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Parcours nietzschéen - Topologie de l'éternel retour

TOPOLOGIE DE L’ÉTERNEL RETOUR
 
Cette recension est extraite de l’ouvrage de Louis-José Lestocart intitulé « L’intelligible connaissance esthétique[1] »
 
Volonté (S) de Puissance 2[2]
 
Une volonté/puissance intérieure, cachée, s'affîrmant dès La Naissance de la tragédie (1872) telle une lutte de forces (l'inconscient-Dionysos étant le devenir en dessous de l'être Apollon de la conscience) amenant la circularité d'une création/destruction de l'univers à l'infini, se poursuit sans cesse dans l'œuvre de Nietzsche. Comme dans la Nature « Tout meurt, tout refleurit, le cycle de l'existence se poursuit éternellement[3]. »
Image qu'on retrouve chez Schelling (1775-1854) qui, dans « Sur l'âme du monde », écrit à l’âge de vingt-trois ans, parle aussi d'un principe/processus, d'un antagonisme de forces primitives, à la fois attractives et répulsives, (principe d'une dualité dynamique entre les opposés) dont l'action réciproque est à l'origine de toutes les productions naturelles, via des cycles sans fin. La nature est une force primitive, créatrice, éternelle, qui fait naître, périr et renaître tout ce qui existe en elle. Schelling, qui a exercé une grande influence sur Nietzsche, et qui comme lui s'appuie sur les observations les plus récentes réalisées par les physiciens et les naturalistes de son temps pour construire sa pensée, évoque ainsi la circularité de la causalité opérant sans cesse des retours sur elle-même. Vision qui s'exprime aussi dans La volonté de puissance en flux et forces naturelles autogénérés : « Il s'agit d'une lutte entre deux éléments de puissance inégale: on en arrive à un nouvel arrangement des forces, selon la mesure de puissance de chacun. Le deuxième état est radicalement différent du premier (il n'en est pas l'effet : l'essentiel c'est que les facteurs qui se trouvent en lutte aboutissent à d'autres quantités de puissance[4].) »
Nous comprenons mieux à présent la portée de cette déclaration. Ce qui semblait ne relever que du domaine de la pensée, voire du corps (force vitale), s'applique maintenant à la physique vue comme métaphysique. Physique de l'émergence. Car ce qui fait retour, c'est l'auto-organisation du monde devenu lui-même système complexe. Il appartiendra désormais aux découvertes de la Relativité d'Einstein de décrire ce pari de représentation d'une approche nouvelle de la question de l'espace fini ou infini. Mais nous n'en sommes pas si loin.
Le médecin J. von Autenrieth (1772-1835) évoque – comme Schelling et, bien entendu, Nietzsche (avec la dichotomie Dionysos/Apollon) –, des polarités antagoniques, forces essentiellement interdépendantes, en perpétuel changement interne qui ne sont jamais en équilibre. Cette notion de « loin de l'équilibre » peut encore être définie comme source d'ordre. Elle se rapporte aux systèmes dynamiques complexes, tels qu'ils sont décrits dans les sciences qu'on appelle « non linéaires » ; systèmes tant physiques et biologiques que cognitifs[5]. Loin de l'équilibre, « la matière acquiert de nouvelles propriétés où les fluctuations, les instabilités jouent un rôle essentiel : la matière devient active[6] »
Un autre apport à l'édification de l'Eternel Retour[7] (E.R.) provient encore de deux ouvrages (Sur la nature des comètes, 1872) et Encyclopédie de la physique) du physicien et astronome Zöllner (1834-1882) que Nietzsche lit en 1873. Zöllner, qui a aussi étudié les illusions d'optique[8]est un des premiers scientifiques à souscrire à la géométrie différentielle non-euclidienne[9] du mathématicien allemand Riemann (1826-1866) dont l'espace sphérique à trois dimensions, espace fini et cependant sans bornes (à n-dimensions), à courbure régulière – ou hyperbolique en forme de « selle de cheval » – permettra l'éclosion de la Relativité Générale d'Einstein[10] (1915). Cette vision de Riemann, Zöllner l'étend à la définition du temps, de l'espace et de l'énergie. Donnant ainsi la représentation d'un espace courbe astreint à épouser les contours d'une géométrie quadridimensionnelle non euclidienne, espace à la fois fini et sans limites, une hyper-sphère. Soit un modèle d'univers fini échappant à tout paradoxe de « bord » et incluant les flux d'énergie cyclique de la Naturphilosophie.
