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Parcours cartésien - Le modèle de Bohm et la prescience de Descartes




SCIENCE ET PHILOSOPHIE
 
LE MODÈLE DE BOHM ET LA PRESCIENCE DE DESCARTES
 
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  bohm2.jpg
 INTRODUCTION
 
Nous utiliserons ici les informations recueillies par le théosophe canadien David Pratt.
En 1951, David Bohm (1917-1992), ayant acté le fait que, malgré ses géniales intuitions, Einstein n’était pas parvenu à proposer un ordre cohérent du monde « entrepritl’écriture d’un manuel classique intitulé Quantum Theory, dans lequel il souhaitait présenter un compte rendu clair des découvertes des physiciens orthodoxes, l'Interprétation de Copenhague de la physique quantique. Mais avant même que le livre ait été publié, Bohm commença à avoir des doutes sur les hypothèses sous-jacentes de l'approche conventionnelle. Il avait du mal à accepter que les particules subatomiques n'aient pas d'existence objective et que celle-ci n’ait pris corps uniquement à l’issue des observations et des mesures faites par les physiciens. Il avait également eu du mal à croire que le monde quantique fut caractérisé par l'indéterminisme absolu et le hasard, et que les choses ne puissent se passer sans raison. Il commença à soupçonner qu'il pourrait y avoir des causes plus profondes derrière le caractère apparemment aléatoire et fou du monde subatomique.
Bohm envoya des copies de son livre à Bohr et Einstein. Bohr ne répondit pas, mais Einstein lui téléphona pour dire qu'il voulait en discuter avec lui. Dans le premier entretien de ce qui allait se transformer en une série de six mois de conversations animées, Einstein dit avec enthousiasme à Bohm qu'il n'avait jamais vu la théorie quantique présentée si clairement, et admit qu'il était tout aussi mécontent que lui de l'approche orthodoxe. Tous deux ont alors admiré la capacité de la théorie quantique à prédire les phénomènes, mais n’ont pu accepter qu'elle était complète et qu'il était impossible d'arriver à une compréhension plus claire de ce qui se passait dans le royaume du quantum.
En 1952, l'année d'après ses discussions avec Einstein, Bohm publia deux documents d'esquisse de ce qui sera appelé plus tard l'interprétation causale de la théorie quantique qui, dira-t-il, «ouvre la porte à l'opération de création du sous-jacent, et des niveaux subtiles de la réalité[1] ».
Pour lui, en résumé, les particules subatomiques comme les électrons ne sont pas simples, ni amorphes, mais très complexes, ce sont des entités dynamiques. Il rejette l'idée que leur mouvement est fondamentalement incertain ou ambigu, ils suivent un chemin précis, mais celui qui est déterminé non seulement par les forces conventionnelles physiques, mais aussi par une force plus subtile qu'il appelle le potentiel quantique en fournissent [tel le radar] «une information active» au sujet de tout l'environnement. . Les guides quantiques effectifs du mouvement de particules
Dans les années 1960, Bohm a commençé à examiner de plus près la notion d'ordre. Un jour, il a vu dans un programme de télévision un appareil qui réalisait l’expérience de la gouttelette d’encre ; de quoi enflammer son imagination. Bohm en avait déduit (comme expliqué plus loin) que lorsque l'encre s’est trouvée diffusée à travers la glycérine ce n'était pas un état de «désordre», mais qu’il s’agissait d’un ordre caché, ou non-manifeste. »
Toutes ces réflexions sur l’ordre ont été regroupées dans un document sous le titre « Implicate order[2] ».
 
LE MODÈLE DE BOHM
 
Il est fondé sur le fait qu’une particule est une unité qui contient en soi particule et onde. À la différence de ce qu’établit l’interprétation de Copenhague (celle de Bohr et de ses disciples), la fonction d’onde est non seulement un artifice mathématique ayant trait à ce que nous croyons savoir de la réalité[3], mais une entité objective. C’est la raison pour laquelle le modèle de Bohm n’est pas épistémologique, mais ontologique.
Bohm définit l’évolution de la fonction d’onde dans le temps en deux termes bien précis : un terme classique où une particule élémentaire – comme un électron – est traitée comme une particule ordinaire et un terme non classique où entre en scène le potentiel quantique qui se comporte comme une véritable onde apte à « informer » l’électron de manière non locale, en le liant ainsi au reste de l’univers. De cette façon, l’électron n’est plus à la merci du hasard comme le prévoyait l’interprétation de Copenhague[4], mais à une quantité bien définie et qui existe réellement, sujette à un ordre supérieur, non newtonien, qui l’informe
constamment sur l’univers qui l’entoure.
Dans ce contexte, causes et effets coïncident et le déterminisme qui s’installe est un mécanisme synchrone des choses analogue à un organisme vivant où toutes les parties agissent en parfaite harmonie et où la « forme » est le caractère unifiant de tous les éléments intimes qui composent l’univers. Ainsi, la fonction d’onde contient une information active avec des caractéristiques non locales, tandis que les équations deviennent totalement déterministes et que s’installe en continu une transition entre le niveau quantique – qui fournit au monde de la matière l’information sur la manière de bouger –, et le niveau classique qui représente la structure des forces qui gouvernent la matière. 
Bohm appela le premier l’ordre « implié » – qui s’applique à la fois à la matière (vivante et non vivante) et à la conscience –, et le second, l’ordre « déplié [5]».
L’ordre « implié » est actif de façon autonome tandis que l’ordre « déplié » découle de l’ordre « implié », de telle sorte qu’il est secondaire, dérivé et approprié à certains contextes limités. Ou pour le dire autrement, les relations constituant la loi fondamentale se produisent entre des structures inveloppées qui s’interpénètrent (s’intriquent) l’une l’autre à travers l’ensemble de l’espace, plutôt qu’entre des formes abstraites séparées qui sont manifestes à nos sens (et à nos instruments). Alors, quel peut être le sens de l’apparition d’un « monde manifeste », apparent, indépendant, et à existence autonome dans l’ordre « déplié » ? La réponse à cette question est indiquée par la racine du mot « manifeste » qui vient du latin « manus », signifiant « main ». Essentiellement, ce qui est manifeste est ce qui peut être tenu avec la main – quelque chose de solide, tangible et visiblement stable. L’ordre « implié », quant à lui, a son fondement dans le holomouvement qui est, vaste, riche et dans un état sans fin de flux d'inveloppement et de développement, selon des lois dont la plupart ne sont que vaguement connues, et qui peuvent même être, en fin de compte, inconnaissables dans leur totalité. Donc, on ne peut pas l'atteindre comme quelque chose de solide, de tan­gible et de stable pour nos sens (ou pour nos instruments). Néanmoins, en considérant un nouvel ordre de fait, c’est-à-dire la façon par laquelle les modes d’observationthéoriqueetd’instrumentationsontreliéslesuns aux autres,onpeut suppo­ser que la loi générale (l'organisation holographique de l’univers[6] ou holonomie) est telle que dans un cer­tain sous-ordre, à l'intérieur de la série complète de l'ordre implié, il y ait une totalité de formes ayant une sorte approxi­mative de récurrence, de stabilité et de séparabilité. Evidem­ment, ces formes peuvent apparaître comme des éléments relativement solides, tangibles et stables qui fabriquent notre «monde manifeste».
Le sous-ordre spécialement discerné (indiqué ci-dessus), qui est la base de possibilité de ce monde manifeste, consti­tue en effet ce qu'on veut dire par «ordre
déplié».
Par commodité, on peut toujours dépeindre l'ordre déplié ou l'imaginer ou se le représenter comme ordre pré­sent à nos sens. Le fait que cet ordre est véritablement plus ou moins celui qui apparaît à nos sens doit, toutefois, être expliqué. Ceci peut se faire seulement lorsque la conscience est portée dans notre « univers de discours », et que l’on peut montrer que la matière en général et la conscience en particulier, au moins dans un certain sens, ont cet ordre déplié (manifeste) en commun.
 
