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Parcours habermassien - Autorefléxion des sciences de la nature





UNE CRITIQUE PRAGMATISTE DU SENS
 
Cette autoréflexion des sciences de la nature.est celle rapportée par Habermas, dans « Connaissance et intérêt[1] ». La critique pragmatiste du sens qui en découle se réfère essentiellement aux travaux de Charles S. Pierce menésau cours des dernières annéesdu XIXe siècle.
Celui-ci,empruntant une paire de concepts à partir d'Aristote, lors de ses études sur le « pragmatisme », a retenu trois formes d’inférence qui sont autant de manières qu’ont les choses de se comporter :
  • – La déduction [2] : comportement obligatoire ;
  • – L’induction : comportement effectif ;
  • – L’abduction : comportement probable.
L'abduction est la forme d'argumentation qui élargit notre savoir ; elle est la règle suivant laquelle nous introduisons de nouvelles hypothèses. Dans cette mesure, seule la pensée abductive fait avancer le processus de recherche. Par l'induction nous vérifions si les prévisions peuvent être confirmées, et avec quelle probabilité elles peuvent l'être. L'induction est donc la forme logique du processus de recherche proprement dit dans la mesure où il est destiné à vérifier la validité factuelle des hypothèses.
Le contenu de nos théories sur la réalité est élargi de façon abductive par la découverte de nouvelles hypothèses, tandis que par la méthode inductive nous contrôlons la concordance des hypothèses et des faits.
Les déductions que nous fondons sur l'hypothèse, résultat de l'abduction, produisent des prévisions conditionnelles concernant notre expérience future. En d'autres termes, nous inférons par déduction que, si l'hypothèse est vraie, tel ou tel phénomène d'un genre déterminé doit posséder tel ou tel caractère. Nous procédons alors à une série de quasi-expériences[3] pour mettre ces prévisions à l'épreuve et parvenir ainsi à une estimation définitive de la valeur de l'hypothèse : ce dernier procédé, Pierce l'appelle l'induction.
Elucidation de la procédure
Peirce, pour élucider cette procédure, prend l'exemple de la théorie cinétique des gaz et il détermine la relation de l'abduction et de l'induction de la façon suivante : « La grande différence entre l'induction et l'hypothèse est dans le fait que la première infère l'existence de phénomènes tels que nous les avons observés dans des cas semblables tandis que l'hypothèse suppose quelque chose qui est différent de ce que nous avons observé directement et souvent quelque chose qu'il ne nous est pas du tout possible d'observer. De façon analogue, lorsque nous avons élargi une induction bien au-delà des limites de notre expérience, l'inférence prend la nature d'une hypothèse. Il serait absurde de dire que nous n'avons pas de garantie inductive pour une généralisation qui dépasse un peu les limites de notre expérience... Cependant, si une induction est poussée très loin, nous ne pouvons pas lui accorder un grand crédit, à moins de trouver qu'une telle extension explique un fait quelconque que nous pouvons observer et observons effectivement (ibid.). Nous voyons donc que Peirce comprend par abduction avant tout deux procédures différentes. La première sert à l'explication causale d'un événement et mène, dans une hypothèse propre à telle étude de lois (nomologique), à une hypothèse explicative. La seconde par contre sert à découvrir une hypothèse nomologique. Dans ce deuxième cas, qui intéresse la logique de la recherche, il s'agit soit de la modification d'une hypothèse nomologique donnée, mais réfutée par un résultat inattendu, soit de la progression sur-inductive d'une formule obtenue par induction à propos de phénomènes constants à une hypothèse nomologique qui «s'applique» à la formule.
Logiquement ces deux formes peuvent être considérées comme des variantes du syllogisme nécessaire.
