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Synthèses - Rôle de la philosophie dans l'évolution des sciences 2
II. LAPPORT SCIENTIFIQUE DE LA RENAISSANCE Les traits caractéristiques de la Renaissance La Renaissance nest aucunement un idéal de science mais un idéal de rhétorique Parler de lapport scientifique de la Renaissance peut paraître un paradoxe, ou même une gageure. En effet, la Renaissance a été une époque dune fécondité et dune richesse extraordinaire, une époque qui a prodigieusement enrichi notre image de lUnivers, nous savons tous, surtout aujourdhui, que linspiration de la Renaissance na pas été une inspiration scientifique. Lidéal de civilisation de lépoque que lon appelle justement la Renaissance des lettres et des arts, nest aucunement un idéal de science, mais un idéal de rhétorique. Aussi est-il extrêmement caractéristique que la grande réforme de la logique quelle a tentée je pense à la logique de Ramus [premier mathématicien du Collège de France en 1551] ait été une tentative de substituer à la technique de la preuve de la logique une technique de la persuasion. Le type qui incarne le milieu et lesprit de la Renaissance, cest le grand artiste ; mais cest aussi, et peut-être surtout, lhomme de lettres : ce sont les gens de lettres qui en ont été les promoteurs, les annonciateurs et les « buccinateurs ». Ce sont aussi les érudits. Et ici, il faut se rappeler les paroles de M. Bréhier : « lesprit dérudition nest pas tout à fait et même nest pas du tout lesprit de la science ».
Lépoque de la Renaissance, par ailleurs, a été une des époques les moins pourvues desprit critique que le monde ait connues Cest lépoque de la superstition la plus grossière et la plus profonde, une époque où la croyance à la magie et à la sorcellerie sest étendue dune manière prodigieuse, et a été infiniment plus répandue quau Moyen Age ; on sait pertinemment que lastrologie joue à cette époque un rôle beaucoup plus grand que lastronomie parente pauvre ainsi que le dit Kepler et que les astrologues ont des positions officielles auprès des villes et des potentats. Et si lon regarde la production littéraire de cette époque, il est évident que ce ne sont pas les beaux volumes des traductions classiques sorties des presses vénitiennes qui forment les grands succès littéraires : ce sont les démonologies et les livres de magie ; cest Cardan [médecin et mathématicien italien 1501-1576] et plus tard Della Porta [physicien italien 1538-1615] qui sont les grands auteurs lus partout. Lexplication de cet état desprit résulte de facteurs sociologiques et de facteurs historiques ; les faits mêmes de la récupération de la vieille littérature grecque et latine, de la diffusion de cette littérature, du respect quinspiraient aux gens de lettres et aux érudits de la Renaissance les racontars les plus stupides dès quon les trouvait dans des textes classiques, doivent être pris en considération. La grande uvre du point de vue philosophique et scientifique de la Renaissance a été la destruction de la synthèse aristotélicienne Les grands traits qui viennent dêtre évoqués par Koyré, la crédulité, la croyance à la magie, lui paraissent être des conséquences directes de cette destruction. En effet, après avoir détruit la physique, la métaphysique et lontologie aristotéliciennes, la Renaissance sest trouvée sans physique et sans ontologie, cest-à-dire sans possibilité de décider davance si quelque chose est possible ou ne lest pas. Or, il semble à Koyré que, dans notre pensée, le possible prime toujours sur le réel, et le réel nest que le résidu de ce possible ; il se place ou se trouve dans le cadre de ce qui nest pas impossible. Dans le monde de lontologie aristotélicienne, il y a une infinité de choses qui ne sont pas possibles, une infinité de choses, donc, que lon sait davance être fausses. Une fois que cette ontologie est détruite et avant quune ontologie nouvelle, qui sest élaborée seulement au XVIIe siècle, nait été établie, on na aucun critère qui permette de décider si le rapport que lon reçoit de tel ou tel « fait » est vrai ou non. Il en résulte une crédulité sans bornes. Lhomme est un animal crédule par nature ; il est normal de croire au témoignage, surtout quand il vient de loin ou du passé ; il est normal de croire au témoignage de gens honnêtes et respectables, de gens qui justement inspirent confiance. Aussi, au point de vue témoignage, rien nest plus sûrement établi que lexistence du diable et de sorciers ; tant que lon ne sait pas que laction de la sorcellerie et de la magie est une chose absurde, on na aucune raison de ne pas croire à ces faits. Or, du fait même de la destruction de lontologie médiévale, de lontologie aristotélicienne, la Renaissance sest trouvée rejetée vers, ou ramenée à une ontologie magique dont on retrouve partout linspiration. Si lon regarde les grands systèmes, les grandes tentatives de synthèse philosophique de lépoque, que ce soit Bernardino Telesio (humaniste et philosophe italien 1509-1588), ou même Campanella (penseur et écrivain italien qui se fit le défenseur de Telesio 1538-1619), on retrouvera toujours au fond de leur pensée une ontologie magique. Même ceux qui, en quelque sorte par devoir, auraient dû défendre lontologie aristotélicienne, les averroïstes et les alexandristes padouans, ont été contaminés par lesprit du temps ; et aussi bien chez laverroïste Nifo (1469-1540) que chez Pomponace (1462-1525), on trouvera la même ontologie magique et la même croyance aux puissances démoniaques. La mentalité de la Renaissance, selon Koyré,pourrait être résumée par la formule : tout est possible La seule question est de savoir si « tout est possible » en vertu dinterventions de forces surnaturelles, et cest là la démonologie sur laquelle Nifo a écrit un gros livre qui a eu énormément de succès ; ou si lon refuse lintervention de forces surnaturelles, pour dire que tout est naturel et que même les faits miraculeux sexpliquent par une action de la nature ; cest dans cette naturalisation magique du merveilleux que consiste ce quon a appelé le « naturalisme « de la Renaissance. Les ouvertures offertes par la Renaissance Si la crédulité du « tout est possible » est le revers de la médaille, il y a aussi un avers dans la Renaissance : une curiosité sans bornes, lacuité de vision et lesprit daventure De cet esprit daventure, Koyré mentionnera seulement la découverte de lAmérique, la