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Sciences politiques - Standards de la révolution
STANDARDS DE LA RÉVOLUTION Révolution et contre-révolution
La révolution est tenue pour une chose positive. On nentend jamais parler dune contre-révolution dans la conception des automobiles (encore quelle ne serait peut-être pas inutile !). Il vaut mieux mettre laccent sur les aspects positifs. Il en résulte que la lutte pour lavantage politique comprend des escarmouches, mineures mais importantes, pour lavantage sémantique. Comme les héros des westerns, le mouvement qui arrive en chevauchant la révolution peut généralement espérer gagner notre sympathie. Eugen Weber suggère que, du moins de nos jours, le problème est mal posé. A linstar de gauche et de droite(b), révolution et contre-révolution sont devenus des stéréotypes anachroniques, réels parce quinstallés dans le vocabulaire et les esprits, mais ambigus pour définir des catégories propres à la compréhension et à lanalyse. Ambigus au premier chef parce que la révolution, depuis longtemps, na été interprétée que dans un sens univoque impliquant que les mouvements dirigés dans une autre direction (opposée ou simplement différente) ne pouvaient être qualifiés de révolutionnaires et pouvaient bien se révéler contre-révolutionnaires, quils le veuillent ou non. Le mot même de révolution évoque les grands modèles modernes : les révolutions française et russe. Celles-ci font plus que suggérer, elles imposent, du fait quelles ont eu lieu, le modèle de ce quune révolution devrait être, des actions et des étapes auxquelles les mouvements révolutionnaires devraient se conformer : les derniers soubresauts de la classe dominante, la première phase dune révolution bourgeoise bientôt dépassée par des concurrents plus populaires, abattus à leur tour par un Thermidor menant facilement à Brumaire. Les changements modérés, les avancées radicales, la répression et leur dialectique ouvrent toujours la voie à de nouveaux défis. Linterprétation fournit les recettes de lespoir. Parfois aussi de laction. Lhistoire est engendrée par lhistoire. » Le projet révolutionnaire « Un historien français a écrit à propos de Mai 68 que les drapeaux rouges flottaient sur les barricades, que les facultés ressemblaient au palais Smolny (sic) à Petrograd et les salles de conférences aux Soviets. Et, en 1972 André Malraux résume le XXe siècle par une image : celle dun camion hérissé de fusils. Encore la révolution russe évidemment, et lune de ses images les plus familières. La responsabilité de tout cela revient en partie à lhistoire organisée, à la généralisation de la connaissance historique qui ont rendu disponible le schéma de la révolution auquel les révolutionnaires doivent désormais se plier. Ceux qui ne sy conforment pas ne sont pas des révolutionnaires. André Découflé, auteur dun ouvrage sur la sociologie des révolutions considéré en son temps comme lun des plus mesurés sur ce sujet délicat, estime que le révolutionnaire sait sa révolution comme le misérable connaît ses besoins. Mais le misérable les connaît précisément parce quil les vit, alors que le révolutionnaire fait rarement plus quimaginer sa révolution. Et les révolutionnaires qui, aujourdhui, dans la perspective historique, affirment toujours savoir leur révolution et ce au-delà des moyens, jusque dans ses conséquences ultimes doivent être vraiment bien naïfs. Mais lhistoire, réservoir dimages et de recettes, népuise pas les ressources du révolutionnaire. Gracchus Babeuf pouvait dire à ses lecteurs, puis à ses juges que la République était sans valeur, car ce nétait pas la République authentique, une chose, précisait-il, une chose qui navait pas encore été essayée ! Cet argument, abondamment utilisé depuis Babeuf, passe de lhypothèse au fait, allant parfois même contre le fait. On peut ainsi lire sous la plume de Découflé : Le projet révolutionnaire exclut par hypothèse la destruction de lhomme, puisquil est sa régénérescence ; et, de fait, il ne le détruit pas, en dépit des entreprises horribles de certains de ses gérants. Weber aime la référence de Découflé aux gérants de la révolution, terme expressif et révélateur selon lui. Néanmoins il se dit surpris de trouver dans un livre publié en 1968 la réaffirmation dun idéal qui demeure entier quoique certains de ses gérants le trahissent, la négation de lexpérience historique par laffirmation de son contraire, le tout fondé sur une hypothèse plus forte que les faits observés. La Révolution survit à toutes les révolutions. » Le caractère transhistorique