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Sciences politiques - Repenser la démocratie (2)
REPENSER LA DÉMOCRATIE (2) DEUX PROPOSITONS CIBLÉES POUR ACCROÎTRE LA LÉGITIMITÉ DE LA DÉMOCRATIE INTRODUCTION Les Anciens (Platon, Aristote et bien dautres) ont pu analyser les forces et les faiblesses de la démocratie qui sest créée à leur époque et se sont attachés à montrer quelle était particulièrement vulnérable à certains maux (démagogie et excès de liberté). Les modernes, quant à eux, après de nombreux siècles de vie monarchique ont vu, à partir des Lumières, que la démocratie était à comprendre comme un régime sui generis (qui na dautre auteur que lui-même), qui évolue, et par conséquent, dont le principe de légitimité nest pas un invariant, mais peut être intensifié, voire reconfiguré. Pour poser le problème de la légitimité, il faut se référer au Contrat Social de Rousseau (1762). Le fait marquant le plus fondamental de la théorie politique de cet auteur est, selon Yves Charles Zarka, « davoir placé la légitimité du pouvoir au centre de sa théorie et davoir pensé la légitimité en termes de souveraineté actuelle du peuple ». Pour lui, la souveraineté est inaliénable, car elle ne peut être détachée de son seul et unique sujet légitime : le peuple. Lexpression de la souveraineté populaire, cest la volonté générale qui donne son contenu à ce qui est conforme au droit et à la loi (la légalité). Les deux propositions daccroissement de la légitimité qui suivent émanent, de deux contributions qui sont incluses dans louvrage collectif réalisé récemment sous la direction de Yves Charles Zarka, professeur à la Sorbonne, Université Paris-Descartes ; il est intitulé « Repenser la démocratie », et a été édité par Armand Collin, en octobre 2010. Ces contributions ont trait chacune à une nouvelle instance à créer : première création, celle dune Cour, dite « Cour de légitimitédexercice » (suggestion Zarka) ; seconde création, celle dun « Observatoire du spectateur impartial» (suggestion issue du personnage symbolique créé par Adam Smith et repris par Boudon, professeur émérite à lUniversité Paris-Sorbonne). I/ UNE NOUVELLE INSTANCE : LA COUR DE LÉGITIMITÉ DEXERCICE Pour étayer sa proposition, le professeur Zarka a développé la légitimité telle quelle se trouve liée à la démocratie et dont elle est le paradigme. Cela dans trois chapitres : lorsquelle est contre la démocratie et réciproquement, dans sa liaison avec la démocratie, et enfin dans les tentatives contemporaines faites pour la repenser. Liaison entre démocratie et légitimité Lorsquil entreprend de montrer comment la légitimité adhère à la démocratie, Yves Charles Zarka commence par aborder les thèses de deux auteurs contemporains qui ont précisément contesté le principe dune liaison indissoluble entre démocratie et légitimité. Il sa git de Carl Schmitt et de Michel Foucault. La démarche de Zarka est entièrement conceptuelle et a deux objectifs : premièrement attester la centralité de la question de la légitimité en démocratie, comme toute forme de subordination ou deffacement. Il sagit en particulier de remettre en cause toute conception simplement procédurale de la démocratie sintéressant par exemple au système du vote, à lopérativité de la représentation ou aux rapports entre législatif et exécutif, etc. deuxièmement, montrer que lon ne doit pas penser la légitimité démocratique sous le mode du tout ou rien, car elle comporte des différenciations et des niveaux. Il existe par ailleurs une tendance à lextension et à lapprofondissement de la démocratie. Cest pourquoi le vote et la représentation qui sont les deux pièces maîtresses de la légitimité dans les démocraties depuis la Révolution française sont actuellement jugées insuffisantes , pour sassurer que la volonté politique est conforme à celle du peuple. Des conceptions nouvelles comme lidée de « démocratie participative », les jurys de citoyens, les consultations locales, ont fleuri ces dernières années, en se présentant soit pour compléter, soit pour remplacer les piliers du vote et de la représentation. 1/ La légitimité contre la démocratie et réciproquement A) Analyse des positions de Carl Schmitt Sa critique se borne à la démocratie libérale, en ce quelle se donne pour tâche la protection des droits et des libertés individuelles et collectives et se caractérise par la séparation des pouvoirs et lÉtat de droit. Il entend lui opposer une autre démocratie, celle de « lhomogénéité du peuple ». Toute démocratie véritable repose sur le fait que seulement ce qui est semblable reçoit un traitement semblable. Dans la démocratie entre donc nécessairement comme ingrédient, pour commencer, lhomogénéité et, ensuite, si besoin est, la mise à lécart ou lexclusion de lhétérogène [
] La force politique dune démocratie se manifeste par sa capacité décarter ou de tenir éloigné létranger et le non semblable, celui qui menace lhomogénéité. La démocratie que Schmitt appelle de ses vux est une démocratie plébiscitaire sous une forme renouvelée qui met le peuple directement en rapport avec un chef charismatique, on naurait pas de peine à y voir une préfiguration du régime nazi. Ce que reproche Carl Schmitt à la démocratie libérale cest davoir écarté la légitimité au profit de la légalité qui en constitue précisément le propre ; cest une démocratie bourgeoise et le parlementarisme est le mode par lequel la bourgeoisie sest emparée du pouvoir et le conserve en excluant le prolétariat de toute intégration dans lunité politique. On voit ici lune des voies par lesquelles les positions de Schmitt peuvent trouver un écho favorable à lextrême gauche. Alors que la vraie démocratie devrait se constituer à travers une redéfinition majeure de la légitimité politique, la fausse démocratie libérale a substitué à la légitimité le légalisme, le normativisme et le positivisme. Dans un texte de 1932 sur Légalité et légitimité, Schmitt développe longuement ce quil appelle la débâcle de lÉtat législateur parlementaire (la République de Weimar). Ainsi lÉtat législateur se caractérise-t-il par deux déterminations : il est dominé par des normes impersonnelles. Le système légal complet érige le dogme de la soumission aux lois et supprime tout droit dopposition. LÉtat se borne à une application conforme des normes. corrélativement, il y a disparition de la souveraineté, cest-à-die pour Schmitt de linstance de légitimité. Or, les lois ne règnent pas, elles valent simplement comme normes. Il ny a donc plus de pouvoir souverain, car ce nest que dune manière impersonnelle que le droit positif entre en vigueur. Il importe donc selon Schmitt de remettre en cause la démocratie libérale pour faire resurgir le