L'ORDRE IMPLIÉ, LA VIE ET LA FORCE
DE LA NÉCESSITÉ GLOBALE
 
Dans ce chapitre,  Bohm fait ressortir le sens de l'ordre implié en montrant d'abord comment il rend possible la compréhension à la fois de la matière inanimée et de la vie, sur la base d'un terrain unique commun aux deux, et il propose ensuite une forme plus géné­rale pour les lois de l'ordre implié.
Commençons, dit-il par considérer la croissance d'une plante vivante. Cette croissance part d'une graine, mais la graine contribue peu ou pas à la substance matérielle concrète de la plante ni à l'énergie nécessaire à sa croissance. Cette dernière vient presque entièrement du sol, de l'eau, de l'air et de la lumière solaire. Suivant les théories modernes, la graine contient une information dans la forme de l’A.D.N.[7], et cette information «dirige» en quelque sorte l'environnement pour former la plante correspondante.
Dans les termes de l'ordre implié, on peut dire que la matière inanimée se maintient elle-même dans un processus continuel semblable à la croissance des plantes. Ainsi, en nous rappelant le modèle « encre dans le fluide[8] » de l'électron, nous voyons qu'une telle « particule » doit être com­prise comme un ordre stable et récurrent de développement, dans lequel une certaine forme subissant des changements réguliers se manifeste à de multiples reprises, mais si rapi­dement qu'elle apparaît dans un état d'existence continu. Nous pouvons comparer ceci à une forêt constituée d'arbres continuellement en train de mourir et remplacés par des nou­veaux. Si on la considère sur un long espace de temps, cette forêt peut être considérée tout à fait comme une entité à exis­tence continue mais à changement lent. Ainsi, lorsqu'ils sont compris à travers l'ordre implié, on voit la matière inanimée et les êtres vivants basiquement semblables dans certains aspects fondamentaux, pour ce qui est de leur mode d'existence.
Lorsque la matière inanimée est laissée à elle-même, le processus décrit ci-dessus d'inveloppement et de dévelop­pement reproduit seulement une forme similaire de matière inanimée; mais lorsqu'elle est ensuite «informée» par la graine, elle commence à produire une plante vivante. A la fin, cette dernière donne naissance à une nouvelle graine, laquelle permet au processus de se continuer après la mort de cette plante.
Comme la plante est formée, maintenue et dissoute par l'échange de matière et
d'énergie avec l'environnement, à quel point pouvons-nous dire qu'il y a une distinction tranchée entre ce qui est vivant et ce qui ne l'est pas? Clairement, une molécule de dioxyde de carbone qui traverse la limite d'une cellule dans une feuille ne devient pas « brusquement vivante » et une molécule d'oxygène ne meurt pas non plus brusque­ment lorsqu'elle est relâchée dans l'atmosphère. Mais plu­tôt doit-on considérer la vie elle-même comme appartenant en quelque manière à une totalité qui comprend la plante et son environnement.
On peut dire que la vie est inveloppée dans la totalité et que même quand elle n'est pas manifeste, elle est en quel­que sorte «implicite» dans ce que nous appelons générale­ment une situation sans vie. Nous pouvons illustrer ceci en considérant l'ensemble de tous les atomes situés maintenant dans un certain environnement mais éventuellement sur le point de constituer une plante, qui va croître à partir d'une certaine graine. Cet ensemble est évidemment semblable aux particules d'encre formant une gouttelette, comme vu précédemment. Dans les deux cas, les éléments de l'ensemble sont liés pour contribuer à une fin commune (dans un cas une gouttelette d'encre et dans l'autre cas une plante vivante).
Le raisonnement ci-dessus ne signifie toutefois pas qu'on puisse réduire la vie complètement à rien de plus que ce qui vient de l'activité d'une base gouvernée par les lois de la matière inanimée seule (bien que Bohr ne contredise pas que certains caractères de la vie puissent être compris de cette façon).
Bohm propose plutôt que, comme la notion du holomouvement s'enrichit en allant d'un ordre implié tri­dimensionnel à un ordre implié multidimensionnel, et ensuite à la vaste «mer d'énergie» dans un espace «vide», ainsi est-il possible maintenant d’enrichir cette notion en disant que, dans sa totalité, le holomouvement inclut aussi bien le prin­cipe de la vie. On doit alors considérer la matière inanimée comme une subtotalité relativement autonome dans laquelle, au moins pour autant qu’onle sache maintenant, la vie n'est pas manifeste de façon signifiante.
C'est-à-dire : la matière inanimée est une abstraction secondaire dérivée et particulière du holomouvement (comme le serait aussi la notion d'une « force de vie » entièrement indé­pendante de la matière). Mais le holomouvement qui est «vie implicite» est la base à la fois de la «vie explicite» et de la « matière inanimée », et cette base est celle qui est première, auto-existante et universelle. Donc, c’est sans fragmenter la vie et la matière inanimée et sans essayer non plus de réduire complètement la matière inanimée à rien, qu’on aboutit à cette dernière. Bohm étend alors l'approche ci-dessus d'une façon plus générale. Ce qui est fondamental à la loi du holomouvement est, comme il l’a montré, la possibilité d'abstraction d'un ensemble de subtotalités relativement autonomes. On peut maintenant ajouter que les lois de chaque subtotalité abstraite de ce genre opèrent d'une façon quasi générale sous certaines conditions et limitations définies seulement dans une situation correspondante totale (ou ensemble de situations similaires). Cette opération aura en général ces trois caractères principaux :
a)   un ensemble d'ordres impliés ;
b)   un cas spécial, à part, de l'ensemble ci-dessus, lequel constitue un ordre déplié de manifestation ;
c) une relation générale (ou une loi) exprimant une force de nécessité qui lie un certain ensemble d'éléments de l'ordre implié de telle façon qu'ils contribuent à une fin commune dépliée (différente de ce qu'un autre ensemble d'éléments interpénétrés et entremêlés constituera).
L'origine de cette force de nécessité ne peut pas être com­prise seulement dans les termes d'ordres dépliés et impliés appartenant au type de situation en question. Mais plutôt, à ce niveau, cette nécessité doit simplement être acceptée comme inhérente à la situation globale exposée.
En raccourci, Bohm propose que cette forme de la loi d'une subtotalité relativement autonome, laquelle est une généralisation substantielle de toutes les formes étudiées jusqu'ici,  doit être considérée comme univer­selle ; et que, dans un travail ultérieur, il devra explo­rer au moins comme une tentative provisoire les implications d'une telle notion.
 
