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Synthèses - Dieu et la double idolâtrie
DIEU ET LA DOUBLE IDOLÂTRIE Extraits de « Dieu sans lêtre » de Jean-Luc Marion Première idolâtrie Dieu pensé comme causa sui (53) Lonto-théo-logie (a) dégage, delle-même, une fonction, donc un lieu pour toute intervention du divin qui voudra se constituer comme métaphysique : le pôle théo-logique de la métaphysique détermine, dès la mise en uvre du commencement grec, un site pour ce quon nommera plus tard « Dieu ». En sorte que « Dieu ne peut alors entrer dans la philosophie que dans la mesure où celle-ci, delle-même et conformément à son essence, exige que Dieu entre en elle et précise comment il le fera » (b). Ladvenue de quelque chose comme « Dieu » en philosophie relève donc moins de Dieu même que de la métaphysique, comme figure destinale de la pensée de lÊtre. « Dieu » se détermine à partir et au profit de ce que la métaphysique peut pouvoir, admettre et supporter. Cette instance antérieure qui détermine lexpérience du divin à partir dune position considérée comme incontournable , marque un premier caractère de lidolâtrie. Il ne suffit pourtant pas encore à interpréter le discours théologique de lonto-théo-logie comme une idolâtrie. Car il convient aussi de déterminer la portée, limitée mais positive, du concept que lidolâtrie met en équivalence avec « Dieu ». Pour ce faire, nous admettrons avec Heidegger, mais aussi comme historien de la philosophie, que ce concept trouve une formule achevée, dans la modernité (Descartes, Spinoza, Leibniz, mais aussi Hegel), avec la causa sui. « LÊtre de létant, au sens du fond ne peut être conçu si lon veut aller au fond que comme causa sui. Cest là nommer le concept métaphysique de Dieu [ ]. La Ur-Sache [la chose primordiale] entendue comme causa sui [sa propre cause]. Tel est le nom qui convient à Dieu dans la philosophie » (c). En pensant « Dieu » comme causa sui, la métaphysique se donne un concept de « Dieu » qui, à la fois, en marque lexistence indiscutable et la limitation, elle aussi incontestable ; à penser « Dieu » comme une efficience si absolument et universellement fondatrice quelle ne puisse elle-même se concevoir quà partir de lessence de la fondation, et donc finalement comme le repli de la fondation sur « elle-même, la métaphysique se construit bien une appréhension de la transcendance de Dieu, mais sous la figure seulement de lefficience, de la cause et du fondement. Pareille appréhension ne peut revendiquer une légitimité quà condition de reconnaître aussi bien sa limite. Cette limite, Heidegger la dégage très précisément : « Ce Dieu, lhomme ne peut ni le prier, ni lui sacrifier, il ne peut, devant la causa sui, ni tomber à genoux plein de crainte, ni jouer des instruments, chanter et danser. Ainsi la pensée sans-dieu, qui se sent contrainte dabandonner le Dieu des philosophes, le Dieu comme causa sui, est-elle peut-être plus proche du Dieu divin. Mais ceci veut dire seulement quune telle pensée lui est plus ouverte que lonto-théo-logie ne voudrait le croire » (d). La causa sui noffre de « Dieu » quune idole, si limitée quelle ne peut prétendre à un culte et une adoration, ni même les supporter sans trahir aussitôt son insuffisance. La causa sui dit si peu du « Dieu divin » que lassimiler à celui-ci, même dans lintention apologétique de fournir une prétendue preuve, revient à énoncer une grossièreté, voire un blasphème : « Un Dieu, qui doit dabord laisser démontrer son existence, est finalement un Dieu fort peu divin, et la démonstration débouche sur ce qui est au plus haut point un blasphème » (e). [ ] Lidolâtrie tente de dire en bonne part ce que le blasphème dit en mauvaise part ; le blasphème médit que lidolâtrie simagine dire bien ; lun et lautre ne voient pas quils disent le même nom ; bien ou mal, quimporte, puisque toute la question consiste à décider si un nom propre peut sapproprier Dieu en un « Dieu » ; linconscient blasphème de lidolâtrie ne peut donc se dénoncer authentiquement quen dévoilant aussi linconséquente idolâtrie du blasphème. Cest seulement sur la