 « Dans un espace sphérique, la forme de l'espace doit être la cause du mouvement éternel. » Si l'espace dans cette Analysis Situs (topologie[11]) devient non-linéaire, il faut aussi que le temps le soit. Ce dernier ne doit pas courir indéfiniment sur une ligne droite. « Tout ce qui est droit ment, murmura le nain avec mépris. Toute vérité est courbée, le temps lui-même est un cercle. » (Ainsi parlait Zarathoustra, Troisième partie, « De la vision et de l'énigme »). « À chaque moment commence l'existence ; autour de chaque ici se déploie la sphère là-bas. Le centre est partout. Le sentier de l'éternité courbe. »[12] (Ainsi parlait Zarathoustra, Troisième partie, « Le convalescent »).
Espace, temps entraînent aussi la pensée, la représentation du monde. Face à un univers défiant la logique, non-euclidien donc (ou présocratique), suivant la courbure, torsion de l’espace-temps, la pensée se courbe à son tour, prise dans les flux et reflux des énergies, les intensités de chute et de hausse qui parcourent celui-ci. Elle simule même ces états d'énergie, tel un grand anneau (tore). [On dit parfois que l’espace-temps einsteinien est cylindrique ; l’espace est courbé et fermé, comme le cercle de base du cylindre, mais le temps est droit et ouvert comme l’axe du cylindre.
nuaccroupi.jpgCe genre de dispositif se retrouve du reste exprimé dans certaines peintures de Francis Bacon. Par exemple Etude de nu accroupi (1952) et aussi dans de nombreuses autres figurant l’image d’une ellipse]. Si le cercle des événements et le cercle de temps – sous-entendu de futur et de devenir –, sont reliés ; chaque événement en permanence et, en un sens perpétuellement, se localise dans son moment. Pour mieux se représenter cet état de choses et le modéliser, il faut se figurer une bande d'un film, de longueur définie, dont les deux extrémités ont été jointes (l'opération mathématique de cette « collure » s'appelle identification) après qu'on lui a fait opérer une torsion d'un demi-tour[13] Pour appuyer cette ontologie intelligible, dont la formalisation passe par les caractéristiques mathématiques d'une surface topologique, sélectionnons à présent des passages de « De la vision et de l'énigme » dans Ainsi parlait Zarathoustra. « Vois ce portique ! nain ! repris-je : il a deux visages. Deux chemins se réunissent ici ». Cette réunion évoque la collure dont nous venons de parler : deux extrémités se rejoignent « et c'est ici, à ce portique, qu'ils se rencontrent ». Le nom du portique inscrit à un fronton est « instant ». Eternel moment du temps. Il faut peut-être ici se figurer une sorte de ruban de Möbius pour désigner ce grand « Midi ». Toutes choses possibles, entendre – toutes choses que le ruban constituent,  chaque niveau d'organisation –, y étant toujours présentes au même instant. Ce ruban, surface non-orientable à deux dimensions ayant seulement un bord quand elle est plongée dans un espace euclidien à trois dimensions, n'est là qu'un des cas particuliers d'une géométrie non-euclidienne, mais il peut aider à comprendre le fait suivant. Tous les moments sur cette surface, qu'il faut imaginer sans cesse en mouvement, sont également essentiels. « Cette longue rue qui descend, cette rue se prolonge durant une éternité et cette longue rue qui monte – c'est une autre éternité. » Les deux rues étant égales en qualité, on peut penser qu'elles le sont aussi en dimension. « Ces chemins se contredisent, ils se butent l'un contre l’autre. » Ou plutôt comme on verra plus loin, ils se retournent recto verso. Car en parcourant une face du ruban, l'on se retrouve subitement de l'autre côté. Ce qui dans le texte de Nietzsche pourrait être rendu par « Mais si quelqu'un suivait l'un de ces chemins — en allant toujours plus loin : crois-tu nain, que ces chemins seraient en contradiction ! » La figure de l'espace courbe, hyperespace, apparaît encore dans la phrase : « De ce portique du moment une longue et éternelle rue retourne en arrière : derrière nous il y a une éternité. » Enfin le cœur du principe est proclamé : « Toute chose qui sait courir ne doit-elle pas avoir parcouru cetterue?Toutechosequi peut arriver ne doit-elle pas être déjà arrivée, accomplie, passée ? » Un des moments/instants sur cette surface qui peut être postulé à la fin du temps, peut donc aussi bien être saisi au début de ce même temps. « Et si tout ce qui est a déjà été : que penses-tu, nain, de cet instant ? Ce portique lui aussi ne doit-il pas déjà – avoir été ? [...] Et toutes choses ne sont-elles pas enchevêtrées de telle sorte que cet instant tire après lui toutes les choses de l'avenir ? Donc – aussi lui-même ? » Enfin vient une forme de petite péroraison : « Car toute chose qui sait courir ne doit-elle pas suivre une seconde fois] cette longue route qui monte ! »
Un autre thème est que cette modélisation type ruban de Möbius est à la base de notre perception du monde dans le sens où l'on pourrait remarquer que certains de ces moments/points dans cette topologie particulière paraissent visibles et d'autres cachés[14]. On ne doit pas perdre de vue cependant qu'il s'agit toujours de la même surface, de la même matière. Dans cette conception, non seulement l'idée d'un temps qui commence et d'un temps qui finit, paraît arbitraire, sans signification et sans but comme on l'a vu, mais les instants considérés sur cette surface particulière reviennent effectivement indéfiniment. Il suffit de regarder une animation d'un ruban de Möbius pour s'en apercevoir. Si l'on étend cette modélisation à la réalité du monde, on pourrait dire que cela devient aussi valable pour le macroscopique (complexité des évolutions stellaires et des structures galactiques) que le microscopique (complexité de la matière atomique puis moléculaire).
