forme classique chez l’épicurien Lucrèce[18]. Ce qui, en revanche, est original, c’est l’idée de la connaissance qui se fait jour ici : le savoir n’est pas conquis par l’effort humain sur une nature qui ne ferait que s’offrir passivement comme un objet : il fait partie d’une stratégie de la nature elle-même qui désire accéder, à travers l’homme, à quelque chose comme la conscience de soi.
 
Primat du ciel
 
L’étude de la nature sera donc avant tout celle du ciel. Une vieille querelle est ainsi réglée. Aristote avait hésité entre deux objets possibles pour la contemplation philosophique, chacun compensant ce qui manque à l’autre : les réalités divines sont, en soi, plus précieuses, mais elles nous échappent le plus souvent ; en revanche, les choses de ce monde, si terre à terre qu’elles soient, sont d’accès facile. Si Aristote, passionné de biologie et peu féru d’astronomie, laissait facilement deviner qu’il penchait pour la première, l’équilibre est nettement rompu en faveur de l’astronomie par la suite. C’est par exemple le cas chez Gersonide († 1344), lui-même astronome de métier. Mais déjà le néo-platonicien, Proclus († 485), pour des raisons purement théoriques, donnait le pas à l’astronomie, savoir des corps divins, sur l’alchimie, étude des transmutations des éléments terrestres.
 
L’astronomie comparée à l’alchimie
Il est particulièrement intéressant que l’astronomie ait ici besoin, pour revendiquer la dignité qui lui revient en propre, d’une comparaison avec l’alchimie dont le texte de Proclus constitue d’ailleurs la plus ancienne mention. Celle-ci n’est pas seulement connaissance du terrestre. En ce cas, il aurait suffi d’opposer l’astronomie à la géographie ou à la zoologie. L’alchimie est aussi une prétention à intervenir dans la cours de la nature, pour accoucher celle-ci d’une perfection dont elle serait incapable. L’alchimie est la première figure du projet de modification de la nature[19]– projet dont on sait qu’à l’époque moderne, et avant tout chez le scientifique et philosophe anglais Francis Bacon († 1626), il se présentera sous le masque de la magie. L’alchimie est aussi la science non contemplative par excellence, puisqu’elle l’est doublement : de par son objet et aussi de par sa démarche. Elle s’oppose donc à l’astronomie, que la nature de son objet empêche d’intervenir sur lui, et qui est donc purement contemplative.
 
Légitimation de l’astronomie
Elle légitime son existence en arguant de son utilité morale :
        d’une part en faisant valoir que la contemplation apporte le bonheur ; sans la contemplation de l’océan des êtres que rend possible la géométrie, il n’est point de bonheur, rappelle ainsi le philosophe et rhéteur grec du IIe siècle Maxime de Tyr[20] ;
        d’autre part, l’imitation du ciel, venue du Timée, s’y retrouve. On applique par là à la seule discipline rigoureusement mathématique de l’époque prégaliléenne l’idée que l’on a rencontrée plus haut chez les philosophes – Simplicius et, sans doute avant lui et comme à sa source Alexandre d’Aphrodise. Il est intéressant que ce soient des praticiens de la science qui endossent l’idée des commentateurs.
  
L’astronome et astrologue grec qui vécut à Alexandrie [alors romaine], Ptolémée[21] († 168) écrit dans la préface de son œuvre l’Almageste : « …C’est elle [l’astronomie] parmi toutes [les sciences] qui peut au plus haut point rendre clairvoyant : à partir de la régularité (homoiotès), du bon ordre (eutaxia), de l’harmonie (summetria), de l’absence d’enflure (atuphia) que l’on contemple au sujet des choses divines, elle rend ceux qui en ont conscience amoureux de cette beauté divine, et elle accoutume et, pour ainsi dire, naturise (phusiô) à un état semblable de l’âme[22].»      
La célèbre épigramme qu’on attribue au même astronome est citée par les « Frères Sincères » :  « On dit que Ptolémée désirait la science des astres (mugûm) et qu’il fît de la science de la géométrie une échelle pour monter vers la sphère, en suite de quoi il mesura les sphères et leurs distances, les étoiles et leurs dimensions, puis les nota dans l’Almageste et cette ascension se fit par l’âme et non pas le corps[23]. »
Le poète grec Aratos du IIIe siècle av. J.C., dans son poème sur les phénomènes célestes[24], exprime cela sous forme d’un mythe[25]. La digression sur la vierge Dikè, qui habitait parmi les hommes lors de l’âge d’or et qui s’est désormais retirée pour ne revenir qu’à une époque eschatologique, comme celle que décrit Virgile[26], a pour cadre une idée sur le départ des dieux. La communication avec les dieux était autrefois immédiate. Aujourd’hui, alors que les dieux se sont retirés, il reste un chemin vers eux, et ce sont les phénomènes célestes. Le mouvement est inverse de celui de la « révolution socratique » : il n’est plus question de descendre du ciel dans les cités, mais de remonter des cités, d’où la justice a disparu, au ciel. De la sorte, le passage d’Aratos est la version poétique de la justification morale de l’astronomie.  
Enfin, l’étude du ciel n’est pas pour l’âme quelque chose de purement extérieur. En faisant de l’astronomie, c’est au fond elle-même qu’elle étudie. C’est ce qu’exprime un texte de Sénèque[27]. Pour introduire à des recherches sur la nature par des considérations générales, il compare l’éthique à la physique.
 
L’éthique comparée à la physique
Cette dernière est en l’occurrence celle des stoïciens, qui englobe aussi la théologie, puisqu’elle étudie une nature qui ne se distingue pas du dieu. « De l’une à l’autre, il y a la distance qui sépare Dieu de l’homme ». L’analogie est simple : la physique est à la philosophie en général ce que la philosophie est au savoir en général. La comparaison tourne à l’avantage de la physique, ce qui n’étonne pas, puisqu’il s’agit, avant de traiter de celle-ci d’en rehausser la valeur. Mais le critère qui en assure la supériorité est très intéressant : « La science de l’humain enseigne ce qu’il faut faire sur la terre ; celle du divin ce qui se fait dans le ciel. » La physique, science de ce qui est, l’emporte sur l’éthique, science de ce qui devrait être.
Le passage est ainsi l’une des trois rares formulations antiques de la distinction qui sera à la base de la philosophie morale des Temps modernes entre être et devoir-être (is et ought, Sein et Sollen) . Nous autres Modernes placerions spontanément ce qui doit être plus haut que ce qui est, et Kant a justifié ce classement par le primat de la raison pratique[28]. Pour Sénèque, le primat est sans conteste la raison théorique : l’être vaut mieux que le devoir-être. La pratique morale est purement préparatoire, une via purgativa qui achemine plus haut qu’elle-même :
        « La première [la morale] dissipe nos erreurs et met à notre portée le flambeau qui nous permet de voir clair dans les perplexités de la « vie ». Seule la physique réalise ce que la morale ne fait que promettre ;
        « L’autre [la physique] s’élève considérablement au-dessus de l’obscurité où nous nous débattons, et ceux qu’elle a arrachés aux ténèbres sont conduits par elle vers la source de la lumière […].
La vertu à laquelle nous aspirons est splendide…L’âme a dans sa perfection et sa plénitude, le bonheur que peut atteindre la condition humaine…Il n’est qu’un point ce globe[…].
Au ciel, les espaces sont immenses, et l’âme (animus) est admise à en prendre possession […]. Arrivée là-haut, elle s’y alimente et grandit. Il semble que libérée de ses entraves, elle revienne à sa source. »
Toutes expressions qu’il faut prendre au pied de la lettre, selon la physique stoïcienne. Ou plutôt, il faut constamment transposer l’une dans l’autre la physique et ce qu’on pourrait appeler ici la spiritualité : la physique explique l’être même de l’âme, laquelle est supposée être une étincelle du feu divin. L’étude du ciel lui fait prendre conscience de sa parenté.
C’est pourquoi, « dans le charme qu’ont pour elle les choses divines, elle trouve une preuve de sa propre divinité. Elle y prend donc l’intérêt qu’on a, non pour ce qui est étranger, mais tout ce qui est sien […]. Elle sait bien que tout cela la concerne directement […]. C’est là que l’âme apprend enfin ce qu’elle a longuement cherché, là qu’elle commence à connaître Dieu […]. S’intéresser à ces questions, les étudier, s’y absorber, n’est-ce pas s’affranchir de sa condition mortelle et passer dans une catégorie supérieure des êtres ? ».
On notera le jeu sur l’idée d’intérêt, présente quant à la chose même, et jusque dans le verbe [prendre] choisi par Sénèque. Or, ici, l’intérêt est très littéralement, le fait d’être partie prenante. La révolution socratique est subvertie : si l’âme est une partie du monde, connaissance de soi et connaissance du monde cessent de s’opposer[29]. Il faut alors passer par la physique pour arriver à soi. Au sens fort de ce terme, la science de la nature est intéressante.
 
L’imitation du monde
 
L’appel au bel ordre des phénomènes célestes n’est pas uniquement théorique. Il est en même temps une figure de ce qui est demandé à l’homme, le plus noble des êtres qui sont relégués dans la contingence du sublunaire. L’ordre du monde supérieur est pour lui le modèle de la conduite correcte de la vie. C’est par l’imitation de la parfaite régularité des allures célestes que l’homme pourra réussir à mettre de l’ordre dans sa propre vie sublunaire. Il pourra ainsi transposer dans le registre pratique la « révolution socratique » et « faire descendre le ciel dans les cités ».
 