circumnavigation de lAmérique, la circumnavigation du monde, qui enrichissent prodigieusement la connaissance des faits et qui nourrissent la curiosité pour les faits, pour la richesse du monde, pour la variété et la multiplicité des choses. Partout où un collectionnement de faits et une accumulation du savoir suffisent, partout où lon na pas besoin de théorie, le XVIe siècle a produit des choses merveilleuses. Rien nest plus beau par exemple que les recueils de dessins botaniques qui révèlent dans leurs planches une acuité de vision positivement prodigieuse. Pensons aux dessins de Dürer, aux recueils de Gesner, à la grande encyclopédie dAldrovandi, pleins, dailleurs, dhistoires sur le pouvoir et laction magiques des plantes. Ce qui manque en revanche, cest la théorie classificatrice, la possibilité de classer dune manière raisonnable les faits que lon a réunis : au fond on ne dépasse pas le stade de catalogue. Mais on accumule les faits, les recueils et les collections, on fonde des jardins botaniques, des collections minéralogiques. On a un immense intérêt pour les « merveilles de la nature », pour le varietas rerum, on a de la joie à percevoir cette variété. Il en est de même en ce qui concerne les voyages, la géographie. Il en est de même en ce qui concerne la description et létude du corps humain. On sait que déjà Léonardo avait fait des dissections, accumulant sur une seule planche les détails quil avait observés sur plusieurs objets anatomiques. Et cest en 1543, date doublement mémorable cest la date de la publication du De revolutionibus orbium caelestium de Copernic[1] que paraît le grand recueil De fabrica corporis humani, de lanatomiste flamand Vésale (1514-1564). La tendance érudite vient apporter tous ses fruits Involontairement peut-être, peu importe dailleurs. Les grands textes scientifiques grecs qui étaient inconnus ou mal connus dans lépoque antérieure, sont traduits, édités ou retraduits et réédités. Ainsi, ce nest en réalité quau XVe siècle que Ptolémée[2] est véritablement traduit en entier en latin, et cest en fonction de létude de Ptolémée, comme on le sait, que saccomplira la réforme de lastronomie. Ce sont aussi les grands mathématiciens grecs qui sont traduits et édités au cours du XVIe siècle : Archimède tout dabord, puis Apollonius[3], Pappus, Héron. Enfin, en 1575, Maurolico essaie de reconstituer les livres perdus dApollonius, entreprise qui sera jusquà Fermat une des principales ambitions des grands mathématiciens de le fin du XVIe et du début du XVIIe siècle. Or, il est certain que cest la reprise et lassimilation de luvre archimédienne qui sont à la base de la révolution scientifique qui saccomplira au XVIIe siècle, comme cest la méditation des livres dApollonius sur les coniques qui rendra possible la révolution astronomique opérée par Kepler[4].
Lévolution scientifique, comme en marge de lactivité de la Renaissance Regard jeté sur lévolution scientifique proprement dite et son préalable nécessaire constitué par la destruction de la synthèse aristotélicienne M. Bréhier nous a rappelé que, dans la synthèse aristotélicienne, le monde forme un Cosmos où toute chose se trouve à sa place, la Terre, en particulier, se trouvant au centre de lUnivers et en vertu de la structure même de cet Univers. Il est évident quil fallait détruire cette conception du monde pour que lastronomie héliocentrique puisse prendre son essor. Koyré avoue navoir pas le temps de retracer ici lhistoire de la pensée astronomique ; il prend cependant soin dinsister sur le fait que ce sont les philosophes qui ont commencé le mouvement. Il est certain que cest la conception du grand cardinal Nicolas de Cues (1ère moitié du XVe siècle) qui a inauguré le travail destructif qui mène à la démolition du Cosmos bien ordonné, en mettant sur le même plan ontologique la réalité de la Terre et celle des Cieux. La Terre, nous dit-il, est une stella nobilis, une étoile noble, et cest par là-même autant que par laffirmation de linfinité, ou plutôt lindétermination de lUnivers, quil déclenche le processus de pensée qui aboutira à lontologie nouvelle, à la géométrisation de lespace et à la disposition de la synthèse hiérarchique. Dans la physique et la cosmologie aristotéliciennes, pour les traduire dans un langage un peu moderne, cest la structure même de lespace physique qui détermine la place des objets qui sy trouvent. La Terre est au centre du monde parce que, de par sa nature, cest-à-dire parce quelle est lourde, elle doit se trouver au centre. Les corps lourds vont vers ce centre, non pas parce quelque chose sy trouve ou parce que quelque force physique les y tire ; ils vont au centre parce que cest leur nature qui les y pousse. Et si la Terre nexistait pas, et si on se limaginait détruite, et quil ny en eût quun petit morceau qui ait échappé à cette destruction, ce morceau conservé irait tout de même se placer au centre comme au seul « lieu » qui lui convient. Pour lastronomie cela veut dire que cest la structure de lespace physique autant que leur nature propre qui détermine la place et le mouvement des astres.
Un premier pas est fait vers lidentification de la structure physique de la terre à celle des astres célestes, en les dotant tous dun mouvement circulaire Cest une conception inverse à la conception aristotélicienne qui sest fait jour dans les différents systèmes dastronomie dans lesquels le point de vue physique se substitue graduellement au point de vue cosmologique. Si les corps lourds, nous dit Copernic, vont vers la Terre, ce nest pas parce quils vontvers le centre, cest parce quils vont vers un « lieu » déterminé de lUnivers ; ils y vont simplement parce quils veulent retourner vers la Terre. Le raisonnement copernicien fait apparaître la substitution dune réalité ou dun lien physique, à une réalité et à un lien métaphysique ; dune force physique à une structure cosmique. Aussi, quelle que soit limperfection de lastronomie copernicienne du point de vue physique ou mécanique, elle a néanmoins identifié la structure physique de la Terre à celle des astres célestes, en les dotant tous dun même mouvement circulaire. Elle a par là-même assimilé lun à lautre le monde sublunaire et le monde supralunaire , et de ce fait, a réalisé la première étape de lidentification de la matière ou des êtres composant lUnivers, par la destruction de cette structure hiérarchique qui dominait le monde aristotélicien[5].