de la révolution « Par ailleurs, Découflé fait la distinction entre linsurrection, qui trouve sa finalité en elle-même, et la révolution qui est transhistorique, se situe dans le domaine de la durée, espace temporel de limmanence, et cela permet à lobservateur perspicace de distinguer une insurrection, aussi prolongée soit-elle dune révolution, aussi brève soit-elle. Ainsi, la révolution de 1830 fut, en vérité, une insurrection qui dura dix-huit ans, tandis que la Commune de Paris, en 1871, bien quelle eût duré quelques semaines seulement, peut être identifiée comme une révolution authentique, à linstar des croisades. Mais quen est-il de la révolution de 1830, réduite à une simple insurrection, alors quelle parût authentiquement révolutionnaire à ceux qui la vécurent : changement de régime, des symboles de lEtat, du drapeau, du personnel politique Nest-ce pas suffisant jusquà la prochaine ? Evidemment non. La révolution politique nest pas la véritable révolution appartenant au caractère transhistorique. Laspect social fait défaut quand nous navons rien dautre quun changement de la garde (et des uniformes) parmi les élites privilégiées. Les misérables demeurent misérables. Ils continuent à être exploités par les exploiteurs et de nos jours par les intellectuels qui ont découvert la plus-value représentée par la pauvreté. Les révolutions ancienne manière ignoraient les pauvres. Les sociétés aristocratiques et oligarchiques faisaient des révolutions aristocratiques et oligarchiques, et les pauvres y étaient recrutés comme chair à canon. Leur utilisation occasionnelle ne leur donnait pas droit à un rang idéologiquement supérieur. La guerre est faite par les soldats, évidemment. Elle nest pas faite à leur propos ou pour eux. Puis les pauvres, qui nétaient que des pions de la révolution, en devinrent les sujets, sa force vive. La Révolution (française sentend) prétendait quelle avait été faite par le peuple. Ce ne fut pas le cas, ou alors dans un sens très restrictif. Mais elle impliqua la mobilisation des masses en un sens nouveau, devenu alors nécessaire sur le plan doctrinal qui naurait pas pu exister avant que le peuple ne fût devenu le sujet de la politique. Babeuf identifiait le peuple avec les gens pauvres et les gens pauvres avec la majorité du peuple, une manière de voir que les circonstances dalors justifiaient amplement. Cette nouvelle doctrine, appelée comme dautres à survivre aux conditions quelle reflétait au moment où elle avait été formulée, allait bientôt correspondre à des changements économiques et sociaux suscitant de nouveaux cris de ralliement et de nouvelles mobilisations. Ainsi, on finit par parer la Révolution, dont lobjet avait été la prise du pouvoir par des gens qui étaient loin dêtre pauvres, dautres atours : une révolution à propos des pauvres, destinée à leur permettre déchapper à leur pauvreté ; bien que son efficacité en ce domaine restât douteuse, le mythe prit forme. On fit des pauvres, recrues parmi dautres dans les armées de la Révolution, ses porte-drapeaux. Tout nétait pas aussi rose quon lavait souhaité. La Révolution, qui devait hâter lintégration des groupes sociaux exclus (tiers état, etc.) au corps politique, procéda à lexclusion violente dautres groupes sociaux (laristocratie et, dans une certaine mesure, bien que ce neût pas été prémédité, le clergé). Ce schéma sera répété lors des révolutions suivantes. Désormais, la fraternité sera affirmée par lexclusion (des bourgeois, des étrangers, des Juifs ) comme la justice le sera par la spoliation des nantis au profit des partisans de la révolution. Ce nétait peut-être pas le moyen le plus désirable pour assurer la mobilité vers le haut et la redistribution des richesses, mais cependant ce fut, dans une certaine mesure assez efficace. » Laspect ludique de la révolution « Quoi quil en soit, les masses qui applaudissaient ou huaient, assistaient ou se déchaînaient, étaient le stimulant et laliment nécessaire de laction. Pour elles, la révolution était moins la promesse de temps meilleurs quune gigantesque distraction, une aventure. Pour nombre de gens, son déroulement était le premier spectacle dont ils avaient pu jamais jouir. Parmi les délices les plus appréciées apportées par la révolution, le spectacle de lhumiliation des supérieurs était lun des plus prisés. Comme les paysans du Languedoc qui saluaient les pluies de la fin de lété, bonnes pour leur maïs mauvaises pour les grands propriétaires dont ils dépendaient par Il pleut des insolences, le peuple se réjouissait de pouvoir se montrer, lui