problème de la légitimité démocratique lintégration du prolétariat à lunité politique. B) Analyse des positions de Michel Foucault Cet auteur est lanti-Schmitt par excellence. Pour lui lantidote à Schmitt cest Kant cosmopolitique qui fournit les moyens de neutraliser et de réfuter sa pensée[1]. Pour Foucault du milieu des années 1970, il nest possible de rendre compte du fonctionnement de la démocratie libérale et de critiquer les rapports de domination quelle engage, que si on abandonne linterrogation sur la légitimité. Pourquoi ?Parcequelalégitimité comme tout dispositif juridique relève du leurre, de lillusion qui masque les procédures effectives par lesquelles le pouvoir politique sexerce et conduit la société. Pour rendre compte des modalités dexercice réel du pouvoir, il faut substituer les rapports de force impliqués dans lecoupledomination/assujettissementaucouplejuridiquesouveraineté/obligation. Cette substitution est liée à une remise en cause radicale de toute lecture juridique du pouvoir. La souveraineté et, avec elle, la légitimité sont des pièges. Pour penser la démocratie libérale et le libéralisme en général, il faut éviter le piège, un piège qui est celui du pouvoir lui-même. Le discours juridico-politique est en effet le discours que tient le pouvoir sur lui-même. On comprend donc en quel sens, selon Foucault, le discours des juristes est constitutif du pouvoir en place : « Le personnage central, dans tout lédifice juridique occidental, cest le roi. Cest du roi quil est question, cest du roi, de ses droits, de son pouvoir, des limites de son pouvoir, cest de cela quil est question dans le système général, dans lorganisation générale, en tout cas, du système juridique occidental »[2]. Cest dailleurs la raison pour laquelle cette théorie de la souveraineté a persisté, au-delà du temps des rois, comme idéologie et comme principe organisateur des grands codes juridiques, jusquà la démocratie. On voit donc comment Foucault accomplit un geste spécifiquement opposé à celui de Schmitt : il sagit pour lui de mettre en place une nouvelle interrogation sur le pouvoir, en particulier de lexercice du pouvoir dans les démocraties libérales. Cest ce quil fera dans son cours au Collège de France sur le libéralisme[3]. Lanalyse du pouvoir sy opère sur la base dun concept non juridique du concept qui met en uvre des concepts nouveaux comme ceux de biopouvoir et de gouvernementalité qui sont des concepts antischmittiens, parce quils doivent être pensés sans restriction du pouvoir au pouvoir politique et sans conception pyramidale du pouvoir qui le reporterait à un pôle unique, source de toute décision. Telles sont donc les deux modalités opposées de séparation entre démocratie libérale et légitimité. Y. Ch. Zarka entend montrer maintenant quà lopposé de lune et de lautre la question de la légitimité est au cur de la démocratie libérale. Pour y parvenir, il lui faut auparavant revenir à Jean Jacques Rousseau, premier penseur moderne qui a isolé le concept central de la démocratie moderne. Lanalyse quil fera de sa théorie politique naura pas pour objet de dire quil a fixé définitivement la théorie de la légitimité démocratique, mais au contraire de montrer comment il importe de sortir de Rousseau, de remettre même en cause radicalement son concept de volonté générale. 2/ La centralité de la légitimité en démocratie Lapport le plus fondamental de Rousseau, cest le fait davoir placé la légitimité du pouvoir au centre de sa théorie et davoir pensé cette légitimité en termes de souveraineté actuelle du peuple[4]. Avant lui, on avait conçu le concept de souveraineté du peuple, mais sous une forme pour ainsi dire inactuelle car, ce seul acte de souveraineté consistait à se démettre ou à saliéner elle-même pour se transformer en souveraineté du roi ou dune autre instance. Cest à partir de cette nouvelle doctrine quil sera possible de définir la légalité sachant que cest la volonté générale qui lui procure son contenu. Rousseau fonde son concept de légitimité démocratique en montrant que linstitution fondatrice nest paslétablissement dun prince, dun roi, ou dune cour aristocratique, mais linstitution du peuple. Le contrat social a pour objet de montrer comment le peuple sactualise en tant que tel La thèse de Rousseau est la suivante : « Avant que dexaminer lacte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon dexaminer lacte par lequel un peuple est un peuple car, cet acte étant nécessairement antérieur à lautre, est le vrai fondement de la société[5]. Il faut rendre compte de la manière dont une multitude devient un peuple : celui-ci nest pas un moment dans la constitution de la société politique mais la fin. Le contrat social ne sopère donc pas entre deux instances réellement distinctes, il ne sagit pas à proprement parler dun contrat juridique. Il opère ce que lon peut appeler une requalification de la même réalité : les individus comme multitude disparates sont requalifiés comme membre du tout. « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout ». Labsolutisation de la souveraineté du peuple dans la volonté générale « La volonté générale, pour être vraiment telle, doit lêtre dans son objet, ainsi que dans son essence, quelle doit partir de tous pour sappliquer à tous, et quelle perd sa rectitude lorsquelle tend à quelque objet déterminé[6] ». Rousseau absolutise donc le collectif contre lindividuel et les droits individuels. La généralité est le mode par lequel tout le peuple statue sur tout sans quaucune division nintervienne. Que simmisce la moindre division, la moindre particularité, quune atteinte affecte si peu que ce soit la légitimité et celle-ci seffondre. Alors au lieu de la souveraineté du peuple, nous aurions la domination dun parti, au lieu dun système légal, nous aurions le règne de larbitraire. Chez Rousseau, il y a eu seulement transport dun sujet à lautre, du roi au peuple (souveraineté par le haut) Reste une question fondamentale, la souveraineté du peuple est-elle foncièrement différente de celle du roi ? Est-ce que le changement de sujet de la souveraineté a produit un changement dans la nature de la souveraineté ? Force est de répondre de manière négative car, chez Rousseau, la souveraineté a changé de sujet, mais elle est restée la même que lorsquelle était souveraineté du roi. Il y a eu seulement transport dun sujet à lautre. La souveraineté du peuple est même plus absolue que ne létait celle du roi. Or cette absolutisation de la souveraineté du peuple dans son expression, la volonté générale, est telle quelle est même une sacralisation (comme la volonté du roi était sacrée) : « Le souverain, par cela seul quil est toujours ce quil doit