Le deuxième pas dans cette unification est fait par Tycho Brahé qui a apporté lesprit de précision Bien que resté attaché à la conception géocentrique, cet astronome danois (1546-1601) qui fut le maître de Kepler, a apporté à lastronomie et à la science en général quelque chose dabsolument nouveau, à savoir un esprit de précision : précision dans lobservation des faits, précision dans la mesure, précision dans la fabrication des instruments de mesure servant à lobservation. Ce nest pas encore lesprit expérimental, cest tout de même déjà lintroduction dans la connaissance de lUnivers dun esprit de précision. Or, cest la précision des observations tychobrahéiennes qui est à la base du travail de Kepler. Ainsi que nous le dit celui-ci, si le Seigneur nous a donné un observateur tel que Tycho Brahé, nous navons pas le droit de négliger un écart de huit secondes entre ses observations et le calcul. Tycho Brahé cest encore Kepler qui nous le dit a définitivement détruit la conception des orbes célestes portant les planètes et entourant la Terre oule Soleil et par là-même bien quil ne se soit pas posé le problème lui-même Il a imposé à ses successeurs la considération des causes physiques des mouvements célestes. Koyré prend le parti de ne pas exposer ici luvre magnifique de Kepler[6], uvre confuse et géniale et qui, peut-être, selon lui, représente le mieux lesprit de la Renaissancedanslascience,bienquechronologiquement,elleluisoit postérieure ; les grandes publications de Kepler appartiennent en effet au XIIIe siècle : lAstronomia nova sive physica caelestis est de 1609, et LEpitome astronomiae Copernicanae fut publié de 1618 à 1621. ![]() III. GALILÉE, DESCARTES ET LE PLATONISME
Les divers faciès de la révolution galiléenne Le nom de Galileo Galilei est indissolublement lié à la révolution scientifique du XVIe siècle, lune des plus profondes, sinon la plus profonde révolution de la pensée humaine depuis la découverte du Cosmos par la pensée grecque : une révolution qui implique une « mutation » intellectuelle radicale dont la science physique moderne est à la fois lexpression et le fruit. On caractérise quelquefois cette révolution, et on lexplique en même temps, par une sorte de soulèvement spirituel, par une transformation complète de toute lattitude fondamentale de lesprit humain ; la vie active, vita activa, prenant la place de la theoria, vita contemplativa, qui avait été considérée jusqualors comme sa forme la plus haute. Lhomme moderne cherche à dominer la nature, tandis que lhomme médiéval ou antique sefforçait avant tout de la contempler. On doit donc expliquer par ce désir de dominer, dagir, la tendance mécaniste de la physique classique physique des contemporains que furent Galilée (1564-1642), Descartes (1596-1650) et Hobbes (1588-1679, scientia activa, operativa, qui devait rendre lhomme « maître et possesseur de la nature » ; on doit la considérer comme découlant tout simplement de cette attitude, comme application à la nature des catégories de pensée de lhomo faber[7]. La science de Descartes a fortiori celle de Galilée nest rien dautre (comme on le dit) que la science de lartisan ou de lingénieur. Cette explication ne paraît pas entièrement satisfaisante à Koyré ; il est vrai, bien entendu, ajoute-t-il, que la philosophie moderne, aussi bien que léthique et la religion modernes, met laccent sur laction, sur la praxis, bien plus que ne le faisait la pensée antique et médiévale. Cest tout aussi vrai de la science moderne : Koyré pense à la physique cartésienne, à ses comparaisons avec des poulies, des cordes et des leviers. Pourtant lattitude qui vient dêtre décrite est davantage celle de Bacon dont le rôle dans lhistoire des sciences nest pas du même ordre[8] que celle de Galilée ou de Descartes. Leur science nest pas le fait dingénieurs ou dartisans, mais dhommes dont luvre dépassa rarement lordre de la théorie[9]. La nouvelle balistique fut élaborée, non par des artificiers ou des artilleurs, mais contre eux. Et Galilée napprit pas son métier des gens qui besognaient dans les arsenaux et les chantiers navals de Venise. Bien au contraire : il leur enseigna le leur. En outre, cette théorie explique trop et trop peu. Elle explique le prodigieux développement de la science du XVIIe siècle par celui de la technologie. . Cependant ce dernier était infiniment moins frappant que le premier. En outre, elle oublie les réussites techniques du Moyen Age. Elle néglige lappétit de puissance et de richesse qui inspira lalchimie tout au long de son histoire. Dautres érudits ont insisté sur la lutte de Galilée contre lautorité, contre la tradition, en particulier celle dAristote : contre la tradition scientifique et philosophique que maintenait lEglise et quelle enseignait dans les universités. Ils ont souligné le rôle de lobservation et de lexpérimentation dans la science nouvelle de la nature. Il est parfaitement vrai, bien entendu, que lobservation et lexpérimentation constituent lun des traits les plus caractéristiques de la science moderne. Il est certain que dans les écrits de Galilée nous trouvons dinnombrables appels à lobservation et lexpérience, et une ironie amère à légard dhommes qui ne croyaient pas au témoignage de leurs yeux parce que ce quils voyaient était contraire à lenseignement des autorités ou, pire encore, qui ne voulaient pas (comme Cremonini, laristotélicien de Modène 1553-1631) regarder dans le télescope de Galilée par peur de voir quelque chose qui aurait contredit leurs théories et croyances traditionnelles. Or, cest précisément en construisant un télescope et en lutilisant, en observant soigneusement la Lune et les planètes, en découvrant les satellites de Jupiter, que Galilée porta un coup mortel à lastronomie et à la cosmologie de son époque. Cependant, on ne doit pas oublier que lobservation ou lexpérience, au sens de lexpérience spontanée du sens commun, ne joua pas un rôle majeur ou si elle le fît, ce fut un rôle négatif, celui dobstacle dans la fondation de la science moderne. La physique dAristote, et plus encore celle des nominalistes parisiens du XIVe siècle, Buridan[10] et Nicole Oresme, était beaucoup plus proche, selon Tannery et Duhem de lexpérience du sens commun que celle de Galilée et de Descartes. Ce nest pas « lexpérience » mais « lexpérimentation », qui joua plus tard seulement un rôle positif considérable. Lexpérimentation consiste à interroger