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Parcours braguien - Eduquer pour la liberté


ÉDUQUER POUR LA LIBERTÉ
 
 
Selon Rémi Brague[1], l’idée qui permet de sortir du dilemme d’une éducation nécessaire et impossible est l’idée de liberté. Elle constitue la définition même de l’homme. Implicite dans la définition traditionnelle de l’homme comme «vivant doté de logos », sa mention explicite fait surface de temps en temps, tout au long de l’histoire de la pensée [d’Aristote, à Jean-Jacques Rousseau, en passant par Alexandre d’Aphrodise, Grégoire de Nysse et Pierre de Jean Olivi], avant de jaillir au grand jour à partir de Kant[2]
Or, l’homme libre n’est pas un modèle humain à imiter parmi d’autres, à côté du travailleur, de l’intellectuel, du gentleman, mais bien l’homme tout court. Proposer la liberté comme but de l’éducation, ce n’est pas imposer un modèle, mais tout le contraire.
Essayons donc [avec l’aide de Rémi Brague] d’élaborer cette idée, non sans commencer par souligner la part de vérité que contient la méfiance envers l’idée d’éducation libérale : elle part d’un concept de liberté qui n’est plus défendable. Ce concept a été d’ailleurs dépassé dans la pratique. L’idéal grec de la paideia[3]reposait implicitement sur l’idéal de l’homme libre. Mais la liberté y était réduite à son aspect social : était libre celui qui n’était pas esclave. En conséquence, la liberté ne pouvait pas apparaître comme un résultat à acquérir par une formation, mais comme un point de départ.
C’est seulement avec Israël que la liberté apparaît, non plus comme la propriété inaliénable d’une classe dominante mais comme la qualité reçue par un peuple initialement réduit à l’esclavage et libéré par une intervention extérieure, venant de l’extériorité radicale qui est celle de Dieu, lequel fait que le peuple quitte l’Égypte, la maison des esclaves (Exode, XX, 2)…
Avec le christianisme, la liberté est explicitement présentée, non comme un moyen, mais comme le but de l’opération de salut réalisée par Dieu dans le Christ : « Le Christ vous a libérés pour la liberté » (Galates, V, 1).  
Aujourd’hui encore, une éducation ne peut avoir les moyens de ses prétentions, c’est-à-dire du programme que contient son nom même, qu’elle prend acte implicitement ou non, de la révolution que la Bible a introduite dans l’idée de liberté. Un grand historien anglais, Lord Acton [1877], l’a dit magnifiquement : « La liberté n’est pas un moyen en vue d’un objectif politique plus élevé. Elle est l’objectif le plus élevé. »
Si donc nous distinguons avec quelque soin entre éducation et instruction, il nous faut donc reconnaître qu’il n’y a pas d’autre sorte d’éducation que l’éducation libérale. Parler d’une « éducation libérale », c’est exprimer une tautologie. L’instruction, par définition, n’est pas libérale. Encore faut-il se demander quel concept de liberté suppose au juste notre emploi de l’adjectif « libéral ». Un philosophe de l’Antiquité, s’il revenait à la vie pour visiter nos écoles, par ce qui lui apparaîtrait comme une contradiction : nous nous vantons de notre liberté, et nous n’apprenons guère que les arts serviles. Notre passion pour les techniques de toute sorte lui semblerait le symptôme de ce que nous devenons des esclaves.
Pour sa part, Rémi Brague aurait une vision plus positive de cette évolution. L’idée antique de l’éducation libérale admettait comme une évidence, on l’a vu, la division de l’humanité en en gens libres (en fait : des mâles libres) et des esclaves. Nous avons aboli l’esclavage, en tout cas en droit, et depuis la révolution industrielle, nous avons remplacé pour une bonne part les esclaves humains par des esclaves mécaniques. Dans un essai bref, mais substantiel, Lynn White Jr., historien américain de la technologie médiévale, répond sous le même titre au chapitre célèbre de Henry Adams « La dynamo et la Vierge ». Il y signale l’importance de la révolution technique et intellectuelle du Moyen Âge. Selon lui, elle est impensable sans la conception chrétienne de la dignité de tout homme devant Dieu. Il remarque notamment que les cathédrales sont les premiers monuments significatifs qui n’aient pas été construits par le travail d’esclaves, mais par des ouvriers libres, voire (avec quelque anachronisme) syndiqués.
 
