LA SAGESSE DU MONDE (2) MODÈLE MÉDIÉVAL UN COSMOS ÉTHIQUE [EXTRAITS[1]] La présentation de limage du monde de lAntiquité tardive et du Moyen Âge nest pas une simple présentation des choses telles quelles sont. Elle a aussi une portée éthique qui en est inséparable. Lélévation au réflexif est présente dès lorigine chez Platon : dans le Sophiste, il montre que la façon dont on conçoit le monde dépend du genre de personne que lon est ; dans Les Lois, le livre X développe sa théologie en fonction de considérations morales et politiques. Cette conscience persiste très tard. Ainsi chez Abd-al-Latif ( 1231) : « Lopinion de Platon et de Zénon est à lopposé de lopinion antérieure [celle de Démocrite]. Ils supposent en effet que rien dans ce monde nest hors de la Providence et que tout est rempli de Dieu qui pénètre toutes choses. Ceci est excellent et tout à fait vrai. Cest lopinion qui doit être suivie par la grande masse et celle quil faut croire. Elle mène à une vie politique en bon ordre et à lharmonie de la société. Les prophètes lont soutenue et les livres divins lont exprimée. À mon avis, il faut y croire[2]. » Un monde heureux On peut appliquer au physique des déterminations éthiques. Le monde est content de son sort ; on peut dire de lui que rien ne peut affecter son bon état, même si tout nest pas parfait dans le sublunaire. De la sorte, il y a sens à dire du monde quil connaît le bonheur (eudaimonia). Ceci vaut du monde dans son ensemble. Mais ce monde nest pas dabord celui dans lequel nous vivons, entourés des végétaux et des animaux, le monde où les vivants naissent et disparaissent : le monde aussi, où loin de se céder de bonne grâce les uns aux autres, animaux et cités cherchent à se supplanter ou, du moins rivalisent pour sapproprier des ressources rares. Pour les Anciens, ce nétait là quun aspect dune totalité. Ce qui se passe autour de nous est moins règle quexception. Là où le monde est vraiment ce quil est, ce combat nexiste pas. Ce lieu dans lequel le monde se montre sous son vrai jour est le monde céleste. Lharmonie la plus parfaite y règne. Elle le fait au sens figuré. Mais cest aussi le cas au sens propre. Lidée pythagoricienne de l« harmonie des sphères », même si elle nest pas partagée par Aristote et ses disciples les philosophes, est partie intégrante de la vision poétique du monde et a peut-être reçu des illustrations musicales[3]. Nietzsche y voit à juste titre une image de la « signification morale de lexistence[4] ». Quoi quil en soit des détails, un fait est manifeste : lordre est le fait du supralunaire infiniment plus que du sublunaire. Aristote le dit clairement : « Ce qui est sûr, cest que ce qui est ordonné et bien défini se manifeste bien plus dans les choses célestes que chez nous, alors que ce qui varie suivant le moment et se passe au hasard se rencontre plus dans les choses mortelles[5]. » Un philosophe postérieur exprime la séparation des deux domaines par une image : « La course de la lune est listhme (isthmos) de limmortalité de la génération. Tout ce qui est au-dessus delle et ce qui est sur elle, la race des dieux loccupe, ce qui est en-dessous de la lune [est occupé par la race] de la discorde et de la nature[6]. » Augustin lutilise aussi. Il souligne la différence entre les corps humains qui dissimulent les mouvements de lâme, permettant ainsi le mensonge, et les corps célestes. Les corps humains sont charnels. En effet : « [Après le péché] Dieu changea leurs [Adam et Ève] corps en cette chair mortelle, dans laquelle sont cachés les curs menteurs. Il ne faut pas croire, en effet, que dans ces corps célestes les pensées puissent se cacher comme elles se cachent dans nos corps. Mais de même que plus dun mouvement de lesprit apparaît sur le visage et surtout dans les yeux, de même je nestime pas que dans cette transparence et cette simplicité des corps célestes absolument tous les mouvements de lâme se cachent[7]. » Limage sous-jacente est intéressante : le ciel est ce qui, de la nature, ne saurait mentir. Il est comme le visage découvert de celle-ci. De la sorte, la cosmographie a une pertinence axiologique directe : le bien et le mal se répartissent comme le « haut » et le « bas », comme la terre et le ciel. On trouve de cette façon de voir une formulation tranchée à lextrême, et tirant vers la gnose, dans le Corpus Hermeticum : « Il ny a rien de bon sur la terre ; il ny a rien de mal dans le ciel[8]. » Supposer que quelque chose de mal puisse se situer dans le ciel apparaît comme plus quune erreur, un blasphème[9]. Alexandre de Lycopolis, dans sa polémique contre les Manichéens, qui affirmaient que les corps célestes contenaient du mal, même si ce mal était modéré, fait valoir que : « Selon eux, le mal cest le désordre, ainsi que le mouvement désordonné. Or, les corps célestes demeurent toujours les mêmes et se comportent toujours de la même façon. Nul naccusera jamais lune des planètes davoir prétendu sattarder au-delà du temps qui lui était prescrit sur un signe du zodiaque, ni lune des étoiles fixes davoir quitté sa place et de ne pas accompagner sans cesse la révolution de lunivers, sans rétrograder en cent ans dun seul degré[10]. » Le mal comme exception Dans lunivers intellectuel de lAntiquité tardive et du Moyen Âge, ou en tout cas dans son courant dominant, on peut trouver les traces dune certaine attitude fondamentale, attestée de tous côtés. Elle constitue le fil rouge de lattitude éthique de cette période : le mal qui règne ici sur la terre nest au fond