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Synthèses - Rôle de la philosophie dans l'évolution des sciences 3
IV. LA PHILOSOPHIE CORPUSCULAIRE ET ASTRONOMIQUE DE NEWTON Espace, matière, éther, esprit Dans les Questions (17 à 23) jointes à lédition latine de lOptique[1] (1706), Newton a exposé ses idées sur le but et les fins de la philosophie et développé, en même temps, sa conception générale du monde, système extrêmement intéressant et passablement consistant de « philosophie corpusculaire » déjà esquissé dans ses lettres à Bentley qui affirmait lunité fondamentale de la matière et de la lumière et concevait les composants matériels de lUnivers. Il détaille ainsi les particules dures et indivisibles, comme constamment soumises à laction de tout un système de différentes forces non matérielles dattraction et de répulsion. Enoncé de la Question 20 : De la nécessité dadmettre lexistence despaces célestes remplis dun éther extrêmement fin Cest ainsi que la Question 20 explique longuement limpossibilité physique (astronomique) dadmettre le plein (un espace entièrement plein qui opposerait au mouvement une résistance si forte quil serait pratiquement impossible et aurait cessé depuis longtemps) en même temps que la possibilité physique (astronomique) dadmettre lexistence despaces célestes remplis dun éther extrêmement fin, raréfié et ténu dont la densité peur être réduite à souhait (notre air nest-il pas « à une altitude de 70, 152, 223 milles 1.000.000, 100.000.000 ou 1.000.000.000 de fois plus raréfié », etc., quau niveau de la Terre ?), ce qui implique la nature granulaire de cet éther, lexistence dun vide et le rejet dun milieu continu. Il en vient à conclure que, pour ce faire on peut invoquer lautorité des plus anciens et des plus célèbres de la Grèce et de la Phénicie qui prirent le vacuum et les atomes, et la gravité des atomes, pour les premiers principes de leur philosophie, attribuant tacitement la gravité à quelque autre cause que la matière dense. Les philosophes plus récents bannissent la considération dune telle cause de la philosophie naturelle, feignant des hypothèses pour expliquer toutes choses mécaniquement, et renvoyant les autres causes à la métaphysique : tandis que laffaire principale de la philosophie naturelle est de raisonner à partir des phénomènes, sans feindre dhypothèses, et de déduire les causes des effets, jusquà ce que nous parvenions à la toute première cause qui, certainement, nest pas mécanique. Et non seulement de développer le mécanisme du monde, mais surtout de résoudre les questions suivantes, et autres semblables.
La foule des questions qui se posent Quest-ce quil y a dans les lieux presque vides de matière ? Et doù vient-il que le soleil et les planètes gravitent les uns vers les autres sans quil y ait de la matière dense entre eux ? Doù vient-il que la nature ne fait rien en vain, et doù proviennent tout cet ordre et toute cette beauté que nous voyons dans le monde ? A quelle fin sont [créées] les comètes ? Et doù vient-il que les planètes se meuvent toutes dans le même sens sur des orbes concentriques tandis que les comètes se meuvent de toutes sortes de manières sur des orbes très excentriques ? Et quest-ce qui empêche les étoiles fixes de tomber les unes sur les autres ? Comment les corps des animaux sont-ils arrivés à être construits avec tant dart, et à quelle fin servent leurs parties différentes ? Est-ce que lil a été formé sans connaissance de loptique et loreille sans connaissance des sons ? Comment les mouvements des animaux suivent-ils de leur volonté et doù vient linstinct dans les animaux ? Est-ce que le sensorium des animaux nest pas le lieu auquel est présente la substance sensitive, et dans lequel les espèces sensibles des choses sont portées par les nerfs et le cerveau afin quils puissent y être perçues par leur présence immédiate à cette substance ?
La mise en évidence de la Première Cause à laquelle notre petit sensorium permet de nous rapprocher
Et ces choses étant dûment considérées, napparaît-il pas des phénomènes quil y a un Être Incorporel, Vivant, Intelligent, Omniprésent qui dans lespace infini, comme si cétait dans son sensorium, voit intimement les choses elles-mêmes et les perçoit parfaitement et les comprend entièrement par leur présence immédiate à lui-même. Desquelles choses les images seulement, portées par les organes de sens dans nos petits sensoria y sont vues et aperçues par ce qui en nous perçoit et pense. Et si chaque pas en avant fait dans cette philosophie ne nous conduit pas immédiatement à la connaissance de cette Première Cause, cependant il nous en rapproche, et de ce fait doit être hautement estimé. Enoncé de la Question 23 concernant les forces immatérielles extérieures à la matière
Les petites particules des corps nont-elles pas certaines puissances, vertus, ou forces par lesquelles elles agissent à distance non seulement sur les rayons de lumière pour les réfléchir, les réfracter et les infléchir, mais aussi les unes sur les autres, pour produire une grande partie des phénomènes de la nature car il est bien connu agissent les uns sur les autres par les attractions de la gravité, du magnétisme, et de lélectricité ; et ces instances montrent la trame et le cours de la nature. Aussi nest-il pas improbable quil y ait dautres forces attractives en plus de celles-ci. Car la Nature est très conséquente et très conforme à elle-même. Pas plus que dans les Principia, Newton ne nous dit explicitement ce que sont ces « forces » variées. Tout comme dans les Principia, il laisse la question ouverte, bien que, comme nous le savons, il les considère comme étant de lénergie non mécanique, immatérielle et même « spirituelle », extérieure à la matière. Comment ces attractions peuvent-elles être produites, je ne lexamine pas ici. Ce que jappelle attraction peut être produit par limpulsion, ou par quelques autres moyens que jignore. Juse ici de ce mot seulement pour désigner dune manière générale toute force en vertu de laquelle les corps tendent les uns vers les autres, quelle quen soit la cause. Car nous devons apprendre par les phénomènes de la nature quels sont les corps qui attirent les uns les autres, et quelles sont les lois et les propriétés de lattraction avant de rechercher la cause par laquelle lattraction est produite. Les attractions de la gravité, du magnétisme et de lélectricité, portent à des distances très sensibles, et ont été ainsi observées par les yeux des vulgaires ; et il peut y en avoir dautres qui portent sur des distances si petites quelles ont jusquici échappé à lobservation ; ainsi lattraction électrique peut, peut-être, sétendre à de telles petites distances même sans avoir été excitée par le frottement. Lexistence de corps sous-tend lexistence de forces réelles Quels que puissent être ces forces, elles sont, en tout cas, réelles et tout à fait indispensables pour expliquer même hypothétiquement lexistence de corps, cest-à-dire la cohésion des particules matérielles qui les composent : un modèle purement matériel de la nature est tout à fait impossible (et une physique purement matérielle ou mécaniste comme celle de Lucrèce et Descartes lest également) : Les parties de tous les corps durs homogènes qui se touchent pleinement tiennent très fortement ensemble. Et pour expliquer comment cela est possible, certains ont inventé des atomes crochus, ce qui est présupposer ce qui est en question ; dautres nous disent que les corps sont collés ensemble par le repos, cest-à-dire par une qualité occulte, ou plutôt par rien ; et dautres quelles sont jointes ensemble par des mouvements conspirants, cest-à-dire, par un repos relatif entre elles[2]. Je préfèrerai inférer de leur cohésion que leurs particules les unes les autres par quelque force, qui, dans le contact immédiat est certainement puissante, et qui, à de petites distances, produit les opérations chimiques et ne sétend pas très loin des particules. On pourrait, bien entendu, objecter (et Leibniz la fait) que Newton a tort de sen tenir à la conception atomistique classique des ultimes composants de la matière, particules dures, impénétrables et indivisibles, conception qui implique de grandes difficultés pour la dynamique. Ce qui peut résulter de la cohésion des corps selon leur dureté ou leur élasticité Il est impossible, en effet, de dire ce qui arriverait lors de la collision de deux corps absolument durs. Prenons par exemple deux corps parfaitement semblables et parfaitement rigides, cest-à-dire absolument inélastiques et indéformables, se rapprochant lun de lautre le cas classique de dynamique à la même vitesse. Comment se comporteront-ils après le choc ? Rebondiront-ils comme le feraient des corps élastiques ? Ou bien chacun arrêtera-r-il lautre comme ce serait le cas pour des corps non élastiques ? A vrai dire, ils ne devraient faire ni lun ni lautre Ainsi que nous le savons, afin de préserver le principe de la conservation de lénergie, Descartes affirmait que les corps rebondiraient. Mais il avait évidemment tort. Cependant, si nous admettons que les corps sarrêteraient mutuellement, cest-à-dire que tout choc détruit du mouvement, la machine du monde ne sépuiserait-elle pas très rapidement et ne finirait-elle pas par sarrêter très vite ? Pour éviter ces difficultés, ne nous faut-il pas renoncer à la conception atomistique et admettre, par exemple, que la matière est divisible à linfini ou bien ou bien que ses composants ultimes sont, non p)as des atomes durs, mais des particules molles ou élastiques, ou même « des monades physiques » ? Cest pourquoi Newton continue.