Liberté des hommes et des choses
Un homme éduqué doit d’abord être un homme. Une platitude qui signifie que nous avons parfois à faire avec des conceptions de l’homme qui empêchent la possibilité même qu’il reçoive une éducation. Toute anthropologie ne permet pas de concevoir l’homme comme un être capable d’être éduqué. La question mérite d’être posée, de savoir si nous possédons une conception de l’homme, communément admise qui nous permet de penser ce que l’éducation est ou devrait être. Certaines anthropologies n’ont aucun mal à expliquer que l’homme peut être modelé à plaisir. La liberté humaine est plus difficile à penser.
De plus, l’homme n’est pas le produit de l’éducation. Il faut qu’il existe des hommes avant que nous n’entreprenions de les éduquer. Aristote a exprimé ce fait, qui était pour lui une évidence dans une phrase qui porte sur la science politique : la cité, la vie sociale, ne produit pas des hommes mais les reçoit de la nature. Les Stoïciens [notamment Cicéron dans De finibus], eux, se contentaient de dire que la nature ne fait qu’ébaucher des hommes et que ceux-ci doivent achever l’esquisse encore incomplète.
L’éducation consiste à promouvoir la liberté de celui que l’on éduque. Montrons maintenant que cette liberté du sujet correspond à, voire, appelle, ce qu’on pourrait appeler une liberté de l’objet, qui a le droit d’être traité tel qu’il se donne.
Aristote a défini l’homme éduqué (pepaideumenos) comme celui qui sait dans quel cas une approche déterminée convient à son objet et dans quel cas elle ne l’est pas. Il utilise la méthode rigoureuse de la démonstration comme déduction de théorèmes à partir d’axiomes, lorsqu’il est en face d’un problème mathématique. Il ne songerait pas à persuader son élève par des procédés théoriques. À l’inverse [dans Éthique à Nicomaque, I, 3, notamment], il serait ridicule d’utiliser des connaissances géométriques en matière de morale. Par exemple, nous sentons tous que rendre le mal pour le bien est immonde, et ceux qui le font s’attirent notre mépris dégoûté. Mais nous ne pouvons pas démontrer cela de la même façon qu’un théorème.
Car, d’une façon analogue, on l’a vu, qu’une personne bien élevée adoptera sa conduite à son partenaire dans la conversation ou dans le jeu social en général. Pascal [dans ses Pensées] eut le mérite de rapprocher les deux phénomènes : celui qu’il appelle un honnête homme ne se conduit pas en mathématique ou en soldat quand il a affaire à des gens qui ne le sont pas. De même, il saura adapter sa méthode à son objet. Par exemple, il ne cherchera pas à soumettre les personnes, et à plus forte raison Dieu, à une sorte de méthode expérimentale, même si celle-ci convient parfaitement pour dégager les lois de la nature.
Si nous prenons cette indication comme point de départ, nous pouvons proposer de l’éducation un concept plus large, qui comprendrait deux catégories :
         l’une serait, en matière de connaissance, l’application de méthodes appropriées ;
         l’autre serait, là où il s’agit de nos relations avec des personnes, le comportement approprié. Ce concept n’est autre que le respect. Il consiste à traiter ce qui est comme ce qu’il est, plus précisément à traiter le donné comme il se donne lui-même. « Se donner » a une signification variable. À proprement parler, l’expression n’a de sens que lorsqu’elle concerne des personnes, qui peuvent décider librement de ce qu’elles veulent livrer d’elles-mêmes. En conséquence, les «choses » ne peuvent pas être le sujet adéquat du « se donner ».
Traiter le donné comme ce qui se donne peut impliquer de la part de celui qui le reçoit la décision active de rester à la surface, de renoncer à pénétrer trop avant dans les profondeurs de l’autre. Ainsi, en ce qui concerne les personnes, on ne posera pas des questions plus intimes que si et seulement si l’autre le demande, comme dans le cas d’un médecin ou d’un psychothérapeute. En ce qui concerne les phénomènes de la nature, la personne éduquée restera consciente du processus d’abstraction requis par la connaissance et s’abstiendra de prendre ce que lui livre sa science pour la vérité tout court.
 