aussi, insolent, de voir ses supérieurs, y compris ses propres émancipateurs ovationnés hier, conspués aujourdhui. Après tout, le peuple pouvait se tromper. Ou du moins, on ne pouvait faire confiance à son instinct. Avant quil ne fût éclairé. Pour Saint-Just, le peuple était un éternel enfant, et Robespierre en dit autant. Il arrive toujours un moment où la liesse révolutionnaire doit céder la place à la discipline, les joies de linsolence et les privilèges du désordre à lordre de nouveaux privilèges. La révolution, dabord généreuse et indulgente pour elle-même impose bientôt lordre et la discipline, une discipline plus sévère que celle quexigeait le tyran quelle a remplacé. En 1794 déjà, le Comité de salut public recommande à son représentant dans le Calvados de modérer son zèle : Aujourdhui, nous sommes moins préoccupés de révolutionner que détablir un gouvernement révolutionnaire. Les mots fatidiques ont été prononcés. La Révolution est faite pour être interrompue. Il est temps de la transformer en un régime, de faire des gestionnaires de la Révolution des gestionnaires de lEtat. » Les gouvernements postrévolutionnaires sont de nature aristocratique « Dès lors, le ver est dans le fruit. Joseph de Maistre avait raison : au bout du compte, tous les gouvernements sont monarchiques quelque nom quon leur donne, tous les gouvernements sont aristocratiques. Châteaubriand navait pas dit autre chose dans son Essai sur les révolutions, ouvrage fort réactionnaire : Que mimporte si cest le roi ou la loi qui me traine sur la guillotine ? [ ] Le plus grand malheur de lhomme est davoir des lois et un gouvernement. Ecrivant en exil, Châteaubriand avait peu de sympathie pour la Révolution. De nombreux révolutionnaires du XIXe siècle se trouvèrent pris dans le même dilemme : lEtat est toujours contre-révolutionnaire, mais sans Etat comment une révolution pourrait être menée à bien ? Peut-on construire autre chose que sur les ruines de son propre camp plutôt que de celui de lennemi ? Les révolutionnaires entreprennent de faire ou de refaire lhistoire. Leurs adversaires soutiennent que lhistoire est déjà faite ou en train de se faire, attendant davancer sur une voie déjà tracée. La révolution réussie affirme précisément ce que ses adversaires soutenaient et établit un gouvernement pour traduire cette affirmation dans les faits. Ce gouvernement, comme celui de tout Etat moderne, cherchera à sassurer le monopole de la violence, se conformant non seulement à la thèse de Max Weber, mais aussi à la règle définie par Joseph de Maistre, à savoir que toute puissance, toute subordination reposent sur le bourreau. Si lon supprime celui-ci lordre se désintègre, la puissance seffondre, la société disparaît. En un tournemain la révolution a été escamotée. On a fait beaucoup, bien des choses ont été changées : la puissance des nouveaux dirigeants et un commerce plus libre dans un cas ; la puissance des nouveaux dirigeants et laugmentation de la productivité dans un autre. Les révolutions successives ne sont que des phases dun même mouvement vers lavant (nécessairement vers lavant quelle que soit sa direction). Cest sans doute ce que veut dire Proudhon quand il déclare, au moment de la révolution de 1848, quà dire vrai il ny en a pas eu plusieurs mais une seule et unique révolution. La roue de la révolution tourne, chaque révolution de cette roue la propulse un peu plus loin, chaque interruption du mouvement nest quune pause, chaque échec apparent un aiguillon pour une nouvelle progression : Ce nest quun début, continuons le combat ! Comme laffirme Babeuf, la République peut être sans valeur, mais la révolution authentique est encore à venir, le bonheur commun reste à conquérir. Même un Etat révolutionnaire contrôlé par des chefs révolutionnaires peut servir les intérêts de cette force immanente. La révolution est une constante de lhistoire. » La référence à la révolution est nécessairement une référence au progrès « Peut-être. Mais tout cela soulève une question : quelle révolution ? La révolution dit encore Babeuf, est en permanence dans lhistoire, mais pas une révolution en général, ni une révolution donnée, mais la révolution vaguement définie peut-être, mais suffisamment pour que chacun la connaisse, comme Babeuf la connaissait, comme les révolutionnaires de Découflé la connaissent. La référence à la révolution, déclare encore Proudhon, est nécessairement une référence au progrès. Mais où mène le progrès ? Que signifie vers lavant ? Dans quelle direction la révolution avance-t-elle ? Vers la gauche