A.     L’IMITATION DE L’ORDRE
 
L’idée d’un ordre à imiter est introduite par Platon, mais non sans préparation dans l’hellénisme antérieur. Comme on vient de le voir, l’objet de la contemplation n’était pas donné d’emblée et restait flou. Il en va de même pour la nature exacte de l’ordre à imiter. Platon lui-même ne donne pas d’emblée le monde pour objet de l’effort d’imitation. Dans La République, Socrate explique à Adimante : « On n’a guère de loisir, quand l’esprit est vraiment occupé à contempler les essences, d’abaisser le regard sur la conduite des hommes, de leur faire la guerre et de se remplir contre eux de haine et d’aigreur ; mais regardant et contemplant des objets ordonnés et immuables, qui ne se nuisent pas les uns aux autres, qui au contraire sont tous sous la loi de l’ordre et de la raison, on les imite et on se rend autant que possible semblable à eux ; où crois-tu qu’il soit possible quand on vit avec ce que l’on admire, de ne pas l’imiter[30] ? ».  Le passage reste ouvert ; nous ne savons pas s’il s’agit des astres ou des idées, ce qui est rendu plus probable par un passage parallèle, un peu plus haut ; et dans le même dialogue, le « ciel » dans lequel se trouve le paradigme de la cité juste (en ouranôi) n’est pas nécessairement une réalité physique[31]. L’important est cependant que la structure de base soit posée : le regard vers le haut se détournant du bas, l’ordre (kosmos) comme objet d’amour, l’impossibilité de ne pas imiter ce que l’on aime.
 
B.     LE TOUT COMME EXEMPLE
 
La structure de base qui vient d’être dégagée, celle de l’imitation d’un ordre peut se réaliser selon que l’ordre à imiter est supposé donné : 
        dans le Tout lui-même • ;
        dans une partie privilégiée de celui-ci ••.        
• Dans le premier cas, imitation et adaptation tendront à coïncider. C’est sur cet aspect que le stoïcisme met l’accent, surtout à ses débuts. Le stoïcisme primitif, en effet, ne suppose pas que le monde est stable, mais le voit destiné à réintégrer le feu primitif dont il est sorti. Par suite, le monde n’offre pas un modèle permanent. Sa structure présente est vouée à disparaître, et la question de savoir si le retour éternel ramènera exactement la même situation reste obscure : il semble que, parti de l’affirmation d’une répétition stricte (Socrate de nouveau accusé par Anytos, buvant de nouveau la ciguë, etc.) le stoïcisme ait évolué vers une thèse moins forte. Il en est d’ailleurs de même pour l’idée de la conflagration finale, qui, dans le moyen sroïcisme, le cède à l’éternité du monde. En conséquence, l’objet de l’imitation doit être surtout le monde dans sa totalité, plus que la structure de celui-ci à un moment donné.
[De ce même côté], Sénèque considère que l’aspect du monde que nous devons imiter réside dans la mondanité même de celui-ci, dans ce qui en fait une totalité : « Ne resplendissez pas de l’extérieur. Ce que vous avez de bien est tourné vers l’intérieur ». En effet, le monde, lui aussi, lui qui englobe toutes choses, et le dieu qui dirige l’univers tendent bien vers l’extérieur, mais reviennent pourtant de partout vers l’intérieur de soi. Que notre esprit fasse de même, lorsque, à la suite de ses sens, il tendra par leur intermédiaire vers les choses extérieures, qu’il soit maître d’eux et de soi[32]. »                              
Sénèque suppose une théorie de la connaissance occasionnaliste : la connaissance commence par la sensation, mais celle-ci n’est pour elle qu’un point de départ. Ailleurs, le même Sénèque
fonde l’humanité de l’homme sur sa mondanité même : « La nature nous a dotés d’une grande âme (magnanimos) et, de même qu’elle a donné à certains animaux un esprit féroce, à d’autres un esprit rusé, à d’autres un esprit peureux, de même elle nous a donné un esprit avide de gloire et hautain, qui ne cherche pas où il vivra le plus en sécurité, mais où il vivra de la façon la plus honorable ; il se met en avant, il veut être regardé[33]. » La magnanimité de l’homme est telle – au sens propre, l’âme humaine est tellement grande – qu’elle est la mesure du monde entier. La comparaison avec les âmes des animaux n’est reprise que pour être dépassée : au fond, notre âme n’est pas conforme à celle de tel animal, donc de telle ou telle partie du monde ; son modèle doit être le monde lui-même.
••Au Ve siècle, le néo-platonicien Élias (alexandrin chrétien), se range du côté de la particularité. Il établit le parallèle entre l’ordre du monde et celui des mœurs de qui l’étudie[34]. Le monde se divise en :
         ce qui ne fait que commander d’une part et ce qui ne fait qu’obéir d’autre part : le divin commande à tout, le sublunaire obéit ;
        ce qui à la fois commande et obéit : anges et puissances célestes obéissent à Dieu et commandent au monde inférieur.
De même, en nous, on peut reprendre en ce sens la tripartition platonicienne :
        la raison ne fait que commander, le désir qu’obéir ;
        le cœur (thumos) reçoit les ordres de la raison et les intime au désir.
Élias en conclut : « Ainsi donc, que l’étudiant soit dans sa vie, rangé (tetagmenos) et [forme] un mikros kosmos, afin par l’intermédiaire de l’ordre qui est en lui, il connaisse l’unique principe du Tout (en effet l’ordre est dirigé vers l’Un, le désordre vers la pluralité), et que par l’intermédiaire du mikros kosmos qui est en lui, il reconnaisse le kosmos. Or, il sera un mikros kosmos si, comme dans l’univers (kosmos), les choses meilleures l’emportent sur les moins bonnes. » L’une des définitions traditionnelles de la philosophie dite « civile » (politikè), voit en celle-ci l’imitation de Dieu dans la mesure de ce qui est possible à l’homme. Par suite : « Si le philosophe imite Dieu, il met en ordre (kosmein) de toutes les façons ses mœurs et il fait de soi-même un petit monde (mikros kosmos). »
Le thème est courant : à la même époque, un autre commentateur, David, mentionne lui aussi Démocrite et l’idée du microcosme (née vers 430 av. J.C.), mais sans la rapprocher de la philosophie. En revanche, il joue à plusieurs reprises sur le verbe kosmein comme but de la philosophie[35]. Auparavant, un texte de Proclus a l’intérêt de rattacher le thème à une exégèse du Timée[36]. Il cite plusieurs rasons :
        d’abord la considération de l’homme nous est appropriée puisque nous nous proposons de vivre en hommes ;
        ensuite nous sommes un microcosme, et « tout ce qui est dans le monde sous forme divine et totale, se retrouve partiellement dans l’homme » ;
        enfin et surtout l’usage, attribué aux pythagoriciens, « de rattacher à l’objet contemplé le discours sur l’objet contemplant…Platon a ajouté expressément que, si l’on veut atteindre à la vie bienheureuse, on doit assimiler ce qui contemple à ce qui est contemplé. Car le Tout, lui, est éternellement heureux, et nous serons, nous aussi, heureux quand nous serons assimilés au Tout, car, de cette façon, nous serons remontés à notre Cause. Puisque, en effet, l’homme d’ici-bas a la même relation avec l’Univers que l’Homme idéal avec le Vivant en Soi […] quand l’homme d’ici-bas se sera assimilé à l’Univers, il imitera aussi son modèle sous le mode qui lui est approprié, car il sera devenu ‘ordonné’ (kosmios) du fait de sa ressemblance avec l’Ordre du Monde (kosmos), et heureux puisqu’il se sera rendu pareil au Dieu Bienheureux ». 
 
Les allures célestes comme objet central
 
La régularité du monde supralunaire
Sénèque revient à plusieurs reprises sur ce thème. Il commence par une analogie entre le ciel et le dirigeant : « le visage d’un règne tranquille et mesuré n’est pas autre que celui d’un ciel serein et lumineux[37] ». L’analogie est complétée en recevant sa dimension cosmologique : « La partie supérieure est la mieux ordonnée (ordinatior) de l’univers, celle qui est proche des astres, ne s’agglomère pas en nuages, n’est pas poussée en tempête, ne tourbillonne pas en cyclone ; elle est exempte de tout bouleversement ; c’est plus bas qu’éclate la foudre. De même un esprit sublime, toujours calme et placé dans une sphère (statio) tranquille, étouffant en lui tous les germes de colère, est modéré, vénérable, harmonieux[38]. » Il ne s’agit plus de se régler sur les phénomènes météorologiques, mais sur un étage plus élevé ; Sénèque en tire une règle qui désigne par son nom son modèle : «  L’âme du sage est semblable au monde supralunaire où il fait toujours beau[39]. »
Ce monde toujours serein (au sens propre) est le kosmos, le monde qui, grâce à son ordre parfait, mérite vraiment son nom. L’éthique antique et médiévale contient donc une dimension selon laquelle la pratique morale doit prendre pour modèle la régularité du monde. Cette imitation ne vaut pas que pour l’individu. L’ordre cosmique est une norme pour la cité elle aussi. C’est que l’univers selon une antique métaphore, toujours reprise, est lui-même conçu comme une cité. [Philon dit de même[40].]
De plus, l’imitation, pour reprendre une distinction aristotélicienne classique, n’est pas seulement pratique mais aussi poétique. Nous n’avons pas seulement à nous rendre conformes au monde par la rectitude de notre agir éthique. Nous pouvons aussi produire des œuvres qui en reproduisent la structure, par exemple des cathédrales[41]. Là aussi, l’idée est ancienne. On a cherché à construire des villes dont la structure imite celle du kosmos[42].  
 