LA CONSCIENCE ET L'ORDRE IMPLIÉ
 
À ce point de la discussion, on peut dire qu’ont été dessinés au moins quelques caractères des notions de la nature générale de la réalité. Bohm aborde maintenant la façon de comprendre la conscience en relation avec de telles notions.
Il propose pour commencer que, d'une certaine façon, la conscience (en y incluant la pensée, le sentiment, le désir, la volonté, etc.) doit être comprise dans les termes de l'ordre implié avec la réalité en tant que tout. Il sug­gère que l'ordre implié s'applique à la fois à la matière (vivante et non vivante) et à la conscience, et qu'il peut donc rendre possible une compréhension de la relation générale entre ces deux dernières, à partir de laquelle on peut en venir à une notion de base commune des deux (plutôt comme était suggérée au paragraphe précédent la relation entre la matière inanimée et la vie).
Comprendre la relation entre matière et conscience est tou­tefois jusqu'à présent extrêmement difficile ; la racine de cette difficulté réside dans la différence de leur qualité fondamen­tale, telle qu'elle se présente elle-même à notre expérience.
Cette différence a été exprimée avec une clarté particu­lière par Descartes qui a décrit :
         la matière comme « substance douée d'extension » ;
         la conscience comme «substance pen­sante».
Par «substance douée d'extension», Descartes voulait dire évidemment quelque chose constitué de formes dis­tinctes existant spatialement, dans un ordre d'extension et de séparation dont la base est similaire à celui que Bohm a appelé  « l'ordre déplié ».
Par « substance pen­sante», en opposition à la «substance douée d'extension », Descartes impliquait clairement que les formes distinctes variées apparaissant dans la pensée n'ont pas leur existence dans un tel ordre d'extension et de séparation (par exemple une sorte particulière d'espace), mais plu­tôt dans un ordre différent dans lequel extension et séparation n'ont pas de signification fondamentale.
Seul l'ordre implié présentant cette dernière qualité, il apparaît que, dans un certain sens, Descartes anticipait que la conscience devait être comprise dans les termes d'un ordre qui est plus proche de l'ordre implié que de l'ordre déplié.
Toutefois, comme Descartes l'a fait avec l'extension et la séparation dans l'espace comme fondements de la matière, ainsi ne peut-on rien voir dans cette notion qui puisse être utilisé comme base de la relation entre matière et conscience, dont les ordres sont si différents. Descartes avait clairement compris cette difficulté et proposait de la résoudre grâce à l'idée qu'une telle relation est rendue pos­sible par Dieu, lequel étant en dehors et au-delà de la matière et de la conscience (qu'il a créées toutes les deux) avait la capa­cité de donner à cette dernière «des notions claires et dis­tinctes» couramment applicables à la précédente. Depuis, on a généralement abandonné l'idée que Dieu prend soin de cette nécessité, mais on a bien pris conscience qu'en l'abandon­nant on faisait disparaître la possibilité de comprendre la rela­tion entre matière et conscience.
Dans ce chapitre, il a néanmoins été montré en détail que la matière peut être comprise comme un tout dans les termes de la notion d'ordre implié qui devient l'actualité immé­diate et fondamentale (tandis que l'ordre déplié peut être dérivé comme cas particulier de l'ordre implié). La question soulevée ici est alors celle de savoir si oui ou non (comme Descartes l'anticipait dans un certain sens) la «substance réelle» de la conscience peut être comprise dans les termes de la notion où l'ordre implié constitue aussi son actualité fondamentale et immédiate. Si matière et conscience pou­vaient être comprises ensemble de cette façon, dans les ter­mes de la même notion générale d'ordre, le chemin serait ouvert à la façon de comprendre leurs relations en se basant sur un même terrain. Ainsi, pourrions-nous parvenir aux ger­mes d'une nouvelle notion de plénitude indivise, dans laquelle la conscience n'est plus fondamentalement séparée de la matière.
Considérons maintenant comment on peut justifier la notion que matière et conscience ont l'ordre implié en commun. D'abord, notons que la matière en général est en première instance l'objet de notre conscience.
Toutefois, comme il a été montré tout au long de cette étude, des énergies variées telles que lumière, son, etc., inveloppent continuellement l'information qui concerne la totalité de l'univers dans chaque région de l'espace. A travers ce processus, une telle information peut bien sûr pénétrer nos orga­nes sensoriels pour continuer son chemin à travers le système nerveux jusqu'au cerveau. De façon plus profonde, toute la matière de nos corps, depuis le tout début, inveloppe en quel­que sorte l'univers. Cette structure inveloppée, à la fois de l'information et de la matière (par exemple dans le cerveau et le système nerveux), est-elle celle qui pénètre fondamen­talement la conscience?
Il convient de se demander d'abord si l'information est réellement inveloppée dans les cellules du cerveau. La lumière sur cette question s’est faite gâce à un travail spécifi­que sur la structure du cerveau, en particulier celui de Karl Pribram.
 
bohm3.jpg 
   K. Pribram
 
 Pribram a mis en évidence que les souvenirs sont généralement enregistrés dans l'ensemble du cerveau, de telle façon que l'information concernant un objet ou une qualité donnée n'est pas stockée dans une cellule particu­lière ou dans une partie localisée du cerveau, mais que plu­tôt toute l'information est inveloppée dans l'ensemble du cerveau. Ce stockage ressemble à un hologramme dans sa fonction[9], mais est beaucoup plus complexe dans sa struc­ture réelle. Il est alors possible de suggérer que lorsque l'enre­gistrement holographique effectué dans le cerveau est activé de façon convenable, la réponse crée un pattern (schéma) d'énergie nerveuse constituant une expérience partielle, simi­laire à ce qui a été à l'origine de l'hologramme en premier lieu. Mais il est aussi différent, en ce qu'il est moins détaillé, parce que les souvenirs venant de moments très différents peuvent se fondre ensemble, et en ce que les souvenirs peu­vent être connectés par association et par pensée logique pour donner un certain ordre ultérieur au pattern entier. En plus, si la donnée sensorielle suit en même temps, la totalité de cette réponse venant de la mémoire se fondra en général avec l'excitation nerveuse venant des sens, pour donner nais­sance à une expérience globale dans laquelle mémoire, logique et activité sensorielle se combineront dans un tout unique inanalysable.
Bien sûr, la conscience est plus que ce qui a été décrit ci-dessus, elle implique aussi vigilance, attention, perception, actes de compréhension, et peut-être beaucoup plus encore. Bohm a suggéré précédemment que celles-ci doi­vent aller au-delà d'une réponse mécaniste (telle que celle que le modèle holographique de la fonction du cerveau impli­querait par lui-même). Ainsi, en les étudiant, on peut se rapprocher de l'essence de la vraie expérience cons­ciente, plus que cela n'est possible simplement en discutant des schémas d'excitation sensorielle des nerfs et de la façon dont ils peuvent être enregistrés dans la mémoire.
Il est difficile d'en dire beaucoup plus au sujet de facultés aussi subtiles que celles-ci. Toutefois, en réfléchissant davan­tage et plus soigneusement à ce qui se produit dans certai­nes expériences, on peut obtenir des indices valables. Considérons par exemple ce qui se produit lorsqu'on écoute la musique. A un moment donné, une certaine note est jouée, mais une quantité de notes antérieures sont encore « en train de se réverbérer dans la conscience». Une attention serrée montre que c'est la présence simultanée et l'activité de tou­tes ces réverbérations qui est responsable du sens du mou­vement direct de flux et de la continuité directe immédia­tement ressentie dans la musique. Entendre un ensemble de notes qui seraient tellement séparées dans le temps qu'il n'y aurait pas cette sorte de réverbération supprimerait à la fois le sens d'un tout indivis, vivant mouvement donnant sens et force à ce qu'on entend.
Tout cela montre que l'on ne doit pas expérimenter la réa­lité de ce mouvement entier en « maintenant le passé » grâce à la mémoire de la séquence de notes et en comparant ce passé avec le présent. Mais plutôt, comme on peut le décou­vrir, avec encore plus d'attention, les «réverbérations» qui rendent possible une telle expérience ne sont pas des sou­venirs mais plutôt des transformations actives de tout ce qui est venu plus tôt, dans lequel on doit trouver non seulement un sens diffus général des sons originaux avec une intensité qui disparaît selon le temps écoulé depuis qu'ils ont été enre­gistrés par l'oreille, mais aussi des réponses émotionnelles variées, des sensations du corps, des réactions musculaires, et l'évocation d'une vaste perspective de sens encore diffé­rents, souvent d'une grande subtilité. On peut ainsi sentir directement comment une séquence de notes est inveloppée dans de nombreux niveaux de conscience et comment à tout moment donné les transformations s'écoulant de ces notes inveloppées s'interpénétrent et s'entremêlent pour don­ner naissance à une sensation de mouvement immédiat et fondamental.
L'activité qui se déroule dans la conscience constitue évi­demment un parallèle frappant à l'activité qui a été pro­posé pour l'ordre implié en général. Ainsi a-t-il été proposé pour l’électron un modèle dans lequel à chaque instant, il y a un groupe co-présent d'ensembles dif­féremment transformés qui s'interpénétrent et s'entremêlent selon leurs degrés variés d'inveloppement. Dans ces inveloppements, il intervient un changement radical, non seulement de forme, mais aussi de structure, qui concerne le groupe entier des ensembles (ce changement que Bohm a précédemment appelé une métamorphose) ; et cependant, une cer­taine totalité d'ordre dans les ensembles demeure invariante dans le sens où à travers tous ces changements, une simila­rité subtile mais fondamentale d'ordre est préservée.
Dans la musique, on l’a vu, il y a une transforma­tion fondamentalement similaire (de notes) dans laquelle on peut aussi considérer un certain ordre comme préservé. La différence clé dans ces deux cas est que, pour le modèle de l'électron, c'est par la pensée qu'on atteint un ordre inveloppé comme la présence de transformations d'ensembles à de nombreux degrés différents mais intereliés, tandis que pour la musique, cet ordre inveloppé est immédiatement senti comme la présence ensemble de nombreux degrés différents mais intereliés de transformation de tons et de sons.
Dans cette dernière, il existe un sentiment à la fois de ten­sion et d'harmonie entre les différentes transformations co-présentes, et ce sentiment est vraiment ce qu'il y a de fon­damental pour appréhender la musique dans son état de mouvement de flux indivis.
Quand on écoute la musique, on est donc en train de perce­voir directement un ordre implié. Évidemment, cet ordre est actif dans le sens qu'il s'écoule continuellement dans des réponses émotionnelles, physiques ou autres, qui sont inséparables des transformations dont elle est essentiellement constituée.
On peut appliquer une notion semblable à la vision. Consi­dérons le sens du mouvement qui apparaît lorsqu'on regarde un écran de cinéma. Ce qui se produit réellement est qu'une série d'images, chacune légèrement différente, est projetée sur l'écran. Si les images sont séparées par de longs inter­valles de temps, on n'obtient pas le sentiment d'un mouve­ment continu; on voit seulement une série d'images déconnectées, peut-être même accompagnées par un sen­timent de           « décousu ». Si toutefois les images sont assez près les unes des autres (par exemple, un centième de seconde), on éprouve une expérience directe et immédiate comme si elle venait d'une réalité en mouvement de flux continuel, indi­vis et sans rupture.
Ce point est manifesté plus clairement en considérant l'illu­sion bien connue du mouvement qu'on produit à l'aide d'un appareil stroboscopique, illustré dans la figure 7.1.
 