La dureté à linstar de limpénétrabilité universelle comme propriétés de la matière simple Tous les corps semblent être composés de particules dures. Car autrement les fluides ne se congèleraient (solidifieraient) pas comme le font leau, lhuile, le vinaigre, et lesprit de lhuile de vitriol par le refroidissement (gel) ; le mercure par la fumée du plomb ; lesprit du nitre et du mercure, par la dissolution du mercure et lévaporation du flegme ; lesprit du vin et lesprit de lurine par par leur déflegmation et mélange ; lesprit de lurine et lesprit du sel par leur sublimation ensemble pour former le sel ammoniaque. Même les rayons de lumière semblent être des corps durs : car autrement ils ne retiendraient pas des propriétés différentes dans leurs côtés différents. Aussi la dureté peut être considérée comme une propriété de toute matière simple. Cela semble, du moins, être aussi évident que limpénétrabilité universelle de la matière. Car tous les corps, autant que sétend notre expérience, sont durs ou peuvent être rendus durs ; et nous navons pas dautre évidence de limpénétrabilité universelle quune vaste expérience (qui ne comporte) aucune exception expérimentale. Reste à résoudre le difficile problème des corps composés Or, si les corps composés sont dune dureté aussi grande que nous les trouvons être, si néanmoins sont très poreux, et sont composés de parties qui sont seulement placées ensemble, les particules simples qui nont pas de pores, et nont jamais été divisées doivent être beaucoup plus dures. Car de telles particules dures, étant entassées ensemble, ne peuvent guère se toucher les unes les autres que par très peu de points et, par conséquent doivent être séparables par beaucoup moins de force quil en faut pour rompre une particule solide dont les parties se touchent dans tout lespace qui est entre elles, sans aucun pores ou interstices pour affaiblir leur cohésion. Mais comment de telles particules très dures qui sont seulement entassées ensemble et ne se touchent que dans peu de points peuvent tenir ensemble et ce aussi fortement quelles le font, sans lassistance de quelque chose qui causerait quelles soient attirées ou pressées les unes vers les autres, est très difficile à comprendre. Le raisonnement qui conduit à la réalité des forces dattraction et de répulsion
Comme le montre clairement le texte même que vient de citer Koyré, ce « quelque chose » ne peut être du moins en dernière analyse dautres particules plus petites, « éthérées », car la même question de leur interaction peut, bien entendu, être soulevée au sujet des particules « éthérées » elles-mêmes, et on ne peut y répondre en postulant lexistence dun ultra-éther qui, en outre , impliquerait lexistence dun ultra-ultra éther, et ainsi de suite. Des forces dattraction, et aussi de répulsion, sont donc des éléments fondamentaux, bien quimmatériels de la Nature[3],
Il y a donc dans la nature des agents capables de faire que les particules de la matière tiennent (collent) ensemble par des attractions très fortes. Et cest laffaire de la philosophie expérimentale de les découvrir (trouver). Traiter les effets des forces immatérielles ou transmatérielles comme des forces mathématiques, sans discuter sur leur nature On voit donc à nouveau quune bonne philosophie naturelle, empirique et expérimentale, nexclut pas de la structure du monde et du décor du ciel des forces immatérielles ou transmatérielles. Elle renonce simplement à discuter sur leur nature et, ne sen occupant quen tant que causes deffets observables les traite puisquil sagit dune philosophie naturelle mathématique comme des causes ou forces mathématiques, cest-à-dire comme des concepts ou relations mathématiques. Cest au contraire la philosophie a priori des atomistes classiques grecs, qui au moins acceptaient lexistence de lespace vide, et probablement même le caractère bon mécanique de la gravité, et bien entendu, la philosophie de Descartes, qui sont responsables de cette exclusion, ainsi que des tentatives impossibles pour tout expliquer par la matière et le mouvement. Quant à Newton lui-même, il est si profondément convaincu de la réalité de ces forces immatérielles et, dans ce sens, transphysiques, que cette conviction lui permet de brosser un tableau tout à fait extraordinaire et véritablement prophétique de la structure générale des êtres matériels. Structure générale des êtres matériels Or les plus petites particules de la matière peuvent être unies par les attractions les plus fortes et composer des particules plus grosses dune vertu plus faible ; si plusieurs dicelles peuvent sunir et composer des particules [encore] plus grosses Dont la vertu est encore plus faible jusquà ce que la progression ne finisse dans les particules les plus grosses [particules] dont dépendent les opérations chimiques et les couleurs des corps naturels et qui, en sunissa nt ensemble, composent les corps dune grandeur sensible. Si le corps est compact et se courbe ou cède [vers lintérieur] à la pression sans le glissement de ses parties, il est dur et élastique, retournant à la forme première avec une force provenant de lattraction mutuelle de ses parties. Si les parties glissent lune sur lautre, le corps est malléable ou mou. Si elles glissent facilement, et sont dune dimension appropriée à être agitées par la chaleur, et la chaleur est assez forte pour les maintenir en agitation, le corps est fluide ; et sil est apte à sattacher [coller] aux choses, il est humide ; et les gouttes de tout fluide assument une forme ronde [sphérique] par lattraction mutuelle de leurs parties, comme le globe de la terre et de la mer assume une figure ronde par [en vertu] de lattraction mutuelle de ses parties. Une fois admise lexistence de différents champs de forces liés avec des corps ou des particules, soffre la possibilité de les traiter En outre, ainsi que Koyré y a déjà fait allusion plus haut, admettre lexistence de différentes forces immatérielles agissant sur des corps ou particules selon des lois mathématiques précises, ou admettre lexistence de différents champs de forces liés avec les corps ou des particules, nous permet ce qui est un avantage inappréciable de les superposer mutuellement, et même de les transformer en leurs contraires. En effet, Puisque les métaux dissous dans les acides nattirent quune petite quantité de lacide, leur force attractive ne peut sétendre quà une petite distance Et comme dans lalgèbre, là où lattraction cesse, doit succéder une vertu répulsive. Or, quil y ait une telle vertu semble suivre des réflexions et inflexions des rayons de lumière. Car les rayons sont repoussés par les corps dans ces deux cas sans contact immédiat avec le corps réfléchissant ou infléchissement. Cela semble suivre aussi de lémission de la lumière ; le rayon, dès quil est détaché du corps lumineux par le mouvement vibratoire des parties de ces corps, et passe au-delà de la sphère de [son] attraction, est poussé en avant avec une vitesse extrême. Car la force qui est suffisante pour le renvoyer en arrière dans la réflexion, peut lêtre aussi pour lémettre. Cela semble suivre aussi de la production de lair et des vapeurs. Car les particules, détachées des corps par la chaleur ou la fermentation, dès quelles sont au-delà de la portée de lattraction du corps, séloignent de lui, et aussi les unes des autres, avec une grande force, en sécartant parfois à des distances [telles] quelles occupent plus dun million de fois plus despèces quelles ne faisaient auparavant sous la forme dun corps dense. Or, cette grande contraction et expansion ne semble pas pouvoir être rendue intelligible en feignant que les particules de lair possèdent du ressort ou sont rameuses, ou sont enroulées comme des cerceaux, ou par aucun autre moyen que par une puissance répulsive. La seule possibilité dexpliquer lélasticité des corps autrement que par des moyens mécaniques est liée à la double structure matérielle et immatérielle de la Nature Ainsi, pour Koyré, lacceptation de lexistence de « puissances » immatérielles nous offre une solutionimmédiateetélégantedu très important et crucial problème de lélasticité, ou « flexibilité » des corps ; et vice versa cette solution même prouve quil est impossible dexpliquer cette propriété des corps par des moyens purement mécaniques (comme Descartes et Boyle lavaient essayé) et confirme par conséquent linsuffisance du matérialisme pur, non seulement pour la philosophie en général, mais aussi pour la philosophie naturelle. A vrai dire sans Forces et Puissances immatérielles, il ny aurait point de Nature, objet de la philosophie, car il ny aurait ni cohésion, ni unité, ni mouvement ; ou, sil y en avait eu au départ, ils auraient depuis longtemps cessé dexister. Au contraire, si nous admettons la double structure matérielle et immatérielle de la Nature, la Nature sera très conforme à elle-même, et très simple, produisant tous les grands mouvements des corps célestes par lattraction de la gravité qui intercède entre ces corps, et presque tous les petits [mouvements] de leurs particules par quelques autres puissances attractives et répulsives qui intercèdent entre ces particules. La vis inertiae est un principe passif par lequel les corps persistent dans leur mouvement ou leur repos, reçoivent le mouvement en proportion de la force qui limpriment, et résistent dans la même mesure dans laquelle ils éprouvent de la résistance. En vertu de ce principe seul il ne pourrait jamais y avoir du mouvement dans le monde. Il était besoin de quelques autres principes pour mettre les corps en mouvement ; et maintenant quils y sont, il est besoin de quelque autre principe pour conserver le mouvement. En effet de la composition différente de