INTELLIGIBILITÉ DU VISAGE
1/ Lenseignement dEmmanuel Lévinas
Il faut savoir que cet enseignement est consigné dans une uvre qui a pour titre « Totalité et infini » et qui a fait lobjet dune thèse soutenue en Sorbonne en 1961. A la suite de cette soutenance, E. Lévinas a enseigné la philosophie à lUniversité de Nanterre.
Lêtre humain est essentiellement un visage
Lévinas sinterrogea longuement pour savoir, < si à « lamour-de-la-sagesse », si à lamour quest la philosophie venue des Grecs nétait chère que la certitude des savoirs investissant lobjet, ou la certitude plus grande encore de la réflexion sur ces savoirs ; ou si cette sagesse aimée et attendue des philosophes nétait pas, par-delà la sagesse du connaître, la sagesse de lamour ou la sagesse en guise damour. Philosophie comme amour de lamour. Sagesse quenseigne le « visage » de lautre homme >.
La définition du visage
< Le visage nest pas lassemblage dun nez, dun front, dyeux, etc., il est tout cela certes, mais prend la signification dun visage par la dimension nouvelle quil ouvre dans la perception dun être. Par le visage, lêtre nest pas seulement enfermé dans sa forme et offert à la main il est ouvert, sinstalle en profondeur et, dans cette ouverture, se présente en quelque manière personnellement. Le visage est un mode irréductible selon lequel lêtre peut se présenter dans son identité. Les choses, cest ce qui ne se présente jamais personnellement et, en fin de compte, na pas didentité. A la chose sapplique la violence. Elle en dispose, elle la saisit. Les choses donnent prise, elles noffrent pas de visage. Ce sont des êtres sans visage >.
Lapparition du visage dans la réciprocité
<Le visage se refuse à la possession, à mes pouvoirs. Dans son [apparition], dans lexpression, le sensible, encore saisissable se mue en résistance totale à la prise. Cette mutation ne se peut que par louverture dune dimension nouvelle.
Le visage où se présente lAutre absolument autre ne nie pas le Même, ne le violente pas comme lopinion ou lautorité ou le surnaturel thaumaturgique. Il reste à la mesure de celui qui accueille, il reste terrestre. Cette présentation est la non-violence par excellence, car au lieu de blesser ma liberté, elle lappelle à la responsabilité et linstaure. Non-violence, elle maintient cependant la pluralité du Même et de lAutre. Elle est paix. Le rapport avec lAutre absolument autre qui na pas de frontière avec le Même, ne lexpose pas à lallergie qui afflige le Même dans une totalité>.
Visage et parole
<A aucun degré lêtre nest objet, il est en dehors de toute emprise. Ce dégagement à légard de toute objectivité signifie positivement pour lêtre, sa présentation dans le visage, son expression, son langage. LAutre en tant quautre est Autrui. Il faut la relation du discours pour le « laisser être » ; le « dévoilement » pur, où il se propose comme un thème, ne le respecte pas assez pour cela. Nous appelons justice cet abord de face, dans le discours. Si la vérité surgit dans lexpérience absolue où lêtre luit de sa propre lumière, la vérité ne se produit que dans le véritable discours ou dans la justice >.
2/ Lactualisation faite par le professeur Redeker
Cette actualisation ressort de son article paru dans le Figaro le 8 février 2010, sous le titre : « La burqa ou lapparition interdite ».
Elle recouvre, dans un premier temps, les trois premiers chapitres retenus pour Lévinas ; sy ajoutent des considérations sur la burqa, problème soulevé récemment en France.
Lêtre humain est essentiellement un visage
<Quest-ce quun être humain ? Réponse : un visage. Sil est possible de définir lhomme par une multitude de caractéristiques, comme la raison (Aristote), le travail (Marx), le désir (Spinoza), la politique (Aristote encore), linvention technique (Bergson) ou lêtre-là (Heidegger).
