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Sociologie - Catégories de Weber
WEBER LES CATÉGORIES DE LA SOCIOLOGIE Un modèle centré sur la motivation Le concept de Herrschaft (classe dominante) de Weber Son approche, au dire de Ricoeur, est importante pour deux raisons. Dabord, il nous propose un cadre conceptuel plus satisfaisant que celui du marxisme orthodoxe[1]. Lalternative quoffre Weber face à cette perspective mécaniste est un « modèle motivationnel ». La seconde raison de limportance accordée à Weber est quil produit, au sein de ce cadre conceptuel où opère la motivation, une analyse complémentaire de la relation entre groupe dominant et idées dominantes. Il introduit le concept crucial de « légitimité » et analyse la jonction des prétentions à la légitimité et des croyances en ladite légitimité : cest ce nud (nexus) qui soutient le système de lautorité. La question de la légitimité relève dun modèle motivationnel parce que linteraction de la prétention et la croyance doit être située dans un cadre conceptuel approprié et, comme on le verra, celui-ci ne peut quêtre lié à la motivation. Le texte de référence sera le grand ouvrage de Weber : « Economie et société[2] ». Définition wébérienne de la sociologie La sociologie est définie comme une science qui se propose de comprendre par « interprétation[3] » : la notion dinterprétation est impliquée dans la tâche de la sociologie. De Weber à Greetz[4], il ny aura pas de modification conséquente de cet arrière-fond philosophique. Lélément causal est inclus dans lélément interprétatif. Cest parce que la sociologie est interprétative quelle peut produire une explication causale. Ce qui tout à la fois doit être interprété et expliqué, cest l« activité », précisément lactivité (Handeln) et non le comportement, pour autant que celui-ci est un ensemble de mouvements dans lespace, alors que lactivité fait sens pour lagent humain. « Nous entendons par activité un comportement humain [ ] quand et pour autant que lagent ou les agents lui communiquent un sens subjectif » (I, 28). Il est absolument décisif que la définition de lactivité inclue le sens quelle a pour lagent (nous pressentons que la possibilité de la distorsion est impliquée par la dimension du sens). Il ny a pas dabord lactivité et ensuite seulement la représentation, parce que le sens fait partie intégrante de la définition de lactivité. Lun des aspects fondamentaux de la constitution de lactivité est quelle doit être signifiante pour lagent. Lactivité, toutefois, ne dépend pas seulement quelle a son sens pour le sujet : elle doit aussi avoir du sens pour dautres sujets. Lactivité est à la fois subjective et intersubjective. Nous entendons par « activité sociale, lactivité qui daprès son sens visé par lagent ou les agents, se rapporte au comportement dautrui, par rapport auquel soriente son déroulement » (I, 28). Lélément intersubjectif est présent dès le départ. La sociologie est interprétative dans la mesure où son objet implique dune part une dimension de sens subjectif et dautre part une prise en compte des motivations dautrui. Nous avons dès le départ un réseau conceptuel englobant les notions dactivité, de sens, dorientation vers autrui et de compréhension (Verstehen). Ce réseau constitue le modèle motivationnel. Le concept détaillé dactivité sociale La notion dorientation vers ou de prise en compte dautrui est décrite de façon plus détaillée lorsque Weber en vient plus loin, au concept d « activité sociale ». « Lactivité sociale (y compris lomission ou la tolérance) peut sorienter daprès le comportement passé, présent ou attendu éventuellement dautrui (vengeance pour réparer une agression passée, défense contre une agression présente, mesures à prendre contre une agression éventuelle) » (I, 52). A lintérieur de ce modèle de lorientation vers autrui, interviennent plusieurs facteurs. Nous devons reconnaître que ladhésion passive fait partie de lactivité sociale, de même que de même quelle est une composante de la croyance en lautorité : obéir, se soumettre à lautorité, admettre sa validité, tout cela rentre dans une activité. Ne pas agir fait partie de lagir. Plus encore : lorientation de lactivité sociale vers le comportement passé, présent ou attendu éventuellement dautrui » introduit un élément temporel. Comme lexplicite Alfred Schutz, nous ne sommes pas uniquement orientés vers ceux qui sont nos contemporains mais vers nos prédécesseurs et nos successeurs : cette séquence temporelle constitue la dimension historique de lactivité. En fin de compte, la motivation de lactivité par les évènements passés, présents ou à venir quil sagisse ou non dévènements extérieurs attire notre attention sur le fait que lidéologie est de sauvegarder lidentité à travers le temps. Lorientation de lactivité sociale daprès le comportement dautrui Cest ce facteur qui reste le plus significatif dans lorientation sociale. Cette orientation daprès autrui est la cheville ouvrière du modèle motivationnel. Seul est social « le comportement propre qui soriente significativement daprès le comportement dautrui » (I, 52)