quune exception. La règle quil confirme se manifeste dans la régularité et lordre majestueux des mouvements célestes. Cest grâce à cet ordre que le monde mérite son nom grec de kosmos, ce qui veut dire justement « ordre », bel arrangement, totalité rangée et harmonieusement articulée, etc. En bas, il se peut que tout aille à vau-leau ; en haut, « tout nest quordre et beauté ». Maintenant, lendroit où tout se passe bien, est incomparablement plus grand que le coin minuscule où nous nous languissons, au centre du monde, cest-à-dire pour les Anciens, au plus bas, en-dessous de tout. Le mal peut très bien se déchaîner là où nous sommes, au point de donner limpression que les dieux négligent les hommes[11]. Mais il reste une exception presque invisible, si on le compare à limmense majorité du Bien. Cest ce que dit déjà Aristote, qui exprime lidée dans le langage du droit : « La région du sensible qui nous environne est la seule où règnent la génération et la corruption, mais elle nest même pas, si on peut dire, une partie du tout, de sorte quil eût été plus juste dacquitter le monde sensible en faveur du monde céleste que de condamner le monde céleste à cause du monde sensible[12]. » Immédiatement après lui, Théophraste reprend la même idée : « [Lopinion] quen général le bien st quelque chose de rare et [présent] dans un petit nombre [de choses] tandis que le mal abonde en grande quantité et nest pas seulement dans lindétermination et comme [dans] la forme de la matière, appartient pour ainsi dire complètement à un homme ignorant des choses d la nature ; car [cest ainsi que pensent] également ceux qui parlent de lensemble de ce qui est, comme Speusippe fait quelque chose de rare de lhonorable (timion), qui se situe dans la région du milieu, tandis que le reste est aux extrémités et de chaque côté. Ce qui se trouve donc être bon (kalôs)[13]. » Le passage cosmologique se conclut par une déclaration de portée ontologique, à savoir lidentification explicite de ce qui sappellera plus tard deux transcendantaux, lêtre et le bien. Elle est aussi par exemple chez Alexandre dAphrodise. Dans son Traité de lâme, celui-ci tente une explication de la présence du mal dans le monde. Il expose sa solution dans une formule centrale, qui rappelle la façon troublante une image de fondamentale de lontologie de Jean-Paul Sartre ; le néant serait disséminé (paresparmenon) dans lêtre. Cest ce qui expliquerait la mollesse relâchée (atonia) et la faiblesse (astheneia), qui sont le fait de tout ce qui nest pas éternel. Seulement, daprès lui, cela ne se produit pas partout, mais au contraire de façon exceptionnelle : « Le non-être nest pas mélangé à la plupart des étants et, là où il est il nest pas non plus grand-chose. Mais il est peu de chose dans peu de ce qui est. Parmi les étants, il est là où il y a du non-éternel. Cest ce qui entoure la terre, et cet endroit est tout petit (elakhistos) comparé à lensemble du monde. En effet, si la terre, selon les astronomes, est comme un point par rapport à lensemble du ciel et si le non-être se trouve autour delle et en elle, il concerne bien peu de chose[14]. » Lidée se retrouve dans la doxographie sur Aristote, comme par exemple dans celle qua utilisée très probablement le Père de lÉglise Hippolyte pour rédiger le chapitre dans lequel il rattache Aristote, comme à sa source, lhérésie du gnostique Basilide : « Il [Aristote] dit que les maux sont sous les lieux de la lune, et quau-dessus de la lune, il ny en a plus[15]. » Thémistius se situe à une période charnière. En religion, il reste païen au service dempereurs déjà chrétiens ; en philosophie, son uvre de paraphraste dAristote se situe à mi-chemin entre le péripatétisme pur et le néo-platonisme. Il écrit dans un de ses discours dapparat : « Lordre (taxis) nest plus un signe de faiblesse, mais dune nature exempte de changement et de trouble. Et ce qui dans lunivers est plus près de celle-ci jouit au plus haut point de lordre. Quant au trouble (tarakhè), au tumulte et à lagitation, ils se trouvent dans une petite partie de lêtre, et relèvent des choses qui, de par le caractère défectueux (elleipsis) qui correspond à leur faiblesse, sont privés de lappellation dêtre[16]. » Lidée passe, avec des nuances qui seront observées ultérieurement, dans les religions révétées. Ainsi Augustin laisse entendre que le péché ne se produit que sous le ciel : « Les hommes pèchent sous le ciel, tous les maux quils font, les hommes les font sous le ciel.[17] » Les Frères Sincères (Xe siècle, peut-être peu après 960) critiquent une forme de dualisme quils attribuent à « certains sages grecs » (il sagit sans doute des stoïciens) pour lesquels les deux principes sont lun actif, lautre passif : « Lordre du monde est clair pour eux, et ils connaissent lharmonie de la création des cieux, malgré leur vastitude, la grandeur de leurs parties et le grand nombre des créatures qui y sont ; ils savent quil ny a là-haut rien qui soit corruption et maux, et que tout y est dans le plus bel ordre, létagement et la disposition les meilleurs ; ils savent que les maux ne se rencontrent que dans le monde de la génération et de la corruption qui est sous la sphère de la lune, et même, les maux, dans le monde de la génération et de la corruption, ne se trouvent que dans les plantes et les animaux, à la différence des autres [choses] qui existent et même pas non plus à tout moment mais à un moment et pas à un autre ; et par des causes qui ne surviennent pas de lagent selon une intention première, mais par suite dun défaut dans la matière et une incapacité en elle à recevoir le bien à tout moment et en toute situation[18]. » Elle est encore chez Avicenne, qui y fait allusion dans sa doctrine sur le mal. Elle est dun bon aristotélicien, mâtiné de néo-platonisme, puisquil attribue le mal à la matière, incapable de recevoir lordre parfait[19]. Cette infériorité ontologique du mal se traduit dans le registre de la quantité : « Les maux sont très rares par rapport à lexistence puisque celle-ci est le Bien entièrement ou majoritairement [