 
bohm4.jpg
Figure 7.1
 
Deux disques, A et B, enfermés dans une ampoule, peu­vent produire de la lumière au moyen d'une excitation élec­trique. On produit cette lumière en envoyant des flashes et en les éteignant rapidement, de telle sorte qu'elle apparaît comme continuelle, mais dans chaque flash, on s'arrange pour que B se produise légèrement plus tard que A. Ce qu'on sent en réalité est qu'il y a un mouvement qui s'écoule entre A et B, mais que, de façon paradoxale, rien ne s'écoule à partir de B (contrairement à ce quoi on s'attendrait s'il y avait un réel processus de flux).
On expérimente ici la sensation d'un mouvement de flux, lorsque sur la rétine de l'œil deux images se trouvent dans des positions avoisinantes, l'une venant un peu plus tard que l'autre. (Un fait du même genre apparaît dans la photogra­phie floue d'une voiture en pleine vitesse, contenant une séquence d'images accélérées dans des positions légère­ment différentes qui communiquent une sensation plus immé­diate et plus vivace du mouvement que ne le fait une simple image prise avec un appareil photographique de précision.)
Il semble évident que la sensation d'un mouvement uni­forme, décrite ci-dessus, est fondamentalement similaire à celle qui se produit à partir d'une séquence de notes musi­cales. La différence principale entre «musique» et «image visuelle» à cet aspect, est que les dernières peuvent se pro­duire de façon si proche dans le temps qu'elles ne peuvent pas être résolues dans la conscience. Néanmoins, il est clair que les images visuelles doivent aussi subir des transforma­tions actives, au fur et à mesure qu'elles «s'inveloppent» à l'intérieur du cerveau et du système nerveux (par exemple, elles donnent naissance à des réponses émotionnelles, physi­ques et autres plus subtiles, desquelles on peut n'être que confusément conscient, aussi bien que des «après-images» qui sont, de certaines façons, similaires aux réverbérations dans des notes musicales). Même si la différence de temps de deux images de ce genre est petite, les exemples cités ci-dessus montrent clairement que l'on expérimente une sen­sation de mouvement à travers l'entremêlement, l'interpéné­tration et la transformation co-présente auxquelles ces images donnent naissance lorsqu'elles pénètrent le cerveau et le système nerveux.
Tout ceci suggère que, d'une façon quasi générale (et non simplement dans le cas spécial de l'écoute musicale), il existe une similarité fondamentale entre l'ordre de notre expérience immédiate du mouvement, et l'ordre implié tel qu'il est exprimé à travers notre pensée. On a de cette façon été amenés à une possibilité cohérente de comprendre l'expé­rience immédiate du mouvement dans les termes de notre pensée (résolvant ainsi en fait le paradoxe de Zenon concer­nant le mouvement[10]).
Considérons que nous pensons habituellement au mouve­ment sous la forme d'une série de points formant une ligne. Supposons qu'en un certain temps t1une particule est à la position X1tandis qu'un temps plus tard t2, elle a une autre position X2. Alors nous disons que cette particule est en mou­vement et que sa vélocité est :
X2X1
v =    –––––––––––
    t2   – t1
 