base dun concept que « Dieu » sera, réfuté ou prouvé, donc aussi considéré comme une idole conceptuelle homogène au terrain conceptuel en général [ ]. Seule la métaphysique veut et peut lEns causa sui (LÊtre de sa propre cause) du nom de Dieu, parce que dabord seule la métaphysique pense et nomme la causa sui. Au contraire, « les religions », ou, pour rester précis, la religion chrétienne ne pense pas Dieu à partir de la causa sui, parce quelle ne le pense pas à partir de la cause, ni à lintérieur de lespace théorique défini par la métaphysique, ni même à partir du concept, mais bien à partir de Dieu seul, pris en tant quil inaugure de lui-même, la connaissance où il se livre se révèle. Bossuet parle dor, sous la trivialité non élaborée du propos, qui marque que « notre Dieu [ ] est infiniment au-dessus de la Cause première et de ce premier moteur que les philosophes ont connu sans toutefois ladorer » (f). Pour atteindre à une pensée non idolâtrique de Dieu, qui libère seul « Dieu » de ses guillemets en dégageant son appréhension des conditions posées par lonto-théo-logie, il faudrait donc parvenir à penser Dieu en dehors de la métaphysique pour autant que celle-ci conduit, par le blasphème (la preuve), immanquablement au crépuscule des idoles (athéisme conceptuel). Ici encore, mais au nom de quelque chose comme Dieu et non plus comme quelque chose comme lÊtre, le pas en retrait hors de la métaphysique paraît une tâche durgence, quoique non de tapage. (a) Par le concept donto-théo-logie, Heidegger met en uvre une nouvelle définition de lessence de la métaphysique ; lonto-théo-logie, par définition, ne pense jamais lêtre quen rapport avec létant et se confond avec lui. (b) Identität und Différenz, M. Heidegger Paris 1968, p.290. (c) Ibid., p. 294. (d) Ibid., p. 306. (e) Nietzsche : voir Dieu est mort in Holzwege, 1950, S. 239-240 : « Le coup le plus rude contre Dieu nest pas que Dieu soit tenu pour méconnaissable, que lexistence de Dieu soit démontrée indémontrable, mais que le Dieu tenu pour réel soit érigé en valeur suprême. Car ce coup ne provient pas de ceux qui étaient là et ne croyaient pas en Dieu, mais des croyants et de leurs théologiens, qui discourent du plus étant de tous les étants sans saviser de penser à l Être même ce qui leur ferait comprendre quun tel penser et un pareil discours sont, vus à partir de la Foi, le blasphème par excellence, une foi mêlée à la théologie de la Foi ». (f) Bossuet, Discours sur lHistoire Universelle, II, 1. Seconde idolâtrie LÉcran de lÊtre (61) [Un] autre commencement [que celui de la métaphysique] tente de penser la différence ontologique comme telle, donc de penser lêtre comme Être. Cet « autre commencement », Heidegger lui désigne une fonction et un enjeu précis, à lencontre de la différence ontologique, et ne le grève daucun caractère problématique, à venir ou fantastique. Le « nouveau commencement », qui sastreint à penser lÊtre comme tel, donc accomplit un pas en retrait de la philosophie, se réalise avec Sein und Zeit ou du moins avec sa visée. Le « nouveau commencement » tout comme les « nouveaux dieux », nappartient à nul futur , il sopère devant nous et, il faut lespérer avec nous. Et ainsi, le « nouveau commencement », qui rompt avec la différence ontologique impensée, donc avec la causa sui de lonto-théo-logie, entreprend de concevoir le « dieu divin », ou du moins ne se ferme pas à cette possibilité, mieux, louvre. On conclut donc : le « nouveau commencement », en charge de lÊtre comme Être, tente dapprocher le dieu en tant que dieu. Doù la déclaration décisive, quil nous faut maintenant, avec ses harmoniques, entendre : « Ce nest quà partir de la vérité de lÊtre que se laisse penser lessence du sacré. Ce nest quà partir de lessence du sacré quest à penser lessence de la divinité. Ce nest que dans la lumière de lessence de la divinité que peut être pensé et dit ce que doit nommer le mot Dieu » [ ] lÊtre. Cest dans cette proximité ou jamais que doit se décider si le dieu et les dieux se refusent et comment ils se refusent et si la nuit demeure, si le jour du sacré se