Le syllogisme de Barbara[4]comme exemple typique de déduction
Si nous prenons ce syllogisme comme exemple, nous pouvons concevoir la proposition universelle de la première prémisse comme hypothèse nomologique, le cas singulier de la seconde comme expression des conditions initiales d'une hypothèse nomologique et enfin la conclusion comme prévision. Je déduis la prévision de la loi comme le résultat (effet) d'un cas (cause). Peirce parle d'abduction lorsqu’il dérive par déduction non le résultat de la loi et du cas, mais le cas du résultat et de la loi. Par résultat, on entend dans ce contexte un fait imprévu qui n'aurait pas pu être prévu sur la base des interprétations en vigueur. Il est inexplicable parce que l'hypothèse à l'aide de laquelle nous pourrions inférer la cause du résultat nous fait défaut. La réalisation particulière de l'abduction consiste donc dans la découverte et l'invention d'une hypothèse appropriée permettant d'inférer le cas du résultat et de la loi.
Présentation de la forme logique de l’inférence abductive de 1903
Ayant pris pleinement conscience des formes syllogistiques et de la doctrine de l’extension logique, Pierce retint cette nouvelle présentation de l’inférence abductive en la considérant comme définitive:
  • – Le fait surprenant, C, est observé;
  • – Mais si c'était vrai, C serait une question de cours,
Par conséquent, il ya lieu de soupçonner que A est vrai.
Logique de la recherche
La connexion de ces trois modes représente les règles suivant lesquelles nous devons procéder pour que le processus de recherche remplisse la détermination qui le définit : c'est-à-dire conduise, à long terme, à des énoncés vrais sur la réalité. Plus que d'appréhender ces règles de façon descriptive, il est difficile d'expliquer pourquoi elles garantissent effectivement le but du processus de recherche. La forme du syllogisme qui mène de manière immanente et contraignante à des énoncés justes, à savoir la déduction, doit cet avantage à son caractère analytique. Mais cela signifie qu'elle n'apporte aucune information nouvelle et reste stérile pour le progrès de la connaissance. Par contre, les formes synthétiques du syllogisme, sur lesquelles est fondé ce progrès, ne sont pas contraignantes : nous ne pouvons pas comprendre a priori pourquoi elles devraient être valables. « Nous ne savons que ceci : Si nous nous en tenons fidèlement à ce mode, nous approcherons, dans l'ensemble, de la vérité. »
Peirce envisage à l'occasion d'expliquer empiriquement la validité de l'abduction et de l'induction dans la logique de la recherche. Ces règles, qui sont productives pour l'acquisition des informations, pourraient être, comme les régularités du comportement organique, le résultat d’une sélection naturelle. « Comment expliquer l'existence de cette faculté ? En un sens, sans aucun doute, par la sélection naturelle. Étant absolument nécessaire à la préservation d'un organisme aussi délicat que celui de l'homme, la race qui ne la possédait pas n'était pas capable de survivre. C'est ce qui explique la prédominance de cette faculté... Mais comment est-elle possible ? » Peirce voit pourtant, finalement, que la question de la validité des règles logiques ne peut pas recevoir de réponse immédiatement tirée de l'expérience, mais qu'elle exige d'abord une réponse logico-transcendantale :
« Par quelle raison les faits coïncident-ils ordinairement avec les représentations des conclusions inductives et hypothétiques tirées de prémisses vraies? Les faits d'un genre déterminé sont ordinairement vrais lorsque les faits qui entretiennent avec eux certaines relations (logiques) sont vrais ; quelle en est la raison? Voilà la question. »
Le processus de recherche compris comme système de référence de l'objectivation possible de la réalité
Si nous le comprenons ainsi, la validité des règles logiques de ce processus ne peut être que la validité de règles transcendantales. D'autre part les modes ne peuvent pas simplement être considérés comme transcendantalement nécessaires, parce qu'ils ne valent pas universellement, partout et toujours, mais fondent seulement la validité d'une méthode qui conduit à long terme à des énoncés vrais. Les formes synthétiques de l'inférence permettent des conclusions qui ne sont pas justifiées par le fait qu'elles sont nécessairement vraies ou probables ; elles doivent leur validité au seul fait d'être les résultats d'une méthode « qui pourvu que le chercheur l'applique avec persévérance, doit soit le conduire à la vérité, soit diriger ses conclusions de telle sorte que celles-ci se rapprochent de la valeur limite de la vérité ». Les règles logiques du processus de recherche n'établissent nullement avec une nécessité transcendantale les conditions de la connaissance possible. Sans quoi, les jugements qui sont impliqués en elles seraient des jugements synthétiques a priori. Mais elles établissent une procédure qui, si elle est effectuée de façon continue dans des conditions empiriques, accroît les opinions intersubjectivement reconnues. Si cette méthode est la seule garantie de l'acquisition d'énoncés vrais, ces règles, comme déterminations d'une méthode, ont la fonction de conditions transcendantales des objets possibles de l'expérience ; mais à la différence des conditions transcendantales, elles ne peuvent pas être dérivées de la constitution d'une conscience en général. Elles restent contingentes dans l'ensemble.