deux mouvements il sensuit très certainement quil ny a pas toujours la même quantité de mouvement dans le monde. Car si deux globes joints par une verge mince tournent, avec un mouvement uniforme, autour de leur centre commun de gravité, tandis que ce centre se meut uniformément en ligne droite tracée dans le plan de leur mouvement circulaire, la somme du mouvement des deux globes, aussi souvent que ces globes seront dans la ligne droite décrite par le centre commun de gravité, sera plus grande que la somme de leurs mouvements lorsquils seront dans la ligne perpendiculaire à cette ligne droite. Il apparaît par cette instance que le mouvement peut être acquis ou perdu[4]. Mais à cause de la ténacité des fluides et de lattrition de leurs parties, ainsi que de la faiblesse de lélasticité dans les solides, le mouvement est beaucoup plus apte à être perdu quà être acquis ; aussi va-t-il toujours en dépérissant. Car les corps qui sont soit absolument durs, ou si mous quils sont privés délasticité, ne rejailliront pas lun de lautre. Limpénétrabilité ne fera que les arrêter. Si deux corps égaux se rencontrent directement dans le vide, ils vont, conformément aux lois du mouvement, sarrêter là où ils se rencontrent et demeurent en repos, à moins quils ne soient élastiques et reçoivent un mouvement nouveau du ressort. Pas délasticité absolue des corps, ni de mouvement tourbillonnaire tel que supposé par Descartes Cependant, même sils sont élastiques, ils ne peuvent pas lêtre absolument et par conséquent, lors de chaque choc, du mouvement (cest-à-dire de la quantité de mouvement) sera perdu. Et si le monde était plein, comme les Cartésiens veulent quil soit, le mouvement « tourbillonnaire » supposé par Descartes cesserait très vite, car : A moins que la matière ne soit privée de toute ténacité ni attrition des parties, et de la communication du mouvement (ce qui nest pas à être supposé), le mouvement irait constamment en dépérissant. Or comme nous voyons que la variété des mouvements que nous trouvons dans le monde décroît toujours, il est nécessaire quil [le mouvement] soit conservé et renouvelé par des principes actifs, tels que le sont la cause de la gravité par laquelle les comètes et les planètes maintiennent leurs mouvements sur leurs orbes, et les corps acquièrent un si grand mouvement en tombant ; la cause de la fermentation par laquelle le cur et le sang des animaux sont tenus en mouvement et chaleur perpétuels ; les parties intérieures de la terre sont constamment échauffées et, dans certains endroits, deviennent très chaudes ; les corps brûlent et luisent. Les montagnes prennent feu, les cavernes de la terre explosent, et le Soleil continue [à être] extrêmement chaud et lumineux et échauffe toutes les choses par sa lumière. Car, nous rencontrons très peu de mouvement en dehors de celui qui est dû à ces principes actifs. Et sans ces principes, les corps de la terre, des planètes, des comètes et tout ce quils contiennent deviendraient froids, et gèleraient et deviendraient des masses inactives ; toute putréfaction, génération, végétation et vie cesseraient et les planètes ne demeureraient pas sur leurs orbes. Laction constante de « principes actifs » dans le monde du Dieu Omniprésent nous montre que ce monde a pu être à sa création et quil a été lobjet dun choix Ainsi, sans laction constante dans le monde du Dieu Omniprésent et Omnipotent le monde ne saurait demeurer dans lêtre. Ainsi Newton poursuit-il : Toutes ces choses étant considérées, il me semble probable que Dieu, au commencement, forma la matière en particules solides, massives, dures, impénétrables et mobiles, de telles dimensions et figures, avec telles autres propriétés, et en une telle proportion à lespace qui convenaient le mieux à la fin pour laquelle il les avait formées. Et que ces particules primitives, étant des solides, sont incomparablement plus dures que tous les corps poreux composés dicelles ; et même tellement dures quelles ne susent et ne se rompent jamais ; aucune puissance ordinaire nétant capable de diviser ce que Dieu lui-même a fait un lors de sa première création. Tant que les particules demeurent entières, elles peuvent, dans tous les âges, constituer des corps dune même contexture et nature ; mais si elles venaient à suser ou à se rompre, la nature des choses qui en dépendent aurait été changée. Leau et la terre composées de vieilles particules usées et de fragments de ces particules ne seraient pas de la même nature et de la même contexture que leau et la terre composées au commencement de particules entières. Par conséquent, afin que la Nature puisse être durable, les changements des choses corporelles ne doivent consister que dans des séparations, nouveaux assemblages et mouvements divers de ces particules permanentes ; les corps composés étant aptes à se rompre non pas à travers leurs particules solides, mais là où ces particules sont [seulement] pos »es lune sur lautre et ne se touchent quen quelques points. Il me semble en outre que ces particules possèdent non seulement un vis inertiae accompagné des lois passives du mouvement qui naturellement résultent de cette force, mais quelles sont aussi mues par certains principes actifs tels que celui de la gravité et celui qui produit la fermentation dans les corps, et cest laction de ces principes ou, plus exactement, laction de Dieu par le moyen de ces principes ; qui donne au monde son ordre et sa structure, lesquels nous permettent de nous apercevoir que ce monde est le résultat dun choix, et non du hasard et de la nécessité. Cest ainsi que la philosophie naturelle du moins la bonne, cest-à-dire cclle de Newton et non celle de Descartes se transcende et conduit à Dieu. Cest avec laide de ces principes que toutes les choses matérielles semblent avoir été composées des particules dures et solides mentionnées ci-dessus, mises ensemble de manières variées dans leur primitive création par le conseil dun Agent Intelligent. Cat il convenait à Celui qui les a créées de les mettre en ordre. Et sil le fit, il est antiphilosophique de chercher pour le monde toute autre origine, ou de prétendre quil pourrait surgir du Chaos en vertu des seules lois de la Nature[5] ; quoique, une fois formé, il peut continuer [exister] en vertu de ces lois pendant des âges. Structure du système solaire Tout cela, et bien davantage encore la structure du système solaire, nous révèle laction créatrice de Dieu dans le monde : Car tandis que les Comètes se meuvent sur des orbes très excentriques dans toutes sortes de positions, la nécessité aveugle naurait jamais pu obliger toutes les planètes à se mouvoir dans une seule et même direction sur des orbes concentriques, exception faite pour quelques irrégularités inconsidérables qui peuvent avoir été produites par laction mutuelle des comètes et des planètes les unes sur les autres, qui sont aptes à croître, jusquà ce que ce système ait besoin dune reformation. Une telle uniformité admirable dans le système planétaire doit être comprise comme leffet dun chois. De même aussi luniformité dans les corps des animaux ne peut être effet de rien dautre que de la sagesse et de lhabileté dun agent puissant et éternellement vivant qui, étant présent dans tous les lieux, est plus capable de mouvoir par sa volonté les corps dans son sensorium uniforme et infini et, par là, de former et de reformer les parties de lUnivers que nous ne sommes, par notre volonté, de mouvoir les parties de notre corps. Et cependant nous ne devons pas considérer le monde comme le corps de Dieu ou les différentes parties [du Monde] comme les parties de Dieu. Il est un être uniforme, privé dorganes, membres ou parties, et ils sont ses créatures, subordonnées à lui et soumises à sa volonté ; et Il nest pas davantage leur âme que lâme de lhomme est lâme des espèces (species) des choses portées à travers les organes des sens dans le lieu de sa sensation où elle les perçoit en vertu de sa présence immédiate , sans intervention daucune autre chose. Les organes des sens ne sont pas là pour rendre lâme capable de percevoir les espèces des choses dans son sensorium mais seulement pour les y convoyer ; et Dieu, étant partout présent dans les choses elles-mêmes, na aucun besoin de tels organes [de sens]. Et comme lespace est divisible à linfini, et la matière nest pas nécessairement dans tous les lieux, il faut admettre aussi que Dieu peut créer des particules de matière, là où il le veut, conclut Newton qui aurait pu ajouter quil avait montré déjà dans Principes sans y insister que la loi de lattraction selon laquelle les corps sattirent en proportioninversedu carré de la distance, loi réelle de ce monde, nétait nullement la seule possible bien que la plus appropriée et que, sil lavait voulu, Dieu aurait pu en adopter une autre. Les réponses de Newton aux contradicteurs qui se sont manifestés Les mises au point du Scholie général en ce qui concerne laction de Dieu dans le monde Après lattaque de Berkeley et laccusation de Leibniz davoir, par sa théorie de lattraction universelle introduit dans la philosophie naturelle une qualité occulte déraisonnable, Newton fut contraint dajouter à sa 2ème édition des Principes en langue anglaise le fameux Scholie général ; dans cette notice explicative, Koyré relève quil exprime avec force les conceptions religieuses qui couronnent et étayent sa conception empirico-mathématique, et révèlent ainsi le véritable sens de sa méthode « philosophique ». Il lui paraît probable quil voulait ainsi se dissocier des alliés quelque peu encombrants auxquels avait fait allusion Berkeley[6] et, en exposant ses vues à sa propre façon, démontré comme lavait déjà essayé Bentley que la philosophie naturelle, ou