évidemment. Il ne sert à rien de dire que la gauche, encore plus aujourdhui quhier, est une direction incertaine. Les misérables sont toujours là. Leur émancipation peut être létoile polaire du progrès révolutionnaire. Si lhistoire nous apprend quelque chose, cest bien que les révolutions et les révolutionnaires sont de gauche. On peut débattre la question de savoir si la révolution appartient aux progressistes, aux révolutionnaires organisés ou aux gauchistes, mais prétendre que la révolution peut venir dailleurs est par définition contre-révolutionnaire. » Le défi de la contre-révolution « Contre-révolution évoque, comme Joseph de Maistre la fait remarquer, une action violente dans la direction opposée à celle de la révolution. La contre-révolution est une révolution opposée à une révolution antérieure ou renversant ses résultats. La contre-révolution est condamnée à une image en miroir. Elle nexiste que par rapport à la révolution à laquelle elle soppose et quelle cherche à retourner. Révolution est un terme positif ; en son absence, celui de contre-révolution nexiste pas. On nous dit [encore] que la révolution est la reconnaissance dune réalité historique, endiguée par linertie, défiée par la contre-révolution. Mais lhistoire est ce qui se passe et, de ce fait, se trouve investie dune valeur que par ceux qui la perçoivent comme bonne ou mauvaise. Comme la peste ou la sécheresse, un mouvement révolutionnaire est de lhistoire parce quil est dans lhistoire. Il en est de même de ses rivaux, de ses adversaires, de ses victimes et de ses bénéficiaires. Le Printemps de Prague échoua. Les armées qui provoquèrent cet échec imposèrent leur point de vue. Qui était du côté de la révolution ? Qui représentait lhistoire ? Comme la beauté, la révolution nexisterait-elle que dans le regard de lobservateur ? Qui peut décider sil sagit dune révolution authentique ou dune contrefaçon ? Arno J. Mayer, [le spécialiste de la contre-révolution en Europe] na aucun doute, mais il est à côté de la question quand il explique que la révolution est davantage productrice de progrès humain et de dignité humaine que la contre-révolution, car cela ne se vérifie que pour certaines révolutions, ou certaines parties de certaines révolutions. Tentons de dresser une liste : 1789-1792, mais pas la Terreur, 1848 (laquelle ?) mais pas 1830 ; les débuts à Cuba mais pas la répression qui suivit. Chaque homme est son propre historien. Et même si la révolution forme un bloc, on peut être certain que le doctrinaire sassurera de ce qui est cimenté à intérieur de ce bloc. Ce qui nous ramène à la subjectivité. » Lobjet des révolutions modernes « Quel est lobjet des révolutions modernes ? La formule classique nous lapprend : Liberté, Egalité, Fraternité ou la Mort. Mais comme Saint-Just le comprit dès 1791, la liberté, une fois conquise, peut facilement se transformer en son contraire. Ou lEgalité est légalité des chances, justement critiquée comme inégalité fondamentale, ou elle entraîne linjustice et la contrainte. Fraternité est le terme le plus vague et aussi le plus trompeur. Peut-être est-il un reflet de la joie dêtre libéré des contraintes de lordre, mais jen doute. Figure-t-il ici pour compenser son absence trop évidente ou remplacer la figure du père absente par celle, plus accessible du frère ? Addition tardive au duo révolutionnaire dorigine, la fraternité est une invocation comme celle quon prononce pour faire tomber la pluie en période de sécheresse. Cest aussi la conséquence logique de lidéal égalitaire ; le père nincarne plus lautorité, cest maintenant le frère un frère plus avisé, plus expérimenté, un frère aîné qui vous soutient dans la lutte, avant de se métamorphoser en Big Brother. Le symbole de lautorité, jeté par la porte, revient par la fenêtre. Enfin la Mort, la seule des promesses de la révolution dont on est certain quelle sera tenue quelle que soit son orientation. Les spectateurs de la fête de lEtre suprême, le 20 prairial de lan II, noublièrent pas que les figures de lAthéisme, de la Discorde et de la Fausse Simplicité furent brûlées sur un bûcher symbolique, la statue de la Sagesse révélée par les flammes était couverte de suie. On peut noter en passant que, pour Marx et Engels, les notions de liberté, dégalité et de fraternité sont une bonne chose, mais pas très sérieuse, car tous deux rejetaient les valeurs morales et éthiques, les idées comme la moralité, la vérité et la justice. Le marxisme comme la phrénologie qui en est contemporaine est une science et non une éthique. La révolution dont il parle