être[7] ». Or, quel est lêtre qui est défini comme étant toujours ce quil doit être. Cest Dieu, la volonté divine qui ne compte pas de distance entre lêtre et le devoir être. Cest ainsi que Rousseau ajoute que la volonté générale est indestructible, quelle ne peut jamais être anéantie ni corrompue : « elle est toujours constante, inaliénable et pure », bien quelle puisse être éludé. Nous avons vécu longtemps sur cette doctrine dune souveraineté et dune légitimité sacralisées, qui est en vérité une sacralisation du collectif. Cest ce que Zarka appelle une souveraineté par le haut, qui sexerce de haut en bas bien que pour Rousseau la volonté générale soit également, et même préalablement à son expression, inscrite dans le cur de chaque citoyen. Les possibilités offertes à la souveraineté par le haut On sait le double discours que Rousseau tient sur le peuple : le peuple mythique du contrat social qui est la rectitude même et les peuples réels pour lesquels il na pas de mots assez durs dans le Contrat social. Si la souveraineté est celle des peuples réels, elle doit pouvoir shistoriciser, cest-à-dire abandonner le statut de pureté, dabsoluité et de sacralité que Rousseau lui conférait. Elle doit pouvoir sexprimer selon différentes modalités, elle doit même pouvoir se diviser. Elle ne doit pas étouffer les droits individuels. Cette historicisation de la souveraineté du peuple et du principe de légitimité démocratique, dans les faits, a été opérée par les penseurs du XIXe siècle. Pour permettre au principe de la souveraineté du peuple de prendre corps dans les démocraties réelles, ils lon limité par la protection des droits individuels. La déconstruction de la volonté générale de Rousseau par Benjamin Constant : sa conception des deux pouvoirs Selon lui, la souveraineté du peuple est le fondement de toute légitimité politique, et en dehors delle, il ny a que la force : « En un mot, il nexiste que deux pouvoirs, lun illégitime, cest la force ; lautre, légitime, cest la volonté générale. Mais dans le même temps que lon reconnaît les droits de cette volonté, cest-à-dire la souveraineté du peuple, il est urgent den bien concevoir la nature et den bien déterminer létendue[8] ». Constant va se livrer à une déconstruction de la volonté générale de Rousseau par désabsolutisation et désacralisation. La souveraineté du peuple rousseauiste sest incarnée historiquement, au moment de la Révolution française, dans la Terreur, il convient donc de reconstruire ce principe pour lempêcher de se retourner en son contraire : passer du principe de gouvernement par le peuple à celui de domination au nom du peuple, mais contre le peuple. Le premier objectif de Constant va être de limiter le champ du pouvoir politique pour préserver les droits et libertés des individus. Il invoque deux idées directrices : 1) Il ne faut pas que lautorité politique ait trop de pouvoir social, parce quon ne sait pas entre les mains de qui ce pouvoir peut tomber ; 2) La distinction rousseauiste entre le souverain (le peuple) et le gouvernement (le ministre) nest quune distinction théorique : lorsque nous considérons la société réelle, cest le gouvernement qui est le souverain, cest lui qui définit et incarne la souveraineté. Autrement dit, la démocratie rousseauiste est impossible, elle est faite dun mixte de la démocratie ancienne et de démocratie moderne, étant donné que la démocratie dont nous avons besoin est celle qui compose le gouvernement du peuple et la protection des libertés individuelles. Les trois modifications à la souveraineté du peuple apportées par Tocqueville à partir de lexpérience américaine 1) Un premier pas considérable va être fait alors que la politique européenne na jamais pensé la souveraineté que sur le modèle de la souveraineté du roi [Le roi ne dit pas je veux, mais nous voulons], lexpérience américaine donne un tout autre contenu à lidée de souveraineté du peuple. Ce nest pas une souveraineté du peuple par le haut celle du commandement , quon y trouve, mais une souveraineté par le bas. La souveraineté américaine existe dabord au niveau politique le plus bas, à savoir la commune. La description des communes américaines donne un contenu historique à la souveraineté du peuple, mais au-delà, elle inverse ce quon pourrait appeler le rapport de souveraineté. Au principe transcendant du commandement souverain, se substitue un principe immanent, qui prend dautant plus de force que lon sait que pour Tocqueville, lesprit de liberté doit exister au niveau politique le plus bas, celui de la commune, sans quoi on chercherait vainement la liberté au niveau supérieur. Cest au niveau de la commune, là où la souveraineté du peuple est quasi directe que la liberté sinstitue. 2) Si Tocqueville repense ainsi le principe de souveraineté (mouvement de bas en haut), il montre aussi que la démocratie américaine est divisée. Cest là une seconde modification fondamentale du principe de souveraineté défini par lindivisibilité telle quelle a été pensée par les modernes Jean Bodin et Thomas Hobbes. Diviser la souveraineté pour ceux-ci, cétait inévitablement la détruire, parce que ce serait alors remettre en cause lunicité de linstance de souveraineté, donc lidée dune instance qui pourrait décider seule et sans appel. Introduire la division dans la souveraineté ce serait en somme se donner plusieurs maîtres, qui plus est en conflit entre eux. Pour Tocqueville le sens de cette division de la souveraineté signifie simplement que la souveraineté du peuple sincarne dans différentes instances et selon des modalités diverses : la souveraineté du peuple de quasi directe au niveau de la commune devient nécessairement liée au principe de représentation au niveau des États ou à celui de lUnion. 3) Il y a également une troisième modification qui résulte du fait que la souveraineté du peuple peut politiquement se dégrader en tyrannie de la majorité. Autrement dit, le principe même de la démocratie politique, loin dêtre absolu et sacré peut devenir tyrannique et réinscrire dans la société un rapport de celui qui existe entre le maître et lesclave. Cest le caractère virtuellement intolérant de la démocratie qui est ici souligné. La démocratie nest pas par elle-même et spontanément, acceptation des différences, elle est plutôt source duniformisation et de conformisme à un modèle dominant. On comprend donc que, pour Tocqueville, la souveraineté du peuple ne soit plus la norme ultime ; au-dessus de la souveraineté du peuple, il y a, en effet, la souveraineté de lhumanité, cest-à-dire un principe de justice qui doit servir de régulateur à la souveraineté du peuple qui peut y déroger. On retrouve ici une idée de Condorcet : il faut empêcher les lois dêtre injustes, il faut mettre des bornes au pouvoir politique. Les peuples peuvent devenir fous, cest une vérité historique. Ainsi Constant et Tocqueville ont pu établir lhistoricisation, cest-à-dire lintroduction du principe de souveraineté du peuple dans les démocraties réelles. 