tout au moins la sienne, conduit nécessairement non pas à nier, mais à affirmer lexistence de Dieu et son action dans le monde. Il est manifeste que, en même temps, il ne voulait pas désavouer ces alliés ou les rejeter ; et, en dépit de la mise en garde de Berkeley, il affirme non seulement lexistence du temps et de lespace absolu, mais aussi leur lien nécessaire avec Dieu. En comparaison avec les déclarations de Newton dans ses lettres à Bentley et a fortiori aux propres développements de Newton dans les Questions de lOptique, les affirmations du Scholie peuvent paraître moins explicite. Ainsi Newton ne nous dit rien [ici] de la nécessité dun concours continu de Dieu à la sauvegarde de sa structure ; il semble même admettre que, une fois commencé, le mouvement des corps célestes pourrait continuer éternellement ; ce nest quau commencement de ces mouvements que lintervention directe de Dieu paraît indispensable. Dautre part, il affirme bien entendu, que la structure effective du monde (cest-à-dire du système solaire) est le résultat dun choix conscient et intelligent[7] : Les projectiles néprouvent ici-bas dautre résistance que celle de lair, et dans le vide de Boyle, la résistance cesse, en sorte quune plume et de lor y tombent avec une égale vitesse. Il en est de même des espaces célestes, au-dessus de latmosphère de la terre, lesquels sont vides dair : tous les corps doivent se mouvoir très librement dans ces espaces ; et par conséquent les planètes et les comètes doivent y faire continuellement leurs révolutions dans des orbes donnés despèce et de position, en suivant les lois ci-dessus exposées. Et elles doivent continuer par les lois de la gravité à se mouvoir dans leurs orbes, mais la position primitive et régulière de ces orbes ne peut être attribuée à ces lois. Les six planètes principales font leurs révolutions autour du Soleil dans des cercles qui lui sont concentriques, elles sont toutes à peu près dans le même plan, et leurs mouvements ont la même direction. Les dix Lunes qui tournent autour de la terre, de Jupiter et de Saturne dans des cercles concentriques à ces planètes, se meuvent dans le même sens et dans les plans des orbes de ces planètes à peu près. Tous ces mouvements si réguliers nont point de causes mécaniques, puisque les comètes se meuvent dans des orbes fort excentriques, et dans toutes les parties du ciel. Par cette espèce de mouvement les comètes traversent très vite et très facilement les orbes des planètes, et dans leur aphélie [point le plus éloigné du Soleil], où leur mouvement est très lent, et où elles demeurent très longtemps, elles sont si éloignées les unes des autres que leur attraction mutuelle est presque insensible. Cet admirable arrangement du Soleil, des planètes et des comètes, ne peut être que louvrage dun être tout-puissant et intelligent. Et si chaque étoile fixe est le centre dun système semblable au nôtre, il est certain, que tout portant lempreinte dun même dessein, tout doit être soumis à un seul et même Être : car la lumière que le Soleil et les étoiles fixes se renvoient mutuellement est de même nature. De plus, on voit que celui qui a arrangé cet Univers, a mis les étoiles fixes à une distance immense les unes des autres, de peur que ces globes ne tombassent les uns sur les autres par la force de leur gravité. Le Dieu de Newton nest pas simplement un Dieu « philosophique », la Cause Première impersonnelle et indifférente des Aristotéliciens, ni le Dieu de Descartes ou de Leibniz qui sont aux yeux de Newton des dieux complètement indifférents et absents du monde. Le Dieu de Newton est ou du moins Newton le veut tel le Dieu de la Bible, le Maître effectif et le Souverain du monde créé par lui[8] : Cet Être infini gouverne tout, non comme lâme du monde, mais comme le Seigneur de touts choses. Et à cause de cet empire, le Seigneur-Dieu sappelle le Seigneur universel. Car Dieu est un mot relatif et qui se rapporte à des serviteurs : et lon doit entendre par divinité la puissance suprême non pas seulement sur des êtres matériels, comme le pensent ceux qui font Dieu uniquement lâme du monde, mais sur des êtres pensants qui lui sont soumis. Le Très-Haut est un Être infini, éternel, entièrement parfait : mais un Être, quelque parfait quil fût, sil navait pas de domination, ne serait pas Dieu. Car nous disons mon Dieu, votre Dieu, le Dieu dIsraël, le Dieu des Dieux et le Seigneur des Seigneurs, mais nous ne disons pas mon Êternel, votre Êternel, lÊternel dIsraël, lÊternel des Dieux ; nous ne disons pas, mon infini, ni mon parfait, parce que ces dénominations nont pasderelationàdes êtres soumis. Le mot de Dieu signifie quelquefois le Seigneur. La domination dun être spirituel est ce qui constitue Dieu : elle est vraie dans le vrai Dieu, elle sétend à tout dans le Dieu qui est au-dessus de tout, et elle est seulement fictive et imaginée dans les faux Dieux : il suit de ceci que le vrai Dieu est un Dieu vivant , intelligent et puissant ; quil est au-dessus de tout et entièrement parfait. Il est éternel et infini, tout-puissant, et omni-scient, cest-à-dire quil dure depuis léternité passée et dans léternité à venir, et quil est présent partout lespace infini : il régit tout ; et il connaît tout ce qui est et tout ce qui peut être. Sa durée sétend déternité en éternité ; sa présence dinfinité en infinité ; manifestement le Dieu de Newton nest pas au-dessus du temps et de lespace : Son Eternité est durée sempiternelle ; son Omniprésence, étendue infinie. Les choses étant ainsi est claire la raison pour laquelle Newton insiste qu Il nest pas léternité ni linfinité, mais il est éternel et infini ; il nest pas la durée ni lespace, mais il dure et il est présent ; il dure toujours et il est présent partout ; il est existant toujours et partout et en tout lieu, il constitue lespace et la durée. Et cependant, comme le Dieu de Henry More et de Joseph Raphson, non seulement « il dure à jamais et est partout présent », mais cest en « existant toujours et partout » qu« il constitue la durée et lespace ». Voilà pour Dieu ; ou pour Berkeley. Pour ce qui est de la gravité, ou de Leibniz, Newton explique quil na introduit dans la philosophie ni « qualités occultes », ni causes magiques, mais que, bien au contraire, il limite son investigation à létude et à lanalyse de phénomènes observables et manifestes et, renonçant, du moins pour le moment, à lexplication causale des lois établies par lexpérience et par lexpérimentation ; Jai expliqué jusquici les phénomènes célestes et ceux de la mer par la force de la gravitation, mais je nai assigné nulle part la cause de cette gravitation. Cette force vint de quelque cause qui pénètre jusquau centre du Soleil et des planètes, sans rien perdre de son activité ; elle nagit point selon la grandeur des superficies, (comme les causes mécaniques) mais selon la quantité de la matière ; et son action sétend de toutes parts à des distances immenses, en décroissant toujours dans la raison doublée des distances. « Je nimagine pas dhypothèses », formule devenue extrêmement célèbre et qui devrait être traduite non pas : je nimagine pas, mais je ne feins pas dhypothèses, formule dont le sens, comme celui de la plupart des assertions célèbres, détachées de leur contexte, a été sensiblement déformé. « Je ne feins pas dhypothèses » Bien sûr. Pourquoi Newton eut-il « feint des hypothèses », cest-à-dire des conceptions factices et fantaisistes, non déduites des phénomènes et par conséquent dépourvues de base avec la réalité Lexistence de la gravité est un fait patent, pour autant quil sagisse dune assertion relative au comportement des corps ou à lexistence de forces centripètes par leffet desquelles, au lieu de se mouvoir en ligne droite (comme ils devraient le faire daprès le principe ou la loi dinertie), les corps sont déviés et se meuvent suivant des courbes ; lidentification de la « force » cosmique qui détermine le mouvement des planètes avec celle qui fait que les corps tombent, cest-à-dire se meuvent vers le centre de la terre, est certainement une découverte importante. Mais admettre lexistence dans les corps dune certaine force qui leur permet dagir sur dautres corps et de les attirer nest pas non plus une hypothèse. Ni même une affirmation faisant usage de qualités occultes. Cest [faire face à la réalité]. Pour ce qui est des hypothèses « mécaniques », cest-à-dire celles de Descartes, Huyghens et Leibniz , elles nont pas de place dans la philosophie expérimentale Comme lexplique Roger Cotes, disciple et éditeur de Newton, dans la Préface à la 2ème édition anglaise des Principia, les hypothèses mécaniques feintes sont la spécialité et le plat de prédilection des Cartésiens que ces hypothèses amènent de plus à admettre des propriétés et réalités véritablement et réellement « occultes » Quant à Leibniz auquel, sans le mentionner, et bien quen le parodiant quelque peu, Cotes fait clairement allusion, il ne vaut pas mieux que les Cartésiens ; peut-être même est-il pire, car il suppose que « les comètes et planètes » sont entourées « datmosphères , qui de par leur propre nature se meuvent autour du Soleil en décrivant des sections coniques (allusion incontestable à la « circulation harmonique » dans laquelle, selon Leibniz, léther fluide se meut autour du Soleil en emportant avec lui les planètes), théorie que Cotes qualifie de « fable » aussi fantaisiste que celle des tourbillons cartésiens. Utiliser ainsi des « hypothèses » revient en effet à pervertir profondément et dangereusement le sens et lobjet mêmes de la philosophie naturelle. Une vraie Philosophie ne doit employer dans lexplication de la nature que des causes vraiment existantes ; elle ne doit pas chercher les