La validité de la méthode de la recherche
Parmi toutes les méthodes conduisant à des opinions valables, la méthode de la recherche s'est révélée en fait comme celle qui obtient le plus grand nombre de succès. A côté de la «scientificmethod», Peirce discute trois autres méthodes : il les appelle « method of tenacity », « method of authority », et « apriori-method ». Elles ont toutes trois leurs mérites, mais la méthode scientifique l'emporte sur elles lorsqu'on prend comme seul critère d'appréciation la meilleure manière de parvenir à des opinions définitivement valables, c'est-à-dire à des convictions qui ne sont pas rendues problématiques, mais au contraire confirmées, par tous les événements futurs. C'est de ce critère que dépend la «validité» des conclusions du processus de recherche. Tandis que chez Kant les déterminations de la conscience transcendantale, les formes d'intuition et les catégories de l'entendement définissent les conditions de l'objectivité de la connaissance et par là le sens de la vérité des énoncés, ce concept de vérité ne résulte pas pour Peirce des règles logiques du processus de recherche, mais seulement du milieu vivant objectif dans lequel le processus de recherche remplit des fonctions susceptibles d'être spécifiées : à savoir la stabilisation d'opinions, l'élimination d'incertitudes, l'acquisition de convictions non problématiques – bref la raison de croire (« fixation of belief »).
Contexte objectif dans lequel ces trois modes remplissent cette fonction
Il s’agit du domaine où s'exerce l'activité rationnelle par rapport à une fin (zweckrational). Car une conviction est définie par le fait que nous orientons d'après elle notre comportement. « La conviction consiste essentiellement en ceci, que l'on est
délibérément prêt à se laisser conduire dans son activité par la formule dont on est convaincu. » « L'essence de la conviction... est d'établir un mode de comportement, et les différentes convictions se distinguent par les différents modes d'action qu'elles engendrent.»
Une conviction est une règle de comportement, mais non le comportement lui-même qui est déterminé par l'habitude. La sûreté du comportement est le critère de sa validité. Une conviction reste non problématique aussi longtemps que les modes de comportement qu'elle régit n'échouent pas devant la réalité. Dès qu'une habitude de comportement est mise en question par des résistances issues de la réalité, des doutes surgissent quant à l'orientation qui guide le comportement. La mise en question d'habitudes (habits) éveille un doute quant à la validité des convictions (beliefs) correspondantes. Et le doute motive des efforts pour trouver de nouvelles opinions susceptibles de stabiliser le comportement perturbé. Les résultats de l'inférence synthétique n'ont une fonction que dans le domaine où s'exerce ce comportement habituel, rationnel par rapport à une fin et contrôlé par le succès. Des convictions vraies définissent le domaine du comportement futur que celui qui agit a sous son contrôle [5] .
Les convictions valables sont des propositions universelles sur la réalité qui, dans des conditions initiales données et sur la base de prévisions conditionnelles, peuvent être transformées en recommandations techniques. Le contenu du pragmatisme [6] n'est pas autre chose.
De cette hypothèse fondamentale, on peut dériver un critère pragmatiste de sens qui permet d'éliminer des énoncés dépourvus de sens et de préciser le sens de concepts vagues. Mais l'intention de ce que Peirce appelle le pragmatisme, et qu'il appellera plus tard le pragmaticisme pour le différencier des erreurs d'interprétations psychologistes, vise plus loin. Il ne s'agit pas de dériver un critère de sens, mais de poser la question capitale d'une logique de la recherche guidée par l'expérience fondamentale du positivisme : comment le progrès technique est-il possible ? Le pragmatisme répond à cette question en légitimant la validité des formes synthétiques de l'inférence à partir du contexte transcendantal de l'activité instrumentale.