Naturellement, cette façon de penser ne reflète d'aucune façon, ni ne traduit le sentiment immédiat du mouvement que nous pouvons ressentir à un moment donné, par exemple avec une séquence de notes de musique qui résonnent dans notre conscience (ou dans la perception visuelle d'une voi­ture en mouvement). Plutôt s'agit-il d'une symbolisation abs­traite du mouvement dont la relation avec la réalité de ce mouvement est la même que celle qui unit une partition musi­cale écrite et l'expérience réelle de l'écoute musicale.
Si, comme on le fait en général, nous prenons la formula­tion abstraite ci-dessus comme une représentation fidèle de la réalité du mouvement, nous nous trouvons vite empêtrés dans une série de problèmes confus et insolubles par nature. Ils auront affaire avec l'image par laquelle nous représentons le temps, comme s'il s'agissait d'une série de points formant une ligne et qui soient de quelque façon présents partout ensemble, pour notre observation conceptuelle, ou peut-être celle de Dieu. Notre expérience réelle, toutefois, est que lorsqu'un moment donné, disons t2, est présent et réel, il existe un moment plus tôt, tel que t1,qui est alors passé. C'est-à-dire il est parti, non existant, et ne reviendra jamais.Direquelavitesse d'une particule, maintenant (en t2), est (X2X1) / (t2– t1), c'est donc tenter de relier ce qui est (par exemple X2 et t2) à ce qui n'est pas (c'est-à-dire X1 et t1). Nous pouvons bien sûr faire ceci de façon abstraite et symbo­lique, ce qui correspond, en effet, à la pratique commune en science et en mathématiques), mais le fait suivant, non com­pris dans le symbolisme abstrait, est que la vitesse de main­tenant est active maintenant (par exemple, elle détermine comment une particule agira à partir de maintenant, en elle-même, et en relation avec les autres particules). Comment comprend-on alors l'activité présente de la position (X1) qui est maintenant non existante et partie pour toujours?
On pense communément que ce problème peut être résolu par le calcul différentiel. Ce qu'on fait alors est de laisser un intervalle de temps ∆t= t2-t1devenir infiniment petit, aussi bien que ∆X = X2-X1
La vitesse, maintenant, est définie comme la limite du ratio ∆X/∆t comme ∆t approche de zéro.
On en infère alors que le problème décrit ci-dessus ne se pose plus, vu que les positions x2 et x1sont en effet prises en même temps. Elles peuvent donc être présentes ensem­ble et reliées dans une action qui dépend des deux en même temps.
Une petite réflexion montre, toutefois, que cette procédure est encore aussi abstraite et symbolique que la précédente, dans laquelle l'intervalle de temps était pris comme fini. Ainsi, nous n'avons pas d'expérience immédiate de l'intervalle de temps égal à zéro, et on ne voit pas non plus très bien à quoi cela pourrait correspondre dans les termes de la pensée réflexive.
Même en tant que formalisme abstrait, cette approche ne présente pas une pleine cohérence logique, pas plus qu'elle n'est universellement applicable. Elle s'applique seulement à l'intérieur du domaine des mouvements continus où elle ne vaut que comme un simple algorithme technique lequel con­vient par hasard à ce genre de mouvement. Or, nous savons, d'après la théorie quantique, que le mouvement n'est pas fon­damentalement continu. C'est pourquoi, même comme algo­rithme, son champ ordinaire d'application se limite aux théories exprimées selon les concepts classiques (c'est-à-dire dans l'ordre déplié) dans lequel il permet de calculer avec une bonne approximation les mouvements des objets matériels.
Toutefois, lorsqu’on conçoit le mouvement en se référant à l'ordre implié, ces problèmes ne se posent pas. Dans cet ordre, le mouvement est interprété comme consti­tué d'une série d'éléments s'interpénétrant et s'entremêlant selon différents degrés d'inveloppement, tous présents simul­tanément. L'activité de ce mouvement ne présente alors aucune difficulté car il est produit par l'ensemble de cet ordre inveloppé, et est déterminé par les relations d'éléments co-présents, plutôt que par les relations entre éléments qui exis­tent, avec des éléments qui n'existent plus.
Nous voyons alors qu'à travers le fait de penser dans les termes de l'ordre implié, nous en arrivons à une notion du mouvement qui est logiquement cohérente et qui représente proprement notre expérience immédiate du mouvement. Donc, la séparation radicale entre la pensée abstraite logi­que et l'expérience concrète immédiate qui a longtemps péné­tré notre culture ne nécessite plus longtemps d'être maintenue. Par contre, se trouve créée la possibilité d'un mouvement intact de flot, depuis l'expérience immédiate jusqu'à la pensée logique et retour, et donc aussi la possibi­lité de mettre fin à cette sorte de fragmentation.
On se trouve alors à même de comprendre, en termes nou­veaux et plus cohérents, la notion qui a été avancée sur la nature de la réalité, selon laquelle ce qui est est mouvement.
En l'occurrence, ce qui fait la difficulté, c'est que, au fond, nous nous en tenons habituellement à la conception tradi­tionnelle du mouvement, comme relation active de ce qui est, avec ce qui n'est pas. Notre notion traditionnelle concernant la nature générale de la réalité nous mènerait alors à dire que ce qui est est une relation active de ce qui est à ce qui n'est pas. Dire ceci est pour le moins complètement confus. Dans les termes de l'ordre implié, toutefois, le mouvement est une relation de certaines phases de ce qui est, à d'autres phases de ce qui est, qui sont déve­loppement, à des étapes différentes. Cette notion implique que l'essence de la réalité comme un tout est la relation dont nous parlons entre des phases variées à des étapes différentes d'inveloppement (plu­tôt que, par exemple, une relation entre des particules variées et des champs variés tous dépliés et manifestés).
Le vrai mouvement, cela va de soi, implique plus que le sens intuitif immédiat de ce flot intact qui est notre façon d'expérimenter directement l'ordre implié. La présence d'une telle sensation de flux implique généralement un peu plus tard que, au moment suivant, l'état des choses changera dans la réalité, c'est-à-dire qu'il sera différent. Comment peut-on comprendre ce fait d'expérience dans les termes de l'ordre implié?
Un indice valable se présente, si l'on réfléchit et si on fait soigneusement attention à ce qui arrive dans les choses, quand, dans notre penser, on dit qu'un ensemble d'idées implique un ensemble complètement différent. Bien sûr, le mot « implique » a la même racine que le mot « implié » et donc, il implique aussi la notion d'« inveloppement ». Alors, en disant que quelque chose est implicite,on veut géné­ralement dire davantage que, tout simplement, cette chose est une déduction qui suit de quelque chose d'autre à tra­vers les règles de la logique. Ce qu’on veut plutôt dire habituellement est que, à partir de beaucoup d'idées et de notions différentes (et on est explicitement conscient de quelques-unes d'entre elles), une nouvelle notion émerge, qui de quelque façon réunit tout cela dans un tout concret et indivis.
On voit alors que chaque mouvement de la cons­cience a un certain contenu explicite qui est un premier plan et un contenu implicite qui est un arrière-plan correspondant.
Bohm a proposé alors que non seulement l'expérience immédiate soit mieux comprise dans les termes de l'ordre implié, mais aussi que la pensée doive être fondamentalement saisie dans cet ordre. On ne veut pas simplement dési­gner le contenu de la pensée, pour lequel on a déjà commencé à utiliser l'ordre implié. On veut dire que, aussi, la structure réelle, la fonction et l'activité de la pensée sont dans l'ordre implié. La distinction entre « implicite » et « explicite » dans la pensée est donc prise ici comme essen­tiellement équivalente à la distinction entre «implié» et «déplié» dans la matière en général.
Pour aider à clarifier le sens de tout cela, rappellera-t-on brièvement la forme fondamentale de la loi de subtota­lité (examinée précédemment), c'est-à-dire que les élé­ments inveloppés d'un ensemble spécifique (par exemple, celui de particules d'encre ou celui d'atomes) qui sont sur le point de constituer la prochaine étape de l'inveloppement, sont liés par une force de nécessité globale qui les réunit pour contribuer à une fin commune, laquelle émerge dans la phase suivante du processus en question. Bohm propose que l'ensemble d'éléments inveloppés dans le cerveau et le système nerveux qui vont constituer la prochaine étape de développement d'une ligne de pensée sont, tout à fait de la même façon, liés par une force de nécessité globale qui les rassemble pour contribuer à la notion commune qui émer­gera au moment suivant de la conscience.
Dans cette étude, on a utilisé l'idée que la cons­cience peut être décrite en fonction d'une série de moments[11]. Un moment donné ne peut pas être fixé exactement par une relation au temps (par exemple par une horloge), mais cet instant couvre une période de durée à étendue variable et définie d'une façon très vague.
      Comme on l'a relevé plus haut, chaque moment est expé­rimenté directement dans l'ordre implié. On a vu ensuite qu'à travers la force de la nécessité dans la situation glo­bale, un moment donne naissance au prochain moment, dans le contenu duquel ce qui était auparavant implié est mainte­nant déplié, tandis que le contenu déplié précédent est devenu implié (comme dans l'analogie avec les gouttelettes d'encre).
Le déroulement de ce processus donne une bonne idée de la façon dont le changement prend place, d'un mouve­ment à un autre. En principe, le changement peut à tout moment être une transformation fondamentale et radicale. Toutefois, l'expérience montre que dans la pensée (comme dans la matière en général), il y a d'habitude une grande quan­tité de récurrence et de stabilité menant à la possibilité de subtotalités relativement indépendantes.
Dans chaque subtotalité de ce genre, réside la possibilité de la continuation d'une certaine ligne de pensée s'inveloppant d'une manière qui change assez régulièrement. Évidem­ment, le caractère précis d'une telle séquence de pensées, comme il s'inveloppe d'un moment à un autre moment, dépendra généralement du contenu de l'ordre implié dans les moments précédents. Par exemple, un moment contenant un sens de mouvement tend assez généralement à être suivi par un changement au moment suivant, qui est plus grand, si le sens du mouvement est plus fort qu'il n'était originalement présent (ainsi dans le cas d'un appareil stroboscopique exa­miné plus tôt, quand ceci ne se produit pas, nous sentons que quelque chose de surprenant, de paradoxal, est en train d'arriver).
Comme dans l’exposé sur la matière en général, il est maintenant nécessaire de se poser la question suivante : comment, dans la conscience, l'ordre déplié est-il ce qui est manifeste ? Comme l'observation et l'attention le montrent (gardons à l'esprit que le mot «manifeste» signifie «ce qui est récurrent, stable et séparable»), le contenu manifeste de la conscience est basé essentiellement sur la mémoire, qui est ce qui permet à un tel contenu de se maintenir dans une forme à peu près constante. Naturellement, pour rendre possible une telle constance, il est nécessaire aussi que ce con­tenu soit organisé, non seulement à travers des associations relativement fixes, mais aussi avec nos règles de la logique et nos catégories basiques de l'espace, du temps, de la causalité, de l'universalité, etc. De cette façon, un système glo­bal de concepts et d'images mentales peut être développé, lequel est une représentation plus ou moins fidèle du « monde manifesté».
Le processus du penser n'est toutefois pas simplement une représentation du monde manifesté; mais plutôt, il apporte une importante contribution à la manière dont ce monde est expérimenté, car, comme on l’a déjà relevé plus tôt, cette expérience est une fusion d'informa­tions sensorielles avec le « replay » de quelques-uns des con­tenus de la mémoire (qui contient la pensée construite dans sa forme et son ordre même). Dans une telle expérience, il y aura un fort arrière-plan de traits récurrents, stables et separables, par-dessus lesquels les aspects transitoires et changeants du flux intact de l'expérience seront vus comme une série d'impressions flottantes qui tendent à être rangées et ordonnées principalement dans la vaste totalité du contenu relativement statique et fragmenté de souvenirs venant du passé.
On peut, en fait, apporter une quantité considérable d'évi­dences scientifiques pour démontrer que l’expérience consciente est une construction basée sur des souvenirs organisés par la pensée, dans l'arrangement général décrit ci-dessus. Entrer dans ce sujet en détail nous conduirait, toutefois, en dehors du champ fixé. Il peut, néanmoins, être utile ici de mentionner que Piaget a très clairement montré qu'avoir conscience de ce qui est pour nous l'ordre familier de l'espace, du temps, de la causalité, etc. (essentiellement ce que nous avons appelé ici l'ordre déplié), n'opère que faiblement dans les pha­ses du début de la vie de l'individu humain.
Plutôt, comme il montre à partir d'observations attentives, les enfants apprennent ce contenu d'abord dans l'aire de l'expérience sensorimotrice, et plus tard, quand ils grandis­sent, ils connectent cette expérience avec son expression dans le langage et la logique. D'un autre côté, il semble qu'il y ait une conscience immédiate du mouvement tout à fait à partir du début. Si on se rappelle que le mouvement est premièrement senti dans l'ordre implié, on voit que le travail de Piaget soutient que la façon d'expérimenter l'ordre implié est fondamentalement plus immédiate et plus directe que n'est celle de l'ordre déplié, lequel, comme on l’a relevé plus haut, exige une construction complexe qui n'a pas encore été apprise.
Une raison pour laquelle on ne remarque générale­ment pas la primarité de l'ordre implié, est que l’on est tellement habitué à l'ordre déplié et on lui a donné une telle importance dans notre penser et dans notre langage, qu’on tend fortement à sentir que l’expé­rience fondamentale est celle qui est dépliée et manifeste. Toutefois, une autre raison, peut-être plus importante, est que l'activation des enregistrements de la mémoire dont le contenu est principalement celui qui est récurrent, stable et separable, doit évidemment focaliser l’attention d'une façon très forte sur le fait qu'il est statique et fragmenté.
Cela contribue donc à la formation d'une expérience dans laquelle ces caractères statiques et fragmentés sont souvent si intenses que les traits plus transitoires et plus subtils du flux intact (par exemple les transformations de notes musi­cales) tendent généralement à pâlir et se fondre dans une telle insignifiance qu'on en est, au mieux, seulement confu­sément conscient. Donc, peut apparaître une illusion dans laquelle le contenu manifeste, statique et fragmenté de la conscience est expérimenté comme étant la base même de la réalité, et cette illusion peut apparemment confirmer que ce mode de pensée est correct, puisque ce contenu est pris comme fondamental.
 