lois par lesquelles le Tout-puissant aurait pu produire lordre admirable qui règne dans cet Univers, sil avait jugé à propos de les employer ; mais seulement celles quil a réellement établies par un acte libre de sa volonté. En effet, nous pouvons croire raisonnablement quun même effet peut être produit par plusieurs causes différentes ; mais la vraie cause pour un Philosophe, est celle qui produit actuellement leffet dont il est question : la bonne Philosophie nen connaît point dautres. Cependant, les partisans des hypothèses mécaniques, cest-à-dire encore une fois les Cartésiens et Leibniz ne se bornent pas à oublier cette règle fondamentale, ils vont bien plus loin : en niant comme impossible lespace vide, ils imposent en quelque sorte à Dieu une manière dagir déterminée, limitent sa puissance et sa liberté et le soumettent ainsi à la nécessité ; en fin de compte ile nient laction de Dieu dans le monde et len excluent. Il est certes pratiquement sûr certitude qui rend la « fabrication dhypothèses » tout à fait absurde que la cause véritable et ultime de la gravité est laction de l« esprit de Dieu ». Aussi Newton conclut-il son Scholie général comme suit : Ce serait ici le lieu dajouter quelque chose sur cette espèce desprit très subtil qui pénètre à travers tous les corps solide, et qui est caché dans leur substance. Cest par la force et laction de cet esprit que les particules des corps sattirent mutuellement aux petites distances, et quelles cohèrent lorsquelles sont contigues ; cest par lui que les corps électriques agissent à de plus grandes distances, tant pour attirer que pour repousser les corpuscules voisins : et cest encore par le moyen de cet esprit que la lumière émane, se réfléchit, sinfléchit, se rétracte, et échauffe les corps ; toutes les sensations sont excitées et les membres des animaux sont mûs, quand leur volonté lordonne, par les vibrations de cette substance spiritueuse qui se propagent des organes extérieurs des sens, par les filets solides des nerfs, jusquau cerveau ; et ensuite du cerveau dans les muscles. Mais ces choses ne peuvent sexpliquer en peu de mots ; et on na pas fait encore un nombre suffisant dexpériences pour pouvoir déterminer exactement les lois selon lesquelles agit cet esprit universel. Lissue des luttes La lutte homérique se termina sans victoire ; aucun des deux adversaires ne recula dun pouce de ses positions. Toutefois au cours des décennies suivantes, la science et la philosophie newtoniennes gagnèrent de plus en plus de terrain, en surmontant progressivement la résistance des Cartésiens et des Leibniziens qui, bien quopposés sur plusieurs points les uns des autres, firent front commun contre lennemi commun. Vers la fin du siècle, la victoire de Newton était complète. Le Dieu newtonien régnait en souverain dans la vide infini de lespace absolu dans lequel la force dattraction universelle reliait les corps à structure atomique de limmense Univers et réglait leurs mouvements selon des lois mathématiques de plus en plus précises. On pourrait soutenir, toutefois, que cette victoire fut une victoire à la Pyrrhus et quelle fut remportée à un prix désastreux. Cest ainsi que la force dattraction qui, pour Newton, était la preuve de linsuffisance du mécanisme pur et simple, une démonstration de lexistence de forces supérieures, non mécaniques, la manifestation de la présence et de laction de Dieu dans le monde cessa de jouer ce rôle pour devenir une force purement naturelle, propriété de la matière qui ne faisait quenrichir le mécanisme au lieu de le supplanter. Ainsi que lavait expliqué très justement le Dr Cheyne, lattraction nétait sûrement pas une propriété essentielle du corps ; mais pourquoi Dieu naurait-il pas doté la matière de propriétés essentielles ? Ou bien, comme le firent remarquer Henry More et Roger Cotes et plus tard Voltaire du moment que nous ne connaissons pas les substances des choses et ne savons rien sur le lien qui unit propriété et substance, même lorsquil sagit de dureté ou dimpénétrabilité, nous ne pouvons nier simplement parce que nous nen comprenons pas le fonctionnement que lattraction appartienne à la matière. Quant aux dimensions de lUnivers matériel que les Newtoniens avaient dabord opposées à linfinité actuelle de lespace absolu, la pression incessante des principes de plénitude et de raison suffisante[9], dont Leibniz réussit à contaminer ses heureux adversaires, rendit cet univers co-extensif à lespace lui-même. Dieu, fût-ce celui de Newton, ne pouvait pas, de toute évidence, limiter Son action créatrice et traiter une certaine partie de lespace infini bien quil fût, certes, capable de le distinguer du reste de lespace dune façon radicalement différente de celle dont Il avait traité les autre parties. En conséquence, bien que ne remplissant quune partie infime du vide infini, lUnivers matériel devint aussi infini que celui-ci. Le même raisonnement qui empêchait Dieu de limiter son action créatrice par rapport à lespace pouvait être finalement appliqué au temps. Il était inconcevable quun Dieu infini, immuable et sempiternel se comportât dune manière différente à des instants différents, et quil limitât Son action créatrice à un laps de temps si réduit. De plus, un Univers infini dune durée limitée paraissait parfaitement illogique. Aussi le monde créé devint-il infini à la foisdanslespaceetletemps.MaiscommeleDrClarke[10] lavait si vigoureusement objecté à Leibniz, il est difficile dadmettre quun monde infini et éternel ait été créé. Il nen a pas besoin, car il existe en vertu de son infinité même. En outre, la dissolution progressive, sous linfluence de la nouvelle philosophie, de lontologie traditionnelle, remit en question la validité de linférence de lattribut à la substance qui en est le support. En conséquence, lespace perdit progressivement son caractère dattribut ou de substance : de matière première ayant servi à faire le monde (espace substantiel de Descartes) ou dattribut de Dieu, cadre de sa présence et de son action (espace de Newton), il devint progressivement le vide des atomistes, ni substance, ni accident, néant infini incréé,cadredelabsencedetout être,par conséquent , aussi de labsence de Dieu. Last but not least, lUnivers-horloge construit par le Divin Architecte était bien mieuxfaitquenelavaitpenséNewton. Chaque progrès de la science newtonienne apportait de nouvelles preuves des affirmations de Leibniz : la force motrice de lUnivers, sa vis viva ne diminuait pas ; lhorloge du monde ne demandait pas à être remontée, ni réparée. Le Divin Architecte avait de moins en moins à faire dans le monde. Il navait même pas besoin de le maintenir dans lêtre : le monde, de plus en plus était à même de se passer de ses services. Ainsi le Dieu puissant et agissant de Newton, qui effectivement « gouvernait lUnivers selon Sa libre volonté et Sa décision, devint successivement, au cours dune évolution rapide, une force conservatrice, une intelligentia extra-mundana, un « Dieu fainéant ». [Le monde décrit par Laplace dans sa Mécanique céleste (1798-1825) qui faisait la synthèse de tous les travaux de Newton, de Halley, de Clairaut, de dAlembert, et dEuler sur les conséquences du principe de la gravitation universelle, navait plus besoin de lhypothèse Dieu.] LUnivers infini de la Nouvelle Cosmologie, infini dans la Durée comme dans lEtendue, dans lequel la matière éternelle, selon des lois éternelles et nécessaires, se meut sans fin et sans dessein dans lespace éternel, avait hérité de tous les attributs ontologiques de la Divinité. Mais de ceux-ci seulement : quant aux autres, Dieu, en partant du Monde, les emporta avec Lui. V. SYNTHÉSE DES ÉTAPES DE LA COSMOLOGIE SCIENTIFIQUE Une théorie explicative du donné observable donnée par les Grecs Les théories cosmologiques scientifiques nous ramènent nécessairement à la Grèce, car il semble bien que cest en Grèce que, pour la première fois dans lhistoire, soit apparue lopposition de lhomme au cosmos qui aboutit à la déshumanisation de ce dernier. Sans doute ny a-t-elle jamais été complète, et dans ses grandes métaphysiques comme celle de Platon ou dAristote, nous avons affaire et jusque dans la notion même du cosmos aux idées de perfection, dordre, dharmonie qui le pénètrent, ou à la notion platonicienne du règne de la proportion aussi bien dans le cosmique que dans le social et lhumain, cest-à-dire à des conceptions unitaires. Mais cest là, en tout cas, que létude des phénomènes cosmiques en tant que tels et pour eux-mêmes semble, aux yeux de Koyré, être née. En effet, ce sont les Grecs qui, pour la première fois ont conçu et formulé lexigence intellectuelle du savoir théorique : sauver les phénomènes, cest-à-dire formuler une théorie explicative du donné observable, quelque chose que les Babyloniens nont jamais fait. Koyré insiste sur le mot « observable », car il est certain quexpliquer les phénomènes, les sauver, cest révéler la réalité sous-jacente, cest-à-dire révéler, sous le désordre apparent du donné immédiat, une unité réelle, ordonnée et intelligible. Il ne sagit pas seulement, ainsi que nous lenseigne une mésinterprétation positiviste très courante de les relier par les moyens dun calcul, afin daboutir à la prévision : il sagit véritablement de découvrir une réalité plus profonde et qui en fournisse lexplication. Cest là quelque chose dassez important, et qui nous permet de comprendre la liaison essentielle, souvent négligée par les historiens, des théories astronomiques avec les théories physiques. Car cest un fait que les grandes découvertes ou les grandes révolutions dans les théories astronomiques ont toujours été en liaison avec des découvertes ou des modifications dans les théories physiques.