Cristallisation des convictions en concepts
Les concepts peuvent être explicités dans des jugements universels qui ont la forme d'hypothèses nomologiques. Celles-ci à leur tour doivent être élucidées à partir desconséquences qu'en tant que prévisions conditionnelles on peut déduire d'elles. La correction et l'amplification des concepts se meuvent dans des processus de raisonnement syllogistique au cours desquels l'abduction, la déduction et l'induction se complètent et se présupposent réciproquement. Concepts et jugements peuvent être explicités dans des syllogismes tout comme les syllogismes peuvent être condensés en jugements et concepts. Mais ce « mouvement du concept» n'est pas absolu et ne se suffit pas à lui-même ; il acquiert son sens uniquement par rapport au système de référence de l'activité possible contrôlée par le succès. Son but est l'élimination du manque de sûreté dans le comportement. Toutes les formes logiques (concept, jugement et syllogisme) se réfèrent donc avec une nécessité transcendantale au sens pragmatiste des généralités représentées par des signes. La forme première de la relation est exprimée dans la prévision conditionnelle des événements qui se produiront dans des conditions susceptibles d'être spécifiées, c'est-à-dire en principe dans des conditions susceptibles d'être manipulées. C'est pourquoi le sens de la validité des énoncés se mesure par rapport à la manipulation technique possible de la connexion de grandeurs empiriques. Les énoncés se réfèrent à des « "would-acts", "would-dos" of habitual behavior; and no agglomération of actual happenings can ever completely fill up the meaning of "would-be" ».
De façon analogue les hypothèses visent aussi à consolider et à amplifier l'activité contrôlée par le succès
« Du fait qu'elle est soumise à l'épreuve de l'expérimentation, sa fin (celle de l'hypothèse) est de parer à toute surprise et de permettre une attente positive qui ne sera pas déçue » Ainsi les modes ne sont pas simplement intégrés après coup au domaine où s'exerce l'activité instrumentale; ce dernier implique bien plutôt les conditions de leur validité. À un certain endroit, Peirce se tourne contre la logique propositionnelle de Morgan [7] en faisant valoir que « la logique formelle ne doit pas être trop formelle ; elle doit représenter un fait psychologique; sinon elle court le risque de dégénérer en un amusement mathématique ». Cela n'implique pas une position psychologiste, car Peirce ne cesse de protester énergiquement contre la confusion des contenus intentionnels et des événements psychiques. Mais en même temps il insiste sur le fait que les formes logiques sont intégrées au système catégorial qui est celui des processus de vie fondamentaux dans le cadre desquels elles assument des fonctions.
Peirce comprend les trois modes comme les fonctions d'un processus de vie
De ce point de vue, la déduction a la fonction d'une « décision ». La conclusion à laquelle elle mène « est » une réaction déterminée du comportement, qui résulte de l'application d'une règle générale de comportement à un cas singulier. « La connaissance d'un résultat (dans le sens de la conclusion d'un syllogisme en Barbara [8] ) a la nature d'une décision d'agir de façon particulière dans une occasion donnée.» Pour souligner que le processus circulaire de l'activité contrôlée par le succès est un processus de vie, Peirce établit une analogie entre les réactions animales au niveau du comportement, qui se déroulent suivant le modèle de l'arc réflexe [9] et l'activité rationnelle par rapport à une fin, médiatisée par des processus d'inférence, de l'homme :
En réalité un syllogisme en Barbara a virtuellement lieu lorsque nous irritons la patte d'une grenouille décapitée. La connexion entre les nerfs afférents et efférents, quelle qu'elle soit, constitue une habitude de comportement [nervous habit], une règle d'action qui est l'analogue physiologique de la majeure d'un syllogisme. Les troubles de l'équilibre du système ganglionnaire qui sont provoqués par l'irritation sont la forme physiologique de ce qui est, du point de vue psychologique, une sensation, et, du point de vue logique, l'occurrence d'un cas. La décharge par la voie nerveuse efférente est la forme physiologique de ce qui est, psychologiquement, une volition, logiquement l'inférence d'un résultat. Lorsque nous passons des formes inférieures de l'innervation à ses formes les plus hautes, les équivalents physiologiques échappent facilement à notre observation. Mais du point de vue psychologique nous trouvons toujours: 1) l'habitude – qui sous sa forme la plus haute est compréhension et correspond à la majeure en Barbara ; 2) le sentiment [feeling] ou la conscience du présent, qui correspond à la mineure en Barbara, et 3) la volition, qui correspond à la conclusion en Barbara.