LA MATIÈRE, LA CONSCIENCE ET LEUR TERRAIN COMMUN
 
Au commencement du chapitre précédent, il était suggéré que la matière et la conscience pouvaient, toutes les deux, être comprises dans les termes de l'ordre implié. Il convient main­tenant de montrer comment les notions de l'ordre implié qui ont été développées en connexion avec la conscience peuvent être reliées à celles concernant la matière pour permettre de comprendre qu'elles peuvent tou­tes les deux avoir un terrain commun. Bohm note d'abord que, comme vu précédemment, les théories courantes relativistes en physique décrivent l'ensemble de la réalité dans les termes d'un processus dont l'ultime élément est un événement désigné, c'est-à-dire, quelque chose arrivant dans une région de l'espace et du temps relativement petite. Il propose à la place de cela que l'élément de base soit un moment, lequel, comme le moment de la conscience, ne peut pas précisément être relié aux mesures de l'espace et du temps, mais plutôt couvre une région en quelque sorte vague­ment définie qui ait une étendue dans l'espace et une durée dans le temps. L'étendue dans l'espace et la durée dans le temps de ce moment peuvent varier depuis quelque chose de très petit jusqu'à quelque chose detrèsgrand,selonlecontexte(même un siècle particulier peut être « un moment » dans l'histoire de l'humanité). Comme avec la conscience, chaque moment a un certain ordre déplié et en plus inveloppe tous les autres, bien qu'il le fasse à sa propre manière. Ainsi, la relation de chaque moment à tous les autres, à l'inté­rieur du tout, est impliquée par son contenu total : la façon dont laquelle il «tient» tous les autres inveloppés à l'intérieur de lui-même.
 