Sil ny a pas dagent pour donner sens à sa propre action, nous ne sommes pas en présence dune activité mais dun comportement. Nous sommes alors condamnés, soit au behaviorisme[5] social, soit à un examen des forces sociales telles que les entités collectives, les classes, etc. : dans ces conditions, personne ne pourrait sorienter ni entreprendre de donner sens à ces facteurs. Lactivité censée soppose à la détermination causale. Pour Weber, le concept dimitation nimplique pas une orientation significative Au début de ce siècle, la question était de savoir si la réalité sociale était dérivée de limitation des individus les uns par rapport aux autres. Weber abandonne le caractère fondateur du concept dimitation, précisément parce quil est trop causal : il nimplique pas une orientation significative. « Une simple imitation de lactivité dautrui [
] ne serait pas conceptuellement une activité sociale en un sens spécifique si elle se produisait par simple réaction, sans orientation significative de lactivité propre daprès celle dautrui » (I, 54). Cette activité (limitation) est « donc déterminée causalement et non significativement par le comportement étranger » (I, 54). Si la causalité nest pas incluse dans la signification, cest-à-dire si la relation est exclusivement causale, alors elle ne rentre donc pas dans lactivité. I. FORME SPÉCIFIQUE DACTIVITÉ ORIENTÉE EN FONCTION DAUTRUI Pour Weber, le modèle motivationnel consiste : 1° en une compréhension interprétative orientée daprès lactivité dautrui, 2° en un développement à travers la notion didéal-type. Weber propose que la science, qui ne pourrait se rapporter quintuitivement au foisonnement de ce qui est significatif pour lindividu, exerce son contrôle sur les cas individuels placés sous des types, des idéal-types qui ne sont que des constructions méthodologiques. Ce qui est réel, cest toujours lindividu qui soriente daprès dautres individus, mais nous avons besoin de certaines modalités dorientation, de motivation afin de classer les types fondamentaux de cette orientation. La sociologie, en tant quelle est la compréhension dune activité pourvue de sens, nest possible que si cette dernière est répertoriée selon quelques types significatifs. 1) Types dactivités sociales définies par Weber a) Le premier type est une rationalité par les fins. Lactivité sociale est alors définie de façon rationnelle dans sa finalité à travers des attentes concernant le comportement des objets du monde extérieur ou celui dautres personnes [ ]. Dans le système de légitimation, elle sera en affinité avec le type bureaucratique de lautorité légale qui sappuie sur les règles. b) Le deuxième est une rationalité axiologique (par les valeurs). Laction sociale est définie de façon rationnelle dans ses valeurs par la croyance consciente en la valeur intrinsèque dun comportement dordre éthique, esthétique, religieux ou autre[6] , indépendamment de son succès espéré. Ce deuxième type dattente de sens trouvera un appui dans le sens de légitimation produit par le chef charismatique « quon croit[7] être lenvoyé de Dieu ». c) Le troisième type est un appel à laffectivité. Laction sociale est définie selon les affects (particulièrement les émotions), à partir des passions et des sentiments spécifiques des acteurs. Il sagit du lien émotionnel entre le leader et ceux qui le suivent. d) Le quatrième type est un appel à la tradition. Cet appel est fait en vertu des « habitudes invétérées » (I, 55). Ce type jouera un rôle déterminant dans le système de légitimation, dans la mesure où lon obéit aux chefs, en raison du statut qui leur est conféré par ladite tradition. 