lève et comment il se lève, si dans cette aube du sacré une apparition du dieu et des dieux peut à nouveau commencer (neu beginnen) et comment. Or le sacré seul espace essentiel de la divinité qui, à son tour, accorde seule la dimension pour les dieux et le dieu, ne vient à léclat du paraître que, lorsquau préalable, et dans une longue préparation, lÊtre sest éclairci et a été expérimenté dans sa vérité » (a). Chacun de ces textes obéit à une superposition, strictement réglée, de conditions qui simpliquent et simbriquent les unes les autres. Ainsi lÊtre détermine-t-il, par léclaircie de son retrait, des étants ; lavancée des étants, que maintient intact lÊtre (das Heile), couronne à son tour les plus préservés dentre eux de la gloire du sacré (das Heilige); mais seul encore léclat du sacré peut assurer louverture de quelque chose comme un étant divin (das Göttliche) ; et toujours la vertu seule du divin peut affréter et supporter la charge détants à ce point insignes quil faille reconnaître sur leurs visages la dace des dieux (die Götter) ; enfin, seule la tribu des dieux peut ménager et garantir un séjour suffisamment divin pour que quelquun comme le Dieu du christianisme ou un autre (seule faisant vraiment question ici la prétention à lunicité) ait le loisir de se rendre manifeste. Ces conditions imbriquées se rassemblent dailleurs toutes dans le jeu de ce que ailleurs (dans létrange conférence de La Chose) Heidegger nomme le Quadriparti ou le Carré (Geviert) dont les quatre instances, la Terre et le Ciel, les mortels et le divin, sarc-boutent, donc se confirment et se repoussent, dans une immobile et tremblante tension où chacun ne doit advenir quau combat des autres, et où leurs combats mutuels ne doivent lharmonieux équilibre de leur(s) (dé-) mêlée(s) quà lÊtre qui les convoque, mobilise et maintient. Les dieux nont à y jouer que leur part, dans un Quadriparti ; comme à peine lon peut dire que Dieu suffise à tenir le rôle des dieux, encore moins pourrait-on lenvisager soustrait au Quadriparti ; ni soustrait, ni bien sûr initiateur ou maître. La « merveille des merveilles » ne consiste pas plus en lexistence de « Dieu », quen lexistence de tout autre étant, ni même en ce que dit (métaphysiquement) « existence », mais en ceci, plus simple et donc plus difficile à penser, que létant est. Lessentiel, dans la question de « lexistence de Dieu », tient moins à « Dieu » quà lexistence elle-même, donc à lÊtre. Aussi cette question apparaît-elle, à la fin, comme déplacée à la fois inconvenante et de délogée de son site propre : la vérité sur « Dieu » ne pourra jamais venir que de ce doù provient la vérité elle-même, à savoir de lÊtre, de sa constellation et de son ouverture. La question de Dieu doit admettre un préalable, ne serait-ce que sous forme dune question préalable. Au commencement et dans le principe nadvient ni Dieu, ni un dieu, ni le logos, mais ladvenue elle-même lÊtre, dune antériorité dautant moins partagée quelle départage tout le reste puisque selon et à partir delle ne reste littéralement que des étants, et rien dautre que des étants et le rien. La question même de la primauté ontique de « Dieu » ne peut se poser quau sein de cette advenue. Mais quoi de plus décisif, dans lordre de la pensée que justement, lordre des questions qui la provoquent? Nous posons donc quici encore, une seconde fois, et au-delà de lidolâtrie propre à la métaphysique, travaille une autre idolâtrie, propre à la pensée de lÊtre en tant que tel. Cette affirmation, aussi brutale quelle puisse paraître résulte pourtant directement de lantériorité, indiscutable et essentielle, de la question ontologique sur la question ontique de « Dieu ». Cette antériorité suffit à établir lidolâtrie. Nous y apporterons cependant deux confirmations, qui permettent de lier deux dentre les moments de lidole à deux décisions de Heidegger : 1/ Lidole détermine le « dieu » à partir de la visée, donc dans un regard antérieur. 