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D'une certaine façon, cette notion est similaire à l'idée de la monade de Leibniz, chaque monade « renvoie l'image » du tout à sa façon, quelques-unes avec beaucoup de détails et d'autres d'une façon assez vague. La différence, c'est que les monades de Leibniz ont une existence permanente, tan­dis que les éléments de base sont seulement des moments et ne sont donc pas permanents. L'idée de Whitehead des «occasions réelles» est plus proche de celle que Bohm a pro­posées ici, la différence principale résidant dans le fait qu’il utilise l'ordre implié pour exprimer les qualités et les relations de nos moments, tandis que Whitehead le fait par un autre moyen.
Maintenant, il y a lieu de rappeler que les lois de l'ordre implié sont telles qu'il y a une subtotalité relativement indépendante, récurrente et stable qui constitue l'ordre déplié et qui, bien sûr, est basiquement l'ordre qui est contacté commu­nément dans l'expérience commune[12] (étendue d'une certaine façon par les instruments scientifiques). Cet ordre peut se situer dans quelque chose comme la mémoire, dans le sens que les moments précédents laissent en général une trace (d'habitude inveloppée) qui se continue dans les moments sui­vants, bien que cette trace puisse changer et se transformer de façon quasi illimitée. Depuis cette trace (par exemple dans les rochers), il est en principe possible pour nous de déplier une image des momentspassésquiressemblentàcertainségardsà ce qui est arrivé dans la réalité ; en utilisant ces tra­ces, on dessine des instruments tels que les caméras photographiques, les magnétophones et les computers à mémoire qui sont capables d'enregistrer les moments réels, de sorte qu'une grande partie du contenu de ce qui est arrivé peut être directement et immédiatement accessible, ce qui n'est généralement possible qu'à partir des traces naturelles seules.
On pourrait donc dire que notre mémoire est un cas spé­cial du processus décrit ci-dessus, car tout ce qui est enre­gistré est tenu inveloppé à l'intérieur des cellules du cerveau, et celles-ci sont une partie de la matière en général. La récur­rence et la stabilité de notre propre mémoire comme sub­totalité relativement indépendante sont donc fournies par le procédé même qui soutient la récurrence et la stabilité dans l'ordre manifeste de la matière en général.
Il s'ensuit que l'ordre déplié et manifesté de la conscience n'est pas en fin de compte distinct de celui de la matière en général. Fondamentalement, ils sont essentiellement des aspects différents d'un ordre plus général. Ceci explique un fait fondamental que nous avons pointé plus tôt, celui que l'ordre déplié de la matière en général est aussi, en essence, l'ordre déplié sensoriel, lequel est présent dans la conscience, dans l'ordre de l'expérience ordinaire.
Non seulement à cet aspect, mais comme on l’a vu, également dans un grand nombre de cas et d'aspects importants, conscience et matière en général sont fondamen­talement le même ordre (c'est-à-dire l'ordre implié comme un tout). Comme on l’a indiqué plus tôt, cet ordre est ce qui fait une relation entre les deux possibles ; mais que dire de plus spécifique au sujet de la nature de cette relation?
On pourrait commencer en considérant l'individu humain comme une totalité relativement indépendante, avec une récurrence et une stabilité suffisantes dans son proces­sus total (par exemple, physique, chimique, neurologique, mental, etc.) pour le rendre capable de subsister au long d'une certaine période de temps. Dans ce processus, on sait que l'état physique peut affecter le contenu de la conscience à de nombreux aspects. (La cause la plus simple est que nous pouvons devenir conscients d'excitations neurales en tant que sensations.) Vice versa, on sait que le contenu de la conscience peut affecter l'état physi­que (par exemple, à partir d'une intention consciente, les nerfs peuvent être excités, les muscles peuvent bouger, le batte­ment du cœur peut changer, en même temps que les modifi­cations dans l'activité glandulaire et la chimie sanguine, etc.).
Ce rapport entre l'esprit et le corps a communément été appelé psychosomatique (du grec «psyché» signifiant « esprit » et « soma », signifiant « corps »). Toutefois, ce mot est généralement utilisé d'une telle façon qu'il implique que l'esprit et le corps sont séparément existants mais connec­tés par quelque espèce d'interaction.
Ce sens n'est pas compatible avec l'ordre implié. Dans l'ordre implié, on doit dire que l'esprit inveloppe la matière en général, et donc le corps en particulier. De façon similaire, le corps n'inveloppe pas seulement l'esprit mais aussi dans un certain sens l'univers matériel entier. (Comme expliqué plus tôt dans ce paragraphe, cela se fait à travers les sens et à travers le fait que les atomes constituants du corps sont vraiment des structures inveloppées en principe à travers tout l'espace.)
On a en fait déjà rencontré cette sorte de relation, où a été introduitr la notion d'une réa­lité à plus hautes dimensions qui se projette dans des élé­ments à plus petites dimensions qui n'ont pas seulement des relations non locales et non causales, mais aussi justement cette sorte d'inveloppement mutuel qui a été suggéré pour l'esprit et le corps. Ainsi est-on conduit à pro­poser maintenant que la réalité plus compréhensive, plus pro­fonde et plus intérieure n'est ni l'esprit ni le corps, mais plutôt une réalité à encore plus hautes dimensions qui est leur ter­rain commun et dont la nature est au-delà de chacun des deux. Chacun des deux est alors seulement une subtotalité relativement indépendante, et il est impliqué que cette rela­tive indépendance dérive de ce terrain à plus hautes dimen­sions dans lequel esprit et corps ne sont finalement qu'un (comme l'indépendance relative de l'ordre manifeste dérive du terrain de l'ordre implié).
Dans ce terrain à plus hautes dimensions, l'ordre implié prévaut. Donc, à l'intérieur de ce terrain, ce qui est est le mouvement qui est représenté dans la pensée comme la co-présence de nombreuses phases de l'ordre implié. Comme cela se produit avec les formes plus simples de l'ordre implié considérées plus tôt, l'état de mouvement à un moment donné se déplie à travers une force plus intérieure de nécessité, inhérente à cet état général des choses pour donner naissance à un nouvel état des choses au moment suivant. Les projections du terrain à hautes dimensions, comme le corps et l'esprit, seront, au moment suivant, différentes de ce qu'elles étaient dans le moment précédent, même si ces différences devront bien sûr être reliées ensemble. Ainsi, on nr dit pas que l'esprit et le corps s'affectent causalement l'un l'autre, mais plutôt que les mouvements des deux sont le résultat des projections reliées d'un terrain commun à hau­tes dimensions.
Bien sûr, même ce terrain du corps et de l'esprit est limité. Évidemment, on a pour le moins à inclure la matière au-delà du corps, si on veut donner un compte rendu adéquat de ce qui se produit réellement, et cela doit éventuellement inclure les autres personnes, et la société, et l'humanité comme un tout. Ce faisant, toutefois, on doit soigneusement éviter de retomber en arrière en donnant aux éléments variés de n'importe quelle situation donnée totale quelque chose de plus qu'une relative indépendance. En y pensant plus profondément, et en général plus correctement, chacun de ces éléments est une projection dans une subto­talité d'une encore plus haute «dimension». Ainsi, il sera en fin de compte trompeur et même faux de supposer par exem­ple que chaque être humain ait une vérité indépendante qui interagisse avec les autres êtres humains et avec la nature. Tous ceux-ci sont en réalité des projections d'une unique tota­lité. Comme l'être humain prend part au processus de cette totalité, il est fondamentalement changé dans l'activité même où son but est de changer cette réalité qui est le contenu de sa conscience. Ne pas tenir compte de ceci doit inévitable­ment mener à une confusion sérieuse et constante dans tout ce que l'on fait.
Du point de vue de l'esprit, on peut aussi voir qu'il est nécessaire de s'ouvrir à un terrain plus global. Ainsi, comme on l’a vu, le contenu explicite, facilement accessible de la conscience, est inclus à l'intérieur d'un plus grand arrière-plan implicite (ou implié) ; celui-ci à son tour doit évidemment être contenu dans un arrière-plan encore plus grand qui peut inclure non seulement des processus neurophysiologiques à des niveaux dont on n’est pas généralement conscients, mais aussi un arrière-plan plus grand de profondeurs inconnues (et donc en fin de compte inconnaissables), profondeurs d'intériorité qui peuvent être analogues à la « mer d'énergie » remplissant ce que nos sens perçoivent comme un espace «vide».
Quelle que puisse être la nature de ces profondeurs de conscience, elles sont le terrain même, à la fois du contenu explicite et du contenu qui est usuellement appelé implicite. Bien que ce terrain puisse ne pas apparaître dans la cons­cience ordinaire, il peut néanmoins être présent d'une cer­taine façon, juste comme la vaste «mer d'énergie» dans l'espace est présente à notre perception comme un sens de vide ou de néant, tel que le vaste arrière-plan « inconscient » de-conscience explicite avec toutes ses implications est pré­sent d'une façon similaire. Il peut être senti comme un vide, un néant, à l'intérieur duquel le contenu habituel de la conscience n'est qu'un ensemble de facettes qui se rapetis­sent à l'infini.
Considérons maintenant, brièvement, ce qu'on peut dire à propos du temps dans cet ordre total de matière et de cons­cience.
D'abord, il est bien connu que comme il est directement perçu et expérimenté dans la conscience, le temps est hau­tement variable et relatif aux conditions (par exemple, une période donnée peut être sentie comme courte ou longue par différentes personnes, ou même par la même personne, suivant les intérêts des différentes personnes concernées). De l'autre côté, il semble, dans l'expérience commune, que le temps physique soit absolu et ne dépende pas des condi­tions. Toutefois, une des plus importantes applications de la théorie de la relativité est que le temps physique est en fait relatif, dans le sens qu'il peut varier suivant la vitesse de l'observateur. (Cette variation n'est toutefois signifiante que lorsque nous approchons de la vitesse de la lumière, et elle est pratiquement négligeable dans le domaine de l'expérience ordinaire). Ce qui est crucial dans le contexte présent est que, suivant la théorie de la relativité, une distinction aiguë entre l'espace et le temps ne peut pas être maintenue (excepté comme approximation valide des vitesses petites comparées à celles de la lumière). Donc, puisque la théorie des quanta implique que les éléments qui sont séparés dans l'espace sont généralement des projections d'une réalité à plus hautes dimensions reliées de façon non causale et non locale, il s'ensuit que les moments séparés dans le temps sont aussi des projections de cette réalité.
Evidemment, ceci conduit à une notion fondamentalement nouvelle du sens du temps. A la fois dans l'expérience com­mune et dans la physique, le temps a généralement été con­sidéré comme un ordre fondamental, indépendant et universellement applicable, peut-être le plus fondamental qui nous soit connu. Maintenant, nous avons été conduits à pro­poser qu'il est secondaire, et que comme l'espace, il doit aussi être dérivé d'un terrain à hautes dimensions, comme un ordre particulier. On peut alors avan­cer que beaucoup d'ordres de temps particuliers interreliés peuvent être dérivés, pour différents ensembles de séquen­ces de moments, correspondant à des systèmes matériels se déplaçant à différentes vitesses. Toutefois, ils sont tous indépendants d'une réalité multidimensionnelle qui ne peut pas être comprise pleinement dans les termes d'un ordre de temps quel qu'il soit ou d'ensembles de tels ordres.
De façon similaire, nous sommes conduits à proposer que cette réalité multidimensionnelle peut se projeter dans de nombreux ordres de séquences de moments dans la cons­cience. Non seulement a-t-on en esprit ici la relativité du temps psychologique exposée ci-dessus, mais aussi de beaucoup plus subtiles implications. Ainsi, par exemple, les gens qui se connaissent bien peuvent se séparer pour une longue période (mesurée par une séquence de moments enregistrée par une horloge), cependant, ils sont souvent capa­bles de «reprendre à partir du moment où ils s'étaient quittés», comme si aucun temps n'avait passé. Disons que les séquences de moments qui «esquivent» les espaces inter­venants sont juste des formes aussi admises du temps que celles qui semblent continues.
La loi fondamentale alors est celle de cet immense terrain multidimensionnel ; et les projections de ce terrain détermi­nent tous les ordres de temps qu'il puisse y avoir. Bien sûr, cette loi peut être telle que dans certains cas limites, l'ordre des moments corresponde approximativement à ce qui pour­rait être déterminé par une simple loi causale. Ou, dans dif­férents cas limites, l'ordre pourrait être un ordre complexe d'un haut degré qui serait, comme on l'a indiqué précédemment, proche de ce qu'on appelle d'habitude un ordre fortuit. Cette alternative couvre la plus grande partie de ce qui arrive dans ce domaine de l'expérience ordinaire, aussi bien que dans celui de la physique classique. Néanmoins, dans le domaine quantique, aussi bien qu'en connexion avec la conscience et probablement avec la compréhension de l'essence de la vie de façon plus profonde et plus intérieure, de telles approxima­tions se montreraient inadéquates. On doit alors en arriver à une considération du temps comme projection d'une réalité multidimensionnelle dans une séquence de moments.
Une telle projection peut être écrite comme créative plu­tôt que comme mécanique, car par créativité on veut juste désigner le début d'un nouveau contenu qui se déplie dans une séquence de moments qui n'est pas complètement dérivable à partir de ce qui est arrivé plus tôt dans cette séquence ou dans un ensemble de telles séquences. Disons que ce mouvement est basiquement le commencement créatif d'un nouveau contenu projeté à partir du terrain multidimensionnel, et que, par opposition, ce qui est mécanique est une tota­lité relativement autonome qui peut être abstraite de ce qui est basiquement un mouvement créatif de développement.
Comment, alors va-t-on considérer l'évolution de la vie telle qu'elle est généralement formulée en biologie? D'abord, on doit montrer que le mot même d'« évolution » (dont le sens littéral est «déroulement») est trop mécanique dans sa connotation pour pouvoir être utilisé proprement dans ce contexte. Mais plutôt, on l’a déjà montré ci-dessus, on devrait dire que les formes vivantes différentes, successives, se déploient créativement et dans le sens que les derniers membres ne soient pas complètement dérivables de ce qui s'est produit plus tôt à travers un processus dans lequel l'effet apparaît hors de la cause (bien que dans une certaine approximation un tel processus causal puisse expliquer cer­tains aspects limites de la séquence). La loi de ce dévelop­pement ne peut pas être proprement comprise sans que l'on considère l'immense réalité multidimensionnelle de ce qui est une projection (excepté dans l'approximation rapide où les implications de la théorie des quanta, et de ce qui est au-delà de cette théorie, peuvent être négligeables).
Cette approche globale doit donc rassembler les questions sur la nature, du cosmos, de la nature en général, de la vie et de la conscience. On a considéré toutes celles-ci comme des projections d'un terrain commun. On peut l'appeler le terrain de tout ce qui est, au moins aussi long­temps que l’on peut sentir et connaître ceci dans la présente phase de développement de conscience. Bien que l’on n’ait aucune perception détaillée ou aucune connaissance de ce terrain, il est encore dans un certain sens inveloppé dans notre conscience, dans des voies qui ont été soulignées, aussi bien que peut-être dans d'autres voies qui sont encore à découvrir.
Ce terrain est-il la fin absolue de tout? Dans les vues qui ont été proposées sur la nature générale de « la totalité de ce qui est», nous considérons même ce terrain comme un simple stade, dans le sens qu'il pourrait en principe y avoir une infinité de développements ultérieurs bien au-delà de lui. A tout moment particulier de ce développement, chaque ensemble de vie qui pourrait arriver constituerait au plus une proposition. Cela ne doit pas être pris comme y affirmation de ce que la vérité finale est supposée être, et encore moins comme une conclusion concernant fa nature d'une telle vérité. Mais plutôt, cette proposition devient elle-même un fac­teur actif dans la totalité d'existence qui nous inclut nous même aussi bien que les objets de nos pensées et de nos investigations expérimentales. Toute proposition ultérieure dans ce processus devra être viable comme ce que nous avons déjà fait. On exigera d'eux une cohérence générale aussi bien qu'une cohérence en ce qui s'écoule d'eux dans la vie comme un tout.
A travers la force d'une nécessité encore plus profonde et plus intérieure dans cette totalité, un nouvel état de cho­ses peut émerger, dans lequel ensemble le monde tel que nous le connaissons et nos idées à son sujet peuvent enta­mer un processus sans fin de changements encore à venir.


