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Sociologie - Le lien social (2)
LE LIEN SOCIAL (2) Extraits de « Le lien social et la personne » de Jean-Michel Le Bot La personne Lautonomie de lacteur Lêtre humain nest pas seulement un sujet socialisé, dont la personnalité se constitue sous linfluence de lenvironnement social. Il est également un acteur, auteur de sa propre histoire. La plupart des sociologues actuels insistent à juste titre sur cette fonction dacteur. Parler de lêtre humain comme dun acteur social, cest ici mettre laccent sur son autonomie (a). Lêtre humain, dirons-nous encore est autonome. Cette notion dautonomie est, par exemple, au cur de la sociologie de Michel Crozier et dEhrard Friedberg dans « Lacteur et le système » (1977), qui partent de trois postulats : 1) Les hommes nacceptent jamais dêtre traités comme des moyens au service des buts que les organisateurs fixent à lorganisation. Autrement dit, ils nacceptent jamais dêtre instrumentalisés. Chacun a ses objectifs et ses buts propres. 2) Dans une organisation, tout acteur conserve une possibilité de jeu autonome quil utilise plus ou moins. Ces autonomies se combinent dans des jeux de pouvoir, le pouvoir central tentant de contrôler lautonomie des acteurs qui, à leur tour, tentent de lui échapper. 3) Dans ces jeux de pouvoir, les stratégies sont toujours rationnelles, mais dune rationalité limitée. La rationalité ici signifie que les acteurs cherchent à satisfaire au mieux leurs intérêts (rationalité instrumentale). Mais ces postulats ne sont précisément que des postulats, cest-à-dire des propositions quil sagit dadmettre comme vraies, sans démonstration. On peut éventuellement présenter ces postulats comme des constats empiriques Friedberg, 1997), sans que la situation en soit fondamentalement changée : la démonstration reste absente. Il est vrai que labsence de démonstration, en soi, nest pas critiquable. Dans la mesure où elle savère orientée vers la découverte (quelle est heuristique), la démarche qui consiste à partir de postulats pour fonder une théorie scientifique est légitime. En effet, on peut considérer quen sciences, seul compte le caractère heuristique : toute démarche est bonne qui favorise la compréhension du monde. Comme Crozier, nous admettrons volontiers que lhomme se caractérise par son autonomie, par sa marge de manuvre, même dans les pires conditions. Comme lui, nous dirions volontiers que le pouvoir est pour quelque chose dans cette autonomie et comme lui, nous serons plutôt daccord à quelques réserves terminologiques près pour affirmer que l« identité » le rapport de soi à soi par lequel on se définit soi-même nest pas sans rapport avec ce pouvoir. Seulement, nous ne pouvons pas nous contenter de postuler cette autonomie, ce pouvoir et cette « identité », ni même de les constater ; il faut expliquer comment ils sont possibles et comprendre ce qui les fonde en lhomme. Or, cette autonomie de lacteur, au sens où Crozier et Friedberg lentendent est en lien direct avec le fait que la réalité sociale, comme le dit Bourdieu, est structurée, cest-à-dire quelle se présente comme un monde de « différence », « décart », de « trait distinctif », dont les propriétés sont des propriétés relationnelles, « qui nexistent que dans et par la relation avec dautres propriétés ». Mais pour sortir de cette aporie qui consiste à remonter de structures structurées à structures structurantes, en structures déjà là, il faut avec Lacan, poser lhypothèse dune capacité de structuration ex nihilo. Cest justement ce que fait le concept de la médiation avec le concept de personne. Bourdieu insiste à juste titre sur « le poids démesuré des premières expériences » dans les anticipations ultérieures de lhabitus. Mais que lenfant se trouve demblée dans lhistoire et les usages sociaux (dont il simprègne et constitue son habitus) ne permet pas, autrement que par cette régression à linfini, de rendre compte du caractère structurel de la réalité sociale, qui se définit par des relations et non par des « essences » ou des « substances ». Or, il se passe quelque chose aux environs de la puberté qui permet de mieux cerner cet ex nihilo dont parlait Lacan. Ce nest pas pour rien dailleurs que Peter Berger et Thomas Luckmann, qui sinspirèrent beaucoup de George Herbert Mead