Thème de l’imitation des allures célestes dans chacun des trois mondes médiévaux
 
A.     ANTIQUITÉ
 
On peut soupçonner que ce thème était présent au moins à l’état d’ébauche (état inchoatif) chez Hésiode (VIIIe siècle av. J.C.): la structure des Travaux et les Jours et la signification éthique de toute l’œuvre laissent penser que l’astronomie a une influence sur le bon ordre de la vie humaine. Euripide (trois siècles plus tard) donne les cycles lunaire et solaire comme exemples d’égalité (isotès) et d’absence d’envie (phtonos)[43]. Mais comme on l’a vu ce n’est que dans le Timée qu’il est dit sans équivoque que l’objet de l’imitation est le mouvement réglé des corps célestes. Cicéron (assassiné en 43 av. J.C.) reprend l’idée sans renvoyer à sa source[44].  
Plutarque († 120), en revanche, l’exprime sans faire guère plus que paraphraser le Timée[45].                             
D’autres auteurs l’orchestrent plus amplement. On peut prendre pour exemple l’orateur Dion Chrysostome († 120) un représentant de la « seconde sophistique[46] », qui recommande à ses concitoyens de Pruse de se réconcilier avec leurs voisins d’Apamée. Il leur propose en exemple le bon ordre qui règne parmi les corps célestes, en lequel il voit le résultat de vertus morales : « Ne voyez-vous pas l’ordre, la concorde, la tempérance éternels de l’ensemble du ciel et des êtres divins et bienheureux qui y sont ? » Sur terre, les éléments maintiennent entre eux une harmonie qui relève de la vertu de justice : « Ne voyez-vous pas […] avec quelle justesse dans le raisonnement et quelle modération ils perdurent naturellement, se conservant eux-mêmes et la totalité du monde ? » Dion se met alors à développer systématiquement l’idée d’un ordre cosmique de nature morale et à le proposer comme modèle pour la conduite humaine…La cosmologie sous-jacente à cette exhortation est pour l’essentiel stoïcienne. Elle n’est certes pas un but en soi : le monde n’est évoqué que comme l’arrière-plan sur lequel se détachera, pour la honte de l’homme, son incapacité à s’entendre avec ses voisins. Cette vision du monde a pourtant l’intérêt de mettre au service de l’exhortation morale une vision du monde non statique mais cyclique. Là où il s’agit de présenter le cosmos comme un modèle, il est vu le plus souvent comme un ordre éternel. Ici, en revanche, l’ordre se déploie dans le temps. Par ailleurs, Dion en bon stoïcien n’établit pas une frontière tranchée entre le supralunaire et le météorologique : l’éclipse du Soleil et le brouillard sont mis sur le même plan. Il suppose même une certaine continuité entre l’air et le monde terrestre, ce qui lui permet de poursuivre par la considération des animaux. En tout cas, le bon ordre de l’univers est exprimé de façon constante par les vertus morales de justice, de tempérance et de douceur. Cependant le contexte d’ensemble du passage indiquant clairement que la nature a valeur d’exemple, l’idée d’imitation de la nature n’est pas explicitement nommée.
 
B.     CHRÉTIENS          
 
L’idée qu’exprime le texte du Timée a connu une postérité immense dans l’Antiquité et le Moyen Âge, que sa source soit ou non explicitement mentionnée. On en retrouve la teneur fondamentale chez les païens qui viennent d’être cités, mais aussi plus tard chez des chrétiens. Ceux-ci ont eu accès au Timée, doit directement comme les Byzantins, soit par l’intermédiaire d’une traduction latine.
Au premier rang de la tradition indirecte figure le saint et martyr romain – contemporain de Clovis – Boèce († 524), qui orchestre puissamment le texte dans la Consolation de la philosophie. L’influence de ce livre écrit en latin sur les penseurs du Moyen Âge fut énorme. On en fit des versions dans toutes les langues, dont le catalan et le castillan :
– pour l’anglais, il trouva des traducteurs aussi distingués que le roi Alfred, le poète Chaucer († 1400), et, enfin, la reine Élisabeth Ier († 1603) ;
– pour le français, il fut traduit par l’auteur du Roman de la Rose, Jean de Meung († 1305);
– pour le grec, il fut traduit par les Byzantins et adapté simultanément en hébreu[47].               
Boèce voit le monde comme le voit le Timée. Et l’un des poèmes qui y figurent constitue une sorte de compendium du dialogue de Platon. Rien ne peut exister sans un minimum d’ordre qui conserve sa nature. Les cieux sont un exemple de cette loi. Ils sont admirables moins par leur vastitude que par la raison qui les gouverne[48]. C’est en eux que la volonté de Dieu est le plus nettement visible et lisible.
La Philosophie a aidé Boèce à décrire avec une baguette le chemin des astres et à « former nos mœurs et la règle de notre vie entière sur les exemples donnés par l’ordre céleste[49] ». C’est Dieu qui assure la régularité des mouvements célestes. Seules les actions des hommes sont libres. Or, le désordre règne sur la terre. Que Dieu y applique la même loi que celle par laquelle il domine les cieux. Le huitième poème de la seconde partie se conclut par : « Ô [qu’elle serait] bienheureuse la race des hommes, si l’amour qui dirige le ciel, dirigeait vos esprits.[50] » La terre n’est qu’un point dans l’univers. Mais l’homme qui l’habite vaut mieux que les pierres précieuses. De station droite, il peut regarder le ciel. Qu’il lève donc les yeux vers le ciel au lieu de les abaisser vers la boue[51]. Ainsi, dépassant la terre, il se rendra digne du ciel : « La terre surmontée offre les astres[52]. »      
 
Au XIIe siècle, l’idée semble avoir connu une floraison particulière :
        Bernard de Tours dans sa Cosmographia (vers 1150) qui s’inspire elle aussi du Platon du Timée, en reformule l’enseignement dans le cadre de l’idée de la correspondance entre macrocosme et microcosme. L’homme a été fait dur le modèle du monde : « composé formé des deux, corps et âme sur le modèle de l’ordre céleste[53]. » Le microcosme a donc besoin du macrocosme : « Le second monde, l’homme, a besoin de la connaissance et du soin du premier et meilleur. » Ce souci se réalisera par une imitation du grand monde par le petit. C’est pourquoi l’homme doit être mené par la muse Uranie à travers le ciel pour qu’il le connaisse : « L’âme humaine doit être menée par moi [Uranie] à travers tous les espaces de l’éther, afin d’augmenter sa sagesse[54]. »  Elle prend connaissance du ciel pour pouvoir s’efforcer de lui ressembler : « Seul, l’homme dont la configuration témoigne de la noblesse de son esprit, élèvera vers les astres son noble chef, afin qu’il puisse avoir, en les lois et les parcours inaltérables du ciel, un modèle pour mener sa vie[55]. »
         Alain de Lille († 1202), théologien français connu comme poète et qui assista au IIIe Concile de Latran (1179), et qui, vraisemblablement enseigna à Paris, dans son Anticlaudianus, donne à l’idée un tour original. Le but de l’Homme parfait créé par la nature avec l’aide de Phronesis et de Theologia est de « vivere lege poli[56]. » Entendons par là que l’action humaine doit se régler sur l’équité plus que sur la lettre stricte de la loi, laquelle tue. La lettre est le droit utilisé dans les cours de justice (droit forensique) que l’on nomme donc ius fori. On peut faire appel de ce droit à une juridiction supérieure. Il est intéressant que celle-ci soit désignée par le terme, évidemment appelé par l’assonance, mais peut-être pas seulement par elle, de droit du pôle (ius poli)[57] ». La formule renvoie à ce qui est en vigueur au ciel, lequel est conçu, non pas uniquement comme le séjour de la divinité, mais de la façon la plus concrète, comme une sphère lancée dans un mouvement de rotation sur soi et ayant pour axe la droite passant par les pôles. La formule vient de saint Augustin qui l’avait employée à propos d’un homme qui ayant fait don de ses biens à l’Église avait le droit de se raviser. « L’évêque avait [alors] le pouvoir de ne pas restituer, mais selon le droit du forum, non seulement le droit du ciel (jure fori, non jure poli). Chez Augustin, le contexte n’insiste pas sur l’aspect cosmique de l’idée, et l’expression ne signifie guère plus que « le Ciel » comme euphémisme se substituant au nom divin. C’est encore le cas dans le Décret de Gratien[58], – décret de droit canonique publié vers 1140 qui, citant le passage d’Augustin, lui confère ainsi la dignité d’un principe de droit. Mais, par la suite, l’image fut prise plus littéralement, pour renvoyer à l’ordre des sphères.     
        Gerhoh de Reichersberg († 1169), le théologien germain, suit de près un texte du théologien liégeois Rupert de Deutz († vers 1130), lui faisant subir d’intéressants infléchissements. Rupert mettait en parallèle les sept dons de L’Esprit Saint et les sept jours de la création. À l’œuvre du quatrième jour, la création des astres, correspond l’esprit de force ou courage (fortitudo), car les philosophes, païens comme chrétiens, ont toujours admiré la force et la puissance des astres, « qui gardent leur cours avec une régularité si déterminée et si stable », établie sur l’ordre de Dieu,…(Rupert continue par un exposé de pure doxographie) « que les gens les ont crus vivants et disposant du destin des hommes[59] ». En revanche, Gerhoh, qui jusque-là recopiait mot à mot, en tire une autre conclusion ; « […] afin que leur force soit à juste titre pour l’homme rationnel un exemple d’admiration et en même temps d’émulation convaincant celui-ci de désobéissance s’il lui arrive de quitter l’orbite du commandement qui lui est proposé[60] ». La « force » ou plutôt la constance des astres doit non seulement éveiller notre admiration, mais nous exciter à l’imiter, voire faire honte à notre désobéissance, qui apparaît alors, comme Gerhoh le suggère, comme aussi grave que la sortie d’un astre de son orbite.
 