3/ Les tentatives contemporaines pour repenser la légitimité politique Le vote et la représentation savérant insuffisants, il est donc nécessaire de les repenser. Il y a manifestement aujourdhui une volonté des citoyens davoir un droit de regard sur les choix et les décisions politiques de leurs élus et de leurs représentants. Ce qui est de moins en moins accepté cest que le citoyen devienne passif entre deux échéances électorales. Il faudrait donc que le citoyen puisse être actif de manière continue et non plus simplement ponctuelle. Il doit pouvoir contrôler les contrôleurs, participer aux décisions politiques, être informé des enjeux, des risques et des dangers réels auxquels la société est confrontée. Ces exigences interviennent globalement pour deux raisons : la première est la défiance envers les gouvernants dont nous avons appris quils ne sont pas toujours ni le plus souvent gouvernés par lintérêt général, mais quils font passer trop fréquemment leurs intérêts particuliers (réélection, parfois même corruption) avant le souci du public/ la seconde tient à lémergence de des nouvelles problématiques environnementales, en particulier écologiques. Y. Ch. Zarka nexclut pas quil y ait dautres raisons mais il se fixe maintenant pour objectif dexaminer deux tentatives, celle de Pierre Rosanvallon et la sienne propre, faites toutes deux pour repenser la souveraineté du peuple. La démarche de Pierre Rosanvallon Dans son ouvrage « La légitimité démocratique : impartialité, réflexivité et proximité[9] », il part de lidée suivante qui reprend largument relevé ci-dessus selon lequel lélection ne garantit pas quun gouvernement soit et demeure au service de lintérêt général. Il est selon lui indispensable dinstaurer une compréhension élargie de volonté générale. Un pouvoir ne peut être considéré comme légitime que sil est soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois concurrentes et complémentaires de lexpression majoritaire. Le pouvoir politique doit ainsi se plier à un triple principe de légitimation : 1/ La légitimité dimpartialité : elle consiste en une mise à distance des positions partisanes et des intérêts particuliers. Ce qui doit assurer cette forme de légitimité, ce sont des autorités administratives indépendantes. 2/ La légitimité de réflexivité : il sagit ici de prendre en considération les expressions plurielles du bien commun. Cette réflexivité doit être assurée selon des modalités comparables à celles par lesquelles les Cours constitutionnelles garantissent la protection des garanties individuelles. 3/ La légitimité de proximité : il sagit ici de reconnaître toutes les singularités, sociales, culturelles, religieuses, et autres. Il faut donc un art de gouverner qui soit plus attentif aux situations particulières. Lun des exemples que donne Rosanvallon est la police de proximité. Le problème de cette démarche est de confondre plusieurs problématiques (société, culture, etc.) qui ne sont pas en lien direct avec la légitimité et qui paradoxalement, selon Y. Ch. Zarka, lont conduit exactement à linverse, cest-à-dire à lui substituer un certain nombre de procédures. La démarche propre à Y. Ch. Zarka : les deux versants de la légitimité démocratique Il se propose dattaquer de front la légitimité par lintroduction dune distinction nouvelle entre ce qui pourrait être appelé une légitimité de titre et une légitimité dexercice. La problématique originale dapparition de cette distinction, loin dêtre celle de la légitimité, est plutôt celle de lillégitimité ou au de la tyrannie. Il sagit dune distinction quun bon nombre de penseurs médiévaux faisaient entre deux tyrannies : la tyrannie par défaut de titre (defectu tituli), cest-à-dire lusurpation, et la tyrannie dexercice (ex parte exercitii), cest-à-dire linjustice. Le tyran par défaut de titre était celui qui commettait le crime le plus grave, et contre lequel nimporte qui avait le droit de commettre le tyrannicide. Le tyran dexercice, cétait le tyran incontestable du trône mais qui, en raison de son gouvernement, injuste au point de compromettre lexistence de sa société. Cette double figure de la tyrannie se trouve en particulier dans le Policratus de Jean de Salisbury. Y. Ch. Zarka propose de transporter cette distinction dans la problématique de la légitimité démocratique. Cette légitimité de titre due à lélection est précisément celle qui est jugée aujourdhui insuffisante. On sait bien que lélu fera parfois, et même souvent, autre chose que ce quil aura dit ou promis. Si lon sen tenait à cette figure de la légitimité, on confirmerait lidée dun passage des citoyens dune citoyenneté active au moment ponctuel du vote, à une citoyenneté passive, inerte même, après le vote. Qui contrôlera les contrôleurs ? Qui jugera que les promesses ont été tenues ou non ? Qui examinera si les intérêts privés ne se sont pas substitués parfois aux intérêts publics ? Pour répondre à ces questions, pour que la légitimité de titre ne soit pas un blanc-seing donné aux politiques entre deux échéances électorales. Il convient donc dintroduire un autre versant de la légitimité démocratique : la légitimité dexercice. Quest-ce que cette légitimité dexercice ? Elle consisterait en un examen des actes gouvernementaux au plan strictement politique pour leur contenu est ou non conforme à la volonté exprimée au moment du vote. Il sagit, par exemple, de savoir si les promesses et le programme présentés au moment de lélection ont été tenus ou non, et sils nont pas été tenus, pourquoi ? Est-ce que lhomme politique ou le parti qui a été élu na pas fait passer ses intérêts privés avant les intérêts publics ? Un tel contrôle représenterait une avancée évidente. Cependant, quatre objections concernant cette nouvelle instance pourraientêtreavancées. Proposition de création dune nouvelle instance pour accroître la légitimité de la démocratie La réponse aux quatre objections permet de préciser les attributions qui pourraient être celles de cette nouvelle instance politique de contrôle de la légitimité : Première objection : dédoubler la légitimité démocratique comporte le risque dintroduire le conflit dans la légitimité, au cur même du régime démocratique. Pour répondre à cette objection, il faudra simplement montrer, que la légitimité de titre ne sest pas traduite dans lexercice, et que, par conséquent que les électeurs ont été trompés. Ce qui nest pas peu au