ont cru bon de distinguer une socialisation primaire (dans lenfance) et une socialisation secondaire : « La socialisation primaire est la première socialisation que lindividu subit dans son enfance, et grâce à laquelle il devient un membre de la société. La socialisation secondaire consiste en tout processus postérieur qui permet dincorporé un individu déjà socialisé dans de nouveaux secteurs du monde objectif de sa société (Berger et Luckmann, 2006). Berger et Luckmann parlent aussi dune abstraction progressive qui permet par exemple de passer de « maman est fâchée contre moi maintenant » à « maman est fâchée contre moi chaque fois que je renverse la soupe ». Cest cette abstraction des rôles et des attitudes que Berger et Luckmann désignent, à la suite de Mead, en parlant dautrui généralisés. Mais ce qui caractérise la socialisation secondaire, ce nest plus seulement « labstraction progressive » mais le fait quil puisse y avoir des « problèmes didentification « et de « choix des autrui significatifs » qui lui sont imposés (b). Citons Berger et Luckmann : « Lenfant nintériorise pas le monde de ses autrui significatifs comme un monde possible parmi beaucoup dautres. Il lintériorise comme le monde, le seul monde existant et concevable, le monde tout court. Cest pour cette raison que le monde intériorisé au cours de la socialisation primaire est tellement plus incrusté dans la conscience que le monde intériorisé au cours de socialisations secondaires. Même si le sens originel du caractère inévitable de ce monde peut être affaibli par des désillusions ultérieures, le souvenir dune certitude qui ne se répètera plus la certitude de la première émergence de la réalité adhère encore au premier monde de lenfance. La socialisation primaire accomplit ainsi ce quon peut considérer (après coup bien sûr) comme le plus important tour que la société joue à lindividu faire apparaître comme nécessaire ce qui nest en fait quun paquet de contingences et ainsi rendre signifiant laccident de sa naissance ». Et de conclure : « Le monde de lenfance est massivement et indubitablement réel ». Cest tout ce qui différencie le monde de lenfant du monde de ladolescent. La socialisation secondaire, de ce point de vue, ne peut être définie seulement, comme le font Berger et Luckmann, en termes de confrontation à des « sous-mondes » institutionnels liés à la division du travail. Elle est confrontation à larbitraire de la loi et des usages sociaux. Le « sceau » de la puberté. Cest au moment de la phase pubertaire que la psychanalyse est en mesure détudier la « formation du domaine symbolique ». Lucien Israël, disciple de Lacan, dans Le Désir à lil, 1994, a cherché à montrer limportance de cette métamorphose pubertaire : « Cest au moment de la puberté, où tout le passé prépubertaire va changer de signe, que se constitue tout ce qui va être le réel Cest au moment de la puberté que le langage infantile est remplacé par celui enseigné par ladulte ; cest à ce moment que lenfant va découvrir la véritable mesure et les applications. Du même coup, tout ce qui a fonctionné auparavant avec la même terminologie, les mêmes mots, va basculer dans un passé mythique, dans un monde mythique. Tous les mythes dipiens sont en fait des mythes que non seulement lon peut retrouver par reconstruction pénible et laborieuse dans la petite enfance mais aussi dans toute la période prépubertaire, dans toute cette période de latence. La langue change, même si les termes sont les mêmes. Ils nont plus ni la même portée ni la même désignation ni la même signification. A partir de ce moment où les termes sont marqués su sceau de la puberté, le sujet va se détacher de ce monde des objets infantiles et de se détacher même ou essayer de le faire du langage qui nétait plus un langage infantile mais simplement du langage de pré-pubère ou dimpubère. Cliniquement, cest quelque chose qui se repère, ces changements dans le langage parlé ou dans le langage écrit au moment de la puberté. Combien de filles, combien de garçons, à ce moment-là décident brusquement de changer décriture [de signature], de choisir dans la série de prénoms dont ils ont été affublés à la naissance, un autre prénom, tout ceci vient à marquer le changement dans lordre de la langue et du langage ». Que faut-il donc entendre par « sceau