méthodiquement la nature ; cette interrogation présuppose et implique un langage dans lequel, formuler les questions, ainsi quun dictionnaire nous permettant de lire et dinterpréter les réponses. Pour Galilée, on le sait, cétait en courbes, cercles et triangles, en langage mathématique ou même plus précisément en langage géométrique non celui du sens commun ou de purs symboles quon doit parler à la nature et recevoir ses réponses. Le choix du langage, la décision de lemployer, ne pouvaient évidemment pas être déterminés par lexpérience que lusage même de ce langage devait rendre possible. Il leur fallait venir dautres sources. Dautres historiens de la science et de la philosophie[11] ont essayé plus modestement de caractériser la physique moderne en tant que physique, par certains de ses traits marquants : par exemple le rôle quy joue le principe dinertie. Exact, de nouveau : le principe dinertie occupe une place éminente dans la mécanique classique par rapport à celle des Anciens. Il y est la loi fondamentale du mouvement ; il règne implicitement sur la physique de Galilée[12], explicitement sur celle de Descartes[13], et plus tard sur celle de Newton[14]. Mais sarrêter sur cette caractéristique semble quelque peu superficiel à Koyré. A son avis, il ne suffit pas détablir simplement le fait : on doit le comprendre et lexpliquer expliquer pourquoi la physique moderne fut capable dadopter ce principe ; comprendre pourquoi et comment, le principe dinertie qui nous semble si simple (« il faut autant deffort pour mouvoir le bateau en eau calme que pour le retenir »), si clair, si plausible et même évident, acquit ce statut dévidence et de vérité a priori alors que, pour les Grecs, aussi bien que pour les penseurs du Moyen Age , lidée dun corps qui, une fois mis en mouvement, continuerait pour toujours à se mouvoir, semblait bien évidemment fausse, et même absurde. Sans chercher à expliquer les raisons et les causes qui provoquèrent la révolution spirituelle du XVIe siècle, Koyré sattache à deux traits solidaires qui caractérisent lattitude mentale ou intellectuelle de la science moderne. Ce sont : 1° la destruction du Cosmos, par conséquent la disparition dans la science de toutes les considérations fondées sur cette notion[15] ; 2° la géométrisation de lespace cest-à-dire la substitution de lespace homogène et abstrait de la géométrie euclidienne à la conception dun espace cosmique qualitativement différencié et concret, celui de la physique prégaliléenne. On peut résumer et exprimer comme suit ces deux caractéristiques : la mathématisation (géométrisation) de la nature et, par conséquent, la mathématisation (géométrisation) de la science. La dissolution du Cosmos signifie la destruction dune idée : celle dun monde de structure finie, hiérarchiquement ordonné, dun monde qualitativement différencié du point de vue ontologique ; elle est remplacée par celle dun Univers ouvert, indéfini et même infini, dunifient et gouvernent les mêmes lois universelles ; un Univers dans lequel toutes choses appartiennent au même niveau dÊtre, à lencontre de la conception traditionnelle qui distinguait les deux mondes du Ciel et de la Terre. Les lois du Ciel et de la terre sont désormais fondues ensemble. Lastronomie et la physique deviennent interdépendantes, et même unifiées et unies. Cela implique que disparaissent de la perspective scientifique toutes les considérations fondées sur la valeur, la perfection, lharmonie, la signification et le dessein[16]. Elles disparaissent dans lespace infini du nouvel Univers. Cest dans ce nouvel Univers, dans ce nouveau monde dune géométrie faite réelle, que les lois de la physique classique trouvent valeur et application. La dissolution du Cosmos, répète Koyré, voilà lui semble-t-il la révolution la plus profonde accomplie ou subie par lesprit humain depuis linvention du Cosmos par les Grecs. Cest une révolution si profonde, aux conséquences si lointaines, que pendant des siècles, les hommes à de rares exceptions près, dont Pascal nen ont pas saisi la portée et le sens ; maintenant encore elle est souvent sous-estimée et mal comprise. Ce que les fondateurs de la science moderne, et parmi eux Galilée, devaient donc faire, ce nétait pas de critiquer et de combattre certaines théories erronées, pour les corriger ou les remplacer par de meilleures. Ils devaient faire tout autre chose. Ils devaient détruire un monde et le remplacer par un autre. Ils devaient réformer la structure de notre intelligence elle-même, formuler et réviser ses concepts, envisager lÊtre dune nouvelle manière, élaborer un nouveau concept de la connaissance, un nouveau concept de la science et même substituer à un point de vue assez naturel, celui du sens commun, cet autre qui ne lest pas du tout[17]. Cela explique pourquoi la découverte de choses, de lois, qui aujourdhui paraissent si simples et si faciles quon les enseigne aux enfants lois du mouvement, lois de la chute des corps exigea un effort si long, si ardu, souvent vain, de quelques uns des plus grands génies de lhumanité, un Galilée, un Descartes. Ce fait, à son tour, semble à Koyré être en mesure de réfuter les essais modernes faits en vue de minimiser, voire nier loriginalité de la pensée de Galilée, ou du moins son caractère révolutionnaire ; il rend manifeste ainsi que lapparente continuité dans le développement de la physique, du Moyen Age aux Temps modernes (continuité que Caverni et Duhem ont si énergiquement soulignée) est illusoire. Il est vrai, bien sûr, quune tradition ininterrompue conduit des uvres des nominalistes parisiens à celles de Benedetti, Bruno, Galilée et Descartes (Koyré a lui-même ajouté un chaînon à lhistoire de cette tradition en la personne dArchimède, qui fut reçu et étudié dans la seconde moitié du XVIe siècle). Cependant, la conclusion quen tire Duhem est trompeuse : une révolution bien préparée reste néanmoins une révolution, et, en dépit du fait que Galilée lui-même dans sa jeunesse (comme Descartes parfois) partagea les vues et enseigna les théories des critiques médiévaux dAristote, la science moderne, la science née de ses efforts et de ses découvertes ne suit pas linspiration des « précurseurs parisiens de Galilée » ; elle se place immédiatement à un niveau tout autre un niveau que Koyré aimerait appeler archimédien. Le véritable précurseur de la physique moderne nest ni Buridan, ni Nicole Oresme , mais Archimède.