]. Les effets nuisibles et les maux ne forment que lexception. » Et cette rareté du mal a elle-même une traduction en termes cosmologiques : « La totalité de la cause du mal ne se trouve que dans ce qui est en-dessous de la sphère de la lune, et lensemble de ce qui est sous la sphère de la lune est insignifiant par comparaison avec le reste de lêtre[20]. » Lidée est enfin puissamment orchestrée chez Maïmonide, dans sa polémique contre le médecin et libre penseur Râzi : « Si lhomme considérait et concevait lunivers et sil savait quelle petite place il y occupe, la vérité lui deviendrait claire et manifeste. En effet, cette insigne folie que proclament les hommes touchant la multitude des maux quil y aurait dans lunivers, ils ne la professent ni à légard des anges, ni à légard des sphères et des astres, ni à légard des éléments et des minéraux ou plantes qui en sont composés, ni à légard des différentes espèces danimaux ; mais leurs pensées ne se portent que sur quelques individus de lespèce humaine. [
] La vraie manière denvisager (itibär) la chose, cest que tous les individus de lespèce humaine qui existent, et à plus forte raison ceux des autres espèces danimaux, sont une chose sans aucune valeur (qadar) par rapport à lensemble immuable de lunivers. [
] [Lhomme] ne doit point se tromper et croire que lunivers nexiste que pour sa personne. Selon nous, au contraire, [
] lespèce humaine y est bien peu de chose par rapport au monde supérieur, je veux dire aux sphères et aux astres[21]. » Râzi, médecin, voyait la réalité comme un immense hôpital dans lequel, par définition, les malades sont la majorité : dans le monde lui aussi, les maux lemportent sur les biens. Maïmonide rétablit les justes proportions en replaçant lhomme dans lensemble des choses. Au pire, le mal naffecte quune partie infinitésimale de celui-ci. Le bien triomphe dans le monde supérieur qui constitue la règle ; du point de vue de celui-ci, lhomme nest quune exception négligeable. Largument passe enfin aux penseurs chrétiens médiévaux et modernes. Saint Thomas dAquin cite le précédent passage dAvicenne. Et au XVIIe siècle encore, Leibniz cite avec approbation le texte de Maïmonide qui vient dêtre reproduit[22]. Le bas Une fois que lon considérait que le bien était stocké en sécurité au-dessus de la sphère de la lune, rien nempêchait lhomme antique et médiéval de reconnaître que le mal affecte de plein fouet le domaine restreint dans lequel il se trouve confiné et, même quil en constitue le ressort essentiel. Ainsi léquilibre des espèces animales repose-t-il sur la façon dont les animaux se conduisent les uns par rapport aux autres selon de purs rapports de force. Hérodote, par exemple, savait que la survie globale des animaux était assurée par le rapport entre leur fécondité plus ou moins grande et leur capacité prédatrice. La prévoyance (pronoiè) du divin montre ainsi à quel point elle est habile (sophè) : le lapin, lâche et sans défense, est fécond ; la lionne en revanche, nenfante quune fois, le lionceau ne pouvant naître, croyait-on, quen déchirant la matrice de ses ongles[23]. Lucrèce sait que chaque être vivant dispose dune arme ou dune défense quelconque, faute de quoi il ne pourrait survivre.[24] Les Anciens ne faisaient pas dexception pour lhomme et nentretenaient aucune illusion sur la bonté de celui-ci : Thucydide sait que lhomme désire toute la puissance possible, et le dialogue quil rapporte entre les Athéniens et les Méliens nous livre une vision à côté de laquelle Machiavel semble presque naïf[25]. Anciens et Médiévaux nignoraient pas que les gros poissons mangent les petits. Cet exemple était même pour eux proverbial ; on le voit dans la formule par laquelle la pensée indienne exprime ce que nous appellerions la « loi de la jungle » : la « logique du poisson ». Mais lobservation de la conduite animale servait pour eux de repoussoir à léthique humaine. Ainsi, pour Hésiode, lexemple des poissons est le modèle de ce que lhomme ne doit pas faire. Il est suivi par Théophile dAntioche et Basile de Césarée. Némésius dÉmèse nuance en rappelant que la chaîne alimentaire a une fin : certains poissons, les plus petits, quil appelle fukia, mangent ce quon pourrait appeler lherbe de la mer. Les rabbins du Talmud, de leur côté, évoquent le risque dune retombée dans la loi de la jungle pour justifier la nécessité du gouvernement. Sans loi, les hommes savaleraient vifs les uns les autres[26]. Ce faisant, ils ne se contenteraient pas de tansgresser le commandement qui interdit le meurtre, mais sabstiendraient même de respecter la plus élémentaire des lois noachiques, celle qui interdit »le membre [arraché] à un vivant[27] », par laquelle lhomme se distingue de lanimal qui se jette sur sa proie pour la dévorer tout entière. Léquilibre de la nature comme modèle Il semble pourtant que la tentation se soit parfois fait jour de proposer ce modèle à laction humaine. Nous en possédons au moins un exemple, dans lun des principaux traités de philosophie politique dus à al-Farabi[28] ( 950)