de la puberté » ? Quest-ce quIsraël désigne en ces termes ? Sagit-il comme chez Anna Freud, dun accroissement de lénergie vitale qui est à lorigine des manifestations de linstinct sexuel (libido) et de son organisation sous le primat de la fonction génitale (cest-à-dire en définitive en vue de la reproduction), dans le cadre des transformations anatomiques et physiologiques qui marquent alors le corps, où sagit-il dautre chose ? Tout, dans la formulation dIsraël, conduit à opter sans aucune hésitation pour cette seconde solution : que lintérêt de la phase pubertaire pour la psychanalyse résulte de son rôle capital dans la formation du domaine symbolique, que le « sceau de la puberté » soit défini comme constitutif du réel, cest-à-dire de quelque chose de perdu, que le moment de la puberté soit défini comme celui où trouve sa place la question du réel et de leffet spécifique du langage (Spaltung) ; moment, au point de vue sociologique de laccès à la personne, rupture radicale à partir de laquelle lenfance apparaît comme une « protohistoire » (Gagnepain, 1991). Cest dans ce cadre que se situe ce que Gérard Bonnet dans « Voir, Être vu », 2006, appelle les perversions transitoires de ladolescence, qui ne signifient en rien que ladolescent qui manifeste à un moment donné tel ou tel comportement (dapparence voyeuriste, exhibitionniste, fétichiste ou encore sadique ou masochiste) deviendra par la suite un pervers pathologique. « Ce qui excite au plus haut point ladolescent, ce nest pas tant le sexe à proprement parler, cest le sexuel présent dans tous les messages qui lont intrigué autrefois. [ ] Cest donc le sexuel de lautre, le sexuel dont il a été marqué et qui la séduit en profondeur pendant toute lenfance quil cristallise ainsi et avec lequel il est prêt à se confondre au point de disparaître avec lui si sa pratique néveille aucun écho. En lexhibant dune manière ou dune autre, ladolescent recherche leffet qui lui prouvera que la chose existe et que par conséquent, il existe lui aussi ». Cest probablement la première raison dêtre de la perversion transitoire : instaurer dans la réalité le temps « auto » sans lequel il nest pas de plaisir et de partage possible. Il sagit autrement dit de sapproprier la sexualité, den opérer une « prise » qui pourra ensuite être réinvestie dans des relations. Accéder à la personne, cest ne plus vivre dans lhistoire des autres Pour la théorie de la médiation, la personne est la faculté danalyse à laquelle lêtre humain accède aux environs de la puberté et par laquelle il acculture aussi bien sa sexualité que sa génitalité entendues respectivement comme rapport entre les membres de lespèce sur la base de la différence et de la complémentarité des sexes (sexualité) et mise au monde et prise en charge des petits par les adultes (génitalité). Capacité de poser des frontières différentielles autant que segmentaires, la personne introduit une rupture radicale avec lêtre-au-monde caractéristique de lenfance. Lenvironnement de ladulte qui a émergé à émergé à la personne et donc à une radicale excentration nest plus celui de lenfant, qui nest dans lhistoire que par procuration, porté par ses autrui significatifs (Mead, 2006). Cette rupture est dailleurs entérinée, dans de nombreuses civilisations, par les fameux rites de passage auxquels les ethnologues, à la suite de van Gennep, ont accordé une grande attention. Cette rupture confronte brutalement ladolescent à larbitraire de la loi et des usages sociaux dont il détient désormais le principe et quil se trouve en position de devoir assumer. Accéder à la personne, cest donc ne plus vivre dans lhistoire des autres, mais devenir acteur de sa propre histoire, accéder à lhistoricité, définie comme production dhistoire et de socialité. Cette conception est bien illustrée par le personnage dAntigone dans la tragédie de Sophocle : sopposant à Créon et à son édit, par fidélité à la filia familiale, elle veut que son frère Polynice mort dans son combat avec Etéocle, ait une sépulture digne dun être humain. Cette opposition, si elle la condamne à mourir, fait montre de son autonomie, oppose sa propre loi à celle de Créon. Cest grâce à cette indépendance, à cette autonomie possible, quelle peut faire des histoires, cest-à-dire, en définitive, contribuer à faire lHistoire. Ceci