Dialogue sur les deux plus grands systèmes du monde Le rôle et la place des mathématiques dans la science nest pas en fait un problème très nouveau. Bien au contraire : pendant plus de deux mille ans, il a fait lobjet de la méditation, de la recherche et de la discussion philosophiques. Galilée en est parfaitement conscient. Rien détonnant à cela ! Même tout jeune, comme étudiant à lUniversité de Pise, les conférences de son maître, Francesco Buonamici, pouvaient lui avoir enseigné que la « question » du rôle et de la nature des mathématiques constitue le principal sujet dopposition entre Aristote et Platon. Et quelques années plus tard, quand il revint à Pise, comme professeur cette fois, il pouvait avoir appris de son ami et collègue, Jacopo Mazzoni, auteur dun livre sur Platon et Aristote, que « aucune autre question na donné lieu à de plus nobles et de plus belles spéculations que celle de savoir si lusage des mathématiques en physique comme instrument de preuve et moyen terme de la démonstration est opportun ou non ; autrement dit, sil nous est avantageux ou bien au contraire dangereux et nuisible ». « Il est bien connu, dit Mazzoni, que Platon croyait que les mathématiques sont particulièrement appropriées aux recherches de la physique, ce pourquoi lui-même y eut recours pour expliquer des problèmes physiques. Mais Aristote soutenait un point de vue tout à fait différent et il expliquait les erreurs de Platon par son trop grand attachement aux mathématiques ». On voit que pour la conscience scientifique et philosophique de lépoque Buonamici et Mazzoni ne font quexprimer la communis opinio lopposition, ou plutôt la ligne de partage entre laristotélicien et le platonicien est parfaitement claire. Si vous revendiquez pour les mathématiques un statut supérieur, si de plus vous leur attribuez une réelle valeur et une position décisive en physique, vous êtes un platonicien. Si, au contraire vous voyez dans les mathématiques une science abstraite, donc de moindre valeur que celles physique et métaphysique qui traitent de lêtre réel ; si en particulier vous soutenez que la physique na besoin daucune autre base que lexpérience et doit sédifier directement sur la perception, que les mathématiques doivent se contenter du rôle secondaire et subsidiaire dun simple auxiliaire, vous êtes aristotélicien. Ce qui est en question ici, ce nest pas la certitude aucun aristotélicien na jamaismisendoutelacertitude des propositions ou démonstrations géométriques mais lÊtre ; pas même lemploi des mathématiques en physique aucun aristotélicien na jamais nié notre droit à mesurer ce qui est mesurable et à compter ce qui est nombrable mais la structure de la science, et donc la structure de lÊtre. Telles sont les discussions auxquelles Galilée fait constamment allusion au cours de ce Dialogue. Ainsi, au tout début, Simplicio, laristotélicien, souligne que « en ce qui touche les choses naturelles, nous navons pas toujours besoin de chercher la nécessité de démonstrations mathématiques ». A quoi Sagredo, qui soffre le plaisir de ne plus comprendre Simplicio, réplique : « Naturellement, quand vous nepouvezpaslatteindre.Mais,sivous le pouvez, pourquoi pas ? » Naturellement. Sil est possible, dans des questions relatives aux choses de la nature, datteindre une démonstration douée de rigueur mathématique, pourquoi ne devrions-nous pas essayer de le faire ? Mais est-ce possible ? Voilà exactement le problème, et Galilée, dans la marge du livre, résume la discussion et exprime la véritable pensée de laristotélicien : « Dans les démonstrations relatives à la nature, dit-il, on ne doit pas chercher lexactitude mathématique ». On ne doit pas. Pourquoi ? Parce que cest impossible. Parce que la nature de lêtre physique est qualitative et vague. Elle ne se conforme pas à la rigidité et à la précision des concepts mathématiques. Cest toujours du « plus ou moins ». Donc, comme laristotélicien nous lexpliquera plus tard, la philosophie, qui est la science du réel, na pas besoin dexaminer les détails ni davoir recours aux déterminations numériques en formulant ses théories du mouvement ; tout ce quelle doit faire cest den énumérer les principales catégories (naturel, violent, rectiligne, circulaire) et den décrire les traits généraux, qualitatifs et abstraits. Le lecteur moderne est probablement loin den être convaincu. Il trouve difficile dadmettre que « la philosophie » ait dû se contenter dune généralisation abstraite et vague et ne pas essayer détablir des lois universelles précises et concrètes. Le lecteur moderne ne connaît pas la véritable raison de cette nécessité mais les contemporains de Galilée la connaissaient fort bien. Ils savaient que la qualité, aussi bien que la forme, étant par nature non mathématique, ne pouvait pas être analysée en termes mathématiques. La physique nest pas de la géométrie appliquée. La matière terrestre ne peut jamais montrer de figures mathématiques exactes ; les « formes » ne l« informent » jamais complètement et parfaitement. Il reste toujours une distance. Dans les cieux, bien entendu, il en va autrement ; par conséquent lastronomie mathématique est possible. Mais lastronomie nest pas la physique. Que ceci ait échappé à Platon, voilà précisément son erreur et celle de ses partisans. Il est inutile dessayer dédifier une philosophie mathématique de la nature. Lentreprise est condamnée avant même de commencer. Elle ne conduit pas à la vérité mais à lerreur. « Toutes ces subtilités mathématiques, explique Simplicio, sont vraies in abstracto. Mais, appliquées à la matière sensible et physique, elles ne fonctionnent pas. Dans la vraie nature, il ny a ni cercles, ni triangles, ni lignes droites. Il est donc inutile dapprendre le langage des figures mathématiques : ce nestpasenellesquestécrit, en dépit de Galilée et de Platon, le livre de la Nature. En fait, cest non seulement inutile, mais dangereux : plus un esprit est accoutumé à la précision et à la rigidité de la pensée géométrique, moins il sera capable de saisir la diversité mobile, changeante, qualitativement déterminée de lÊtre. Cette attitude de laristotélicien ne répugne pas à Koyré ; pour lui, elle na rien de ridicule et lui semble parfaitement sensée. Vous ne pouvez pas établir une théorie mathématique