On [peut être] tenté de simaginer que la recherche du bien-être de lindividu est lintention de la nature : lexistence en lui dun instinct de conservation, dorganes défensifs et nutritifs, enfin de techniques permettant de transformer lenvironnement semble lindiquer. Mais il y a plus : Farabi constate que certains animaux se jettent parfois sur dautres pour les tuer, sans quils en tirent quelque avantage manifeste. Tout se passe donc non seulement comme si chacun se prenait pour le but suprême de la nature, mais même comme sil croyait que seule son existence à lui était légitime, et que lexistence brute de quoi que soit dautre lui était nuisible. De plus, chaque être essaie dasservir les autres Il sagit là dun instinct spontané et indépendant de la volonté. Cette situation de rivalité existe dune espèce animale à lautre, mais aussi, à lintérieur de la plupart des espèces, dun individu à lautre : attaque et agression mutuelle ne cessent pas, chacun cherchant à détruire lautre sil est nuisible, soit à lutiliser à ses fins sil peut lui servir. Lobservation le corrobore : tout se passe sans ordre, les hiérarchies sont bouleversées, ce qui arrive aux gens ne dépend pas de leurs mérites. Ce diagnostique sombre peut être le propre des adversaires de Farabi ; certains détails peuvent être contestés, comme lexistence chez lanimal dune agressivité sans but, ou celle dune lutte à mort entre individus dune même espèce animale. Le point capital est la conclusion que, selon Farabi ses adversaires en tirent. Elle est double : cest dabord une généralisation, qui met cet état de chose au débit de la nature : « Certains disent, à la suite de cela, que cette situation est naturelle pour les étants, et est leur caractère inné. » cest ensuite, et surtout, « que [les choses] que font les corps naturels de par leur nature sont celles quil convient que fassent les animaux capables de choix par leurs choix et leurs [actes de] volonté, et ceux qui sont capables de réfléchir par leur réflexion ». Cette description à la Hobbes dune guerre de tous contre tous peut avoir des sources antiques. On pense spontanément à Platon, aux thèses défendues par les personnages de Thrasymaque et, surtout de Calliclès puisque ce dernier mentionne lexemple donné par les animaux[29]. Quant au raisonnement, il est nouveau et surtout, ce qui est unique et peut-être nouveau, cest la façon lapidaire dont est posée léquation entre « être » et « devoir être » : ce que font sans le vouloir les animaux irrationnels, cest également ce que doivent faire les animaux raisonnables, en toute conscience et de propos délibéré. Farabi, certes, napprouve pas le terme de la comparaison, car pour lui, on aura loccasion de le constater, il existe une réalité exemplaire, dont le comportement effectif doit nous servir de règle. Car, le bon modèle à suivre nest pas lanimal, ni quoi que ce soit de sublunaire : cest lordre du ciel[30]. Lappel du bas vers le haut Un fait capital demeure : on peut faire appel du mal à une juridiction plus élevée. Dans cette cosmologie, laction humaine ne se déroule que dans un coin perdu du monde. Ce nest que dans ce minuscule trou dans lordre cosmique que lon peut et doit distinguer entre le bien et le mal et, espérons-le choisir le bien. Partout ailleurs, le choix en faveur du bien a été fait depuis toujours. Et cet « être » sidentifie avec le bien. Dès avant que la scolastique ait élevé la formule au rang daxiome, lÊtre et le Bien sont convertibles lun à lautre (ens et bonum convertuntur). Il semble que la prise de conscience de ce fait puisse nous aider à comprendre pourquoi les Anciens nont guère formulé la distinction entre être et devoir-être. Certes, toute morale la pratique implicitement et les stoïciens ont un concept du deon qui correspond plus ou moins au second de ces termes. Mais sa formulation comme une opposition de deux principes connut une longue période dincubation dont elle ne se sortit quavec les Temps modernes. Rémi Brague la voit : affleurer pour la première fois implicitement chez Machiavel dans le texte célèbre où celui-ci parle de grand éloignement (discosto) entre « ce qui se fait » et « ce qui devrait se faire[31] ». être érigée en principe chez Hume[32]. La vision du monde antique et médiévale Selon cette vision, tout devoir-être (Sollen, ought) est cerné par un gigantesque « être » (Sein, is) qui le relativise, voire le rend négligeable. Qui plus est, ce qui ne coïncide pas encore parfaitement avec le bien est en marche vers lui. Ce qui correspondrait, dans cette façon de voir, à notre devoir-être nest que provisoire et tend vers sa résorption dans l« être ». Le devoir-être est de lêtre en souffrance et qui, justement, souffrirait de nêtre pas encore vraiment soi-même, si son « être » nétait encore quen puissance. En tous ses niveaux, le monde est animé dun mouvement dascension : tout en bas, et déjà pour Aristote, la matière désire la forme[33]. Les Médiévaux prolongent ce qui nétait guère quune image : chaque forme tend vers une forme plus parfaite[34]. Maître Eckhart lexprime magnifiquement : « La nature de tout grain tend à devenir froment, la nature de tout métal tend à devenir or, toute naissance (geberunge) tend à devenir « homme »[35]. Limitation par lhomme des réalités supérieures se replace ainsi dans un mouvement plus vaste dont elle nest au fond quun cas particulier. Elle est la façon dont un être intelligent et libre accomplit