retour des élections. Deuxième objection : cette liberté dexercice est déjà assumée par des organes qui existent dans les démocraties, et il nest nul besoin dintroduire une instance nouvelle. Nest-ce pas, en effet, le rôle de la presse et des partis politiques que de souligner le sens politique des actes dun gouvernement en vue déclairer lopinion ? Certes, mais les analyses politiques produites par les partis ou par les organes de presse ou, plus généralement encore, les médias, entrent dans le jeu démocratique, mais aucune de ces analyses ne pourra avoir la force dun jugement en légitimité. Pour cela, il faut une instance politique et non administrative ou juridique, indépendante et dont lindépendance est assurée constitutionnellement. Quant à savoir comment cette instance sera établie, cest une question que lon peut facilement résoudre. On sait comment établir une telle instance dans une société démocratique. En outre, cette instance naurait rien dautre fonction que déclairer les citoyens, donc lopinion sur les actes de gouvernement. Rien dautre. Mais cela serait déjà considérable. Troisième objection : il existe déjà des instances de contrôle financier, juridique, et quil nest pas nécessaire dintroduire un tel nouveau contrôle incertain et qui, en outre, pourrait paralyser les actes dun gouvernement légitimement élu, donc lempêcher de gouverner. A cela il faut répondre quil existe déjà plusieurs instances de contrôles, mais que la fonction de ce qui pourrait être une Cour de légitimité dexercice serait différente de celles qui existent et qui ont un rôle bien défini (les Comptes, la Constitution, etc.) et précisément ont une compétence hors du champ politique. Aucune na lautorité pour juger en légitimité. Quatrième objection : à partir de quels principes cette Cour de légitimité dexercice pourrait juger. Devra-t-elle elle-même définir ces critères, mais alors, ne deviendra-t-elle pas elle-même linstance détentrice de la vraie souveraineté ? Cette objection est indépassable. Pour y répondre, il y a lieu pour cette Cour de pouvoir se référer à une Charte de légitimité dexercice,différente de la Constitution qui définirait préalablement les principes et les critères par rapport auxquels lexercice du pouvoir par un gouvernement déterminé sera analysé et jugé. Autrement dit, il sagira de définir les limites du politique, les seuils quil nest pas autorisé à dépasser sauf à devenir tyrannique, même dans ses formes les plus subtiles qui, comme Tocqueville la montré résultent de limmixtion du politique dans des champs qui ne relèvent en aucune façon de lui, comme le savoir, par exemple et dautres encore. Il ne sagit en rien de destituer le gouvernement mais déclairer lopinion sur la conformité de son action à ses engagements de départ et au respect dune charte politique comportant les principes politiques que tout gouvernement démocratique devrait suivre, la dénonciation de labus de pouvoir étant évidemment lune des fonctions essentielles de létablissement de la légitimité dexercice. Éclairer lopinion doit susciter une plus large adhésion des citoyens aux choix politiques, en particulier une plus grande représentativité des classes sociales lors des choix décisifs relevant de la légitimité de titre. [Remarque : Le pouvoir étant partagé entre le gouvernement central et les gouvernements régionaux, il conviendrait dexaminer si la compétence de la Cour de légitimité dexercice ne devrait pas être étendue aux gouvernements régionaux, dans le but de mieux harmoniser les politiques notamment sur lemploi et le développement durable.] II/ UN OBSERVATOIRE DU SPECTATEUR IMPARTIAL Préalablement à la création de cet observatoire, il convient de rappeler ce quest le « Spectateur impartial » aux yeux dAdam Smith et tel que repris par Boudon. Décrire ce quil est et comment, dun point de vue pratique, il est en mesure de représenter la volonté générale, est important pour le politique ; sous le régime de la démocratie représentative, il est vital de prendre lopinion à témoin par-delà les écrans qui sinterposent entre elle et lui. Le spectateur impartial Cest en fait le citoyen quelconque dont on suppose que, sur telle ou telle question, il échappe à ses intérêts, à ses passions, ses préjugés ou ses présupposés. Dans ce cas, il tire ses appréciations et ses jugements du bon sens. Additionnées les unes aux autres et les uns aux autres, ils constituent une réponse collective conforme au sens commun. Certes, les questions posées par la vie politique exigent parfois un certain niveau de compétence avant de permettre au bon sens de sexprimer. Mais bien dautres sont accessibles à tous. De sorte que lon ne peutsuivre Joseph Schumpeter lorsque, dans Capitalism, socialism and democraty (1950), il redoute une incompréhension croissante du citoyen dès lors quune question séloigne de son expérience immédiate. Si tel était le cas seraient inexplicables un grand nombre de phénomènes de consensus et dirréversibilité que, chemin faisant, il va nous être donné dobserver. La volonté générale Cette thèse de Rousseau selon laquelle la volonté générale est toujours droite ne dit pas autre chose que la notion du spectateur impartial. Il nest cependant pas douteux que la volonté exprimée par les citoyens concrets, la volonté de tous, peut sécarter de la volonté générale, comme Rousseau la souligné. Néanmoins, il y a des sujets où nombre des citoyens sexpriment en spectateurs impartiaux. Cest la raison principale pour laquelle la démocratie est le pire système à lexception de tous les autres. Bien que la notion de volonté générale ait été obscurcie par une glose surabondante il nen reste pas moins que lon discerne chez Durkheim comme chez Max Weber lidée que le sens commun entraîne sur le long terme une sélection rationnelle des institutions et des pratiques qui engendre, souvent à lissue de conflits prolongés, des progrès dans la vie de la Cité. On retrouve donc chez eux, comme on pourra le voir aussi chez Rawls (fiction du voile de lignorance), lidée que le bon sens et le sens commun tendent à simposer sur le long terme, dans les sociétés démocratiques du moins : celles où le poids du spectateur impartial ne peut être négligé par les responsables politiques. I/ Le « spectateur impartial » fait face à des phénomènes de plusieurs types 1) Le public ne réprouve que des formes dinégalités bien précises Bien quil soit souvent tenté par légalitarisme, il napplique cependant léquation inégalité = injustice, quà certaines des formes dinégalités. Cest que les sentiments de justice ou dinjustice suscités par telle ou telle forme dinégalités lui sont inspirées par des raisons ayant de bonnes chances dêtre approuvées par le