Peirce trouve pertinent de coordonner chacune des formes d'inférence avec un élément déterminé du domaine de l’action
L'abduction conduit au stimulus qui déclenche l'action, – au « cas » – et l'induction à la « règle » qui stabilise le comportement, tout comme la déduction conduit à la réaction du comportement elle-même, au « résultat ». De ce point de vue, l'acte de l'activité rationnelle par rapport à une fin peut être compris comme l'accomplissement d'une déduction, de même qu'inversement celle-ci peut être comprise comme une activité instrumentale virtuellement anticipée. Ainsi les modes n'acquièrent une cohérence méthodologique que par la fonction qu'ils assument dans le domaine où s'exerce l'activité instrumentale.
Le domaine de l’action comme cadre de procédés cumulatifs
C’est en cela que le domaine d’action n'est pas conçu de manière statique. On peut certainement comprendre l'activité instrumentale comme une manipulation effectuée suivant des règles et dans des conditions empiriques ; il est alors certainement sensé de coordonner l'identification des conditions et l'abduction, la transformation des règles en habitudes et l'induction, et l'exercice de la manipulation et la déduction. Mais la connexion des processus symboliques de l'inférence et des processus factuels de l'activité n'apparaît que si nous comprenons l'activité instrumentale comme le contrôle des conditions externes de l'existence, contrôle qui ne peut être acquis et exercé que dans les conditions d'un processus cumulatif d'apprentissage :
  • – toute activité obéissant à des règles techniques est en même temps une mise à l'épreuve de ces règles ;
  • – tout échec d'une activité contrôlée par le succès est en même temps la réfutation d'une hypothèse,
  • – toute réorientation d'un système de comportement perturbé est à la fois l'extension d'un pouvoir de disposition technique exercé jusque-là et le résultat d'un processus d'apprentissage.
La recherche est la forme de réflexion de ce processus d'apprentissage préscientifique, donné en même temps que l'activité instrumentale en tant que telle. Bien sûr le processus de recherche satisfait à trois conditions supplémentaires: 1) il isole le processus d'apprentissage du processus vital ; c'est pourquoi l'exécution des opérations se réduit à des contrôles sélectifs par le succès; 2) il garantit la précision et la sûreté intersubjective; c'est pourquoi l'activité prend la forme, abstraite et médiatisée par des opérations de mesure, de l'expérimentation ; 3) il systématise la progression de la connaissance ; c'est pourquoi on intègre le plus grand nombre possible d'assomption universelles aux ensembles théoriques les plus simples possibles. Ceux-ci ont la forme de systèmes propositionnels hypothético-déductifs.
Notre conception de la nature comme faisant continûment des déductions en Barbara
C’est ainsi que nous concevons habituellement la nature. C'est notre métaphysique naturelle et anthropomorphique [10]. Nous concevons qu'il y a des lois de la nature qui soient leurs règles ou leurs majeures. Nous concevons que ces lois étant présupposées, des cas se produisent ; ces cas consistent dans la prédication, ou l'occurrence, de causes qui représentent le moyen terme des syllogismes [de la nature]. Finalement nous concevons que l'occurrence de ces causes, en vertu des lois de la nature, entraîne des effets qui sont les conclusions des syllogismes [de la nature]. En concevant la nature de cette manière, nous en venons naturellement à envisager la science comme ayant une triple tâche :