ce que fait, sans le savoir ni le choisir, tout ce qui se situe en-dessous de lui dans léchelle des êtres. Ainsi, jusquà une époque déterminée de lhistoire de lesprit humain, la nature était lune des sources de la morale. Il sagissait de réaliser concrètement la perfection de lhumanité de lhomme par une praxis qui rendait possible le déploiement de son humaine nature en tant qu« essence » , voire qui lexigeait[36]. La reconstruction entreprise par Rémi Brague Il en est tout autrement dans sa façon de voir. La nature qui déterminait léthique était bien ce que lon entend habituellement par « la nature », à savoir lensemble des choses qui sont là delles-mêmes mais que lhomme ne produit pas (par sa poièsis), quil ne fait pas non plus (par sa praxis). Cette nature est par suite lobjet dun rapport purement passif, celui qui simpose lorsquun objet se donne à lobservation. Mais la nature ainsi comprise est sans rapport avec léthique. Ou si elle en a un, cest à la rigueur, à titre de domaine dapplication parmi dautres. Elle vient même après le domaine principal de lagir moral qui est, bien entendu les relations interhumaines. Pour nos ancêtres, en revanche, lhomme pouvait voire devait emprunter le critère de son action à la nature. En conséquence, on pouvait faire de la nature une propédeutique à léthique. Le domaine naturel comme source de moralité Les stoïciens, les premiers à formuler clairement la philosophie en plusieurs domaines, sont aussi les premiers à les articuler lun sur lautre. En loccurrence, quant à lordre objectif (à distinguer de lordre de lapprentissage), léthique est toujours à la physique ce que le fruit est à larbre[37]. Chrysippe souligne même qu« il ny a pas dautre moyen ou de moyen plus approprié pour parvenir à la définition des choses bonnes ou mauvaises, à la vertu et au bonheur que de partir de la nature commune et du gouvernement (dioikèsis) du monde[38] ». Cest bien la nature, et non pas seulement la science physique, qui détermine lhumanité de lhomme ; la nature comme objet détude, non létude de la nature comme activité dun sujet. La valeur éthique de la physique ne vient pas du processus humain de connaissance, mais de la nature elle-même. Il ne sagit pas de seulement rappeler que létude de la nature peut nous entraîner à la pratique de certaines vertus[39], parce quelle les éveille ou parce quelle les implique, ainsi : leffort pour percer à jour les mystères de la nature peut nous former au courage ; la réflexion sur le merveilleux ordre des choses peut nous mener à ladmiration et la reconnaissance envers le Créateur que celui-ci soit un dieu personnel ou lâme inconsciente du monde ; la considération du peu de place que nous occupons dans le monde peut nous apprendre lhumilité, etc. Tous ces éléments ont été illustrés dans le domaine de la pensée sous les couleurs les plus différentes : par Pascal, mais aussi par Spinoza, Goethe et dautres ; par les physiciens daujourdhui qui reprennent souvent cet hymne à la valeur éducative de la physique. On trouve ces idées dans les textes anciens. Mais on y trouve aussi des passages dans lesquels il sagit clairement de la nature comme objet détude, non de son étude comme activité. Ainsi pour Cicéron : « La connaissance des choses célestes apporte une sorte de modestie à ceux qui voient combien grande est chez les dieux la modération, combien grand est lordre, [elle apporte] la grandeur dâme à ceux qui contemplent les uvres et les actions des dieux, [elle apporte] aussi la justice quand on sait quelle est la décision du guide et seigneur suprême, quel est son conseil, quelle est sa volonté[40]. » Léthique dans le cosmologique Un texte du néoplatonicien grec Simplicius[41] semble ici particulièrement pertinent. Il figure dans le prologue de son célèbre commentaire à la Physique dAristote rédigé à Athènes vers 533-538[42]. Le passage en question trouve un parallèle dans le « grand commentaire » (tafsïr) dAverroès à la même uvre, parallèle qui y est présenté comme une citation du péripatéticien grec Alexandre dAphrodise[43]. Ce qui va être dit est donc valable, au moins en partie, pour ce dernier et pour Simplicius. Selon un procédé dont les commentateurs anciens étaient coutumiers, Simplicius fait précéder son explication des mots mêmes dAristote par une introduction dans laquelle il lui faut répondre à plusieurs questions préalables, canoniques : quelle est lintention de luvre ? Quel est le nom de son auteur ? Où faut-il placer luvre dans lensemble des écrits de celui-ci ? etc. Or, lune de ces questions concerne lutilité de luvre et, du coup, celle de la connaissance quelle prétend transmettre. Cest dans ce cadre que Simplicius se demande dans quelle mesure létude de la nature est utile. Pour ce faire, il distingue cinq points successifs, quil place dans un ordre dimportance croissante[44]. La physique (phusiologia) est utile : dans les affaires de la vie quotidienne, parce quelle fournit leurs principes à des techniques comme la médecine et la mécanique (entendue avant tout comme lart de fabriquer des machines de guerre) ; comme contribuant à acheminer vers sa perfection, la partie supérieure de lâme qui est lintellect ce pourquoi la théologie est particulièrement précieuse ; comme un adjuvant pour les vertus morales ; comme une échelle qui mène vers la connaissance de Dieu et des idées ; et enfin comme nous excitant à la piété et à laction de grâces envers Dieu. Plus les avantages sont importants plus ils sont mentionnés tard. Mais le tout