2) Importance méthodologique des idéal-types Limportance méthodologique des idéal-types tient à ce quils nous permettent de saisir la complexité des cas singuliers au moyen dune combinatoire systématique basée sur un nombre limité de types fondamentaux. En procédant sur la base de cette combinatoire, la sociologie peut faire face à la diversité du réel. Les idéal-types sont des structures intermédiaires : ils ne sont pas a priori, ils ne sont pas non plus le pur produit dune induction, mais ils se situent entre les deux. Ils ne sont pas a priori puisquils doivent être étayés sur lexpérience. Mais en un autre sens, ils précèdent lexpérience car ils fournissent un fil conducteur qui nous oriente. La typologie wébérienne sous-tend une analyse de la légitimité parce que ses exemples impliquent précisément la tension entre prétentions et les croyances. Pour ne reprendre que les exemples de la deuxième catégorie, on voit que les impératifs et les exigences font jouer la relation entre les croyances et les prétentions. Lidéologie politique peut avoir pour fonction, par exemple, de capter laptitude individuelle à la fidélité au profit dun système de pouvoir existant et qui sincarne dans des institutions autoritaires. Le système de pouvoir est alors capable de récolter les bénéfices de cette aptitude humaine à la fidélité envers une cause, de ce penchant au sacrifice en faveur dune cause. 3) Analyse complète du concept de légitimité Weber part des notions les plus fondamentales pour aboutir à celles qui en sont dérivées. Les concepts de croyance et de prétention ne produiront leurs implications potentielles pour lidéologie quaprès le déploiement total des autres notions. Il est à remarquer chose très significative dans le développement des notions wébériennes que le concept de « pouvoir » vient à la fin et non au début. Weber part de ce qui humanise lactivité et se tourne ensuite vers ce qui donne sens au lien social. Avant dintroduire le concept de pouvoir, il faut, dit-il, introduire un autre concept médiateur : celui dordre. a) Introduction du concept dordre Cette introduction marque un tournant décisif dans lanalyse de Weber. Le terme allemand est Ordnung, un agencement des êtres humains qui précède lordre au sens dun commandement. Il ne faut pas introduire trop tôt lidée dimpératif au sein du concept dordre : il faut plutôt le penser en termes dorganisation dun organisme, dun organisme qui introduit des relations, entre la partie et le tout, à lintérieur de lêtre humain. Pour insister sur la différence de signification du mot ordre, Weber insiste sur la notion « dordre légitime ». Car, selon lui, le terme dordre ne doit pas être défini en termes de forces. Comme le remarquera Geertz, cette distinction nous alerte sur le fait que lidéologie joue un rôle. Ricoeur indique que Geertz introduit son concept d« idéologie constituante », précisément au niveau de lordre légitime. On ne peut parler dun ordre qui ne serait quobligatoire et qui ne prétendrait pas à la légitimité. La prétention à la légitimité est constitutive de lordre[8]. b) Parallélisme entre modes dorientation et types de légitimité Ce nest pas par hasard quen parlant dordre, il nous faut parler de légitimité et quen parlant de légitimité il nous faut parler de motivations. Ce nest quau sein dun système de motivations que la légitimité dun ordre peut être garantie. Les expressions de Weber nont de sens quà lintérieur du modèle conceptuel de lactivité significative. Comme on vient de le voir, il importe que le problème de la légitimité soit introduit par celui de lordre. Il nimporte pas moins que la légitimité puisse être imputée à un ordre uniquement en référence aux croyances et aux représentations de ceux qui agissent en leur étant soumis. Le point de vue est celui des agents ou des acteurs[9]. Plutôt quà épier les contradictions qui peuvent exister entre les classifications imbriquées de la description wébérienne, intéressons-nous au niveau général de ces concepts ; il nous faut admettre que ce niveau est toujours motivationnel dès lors quon introduit le concept de légitimité. Ricoeur remarque que Weber laisse planer un léger doute sur le fait que la légitimité de lordre nous met sur la voie de lautorité, lequel (en I, 72) ajoute : « Toutes les explications supplémentaires (à lexception de quelques concepts à définir) appartiennent à la sociologie de la domination (Herrschaftsoziologie) et à la sociologie du droit. Le concept en question, celui de Herrschaft qui a été indiqué en tête de ce document, est le concept qui guide et oriente cette analyse. Le concept dautorité (ou de domination) est introduit au moment où lordre et la légitimation sont examinés ensemble. Néanmoins, ajoute Ricoeur, afin de donner sens à la sociologie de lautorité, nous devons dabord présenter quelques concepts intermédiaires ceux qui importent pour la discussion ultérieure , et qui sont au nombre de quatre.