Au XIVe siècle
 
        Dante, le florentin(† 1321), tire de l’imitation du ciel un argument en faveur du gouvernement monarchique : « Tout fils est dans un état bon et excellent lorsqu’il        imite les traces d’un père parfait, dans chacune de ses œuvres, dans la mesure où sa nature à lui le permet. Le genre humain est ‘fils du ciel’, qui est souverainement parfait dans chacune de ses œuvres. En effet, l’homme engendre l’homme, avec le soleil, selon Physique, II. Le genre humain est donc dans le meilleur état lorsqu’il imite les traces du ciel, dans la mesure où le permet la nature qui est la sienne […] Alors le genre humain est dans le meilleur état s’il est réglé dans ses moteurs et ses mouvements par un principe unique comme par un unique moteur et à partir d’une loi unique comme d’un mouvement unique[61]. » Dante se fonde explicitement sur un texte d’Aristote. Au deuxième livre de la Physique, celui-ci donnait une intéressante variante de sa formule courante « l’homme engendre l’homme » en la complétant par « et le soleil » (c’est-à-dire : avec l’aide du soleil). Il s’agissait de la sorte de replacer la génération animale dans le contexte plus large de la cosmologie[62]. Dante en tire la formule lapidaire selon laquelle nous sommes « fils du ciel ». Au soleil sont venus s’ajouter les autres corps célestes, dans l’esprit de la cosmologie de l’époque, et leurs influences. La filiation du ciel à l’homme n’est pas qu’une métaphore, puisque les influences célestes viennent former l’embryon humain lorsque l’état du ciel et le mélange des matières dans celui-ci le permettent[63].
La même idée se retrouvera au XVIe siècle, après l’astronome polonais Copernic († 1543). Ainsi chez  le logicien calviniste Pierre de la Ramée[64](† 1572) on retrouve littéralement l’éloge platonicien de l’astronomie, mais il lui donne pour objet la musique : « La musique (comme l’a pensé Platon), sœur de l’astronomie, et tout à fait semblable à elle, non seulement produit pour l’esprit un honorable relâchement et fait agréablement cesser les soucis qui le troublent, mais, sur l’imitation des révolutions (conversiones) célestes, calme les révolutions flottantes et errantes de l’esprit humain, lesquelles leur sont apparentes[65]. »
L’idée d’imitation du ciel contient comme une dialectique interne. Une telle imitation ne peut en effet s’accomplir pleinement sans tendre à neutraliser la distinction sur laquelle elle se fonde, et à égaler la terre au ciel. Ce sera d’autant plus le cas lorsque cette neutralisation morale coïncidera avec l’affirmation de l’homogénéité physique entre matières céleste et terrestre[66].
En domaine chrétien, la proximité du ciel et de la terre est présentée différemment selon les auteurs :
– selon le philosophe irlandais Jean Scot Érigène († 877), à la Résurrection, « ciel et terre seront unis, et il n’y aura plus que le ciel[67] ».
– selon Alain de Lille († 1202), son point de départ est une conception de la nature qui relativise déjà la division tranchée entre ciel et terre. Le jardin de la Nature, décrit selon les règles du topos du locus amoenus, bien que situé sur terre va jusqu’au ciel. Il comporte lui aussi des astres : « Constellée d’étoiles bien à elle […] la terre se risque à peindre un ciel nouveau. » Une fois que l’homme parfait a remporté la victoire sur les vices, la terre n’a plus rien à envier au ciel : « Les vertus gouvernent le monde ? Désormais, les astres et le séjour de l’axe [du monde] n’ont pas plus de charme que le globe terrestre ; désormais le globe rivalise avec le ciel, désormais la terre se drape dans l’éclat de l’éther, désormais l’Olympe revêt la terre.[68] »
        Maître Eckhart, dominicain rhénan  († 1328), a déployé, lui aussi, un complexe dialectique de renversement des contraires. Il s’est livré à des jeux étymologiques sur homo, humus – identifié à terra – et humilis et rappelle à plusieurs reprises le paradoxe du géocentrisme : pour la terre, vouloir s’éloigner du ciel serait s’en rapprocher. Un texte formule sa conclusion d’une manière analogue à celle d’Alain de Lille : « L’humilité et la patience de la terre font un ciel […]. Chez les humbles, la terre est un ciel, le plus bas est le plus haut. Ce qui est profond et ce qui est haut (altum) sont une même chose. L’humilité et la terre sont du profond, le ciel est du haut[69]. » 
 