étant dit, laccession à la personne nefface pas lhéritage de la socialisation primaire. Lenfance et avec elle toute lhistoire incorporée constitutive de lhabitus ne sont pas annulées mais persistent en chacun comme dimension, ou phase, dune dialectique de divergence et de convergence qui se met en place. En tant que tels, ils devront désormais être assumés. Didier Hascoët déclare quil « est possible de parler daspiration à une identité sociale qui nimplique pas une renonciation à son être social dorigine, à son habitus ». Laccès à la personne, en effet, sil nimplique pas un renoncement à lêtre social dorigine, implique par contre que celui-ci soit désormais assumé dans cette « aspiration à une identité sociale » qui apparaît à ladolescence. Et chacun sait que cela ne va pas toujours sans difficultés. La personne comme interlocuteur Dans lhistoire de la pensée occidentale on peut distinguer deux grandes définitions de la personne : la personne comme hypostase (c) et la personne comme interlocuteur, qui intéresse plus directement le sociologue. La personne comme interlocuteur renvoie à la capacité de « répondre de » autrement dit à la responsabilité, dans le cadre dune relation du je de celui qui parle, du tu de celui à qui lon parle, du il/lui/elle de celui ou celle dont on parle (Théry, « La distinction de sexe », 2007). Cette personne comme interlocuteur possible, responsable (« ce qui répond de ») ne peut être pensée de façon isolée : « il y a des interlocuteurs dans un dialogue, des personnages dans une action tragique, des capacités supplémentaires sur la scène du droit ». Elle est plurielle en tant quelle renvoie « à la distinction/relation des personnes dans une action commune ». Ainsi, en droit des contrats, il ny pas de débiteur sans créancier, pas de locataire sans bailleur, pas dacheteur sans vendeur, pas demprunteur sans prêteur. Le droit définit dans un même mouvement les deux partenaires de la relation. Partant de là, Irène Théry, dans « La distinction de sexe », 2007) écrit : « Pour quil y ait des histoires quon raconte, des questions quon pose, et des gens pour y répondre, il leur faut dabord que soit instituée la pratique de linterlocution, que nul ne peut inventer par lui-même, pas plus quil ninvente sa langue maternelle. Pour y être enseigné, il faut un monde préexistant, auquel on apprend à participer. Cest pour avoir cherché à se passer de ce monde en transposant le je de linterlocution dans lhypostase dun moi intérieur par définition séparé de tout contexte que Locke a transformé la singularité individuelle en une énigme insoluble, qui est aussi lune des utopies les plus puissantes de lindividualisme : le rêve insensé dune première personne absolue ». Cette formulation peut paraître durkheimienne : linstitution de linterlocution y précède de façon logique, aussi bien que chronologique, laccession à la personne et à la responsabilité. Mais cette insistance sur linstitution préalable de linterlocution ne suffit pas pour répondre à la question de Locke. En effet, il ne suffit pas, pour devenir une personne, dêtre pris dans un jeu de relations sociales ou dinterlocution. Il faut être capable de maîtriser ce jeu. Cest encore une fois, tout lenjeu de la puberté. Lenfant, comme lont vu Berger et Luckmann, est pris dans des relations avec des autrui significatifs ou généralisés quil ne choisit pas : « Comme lenfant ne dispose pas du moindre choix des ses autrui significatifs, son identification à ces derniers est quasi-automatique. Pour la même raison, son intériorisation de leur réalité particulière est quasi-inévitable » (Berger et Luckmann, 2006). La question nest dailleurs pas seulement celle du choix. Elle est celle dune absence de conflictualité, celle dun monde et dusages sociaux qui vont de soi. Si, comme il a déjà été dit, lenfant intériorise le monde tout court, « ladolescent au contraire découvre larbitraire de la loi et des usages sociaux avec lesquels il va pouvoir entrer en conflit. Il nest plus simplement pris dans les relations. Il montre par son comportement de contestation ou démancipation plus ou moins marqué quil entend désormais maîtriser ces relations ». Mais quelles sont-elles ? Gagnepain distingue en effet deux faces du lien social : lacculturation de la sexualité définit des alliances (il parle