1. Celle de découvrir des lois, réalisée par l'induction;
2. Celle de découvrir des causes, réalisée par l'inférence hypothétique ;
3. Celle de prévoir des effets, réalisée par la déduction [11] .
En effet ce n'est pas dans une expérience, mais dans un phénomène expérimental que nous voyons la signification rationnelle. Si l'expérimentateur parle d'un phénomène comme par exemple du phénomène de Hall, du phénomène de Zeeman et de ses modifications, du phénomène de Michelson ou du phénomène de l'échiquier, il ne pense pas à quelque événement particulier, qui serait arrivé à quelqu'un dans un passé révolu, mais à quelque chose qui arrivera avec certitude dans le futur vivant à quiconque qui satisfera à certaines conditions. Le phénomène consiste dans le fait que, lorsqu'un expérimentateur agira finalement suivant un certain schème qu'il a à l'esprit, quelque chose d'autre se produira, balayant les doutes des sceptiques comme le feu céleste sur l'autel d'Elie.
De la relation nécessaire entre le général et le particulier dépend la validité de l’induction
« C’est précisément sur quoi s’appuie le pragmatisme [12] ».
La possibilité d'interpréter des événements singuliers comme des événements généraux dépend de ce que, dans le domaine où s'exerce l'activité instrumentale, la réalité est objectivée dans des conditions qui produisent cette relation nécessaire entre le général et le particulier : « Chaque fois que quelqu'un agit d'une façon rationnellepar rapport à une fin, il agit en s'appuyant sur une conviction assurée par un phénomène expérimental [13]. »
C'est en même temps la réponse qu'un pragmatisme logico-transcendantal donne à la question : comment le progrès scientifique est-il possible sur la base de l'inférence synthétique ? Car la validité des inférences inductives, qui ne peut pas être prouvée logiquement, est ainsi justifiée méthodiquement par la preuve que les événements singuliers qui servent de base à l'induction représentent, comme phénomènes produits de façon expérimentale, des effets généraux [14] .
Le concept de réalité dans toute son étendue
Nous devons abandonner l'idée que l'état de choses caché (que ce soit une relation entre atomes ou autre chose) qui constitue la réalité de la dureté d'un diamant, puisse peut-être consister en autre chose que dans la vérité d'une proposition conditionnelle générale. Car à quoi se rapporte tout ce que la chimie nous enseigne, sinon au «comportement» (behavior)des différentes sortes de substance matérielle possibles ? Et en quoi consiste ce comportement, sinon en ceci que, lorsqu'une substance d'une certaine sorte est exposée à une activité d'une certaine sorte il pourrait s'ensuivre une certaine sorte de résultats sensibles correspondant aux expériences que nous avons faites jusque-là.
Le concept de dureté peut être expliqué par une classe de prévisions conditionnelles. Si nous prenons un objet qui satisfasse aux conditions initiales de ces prévisions, la classe de toutes ces prévisions implique que la «dureté» de cet objet existe en soi,indépendamment du fait que nous effectuions ou non une expérience même unique; mais cet état de choses universel n'est réel qu'en relation avec des opérations possibles de ce type en général : l'objet nommé diamant n'estdur que dans la mesure où il est constitué comme un objet de disposition technique possible et peutentrer dans le domaine où s'exerce l'activité instrumentale.
Si Peirce considérait comme satisfaisante la solution que la logique de la recherche apporte au problème des universaux, il devrait bien entendu, selon Habermas, faire une différence, dans le concept de réalité, entre ce qui est un fait, indépendamment des processus d'apprentissage cumulatifs et d'un monde humain constitué par la disponibilité technique, et ce que nous saisissons «de» cette réalité aussitôt qu'elle entre dans notre monde et devient le correlat d'énoncés vrais sur la réalité. Cette différence apparaît déjà vaguement chez Marx, et Heidegger, – se rattachant aux travaux de Husserl – l'a explicitement formulée: il s'agit de la différence entre l'étant et l'être. Pour être développé dans un sens pragmatiste, le concept de réalité qui est celui de la logique de la recherche devrait comprendre cette différence. Peirce se contente cependant d'un concept de réalité qui n'est autre que le corrélat de tous les énoncés vrais possibles.