A/ Les étapes de la mathématisation du réel selon Koyré Platon et le mouvement circulaire La première étape débute avec la prise de décision de découvrir sous lapparence désordonnée un ordre intelligible : aussi trouvons-nous chez Platon une formule très claire des exigences et des présupposés de lastronomie théorique : réduire les mouvements des planètes à des mouvements réguliers et circulaires. Programme qui est à peu près exécuté par son élève Eudoxe, et perfectionné par Calippe ; ceux-ci, en effet, substituent au mouvement irrégulier des astres errants des mouvements bien ordonnés de sphères homocentriques, cest-à-dire emboîtées les unes dans les autres. On sest beaucoup moqué on le fait moins maintenant de cette hantise grecque pour le circulaire, de ce désir de ramener tous les mouvements célestes à des mouvements circulaires. Koyré ne trouve pas que ce soit ridicule ou stupide : le mouvement de rotation est un type propre et tout à fait remarquable de mouvement, le seul qui, dans un monde fini, se poursuit éternellement sans changement, et cest là justement ce que cherchaient les Grecs : quelque chose qui puisse se poursuivre ou se reproduire éternellement. Léternalisme des Grecs est quelque chose de tout à fait caractéristique de leur mentalité scientifique. Les théoriciens grecs ne parlent jamais de lorigine des choses, ou, sils en parlent, cest dune façon très consciemment mythique. Quant à lidée que le mouvement circulaire est un mouvement naturel, elle semble paradoxalement se confirmer de nos jours : le Soleil tourne, les nébuleuses tournent, les électrons tournent, les atomes tournent, tout tourne. Comment nier que ce soit là quelque chose de tout à fait « naturel » ? Une hypothèse concernant le double mouvement de la Terre autour du Soleil et autour delle-même, celle dAristarque de Samos (-310, -230 av. J.C.) Cette hypothèse, curieusement, na pas été suivie. Il y a eu un seul élève, semble-t-il. Plutarque le dit : « Aristarque a proposé une théorie comme hypothèse, et Séleucos la affirmée comme vérité ». Le texte est important car il confirme le désir et la distinction que faisaient les Grecs entre une simple hypothèse calculatoire et lhypothèse physiquement vraie : la révélation de la vérité. Aristarque na pas eu de succès, et lon ne sait pas pourquoi. On a dit parfois que le mouvement de la Terre contredisait trop fortement les convictions religieuses des Grecs. Koyré pense que ce sont plutôt dautres raisons qui ont déterminé linsuccès dAristarque, les mêmes sans doute qui, depuis Aristote et Ptolémée et jusquà Copernic, sopposent à toute hypothèse non géocentrique cest linvincibilité des objections physiques contre le mouvement de la Terre. Il y a, comme déjà dit par Koyré, une liaison nécessaire entre létat de la physique et létat de lastronomie. Or, pour la physique antique, le mouvement circulaire (rotationnel) de la Terre dans lespace paraissait et devait paraître comme sopposant à des faits incontestables et contredisant lexpérience journalière ; bref comme une impossibilité physique. Autre chose encore faisait obstacle à lacceptation de la théorie dAristarque, à savoir la grandeur démesurée de son Univers ; car, si les Grecs admettaient que lUnivers était assez grand par rapport à la Terre il était même très grand ! tout de même, les dimensions postulées par lhypothèse dAristarque leur semblaient par trop inconcevables. Koyré postule quil en était ainsi puisquen plein XVIIe siècle il paraissait impossible à beaucoup de grands esprits dadmettre de telles dimensions. On dirait ainsi et cest là quelque chose de tout à fait raisonnable que si la Terre tournait autour du Soleil, cela se verrait par lobservation des étoiles fixes ; que si aucune parallaxe ne se constate, cest que la Terre ne tourne pas. Admettre que la voûte céleste soit tellement grande que les parallaxes des fixes soient inobservables, paraissait contraire au bon sens et à lesprit scientifique. Lemboîtement des sphères tournant les unes dans les autres et la nécessité dexpliquer la variation de la luminosité des planètes Revenons maintenant à ceux qui ont essayé de représenter les mouvements célestes comme résultant dun emboîtement de sphères tournant les unes dans les autres. Ils ont assez bien réussi, à un phénomène près, qui ne se laissait pas très bien expliquer il est très important de voir lattention donnée par les Grecs à la nécessité dexpliquer vraiment un phénomène à savoir la variation dans la luminosité des planètes, qui tantôt étaient très brillantes, tantôt ne létaient pas, fait que lon ne pouvait expliquer quen admettant des changements dans leurs distances à la Terre. Cest ce fait-là qui a nécessité linvention dune théorie explicative nouvelle, théorie dite des épicycles et des excentriques, qui a été élaborée surtout par lEcole dAlexandrie, par Apollonius, Hipparque et Ptolémée. Elle a régné sur le monde jusquà Copernic et même longtemps au-delà. Elle constitue un des grands efforts de la pensée humaine. On a quelquefois dit du mal de Ptolémée, et on a cherché à le rabaisser par rapport à ses prédécesseurs : Koyré croit que cest sans raison. Ptolémée a fait ce quil a pu ; sil na pas inventé, il a développé les idées astronomiques de son époque ; il a calcul » dune façon admirable les éléments du système. Et sil a rejeté lhypothèse dAristarque, il la fait pour des raisons scientifiques. Voyons la théorie en question. On avait bien compris que la distance des planètes à la Terre nétait pas toujours la même : il fallait donc que les planètes, dans leur course, puissent sapprocher et séloigner de la Terre ; il fallait en outre expliquer les irrégularités de leurs mouvements tantôt elles semblent aller en avant, tantôt elles sarrêtent, tantôt elles vont en arrière aussi a-t-on imaginé de les faire tourner non pas sur un cercle, mais sur deux ou trois cercles en accrochant au premier cercle un cercle plus petit, ou en plaçant le grand cercle lui-même sur un cercle plus petit. Le cercle portant sappelle le déférant, le cercle porté, lépicycle. On peut également pour simplifier le mécanisme, remplacer le cercle portant et lépicycle porté par un seul cercle, mais décentré par rapport à la Terre, cest-à-dire que, si la Terre se trouve en un point T, le grand cercle tourne non pas autour de la Terre, mais autour dun point excentrique à celui-ci. Les deux façons de représenter les mouvements célestes sont absolument équivalentes et peuvent se combiner lune avec lautre. Rien nempêche, par exemple, de placer un épicycle sur un excentrique. ![]() En mettant des cercles les uns sur les autres et en les faisant tourner à des vitesses différentes, on peut dessiner nimporte quelle courbe fermée. Et lon peut, en en mettant un nombre suffisant, dessiner tout ce que lon voudra : on peut même dessiner une ligne droite, ou un mouvement en ellipse. Il faut, évidemment, accumuler parfois un nombre considérable de cercles, ce qui complique les calculs, mais ce qui, en théorie, est toujours permis. La théorie des épicycles est une conception dune profondeur et dune puissance mathématique extraordinaire, et il fallait tout le génie des mathématiciens grecs pour pouvoir la formuler. B/ La rupture entre lastronomie mathématique et lastronomie physique Il ny avait dans cette théorie, quun seul point ou un seul fait, difficilement acceptable : pour ne pas augmenter indéfiniment le nombre des cercles, Ptolémée a dû renoncer au principe du mouvement circulaire uniforme, ou, plus exactement, il a trouvé un moyen apparent de concilier lacceptation du principe avec limpossibilité de le suivre en fait. Il sest dit quon peut se tirer daffaire en admettant que le mouvement est uniforme, non pas par rapport au centre du cercle lui-même les cercles ne tournent pas dune façon uniforme par rapport leurs propres centres mais par rapport à un certain point intérieur excentrique, point quil appelle léquant. Cétait là une chose très grave, car en abandonnant le principe du mouvement circulaire uniforme, on abandonnait lexplication physique des phénomènes. Cest à partir de Ptolémée justement que nous trouvons une rupture entre lastronomie mathématique et lastronomie physique. En effet, tandis que les philosophes et les cosmologues continuaient à admettre que les corps célestes étaient mus par des mouvements uniformes des orbes corporels, en insistant sur la valeur de cette conception du point de vue physique, les astronomes mathématiciens répondaient que le problème physique ne les regardait pas et que leur but était de déterminer les positions des planètes sans soccuper du mécanisme qui les amenait à la place déterminée par le calcul. Koyré pense, pour sa part, que Ptolémée se résout à cette rupture entre lastronomie physique et lastronomie mathématique parce quil croit à lastrologie, et que, du point de vue astrologique autant que du point de vue pratique, il était en effet inutile de