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Parcours ricordien - La disponibilité : entre éthique et ontologie
ENTRE ÉTHIQUE ET ONTOLOGIE LA DISPONIBILITÉ (1988)[1] A partir dexpériences fortes élevées à la réflexion, Gabriel Marcel tire des conséquences qui affectent de façon radicale les positions systématiques. Il y a un style marcellien que Ricoeur appelle de proche en proche ou en étoile qui, par enchaînement thématique, arrive à conférer une universalité concrète à des expériences nucléaires dont certaines étaient restées inconnues en philosophie morale. Cest le cas pour le thème de la disponibilité qui va ici être pris pour guide. Le thème prend corps dans plusieurs de ses ouvrages entre 1933 et 1944. Cest le thème de la fidélité qui apparaît le premier dans le Journal métaphysique (1929-1933). Mais cest aussitôt celui de la disponibilité qui vient spécifier la fidélité comme fidélité créatrice. Cette naissance quasi simultanée de « deux idées musicales » est pour cette enquête dun grand intérêt dans la mesure où lidée de fidélité a le plus grand poids ontologique et celle de disponibilité le plus grand poids éthique. I/ Lexpérience concrète qui met la quête en mouvement est celle de la promesse Cest en effet à partir de la promesse (Etre et Avoir,1935, p. 56 et sq.) qui avait déjà intrigué Nietzsche que lon peut progresser, en donnant la réponse à la question suivante : « Comment puis-je promettre, engager mon avenir ? Problème métaphysique (ibid, p. 56) ». Cest donc la notion dengagement qui se présente la première. Voici maintenant comment elle conduit à celle de disponibilité. 1) Sengager (par exemple, à visiter un malade) ; cest ne pas tenir compte de ses changements dhumeur à venir ; en ce sens, lengagement est partiellement inconditionnel : je me situe au-dessus de mes désirs présents et à venir. Dirai-je alors que pareil engagement ne se soutient que de la fidélité à soi-même ? (En un certain sens, je ne puis être fidèle quà mon propre engagement, ces-à-dire, semble-t-il, à moi-même » [p. 58]. Demblée le péril du formalisme et de labstraction se fait sentir. Cest alors que le thème de la disponibilité se fait sentir une première fois, mais par la voie détournée de la métaphore bancaire de « mes disponibilités » (p. 63). Tous mes engagements, en effet, peuvent être suspectés dêtre pris à la légère, faute de « disponibilités correspondantes[2] ». Quel engagement échapperait dès lors à ce soupçon non seulement de méconnaissance de soi, mais de présomption ? Ici, le saut : seul échapperait à ce soupçon lengagement qui, loin de procéder dune position de soi par soi, serait une réponse à quelque chose comme « une prise de lêtre sur nous ». « Tout engagement est une réponse » (p. 63). Là, éthique et ontologique se nouent, car, si la prise d e lêtre précède, sous peine que la fidélité ne soit que linsupportable prétention de lorgueil, la réponse implique un acte de moi-même, précisément celui de mengager, en dépit dune nécessaire ignorance de ce que sera lavenir. On observe que, passant outre à la métaphore bancaire des « disponibilités », une idée plus forte de disponibilité induite par lidée dengagement, en rapport à des dispositions intérieures intervient, disponibilité que G. Marcel formule ainsi : « Au moment où je mengage, ou bien je pose arbitrairement une invariabilité de mon sentir quil nest pas réellement en mon pouvoir dinstituer, ou bien jaccepte par avance davoir à accomplir à un moment donné un acte qui ne reflétera nullement mes dispositions intérieures lorsque je laccomplirai. Dans le premier cas je me mens à moi-même, dans le second cas cest à autrui que, par avance, je consens à mentir » (p. 70). La disjonction se fait eu égard à lidée dune permanence comprise comme lidée supratemporelle dun sujet qui contracte et exécute un engagement, identité grevée du double soupçon de mensonge que lalternative antérieure a suscité. La conjonction se fait, de lautre côté, avec le thème de la fidélité comprise comme prise de Dieu sur nous, par rapport à quoi ma liberté sordonne et de définit. La disjonction importe ici autant que la conjonction. Ce à quoi la