Du point de vue de la dynamique chaotique, on peut aussi ajouter que chacun des îlots d'ordre qui se crée comporte aussi nécessairement, en miroir, sa part de désordre. La théorie du chaos déterministe montre pareillement que l'ordre et le désordre, partenaires à part entière, peuvent coexister et qu'un changement infinitésimal (phénomène d'émergence non-linéaire) dans l'un de leurs paramètres peut faire bifurquer brutalement ces systèmes qui, bien que gouvernés par un petit nombre de facteurs simples, deviennent caractérisés par leur grande « sensibilité aux conditions initiales » (Poincaré). Cette bifurcation entraînant, sous un comportement imprévisible, une modification qualitative : la quantité se mue en qualité. A ce moment les limites se dissolvent... Toute forme complexe étant couplée à une forme de non-complexité ; condition indispensable à son observabilité. Cet effet miroir nous conduit à poser le problème d'une « articulation » associative entre les deux. Tout se passe comme s'il fallait contraindre ce chaos à devenir forme, ici via la pensée de l'Eternel Retour. Comme le dit René Thom : «La stabilité d'une forme (...) repose en définitive sur une structure de caractère algébrico-géométrique (...), dotée de la propriété de stabilité structurelle vis-à-vis des perturbations incessantes qui l'affectent[15]. »
Il existe donc, par là, une possibilité pour l'observateur de voir – en trompe-l'œil peut-être –, ce qui sera. Comme en astrophysique où l'on a tendance à voir un même astre dans des directions différentes et à des âges différents. Toutes choses possibles, étant toujours présentes au même instant brisées dans son œil, décomposées en fréquences et présentes aussi dans son cerveau à la fois comme simulation en réponse à ce qu'il voit et construction propre de l'opération de son esprit. C'est ici sans doute dans cette modélisation plus sophistiquée qu'intervient le cerveau, sa manière de fonctionner, son action même provoquant lui-même une sorte de « courbure » : l'apparition de la pensée. Telle une possibilité de vue sur l’ intérieur du monde en un principe de « spécularité » (ou de theôria) élargie, située au cœur  delaréflexion.« La dynamique intrinsèque de notre pensée n'est donc pas fondamentalement différente de la dynamique agissant sur le monde extérieur. On s'expliquera ainsi que des structures simulatrices des forces extérieures puissent par couplage se constituer à l'intérieur même de notre esprit, ce qui est précisément le fait de la connaissance. » (René Thom)[16].
