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Synthèses - Lintériorité
LINTÉRIORITÉ En mai 2010, le professeur de philosophie Robert Redeker a fait paraître, aux éditions Fayard, un livre intitulé « egobody » qui décrit « la fabrique de lhomme nouveau ». Chacun de ces mots a son importance : il sest en effet constitué depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale un homme nouveau qui se substitue à celui qui sétait forgé pas à pas depuis Socrate. Pour cet homme nouveau, lauteur tente de nous faire mesurer ce quil a perdu au change et qui peut se résumer en un seul mot : son intériorité. Aux fins dillustrer son propos, voici des extraits qui traitent brièvement de lhumain, de linhumain, du déshumain et du néghumain. Lhumain (celui qui est doté dune intériorité) : Tout a commencé avec linjonction de la pythie oraculaire de Delphes adressée à Socrate : « Connais-toi toi-même » (Qui es-tu ?). Socrate arrache la connaissance de soi aux dieux, ainsi que Prométhée, selon Platon, arrache aux dieux les arts et les techniques, enfants gardés par Héphaïstos et Athéna. Ce toi dans connais-toi toi-même est à double face. « Toi » désigne un même qui vit en chacun, et qui est différent du « toi » psychologique : ce toi, cest toi et ce nest pas toi. Loubli de « toi » comme personne particulière, individu psychologique, est le chemin pour te connaître « toi » en tant quhomme. Pourles « présocratiques », lhomme est « mesure de toutes choses » (Protagoras). Pour les sophistes, lhomme est presque géométrique, en tout cas utilitariste. La philosophie commence véritablement avec linjonction delphico-socratique qui pose lhomme comme problème. Autrement dit, la philosophie ne commence quavec la problématicité de soi. Inaugurer la problématicité de lhomme permet à Socrate de ne point tomber dans lhumaniste positif des sophistes. Cest justement parce que lhomme est un être problématique quil échappe à la stabilité de la positivité et quil peut à la fois se nier dans l« inhumain », seffacer dans le « déshumain » et sempêcher dêtre dans le « néghumain ». Cette problématique ne se pose ni chez Sophocle pour qui lhomme demeure lobjet dun émerveillement, ni chez Héraclite qui le pense généralement comme lun des deux termes mortels/immortels. Socrate (finalement voleur du privilège de cette question aux dieux : si Prométhée a volé le feu, Socrate a volé le pensée, un bien pareillement dangereux tant que ne vient pas sy ajouter la sagesse) fonde la philosophie comme anthropologie ou, plus exactement, il installe lanthropologie philosophique dans les fonctions de socle et de cur de la philosophie. Pour Platon en son Phédon, la vie de ce qui est appelé homme, sous la forme de lâme, continue après cette séparation davec le corps que lon appelle « mort ». Ainsi forme-t-il lhypothèse de limmortalité de lâme (cette dernière étant entendue comme lhomme véritable) autrement dit du caractère trompeur des limites apparentes, sensibles de cet homme. « La vraie vie est ailleurs », cette déclaration éclatante de Rimbaud sapplique à toutes les métaphysiques de type platonicien. La vrai vie ne se voit ni ne se sent ni ne se touche, la vraie vie est « pensée ». La pensée est la vie et le soin de lâme, cette chose immortelle, en dehors des limites sensibles. A limage de ce grand moment intellectuel que constitue le Phédon, toute la tâche de la philosophie fut, pendant deux millénaires, de délimiter lhomme et de tracer son domaine. Pascal touche le point central le cur de la philosophie lorsquil insiste sur la notion de « dignité » la dignité décrivant la place dans lunivers. La dignité de lhomme se définit par sa place dans la distribution hiérarchisée des êtres au sein de lunivers, ce « minuscule cachot ». Pascal, eu égard à linfini, déclare : « Que lhomme contemple donc la nature entière dans sa pleine et haute majesté [ ]. Que lhomme étant revenu à soi, considère ce quil est au prix de ce qui est » Ce langage pascalien est un discours des frontières et des places. Lhomme trouve sa digne place entre la bête et lange à sa place, entre Dieu et rien, au-dessous de lange et au-dessus de la bête. Si la dignité est la place trouvée y compris dans la vie sociale, par exemple [en son temps] à la cour , lindignité consiste à excéder les limites ontologiques de lhumain : faire lange, faire la bête. Depuis les Grecs, et probablement bien avant eux, la fixation des limites entre lhomme /les hommes, les dieux et les bêtes hante les sociétés. La double histoire des religions et de la philosophie peut sinscrire dans le registre de la recherche de limites qui soient enfin incontestables. Les concepts de limite et de place, destinés à situer lhomme, permettent la constitution dun cosmos ; leur ignorance, lot de leffondrement de la religion, change lhomme en un être décosmique. Chez Foucault, la « mort de lhomme » identifie la fin dune