2/ Dire être/Sein ne serait tout simplement pas possible si lhomme ne pouvait accéder à la dignité de Dasein ; Dasein indique ici le propre de létant humain, qui consiste en ce quen cet étant, il y a non seulement de son être (comme le répète Sein und Zeit en 1927), mais plus essentiellement , comme Heidegger le dira en 1928, de lÊtre et de sa compréhension : « Le Dasein est un étant de telle sorte quil appartienne essentiellement à sa manière dêtre (Sein-sart) elle-même de comprendre quelque chose comme Être » (b). Lantériorité ultérieurement isolée du Sein se conquiert ici concrètement par le Dasein sur lui-même ; phénomènologiquement lantériorité de lÊtre ne peut se déployer et se justifier que par lantériorité de lanalytique du Dasein. Il faut donc admettre une antériorité absolue du Dasein, comme compréhension de lÊtre sur tout étant et sur toute enquête ontique régionale Sans doute « en interprétant ontologiquement le Dasein comme être-dans-le-monde, ne décide-t-on en rien, ni positivement, ni négativement, sur la possibilité dêtre pour Dieu », mais la possibilité même de cette indécision implique un suspens ce suspens à son tour implique, dun point de vue antérieur parce quextérieur, une visée qui suspende toute position ontique ; cette visée, le Dasein lexerce, et nul terme ne saurait paraître que visé et vu par elle. Le Dasein précède la question de « Dieu » au sens même où lÊtre détermine par avance, selon les dieux, le divin, le sacré, « Dieu », sa vie et sa mort. « Dieu » visé comme tout autre étant par le Dasein sur le mode de la mise entre parenthèses, subit la première condition de possibilité dune idolâtrie. Retrouve-t-on dans le texte heideggérien, une thèse qui confonde le premier visible avec le miroir invisible ? La pensée qui pense lÊtre comme tel ne peut et ne doit appréhender que des étants, qui offrent le chemin, ou plutôt le champ dune médiation de lÊtre. Tout accès à quelque chose comme « Dieu » devra, du fait même de la visée de lÊtre comme tel, le déterminer par avance comme un étant. La précompréhension de « Dieu » comme étant va de soi, jusquà épuiser par avance « Dieu » comme question. Heidegger répète souvent que le croyant, du fait de sa certitude de foi, peut bien concevoir la question philosophique de lÊtre, mais jamais ne sy engager, retenu quil reste par sa certitude. La remarque peut, au moins se retourner : assuré de la précompréhension de tout « Dieu » possible comme étant et de sa détermination par linstance antérieure de lÊtre, Heidegger peut bien concevoir et formuler la question de Dieu (sans guillemets), mais jamais ne sy engager sérieusement. Précisément parce que davance et définitivement « Dieu » quelle que puisse être la figure future sera : « Les Dieux ne font signe que simplement parce quils sont », « Dieu est un étant qui selon son essence ne peut pas ne pas être », « létant qui ne peut pas ne pas être. Théologiquement pensé, cet étant se nomme Dieu, et sous lÊtre se tiennent encore aussi tous les dieux, pour autant quils sont et quelle que soit leur manière dêtre ». Bref « Dieu » ne devient premièrement visible comme étant, que parce quainsi il comble au moins en un sens et renvoie réflexivement (miroir invisible) à elle-même une visée qui porte dabord et décidément sur lÊtre. Autrement dit, la proposition « Dieu est un étant » apparaît elle-même comme idole, parce quelle ne fait que retourner la visée qui, par avance, décide que tout « Dieu » possible, présent ou absent dune manière ou dune autre, a à être Mais va-t-il de soi que Dieu ait à être, donc à être en tant quétant (suprême, pluriel, ou comme on voudra) pour se donner comme Dieu ? Doù vient que lÊtre est admis sans question comme le temple davance ouvert (ou fermé) à toute théophanie passée ou à venir ? Et même ne pourrait-on pas inversement soupçonner que le Temple de lÊtre, par définition et axiome de la pensée de lÊtre comme tel, ne saurait en aucun sens, ni appeler, ni admettre, ni promettre quoi que ce soit qui concerne ce quil ne faudrait même pas nommer Dieu ? Et si ce soupçon ne doit pas savérer, peut-on du moins légitimement le soulever, et doit-on sétonner quil nétonne pas plus et les croyants, et les lecteurs de Heidegger. Sans doute si « Dieu » est, est-il un étant ; mais Dieu a-t-il à lêtre ? Pour navoir pas à esquiver cette interrogation, et parce quil nous paraît incontestable que les textes dHeidegger lesquivent, nous dirons quen ce sens précis, il faut parler dune seconde idolâtrie : car quel « Dieu » admet quune visée décide de sa plus ou moins grande divinité, sinon ce « Dieu » qui résulte dun regard pieux ou blasphématoire aussi bien ?... Penser Dieu sans aucune condition, pas même celle de lÊtre, donc penser Dieu sans prétendre à linscrire ou le décrire comme un étant Par définition et par décision, Dieu, sil se doit penser, ne peut rencontrer aucun espace théorique à sa mesure, parce que sa mesure sexerce à nos yeux comme une démesure. La différence ontologique elle-même et donc aussi lÊtre deviennent trop courts (même sils sont universels, mieux, parce quils nous font un univers, parce quen eux le monde « mondanité ») pour prétendre offrir la dimension, encore moins le « séjour divin », où Dieu deviendrait pensable. De quoi la Révélation biblique semble, à sa manière, donner une confirmation, ou du moins un indice, quand elle mentionne dans le même nom, ce que lon peut (mais non pas doit) comprendre comme Sum qui sum, donc Dieu comme Être, et ce que lon doit au même instant, comprendre comme toute dénégation didentité « Je suis celui que je veux être. » LÊtre ne dit rien de Dieu que Dieu ne puisse aussitôt récuser. LÊtre, même et surtout en Exode 3,14, ne dit rien de Dieu ; ou nen dit rien de déterminant Limpensable, au contraire, pris comme tel, relève de Dieu même et le caractérise comme laura de son advenue, la gloire de son insistance, léclat de son retrait. Limpensable détermine Dieu du sceau de sa définitive indétermination pour une pensée créée et finie. Limpensable masque lécart, faille à jamais ouverte, entre Dieu et lidole, mieux : entre Dieu et la prétention de toute idolâtrie possible. Limpensable nous contraint à substituer aux guillemets idolâtriques de « Dieu », le DIEU (majuscule) que nulle marque de connaissance ne démarque. (a) Hueber den « Humanismus », Wegmarken, tr. fr. Questions III, Paris, 1966, pp. 133-134 et 114. (b) Ce texte radicalise heureusement ce que les formulations de Sein und Zeit pourraient avoir de trop retenu. Laisser Dieu se penser à partir de sa seule et pure exigence Dieu est agapè (73) Penser DIEU (a), donc hors la différence ontologique, hors la question de lÊtre aussi bien, au risque de limpensable, indispensable, mais indépassable. Quel nom, quel concept et quel signe pourtant demeurent encore praticables ? Un seul sans doute, lamour, ou comme on voudra dire, tel que saint Jean le propose « Dieu [est] agapè » (I Jean 4,8). Pourquoi lamour ? Parce que ce terme, que Heidegger, comme dailleurs toute la métaphysique, quoique dune autre manière, maintient en état dérivé et secondaire, reste encore, paradoxalement, assez impensé pour, un jour au moins libérer la pensée de DIEU de la seconde idolâtrie. Cette tâche, immense et, en un sens, encore inentamée demande de travailler conceptuellement lamour (et donc, en retour, de travailler le concept par lamour), afin que sen déploie la pleine puissance spéculative. Nous ne saurions ici, même en esquisse, entreprendre den indiquer les linéaments. Quil suffise de marquer deux traits décisifs de lamour, et leurs promesses spéculatives. a. Lamour ne souffre pas de limpensable, ni de labsence de conditions, mais sen renforce. Car le propre de lamour consiste en ceci quil se donne ; or le don na besoin pour se donner ni quun interlocuteur le reçoive, ni quun séjour laccueille, ni quune condition lassure, ou le confirme. Ce qui veut dire, dabord, en tant quamour, DIEU peut transgresser demblée les contraintes idolâtriques ; car lidolâtrie surtout la seconde sexerce par les conditions de possibilités (l Être, si « Dieu » est un étant, le « séjour divin », et Dieu » dépend du divin, etc.), qui seules ménagent à « Dieu » un lieu digne de lui, et donc, si les conditions de cette dignité ne peuvent se réunir, lassignent à résidence dans la déshérence, donc lassignent à