La conception par Pierce du cadre méthodologique de la recherche
C’est ainsi qu’on trouve quelques indications qui permettent de conclure que Peirce a conçu le cadre méthodologique de la recherche et le domaine de l'activité instrumentale dans lequel il s'insère comme des substituts évolutifs de mécanismes d'orientation d’animaux perdus ou atrophiés. C'est d'ailleurs de ce même point de vue de la compensation des déficiences affectant l'équipement organique que Herder avait déjà conçu la civilisation.
Une petite dose de raisonnement est nécessaire pour relier l'instinct à l'occasion... Seul un homme remarquable ou un homme dans une situation remarquable se voit forcé – à défaut de toute règle générale applicable – d'inférer ses plans des premiers principes... Par bonheur, l'homme n'a pas la chance d'être pourvu d'une panoplie complète d'instincts lui permettant de faire face à toute situation ; il est donc obligé de se livrer à l'entreprise aventureuse du raisonnement où la plupart font naufrage et où une minorité trouve, non pas un bonheur à l'ancienne mode, mais son substitut splendide, le succès... Dans l'ensemble la meilleure façon d'agir est donc de baser notre comportement autant que possible sur l'instinct ; mais lorsque nous raisonnons, de raisonner avec une logique strictement scientifique [15].
La connaissance comme substitut de l'orientation instinctive du comportement
Si nous considérons ainsi la rationalité de l'activité contrôlée par le succès, elle se mesure à la satisfaction d'un intérêt qui ne peut être ni un intérêt seulement empirique ni un intérêt pur. Si le processus cognitif était immédiatement un processus de vie, la réalisation de l'intérêt qui commande la connaissance devrait amener la satisfaction directe d'un besoin tout comme le fait un mouvement instinctuel – mais l'intérêt, lorsqu'il est satisfait, ne conduit pas à la jouissance (happiness) mais au succès (success). Le succès se mesure à la résolution des problèmes qui ont une fonction à la fois vitale et cognitive. Ainsi 1'«intérêt» ne peut être ni rangé parmi les mécanismes d'orientation du comportement animal que nous appelons les instincts, ni complètement séparé du contexte objectif d'un processus de vie. En ce sens, qui est tout d'abord délimité négativement, nous parlons d'un intérêt qui commande la connaissance et qui vise à la manipulation technique possible, et qui détermine la direction dans laquelle l'objectivation nécessaire de la réalité doit être élaborée dans le cadre transcendantal des processus de recherche.
Concept de la matière et de l’esprit selon les principes pragmatistes
Selon ces principes, un concept substantiel de la matière est aussi peu admissible que la représentation positiviste d'un monde de faits composé d'éléments. La matière est tout au plus la quintessence de tous les événements qui se sont produits ou se produiront sur la base de toutes les prévisions vraies possibles. Même si on se représente les particules de matière comme des centres énergétiques, cela ne change en rien le contenu sémantique du concept : « Étant donné que ces forces ne doivent leur existence qu'au fait que quelque chose se produit dans certaines conditions, la "matière" ne peut avoir d'existence qu'en ce sens. » Le concept d'’esprit est saisi de façon analogue. Nous pouvons aussi nous le représenter comme le centre de forces mentales. Les forces mentales, comme les forces matérielles, ne peuvent avoir d'autre signification que celle-ci : quelque chose se produira dans certaines circonstances – dans certaines circonstances naissent certaines idées, et c’est la quintessence de ces idées que nous appelons l'«esprit».
Conformément aux arguments qui ont conduit à cette conception, que partagent tous les psychologues et tous les physiciens, il semble donc que l'existence de l'esprit, tout comme celle de la matière, dépend uniquement de certaines conditions hypothétiques qui peuvent apparaître dans l'avenir pour la première fois ou peuvent ne pas apparaître du tout. Il n'y a donc rien d'extraordinaire à dire que l'existence de réalités extérieures dépend du fait que notre opinion s'affermira pour devenir une opinion définitive sur elle, et à dire en même temps que ces réalités existent avant que ne se forme cette conviction et qu'elles sont même la cause de ces convictions, tout comme la pesanteur est la cause de la chute de l'encrier – bien que la pesanteur consiste uniquement dans le fait que l'encrier et d'autres objets tomberont [16] .