4) Concepts intermédiaires a) Le premier concept intermédiaire (ou médiateur) a trait aux modalités de la relation ou du lien social (I, 78s). Il importe de savoir si ce lien est profondément intégration ou simplement associatif. Cette distinction est classique dans la sociologie allemande Bien que telle nait pas été lintention de Weber, les sociologues nazis ont invoqué lintégration (sentiment des gens davoir une appartenance commune) contre lassociation[10] : leur argument était que lunité de la race était plus forte que les conflits de classes. Ils dissimulaient que, derrière lappartenance commune se trouve la contrainte. En revanche, la sociologie wébérienne met plutôt laccent sur le rapport associatif en provenance de la tradition juridique de contrat, de Hobbes, de Rousseau, etc.. Weber sintéressait tout autant aux problèmes de léconomie et à la structure du marché quà la structure du pouvoir ; il met laccent sur le primat de la « sociation » parce quelle est la plus rationnelle ( ) Ce que, en dépit de son attirance pour le système bureaucratique, Weber peut nous apprendre, cest que tout rêve de retour en lieu et place de la « sociation » est ambigu. Tout effort pour reconstruire la société sur le mode dune grande communauté peut avoir des conséquences ultra-gauchisantes ou ultra-droitières : lanarchisme ou le fascisme. Loscillation du lien social entre ces deux pôles est à cet égard caractéristique et exige à tout le moins la plus grande vigilance. Ce qui ne veut pas dire quon na besoin de rien ni que rien ne se perd dans un lien structurel associatif : par exemple, le sens de la participation à une tâche collective. Le caractère constituant de lidéologie que mène Geertz pourrait en fait être une manière de rétablir les dimensions positives de la Gemeinschaft[11].Le caractère constituant de lidéologie peut jouer un rôle significatif parce que, de laveu même de Weber, « le fait davoir en commun certaines qualités la race ou la langue ne suffit pas à soi seul de constituer un rapport social communautaire » (I, 80). b) Le deuxième concept intermédiaire est le degré de fermeture dun groupe (I, 82s). Ricoeur sintéressant davantage au cadre conceptuel de Weber quà son contenu, ce qui lui paraît remarquable, cest quon ne peut même pas définir en termes mécanistes le terme de fermeture. Alors quon pourrait penser que la fermeture dune configuration est quelque chose de matériel (règles daffiliation ou dexclusion, par exemple), le concept est lui aussi lié à la motivation. « Les motifs de fermeture peuvent être : 1) le maintien de la qualité ; 2) la raréfaction des chances par rapport au besoin de consommation ; 3) le raréfaction des chances de profit » (I, 85-86). c) Le troisième concept intermédiaire introduit au sein des groupes fermés, la destination entre les dirigeants et ceux qui sont dirigés : lordre est renforcé par une partie spécifique de ces groupes. Ce type est décisif aux yeux de Weber parce quil introduit dans lanalyse de lordre le concept de pouvoir. Nous pouvons concevoir un ordre sans hiérarchie : dans bon nombre dutopies, on trouve la notion dune vie collective ordonnée dans laquelle tous les rôles sont égaux. Cependant, toutes les fois quon introduit une distinction entre le dirigeant et le reste du groupe, une polarisation du gouvernant et des gouvernés, on introduit du même coup une certaine forme de structure politique. Weber qualifie ce type de « groupement ». Il ne coïncide pas avec la distinction entre Gemeinschaft et Gesellschaft puisque celle-ci a trait à la structure du bien (interne ou externe) entre les individus, alors quici le concept essentiel est celui de hiérarchie. Une structure hiérarchique est introduite dans le corps collectif . « Nous dirons dune relation sociale close ou limitée par réglementation vers lextérieur quelle constitue un groupement lorsque le maintien de lordre est garanti par le comportement de personnes déterminées [ ] sous laspect dun dirigeant ou éventuellement dune direction administrative qui, le cas échéant, a normalement un pouvoir représentatif » (I, 88). Nous sommes aptes à distinguer le « pouvoir directorial » comme distinct au sein du groupement. 4) Le quatrième concept intermédiaire est celui du pouvoir directorial qui introduit un concept dordre obligatoire. (Pour Weber le concept de pouvoir directorial précède celui de classe dirigeante alors que, pour le propos de Ricoeur, cest le concept de direction qui est véritablement significatif). Ce nest pas le groupe dans son ensemble qui produit son « groupement » ; ce sont plutôt ceux qui se trouvent en position de rendre lordre obligatoire et ceux qui lui sont soumis. Les problèmes concrets de légitimation découlent de cette division du travail entre gouvernants et gouvernés : la nécessité de légitimer le caractère contraignant des règles qui émanent du pouvoir anticipent sur un éventuel concept didéologie. Weber insiste avec force sur le concept de contrainte : « Cette forme spécifique de lactivité [ ] ne soriente pas seulement daprès les règlements, mais est instituée pour les imposer par contrainte » (I,89).