Comme pour tous les systèmes dynamiques non linéaires selon les concepts associés à ces systèmes (auto­organisation, chaos déterministes, entropie, ordre et désordre, instabilité, sensibilité aux conditions initiales, émergence, complexité, etc.), le passage d'un point de vue unique à une multiplicité de points de vue, plus ou moins légitimes sur le monde, s'effectue par d'ordinaires turbulences chaotiques, stochastiques, des oscillations (espace des phases) et des évolutions bifurquantes jusque sur l'autre versant. Cette formulation modélise le stade miroir, l'autre côté des choses, la deuxième vision à avoir, vision du futur, appréhendée que par fragments comme au sein d'un miroir brisé, qui fait à son tour se briser les illusions du sujet, conduisant à considérer en quelque sorte la « réalité brute » du monde et de soi[17]. Tout doit-il être vu de cet autre côté ? Pas seulement. Il n'est cependant peut-être pas d'autre voie possible pour l'humaine condition (que peut-être de se voir dans le miroir d'un chaos originaire). Telle une sorte de division en deux mondes dans la réflexivité. Deux mondes ou deux mouvements absolument divergents : lucidité et obscurité (ou chaos). Le Retour du Même (plutôt, authentiquement, du semblable) dans lequel toutes choses ont leur montée et leur descente, leur flux et leur reflux, c'est l'action même de se voir, s'entendre, étant se parfaire, se développer. Au sens encore où un organisme ou la vie ou encore la pensée se développent.
Quand Nietzsche parle d'une pensée qu'il a « en avance sur tous » étant l'hypothèse scientifique par excellence – la « plus scientifique de toutes les hypothèses possibles » (La volonté de puissance, § 55) –, il n'a sans doute pas tort même si cela peut constituer un grand scandale. Que seraient donc le monde et la vérité si tous deux se dévoilaient totalement à un individu même si cet individu ne se prend humblement en définitive que comme objet d'expérience[18] ? Néanmoins les recherches de Nietzsche sur les sciences de la Nature et la physique de son temps – tandis qu'il multiplie sans cesse chez lui les « radiographies cérébrales » (comme le fera plus tard Valéry) et qu'il se met entièrement à l'écoute des mouvements attestant la métamorphose en cours –, le conduisent à culminer là en un point, un sommet où il finit par à la fois devancer (via 1'« intuition » épistémologique) les sciences de son temps et même annoncer d'une certaine façon celles du futur (la physique d'aujourd'hui fondée à la fois sur la physique quantique et la relativité générale ; voire même les théories des supersymétries, des cordes et supercordes ou branes[19].
 
« Nature inside »
 
L'Homme est-il une partie de ce monde qu'il observe et avec lequel il interagit comme subsystème d'un système plus englobant qu'on appelle Univers, qui auto-organise lui-même ses observations ? Est-il un observateur intérieur à ce monde ? Est-ce qu'une partie de ce monde émerge en vertu de ce fait, et « se distord » alors de manière non reconnaissable pour l'observateur intérieur ? Ces questions, on les retrouve dans le (1755), du jésuite, mathématicien, physicien, astronome et poète serbe R. Y. Boscovich (1711-1787).
Entre les années 1870 et 1874, Nietzsche se passionne (notamment en 1872) pour la Théorie de la philosophie naturelle pour une unification des forces de la nature de Boscovich (1758, 1763).que lui a déjà fait découvrir la lecture de Lange en 1866 et qu'il évoque dans Par delà le bien et le mal. « Philosophe de la Nature », Boscovich au-delà d'un exposé d'une théorie dynamiste de la nature, est le premier à postuler l'existence de forces répulsives agissant entre les atomes sur de très courtes distances et ces forces émanant de points déterminés dans l'espace, mais « dénués d'étendue» provoquent « les effets que l'on attribue d'ordinaire au rebondissement réciproque de molécules matérielles » (Lange)[20]. Boscovich voit ces points désignés comme « atomes simples » – déterminés selon leur distance, soit à se rapprocher, soit à s'éloigner[21] –, comme les portions élémentaires de la matière.
« C 'est cette détermination même qu'on appelle force, entendant par là non un mode d'action, mais la détermination elle-même, d'où qu'elle provienne, dont la grandeur change avec le changement des distances. » Force qui est le mouvement même de la matière en son sein même (De spatio et tempore, ut a nobis cognoscuntur). Cette force qui est attractive lorsque la distance des deux points dépasse une limite déterminée devient répulsive au-dessous de cette limite. C'est ce qu'on pourrait appeler plus ou moins aujourd'hui la force faible ou interaction faible [22]. Boscovich est ainsi découvreur/précurseur de ce que sera la physique quantique[23].
Boscovich dit aussi, en disciple du philosophe anglais John Locke (1632-1704) auteur d'An Essay Concerning Human Understanding (Essai sur l'entendement humain, 1690), qu'un observateur humain ne peut jamais observer le monde objectif (res extenso) tel qu'il est régi par les lois physiques universelles — en tant que cet observateur n'est finalement qu'une interface entre lui-même et le monde. Il pense de ce fait que nous ne connaissons ni les substances, ni même les puissances actives des choses.