[1] David Bohm et F. David Peat, De la créativité scientifique, l'ordre et la créativité…,Bantam Books, New York, 1987.
[2] David Bohm, La complétude et l’Implicate Order, Routledge & Kegan Paul, Londres, Boston, 1980.
[3] L'objet quantique ayant une certaine extension dans l'espace et une certaine durée de vie en temps, on le représente alors, non plus par un ensemble de valeurs scalaires (position, vitesse), mais par une fonction décrivant sa distribution spatiale. Toute l'information relative à la particule est contenue dans cette fonction d'onde. Les mesures scalaires effectuées sur cette particule consistent à extraire seulement une partie de cette information, par l'intermédiaire d'opérateurs mathématiques.
[4] Ce recours au hasard a fait l’objet d’une controverse entre Einstein et Bohr, le premier déclarant : « Dieu ne joue pas aux dés », le second lui répondant : « Quand cesserez-vous de donner des ordres à Dieu ? ».
[5] Notions développées dans « La Plénitude de l’Univers », éditions du Rocher, septembre 1987, p. 169-211.
[6]En 1971, David Bohm soumit la proposition d'une organisation holographique de l'univers. Il existe en effet un instrument qui est apte à fournir une certaine approche perceptuelle immédiate de ce que peut signifier une totalité indivise : c’est l’hologramme. Le mot est dérivé du grec « holo » signifiant « tout » et « gram » signifiant « inscrire ». Ainsi, l’hologramme est un instrument qui, en réalité, « inscrit la totalité ».
 
[7] Selon Massimo Teodorani dans « Entanglement », il existe de solides raisons de penser que l’ADN fonctionne d’une façon directement liée à la projection holographique dans le sens que l’ADN projetterait le projet d’un organisme donné, qui serait ensuite transféré du niveau électrodynamique au niveau moléculaire. Les recherches de Gariaev en particulier semblent de plus suggérer que l’ADN fonctionne comme un « bioordinateur » capable de lire et décrire le code génétique, et qu’il est capable de former des pré-images holographiques pour les biostructures. Ainsi, nous serions plus des êtres électromagnétiques que des êtres chimiques.
[8] Un exemple de l’ordre implié est fourni en laboratoire grâce à un conteneur transparent plein d’un fluide visqueux comme de la glycérine équipé d’un rotateur mécanique qui peut  « mélanger » le fluide très lentement, mais d’une façon très profonde. Si une goutte insoluble d’encre est placée dans le fluide et qu’on mette en mouvement l’appareil de mélange, la goutte d’encre est graduellement transformée en un filet qui s’étend dans le liquide tout entier. Ce filet appparaît alors être distribué plus ou moins « au hasard », de sorte qu’il est vu comme une sorte d’ombre grise. Mais si l’appareil mécanique de mélange est alors tourné dans la direction opposée , la transformation est renversée et la goutelette de teinture apparaît soudain reconstituée. 
[9] L’analogie expérimentale entre l’hologramme et le cerveau réside dans le fait que l’on peut restituer l'ensemble des informations enregistrées : pour l’hologramme sur chaque fragment du support, pour le cerveau dans chacune de ses parties. De quoi reconstruire dans leur intégralité, pour l’un, une image, pour l’autre, un souvenir.
 
[10]Les paradoxes de Zénon forment un ensemble de paradoxes imaginés par Zénon d'Élée pour soutenir la doctrine de Parménide, selon laquelle toute évidence des sens est fallacieuse, et le mouvement est impossible.
 
[11] Roger Penrose, avec sa théorie quantique relativiste a expliqué comment naît un moment de conscience. Nos cerveaux, à travers les mécanismes qui ont lieu collectivement dans les microtubules, actionnent et sélectionnent alors directement certaines « formes »(en rapport avec l’expérience réelle) de la géométrie fondamentale de l’espace-temps, exactement comme un artiste choisit ses couleurs d’une palette pour ensuite créer un chef d’œuvre.
Stuaer Hamerhoff,, de son côté a découvert le rôle fondamental des microtubules en étudiant l’effet que l’anesthésie provoquait sur ses patients. Il a vérifié que les anesthésiants altèrent la capacité d’intrication au sein des tubulines ; cela détermine en effet une perte totale de conscience. Les anesthésiants ont donc le pouvoir d’inhiber l’action quanto-mécanique. En revanche, certaines drogues psychédéliques exercent un effet directement contraire aux tubulines, dès lors qu’elles augmentent l’état quantique microscopique, en accroissant aussi bien l’intensité des moments de conscience que le nombre de ces évènements dans le temps. La méditation peut jouer le même rôle. On a pu mesurer la fluctuation de ces moments de conscience, c’est-à-dire le processus à travers lequel ces mouvements se succèdent les uns après les autres avec des temps-échelle typiques qui sont en moyenne de 1/40 seconde ; cela signifie qu’on parvient à percevoir les moments de conscience au moins 40 fois par seconde. Ce nombre peut être porté à 100 et plus lorsque la méditation lorsque la méditation est très profonde.
[12] Ceci correspond à l’entrecroisement des perspectives multiples dans l’expérience commune de la nature, dans ce que Husserl (cinquième Méditation cartésienne) appelle « synthèse d’identification ».




Date de création : 10/07/2012 @ 18:51
Dernière modification : 10/07/2012 @ 20:38
Catégorie : Parcours cartésien
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