marginalité. Si, au contraire, Dieu nest pas parce quil na pas à être, mais aime, alors par définition, aucune condition ne peut plus en restreindre linitiative, lampleur et lextase. Lamour aime sans condition, du simple fait quil aime, Il aime aussi sans limite, sans restriction. Aucun refus ne rebute ni ne borne ce qui pour se donner, nattend le moindre accueil, ni nexige le moindre égard. Ce qui veut dire ensuite quen tant quinterlocuteur de lamour, lhomme na pas dabord à lui ménager un « séjour divin » à supposer que cette prétention même se puisse soutenir mais plus modestement, à ne pas sy dérober. Ainsi, même linévitable impuissance de lhomme à correspondre au destin que lui impose gratuitement lamour ne suffit-elle pas en disqualifier linitiative, ni laccomplissement. Car pour accomplir la réponse à lamour, il faut et suffit de le vouloir, puisque seule la volonté peut refuser ou recevoir ; en sorte que lhomme ne peut même pas imposer de condition, même négative, à linitiative de DIEU. Ainsi aucune visée ne vient plus décider idolâtriquement de la possibilité ou de limpossibilité dun accès à et de « Dieu ». b. Il y a plus ; penser DIEU comme agapè interdit tout autant de fixer la visée dans un premier visible, ni de la figer sur un miroir invisible. Pourquoi ? Parce que, au contraire du concept qui, par la définition même de la saisie, rassemble ce quil comprend, et qui, de ce fait, sachève presque inévitablement en une idole, lamour (même et surtout sil en vient à faire penser, à donner par surplus à penser) ne prétend pas comprendre, puisquil nentend pas prendre du tout ; il postule sa propre donation, donation où le donateur coïncide strictement avec ce don, sans aucune restriction, retenue, ni maîtrise. Ainsi lamour ne se donne quen sabandonnant, transgressant sans cesse les limites de son propre don, jusquà se transplanter hors de soi. Conséquence : ce transfert de lamour hors de lui-même, sans fin ni borne, interdit demblée la fixation sur une réponse, une représentation, une idole. Il appartient à lessence de lamour diffusivum sui de submerger, comme une lame de fond le mur dune jetée, toute délimitation, représentative ou existentielle de son flux : lamour exclut lidole, ou mieux linclut en la subvertissant. Il peut même se définir comme le mouvement dune donation qui, pour avancer sans condition, simpose une autocritique sans fin ni retenue. Car lamour ne retient rien, ni lui-même, ni sa représentation. La transcendance de lamour signifie dabord quil se transcende lui-même dans un mouvement critique où rien pas même le Néant/Rien ne peut contenir lexcès dune donation absolue absolue : défaite de tout ce qui ne sexerce point dans cet abandon même. La seconde idolâtrie ne saurait donc se dépasser quen laissant Dieu se penser à partir de sa seule et pure exigence. Pareille exigence outrepasse la limite dun concept même celui de la métaphysique en son onto-théo-logie mais aussi la limite de quelque condition que ce soit même celle de lêtre conçu dans la différence ontologique. Dieu ne peut se donner à penser sans idolâtrie quà partir de lui seul : se donner à penser comme amour, donc comme don ; se donner à penser que comme une pensée du don. Ou mieux, comme un don pour la pensée, comme un don qui se donne à penser. Mais un don, qui se donne à jamais, ne peut se penser que par une pensée qui se donne au don de penser. Une pensée qui se donne peut seule sadonner à un don pour la pensée. Mais, pour la pensée, se donner, quest-ce, sinon aimer ? (a) Mettre DIEU [en majuscules], en fait, indique et rappelle que DIEU sature notre pensée ; mieux, nentre en notre pensée quen lui imposant de se critiquer elle-même. La mise en majuscules de Dieu nous ne le faisons que parce que, dabord, Il lexerce, lui, sur notre pensée, comme son impensable. Nous ne faisons cette mise en majuscules du nom de DIEU que pour nous manifester à nous-mêmes bien sûr, que son impensable sature notre pensée dès lorigine et à jamais. Date de création : 23/11/2010 @ 09:12 Réactions à cet article
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