disponibilité soppose, cest très exactement lautonomie kantienne et son interprétation fichtéenne dautoposition. Il est reproché à Kant de navoir pas aperçu la « déconcertante alternative » suscitée par le phénomène de la promesse et par le statut de permanence assigné au sujet de la moralité. Sil y a quelque chose comme une éthique marcellienne, ce ne sera en tout cas pas une éthique de type stoïcien ou kantien de la constance à soi. Mais comment développer le thème de la disponibilité au-delà de la synonymie avec la fidélité-réponse ? Essentiellement à la faveur dun chiasme entre deux problématiques à première vue éloignées, celle de la promesse et celle de lavoir. Le moment de la découverte mérite dêtre répété : « La charité comme présence, comme disponibilité absolue. Jamais le lien avec la pauvreté ne métait apparu aussi clairement. Posséder cest presque inévitablement être possédé. Interposition des choses possédées. Ceci demanderait à être considérablement approfondi » (p. 99). Cest cette idée de dépossession sans appauvrissement qui est lessence même de lidée de don qui fait pénétrer lidée de disponibilité dans le champ de gravitation de lavoir. Sur cette base, lidée de disponibilité pourra enrichir par choc en retour celle de fidélité, qui lui avait dabord frayé la voie à loccasion de la méditation sur les conditions de la promesse. II/ Cest par le biais de son contraire, cest-à-dire lindisponibilité, que lon peut mieux atteindre la disponibilité Cest par ce renversement, fréquent chez Gabriel Marcel, que la notion de« disponibilité » va révéler ses implications. Lidée de capitaux indisponibles avait déjà ouvert la voie ; il nest pas étonnant quelle revienne avec son corollaire : « Je ne puis disposer de moi-même, dans le sens où je ne puis me forcer à ressentir de la sympathie pour un être en détresse » (p. 101). Vient la généralisation : « Approfondir la notion dindisponibilité. Il semble, à Ricoeur, quelle correspond à ce qui constitue le plus radicalement la créature comme telle » (p. 100) ? « Indisponibilité : adhérence à soi-même, plus primitive et plus radicale encore que lamour de soi « (ibid.).Cest autour de lamour de soi que tourne maintenant linvestigation. Lavoir va assurer le relais. Mais comment ? Il est intéressant de suivre le cheminement de pensée selon les deux figures évoquées au début, celle du proche en proche et celle du rayonnement étoilé. Plusieurs avenues souvrent en effet à la méditation : 1) Selon une première direction, être indisponible, cest être occupé de soi ; de là, on passe à ladhérence à soi, puis à angoisse, puis à inespoir (unhope) selon lexpression de Charles du Bos ; doù il résulte que lindisponibilité a même racine métaphysique que le pessimisme. Les implications converses dont considérables : en plaçant disponibilité et espérance du même côté, on rompt une autre symétrie, celle que Spinoza avait instituée entre espoir (spes) et crainte (metus) ; or le contraire de la crainte nest pas lespoir, mais le désir, lequel sinscrit dans le registre de lindisponible, tandis que lespérance relève du disponible, dans la mesure où espérer, cest faire crédit, dans un ordre où il y a péril, vulnérabilité, atteinte à lintégrité, donc invitation à désespérer. 2) Selon une deuxième direction, qui va recroiser plus loin la première, lindisponibilité a rapport à autrui, et de ce fait contribue à la distinction que G. Marcel partage avec M. Buber, entre toi et lui ; pour qui se donne, autrui devient un toi ; pour qui se réserve, autrui reste simplement autre, autre en tant quautre. Cette seconde ligne recoupe la première en un point précis : « Plus je suis indisponible, plus Dieu mapparaît comme quelquun qui » (p. 119). En revanche, selon lidée de fidélité créatrice, « Une fidélité absolue enveloppe une personne absolue » (p. 130). En un sens, cest lidée de disponibilité pour autrui qui ouvre la voie la plus large : qui dispose de soi se rend indisponible pour autrui. 