C.     MUSULMANS
 
Dès l’origine de la réflexion philosophique en terre d’islam, les penseurs musulmans ont repris
avec beaucoup d’insistance le thème platonicien. Il est difficile de savoir par quels canaux l’influence du Timée a pu parvenir au monde musulman.
        C’est ainsi que, par le médecin de Pergame Galien († 200), nous possédons un résumé de ce dialogue, perdu en grec, mais conservé en traduction arabe. Cependant les passages concernant l’idée d’imitation du ciel n’y figurent pas. En revanche, un des plus célèbres livres de magie du Moyen Âge , connu en latin sous le nom de Picatrix[70], rapporte un avis d’Aristote à Alexandre. Le Sage est censé avoir recommandé à l’empereur de ne faire aucun mouvement qui n’imite un mouvement du ciel et ne lui corresponde[71].
        Le philosophe persan Al Farabi († 950) donne une version d’emblée collective, politique, de l’idée. Il met en place un système de triple correspondance entre la structure de l’organisme, la hiérarchie des sphères cosmiques et l’ordre de la cité vertueuse, qui doit imiter ces deux ordres. Les paroles de la cité sont rangées dans un ordre de dépendance mutuelle. De la sorte, cette réalité artificielle produit de l’art politique. […] « Il est clair […] que le rassemblement politique et l’ensemble qui en provient dans les cités ressemblent au rassemblement des corps dans l’ensemble du monde. Il est aussi clair […] qu’il y a dans l’ensemble de ce que contiennent la cité et la nation des équivalents de ce que contient l’ensemble du monde ». Farabi développe l’idée en accentuant plus ou moins tel ou tel aspect selon le conteste plus ou moins varié de ses différentes œuvres de philosophie politique. L’aspect le plus constamment souligné est celui de la construction hiérarchique de la réalité.
        Le philosophe persan Avicenne († 1037), le troisième Maître (après Aristote et Al-Farabi), est peut-être, selon Rémi Brague, l’auteur chez lequel l’idée est le mieux replacée dans une vision d’ensemble du destin de l’âme, tout en recevant un traitement dans lequel la cosmologie, loin de fonctionner comme une métaphore d’un ordre humain, est prise au sens physique du terme. Il exprime l’idée dans un bref traité qui est probablement sa dernière œuvre : « Les corps célestes ne proviennent pas du mélange des quatre éléments d’ici-bas, et […] sont totalement dépourvus des contraires d’ici-bas [chaud/froid, sec/humide]. Ainsi, totalement libres des contraires, ils reçoivent l’émanation divine. Mais l’homme, même si l’équilibre de son mélange est extrême, n’est pas à l’abri des affections venant des contraires. Aucun corps, tant que l’âme rationnelle est attachée au corps, n’est pur pour recevoir l’émanation divine, et les intelligibles ne lui sont pas parfaitement révélés dans leur intégralité. En revanche, quand on ne ménage pas ses efforts pour se purifier par la science, que l’on acquiert l’habitus de la conjonction à l’émanation divine, […] que son mélange est équilibré et que l’on est privé des contraires qui empêchent de recevoir l’émanation divine, alors arrive une sorte de ressemblance aux corps sphériques , et l’on ressemble par cette purification aux Sept Puissannts[72]. » La ressemblance aux corps célestes et, en particulier aux sept astres mobiles, résultat d’un effort direct d’imitation, est la conséquence non visée pour elle-même d’un effort de purification de soi. L’homme est handicapé par la présence de son âme rationnelle dans un corps sublunaire ? Un tel corps est composé dz quatre éléments. Ceux-ci provenant de deux des qualités primordiales qui s’opposent par couple [chaud/froid, sec/humide], ils n’ont pas la stabilité absolue des corps célestes, faits d’un cinquième élément, d’une parfaite pureté et libre de tout contraire. C’est cette stabilité que le sage imite depuis la terre. La pratique philosophique aboutit, si l’on peut dire, à quintessencier l’homme.
Dans d’autres œuvres, peut-être plus représentatives de la pensée la plus aboutie, Avicenne présente un concept original de l’imitation du monde qui arrache celle-ci à la banalité d’un mimétisme simplement physique : « La perfection propre à l’âme rationnelle est de devenir un monde intellectuel dans lequel s’imprime la forme du Tout […] Elle continue ainsi jusqu’à réaliser pleinement en soi-même la disposition de l’Être entier, et se change en un monde intelligé, parallèle au monde existant entier, contemplant ce qui est la vérité absolue, le bien absolu, la beauté véritable, unie à lui, peinte à son image et à sa disposition, affiliée à sa compagnie et devenue partie de sa substance[73]. »  
L’idée selon laquelle l’âme se transforme en le monde intelligible vient du fondateur du néoplatonisme Plotin qui installa son école à Rome en 246. On la rencontre, postérieurement au VIe siècle, dans la Théologie d’Aristote[74],  et plus tard chez le savant iranien d’expression arabe Miskawayh († 1030).
Elle se rencontre ailleurs chez Avicenne, et assez tôt dans son itinéraire. Mais le passage qui vient d’être cité a l’intérêt de montrer clairement que cette transformation est parallèle à la vision avicennienne de tout l’univers, y compris de l’univers physique.
        Enfin, il est un autre domaine de la pensée d’Avicenne dans laquelle les corps célestes jouent un rôle plus direct dans le destin de l’âme humaine, puisqu’il semble qu’ils l’aident à pallier, après sa séparation d’avec le corps, la disparition du souffle vital. Ils lui fournissent en effet le minimum de matérialité qui leur permet de continuer à exercer une activité d’imagination – et donc d’éprouver les plaisirs et les peines d’un au-delà imaginal.
        Ibn Tufayl [75] († 1185),philosophe andalouastronomemédecinmathématicien et mystique soufi a une façon d’aborder le thème, qui, selon Rémi Brague, mérite un traitement spécial. Le schéma d’ensemble du récit épique de son héros « Havy ibn Yaqzän », nous indique qu’il est seul sur une île déserte à l’abri de toute corruption, mais aussi privé de tout enseignement. Il parvient, sans aide extérieure, et par la seule force de ses capacités naturelles de raisonner, jusqu’aux plus hautes connaissances métaphysiques. Havy en vient à posséder une connaissance parfaite de la structure du monde. Il en déduit sa création par Dieu. Il se découvre appelé à l’imiter, voire à s’assimiler à Lui. L’avant-dernière étape du parcours implique une imitation des astres.
Pour savoir comment s’assimiler à Dieu, la méthode employée jusqu’alors ne suffit plus. Havy cherche dans le monde un exemple de ce qu’il convient de faire. Les astres et les sphères lui semblent posséder des qualités remarquables, aussi bien quant à leurs corps que quant à leurs intelligences. Leurs cors sont transparents (pour les sphères) et brillants (pour les astres). Un raisonnement a fortiori permet de conclure que les astres possèdent également une essence intelligente qui connaît Dieu : si lui, en tant qu’être plongé dans les besoins du monde inférieur, possède cette essence, à plus forte raison les astres qui échappent à ces servitudes[76].
Cette essence le rend ainsi semblable aux corps célestes[77]. En effet, l’esprit animal le plus parfait est tel que l’on peut presque dire que sa forme n’a pas de contraire et qu’il ressemble par là aux corps célestes, dont la forme n’a, et cette fois en rigueur de terme, aucun contraires[78]. Cet esprit a des propriétés qui lui assurent une ressemblance avec les corps célestes : placé par impossible à mi-distance entre le centre du monde (et de la terre) et le terme extrême de ce vers quoi le feu peut monter, il y resterait au repos dans un équilibre parfait. « S’il se mouvait selon le lieu, il mouvrait autour du centre comme se meuvent les corps célestes ; s’il se mouvait sur place, il se mouvrait sur soi-même ; il serait de forme sphérique puisque autre chose [est] impossible. Par suite, il serait fortement ressemblant aux corps célestes[79].
La comparaison avec les animaux permet à Havy de passer de l’hypothèse à la constatation d’une réalité. Elle le convainc de ce qu’il est bien lui, l’animal dont l’esprit est équilibré, et qui ressemble à tous les corps célestes. Des deux parties dont il est composé, la plus grossière, le corps, est de toutes choses la plus semblable aux corps célestes qui transcendent le monde de la génération et de la corruption. Quant à la partie la plus noble, elle est celle qui connaît Dieu : « Quand fut devenue claire pour lui la façon dont il avait pour privilège, parmi le reste des espèces animales, la ressemblance avec les corps célestes, il vit [ou ; fut d’opinion] qu’il lui fallait qu’il les prenne pour modèle, qu’il imite leurs actions et qu’il assimile son effort à eux[80]. »
Havy prend conscience de ce que ses actions [d’imitation] se répartissent en trois groupes, selon qu’elles imitent celles des animaux, des corps célestes, et de Dieu[81]. De ces sortes d’actions :
– la première n’est nécessaire que de façon hypothétique. Il faut en effet que le corps survive pour que l’esprit animal continue à y résider. Celui-ci est indispensable parce que c’est par lui que se fait la seconde action, celle des corps célestes ;
– cette seconde action ne fournit qu’une intuition (musähada) impure, car en elle on garde conscience de sa propre essence ;
– la troisième action est la seule parfaitement pure.
Ibn Tufayl décrit donc la façon dont son héros met en œuvre les trois assimilations :
a)      la première  concerne l’entretien du corps. Un passage assez bref lui est consacré. Havy se fixe comme règle de ne consommer que ce qui ne fait courir aucun risque
à la survie de la plante individuelle ou, s’il est contraint de se nourrir de chair, à l’espèce. Il en mange le moins possible et uniquement lorsque la faim l’y pousse.
b)      La deuxième, aux corps célestes est l’objet d’un passage un peu plus long. Les corps célestes peuvent en effet être considérés de trois points de vue ; leurs attributs tiennent :
 – soit à leur rapport à ce qui est au-dessous d’eux, c’est-à-dire l’ensemble des influences bénéfiques qui en émanent ;
– soit à leur propre essence, c’est-à-dire leurs propriétés essentielles qui tiennent d’une part de la matière dont ils sont faits qui leur communique une pureté parfaite, d’autre part au mouvement dont ils sont animés qui est circulaire, soit de rotation, soit de révolution ;
– soit enfin à leur rapport à Dieu, qui, lui aussi est double. Certains des attributs qui l’expriment relèvent en effet de la spéculation : avoir l’intuition de Dieu, tandis que d’autres relèvent de la pratique et de ses mobiles – le désirer, lui obéir, régler son mouvement sur Sa volonté[82].
Ici, il est question de plus que chez Platon : d’une part l’imitation des corps céleste porte non seulement sur leurs mouvements harmonieusement réglés, mais aussi sur l’influence bénéfique qu’ils exercent sur le monde inférieur. Cette idée  se rencontre
ailleurs, par exemple dans un passage des « Frères Sincères » qui recommande à l’homme d’imiter la générosité du Soleil. D’autre part et surtout, elle a pour objet, non seulement les actions des astres, mais quelque chose comme l’intention qui l’anime et l’explique : les astres font preuve envers Dieu d’une parfaite obéissance et exécutent scrupuleusement sa volonté. Là aussi l’idée n’est pas neuve.
      Havy s’efforce donc d’imiter ces trois sortes de buts.
c)      La troisième assimilation est la plus haute. Celle-ci suppose la considération préalable  des attributs de Dieu. Elle repose sur un retour en arrière. Ibn Tufayl le souligne très clairement en notant que Havy avait pris conscience de tout cela alors qu’il était encore engagé dans des spéculations de pure théorie et n’avait pas encore abordé la pratique (šūrū‘ fï ’l-‘amal). Il n’est plus alors question des « mœurs » de Dieu, de ses actions, ni de sa volonté.[…] Il y avait là comme une providence, à savoir l’attribut d’une miséricorde, si essentiel au dieu de l’islam. Au plus haut de l’union mystique, tout cela est raboté. Que devient alors la pratique ? Il était question, là où Ibn Tufayl reprenait cette distinction pratique d’un « passage à la pratique » pour lequel il employait le mot šūrū‘. Sa racine est la même que šar’, šari’a, etc. Faut-il y voir, relève Rémi Brague, une allusion au rôle de la Loi religieuse comme détermination de ce qu’il y a à faire ? Toujours est-il que c’est à ce moment là de l’intrigue qu’intervient le personnage de Asäl et, avec lui, la référence à la religion positive. Par la suite il ne sera plus question des corps célestes pour régler l’action. Les pratiques exposées par Asäl seront celles de la religion musulmane.
Nous recevons de la sorte, souligne Rémi Brague, une indication sur la structure du Havy ibn Yaqzän , ainsi que sur un problème qui s’y trouve posé. Reposons-le : le stade le plus élevé de l’union mystique, à savoir l’identification directe à Dieu entraîne la disparition de ce qu’apportait le stade précédent, celui de l’imitation des corps célestes :
– la première imitation permettait de fonder des préceptes négatifs – s’abstenir de nuire ;
– avec la deuxième on peut fonder des principes positifs – faire du bien, intervenir dans la nature ;
– avec la troisième, en revanche, on ne peut fonder aucune pratique. Pour reprendre une distinction classique, la religion ultime de Havy ne consiste plus qu’en des « opinions », les « actions » ayant disparu.
Cela pose un problème : Dieu est-il généreux, provident, etc. ? Si l’assimilation à Dieu exclut les attitudes équivalentes à ces qualités, faut-il penser que l’imitation et l’assimilation, voire l’absorption en Dieu, s’excluent l’une l’autre ? Les corps célestes nous apprendraient-ils sur Dieu quelque chose que l’assimilation directe à lui ne peut nous apprendre ? Ce supplément est-il apporté par les religions révélées ? Il est de nature « politique », au sens large, en ce qu’il concerne les rapports à autrui. L’imitation des astres est plus politique que la mystique pure. Elle permet le souci d’autrui, puisque le niveau spirituel où elle se situe maintient la conscience de soi : il faut celle-ci pour que je puisse savoir qu’il y a autre chose en dehors de moi.
De la sorte, la structure de l’œuvre gagne en cohérence. Que le mouvement général soit celui de l’ascension, il est banal de le constater. Qu’après, le plus haut sommet ne puisse devenir qu’une descente, rien non plus que d’évident. Mais on peut noter, en outre, que la descente, ou sa première marche, à savoir l’islam sous sa forme la plus pure, l’islam spirituel d’Asäl, correspond très exactement à l’avant-dernière marche du cheminement ascendant, à savoir l’imitation des astres. Les deux fondent une pratique, laquelle, d’ailleurs, se monnaie en des actes analogues. La religion astrale de Havy a le même résultat que l’islam de Asäl.
De leur côté, les corps célestes réapparaîtront plus loin. Mais sous une autre figure : ils ne le feront pas comme modèles d’une pratique. Ils feront désormais partie des objets de la contemplation de Dieu : le divin auquel il s’agit de s’assimiler n’est pas un Un indifférencié. Il est aussi un monde, en l’occurrence l’architecture farabo-avicenienne des sphères s’étageant en un ordre décroissant jusqu’au sublunaire. La providence, qui semblait perdue avec l’« abandon des œuvres » qu’entraînait le plus haut stade de l’union, est regagnée une fois que l’on comprend que l’édifice cosmique et l’action réciproque des parties de l’univers est lui-même partie intégrante de l’objet à contempler et auquel s’assimiler. De la sorte, la mystique cosmologique débouche aussi sur une cosmologie mystique.
 