de la qualité, objecte Aristote à Platon ; pas même du mouvement. Il ny a pas de mouvement dans les nombres Laristotélicien du temps de Galilée pouvait ajouter que le plus grand des platoniciens, le divin Archimède lui-même, ne put jamais élaborer autre chose quune statique. Pas de dynamique. Une théorie du repos. Non du mouvement. Laristotélicienavaitparfaitementraison.Ilest impossible de fournir une déduction mathématique de la qualité. Galilée, comme Descartes, un peu plus tard, furent dailleurs obligés de supprimer la notion de qualité, de la déclarer subjective , de la bannir du domaine de la nature. Ce qui implique en même temps que Galilée fut obligé de supprimer la perception des sens comme la source de connaissance et de déclarer que la connaissance intellectuelle, et même a priori, est notre seul et unique moyen dappréhender lessence du réel. Quant à la dynamique et aux lois du mouvement, le posse ne doit être prouvé que pas lesse ; pour montrer quil est possible détablir les lois mathématiques de la nature, il faut le faire. Il ny a pas dautre moyen et Galilée en est parfaitement conscient. Cest donc en donnant des solutions mathématiques à des problèmes physiques concrets celui de la chute des corps, celui du mouvement dun projectile quil amène Simplicio à confesser que « vouloir étudier des problèmes de la nature sans mathématiques, cest essayer de faire quelque chose qui ne peut être fait ». Il semble à Koyré que nous sommes maintenant en état de comprendre le sens de ce texte significatif de Cavalieri qui, en 1630, écrit dans son Specchio Ustorio : « Tout ce quapporte (ajoute) la connaissance des sciences mathématiques, que les célèbres écoles des pythagoriciens et des platoniciens regardaient comme suprêmement nécessaire à la compréhension des choses physiques, apparaîtra clairement bientôt, je lespère, avec la publication de la nouvelle science du mouvement promise par ce merveilleux vérificateur de la nature, Galileo Galilei ». Nous comprenons aussi lorgueil de Galilée le platonicien, qui dans ses Discours et démonstrations annonce qu« il va promouvoir une science tout à fait nouvelle à propos dun problème très ancien », et quil prouvera quelque chose que personne na prouvé jusque-là, cest-à-dire que le mouvement de la chute des corps est sujet à la loi des nombres[18]. Le mouvement gouverné par des nombres ; lobjection aristotélicienne se trouvait enfin réfutée. Il est évident que pour les disciples de Galilée, de même que pour ses contemporains et aînés, mathématique signifie platonisme. Par conséquent, quand Torricelli nous dit que « parmi les arts libéraux seule la géométrie exerce et aiguise lesprit et le rend capable dêtre un ornement de la Cité en temps de paix et de le de le défendre en temps de guerre » et que « caeteris paribus, un esprit entraîné à la gymnastique géométrique est doué dune force tout à fait particulière et virile », il ne se montre pas seulement un disciple authentique de Platon, il se reconnaît et se proclame tel. Ce faisant, il reste un fidèle disciple de son maître Galilée qui dans sa Réponse aux exercices philosophiques dAntonio Rocco, sadresse à ce dernier, lui demandant de juger par lui-même la valeur des deux méthodes rivales la méthode purement physique et empirique, et la mathématique et ajoute : « Décidez en même temps qui raisonne le mieux , Platon qui dit que sans mathématiques on ne pourrait pas apprendre la philosophie, ou Aristote qui fît à ce même Platon le reproche davoir trop étudié la Géométrie ». Galilée. Platonicien. Personne, selon Koyré, ne mettra en doute quil le soit. De plus, il le dit lui-même. Dans les toutes premières pages du Dialogue, Simplicio fait la remarque que Galilée, étant mathématicien, éprouve probablement de la sympathie pour les spéculations numériques des pythagoriciens. Ceci permet à Galilée quil les tient totalement dépourvues de sens et de dire en même temps : « Je sais parfaitement bien que les pythagoriciens avaient la plus haute estime pour la science des nombres et que Platon lui-même admirait lintelligence de lhomme et croyait quil participe à la divinité pour la seule raison quil est capable de comprendre la nature des nombres. Je suis moi-même enclin à porter le même jugement ». Comment aurait-il pu avoir une opinion différente, celui qui croyait que dans la connaissance mathématique, lesprit humain atteint la perfection même de lentendement divin ? Ne dit-il pas, dans Dialogo, que « sous le rapport de lextension, cest-à-dire eu égard à la multiplicité des choses à connaître, qui est infinie, lesprit humain est comme un rien (même sil comprenait un millier de propositions, parce que un millier comparé à linfinité est comme zéro) : mais sous le rapport de lintensité, pour autant que ce terme signifie saisir intensément, cest-à-dire parfaitement une proposition donnée, je dis que lesprit humain comprend quelques propositions aussi parfaitement et en a une certitude aussi absolue quen peut avoir la Nature elle-même ; à cette espèce appartiennent les sciences mathématiques pures, cest-à-dire la géométrie et larithmétique dont lintellect divin connaît bien entendu infiniment plus de propositions pour la simple raison quil les connaît toutes ; mais quant au petit nombre que comprend lesprit humain je crois que notre connaissance égale la connaissance divine en certitude objective, parce quelle réussit à comprendre leur nécessité, au-delà de laquelle il ne semble pas quil puisse exister une certitude plus grande ». Galilée, remarque Koyré, aurait pu ajouter que lentendement humain est une uvre de Dieu si parfaite que ab initio il est en possession de ces idées claires et simples dont la simplicité même est une garantie de vérité et quil lui suffit de se tourner vers lui-même pour trouver dans sa « mémoire » les véritables fondements de la science et de la connaissance, lalphabet, cest-à-dire les éléments du langage le langage mathématique que parle la Nature créée par Dieu. Il faut trouver le vrai fondement dune science réelle, une science du monde réel non dune science natteignant que la vérité purement formelle, la difficulté intrinsèque du raisonnement et de la déduction mathématique, une vérité qui ne serait pas affectée par la non-existence dans la Nature