Du savoir et de son intérêt
Le problème est donc de définir le type de savoir que peut promouvoir la liberté naissante et la nourrir une fois qu’elle est là. Mais déjà un savoir peut-il, en tant que tel, fournir ce qu’on attend de lui ?
S’il était question de fonder une école d’instruction, et de donner aux jeunes gens d’aujourd’hui l’équipement nécessaire pour s’orienter dans le monde qui est le leur, il faudrait centrer cet équipement sur ce qui fournit la boussole la plus efficace. Dans notre monde, marqué décisivement par la physique mathématisée d’après Galilée, il est clair que cette boussole serait la science.
Seulement, ce qu’il faut fonder n’est pas une école d’instruction, mais bien d’éducation. Dans cette optique, la science et avec elle toutes les sortes de savoirs, souffrent d’un défaut majeur. La science nous instruit immensément mais peut-elle nous éduquer ?   
La science en général nous décrit l’humilité devant ce qui est. La science de la nature nous enseigne à renoncer à une hypothèse dès que l’expérimentation l’infirme. De même, la philologie nous enseigne à comprendre un texte avant d’oser prendre position par rapport à son contenu. Ce qu’il faut reprocher à la science ne concerne pas la science de la nature, à la différence des sciences morales, ou des humanités, mais toute sorte de connaissance. L’éducation nous dit quelle est la conduite appropriée. Ceci implique toute une gamme de «commandements », qui commencent au niveau le plus humble : les manières de table, les règles de politesse, la grammaire, la cuisine, tout ce que nous appelons « culture ».
Or le savoir nous dit ce qui est, mais il nous laisse en plan quant à ce que nous devrions faire. Rémi Brague insiste sur un point : la distinction fondamentale n’est pas celle qui sépare les sciences de la nature et l’érudition humaniste. Toutes sont logées à la même enseigne. Connaître la formule chimique de l’eau ou savoir que Shakespeare est mort en 1616 ne nous aide pas à agir. Il faut le rappeler, contre la formule lancée par le livre de C.P. Snow [The Two Cultures and the Scientific Revolution, 1959] : il n’y a pas « deux cultures » ; il y a bien, à l’évidence, deux domaines du savoir, mais aucun des deux n’est, en tant que savoir, une culture. Les humanités n’acquièrent une pertinence culturelle que quand elles nos enseignent comment procéder : comment écrire un poème, comment peindre un portrait.
Quant à la science, pour le dire de façon brutale et volontairement provocante, elle n’est pas intéressante. Distinguons trois sens de « intérêt » : ce qui est intéressant peut être ou bien (1) gratifiant, « payant », ou bien (2) fascinant ou encore (3) intéressant au sens propre. Nous pouvons être intéressés aux bénéfices d’une société à titre d’actionnaire, ou comme membre du conseil d’administration. Nous pouvons être fascinés par un spectacle dans lequel nous nous absorbons. Cela peut être une œuvre d’art. Cela peut être aussi un phénomène naturel, depuis la structure délicate d’une fleur ou d’un insecte jusqu’au ciel constellé. 
Rémi Brague appelle « intéressant » au sens propre ce qui nous apprend quelque chose sur ce que nous sommes, ce qui nous oblige à réfléchir sur la condition humaine, et à changer quelque chose dans notre vie. On peut ici jouer sur l’étymologie : ce qui inter-est est ce qu’il nous faut traverser pour arriver à ce que nous sommes. Le grand art, la tragédie grecque par exemple, joue ce rôle, mais une simple contestation avec quelqu’un que nous apprécions peut obtenir le même résultat. En revanche, u bon numéro de cirque ou un bon roman policier peut être intéressant, une pantalonnade de théâtre de boulevard peut nous clouer à notre fauteuil, mais rien de tout cela n’est intéressant au sens que Rémi Brague a indiqué.
Appliquons ces trois concepts à la science de la nature. Celle-ci a toujours été fascinante. Elle l’était déjà pour Aristote[4]. La science antique était en outre intéressante, en ce qu’elle était censée permettre à l’observateur de découvrir sa nature profonde[5]. La science moderne de la nature, de par ses applications technologiques, est extrêmement payante, nous lui devons notre civilisation matérielle ; et bien souvent, nous lui devons tout simplement la vie. De plus, ses découvertes et ses hypothèses fantastiques lui donnent un incroyable pouvoir de fascination, même lorsqu’elle est vue sous une forme vulgarisée. En revanche, elle n’est pas intéressante au sens propre de ce terme.
 


[1] Paragraphe de « Modérément moderne », page 340-348.
[2] c’est parce que la nature le destine à la vie en Cité qu’elle a donné à l’hommr le logos (langage et raison).
[3] Il s’agissait d’un style de vie global ; elle incluait ce que nous appelons « culture », par exemple la littérature (Homère) et l’art. et même  la culture physique. Elle était inséparablement, pour le dire dans le langage de Platon (République, III, 403 c) gymnastique et « musique ».
[4] Aristote, Parler des animaux, I, 5.
[5] Voir par exemple Sénèque, Questiones Naturales, Préface, § 12.






Date de création : 22/09/2014 @ 11:07
Dernière modification : 22/09/2014 @ 11:12
Catégorie : Parcours braguien
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