spectateur impartial. Ainsi : les inégalités fonctionnelles ne sont pas perçues comme injustices, car le public admet fort bien que les rémunérations soient indexées fans une mesure acceptable sur le mérite, les compétences ou limportance des services rendus. ne sont pas perçues non plus comme injustes les inégalités qui résultent du libre choix ces individus. La rémunération des vedettes du sport ou du spectacle est considérée sans doute comme excessive mais non comme injuste par la raison quelle résulte de lagrégation de demandes individuelles de la part de leur public. en principe, il faut que, à contribution identique, la rétribution soit identique. Mais on ne considère pas comme injuste que deux personnes exécutant les mêmes tâches soient rémunérées différemment selon quelles appartiennent à une entreprise florissante ou non, à une région économiquement dynamique ou non. on ne considère pas comme injuste une différence de rémunération concernant des activités incommensurables. Ainsi, on conçoit bien quil est difficile de déterminer si le spécialiste en climatologie doit être pus ou moins rémunéré que le directeur dun supermarché. on ne considère pas comme injustes des inégalités dont on connaît mal lorigine, dont on ne peut en particulier déterminer si elles sont fonctionnelles ou non. Or, la distribution des revenus mêle des inégalités dorigines diverses. On ne peut donc conclure par exemple du fait quelle est plus inégale en France aujourdhui quhier à supposer quil en soit ainsi que la société française soit devenue plus injuste. on considère en revanche comme injustes toutes les inégalités perçues comme des privilèges. Ainsi les parachutes dorés que certains chefs dentreprise se font octroyer sont particulièrement mal perçus. Mais aussi les privilèges en matière de retraite des agents du public par rapport au privé ou ceux de professions particulières. Lopinion en septembre 2007 de déclare favorable à 68% dans un sondage, à 75% dans un autre (60% en 2006) à labolition des régimes spéciaux de retraite : le spectateur impartial éclairé comprend bien que léquité lexige. 2) Le public nest pas sans réaction devant les phénomènes institutionnels Premier exemple : limpôt sur le revenu Aujourdhui un consensus très général sest établi sur lidée que limpôt sur le revenu est une bonne chose, et quil doit être modérément progressif. Si un consensus a fini par sétablir sur ce point, cest quil est fondé sur un système de raisons solides quapprouverait le spectateur impartial. On peut, à la suite de Stein Ringen, dans What democracy is for (Princeton University Press, 2007), présenter succintement ce système de raisons de la manière suivante. Les sociétés modernes sont grossièrement composées comme Tocqueville lavait déjà remarqué, de trois classes sociales. Celles-ci entretiennent entre elles des relations à la fois de coopération et de conflit évidemment incompatibles avec le modèle à somme nulle de la lutte des classes, comme on peut le noter en passant. Ces classes sont les suivantes : 1) les riches, qui disposent dun surplus significatif éventuellement convertible, notamment en pouvoir politique ou social ; 2) la classe moyenne, qui ne dispose que dun surplus limité, insuffisant pour être converti en pouvoir politique ou social ; 3) les pauvres. La cohésion sociale, la paix sociale, le principe de la dignité de tous impliquent que les pauvres soient subventionnés. Par qui ? Au premier chef, par la classe moyenne, en raison de son importance numérique. Mais la classe moyenne naccepterait pas dassumer sa part si les riches ne consentaient pas à participer de leur côté à la solidarité à un niveau plus élevé. Doù la nécessité dun impôt progressif et supportable par les riches faute de quoi ils pourraient avoir recours à lévasion fiscale. On peut donc estimer à bon droit que le consensus quon observe ici sest formé sur la base darguments convaincants ayant vocation à être accepté par le sens commun. Une fois suffisamment informé, le citoyen quelconque, quelle que soit la classe à laquelle il appartient lui-même, devrait accepter lidée dun impôt sur le revenu modérément progressif. La force du raisonnement comporte une promesse de consensus et dirréversibilité. Second exemple : léquilibre des pouvoirs. Dans la recherche de cet équilibre, il ne sagit plus seulement de limiter les uns par les autres les pouvoirs chers à Montesquieu, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais lensemble des pouvoirs qui naissent dans les sociétés modernes. Ainsi le caractère essentiel de toute société démocratique exigeante est quelle sefforce de limiter la conversion illégitime du pouvoir économique en pouvoir politique. Le spectateur impartial exige aussi de combattre la conversion du pouvoir bureaucratique en pouvoir politique. Mais cest en fait la conversion illégitime de toutes les formes du pouvoir entre elles que le spectateur impartial voudrait voir freinée. Réciproquement, tout état de chose faisant apparaître une absence de considération pour le principe de la séparation des pouvoirs ou révélant un phénomène de conversion illégitime de lune des formes du pouvoir dur une autre serait et est en fait désapprouvée par le spectateur impartial. Ainsi en est-il pour tous les observateurs attentifs du système de décision collective caractérisant lenseignement français. Il est illustratif de la conversion en pouvoir politique du pouvoir social au sens où, dans Mémoire sur le paupérisme, Tocqueville prenait déjà cette expression. En effet, on a affaire dans ce cas à une structure du pouvoir reposant sur un système de cogestion entre des organisations qualifiées de représentatives et les autorités politiques. Les syndicats denseignants, élément central de ces organisations, ont une fonction parfaitement légitime, celle de défendre le personnel enseignant. On ne doit donc pas sétonner quils adoptent spontanément une attitude corporatiste sur bien des sujets, puisque celle-ci résulte de leur rôle même. Il en résulte une conversion illégitime du pouvoir social en pouvoir politique qui heurte à la fois la rationalité axiologique et la rationalité instrumentale. Cest Mancur Olson qui a identifié la cause primordiale de ce phénomène : lorsquun petit groupe organisé cherche à imposer ses intérêts, sa volonté ou ses idées à un groupe non organisé, dans des conditions générales, il peut le faire, puisque les membres du grand groupe vont avoir tendance à adopter une stratégie de cavalier seul : à compter sur les autres pour exercer des pressions visant à faire changer davis le petit groupe organisé. En dautres termes, chacun espère pouvoir bénéficier dune action collective quil appelle de ses vux