représentation, dun discours, dune certaine façon denvisager lhumain qui était propre à lOccident depuis lâge classique. Pourtant la portée de son propos est beaucoup plus profonde : au-delà de la sphère de la représentation, cette formule se réfère à autre chose quune simple représentation ou conception de lêtre humain, elle dit la mort dune certaine façon dêtre un humain, façon qui en Europe sest appelée « homme ». Ce mot déborde les limites temporelles proposées par le philosophe. Bien en-deçà de lâge classique se rencontre cette entité étiquetée « homme » par Foucault. Ainsi dans les Confessions de saint Augustin, où le mot « homme » apparaît dès les premières lignes et où lintériorité est creusée dès la deuxième page : « Je nexisterais point mon Dieu, je nexisterais point du tout, si vous nétiez en moi ». Sans doute aussi cette idée occidentale de lhomme dont Foucault proclame la mort, est-elle déjà présente, comme on la vu, huit siècles avant Augustin, dans le Phédon de Platon. Quest-ce que lhomme, si ce nest, comme Platon et Augustin nous le suggèrent, lhumain doté dune intériorité, qui se dirige depuis cette intériorité ? Bref, cette forme dêtre, lhomme dont lexistence sachève dans la seconde moitié du XXe siècle a vu ses commencements bien avant la datation proposées par Foucault. Linhumain (caractéristique de la situation objective historique de la Shoah) : dans un premier temps, Robert Redecker exclut le concept d « inhumain », car si lon se place du point de vue de lidée de nature, le mot « inhumain » na tout simplement aucun sens : nul homme ne peut être autre chose que ce que la nature a fait de lui. Ni ange, ni bête, ni dieu. Les situations et les actes concernés par le mot « inhumain », si extrêmes soient-ils, sont de fait toujours humains, dautant plus quils se répètent depuis la nuit des temps. Ce sont des situations et des actes de cruauté anthropologiquement banals. « Inhumain », en fait, qualifie une constante de lhumanité : la cruauté sans bornes manifestée par des hommes contre dautres hommes. Dans ce cas, rien de plus humain que linhumain ! Mais linhumanité se révèle encore plus humaine dès que lon constate labsence de comportements de cette sorte chez les autres espèces vivantes il faudrait alors admettre que linhumanité est le propre de lhomme, bref donner son assentiment à une proposition absurde. En bref, linhumain est déclaré impossible. A linverse la théorie kantienne du mal radical reconnaît en lhomme la présence dune béance, sorte de bouche ouverte sur lenfer, bien plus éclairante sur la condition humaine que lobscur concept dinhumain. Malgré son caractère paradoxal, le mot « inhumain » est employé par Simone Weil pour décrire lorganisation dune usine : « Cest inhumain », affirme-t-elle. Pour sa part le professeur Redeker le réserve à la Shoah. La seule réponse pertinente à linhumain de la Shoah est sa situation objective et non les comportements des criminels : les victimes, comme en témoigne Primo Levi, furent déshumanisées et les bourreaux étaient, pour paraphraser Nietzsche, « humains, trop humains ». Cest donc bien sa situation objective historique qui permet à la Shoah dêtre dite inhumaine. Situation objective : le croisement de la systématisation du mal radical (le mal de type métaphysique) avec la systématisation du mal banal (le mal de type anthropologique). Ce croisement rend compte de la singularité de la Shoah en autorisant lemploi du concept d « inhumain ». Le déshumain (lhomme qui se défait) : Cet homme que nous connaissons depuis plusieurs siècles se défait, à grande vitesse, en particulier sur les deux points suivants : lauto-appréhension (lappréhension de soi), et lappréhension du temps et de lespace. Les liens qui ont permis de nouer en lhomme lhumain depuis lAntiquité, renforcés par le christianisme se détressent désormais. Autrement dit, ces liens (rapport à soi et à lextérieur via lappréhension du temps et de lespace) se disloquent et se déplacent. Cest dans la pensée de Kant, dans la partie « Esthétique transcendantale » de la Critique de la raison pure, que ces deux formes de lappréhension se nouent en une auto-appréhension à travers le temps et lespace conçus comme structures a priori de la sensibilité, cest-à-dire conditionnant lappréhension. Pour lhumain contemporain, lespace est ravagé, si bien quil ne peut plus se lapproprier comme « son » espace, et le temps de lexistence subit le même traitement. Cette détresse contemporaine donne à lhumanité une forme dexistence délabrée et émiettée. La fin de lhomme, son passage dans la sphère du déshumain, par leffacement de lintériorité se double dun autre effacement : celui du mythe de lhomme-machine, de lhomme comme pure extériorité (lhumain prenant le relais de lhomme ne renvoie pas à lhomme-machine, mais à une conception de la vie humaine comme énergie ou comme pack dénergie), qui, historiquement