des objets quelle étudie. Il est évident que Galilée, pas plus que Descartes, ne se satisferait dun tel ersatz de science et de connaissances réelles. Cest de cette science, la vraie connaissance « philosophique » qui est connaissance de lessence même de lÊtre, que Galilée proclame : « Et moi, je vous dis que si quelquun ne connaît pas la vérité par lui-même, il est impossible à quiconque de lui donner cette connaissance. En effet, il est possible denseigner ces choses qui ne sont ni vraies ni fausses ; mais les vraies par quoi jentends les choses nécessaires, cest-à-dire celles qui ne peuvent être autrement, tout esprit moyen soit les connaît par lui-même, soit ne peut jamais les apprendre ». Assurément. Un platonicien une opinion différente, puisque, pour lui, connaître nest rien dautre que comprendre. Dans les uvres de Galilée, les allusions si nombreuses à Platon, la mention répétée de la maïeutique socratique et de la doctrine de la réminiscence ne sont pas des ornements superficiels provenant du désir de se conformer à la mode littéraire issue de lintérêt que porte à Platon la pensée de la Renaissance. Elles ne visent pas non plus à gagner à la science nouvelle la sympathie du « lecteur moyen », fatigué et dégoûté par laridité de la scolastique aristotélicienne ; ni à se revêtir contre Aristote de lautorité de son maître et rival, Platon. Tout au contraire : ces allusions sont parfaitement sérieuses et doivent être prises telles quelles. Ainsi, pour que personne ne puisse avoir le moindre doute quant à son point de vue philosophique, Galilée insiste : SALVIATI. « La solution du problème en question implique la connaissance de certaines vérités que vous connaissez aussi bien que moi. Mais comme vous ne vous les rappelez pas, vous ne voyez pas cette solution. De cette manière, sans vous enseigner, parce que vous les connaissez déjà, par le seul fait de vous les rappeler, je vous ferai résoudre le problème vous-même ». SIMPLICIO. « Bien des fois jai été frappé par votre manière de raisonner qui me fait penser que vous penchez vers lopinion de Platon ; je vous en prie, libérez-moi de ce doute et dites-moi votre propre pensée ». SALVIATI. « Ce que je pense de cette opinion de Platon, je peux lexpliquer par des mots mais aussi par des faits. Dans les arguments avancés jusquici, je me suis déjà plus dune fois déclaré moi-même de fait. Maintenant, je veux appliquer la même méthode à la recherche en cours, recherche qui peut servir dexemple pour vous aider à comprendre plus facilement mes idées quant à lacquisition de la science » La recherche en cours nest rien dautre que la déduction des propositions fondamentales de la mécanique. Nous sommes prévenus que Galilée juge avoir fait plus que se dire simplement un adepte et un partisan de lépistémologie platonicienne. En outre, en appliquant cette épistémologie, en découvrant les vraies lois de la physique, en les faisant déduire par Sagredo et Simplicio, cest-à-dire par le lecteur lui-même, par nous, il croit avoir démontré la vérité du platonisme « en fait ». Le Dialogue et les Discours nous donnent lhistoire dune expérience intellectuelle dune expérience concluante puisquelle se termine par laveu plein de regrets de laristotélicien Simplicio qui reconnaît la nécessité détudier les mathématiques et regrette de ne pas les avoir étudiées lui-même dans sa jeunesse. Le Dialogue et les Discours nous disent lhistoire de la découverte, ou mieux encore, de la redécouverte du langage que parle la Nature. Ils nous expliquent la manière de linterroger, cest-à-dire la théorie de cette expérimentation scientifique dans laquelle la formulation des postulats et la déduction de leurs conséquences précèdent et guident le recours à lobservation. Ceci aussi, du moins pour Galilée, est une preuve « de fait ». La science nouvelle est pour lui une preuve expérimentale du platonisme. [1] Lastronomie copernicienne napporte pas seulement un nouvel arrangement, plus économique des « cercles », mais une nouvelle image du monde et un nouveau sentiment de lêtre : le transport du soleil dans le centre du monde exprime la renaissance de la métaphysique de la lumière et élève la Terre au rang des astres Terra est stella nobilis avait dit bien avant lui, le théologien allemand Nicolas de Cues, abandonnant ainsi le géocentrisme (1401-1464). [2] Ptolémée (Claude), astronome et géographe grec dAlexandrie qui vécut au IIe siècle. Son uvre a embrassé lastronomie, une partie des mathématiques, la chronologie, loptique, la géographie, la musique. Son ouvrage principal est Composition mathématique, plus connue sous le nom dAlmageste, qui contient une exposition du système du monde, un traité complet de trigonométrie rectiligne et sphérique, lexplication et le calcul de tous les phénomènes du mouvement diurne. [3] Apollonius de Tyane, mort à Ephèse en 97, philosophe néo-pythagoricien, fut un des hommes les plus vertueux et les plus savants de son temps. [4] Luvre de Kepler (1571-1630) procède dune conception nouvelle de lordre cosmique, fondée elle-même sur lidée renouvelée dun Dieu-géomètre, et cest lunion de la théologie chrétienne avec la pensée du néo-platonicien Proclus (Ve siècle) [« neuf fois on part de lun et on y revient sous des points de vue différents et complémentaires ; neuf chemins à partir dun même centre. Nier lun cest aboutir à la dissolution de lesprit et des choses : sil ny a pas dunité, il ny a pas davantage de diversité, pas davantage de contradiction »] qui permet au grand astronome de saffranchir de la hantise de la circularité qui avait dominé la pensée antique et médiévale (y compris celle de Copernic) ; mais cest aussi cette même vision cosmologique qui lui a fait rejeter lintuition géniale de Giordano Bruno (1548-1600) [son uvre De linfini de lunivers et des mondes] et lenferme dans les bornes dun monde de structure finie. [5] Koyré fait remarquer à ce propos que la lutte entre la conception copernicienne et la conception ptoléméenne a duré deux siècles avec des arguments assez faibles de part et dautre ; mais ce qui importe surtout ici, dit-il, ce nest pas le développement de lastronomie en tant que telle, mais le progrès dans lunification de lUnivers, la substitution dun Univers régi par les mêmes lois au Cosmos structuré