est très bref : il ny a là quun avant-goût de lessentiel qui reste à venir. Quatrième avantage Simplicius souligne expressément quil est celui de lascension vers Dieu et en cela le plus décisif, de sorte que le cinquième est réduit au rang dappendice. Troisième avantage Cest le plus important au point de vue de la place plus ou moins grande réservée aux divers arguments (25 lignes contre 17 pour les quatre autres). Il est divisé avec soin et présente un paragraphe pour chaque vertu cardinale. Ce qui, pour Rémi Brague justifie une étude particulière. La considération de la nature enseigne la tempérance pour deux raisons : elle dévoile la nature du plaisir, et montre quil nest quune conséquence, une sorte dépiphénomène (parakolouthèma), et jamais une fin en soi ; ce quil a de violent vient de ce qui en lui est contre la nature. On ne sera donc pas tenté de le mettre au premier rang de ses choix (proègoumenon) ; elle incite à soccuper de physique (phusikè theôria), détournant des jouissances du corps et, du coup, de la passion pour les choses extérieures. Ce qui vaut pour la tempérance vaut aussi pour la justice, pour la modération et pour la libéralité dans les négociations. En outre, la physique enseigne : le courage, en montrant à quel point notre corps apparaît minuscule, quand on le compare à la totalité des choses qui existent, à quel point la durée de notre vie est courte, et nécessaire à la dissolution de notre être. La connaissance de la supériorité de lâme par rapport au corps aide à aborder la mort avec sérénité : « Qui serait aussi courageux que celui qui a reconnu, grâce à la physique (phusiologia), que lêtre vivant que nous sommes nest pas dans lunivers une partie perceptible, pas plus que notre vie dans lensemble du temps, quil est nécessaire que tout ce qui naît soit suivi dune corruption (phthora), qui est une décomposition en des [composants] simples, une restitution des parties aux totalités auxquelles elles ressortissent (oikeia holotètes), un rajeunissement de [réalités] qui avaient vieilli et un retour en force de [réalités] fatiguées (kekemèkos) ? Se corrompre maintenant ou après peu dannées pourrait être négligeable pour celui qui reconnaît linfinité du temps. Et si, comprenant (ennoein) la supériorité distinctive (khôristè huperokhè) de lâme, il la compare aux ennuis (askholia) qui lui surviennent du corps, alors il acceptera parfaitement la mort. Et celui qui a une telle attitude envers la mort, quelle autre [chose] parmi celles qui passent pour terribles pourrait-elle leffrayer ? » la sagesse (phronèsis), également parce que la partie connaissance de lâme, de laquelle relève la connaissance de la nature lui est apparentée. On notera un glissement : en bon aristotélicien, la sagesse (phronèsis) est une vertu de lintellect en tant que tel (dianoétique), non pas éthique. Cest elle sui fournit aux vertus éthiques le logos qui leur permet datteindre le juste milieu. Simplicius camoufle, à laide de la représentation plus ou moins claire dune parenté ou dune affinité (suggenes), la différence entre sophia et phronèsis bien attestée chez Aristote[45], pour lequel elle a une place centrale. la magnanimité, en convainquant de ne considérer aucune des [choses] humaines comme grande. « Elle fait que les magnanimes (megalophrôn) se contentent de peu et, du coup ils sont prêts à mettre en commun ce quils ont et nont besoin de rien recevoir dautrui, [et par là] elle les rend généreux (eleutherios) ». Largument, relève Rémi Brague, est intéressant parce que lon sattendrait à ce quil nous invite moins à la magnanimité que bien plutôt à lhumilité. Il semble que le sage ne se considère plus comme appartenant à lhumanité. Il se sent par avance au-dessus de tout ce qui est humain. La vertu de justice est placée à la cinquième place. Cest à son propos que Simplicius risque une formule audacieuse qui, à Rémi Brague semble de la plus grande importance quant à son propos. Létude de la nature contribue « à la justice dans la mesure où elle montre que les éléments et les parties du Tout (to pan) cèdent les uns aux autres, se contentent de (agapân) leur place (taxis), respectent légalité géométrique et, de ce fait, se tiennent à lécart de lavidité (pleonexia)[46] ». La contemplation de la nature inspire la justice parce que la nature se conduit avec justice. Domaine concerné par la justice : ou celui des quatre éléments qui se changent les uns dans les autres, dans lesprit du fragment dAnaximandre[47] : ou de la disposition des parties concentriques du kosmos, dont aucune nempiète sur la voisine ; Cosmologie dANAXIMANDRE ( 546 av. J. C.) ou de lordre des phénomènes astronomiques, etc. Quoi quil en soit dont la façon dont cette justice se réalise concrètement, l« égalité géométrique », expression empruntée à un passage célèbre du Gorgias de Platon[48], est dans les choses elles-mêmes. La nature elle-même pratique les vertus. Averroès présente la même liste des vertus il ajoute lélément suivant dont lorigine est inconnue : « Le modèle moral se trouve dans les choses elles-mêmes ». À propos de la vertu de justice il écrit que les sages la recherchent : « Car ils savent que la nature de la justice résident dans la substance des choses », cest pourquoi ils souhaitent imiter cette nature et acquérir cette forme ». Lidée nest pas isolée. Bien avant Averroès et en terre chrétienne, Bernard de Chartres ( 1126) dit que le sujet du Timée de Platon était la justice naturelle : «