sans avoir à en assumer les coûts. Doù il sensuit que laction collective du grand groupe contre le petit a de fortes chances de ne pas avoir lieu. Ce phénomène explique encore que des minorités agissantes puissent chercher à imposer au public, des idées que celui-ci ne partage pas : cest lorigine du phénomène du « politiquement correct » par lequel des groupes ou des réseaux paraissent en mesure de faire passer leur vérité pour la vérité. Le retard pris par la France sur ses voisins sur bien des sujets résulte de ce mécanisme. Il joue moins en Allemagne ou au Royaume-Uni où le Parlement et à travers lui lopinion font office de bouclier contre les intérêts particularistes et où les syndicats, étant plus représentatifs, doivent davantage tenir compte de lopinion de leurs mandants et sen tiennent plus étroitement quen France à leurs fonctions syndicales sans chercher à empiéter sur le pouvoir politique. En résumé, une ligne daction politique essentielle simpose aux démocraties, à devoir approfondir léquilibre des pouvoirs et plus précisément à chercher à limiter les phénomènes de conversion illégitime des diverses formes du pouvoir entre elles. Le pouvoir administratif peut être limité par des agences dévaluation indépendantes, le pouvoir exécutif par un renforcement du pouvoir législatif et une affirmation de lindépendance du pouvoir judiciaire, le pouvoir médiatique par un renforcement du pouvoir politique. Si lon se lamente moins sur limportance du pouvoir médiatique en Allemagne quen France, cest que le pouvoir politique et le pouvoir social sy exercent dune manière moins voyante et moins médiatisée peut-être, mais plus efficace. 3) Le public est sensible aux phénomènes dévolution Premier exemple : ladoucissement tendanciel des peines Durkheim observe que lévolution des sanctions pénales dans les sociétés occidentales se caractérise par un adoucissement séculaire. Des catégories toujours plus nombreuses dagissements sont dépénalisées. Elles sont soustraites au droit pénal et traitées comme relevant du droit civil. Deuxième exemple : lévolution des murs Les différents mouvements, loin dêtre une conséquence de mai 1968, nont en fait quexprimé et accéléré une tendance à long terme à la rationalisation des attitudes à légard de lautorité, de la religion et de la morale. Quant à lagent principal de ce processus de rationalisation, cest encore le spectateur impartial. On observe distinctement ces processus de rationalisation à luvre sur le moyen terme, à partir de la grande enquête réalisée en 1998 par laméricain R. Inglehart sur les valeurs du monde. On y observe une tendance générale pour les plus jeunes et les plus instruits à approfondir les institutions démocratiques de façon à ce que le pouvoir politique respecte mieux le citoyen, à définir de nouveaux droits, à affirmer les droits de minorités au nom de la liberté de revendiquer des identités diverses, à reconnaître la complexité des processus politiques et à écarter les idéologies simplistes. Les réponses aux questions relatives à lautorité font apparaître, des anciens aux jeunes, des moins instruits aux plus instruits, une tendance quon peut décrire à laide des catégories wébériennes familières : tendance à laffirmation dune conception rationnelle de lautorité et déclin des conceptions traditionnelle et charismatique. On accepte lautorité mais on veut quelle se justifie. Les questions relatives à la religion elles-mêmes font apparaître un processus de rationalisation : il se révèle à ce quon reconnait de plus en plus fréquemment dune génération à la suivante un certain nombre de vérités, à savoir : 1) que rien ninterdit à lêtre humain de se poser des questions métaphysiques sans une réponse définitive possible (Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Quel est le sens de la vie ? De la mort ?) et auxquelles les religions fournissent une réponse quelles présentent elles-mêmes comme relevant de la foi ; 2) quil est impossible de démontrer que la réponse daucune des grandes religions est préférable à celle des autres ; 3) que par suite le respect à légard de tous les systèmes de croyances religieuses est le seul principe compatible avec la valeur fondamentale du respect de lautre. Il suit aussi de ces notions que la séparation des pouvoirs spirituel et temporel est une bonne chose. Les enquêtes montrent que cette proposition simpose en effet de plus en plus fermement dans les esprits dune génération à la suivante. Les questions relatives à la morale témoignent du même processus de rationalisation. Du groupe le plus ancien au plus jeune et du groupe le moins instruit au plus instruit, on tend de plus en plus à soutenir quune morale fondée sur le principe cardinal que tout ce qui ne nuit pas à autrui doit être permis. On croit à la distinction entre le bien et le mal, mais à mesure quon descend dans les catégories dâge et quon monte dans les catégories dinstruction, lon pense de moins en moins quelle puisse résulter de lapplication mécanique des principes. On veut reconnaître les raisons qui font quun état de choses ou un comportement peut être jugé bon ou mauvais. Cela indique que les systèmes déducation sont dimportants vecteurs de rationalisation diffuse quillustrent les données en question : que le spectateur impartial est dautant plus actif quil est plus éclairé et que son regard peut se poser par-delà les aléas de la conjoncture et du contexte. II/ Le contexte observé par le spectateur impartial Le spectateur impartial est à même dobserver que les voisins immédiats de la France ont mieux réglé le problème de la dette ou celui des retraites engendré par le vieillissement de la population , ne connaissant guère les incendies de voiture et les mouvements de rue, ne voient pas leur jeunesse émigrer, ont un taux de chômage plus faible et un niveau de vie plus élevé, disposent dun nombre satisfaisant de magistrats ou ont des prisons plus décentes. Pourtant la France et ses voisins immédiats appartiennent au même environnement économique et politique. La cause première des singularités indésirables de la France réside dans létiolement qui la caractérise depuis un demi-siècle de la démocratie représentative. La notion de démocratie participative ne fait, elle, quajouter à la confusion. Quant à lidée selon laquelle nous serions entrés dans lère de la démocratie médio-cratique et que le politique serait jugé par le public sur son image plus que sur ses résultats, il sagit dune billevesée. Il faut dire quà la différence des grands auteurs tels que Montesquieu, Adam Smith, Rousseau, Tocqueville ou Max Weber, les analystes modernes du comportement humain ont tendance à voir lhomme soit, pour parler comme Amartya