fait partie dun mécanisme historique, par conséquent purgé de valeurs. Nous venons de voir comment il fallait prendre de telles prétentions au sérieux. La révolution et la contre-révolution daujourdhui sont lune et lautre issues des doctrines démocratiques des XVIIIe et XIXe siècles et de linsuccès de leurs prolongements politiques. Tandis que la contre-révolution authentique est lenfant de la révolution, celle-ci est la créature du régime contre lequel elle se soulève même dans les détails les plus mesquins. Châteaubriand note quil a vu Marat à la Convention et sur ses lèvres ce sourire banal que lAncien Régime plaçait sur les lèvres de chacun. Le sourire de Marat, comme ses idées, avait été acquis avant la Révolution. Cest lAncien Régime qui avait enseigné à Robespierre la maîtrise de soi, à Saint-Just son maintien strict et son romantisme, à de si nombreux députés leur courtoisie et leurs bonnes manières, aux Girondins et aux Jacobins leur sang froid face à la mort. Superficiel ? Peut-être mais symbolique dhéritages autrement importants. » Le révolutionnarisme du XIXe siècle et ses phantasmes nostalgiques « Eugen Weber ne pense pas que lon ait souvent dit (quoique les preuves ne manquent guère) que les perceptions les plus répandues de la révolution ont tendance à être réactionnaires. Nous navons pas porté suffisamment attention à son côté nostalgique. Quand nous le rencontrons, nous sommes enclins à le négliger comme un vestige du passé. Pourtant la nostalgie du passé suscite la plupart des visions de lavenir, ne serait-ce que parce que limagination doit se nourrir de lexpérience vécue ou transmise. Nous entrons dans lavenir à reculons. La Révolution elle-même était conservatrice, réactionnaire, visant non à abolir mais à restaurer (voir Tocqueville), et nétait révolutionnaire que par inadvertance (voir Hannah Arendt). Elle exécuta Louis XVI parce que Charles 1er dAngleterre avait été exécuté. Elle cultivait la nostalgie de lAntiquité et poussa son goût du passé jusquà raviver la notion de prolétaire que Rousseau était allé chercher dans les profondeurs de lhistoire romaine. Le révolutionnarisme du XIXe siècle se nourrit en grande partie de phantasmes nostalgiques qui survécurent dans le socialisme fin de siècle comme dans des mouvements explicitement réactionnaires. Un vieil ouvrier français évoquait, à propos des travailleurs syndicalistes et socialistes quil avait connus avant 1914 (et il faut se souvenir à quel point ile étaient peu nombreux) : Leurs rêves confus les portaient moins vers linstauration dun monde nouveau quà un retour à des formes de vie quils avaient connues ou entendu conter ; et qui, les ans et léloignement les estompant, représentaient le passé comme une nouvelle Icarie. Est-il si évident, à y regarder à deux fois, que les réactionnaires détruisent au nom du passé (tradition) tandis que les révolutionnaires détruisent au nom de lavenir (progrès) ? La réalité est-elle aussi simple ? Et si elle létait, quest-ce qui importe le plus : la destruction ou les idéals au nom desquels on lexécute ? La révolution nest-elle pas simplement, après tout, la concrétisation dune révolte, cest-à-dire dune révolte ou dune réaction contre des situations ou des agissements révoltants, si bien que la seule définition de la révolution serait : lincarnation violente et réussie dune sorte de réaction qui, en temps voulu, se transforme en une autre sorte de réaction ? Voilà une question qui devient plus pressante à lheure actuelle quand, la plupart des révolutions traditionnelles étant discréditées, le flambeau de la révolution semble avoir été passé à dautres nations. » Le contexte et lobjectif de la révolution varient dans le temps « Révolution, révolte, rébellion, émeute, soulèvement, mutinerie, insurrection, désordre, sédition, coup dEtat, guerre civile, tout cela fait partie de lhistoire contemporaine comme de celle du passé. Les premiers rebelles furent les anges, la première rébellion fut la chute. Nous ne serons pas débarrassés de ce genre de choses dans un avenir prévisible mais peut-être serait-il préférable que nous nen soyons pas débarrassés. Quoi quil en soit elles existent et requièrent notre attention. Si nous les examinons selon la perspective dune doctrine, aussi pertinente fût-elle à lépoque, aussi évocatrice soit-elle encore de nos jours, notre appréhension du problème devient imparfaite, notre capacité de compréhension diminue et les risques de confusion saccroissent. Lincantation entrave lanalyse et même les restrictions imposées par lutilisation dune