D.     JUIFS  
 
Dans le judaïsme enfin, le thème se rencontre. Mais, à la connaissance de Rémi Brague, il ne surgit pas à haute époque. 
Bar Qappara, certes, au IVe siècle, un des rabbins du Talmud, recommande l’étude des astres, dans laquelle il voit la sagesse par laquelle Israël peut se rendre respectable aux yeux des nations païennes, selon Deutéronome, 4 ,6. Mais cette sagesse n’est pas encore une imitation des astres. D’autant moins, sans doute que le verset qui appuie l’identification de la sagesse à l’astronomie porte en son sens qui vient naturellement à l’esprit (obvie) sur la Loi divine elle-même.
Rachi, le rabbin champenois († 1105), suppose, dans son commentaire sur un verset du Deutéronome, 30, 19 (« Je prends à témoin comme vous le ciel et la terre »), que les mouvements célestes pourraient servir d’exemple d’obéissance : « Dieu dit à Israël : Considérez les cieux que j’ai créés pour vous servir, ont-ils modifié leur caractère ? Est-il arrivé que la roue du Soleil ne se soit pas levée à l’Orient pour éclairer le monde entier ? LE SOLEIL SE LÈVE ET LE SOLEIL SE COUCHE (Qohelet, I , 4 sq.). Considérez la terre que j’ai créée pour vous servir, a-t-elle modifié son caractère ? Est-il arrivé que vous l’ayez ensemencée sans qu’elle ait germé ou que vous ayez semé du blé et qu’elle ait produit de l’orge ? Eux qui existent sans espoir de récompense, sans crainte de perte – leur mérite n’est pas récompensé, leur faute n’est pas punie –, ils n’ont pas changé leur nature. Vous dont les mérites sont récompensés, les fautes punies, ne devriez-vous pas encore beaucoup plus [vous conformer aux lois de votre Créateur][83] ? »  
 Probablement, Hananael b. Shmuel († 1270), juif égyptien, explique un verset où Dieu dit : « J’avais dit : ‘Vous êtes des dieux (elohim)’ […] Et pourtant vous mourrez comme des hommes » (Psaume 82,6) : « Je voulais que vos âmes fussent comme les âmes des astres, qui sont des âmes parfaites et nobles, à qui il est épargné de subir les influences, mais qui exercent une influence sur les autres choses ; et vous n’avez pas voulu pour vos âmes qu’elles soient ainsi ; en conséquence, elles sont restées gangrénées, mortes, sans action, mouvement ni influence, mais influencées par les autres choses, subissant leur action, empêchées de parvenir aux rangs splendides, assimilées aux plus vils des individus de l’espèce humaine[84]… »   
Le catalan juif Nachmanide († 1270), explique la signification de l’arbre du bien et du mal. Avant d’en avoir mangé le fruit, « l’homme faisait par nature ce qu’il devait faire selon la génération, comme le font les cieux et toute leur armée, ‘ouvriers véridiques parce que leur ouvrage et vérité et qu’ils ne changent pas leur rôle’, sans avoir dans leurs actions ni amour ni haine.  En revanche, le fruit de cet arbre est ce qui fait naître chez ceux qui le mangent la volonté et le désir de choisir une chose ou son contraire, pour le bien ou pour le mal[85] ». La chute est comme une dégradation, un passage du niveau d’une obéissance naturelle à celui d’un choix délibéré, mais qui comporte la possibilité d’une préférence pour le mal. Le niveau le plus élevé est illustré par la façon dont les cieux en leur ordonnance remplissent la mission qui leur est assignée[86].
 
E.      LES ANCIENS ET LES MÉDIÉVAUX
    
L’homme, l’animal, et les lois de la nature
 
Si la nature obéit à son Créateur, réciproquement l’homme apparaît comme une exception par rapport au reste de la nature. Il se distingue des autres animaux en s’écartant des lois de celle-ci[87].
Si les Modernes voient fréquemment dans cette transgression une raison de s’enorgueillir, voire l’occasion de sottes tirades prométhéennes, pour les Anciens et les Médiévaux, ce n’est pas par là que l’homme l’emporte sur l’animal, mais plutôt par son obéissance à des lois supérieures.
 
L’animal comme artisan habile et vertueux
Dans la mesure où il est l’animal désobéissant, l’homme est pour eux moins bien pourvu que l’animal, que l’on peut donc lui proposer comme modèle.
François d’Assise († 1226) généralise à l’ensemble de la création : « Toutes les créatures qui sont sous le ciel servent et connaissent leur Créateur et lui obéissent à leur manière, mieux que toi[88]. »  
C’est pourquoi la désobéissance de l’homme doit entraîner une accusation de celui-ci par l’ensemble de la création. La colère de Dieu est en même temps celle de tout le créé[89].
On peut faire de l’animal non seulement un artisan habile, et le proposer comme un exemple d’ingéniosité dont l’homme se serait inspiré, mais encore un exemple moral. Ainsi son ardeur au travail doit faire honte au paresseux.
Dans la Bible, les Proverbes, invitent celui-ci à considérer la fourmi et à en tirer une leçon de sagesse.
Marc Aurèle († 180) s’encourage en invoquant l’exemple des petits animaux industrieux[90]. La sagesse du monde peut donc être aussi celle de l’animal.
Yohanan († 280) rabbin du Talmud, généralise même en une déclaration peut-être partiellement ironique et qui implique quelque chose comme l’idée de loi naturelle : si la Loi n’avait pas été révélée, les animaux auraient pu donner aux hommes des leçons de vertu morale : le chat nous aurait appris la modestie, la fourmi l’honnêteté, la colombe la chasteté, le coq le savoir-vivre[91].
Chez les païens, l’animal encourage au mépris de la mort : la peur de la mort n’existe pas pour lui. Son exemple est déjà proposé par les Anciens, puis par Razi.    
 
La sensualité de l’homme
À l’inverse des animaux, il fait preuve d’une sensualité exceptionnelle ; lui seul peut être bestial, paradoxe qui est déjà chez Aristote[92]. Un exemple récurrent est la sexualité : l’homme n’est pas limité à une saison des amours, et le mâle continue à rechercher la femelle même quand elle est grosse. Un poète anglais du XVe siècle exprime cette idée à l’issue d’une brève description de l’ensemble de la nature, de la mer et des étoiles, jusqu’aux fleurs : « Ce qui m’émut le plus et changea mon humeur / C’est que la Raison gardait et gouvernait toutes bêtes / Sauf l’homme et sa compagne[93] ». L’idée devait persister jusqu’au XVIIIe siècle au moins[94].        
 