ici de classe ou de nexus nud, lien, mais aussi létreinte ou lobligation), alors que lacculturation de génitalité définit des compétences (il parle ici de métier ou de munus le devoir, la charge, loffice, le service rendu, mais aussi le don, le présent). Une courte réflexion autour des concepts didentité et daltérité en français est opportune. Si je dis : « Passe-moi une autre assiette ! », quest-ce à dire ? Sagit-il dune autre assiette de même type ou dun type différent ? Le contexte permet le plus souvent de décider, mais la langue française nest pas très précise de ce point de vue ; alors que le latin faisait la distinction entre alter (lautre supplémentaire) et altus (lautre différent) (d). Il convient ainsi de distinguer deux logiques : une logique qualitative, celle du « ou bien » (celle des identités et des différences, des ressemblances et des dissemblances) qui permet de définir dans la différence des identités sociales : jeune ou bien vieux, riche ou bien pauvre, blanc ou bien noir, etc. une logique quantitative, celle du « et » (celle des unités et des suppléments, celle des dépendances ou des indépendances) qui permet de définir dans la séparation des unités sociales : un foyer fiscal et un deuxième foyer fiscal, un ménage et un deuxième ménage, un groupe et un deuxième groupe, etc. Ainsi, pour maîtriser les relations sociales, il nous faudra poser des frontières différentielles qui définissent des identités sociales et de poser des frontières quantitatives ou segmentaires qui définissent des unités sociales, cela aussi bien en matière dappartenances que de compétences (niveaux de responsabilité), tant différentielles (qualitatives) que segmentaires (quantitatives). Le tableau ci-dessous présente ces différents classements de façon synthétique. Linstanceperformance renvoie à la façon dont nous réinvestissons ce découpage dans des situations, en relation avec les autres. renvoie au découpage implicite, sans que chacun dentre nous en ait pleinement conscience, la Instance Performance partie (divertissement) La personne est ainsi définie par Jean Gagnepain comme une capacité mentale de structuration ou danalyse des relations sociales. A la suite de Georg Simmel, la théorie de la personne fait ainsi lhypothèse dune « forme sociale », reposant non plus sur lantagonisme du singulier et du pluriel , mais sur les rapports dialectiques dun processus de divergence (instance) et de convergence (performance). Jean Gagnepain parle dune dialectique ethnico-politique, lethnique désignant le processus implicite de divergence et de tracé des frontières, le politique désignant le réinvestissement de ces frontières dans des situations particulières. Lopposition de la schizophrénie et de la paranoïa montre bien cette dialectique : le premier figeant ou réifiant la tendance à la divergence et à la singularité, tandis que le second ne posant pas lui-même de frontières de compétences ne peut réaliser quune convergence pathologique. Le schizophrène sautonomise en permanence et se voit contraint de se donner un domaine de compétence ou de spécialité complètement à part que personne ne peut lui contester. A contrario, le paranoïaque ne peut plus découper lui-même un domaine de compétence ou de spécialité. Plus rien ne lui dit où commencent et se terminent ses responsabilités ; il a donc tendance, soit à vouloir tout contrôler, soit à se démettre de tout. On voit ainsi que la sociologie peut ne pas se contenter de postuler lautonomie de lacteur social, elle peut aller au-delà pour soutenir que cette autonomie est liée à une capacité mentale particulière appelée « personne » et qui devient lun de ses objets. Ainsi doit-elle rendre compte de ce qui fait de lêtre humain un acteur social. Cela passe par une démarche pathoanalytique dans le cadre dune anthropologie clinique. Une démarche pathoanalytique. Cette démarche est tout à fait centrale pour une théorie de la médiation à tel point que lon peut presque identifier théorie de la médiation et démarche pathoanalytique (sous le nom danthropologie clinique). Cette théorie de la médiation a pour principe premier « de n'accepter de dissociation théorique qu'articulée à un clivage clinique, seul à même d'introduire une résistance à l'ingéniosité logique du descripteur (thèse de doctorat de J. Laisis, 