II.FORME SPÉCIFIQUE DACTIVITÉ ORIENTÉE EN FONCTION DU SYSTÈME DOBLIGATION Obéir, suivre des règles, même si les exigences dudit système peuvent parfois être tempérées (arrêter un véhicule à un feu rouge, par exemple). Nous navons pas institué la règle, mais nous nous orientons daprès le système qui la rend obligatoire. On pourrait objecter quil est de notre intérêt daccepter la règle nous nous sentons plus en sécurité sil existe un code de la route mais nous devons convenir quelle devient lun des motifs de la légitimation de lordre et de son pouvoir contraignant. 1) Analyse du système de contrainte Toute forme de relation fermée (communautaire ou associative) ne constitue pas un groupement. Comme le fait observer Weber, nous nappelons « groupement » ni une relation érotique ni une communauté parentale sans chef (I, 89). La notion clef est alors celle du système formel dautorité. Selon Ricoeur, cela confirme lidée selon laquelle, en fait, le conflit entre idéologie et utopie se joue toujours à ce niveau. Ce qui est en jeu dans toute idéologie, cest en fin de compte la légitimation dun certain système dautorité. Ce qui est en jeu dans une utopie, cest le fait dimaginer une autre manière dexercer le pouvoir. Une utopie peut, par exemple, désirer que le groupe se gouverne sans hiérarchie ou que le pouvoir soit entre les mains du plus sage (comme chez Platon, avec le philosophe-roi). Quelle que soit la définition que lutopie produit de lautorité, elle tente doffrir des solutions alternatives au système de pouvoir existant. De lautre côté, la fonction de lidéologie est de toujours légitimer le donné, le système réel de domination ou dautorité. Lorsquil envisage le concept de contrainte, Weber soutient que nous navons pas dexemple de société exempte de règles contraignantes. Il nest pas plausible quune forme de gouvernement puisse satisfaire tout un chacun. Il y a des différences dintérêt, dâge (ceux qui se dirigent davantage vers les valeurs du passé), etc. La supposition selon laquelle la minorité voudra soumettre la majorité réintroduit lélément de la coercition. Ce nest quau sein dun groupe unanime que la contrainte serait, apparemment, absente, mais en réalité ce pourrait être le groupe le plus coercitif qui soit. a) Loi de lunanimité et loi de la majorité La loi de lunanimité est toujours plus dangereuse que la loi de la majorité parce que celle-ci permet au moins didentifier la minorité et de définir ses droits. Si nous prétendons uvrer sur la base de lunanimité, alors ceux qui ne sont pas aussi unanimes que les autres perdent tous leurs droits, puisque lesdits droits ne sont pas définis [ce qui constitue une première forme de violence de la part des unanimistes]. Pour utiliser la rhétorique dOrwell, nous pourrions dire quen 1791 tous les Français étaient égaux, à lexception de ceux qui étaient plus égaux que les autres : et ces derniers étaient envoyés à la guillotine. Quant à Weber, il analyse limposition de lordre en rapport avec la loi de la majorité et non de lunanimité : « Est imposé dans le sens de notre terminologie, tout règlement qui nest pas établi par une entente libre et personnelle de tous les participants, par conséquent aussi une décision prise à la majorité à laquelle la minorité doit se soumettre. Cest pourquoi la légitimité de la décision prise à la majorité [ ] na souvent pas été reconnue et est restée problématique durant de longues périodes » (I, 92). Weber porte au crédit de ceux qui émettent des réserves au sujet de la loi de la majorité davoir reconnu quil existe une autre forme de violence (plus subtile peut-être, mais il sagit encore de violence), en particulier lorsquil ny a pas de règles pour établir la loi de la majorité. Même un accord « volontaire » implique une part dimposition. On le constate dans tout système électoral, parce quon peut toujours avoir recours à une astuce pour obtenir de lélectorat la réponse désirée, soit en le morcelant, soit en instituant des procédures qui permettent au système de surmonter les critiques. Pourtant, à ce stade de sa présentation, Weber ne va pas aussi loin que Ricoeur sur le problème de limposition de lordre, celui-ci ayant tenté de repérer la plupart des passages où le problème de lautorité est posé à partir de ses conditions de base. b) Analyse de la nature de lordre b1 Concepts fondamentaux Les concepts introduits par Weber sont les suivants : le lien dassociation ou dintégration, la fermeture du groupe et sa hiérarchie. Le concept de hiérarchie introduit à son tour un rapport à une structure dautorité. Cest à ce moment seulement que Weber introduit la Herrschaft comme concept à part entière. Ricoeur traduit ce mot en se référant à Weber : « Domination (Herrschaft) signifie la probabilité quun commandement avec un contenu spécifique donné soit obéi par un groupe de personnes données » (I, 95). La Herrschaft est ainsi définie par lattente de lobéissance dautrui. Le système de pouvoir dispose dune certaine crédibilité, ce qui lui permet de compter sur le comportement de ses membres. Quand les policiers vont dans la rue, ils sattendent à ce que tous se soumettent à eux. Lobéissance nest pas seulement un effet du pouvoir des policiers leur capacité à appliquer leur volonté et même à donner la mort , elle est aussi un effet de la croyance des gens en leur fonction. La probabilité que nous suivions les règles constitue en elle-même la domination[12]. b2 Introduction de la possibilité de la contrainte physique Weber soutient quen ajoutant aux concepts précédemment énoncés, la menace de lusage légitime de la force, nous parvenons à la définition de lEtat. La structure du pouvoir étatique dépend du fait quil « revendique avec succès, dans lapplication des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime[13] » (I, 97). Weber détaille son point de vue sur lorganisation politique en I, 98 : « on peut définir le caractère politique dune organisation uniquement par le moyen qui lui est propre, lusage de la force. Ce moyen lui est certainement spécifique et indispensable du point de vue de son essence : en certaines circonstances, il est élevé à un fin en soi ». Les exemples dutilisation de la violence (devenue une fin en soi) incluent les situations durgence et de guerre. En dépit de la similitude entre les définitions de lEtat proposées par Lénine et par Weber, la différence est que, pour Weber, la contrainte étatique est en dernier ressort, étayée non sur un pouvoir physique mais sur notre réponse : notre croyance en sa revendication de légitimité. Pour parler le langage de Platon, nous pourrions dire que ce qui permet la domination étatique, cest plus cest plus sa structure sophistique ou rhétorique que sa force. Le concept de domination ne trouve son achèvement quavec lintroduction du rôle de la violence. Cest alors seulement que le concept de revendication revendication de légitimité est lui aussi achevé. Nous devons comprendre que le concept de revendication nest pas seulement lié à lordre mais à la présence de dirigeants ; des dirigeants qui, en dernier recours, peuvent faire usage de la force. c) Justification du modèle motivationnel à travers la revendication de légitimité Il est vrai, généralement parlant, que la question de la légitimité est dordre politique. Pourtant, elle nest pas seulement politique, au sens étroit du terme, et ce pour deux raisons. Tout dabord nous devons explorer la problématique de lordre légitime qui régit celle de la domination politique par lintermédiaire de la notion d« organisation », dassociation contraignante, de la distinction entre gouvernants et gouvernés. Si par hasard lEtat venait à dépérir, il nest pas certain que le problème de lordre légitime disparaîtrait. Le rôle de lidéologie perdure. Ensuite et cest la seconde raison , si la légitimité nest pas seulement un problème politique, un problème de violence, cest parce que nous ne pouvons faire léconomie du modèle motivationnel. Ce nest quà lintérieur de ce schème que la question de la revendication de légitimité prend sens. Conclusion Les définitions de Weber sont destinées à englober nimporte quel groupe, quil sagisse dune classe ou dune société potentiellement sans classe. Weber nous propose une analyse intemporelle de quelques questions fondamentales : sa typologie tend à être transhistorique. Son cadre est supposé valoir pour nimporte quelle société : de la société pré-colombienne à la société moderne. La réplique marxiste serait précisément que lhistoire est évacuée de lapproche wébérienne : cest ce quindique en particulier lélimination du concept de classe, parce que lhistoire, diraient les marxistes, naît de lhistoire des classes. Ricoeur pense, quà juste titre, Weber défendrait son orientation en soutenant que lhistoire nest pas une dimension essentielle pour définir la structure fondamentale de la société. Il saccorderait avec les marxistes sur le fait que nous sommes actuellement dans une société où la structure de classe est décisive, mais il maintiendrait que cette condition historique