Le rapport de l’action humaine à la structure du cosmos (cosmonomie)
 
Ce rapport s’exprime en plusieurs images et, avant tout, celle, dominante dans la tradition d’influence platonicienne, de l’imitation des régularités célestes. Il n’y a là qu’une image, puisque cette « imitation » ne consiste pas à suivre des directives qui émaneraient des astres ; La constance même de leurs révolutions leur interdit des règles adaptables à l’infinie diversité des cas que doit affronter la morale concrète. L’homme antique et médiéval devait, tout autant que nous, une sagesse pratique, celle qu’Aristote appelle phronèsis, et dont les choix ne reposent en rien sur la structure de l’univers physique. On peut parfaitement bâtir une morale sans tenir compte de celle-ci et sans faire allusion à la « sagesse du monde ».
Et pourtant, le cosmos, tel qu’anciens et Médiévaux s’en représentent la structure, n’était pas envers l’action humaine, comme un cadre indifférent, une scène qui n’influerait en rien sur la pièce qui s’y joue. Il surplombait de sa masse imposante le théâtre de l’action humaine. Certes, c’était au risque de l’écraser, d’en faire apparaître l’insignifiance, comme dans le thème cent fois repris de la petitesse de tous les empires. Mais, en même temps, sa présence englobante était celle d’un Bien. Le combat pour la bonne cause ne se livrait pas que dans notre « petit cachot ». Il se déroulait aussi dans le décor majestueux du ciel. Ou plutôt il y avait toujours été gagné, voire il n’avait jamais eu besoin d’être livré. Le Bien triomphait d’emblée, il coïncidait avec l’Être. L’effort moral de l’homme vers le plein épanouissement de son humanité était en phase avec la tension de toutes choses vers leur perfection. Le cosmos n’était modèle de l’action morale que par métaphore ; il en était la confirmation. Si l’on peut dire, les investissements moraux les plus risqués étaient garantis par une gigantesque couverture[95].  
Rémi Brague propose, pour désigner l’ensemble de la situation qu’il vient de décrire, le concept de cosmonomie qui ne se laisse ranger d’aucun côté de la distinction devenue populaire et empruntée à Kant[96], entre « autonomie » et « hétéronomie ». Elle échappe à l’alternative ainsi posée – comme d’ailleurs la plupart des morales concrètes. C’est en effet l’insertion dans le cosmos qui permet au sujet moral d’être authentiquement un autos. Cette conformité ne consiste donc en rien à se plier à une loi extérieure, autre – (heteros). Pour l’homme antique et médiéval, le kosmos n’est justement pas une instance extérieure à laquelle il s’agirait d’obéir. Ou il l’est autant que la morale kantienne. Pour l’homme antique, « le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi » ne distinguent par rien d’essentiel. À nous, êtres finis, explique Kant, la loi morale doit apparaître comme une pression extérieure, c’est-à-dire comme devoir, parce que nous avons un côté pathologique[97]. De la même façon, selon l’homme ancien, l’ordre du kosmos  nous apparaît comme quelque chose d’extérieur, parce que notre situation terrestre ne nous permet pas un point de vue favorable. Ce n’est que l’insertion dans le kosmos là où il est le plus pleinement lui-même – comme en style kantien, l’obéissance à la loi morale – qui nous confère une authentique liberté.