Sen (voir What democracy is for Princeton University Press, 2007), un imbécile rationnel, aveugle à tout ce qui nest pas ses intérêts immédiats, soit, ajoute R. Boudon, un imbécile irrationnel manipulable à merci par la com. Le spectateur impartial est aussi à même dobserver que certaines démocraties modernes tendent à devenir démocraties de compromis : quelles reposent sur une vision du gouvernement réduisant son rôle à celui dun arbitre des groupes dintérêt ou dinfluence et généralement des minorités agissantes. Or, il nest clairement pas souhaitable du point de vue de lépanouissement de la démocratie que le « dialogue » entre lexécutif et les représentants des minorités actives tende à réduire à peu de chose les représentants de la nation et celui de lopinion publique, et que lon sécarte ainsi des principes de base de la démocratie représentative. Le fait que la notion de « démocratie dopinion » soit couramment affectée dune coloration négative est à cet égard un symptôme alarmant. Comme lest le fait que la philosophie politique « avancée » voie dans la manifestation anarchique de demandes particulières en provenance des minorités agissantes et des groupes dintérêt ou dinfluence un passage à une démocratie « participative » censée correspondre à « lâge de la défiance » dans lequel nous serions entrés. En fait, il importe plutôt de souligner que cest lopinion publique (comme le révèle la pratique des sondages) qui est le partenaire principal des acteurs politiques et non les minorités agissantes. (R. Boudon, à propos du rôle néfaste des minorités pour la vie démocratique na pas manqué de déplorer la pression exercée par les agents de Gaz de France sur les parlementaires qui les a conduits à faire obstruction au débat par le dépôt de 100.000 amendements.) Le spectateur impartial a aussi conscience de la nécessité dune politique rationnelle. Dans ses écrits de 1835 sur le paupérisme, Tocqueville avait déjà indiqué les risques que comportait une politique sociale plus compassionnelle que rationnelle. Autant il est nécessaire pour la cohésion sociale dapporter de laide au citoyen en difficulté, autant il est négatif pour la collectivité et pour lui-même den faire un assisté. Car on le prive alors de sa dignité et lon prive la collectivité du produit du travail quil pourrait accomplir. Il est aisé dobserver, grâce à linfluence du spectateur impartial, une évolution tendant à substituer une politique rationnelle à une politique compassionnelle, non seulement en Scandinavie, mais en Allemagne avec les mesures dites Hartz IV ou au Royaume-Uni avec le nouveau New Deal de Tony Blair. III/ La création dun observatoire national représentatif du « Spectateur impartial » Comment rendre utiles les prises de conscience de ce spectateur digne déloges ? On a jusqualors souhaité enregistrer et si possible apaiser les plaintes des citoyens vis-à-vis de ladministration, en créant lombudsman. Il sagirait donc de faire appel à une nouvelle personnalité pour constituer ce nouvel observatoire dont le regard aurait à se poser sur le monde pour recueillir des informations essentielles et ouvrir des voies de progrès. À titre dexemple, les constats en responsabilité devant lillettrisme et léchec scolaire, pourraient être utilement authentifiés par ses soins pour quenfin soient proposées des solutions consensuelles. Quant à savoir comment cette instance sera établie, et légitimée, cest une question que, comme pour la Cour de légitimité dexercice, lon peut facilement résoudre. CONCLUSION Nous souhaitons, pour conclure, cerner la démocratie dans son acceptation du conflit dune part, et dans son rejet de la violence, dautre part. La philosophie politique, comme le rappelle Zarka, « nous a appris depuis longtemps que le conflit révèle quelque chose de lessence même du politique
Sil ny avait que sympathie, solidarité et harmonie spontanée entre les hommes, il ny aurait tout simplement pas de politique. Dun autre côté, le conflit est ambivalent, il peut être surmonté par le compromis et laccord ou déboucher sur la violence. Double mouvement par lequel la démocratie marginalise la violence et celui par lequel la violence vient lobséder en son cur : la démocratie serait alors le régime qui laisse libre cours au conflit, mais ne supporte pas la violence ». Faut-il rappeler que ce nest pas dans ce qui rapproche lhomme de lanimal quil faut chercher la condition existentielle du conflit mais ce qui len sépare. Cette condition, précise Zarka, « réside dans ce qui permet à lhomme de se détacher du présent immédiat, de concevoir lavenir et de sen inquiéter », de saffirmer homo loquax (lhomme qui parle), si différent de toutes les autres créatures. Il appert que Platon et Aristote avaient déjà vu en quoi la parole modifie ontologiquement lêtre humain dans son désir, ses passions, sa nature et ses relations. Mais au dire de notre auteur, « cest Thomas Hobbes qui la montré le plus profondément dans son Léviathan. Les conflits de lhomme sont dune autre nature que les conflits des animaux, parce quils ont à leur principe une ambivalence que le langage inscrit dans la condition de lhomme : dire la vérité ou mentir, montrer ou dissimuler, être ou paraître. Le conflit et la politique senracinent donc dans lêtre même de lhomme comme être parlant ». Mais cest aussi, il faut lavoir en tête en permanence, que cest cette capacité de parler qui lui permet de mettre fin au conflit. La dérive du conflit en violence ou en guerre, poursuit Zarka, « a aussi quelque chose à voir avec la parole : violence symbolique ou violence physique, selon quelle passe par la parole ou en est la suspension. Cest pourquoi, la violence comme le conflit, a quelque chose à voir avec lessence du politique. Il est possible de la maîtriser, de la contrôler, mais impossible à éradiquer. Toujours possible, voire imminente, il convient donc dappliquer les procédures qui doivent lempêcher de se donner libre cours ». [1] Cf. Yves Charles Zarka, Kant cosmopolitique, Paris, LEclat, 2008, préface p. 7-9. [2] Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Cours au Collège de France, p. 23. [3] Cf. Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. [4] Cf. Y. Ch. Zarka, « Le tournant rousseauiste ou la réinvention de la souveraineté du peuple », in Penserlasouverainetéàlépoquemoderne,sous la dir. de Gian Marco Cazzaniga, Vrin, p. 287-303. [5] Rousseau, Le contrat social, I, 5 in uvres complètes, Paris Gallimard, tome 3, 1959, p. 359. [6] Ibid., I, 4, 373. [7] Ibid., I, 7, 363. [8] Principes de politique, éd. de 1815. [9] Paris, Seuil, 2008. Date de création : 13/09/2011 @ 15:37 Réactions à cet article
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