savoir comment, physiquement et réellement les planètes arrivent à telle place donnée. Ce qui est important, cest de savoir calculer leur position pour pouvoir en déduire les conséquences astrologiques. Koyré ne souhaite pas sétendre sur ce problème, bien quil soit important et que la divergence entre les deux astronomies ait subsisté pendant un temps très long : en fait, jusquà Copernic et Kepler[11]. C/ La révolution copernicienne : la Terre délogée du centre de lUnivers 1. Les étapes de la mathématisation du réel Cette grande révolution qui a lancé la Terre dans lespace date dhier ; et pourtant, il est très difficile de comprendre les motifs qui ont guidé la pensée de Copernic. Il est certain quil y a dune part un motif physique. Limpossibilité dexplication physique, mécanique, de lastronomie ptoléméenne, ce fameux équant qui introduisait dans les cieux un mouvement non uniforme lui semblait vraiment inadmissible ; aussi son disciple Rhaeticus nous fit-il que le premier avantage de la nouvelle astronomie consiste dans le fait quelle nous libère des équants, cest-à-dire quelle nous livre enfin une image cohérente de la réalité cosmique et non pas deux images, lun celle des philosophes, lautre celle des astronomes mathématiciens qui, au surplus, ne coïncidaient pas entre elles. De plus, cette nouvelle image simplifiait la structure générale de lUnivers, en expliquant et on voit que cest toujours la même tendance : recherche de la cohérence intelligible du réel expliquant le désordre du pur phénomène les irrégularités apparentes des mouvements planétaires, en les réduisant justement à de pures « apparences » irréelles ; en effet, ces irrégularités apparentes (arrêts, rétrogradations, etc.) se révélaient le plus souvent nêtre que des effets secondaires, à savoir des projections dans le Ciel des mouvements de la Terre elle-même. Un troisième avantage de cette théorie était la liaison systématique quelle établissait entre les phénomènes célestes du fait que les apparences, cest-à-dire les données de lobservation concernant les différentes planètes se trouvaient expliquées, du moins en partie, par un seul facteur, à savoir, le mouvement de la Terre. On pouvait donc plus facilement en déduire les mouvements vrais et les mouvements réels.
2. Comment Copernic est-il arrivé à sa conception ? Selon Koyré, cest très difficile à dire, parce que ce quil nous en dit lui-même ne conduit pas vers son astronomie. Aussi, il nous raconte avoir trouvé des témoignages concernant les auteurs anciens qui avaient essayé dexpliquer les choses autrement que ne le fait Ptolémée, qui, notamment, avaient proposé de faire du Soleil le centre des mouvements des planètes inférieures (Vénus et Mercure), et quil sest dit quon pouvait tenter de faire la même chose pour les autres. Mais cela laurait amené à constituer une astronomie dans le genre de celle que Tycho Brahé a développée après lui. Il est dailleurs curieux de constater que personne na essayé de faire cela plus tôt, avant Copernic. Cest là quelque chose qui, logiquement, devrait se placer entre Ptolémée et Copernic. Ce qui nous montre que lhistoire de la pensée scientifique nest pas entièrement logique. Aussi, pour en comprendre lévolution, faut-il tenir compte de facteurs extra-logiques. Ainsi, une des raisons probablement la plus profonde de la grande réforme astronomique opérée par Copernic, nétait pas scientifique du tout. Koyré pense, pour sa part, pense que si Copernic ne sest pas arrêté au stade tycho-brahien en admettant quil lait jamais envisagé cest pour une raison desthétique, ou de métaphysique, pour des considérations dharmonie. Le Soleil étant la source de la lumière et la lumière étant ce quil y a de plus beau et de meilleur dans le monde, il lui semblait conforme à la raison qui gouverne le monde et qui le crée, que ce luminaire soit placé au centre de lUnivers quil est chargé déclairer. Copernic le dit expressément, et quil ny a aucune raison de ne pas croire à son admiration du Soleil ; dautant plus que le grand astronome quest Kepler, celui qui inaugure véritablement lastronomie moderne, est encore plus hélioâtre que Copernic. 3. Le système astronomique rétrograde de Tycho-Brahé Koyré avoue ne pas pouvoir se dispenser de mentionner Tycho-Brahé dont le système astronomique, qui aurait dû paraître avant Copernic, est un exact équivalent de ce dernier, à cette différence près que Tycho-Brahé admet que la Terre est immobile et que le Soleil, avec toutes les planètes tournant autour de lui, tourne autour de la Terre. Quelles raisons avait-il de rétrograder ainsi par rapport à Copernic ? Koyré pense quil fut poussé par deux sortes de considération, dordre très différent : ses convictions religieuses dune part, qui ne lui permettaient pas daccepter une doctrine contraire à lEcriture sainte, et dautre part, limpossibilité dadmettre le mouvement de la Terre du point de vue physique. Aussi insiste-t-il sur les objections physiques contre ce mouvement, en quoi dailleurs il a parfaitement raison : les objections physiques contre le mouvement de la Terre, étaient irréfutables avant la révolution scientifique du XVIIème siècle. 4. Le raisonnement de Kepler Koyré en arrive à parler de Kepler dont luvre, non plus, nest pas entièrement scientifique, et qui est profondément inspirée par lidée dharmonie, par lidée que Dieu a organisé le monde selon des lois dharmonie mathématique ; cest là pour Kepler, la clef de la structure de lUnivers. Quant aux places respectives quil attribue au Soleil et à la Terre, il est bien entendu copernicien, et ce pour la même raison que Copernic : le Soleil, pour lui, représente Dieu ; cest le Dieu visible de lUnivers, symbole du Dieu créateur, qui sexprime dans lUnivers créé ; et cest pour cela quil faut quil soit au centre de celui-ci. Cest sur cette base métaphysique que Kepler édifie son uvre scientifique qui, dans ses intentions, autant que dans ses résultats, dépasse de loin celle de Copernic. En effet, le but que poursuit Kepler, est très ambitieux et très moderne : il veut reconstituer (ou plus exactement établir) lunité de la conception scientifique du monde, lunité entre la physique et lastronomie. Aussi le grand ouvrage, louvrage fondamental de Kepler, consacré à la planète Mars, sappelle-t-il « LAstronomie nouvelle ou physique céleste ». Le raisonnement de Kepler est guidé par lexplication causale : si le Soleil se trouve au centre du Monde, il faut que le mouvement des planètes ne soit pas ordonné par rapport à lui dune manière géométrique ou optique comme chez Copernic mais le soient aussi dune manière physique et dynamique. Leffort de Kepler est ainsi de trouver, non seulement une conception astronomique permettant dordonner et de « sauver » les phénomènes, mais encore une conception physique permettant dexpliquer par des causes physiques le mouvement réel des corps célestes dans le monde. Aussi, insiste-t-il, dans la préface de « LAstronomie nouvelle », sur la nécessité de cette unification de la physique céleste et de la physique terrestre, sur le fait que le Soleil nest pas simplement le centre du monde, et quil ne se borne pas à léclairer, tout en laissant marcher en dehors et indépendamment de lui les mécanismes moteurs de planètes, chacun complet en lui-même, mais quil doit exercer une influence physique sur les mouvements des corps astraux. Koyré regrette de navoir pas le temps den dire plus sur la structure de la pensée keplérienne, et lélaboration technique de sa doctrine. Ce qui est curieux et amusant, cest que Kepler, dans les fameuses lois qui portent son nom et que tout le monde connaît, à savoir que les corps célestes se meuvent sur des ellipses et que les espaces balayés par leurs rayons vecteurs sont proportionnels au temps, fait une double erreur. Mais les erreurs se compensent, si bien que sa déduction en arrive à être juste grâce précisément à cette double erreur. Cest probablement parce que Kepler voulait dès le début trouver une solution nouvelle du problème des mouvements planétaires, une physique céleste, une astronomie causale, quil na pas essayé ce qui était faisable après avoir trouvé que la trajectoire réelle de Mars était une ellipse, de reproduire cette ellipse par un arrangement de cercles, mais a tout de suite substitué au mécanisme des cercles, des sphères ou des orbes qui guident et transportent les planètes, lidée dune force magnétique, émanant du Soleil, qui dirige leurs mouvements. On pourrait dire, en jetant un coup dil densemble sur lévolution de la pensée astronomique, quelle sétait tout dabord efforcée de découvrir la réalité ordonnée des mouvements astraux, sous-jacents aux désordres des apparences. Pour le faire, les Grecs ont employé es seuls moyens mathématiques et physiques que leur permettait létat des connaissances scientifiques de leur époque, cest-à-dire lidée du mouvement naturel circulaire, doù la nécessité dexpliquer les mouvements apparents par une superposition et une accumulation de mouvements circulaires. Léchec de Ptolémée a fini par nécessiter une transformation de la physique elle-même, et lastronomie na réussi avec Kepler, et davantage avec Newton, quen se fondant sur une physique nouvelle. 