Il semble cependant que rien napproche aussi essentiellement la vérité de lhumanité que laffirmation de Lévinas : lêtre humain est un visage. Avant dêtre raison, travail, désir, animal politique, animal travaillant, animal artisan, tout homme, au sens générique du terme, est visage>.
La définition du visage
<Un visage est une apparition, celle dun être humain à dautres êtres humains. Ce nest pas une chose quelconque qui apparaît de la sorte, ni un animal, mais une entité dont on sait demblée quelle est en même temps un sujet et une réalité unique, bref un être humain. Une âme, pourrait-on dire. Ce visage unique indique une singularité globale : un corps unique, un sujet ou une âme uniques. Tout cela le corps, le sujet, lâme apparaît en même temps, avec le visage. Rien de plus vrai : lhomme, la femme, lenfant sont des êtres dapparition >.
Lapparition du visage dans la réciprocité
<Nous ne regardons pas les autres êtres humains comme nous regardons les animaux, les plantes, les étoiles. Nous les regardons de telle sorte quun évènement se produit : nous nous apparaissons les uns aux autres. Lapparition du visage, des corps et, derrière eux des âmes, sopère dans la réciprocité. Japparais à autrui, autrui mapparaît. Cest par cette apparition réciproque que chacun et chacune sinsèrent dans lhumanité.
Ainsi lapparition réciproque opère-t-elle bien plus que le lien social : elle réalise le lien humain, autrement dit chacun et chacune>.
Ce quest la burqa
<Un ensemble de négations : négation du corps, négation du visage; elle les interdit d'apparition. Qu'est-ce qui apparaît en effet quand surgit une personne en burqa ? Tout autre chose que le visage, le sujet, l'âme ou le corps ; une forme informe, une silhouette vague et sombre comme venue des enfers. Mais surtout, la burqa fait plus que soutirer celles qui la portent au regard dautrui : elle le retire de la réciprocité dapparition, ce fondement à lexistence humaine, à la commune appartenance à lhumanité. Elle les retire de léchange des visages>.
Ce quil y a de grave dans la burqa
<Il faut voir dans la paralysie de la réciprocité le cur du dispositif, lélément déshumanisant décisif ; qui est entravée par une burqa voit sans être vue. En éliminant de la visibilité réciproque, de la communication par les visages, les femmes à qui elle est infligée, la burqa les élimine ipso facto de lhumanité>.
3/ Les citations dautres auteurs
Les enseignements qui précèdent ne constituent pas une vue de lesprit ; chacun, quotidiennement, en fait lexpérience et ceci depuis plus de deux millénaires, de sorte que nombre dauteurs, anciens ou contemporains ont partagé ces vues et se sont exprimés sur le mot-clé, le visage.
On peut relever les citations de :
Un empereur romain, Marc Aurèle (101-180)
Avant que tu ne parles, on doit pouvoir lire sur ton visage ce que tu vas dire.
Un philosophe de lAntiquité, Aristote
Un beau visage est un avantage préférable à toutes les lettres de recommandation.
Un philosophe contemporain, Jean Luc Marion (1966- )
Voir un visage revient à dire en silence son énigme invisible.
Un poète et résistant français, René Char (1907-1988)
Lacquiescement éclaire le visage. Le refus lui donne la beauté.
Deux écrivains français du siècle dernier
Gérard Bauër (1888-1967)
La voix est un second visage.
Marcel Jouhandeau (1888-1979)
Le vrai blason de chacun, cest son visage.
Un écrivain, romancier et philosophe italien, Umberto Eco (1932- )
Laisse parler ton cur, interroge les visages ; nécoute pas les langues.
Un écrivain malien, Massa Makan Diabaté (1938-1988)
On trouve plus de certitude sur un visage que dans des paroles.
Un cinéaste, Robert Bresson
Voix et visage. Ils se sont formés ensemble et ont pris lhabitude lun de lautre.
Remarque : cette liste ne peut, en aucun cas, prétendre à lexhaustivité.