3) Selon une troisième direction, et cest par elle que la pensée va le plus loin, lindisponibilité, disons-nous maintenant, a rapport au corps propre. Une autre analyse a montré que le corps propre se comprend comme zone frontière entre lêtre et lavoir. Or, avoir est dune façon générale, pouvoir disposer de, posséder une puissance sur. On atteint ainsi un point où, au moment où la disponibilité se rapproche dautres notions comme lespérance, le don, lamour, la grâce, la prière, cette même notion se dédouble en elle-même. a) Il y a dun côté une disponibilité selon lavoir, au sens précis où avoir cest disposer de cest-à-dire, à la limite pouvoir se débarrasser de comme il arrive dans le suicide. Il y a d lautre côté une disponibilité selon lêtre, au contraire de lusage précédent du terme, cette disponibilité consiste à ne pas pouvoir disposer de afin de pouvoir rester disponible pour (lavenir, les autres, la grâce, Dieu,...)[3]. Pour avancer plus loin, la réflexion sur lindisponibilité reprend une fois de plus le pas sur la réflexion appliquée au terme positif, dans la mesure où le lien entre indisponibilité et avoir est plus accessible à la réflexion que celui entre disponibilité et être, qui passe par les notions connexes de fidélité et despérance. La connexion entre avoir et indisponibilité a pour ce propos une importance décisive ; elle ouvre la voie à une critique en règle de la morale kantienne. Le pas décisif, à cet égard, consiste à assigner lidée dautonomie à lordre de la gestion, du gérable, donc de lavoir (p. 188). Ajoutons, à titre de corollaire, que la gestion na de sens que dans une sphère dactivité circonscrite et ne peut donc, comme la disponibilité, engager lêtre tout entier. Doù la déclaration suivante, surprenante par sa vigueur : « Sil en est ainsi, toute léthique kantienne repose sur un monstrueux contresens, une sorte daberration spéculative » (p. 190). En revanche, la notion de disponibilité na plus rien à voir avec lopposition autonomie-hétéronomie. « Car, lhétéronomie, cest la gestion par autrui mais encore la gestion ; on reste sur le même plan » (p. 190-191). En fait, lautonomie na pour sens et pour fonction que de récuser pareille intrusion dautrui dans ma sphère propre de gestion. Mais ce désir ne fait pas décoller du plan de lavoir : « Dès que nous sommes dans lêtre, nous sommes par-delà lautonomie » (p. 192). La rupture ici amorcée doit être portée plus loin encore : à lidée kantienne dautonomie, en effet, sattache celle de législation universelle. Il faudra dire que « la législation nest que laspect formel de la gestion et par conséquent ne la transcende pas » (p. 191). La disponibilité, en tant que fidélité créatrice, sera donc au-delà de la législation, comme elle est au-delà de lautonomie, et finalement de ma gestion, corollaire de lavoir. III/ Développement des harmoniques dues à la proximité entre lidée dindisponibilité et celle davoir Ricoeur souhaite insister ici sur la parenté entre disponibilité et attestation. G. Marcel y est conduit par sa méditation sur la sorte de permanence que la fidélité reconnaît. 1) La reconnaissance comme attestation Dire que la fidélité est reconnue, ce nest dire ni quelle est constatée, ni quelle est exigée ; on est au-delà de la distinction entre description et prescription ; la reconnaissance signifie ici attestation : « Lêtre comme attesté. Les sens comme témoins ceci, selon Ricoeur, est capital et neuf ; systématiquement méconnu par lidéalisme » (p.139). « La fidélité comme témoignage perpétué » (p. 138). « Lessence de lhomme ne serait-elle pas dêtre dun être qui peut témoigner ? » (p. 140). Cette ligne de pensée est dune grande fécondité pour ce propos : thème ontologique, le témoignage est au même titre et dun même mouvement, thème éthique, dans la mesure où « il est de lessence dun témoignage quelconque de pouvoir être révoqué en doute » (p. 143). Il faut donc dire, dun même souffle, quil est « de lessence de ce qui est ontologique de ne pouvoir être quattesté » (ibid.) et quil est de lessence du témoignage de pouvoir être dénié et renié. Léthique de nouveau revient en force, pour autant que lattestation est personnelle et que, par conséquent, la « tension entre le personnel et lontologique la caractérise » (p. 144). 