terminologie conformiste ont des répercussions sur notre pensée, la brident. La terminologie politique devient un fait politique, la terminologie intellectuelle devient un facteur de lactivité intellectuelle. Quand nous décrivons quelque chose comme révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, la moitié du processus dinterprétation a déjà été effectué, lautre moitié réfléchissant ce qui sest passé ou plutôt ce qui na pas réussi à se passer auparavant. Certes, la révolution est un fait historique continu, mais son contexte et son objectif se modifient dans le temps. Les révolutions du XIXe siècle, modelées sur celle de 1789, étaient censées combattre en faveur de la liberté (constitutionnelle, légale, de la presse, de parole et dentreprise), de la nation (patriotique et nationaliste), de lEtat (un Etat plus efficace, de préférence républicain), et contre la tyrannie (et la monarchie). Les révolutions du XXe siècle, un modèle suggéré par Marx et revu par Lénine, furent censées éliminer la bourgeoisie (pas la monarchie), faire avancer la conscience, lunité et la lutte dune classe (pas dune nation), prendre le contrôle des moyens de production (plutôt que de les libérer en faveur de leur exploitation privée). Dans le second cas, cest dans la sphère économique (production) et non dans celle de la politique (le reflet constitutionnel des réalités économiques) que se trouvaient les relations à changer. Un monde de différences sépare les deux projets révolutionnaires. Et quand Marx déclara que le changement de contexte réclamait un changement du projet révolutionnaire, il dut paraître aussi contre-révolutionnaire aux yeux des révolutionnaires (traditionnalistes) de son époque, quaujourdhui celui qui qualifie le projet marxiste et ses dérivés danachroniques quand ils sont mis en uvre dans un contexte très différent de celui du temps de leur formulation. Le projet révolutionnaire socialiste faisait référence à une société industrielle dominée par la machine à vapeur, les conditions de vie et de travail quelles avaient engendrées, et par leur traduction dans le discours libéral, les théories individualistes et lorganisation économique concurrentielle. Tout cela a disparu ou est en passe de disparaître en Occident. Ce qui ne signifie pas que ce soit le cas de la misère et de la guerre, de linjustice ou de lexploitation, des rivalités entre nations, des Etats arrogants et dominateurs. Mais le socialisme na pas prouvé quil était plus capable que dautres systèmes dapporter une solution à ces problèmes. En tout état de cause, la question que soulève lanalyse marxiste nest pas de savoir jusquà quel point elle est correcte en termes généraux, mais plutôt de savoir dans quelle mesure elle peut apporter une interprétation et une inspiration dynamiques (révolutionnaires) dans des circonstances historiques déterminées. Son application à des conditions du genre de celles qui régissent la plupart des pays latino-américains et africains paraît restrictive ou source de confusion ; elle entraîne les soi-disant révolutionnaires à des contorsions idéologiques et entrave leur action. » La question reste posée dans les pays développés où de profonds changements sont intervenus et qui donnent le ton à travers le monde : passage du secteur secondaire au secteur tertiaire, remplacement de lentreprise individuelle par la société anonyme, mutations idéologiques. Alors que lancestrale loi de la nécessité joue de moins en moins, de nouveaux problèmes majeurs apparaissent et exigent de nouvelles solutions qui ressortent plus dun pragmatisme éclairé que dune idéologie : la croissance, laccélération du changement, le développement de la technique et de lautomation, la démographie, les moyens de communication de masse, linformation, la propagande. (a) Eugen Weber, Ma France, édit. Fayard, Paris, février 1992. (b) La gauche et la droite ne diffèrent que par le thème de leurs phantasmes messianiques : nation ou race pour celle-ci, prolétaires et intellectuels pour celle-là. Lune et lautre peuvent être fascinées par des héros. Lune et lautre ont récemment tourné leur attention vers la jeunesse, dernier espoir fragile de ceux qui ont misé sur tant de chevaux et perdu. Mais la jeunesse (en tant quidéologie) est le produit dune société adulte, comme le prolétariat industriel est le produit de la société capitaliste, et est aussi bien destinée à lassimilation que ses prédécesseurs. Et sans doute davantage. Date de création : 28/09/2010 @ 07:38 Réactions à cet article
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