[1] RÉMI BRAGUE, La Sagesse du monde, Editions Fayard, biblio essais, Paris, avril 2011, p. 179-225.
[2] Irénée, Adversus Haereses, IV, 20, 7, éd. Rousseau, SC 100, p. 648.
[3] Aristote, Protreptique, frgt. 11, Ross, § 20 Düring, voir J. Ritter (1953).
[4] Voir Arendt (1961), p. 24.
[5] Anaxagore, DK, 59 A 30.
[6] Chalcidius, Commentaire au Timée, CCLXIV , p. 237b Didot: § 266, éd. J.H.Waszink, p. 271.
[7] Bernard de Tours, C, p. 151 ; p. 153.
[8] Voir Pinès et Harvey (1984).
[9] Pline l’Ancien, II, t. 1, p. 128, 17-20.
[10] De mundo, 1 ; Festugière (1949)p. 460-461.
[11] Cicéron, Lucullus,tr. fr Bréhier-Goldschmidt, Pléiade, p. 246-247.
[12] Voir saint Bernard de Clairvaux, De consideratione, II, II, 5 ; O, t.III, p. 414 ; PL, 182, 745b.
[13] Platon, Phèdre, 246e1-2.
[14] Alexandre d’Aphrodise, Commentaire aux Premiers Analytiques, Prologue, éd. M. Wallies, CAG, II, 1, p. 3, 15-29.
[15] Plotin, III, 8, [30], 4, 39-40 ; t.I, p. 400.
[16]Aristote, Mét. , A, I, 980a21; Protreptique, frgt. 5, Ross, § 53 Düring,.
[17] Voir Blumenberg (1988).
[18] Lucrèce, I 72-73 ; [Longin], Du sublime, XXXV, 3, éd. H. Lebègue , CUF, p. 50.
[19] Voir Idel (1992) p. 249, 262.
[20] Maxime de Tyr, Discours, XXXVII, 8, éd. Dübner, p. 148.
[21] Contrairement à une idée reçue, Ptolémée ne reprit pas à son compte l’idée d’Aristote selon laquelle les astres étaient placés sur des sphères de cristal. Il dit même expressément que « les astres nagent dans un fluide parfait qui n’oppose aucune résistance à leurs mouvements. On ignore si cette vision, proche de la notion de vide, était déjà présente chez Hipparque ou si elle doit être mise au crédit de Ptolémée. Pour celui-ci, déférents et épicycles sont donc immatériels. Nicolas Halma considère en outre que son choix du système des épicycles plutôt que de celui des excentriques résulte davantage d’une volonté de rendre les calculs plus commodes, que d’une foi dans la réalité matérielle du système.
Durant les treize siècles qui suivirent, l’astronomie ne progressa plus guère. L’Almageste et les tables faciles ne reçurent que des corrections mineures, bien qu’elles aient fait l’objet, à la fin de l’Antiquité, de nombreuses publications de la part des « commentateurs », dont le plus connu est Théon d’Alexandrie. Ce furent donc les tables et les textes dérivés de l’Almageste de Ptolémée qui furent utilisés directement ou indirectement comme références jusqu’à ce que les progrès des instruments d’observation et la théorie élaborée par Copernic et perfectionnée par  Kepler n’entraînent son abandon. 
[22] Claudii Ptolemae Opera quae extant omnia, vol. I. Syntaxis mathematica, éd. Heiberg, BT, t. I, p. 7, 17-24.
[23] Anthologie palatine, IX, 577, et voir Boll (1950), p. 143-155 ; Frères Sincères, E, I, 3 [3] , t. I, p. 138 ; voir Augustin, cité dans Blumemberg (1987), p. 144.
[24] Les noms d'étoiles que nous utilisons viennent pour la plupart du poème d'Aratos : Ptolémée les conserva dans son Almageste et la tradition arabe les a transmis jusqu'à nous.
[25] Aratos,Phainomena, v. 100-136, et voir B.Effe, dans Hellenismus, Stuttgart , Reclam, p.135.
[26] Virgile, Bucoliques, IV , v. 6 (jam redit et virgo) ; Géorgiques, II, v. 474.
[27] Sénèque, QN, Préface, 1-17, p. 6-12.
[28] Kant, KPV, I, II, 2, 3 ; p. 138-139.
[29] Voir Cicéron, Des lois, I, XXXIII, éd. Appuhn, Paris, Garnier, 1954, p. 270.
[30] Platon, République, VI, 500b8-c 7 ; tr. É. Chambry. 
[31] Ibid. respectivement VI, 486a et IX 592b2.
[32] Sénèque, De providentia, VI, 5 ; puis De vita beata, 8, 4.                                   
[33] Sénèque, Luc. , 104, 23, p. 439-440.
[34] Élias, In Categorias, Préface, 6e point ; éd. A. Busse, CAG, XVIII-I, p. 121, 23-28.
[35] David, Prolégomènes, ch. 12, éd. A. Busse, CAG, XVIII-2, p. 38-18, puis 28, 31. 
[36] Proclus, IT, t. I, p. 5, 7-6, 6; tr. t. I, p. 28-30; la citation est Timée, 90d4-5.
[37] Sénèque, De la clémence, I, VII, 2.
[38] Id., De la colère, III, VI, I, éd. Bourgery, CUF, p. 71-72.
[39] Id., Luc., [VI], 59, 16, p.116.
[40] Philon, De Abrahamo, XIII, 61.
[41] Voir von Simson,(1988).
[42] Platon, Lois, VI, 771b-6 ; voir L’Orange (1953) ; Schabert (1997).
[43] Euripide, Phéniciennes, 543-545 ; Kranz (1955), p. 42.
[44] Cicéron, Cato maior de senectute, XXI, 77, éd. K. Simbeck, BT, p. 39, 6-8.
[45] Plutarque, Sur les délais de la justice divine, ch. 5, 550 ce ; éd. Klaerr et al. Œuvres morales, t. VII-2, traités 37-41, CUF, p. 135.
[46] C'est le polygraphe Philostrate d'Athènes qui, au début du IIIe siècle, dans ses Vies des sophistes, a inventé l'expression de « seconde sophistique ». Plutôt qu'une définition chronologique, il s'agissait en fait d'une définition logique (seconde parce qu'il en existait déjà un autre type). Mais, comme les sophistes évoqués par Philostrate sont tous du IIe siècle, les historiens modernes de la rhétorique ont tendance à la cantonner à cette période.
[47] Voir Chenu (1966) p. 142-158 ; Zonta (1996) p. 262-267.
[48] Boèce, CP, III, IX , p. 270.
[49] Ibid., I, IV, p. 146 ; Gruber (1978), p. 115-116.
[50] Ibid., II, VIII, v. 28-30, p. 226; cite par Dante, Monarchie, I, IX, 3.
[51] Respectivement, CP, II, VII, p. 216 ; II, VII, p. 200 ; V, V, p. 420 ; IV, IV, p. 346.
[52] Ibid., IV, VII, v. 34-35, p. 382 ; Gruber (1978), p. 376.
[53] Bernard de Tours, C, II, 11, p. 142.
[54] Ibid., II, 4, v. 31-32, p. 127 ; p. 121 ; voir Platon, Timée, 41c, p. 135.
[55] Ibid., II, 10, v. 29-32, p. 141 ; p. 140.
[56] Alain de Lille, AC, VII, 325, p. 166.
[57] Sur l’histoire de la notion voir Hering (1954) , p. 107, puis Miethke (1969) p. 479-480, n. 179.
[58] Gratien, Décret, c. 43, C XVII, q. 4.
[59] Rupert de Deutz, De glorificatione Trinitatis et processione Sancti spiritus, IX, 5, PL, 169, 184b.
[60] Gerhoh de Reichersberg, Libellus de ordine donorum Sancti Spiritus , Opera Inedita, I, Tractatus et libelli, éd. Van den Fynde et al. Rome, Pontificium athenaeum antonianum, 1955, p. 104, 15-20.
[61] Dante, Monarchie, I, IX, I.
[62] Dante, Physique, II, 2, 194b13.
[63] Voir Boyle (1981), p. 250 et suiv. ; il se peut que l’expression généralise un terme d’astrologie : certains hommes sont selon leurs caractères, « fils » d’une certaine planète, voir North (1988), p. 291.
[64] Exécuté deux jours après la Saint Barthélémy.
[65] Pierre de la Ramée, Dialecticae Institutiones, Paris, 1543, réimpression Stuttgart/ Bad Cannstadt, Frommann,-Holzboog, [1964], p. 40b.
[66] Une idée de ce genre est déjà présente dans l’épicurisme. C’est le cas dans ce passage célèbre où Lucrèce († 55 av. J. C.) affirme que la victoire sur les dieux de l’Olympe nous rend égaux aux cieux. C’est plus net encore là où Lucrèce dans le Poème de l’Etna affirme que chercher à connaître la terre est un souci qui nous rapproche des astres du ciel.
[67] Jean Scot Érigène, DN, V, 20, 893d.
[68] Alain de Lille, AC, IX, 392-395, p. 196.
[69] Maître Eckhart, Expositio Libri Exodi, [sur 20, 24], LW, t. II, éd. K. Weiβ , § 242, p. 198.
[70]  Il s'agit de la traduction du traité arabe Ghâyat al-hakîm, écrit par Maslama al-Mayriti. 
[71] Pseudo- Mayriti, Das Stiel der Weisen, éd. H. Rittereipzig, Teubner 1933,II, 3, p. 78.
[72] Avicenne, Risal fi’I-kalâm…trad. anglaise dans Gutas (1988) p.78, dont Rémi Brague a suivi les interprétations en plusieurs endroits.
[73] Plotin, III, 4 [15], 3, 22 ; IV, 7, [2] 10, 35. Voir Beierwaltes (1985), p. 273. Leibniz en signale l’intérêt, voir letttre à Hanschius.  
[74] La Théologie d'Aristote est un texte de philosophie, peut-être postérieur au VIe siècle. Il est rédigé en arabe et en substance sans grand rapport avec Aristote, étant composé de traductions (depuis le grec) et interprétations, plus ou moins fidèles, d'une partie des Ennéades de Plotin (205-270) et de commentaires de Porphyre (243-v.305). Ce texte reprend ainsi la pensée néoplatonicienne grecque, mêlée sous forme de synthèse à quelques idées aristotéliciennes ou islamiques. La Théologie d'Aristote est associée à d'autres textes du même style, qui forment ensemble les fragments de la pensée du « Plotin arabe ».
[75] Né à Guadix en 1110 et mort à Marrakech en 1185, Abū Bakr Muḥammad Ibn Ṭufayl, contemporain et disciple indirect d'Avempace, appartient, selon les historiens, à la génération qui précède celle d'Ibn Rushd (Averroès). Descendant de la célèbre famille arabe de Kays, il s'est illustré par ses talents d'homme politique, de savant et de philosophe. Il exerça auprès du souverain almohade Abū Ya‘kūb Yūsuf, prince des croyants et roi philosophe, les charges de vizir (secrétaire personnel) et de médecin, faisant de la cour du prince un pôle d'attraction pour les savants de tous les pays. C'est dans ce climat de tolérance et d'émulation que le jeune Averroès a connu la fortune et la renommée ; Ibn Ṭufayl avait recommandé ce dernier au souverain dans le dessein d'éclaircir le contenu, jugé ambigu, des livres d'Aristote, tâche qu'il ne pouvait lui-même remplir étant donné son âge avancé.
Auteur de l’œuvre médicale et philosophique, où l'on discerne l'influence de l'encyclopédie du Xe siècle des “ Frères de la sincérité ”(Ikhwan al-safa), il est également l'auteur d'un récit philosophique, Vivant fils du vigilant, mettant en scène un enfant prodige, Hayy ibn Yaqzân, né par génération spontanée et vivant sur une île déserte, isolée près de l'Inde. Cet enfant qui n'a ni père ni mère est élevé par une gazelle et s'éveille seul à la philosophie et à la connaissance de Dieu. Le titre du récit et l'argument de l'histoire reprennent une œuvre d'Avicenne dans un esprit différent. L'œuvre d'Ibn Tufayl serait à l'origine du Robinson Crusoé de Defoe.
 
[76] Ibn Tufayl, HY, p. 99, 4-12 ; p. 90.
[77] Ibid., p. 99, 13 ; p.91.
[78] Ibid., p. 103, 8-9 ; p. 75-76.
[79] Ibid,, p. 104, 2-5 ; p. 76.
[80] Ibid,, p. 105, 10-12 ; p. 27.
[81] Il se découvre obligé à trois sortes d’actes qui l’assimilent respectivement à ces trois niveaux d’être. La première lui vient de son corps, la seconde de l’esprit animal, la troisième de son essence véritable, selon une tripartition platonicienne implicite, celle des parties de l’âme selon La République et le Timée.
[82] Ibid,, p. 113, 10-114, 8 ; p. 82.
[83] Rachi, commentaire sur Deutéronome, 30, 19, MG, p. 88 a ; tr. Fr. Gugenheim, p. 205. Ibn Ezra, quant à lui, ne connaît que la première explication : « à cause de ce qu’ils sont permanents » ‘MG, p. 90 a.
[84] Dans P. Fenton , « A judeo-arabic commentary on the Haftarot by Hananael b. Shmuel, Abraham Maimonides’father in Law”, Maimonidean Studies, I (1990), p. 27-56, cit. p. 41, 22 et suiv.
[85] Nachmanide, Commentaire du Pentateuque, Genèse, 2, 9 ; éd. Chavel p.36 ; la citation vient de Sanhédrin ,42a.
[86] Il semble que l’idée se retrouve encore chezEibschütz († 1764) ; voir Levine (1983), p. 214.
[87] Alain de Lille, De Planctu naturae ; PL, 210, 448c, 449c.
[88] François d’Assise, Admonitions, 5, dans Œuvres, tr. A. Masseron, Paris, Albin Michel, 1959, p. 99.
[89] Voir Augustin, C, VII, VII, II, p. 606.
[90] Proverbes, 6, 6 ; Marc Aurèle, V, I, I ; voir aussi Horace, Satires, I, I, 33.
[91] b’ Eruvin , X, 100b ; voir Urbach (1979) p. 323. Le passage est cité par Baya b. Paquda, DC, II, 2.
[92] Aristote, EN, VII, 3, 1147b 4-5
[93] W. Langland, The Vision of Piers Plowman [version B], éd. A.V.C. Schmidt Evryman, XI, v. 362-370, p.131.
[94] Voir Macklem (1958) p. 59.
[95] Cette métaphore financière peut s’autoriser de Platon, République, VI, 506e-507a, et Plotin, III, 7, [45], 5, 26 ; t. II, p. 375 ; et voir Kranz (1955), p. 11.
[96] Kant, KPV, I, I, I, § 8, p. 39; n, II, p. 43 (exige une”connaissance du monde”); I, I, I, I, p. 51.
[97] Kant, KPV, I, I, I, § 7, p. 57.




Date de création : 29/11/2014 @ 07:31
Dernière modification : 29/11/2014 @ 07:43
Catégorie : Parcours braguien
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