1991) ». Elle s'inscrit ainsi dans la continuité de la démarche freudienne, illustrée par la métaphore du cristal brisé : « là où elle nous montre une cassure ou une fissure, écrivait Freud, il peut y avoir normalement une articulation ». Et Pierre Karli, dans sa thèse de 1995, lorsqu'il présente la méthode de la « neuropsychologie cognitive », ne dit pas autre chose : « à partir de l'observation de semblables dissociations d'origine pathologique, on peut élaborer un modèle de l'architecture de la fonction cognitive chez le sujet humain ». Autre donnée qui nous vient de l'homme normal : celui-ci, hors de toute atteinte de certaines `lésions cérébrales frontales', n'accepte jamais, comme le dit Crozier, d'être instrumentalisé ; il dispose toujours d'une marge de jeu autonome ; lequel constat, en général, suffit à vérifier la présence du phénomène de l'autonomie chez l'homme. (a) Il nest pas sans intérêt de mettre en parallèle lélaboration de cette autonomie dans la phénoménologie dHusserl. Dans la cinquième des Méditations cartésiennes il esquisse précisément la constitution de lobjectivité complète (sens intersubjectif) à partir du domaine rigoureusement mien de la monade : solipsisme qui ne nie pas lexistence dautrui, mais décrit une existence, qui, en principe, peut se considérer comme si elle était seule. Il est clair que lego, pris concrètement, possède un univers de spécificité propre qui est à dévoiler au travers dune explicitation originale de son ego sum apodictique, explicitation elle-même apodictique ou prescrivant du moins une forme apodictique. A lintérieur de cette sphère originale (de lexplicitation originale de soi : lattestation de soi), nous trouvons aussi un monde transcendant qui surgit sur le fondement du phénomène intentionnel monde objectif grâce à la réduction de ce qui mest spécifique (au sens positif maintenant préféré) : mais toutes les apparences, fantasmes, pures possibilités, objectivités éidétiques correspondantes qui soffrent comme transcendantes, dans la mesure où elles sont soumises uniquement à la réduction à la spécificité, appartiennent aussi à ce domaine, au domaine de ce qui mest essentiellement propre, de ce que je suis moi-même dans ma pleine consécration [tout ce quatteste mon moi], ou, comme nous disons aussi dans ma monade. Il ny a pour Husserl, avant lexercice de la pensée, aucune force supérieure qui la domine. La pensée est une autonomie absolue. (b) Chez lhomme, lexistence sociale retentit sur une socialisation communicationnelle de la cognition et de lapprentissage qui sengage très tôt.Michaël Tomasello, après lavoir également remarqué chez G.H. Mead (dans LEsprit, le Soi et la Société) fait état de cette capacité socio-cognitive de lhomme à comprendre ses congénères comme des êtres agissant intentionnellement un acquis de lévolution qui sépare homo sapiens de ses parents les plus proches en le rendant apte au développement culturel. (c) Cette personne comme hypostase est une entité isolable, au même titre que le corps individuel ; elle est « une entité définie en soi par la nature rationnelle de son âme, la personne ». Elle est singulière en tant quelle renvoie à une essence définie par des qualités substantielles. Cette conception de la personne comme hypostase va être renforcée dans la pensée occidentale par Locke qui, dans ses Essais sur lentendement humain (1694), absolutise la première personne et faisant de la personne un moi enclos dans un corps. Elle débouche sur la vision de lindividu libéral, simple monade ne devant rien à personne, ainsi que sur la conception de la personne psychologique comme celle qui a un moi (intérieur) et qui est un moi. La question que Locke se posait était celle du maintien, à travers le temps, dune entité identique à elle-même malgré ses changements. Or cette question de la permanence de lêtre est tout à fait essentielle pour la présente étude ; elle était au point de départ de la réflexion de Lacan dans sa thèse de 1932 sur la psychose paranoïaque qui voyait dans cette permanence le fondement de la responsabilité. (d) De même entre idem (le même supplémentaire = la mêmeté) et ipse (le même pourtant différent= lipséité= la personnalité). Date de création : 18/02/2011 @ 14:22 Réactions à cet article
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