lui répondait en reflet. Il est remarquable de constater que, à laube des Temps modernes, Descartes renouvela profondément les deux mythes, sessayant à exploiter en connexion le mythe de lintériorité (lâme, le cogito) et le mythe de lextériorité machinale (le corps-machine). Très vite, la philosophie sest rendu compte que cette connexion était intenable et quelle constituait le point faible de la pensée de Descartes. Le flamboyant philosophe matérialiste La Mettrie qui, aux dires élogieux de Frédérique II, ravagea la République des Lettres, a été plus conséquent que les critiques parallélistes (Spinoza, Malebranche) de Descartes, en rabattant lâme sur la machine, autrement dit en englobant lhomme dans un seul de ces mythes : celui, moniste de la machine. Lâme « nest quun principe de mouvement, ou une partie matérielle, sensible du cerveau, quon peut, sans craindre derreur, regarder comme un ressort principal de toute la machine ». Lhomme intérieur (lhomme comme âme) et lhomme extérieur (lhomme comme machine) qui dessinent les deux faces sous lesquelles lhomme a été pensé depuis Descartes, se retirent de notre horizon intellectuel (a). Lhumain qui émerge outrepasse cette constellation : il se constitue par-delà lintériorité et par-delà la machine (cette nouveauté signe la caducité conjointe, dans lanthropologie, du spiritualisme et du matérialisme). Avec le concept de « déshumain », nous pointons également la « décosmisation » de lhomme. Le néghumain (lhomme qui ne parvient plus à être) : celui qui ne trouve pas de voie pour sinscrire dans une totalité, quelle soit le cosmos ou la cité. Il erre dans cet intervalle entre ce que lhomme fut et ce quil nest pas encore. Le préfixe Nég signifie limpossibilité de religaturer. On retrouve assez bien le néghumain dans LHomme unidimensionnel dHerbert Marcuse ; son unique dimension sest fermée au point quil est devenu impossible dimaginer de nouvelles possibilités de vie. « Néghumain » signale donc une double négation : impossible de retourner en-deçà du déshumain et impossible dinventer de nouvelles formes de vie. Dune certaine façon, nous nous trouvons dans une posture analogue à celle de Tocqueville découvrant un régime politique dont la nouveauté politique échappait à la conceptualisation politique instituée : quelque chose qui navait pas encore de nom. Cest pour répondre à ce vide que le professeur Redeker a proposé « Egobody ». Quand on considère lensemble des représentations ayant trait à lhomme, on perçoit quun modèle énergétique semble se dessiner qui déclasse les modèles spiritualistes, matérialistes et mécanistes de lhomme. Lhomme nest ni pure matière, ni pur esprit, ni pur mécanisme ; il est, paraît-on sévertuer à nous dire de lénergie Simpose alors la représentation de lêtre humain comme ensemble dénergie en permanence connecté à la société civile sous la forme de la tension. Une socio-philosophie de la vie quotidienne ne manquerait pas de faire ressortir que lhomme-tension et lhomme sous-tension semblent être les résultats courants des transformations actuelles de lhumain. Le sport et lentreprise où se multiplient où se multiplient les suicides par la force néantisante de cette tension énergétique, qui paraissent du coup des accidents de surtension énergétique, de survoltage illustrent cette mutation de lhumain en tension vive, en énergie tendue. Lhomme comme corps, lhomme en survoltage, toujours menacé par la disjonction. Etre sous-tension est une absence de finalité, cest une tension sans but. Faire du chiffre, dans lentreprise, mais aussi dans le sport ou à la maison, nest en effet pas un but en soi, ce nest quune soumission « au règne de la quantité ». Le déshumain et le néhumain sont les avatars hypercontemporains de lhumain déstabilisé philosophiquement et historiquement par labsence de finalité. Le concept de néghumain signale un autre aspect des suites de la mort de lhomme : lempêchement de reconstituer lhumain en lhomme par-delà la déshumanisation. Prolongeons la réflexion de Marcuse : lunidimensionnel ne signifie pas seulement que lexistence humaine se réduit à une seule dimension (celle dêtre par le divertissement lêtre-pour-la-mort de Heidegger ayant été remplacé par lêtre-pour-le-divertissement contemporain axé sur le déni de la mort), mais surtout que cette existence sest déconnectée de tout ce qui depuis des millénaires lui assurait le sens, au point de se sentir vidée, dêtre touchée par le vide (le vide étant la grande maladie de notre temps à linstar de la peste ou de phtisie à dautres époques) comme par un virus ravageur. (a) Descartes, au vrai, fondateur et véritable « père de la philosophie moderne » (Hegel) , tenait ensemble (lâme et la machine) les interprétations qui allaient à sa suite se séparer et sopposer. Date de création : 05/11/2010 @ 12:29 Réactions à cet article
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