 
 
 
[1] J. Habermas, Connaissance et intérêt, tel Gallimard, mars 2006, pp. 163 à 195.
[2] Par la déduction nous développons à partir des hypothèses et avec l'aide de certaines conditions initiales des conséquences. Nous appliquons ces hypothèses à des cas individuels et déduisons ainsi des prévisions d'événements qui doivent se produire si l'hypothèse est correcte.
La forme d'inférence analytiquement contraignante, la déduction, est du point de vue de la logique du progrès scientifique la moins importante: car nous n'acquérons par déduction aucune information nouvelle.
[3] Par quasi-expérience, Pierce entend l'ensemble des procédés par lesquels on produit ou découvre un état de choses permettant une application des prévisions conditionnelles qui ont été déduites de l'hypothèse, et le procédé par lequel on constate dans quelle mesure la prévision est accomplie.
[4] Il fait cela en réorganisant la règle (prémisse majeure de Barbara), le cas (prémisse mineure de Barbara), et le résultat (la conclusion de Barbara) :
Déduction.
Règle: Tous les haricots de ce sac sont blancs. Cas: Ces haricots sont de ce sac. Résultat: Ces haricots sont blancs.
Induction.
Cas: Ces haricots sont [choisis au hasard] de ce sac. Résultat: Ces haricots sont blancs. Règle: Tous les haricots de ce sac sont blancs.
Hypothèse (Abduction).
Règle: Tous les haricots de ce sac sont blancs. Résultat: Ces haricots [bizarrement] sont blancs. Cas: Ces haricots sont de ce sac.
[5] « Pour développer la signification d'une pensée, nous devons donc simplement déterminer les modes de comportement qu'elle engendre, car la signification d'un objet n'est que dans les modes de comportement qu'il implique. Or l'identité d'un mode de comportement dépend de la manière dont il pourrait nous amener à agir dans des circonstances non seulement telles qu'elles se produiront vraisemblablement, mais encore telles qu'elles pourraient se produire, aussi invraisemblables qu'elles soient. Ce qu'est un mode de comportement dépend du moment où il nous amène à agir et de la manière dont il le fait».
[6] Le pragmatisme est le principe selon lequel tout jugement théorique qu'on peut exprimer dans une phrase au mode indicatif est la forme confuse d'une pensée dont l'unique signification, si tant est qu'elle en ait une, est dans sa tendance à assurer la validité d'une maxime pratique correspondante qui doit être formulée comme une proposition conditionnelle dont l'apodose est au mode impératif.
[7] On nomme lois de Morgan, les deux lois usuelles de logique propositionnelle : non (A ou B) = (nonA) et (non B) nier A ou B, c'est nier A et nier B (ni A ni B)
[8] Exemple de syllogisme en Barbara :
  • 1. Ceux qui taillent la pierre utilisent des outils ;
  • 2. Les sculpteurs sont ceux qui taillent la pierre ;
  • 3. Donc tous les sculpteurs utilisent des outils.
[9] Trajet parcouru par un influx nerveux aboutissant à un réflexe. Un neurone qui envoie l’ordre à l’organe
effectueur après le traitement des informations (il s’agit du neurone efférent).
[10] Peirce a fait allusion à cet « anthropomorphisme » de la formation scientifique du modèle : «Après des années des plus sérieuses recherches, j'ai acquis la conviction pleinement satisfaisante que, toutes choses égales par ailleurs, une conception anthropomorphique, qu'elle fournisse ou non le meilleur noyau pour la formation d'une théorie, a plus de chance d'atteindre à la vérité qu'une conception dépourvue de trait anthropomorphique».
[11] «Eléments of Logic», il, 713.
[12] « Three Types of reasoning »
[13] «WhatPragmatism Is», v, 427.
[14] De façon analogue, la validité de l'inférence abductive ne peut être démontrée que dans le cas de l'abduction simple, c'est-à-dire de l'explication.
[15] « Why Study Logic », II, 176,178.
[16] « The Logic of 1873 » VII, 344.



Date de création : 21/09/2013 @ 11:37
Dernière modification : 21/09/2013 @ 14:31
Catégorie : Parcours habermassien
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