et hiérarchisé dAristote. [6] Ce qui sera radicalement nouveau dans la conception du monde de Kepler, cest lidée que lUnivers dans toutes ses parties est régi par les mêmes lois, et ce par des lois de nature strictement mathématique. Son Univers est sans doute un Univers structuré, hiérarchiquement structuré par rapport au Soleil et harmonieusement ordonné par le Créateur, qui sy exprime lui-même en un vaste symbole, mais la norme que suit Dieu dans la création du monde est déterminée par des considérations strictement mathématiques ou géométriques. [7] Il ne faut pas confondre cette conception largement répandue avec celle de Bergson pour qui toute la physique, aussi bien aristotélicienne que newtonienne, est en dernière analyse luvre de lhomo faber. [8] Bacon est le héraut, le buccinator de la science moderne, non lun de ses créateurs. [9] La science de Descartes et de Galilée a été, bien entendu, extrêmement importante pour lingénieur et le technicien ; elle a finalement provoqué une révolution technique. Cependant, elle ne fut créée et développée, ni par des ingénieurs ni par des techniciens, mais par des théoriciens et des philosophes. [10] Aristotélicien qui enseignait les théories de son contemporain oxfordien Guillaume dOccam : seule la connaissance sensible garantit lexistence des êtres et des phénomènes. La métaphysique est vaine, puisque les dogmes ne peuvent être démontrés par la raison : la science na pour objet que le particulier. [11] Notamment E. Mach Die Mechanik in ihrer Entwicklung, Leipzig 1921, E. Cassirer Das Erkenninisproblem in der Philosophie und Wissenschaft der neueren Zeit, Berlin, 1911. [12] Le concept de force génératrice du mouvement (impeto) est dû à Galilée (Discorsi, 1638) qui entrevoit, en étudiant la descente des corps le long dun plan incliné, la proportionnalité entre la composante de leur poids selon le plan et laccélération de leur mouvement. Corrélativement, il énonce que, en labsence de toute force extérieure, un corps reste immobile ou, sil était en mouvement, le poursuit en ligne droite à vitesse uniforme : cest le principe de linertie. [13] Cest sur limmutabilité divine que Descartes appuie les lois dinertie et de la conservation du mouvement. Principes 24 : Ce quest le mouvement pris selon lusage commun P. 25 : Ce quest le mouvement proprement dit P. 26 : Quil nest pas requis plus daction pour le mouvement que pour le repos (La Pléïade, pp. 624-625). [14] Cest avec Newton que le concept de masse inerte, traduisant la résistance (vis insita) des corps à leur mise en mouvement par une force apparaît. En outre, Newton formalise le premier les notions de force et de masse et les conjugue en énonçant : le changement de la vitesse dun corps sous laction dune force est proportionnel à la force et inversement proportionnel à la masse du corps, relation que lon écrit mγ = F. Cette notion de masse inerte dun corps a subsisté jusquen 1905, date à laquelle Einstein a démontré quun corps animé dune vitesse uniforme υ se comporte comme si sa masse nétait plus égale à celle au repos mo (relativité restreinte). On augmente donc la masse dun corps en lui communiquant de la vitesse. Augmenter la vitesse dun corps revient à accroître son énergie cinétique. Une relation apparaît entre masse et énergie W dun corps en mouvement. Poussant plus loin lanalogie, on admet que la masse au repos mo représente une énergie latente Wo = mo.c² [15] Le terme, bien entendu demeurera et Newton parlera toujours du Cosmos et de son ordre (comme il parlera toujours aussi de limpetus), mais dans un sens entièrement nouveau. [16] Selon E. Bréhier : « Descartes dégage la physique de la hantise du Cosmos hellénique, cest-à-dire de limage dun certain état privilégié des choses qui satisfait nos besoins esthétiques Il ny a pas détat privilégié puisque tous les états sont équivalents. Il ny a donc aucune place en physique pour la recherche des causes finales et la considération du meilleur ». [17] Le Dialogue, en effet, est un livre qui, sadressant au grand public , vise à détruire la conception aristotélicienne du monde en faveur de celle de Copernic, un livre qui de plus prétend nen rien faire, et dans lequel par conséquent il y a lieu déviter tous les sujets difficiles et épineux. Dans le Dialogue, certes, Galilée nous dit exactement, comme Kepler, quil est « absolument impossible quil y ait un espace infini au-dessus des étoiles fixes, car il ny a pas de tel lieu dans le monde ; et, sil y en avait un, un astre qui y serait situé, ne serait pas perceptible par nous. [18] Les expériences faites de la tour de Pise (1589-1590) furent dûment mentionnées par celui qui fut lassistant de Galilée, les trois dernières années de son vivant, Vincenzo Viviani. Ces expériences nont pas manqué de donner lieu à des récits enjolivés qui tendent à montrer le « merveilleux de linstant » : en effet, oser mettre ainsi en doute quelque chose quAristote avait dit nétait rien moins quune hérésie aux yeux des étudiants de ce temps ! « Au sommet de la tour, il formula une fois de plus la question dans toute son exactitude. Si les corps tombant (un boulet de fer dune livre, lautre pesant cent livres) arrivaient à terre en même temps, il avait remporté la victoire ; mais sils arrivaient à des moments différents, ce seraient ses adversaires qui auraient raison. Le moment était venu Galilée lâcha les deux boulets de fer... Tous les yeux étaient levés Un silence Et lon vit les deux boulets partir ensemble, tomber ensemble et ensemble toucher terre au pied de la tour ». Le point le plus étrange de toute cette histoire cest quil nétait venu à lesprit de personne de faire cette expérience pour lui-même. En définitive, il fut établi que, lorsquun corps tombe il est soumis à une force pratiquement constante, et daprès le principe fondamental de la dynamique, il prend un mouvement uniformément accéléré, dont laccélération g est laccélération de la pesanteur en ce lieu. On peut exprimer les lois de ce mouvement par les formules : υ= gt e=½ gt² et υ² = 2ge t : mesure du temps écoulé depuis le début de la chute υ : vitesse acquise, et e : distance parcourue depuis le départ Date de création : 20/10/2009 @ 08:21 Réactions à cet article
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