2) Linterposition du tiers Par ce long détour, on est ainsi ramené à la méditation initiale sur la promesse, mais enrichie par la suggestion que le témoignage serait une relation triadique et non dyadique par linterposition du tiers, celui quon prend à témoin ( le premier Journal métaphysique avait déjà évoqué la force dialectique de telles relations triadiques)[4]. IV/ La transition de la paire Avoir-Être à la paire Problème Mystère Cette transition relève de ce procédé dentrecroisement qui combine en quelque façon lexploration de proche en proche et le développement étoilé de notions connexes (procédé par tissage conceptuel). Quand G. Marcel aborde la distinction entre problème et mystère, il ne perd pas de vue lacquis de la méditation sur lindisponibilité et la disponibilité, mais enrichit plutôt cette cellule mélodique des harmoniques nouvelles engendrées par les deux modalités de la pensée métaphysique que sont le problématique et le mystère. Mettant en contact mutuel les extrémités de toutes les chaînes notionnelles parcourues, on pourrait établir par raccourci une équivalence nouvelle entre indisponibilité et problématique, comme entre disponibilité et mystère. Il suffirait, pour faire sens, de rétablir quelques chaînes intermédiaires, par exemple la paire de linventoriable et de linexhaustible ; cette paire dont la parenté avec lavoir comme caractérisable, comme identifiable et lêtre comme non caractérisable, comme empiétant sur ses propres conditions dappréhension est plus aisée à apercevoir. Le recours à la paire maîtrise-recueillement ramènerait plus directement encore à la paire indisponibilité-disponibilité ; le recueillement, en effet, offre un espace de silence au déploiement du mystère, tandis que la maîtrise impose la force des mots à la récalcitrance du problématique. Par ce travail de tissage, les notions de disponibilité et dindisponibilité sont reportées sur tous les trajets de pensée, en bout à bout ou en étoile. V/ La disponibilité comme lien entre éthique et ontologie Si lindisponibilité peut être tenue plutôt pour une catégorie éthique, son lien avec lavoir la place dans le champ de lontologie, dans la mesure où être et avoir forment couple. Mais linverse nest pas moins vrai : lontologie de G. Marcel se sépare de lontologie néothomiste, dont elle sest rapprochée un moment, mais sans succès et sans lendemain, au moment précis où elle rattache la notion dêtre au mouvement de transcendance par rapport à lavoir, lequel mouvement de transcendance nest pas différent de la disponibilité (du saint, du martyr et, plus généralement de lexistant généreux) érigé en instance éthique. On peut suggérer ici que cest la catégorie du don qui marque le recouvrement complet lune par lautre de léthique et de lontologie. Léthique de la disposition incline vers lontologie à la faveur de son lien avec la fidélité comprise comme réponse à un don qui me précède. Lontologie de lêtre incline vers léthique dans la mesure où il peut être répondu au don par la trahison, le refus, linespoir ; or le monde est ainsi fait que le désespoir est toujours possible. Cest pourquoi la différence entre éthique et ontologie ne peut être abolie bien que leur lien soit indissociable. On ne trouve certes pas, chez G. Marcel du moins à la connaissance de Ricoeur de texte qui traite de façon systématique du rapport entre ontologie et éthique. La sorte de philosophie concrète professée par Gabriel Marcel exclut une telle systématisation. Ce que Ricoeur appellerait la force daimantation exercée par une expérience comme la disponibilité, selon la logique de la découverte que Ricoeur a tentée de restituer ici, ne constitue-t-elle pas un subtil équivalent et du même coup un puissant substitut au regard du système manquant ? [1] Paul Ricoeur, « Lectures 2 », Paris, Seuil, 1999, p. 68-78. [2] On voit par là que chez G. Marcel, une idée vient au jour en quelque sorte par son petit côté ou par ses marges. [3] Ici, readiness soppose à being disposed of. [4] Une étude entière est consacrée au témoignage dans les Gifford Lectures, Le Mystère de lEtre, Paris, Aubier, 1951, t. II, p 127-146. Date de création : 13/10/2009 @ 08:40 Réactions à cet article
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