5. Les dimensions de lUnivers au cours de lhistoire de lastronomie On pourrait également concevoir, sur le modèle de lévolution de la pensée astronomique, lévolution de létude des dimensions de lUnivers. Koyré a déjà dit que lUnivers grec, le Cosmos grec (et médiéval) était fini ; il était sans dote assez grand par rapport aux dimensions de la Terre mais pas assez grand pour pouvoir y loger une Terre mobile, une Terre tournant autour du Soleil. La conception de la finitude nécessaire de lUnivers stellaire, de lUnivers visible, est toute naturelle : nous voyons une voûte céleste ; nous pouvons la penser comme étant très loin, mais il est très difficile dadmettre quil ny en a pas et que les étoiles sont distribuées dans lespace sans ordre, sans rime ni raison, à des distances invraisemblables et différentes les unes des autres. Ceci implique une véritable révolution intellectuelle. Les objections contre linfinité, et même contre lextension démesurée de lUnivers sont dune portée considérable ; aussi se retrouvent-elles pendant tout le cours de lhistoire de lastronomie. Ainsi Tycho-Brahé objecte à Copernic que, dans son système, la distance entre le Soleil et les étoiles serait au minimum de 700 fois la distance du Soleil à la Terre, ce qui lui paraît être absolument inadmissible et nêtre nullement requis par les données de lobservation (non armée de télescopes). Or, cest en vertu de raisons analogues que Kepler, qui admet le mouvement orbital de la Terre et qui, par conséquent, est obligé détendre les dimensions de notre Univers dans la mesure nécessaire pour expliquer labsence de parallaxes des étoiles fixes, ne peut tout de même pas admettre linfinité du monde. La voûte céleste, ou notre monde céleste, reste pour lui nécessairement finie. Le monde céleste est immensément grand, son diamètre vaut six millions de fois le diamètre terrestre, mais il est fini. Linfinitude du monde est métaphysiquement impossible. En outre, aucune considération scientifique ne lui paraît limposer. Giordano Bruno est à peu près le seul à ladmettre ; mais justement Bruno nest ni un astronome, ni un savant ; cest un métaphysicien dont la vision du monde devance celle de la science de son temps. Car cest avec Newton seulement, pour des raisons scientifiques sans doute, puisque la physique classique, la physique galiléenne, postule linfinité de lUnivers et lidentité de lespace réel avec celui de la géométrie, mais aussi pour des raisons théologiques, que lon trouve affirmée linfinité de lUnivers astral. 6. Les Principes mathématiques de la philosophie naturelle de Newton (selon P. Costabel) La gloire de Newton éclate suffisamment dans le fait quen deux ans (1686-1687) il fut capable de rédiger une véritable « somme » pour un savoir nouveau et de codifier ce qui allait devenir la charte de la méthode scientifique rationnelle[12]. Le rayonnement de ce volume de cinq cents pages dans la pensée de son temps, et dès le moment de sa publication, résulte bien davantage de la puissance suggestive de certains de ses passages que de la possibilité daccès à son substrat mathématique. Pour des raisons diverses qui tiennent à la fois au désir de demeurer classique autant que possible et de conserver un certain secret, et dont la reconstitution alimentera encore longtemps les commentaires érudits, Newton navait pas facilité le tâche de ses lecteurs. Il avait cependant divisé sa matière en trois livres, selon un plan dont lessentiel était suffisamment perceptible. Premier traité de mécanique rationnelle, le livre 1er se préoccupe de formuler des définitions et des axiomes, parmi lesquels la loi dinertie, explicitée et mise à la place qui convient. La notion de masse y est introduite, et la réduction de la mécanique à une cinématique pure sy trouve de ce fait définitivement exclue. La distinction entre absolu et relatif pour lespace et le temps y est soumise à une analyse substantielle, encore quelle ne soit pas totalement satisfaisante. Cest dans ce livre 1er que Newton explicite la notion nouvelle de la force puis le principe fécond de légalité de laction et de la réaction, et établit les règles du mouvement à accélération centrale dans le vide, en même temps quil sintéresse au passage du point matériel à un corps sphérique de dimension finie. Le deuxième livre traite du mouvement dans un milieu résistant et ébauche une hydrodynamique. Le troisième livre présente le système du monde, non seulement tel que lapplication des découvertes des livres précédents aux lois de Kepler permet de le concevoir en ce qui concerne les planètes, mais encore en rendant compte de manière satisfaisante des marées et du mouvement des comètes. Il sagissait là dune grande nouveauté. En ce qui concerne les comètes, le fait de ramener à la régularité des phénomènes jusque-là incompréhensibles rendait en même temps les hypothèses tourbillonnaires de type cartésien très infirmes et supprimait lhorreur du vide jusque dans les profondeurs des espaces interstellaires. Le livre III contient en outre, sous le titre de « Règles de philosophie », un résumé de la méthode des sciences physiques que Newton ne cessera de remanier et denrichir dans les éditions suivantes. Lensemble constitue, en vérité, un évènement extraordinaire et fournit les thèmes dune vaste et profonde réflexion, indépendamment de lassimilation de ses détails et de ses calculs. [1] Koyré fait remarquer que le texte latin de ces questions a été généralement négligé par les historiens de Newton ; ils ont préféré utiliser le texte de la seconde édition en anglais de 1717 et son ampliation en 1718. [2] Leibniz ; la mention des « mouvements conspirants » est une adjonction de lédition de 1717. [3] Optice : « Il est besoin de forces répulsives pour expliquer lélasticité des corps en général et des gaz (air) en particulier. Cest justement en supposant de telles forces répulsives entre les particules de lair que Newton en arrive à déduire la loi de Boyle-Mariotte. En dernière analyse, selon Newton, il sagit de forces électriques ». [4] Ce raisonnement, indique Koyré, est, de toute évidence, entièrement faux et il est assez étonnant que Newton ait pu le faire et que ni lui-même ni ses éditeurs ne se sont rendu compte de cette erreur. [5] Comme le fait Descartes. [6] En premier lieu Henry More et Joseph Raphson. [7] Principes mathématiques de philosophie naturelle, liv. III, Scholie général, vol. II, p. 174 sq. [8] Principes, p. 175 sq. [9] Leibniz avait fait ressortir que, loin de sopposer à leurs thèses, les principes « mathématiques » étaient identiques à ceux du matérialisme et quils avaient été proclamés par Démocrite, Epicure et Hobbes ; que le problème traité nétait pas mathématique, mais métaphysique, et que, à lencontre des simples mathématiques, la métaphysique devait être basée sur le principe de raison suffisante ; que, rapporté à Dieu, ce principe impliquait la nécessité de tenir compte du fait que Dieu a manifesté sa sagesse en préordonnant et en créant lUnivers et que, vice versa, la méconnaissance de ce principe,(sans le dire en toutes lettres, Leibniz laisse entendre que cest la cas des Newtoniens) conduit directement aux vues cosmiques de Spinoza, ou encore, à une conception de Dieu apparentée à celle des sociniens (Fausto Socin) qui ne croyaient ni à le prédestination ni à la Trinité ; leur Dieu manquait à tel point de prescience quil était obligé de vivre « au jour le jour ». Selon ce principe, sil nest pas possible que X et Y se produisent tous les deux, et sil ny a aucune raison que X se produise plutôt que Y (symétrie), alors ni X ou Y ne se produit (âne de Burridan). [10] Elève et ami fidèle de Newton, a été le traducteur en latin de son Optica. [11] Les astronomes arabes, au Moyen Age, ont, très raisonnablement, essayé de rétablir lunité en substituant des sphères ou des orbes corporels aux cercles purement mathématiques de Ptolémée. Ils ont été suivis dans le monde chrétien. On peut citer le grand astronome Feuerbach qui a réussi à constituer un modèle des mouvements planétaires (sans cependant pouvoir réduire ces mouvements planétaires à des révolutions uniformes) et, avec un nombre relativement très petit de sphères matérielles, est parvenu à expliquer tous leurs mouvements. [12] Les « Principia » viennent dêtre rédités en sept. 2005. La dernière publication de cette traduction datait de 1769. Cette réédition est donc un événement, la renaissance d'un ouvrage fondateur, une véritable " bible " dans l'histoire des sciences modernes. Date de création : 20/10/2009 @ 08:22 Réactions à cet article
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