Nous errons comme au sein d'un vaste territoire (réalité) dont nous avons naturellement perdu toute espèce de connaissance. Dans ces rapports entre le monde « réel » et le monde « perçu », les apparences peuvent être trompeuses. Ce que nous percevons par nos sens n'est qu'illusion et, à un niveau plus profond, il y demeure une réalité cachée : le fond des choses est obscur et dépasse la luminosité de la surface. Dans La terre et les rêveries du repos (1946), le philosophe des sciences et épistémologue Gaston Bachelard (1884-1962) cite Anaxagore de Clazomènes (Ve siècle avant J-C) philosophe présocratique et astronome, plus ou moins fondateur de la science moderne, qui dit que nous voyons « la neige blanche alors qu'elle est noire malgré nos yeux ». Anaxagore exprime par là que la Connaissance véritable dépasse le plan de l'apparence, qu'elle est encore une fois vision des choses cachées ; ces choses signifiantes, globales, diffuses, latentes, imaginées. Mais une fois celles-ci devenues manifestes encore faut-il pouvoir les interpréter. Dans sa volonté « naïve » d'interroger un visible (la Réalité) dont il ne reste que des traces, chaque description que l'observateur peut en donner n'est que dépendante de sa propre vision, purement contextuelle, avec ce petit défaut d'être un petit peu trop sûre d'elle. « Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée ne s'en approche. » (Pascal, Pensées, «Les deux infinis», § 185). Décrite cette réalité, par le seul fait de cette description, perd sans cesse sa force. En cette pérégrination expérimentale confuse, imprévisible – et, hélas, pour nous tangible –, nous voyons à chaque instant ce que les yeux et l'esprit soi-disant découvrent. Or, comme le dit le mathématicien, biochimiste et physicien Otto E. Rôssler (1940-) lisant Boscovich, il n'est pas possible de mesurer les mouvements ou les transformations du monde, si le monde entier, y compris tous les appareils de mesure et d'observation, sont également touchés par ces mouvements ou ces transformations[24]. « Un mouvement, commun à nous et à l'univers, ne peut être observé par nous. » (De spatio et tempore...). La vision endophysique (endo = intérieur) boscovichienne est déjà la base des deux Relativités d'Einstein.
 


[1] Ed. l’Harmattan, janvier 2010.
[2] Ce chapitre est le complément à Volonté (S) de puissance 1, Métamorphoses (du soi) : physiologie, biologie et épigenèse , intitulé RETOUR DU CORPS.
[3] Ainsi parlait Zaeathoustra, Troisième partie, « Le convalescent ».
[4] La volonté de puissance, 299.
[5] « Loin de l’équilibre » ou « hors de l’équilibre », c’est le moment où le système s’écarte de l’équilibre, tout en possédant une régulation interne pour atteindre des régimes où se manifestent des phénomènes nouveaux comme l’apparition des structures dissipatives que découvre Prigogine après Türing.
[6] Prigogine, I (1996), La fin des certitudes, 1996, Odile Jacob, p. 75.
[7] L’Eternel Retour de Nietzsche (1844-1900) est une expérience-miroir singulière. Expérience esthétique (vécue en août 1881) qui consiste à voir ce qui se cache derrière soi-même (et le monde) à un certain moment présent. Comme s’il existait un certain point culminant (haute intensité) – moment précis à l’intérieur d’un horizon déterminé de l’existence –, de l’activité humaine pouvant donner naissance, dans certaines conditions, à la vision d’une évolution apparemment désordonnée et « fortement » imprévisible qui se répètera, et ce éternellement. C’est l’instant du renversement de l’Etre et d’avènement de l’avenir.
[8] Illusion de Zöllner où des lignes noires semblant ne pas être parallèles le sont en réalité.
[9] La géométrie non-euclidienne est marquée par quatre grands noms : C. F. Gauss (1777-1855), J. Bolyal (1802-1860), N. I. Lobatchevsky (1792-1856), et Rieman étudiant de Gauss.
[10]  Zöllner se trouve ainsi à l’origine de la conception d’un espace-temps à quatre dimensions qui sera, au reste, abondamment vulgarisé vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe.
[11] Topologie : étymologiquement « connaissance des lieux », soit la science qui étudie les propriétés géométriques invariantes d’un objet quand celui-ci est étiré, tordu ou rétréci de manière continue.