. Dans sa création [du monde sensible] et le juste ordonnancement de ses parties, dans la distinction des choses célestes et non célestes, il enseigna la force de la justice naturelle dont le Créateur a usé envers la créature, lui qui, par pure charité, a attribué à chaque chose ce qui lui revenait naturellement[49]. » Bernard reprend la définition classique de la justice distributive. Mais, alors quelle joue normalement entre créatures, il la situe dans les rapports entre Créateur et créatures. La justice est bien présente dans les choses mêmes, mais elle résulte de laccord de chacune avec sa propre nature, tel quil est institué par Dieu. Les platoniciens liés à lécole de Chartres[50] ont repris lidée. Mais ils ne font pas exception : tous les Médiévaux aussi bien le vulgaire qui a reçu lidée par tradition que les philosophes saccordent pour admettre que « cest par la droiture (yösèr) que tiennent le ciel et la terre[51] ». Lidée na dailleurs pas disparu avec les Temps modernes, puisquon la rencontre explicitement chez Schiller et Herder. On peut replacer dans ce contexte tout un complexe didées qui constitue un trait fondamental de la vision médiévale du monde, à savoir ce quon appelle le symbolisme. Lidée de base est que le monde est lié à lhomme par la présence en tous deux dun même système de signification. Le monde est plein de sens et dun sens que lhomme est capable de déchiffrer et de sappliquer. La sagesse sera sagesse du monde en ce quelle consistera à interpréter droitement les messages des choses. Pour les chrétiens, ce message porte avant tout sur Dieu, qui a laissé sa marque sur le créé et qui transparaît en lui. Mais, à travers le monde, Dieu nous propose aussi des modèles de ce que nous devons faire. On vient de rappeler que les vertus morales sont présentes dans les choses. On peut aussi les voir en celles-ci, avec plus ou moins de netteté selon leur niveau dêtre. Ainsi le monde céleste nous donne à voir les quatre vertus cardinales[52] (prudence, force, justice et tempérance). Cathédrale de Strasbourg Selon cette façon de voir, il ny a donc pas, dun côté, un mode physique vide de « valeurs », et de lautre, des « valeurs » sans enracinement dans la réalité sensible. Lidée tant rebattue de « valeurs » est peut-être elle-même issue de la séparation que la cosmologie antico-médiévale rend impossible. Parler de « valeurs », cest en effet faire dépendre le bien et le mal dune subjectivité : ce qui « vaut », ce qui est « valable » est ce que lon estime, ce qui « a du prix » est ce que lon prise, ce que lon apprécie. Le principe qui pose les valeurs doit valoir plus que les valeurs quil pose, et qui sont de ce fait toujours révocables: « Parmi toutes les choses quon estime, cest lestimation elle-même qui est le trésor et le joyau[53] ». Les valeurs sont ainsi frappées dune faiblesse intrinsèque, puisque les poser comme telles, cest reconnaître en même temps quelles ne peuvent subsister en elles-mêmes. Rien détonnant donc à ce que lon parle tant de défendre les « valeurs » : elles sont trop faibles pour le faire elles-mêmes, à plus forte raison pour nous défendre, nous qui les posons. Or, cette difficulté ne peut pas se présenter dans la pensée antique et médiévale. Pour elle, lêtre est demblée bon et na donc nul besoin de recevoir cette qualité dailleurs que de lui-même. La convertibilité de lÊtre et du Bien ne gouverne pas seulement la Métaphysique, dans la doctrine des transcendantaux ; elle a une version cosmologique. Elle se donne à voir dans la structure même du monde. Cette situation a des conséquences éthiques : elle nexige à rien de moins quà une manière déterminée de définir lagir moral humain. Le bien nest pas quelque chose quil faudrait injecter du dehors dans un réceptacle neutre, il est déjà là, voire il simpose avec éclat dans la réalité. Cela ne mène pas à un quelconque quiétisme. Léthique demeure comme tâche. Mais « faire » le bien consiste moins à produire quà traduire, quà transporter dun domaine à lautre ce qui est déjà là.
[1] RÉMI BRAGUE, La Sagesse du monde, Editions Fayard, biblio essais, Paris, avril 2011, p. 157-179. [2] Abd-al-Latif al-Baghdadi, Métaphysique, XVIII ; Ms. Istanbul,Carullah, 1279, 173b-175a. [3] Tous les textes sont dans Spitzer (1963) ; réflexions contemporaines dans Proust (1990) ; pour la musique Rémi Brague songe à Monteverdi, « Laectatus sum », dans Missa e Salmi (1650). [4] Voir le parallèle dans Nietzsche, Morgenröte, II, § 100 ; KSA, t. III, p. 89-90. [5] Aristote, Partie des animaux, I, 1, 641b18-20. [6] Ocellus Lucanus, De universi natura, II, § 2 ; FPhG, t. I, p. 394. [7] Augustin, De genesi contra Manichaeos, II, XXI, 32 ; PL, 34, 213[a]. [8] CH, frgt de Stobée n° XI, n° 18 ; t. III, p. 55. [9] CH, IX, 4 ; t. I, p. 98. [10] Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani, ch. 13, éd. Brinkmann, p. 20 ; tr. Fr. Villey, Paris, Cerf, 1985, p. 73 ; argumentaire p. 262-263. [11] Sénèque, Phèdre, 959-988, éd. Chaumartin, CUF, p. 241-242 ; nuances dans Rosenmeyer (1989), p. 72. [12] Aristote, Métaphysique, G. 5, 1010a25-32 ; le parallèle en K, 6, 1063a 10-17 est plus net, mais son authenticité aristotélicienne est moins assurée. [13] Théophraste, Métaphysique, IX, § 32, 11a 18-26 ; tr. Laks/ Most, CUF p. 21. [14] Alexandre dAphrodise, De anima, II, (Mantissa), éd. I. Bruns, p. 170, 11-12, 20, puis 171, 28-34. [15] Hippolyte, R, I, 20, p. 38. [16] Thémistius, O, VI, 4, 73ab, p. 294. [17] Augustin, EP, CH, 10, § 18 ; p. 1468. [18] Frères Sincères, Epitres, IV, 1 [42], t. 3, p. 463 ; tr. ital. C. Baffioni, p. 138. [19] Avicenne, Ta likhät, éd. Bâdäwi, Qom et Téhéran, 1984, p. 62, 9-10. [20] Avicenne, CM, IX, 6, arabe, p. 417, 4-5. [21] Maïmonide, G, III, 12, p. 318, 24-29, 319, 4-6 ; 9-12 ; tr. P. 68-70, Echo chez Spinoza, Traité théologico-politique, XVI ; VI, p. 259. [22] Leibniz, Théodicée, III, § 262, éd. Pierre Janet, p. 257-258. [23] Voir Hérodote, III, 108, 2. Malgré les sarcasmes dAristote, Histoire des animaux, VII, 31, 579b2. [24] Lucrèce, V, 871-877. [25] Voir Thucydide, I, 76, 3 et IV, 61,5, puis V, 85-111. [26] Pirqey Aboth, III, 2 ; voir Urbach (1979), p. 596. [27] Exode, 20, 13 ; Deutéronome, 5, 17. [28] Al-Farabi, CV, VI, 18, § 2b-4, p. 286-290, commentaire p. 482-484 ; ch. 34, p. 113-114. Voir Galston (1990), p. 139-140. [29] Platon, Gorgias, 484d3 ; Lois III, 690b7. [30] Pour un parallèle entre Farabi, qui pense la cité sur le modèle de lastronomie, et Ibn Khaldun , qui pense lhistoire sur celui de la physique sublunaire, voir Maroth (1994) , p. 247. [31] Machiavel, Le Prince, ch. 15, éd. Flora-Cordié, p. 48. [32] Hume, Treatise on Human Nature , III, I, 1. [33] Aristote, Physique, I, 9, 192a16-25, et voir Landau (1972). [34] Par exemple Bonaventure, In Sent, II, 15, 1, 2, ad. 6 ; O, t. II, p. 378b. [35] Maître Eckhart, Sermons, n° 38 , « In illo tempore
», DW, t. 2, p. 228. [36] Voir par exemple Cicéron, F, V, XV, 41, p. 176, et voir Heinemann (1926), p. 15. [37] Voir Descartes, Lettre-préface aux Principes, AT, IX-2, 14-15. [38] Chrysippe, Phusikai theseis, dans Plutarque, Contradictions des stoïciens, § 9, 1035c, éd. Pohlenz-Westman, BT, p. 7, ou SVF, t. III § 68 ; pour le contexte voir Striker (1991) p. 1-13. [39] Il faudra, en effet, formuler un autre « lieu » pour léthique, le « cosmologique », qui fera lobjet du chapitre suivant. [40] Cicéron, F, IV, v, 11-12, p. 124. [41] Néen Cilicie (actuelle Turquie)vers 480,Simplicius devient à Athènes le disciple de Damascios le Diadoque qui dirige l'école d'Athènes (520).Quand l'école est fermée par l'empereur Justinien en 529, il s'exile en Perse avec d'autres philosophes. « Damascios le Syrien, Simplicios le Cilicien, et bien dautres philosophes de leur temps, passent pour nêtre pas satisfaits de lopinion dominante chez les Romains concernant le divin, et pensent que le régime politique des Perses est bien meilleur. »Il se réconcilie finalement avec Justinien et revient à Athènes vers 530. [42] Il est hautement probable, selon Rémi Brague, quil sappuie sur un commentaire bien antérieur, celui dAlexandre dAphrodise (IIe-IIIe siècle). Simplicius le cite très souvent ailleurs et puise probablement dans son commentaire sans le nommer. [43] Il est le tenant d'une stricte orthodoxie aristotélicienne, consciente de son opposition fondamentale au platonisme. [44] Simplicius, In Physicam ; éd. Diels, CAG, IX , p. 4, 17-5, 21. [45] Dans le sixième livre de l Éthique à Nicomaque , la phronèsis est soigneusement distinguée de la sophia, lautre vertu dianoéthique. Si chez Platon les deux notions étaient utilisées comme synonymes, Aristote attribue une nouvelle signification à la notion de phronèsis. Sophia et phronèsis sont chez Platon les excellences de la connaissance théorique la seule véritable orientée vers la contemplation du monde des Idées qui est un monde transcendant. Chez Aristote, cest le terme sophia qui garde cette signification : elle est la connaissance de luniversel, de ce qui se présente comme nécessaire, dun monde ordonné par des règles et des normes universelles qui transcendent le monde empirique. La phronèsis est au contraire une capacité de ce monde qui a affaire aux choses qui peuvent être autrement quelles ne le sont et dont le principe nest pas nécessaire, aux « choses de la vie » et au monde de la contingence. Quand ce monde fait lobjet de la connaissance, cest une partie spécifique de la raison qui sen charge : la raison calculative dont lexcellence est la phronèsis. Il sagit donc dun savoir dont la fin nest pas le savoir pour lui-même, mais qui est constitué en vue de laction. Ainsi Aristote distingue deux attitudes fondamentales de lhomme : lattitude contemplative ou le savoir qui porte sur le nécessaire et lattitude pratique, le faire qui a rapport au contingent. La partie de lâme qui est chargée de la connaissance du nécessaire et des Idées est la raison scientifique. Sophia est lexcellence de la sphère contemplative de lexpérience humaine ( théoria ). Le monde de la contingence et de laction humaine est conféré à la partie calculative. Dans le monde des faits humains, Aristote distingue ensuite entre laction et la production, la praxis et la poiésis avec respectivement la phronèsis et la techné comme types de connaissance qui leur sont propres. [47] Anaximandre, DK, 12 B 1. « À partir de l'apeiron, Anaximandre explique comment se forment les quatre éléments de la physique ancienne (lair, la terre, leau et le feu) et, sous leurs interactions, comment se forment la Terre et les êtres qui lhabitent. Il relie en outre l'engendrement non pas à l'altération de l'élément, mais à la séparation des contraires à travers le mouvement éternel . » [49] The « Glosae super Platonem » of Bernard of Chartres, édité et traduit par P. E. Durton, Toronto 1991, p. 140, 32 et suiv. [51] Abraham ibn Daud, The Exalted Faith, trad. et commenté par N. M. Samuelson, Cranbury. [52] Voir dAlverny (1953), Kranz (1955), p. 153. [53] Nietzsche, Zarathoustra, I, 15 ; KSA, t. IV, p. 75.
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