[12] Cette formule « le centre est partout » provient du penseur allemand Nicolas de Cues ‘1401-1454) pour qui il est impossible pour l’homme de dessiner une image parfaite et définitive du monde, car tout point d’observation est différent, et qui plus est, aucun point d’observation n’est privilégié. » …sa circonférence n’est nulle part, puisque sa circonférence et son centre sont Dieu qui est partout et nulle part ». Formule qui sera reprise par le philosophe et théologien italien Giordano Bruno au XVIe siècle et par Pascal un siècle plus tard.
[13]  Ulfers, Cohen 2001 (The Energetiscist Model of the Universe…)
[14] Dans son approche phénoméno-structurale, Jacques Lacan montre également un intérêt pour les objets topologiques complexes tels les rubans de Möbius ou  leurs dérivés (surface de Cross Cap ou mitre ou bonnet, bouteille de Klein, surface de Boy) comme outil de réflexion et de description de sa théorie du sujet et de l’Autre et rejoint de ce point de vue les intuitions profondes de Nietzsche. Pour le psychanalyste, comme en parcourant une face du ruban, l’on se trouve subitement de l’autre côté, ainsi doivent être vus le signifiant et le signifié comme deux côtés en miroir. Lacan I, « L’identification », in Le Séminaire IX, 1961-1962.
[15]  Thom, R. (1974) Modèles mathématiques de la morhogenèse, Paris Bourgeois, coll. »10/18 » p. 265. Le système au départ structurellement stable se comporte alors comme s’il possédait une sorte de mémoire primitive. Les bifurcations vont se multiplier à l’infini sur un intervalle appelé « point de Feigenbaum » ou « porte d’entrée sur le chaos », car, après ce point, le système devient proprement « chaotique », imprédictible. Cette sensibilité aux conditions initiales définit un système dit chaotique. Lestocart J.L. Entendre l’esthétique dans ses complexités, op.cit. p.111-112.
[16]  Modèles mathématiques de la morhogenèse, op.cit. p.265
[17] Si l’on revient à la vision de la réalité de Bergson, « La réalité est croissance globale et indivisée, invention graduelle, durée : tel un ballon élastique qui se dilaterait peu à peu en prenant des formes inattendues », on peut peut-être préciser la forme globale que pourrait avoir l’Univers. La notion d’expansion de l’univers découverte par Hubble (1889-1953)  (l’éloignement constaté des galaxies lui fait penser au caractère inachevé de l’Univers) est ainsi trop souvent associée, dans les esprits, à la surface d’un ballon que l’on gonfle. Selon Jean-Pierre Luminet, « l’univers ne gonfle dans rien du tout, puisqu’il n’y a pas d’espace en dehors de lui-même ». L’univers est « non-euclidien » et « chiffonné »,… parce qu’on verrait se répéter le même bloc partout par une sorte de jeu de miroirs ! ».                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       
[18] Même si son langage reste « prisonnier » d’un certain lyrisme – dissimulateur qui plus est.
[19] La théorie des cordes stipule qu’il est possible qu’une infinité d’univers ou « multivers » coexistent sur des « branes » (membranes ) différentes. Selon les derniers développements énoncés pour la première fois en 1995 à l’Université de Californie du Sud, par le physicien et mathématicien E. Witten, on pense que le monde possède onze dimensions (théorie M qui unifie les cinq théories en vogue depuis les années 1920).
[20] Bréhier E. (1929-1932) Histoire de la philosophie – II. La philosophie moderne, Paris, Librairie Félix Alcan, p.306.
[21] Ibid.
[22] L’interaction faible est une des quatre interactions fondamentales s’opérant au sein de la matière (noyau de l’atome). Les autres étant l’électromagnétisme, la gravitation, l’interaction forte. L’interaction faible s’applique à toutes les particules de matière (quarks, électrons, neutrinos, etc.).
[23] C’est à partir de ce dernier que Nietzsche conçoit sa théorie de l’énergie et sa théorie de la constitution dynamique de la matière et des atomes : il s’est rallié à la conception atomique de Boscovich, pour qui les atomes ne sont pas des corpuscules mais des « points d’énergie sans étendue ». L’univers est un ensemble de points qui s’attirent ou se repoussent mutuellement ; chacun de ces points est un centre de force non pas en lui-même, mais uniquement dans ses rapports avec les autres points qu’il attire ou repousse de la même manière qu’il est attiré ou repoussé par eux. 
[24]  Rössler, O. E. (1992). Endophysics. Die Welt des inneren Beobachters, Berlin, p.143.  






Date de création : 30/11/2013 @ 08:56
Dernière modification : 30/11/2013 @ 09:15
Catégorie : Parcours nietzschéen
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