naffecte pas la structure fondamentale de la société. La preuve en est que, si les classes sont éliminées ou si le rôle dirigeant de la bourgeoisie disparaît, les mêmes problèmes de norme, de régulation, etc., surgiront dans une société sans classe. Reste que les idéal-types de Weber se caractérisent par un certain agencement. Weber va de ce quil appelle le plus rationnel vers le moins rationnel, de la forme légale de la légitimité à la forme traditionnelle, puis à la forme charismatique. Cette dernière est définie par son manque de rationalité. Il y a par conséquent, au dire de Ricoeur, chez cet auteur une prévention en faveur de la rationalité. Mais peut être pouvons-nous réconcilier lorientation de sa perspective avec son idée de la stabilité des structures sociales, en maintenant quen effet les structures sont permanentes, mais que leur formulation, leur description et leur interprétation demeurent le produit de points de vue situés. La seconde force de la position de Weber tient au fait quà lintérieur de son schème motivationnel, on peut donner plein sens à lhypothèse selon laquelle les idées dominantes sont énoncées par la classe dominante. Ce que Ricoeur montrera dans un second texte. [1] Concept mécaniste basé sur la relation entre infrastructure et superstructure, doù des querelles décole invraisemblables sur lefficace en dernière instance de la base, lautonomie relative de la superstructure et sa capacité à réagir en retour sur la base. [2] Plon, 1971, republié en 1995 chez Agon (Poche) en 2 vol. [3] Interpréter lactivité sociale et par là expliquer causalement son déroulement et ses effets (5,28). [4] Clifford Geertz est, aux Etats-Unis et en Europe, une figure du mouvement postmoderniste en ethnologie, bien que lui-même refuse cette étiquette et se présente comme un réformateur du culturalisme américain, qu'il souhaite débarrasser de toute forme d'explication causale, qu'elle soit psychologique, structurale ou sociale. Né en 1926, mort en 2006, il a enseigné à Berkeley (Californie) puis à Chicago, et a été chercheur à l'Institut d'études avancées de Princeton. Le plus célèbre texte de Clifford Geertz est le récit d'une expérience de terrain faite à Bali au début des années 70 : un jour qu'il assiste à un combat de coqs, pratique illégale dans ce pays, C. Geertz est amené à fuir la police en compagnie des gens du cru. Il découvre alors que son rapport aux Balinais a changé, de même que sa compréhension de leur culture. Moralité : la culture est certes un ensemble de symboles, mais ne se comprend jamais mieux qu'à travers l'action et la pratique partagées. L'uvre postérieure de C. Geertz tirera cette idée dans plusieurs directions. [5] Etude objective du comportement dun être dans telle ou telle circonstance. [6] Selon Weber : « Agit de façon purement rationnelle selon des valeurs celui qui agit sans tenir compte sans tenir compte des conséquences prévisibles de ses actes, au service quil est de sa conviction portant sur ce qui lui apparaît comme commandé par le devoir, la dignité, la beauté, les directives religieuses, la piété ou la grandeur dune « cause » quelle quen soit la nature. Lactivité rationnelle selon des valeurs consiste toujours (au sens de notre terminologie) en une activité conforme à des « impératifs » ou à des « exigences » dont lagent croit quils ui sont imposés. Ce nest que dans la mesure où lactivité humaine soriente daprès ce genre dexigences que nous parlerons dune rationalité selon des valeurs » (I, 56). [7] Croyance en un absolu. [8] Système de légitimité « La légitimité dun ordre peut être garantie : I. De façon purement subjective, et dans ce cas : 1) daprès des affects, par un abandon dordre sentimental ; 2) de façon rationnelle selon des valeurs, par la foi en sa validité absolue, en tant quil est lexpression de valeurs ultimes (dordre éthique, esthétique ou autre) ; 3) de façon religieuse, par la croyance dans le fait que le salut dépend de lobéissance à lordre ; II. Ou (et même uniquement) par lattente de certaines conséquences spécifiques externes, par exemple des situations où un intérêt est en jeu » (I, 68). [9] Il sagit là dun problème de compréhension. Fondements de la validité de lordre légitime « Les agents peuvent accorder à un ordre une validité légitime : a) en vertu de la tradition : validité de ce qui a toujours été : b) en vertu dune croyance dordre affectif (tout particulièrement émotionnelle) ; validité de la nouvelle révélation ou de lexemplarité ; c) en vertu dune croyance rationnelle selon des valeurs : validité de ce que lon a estimé être un absolu ; d) en vertu dune disposition positive, à la légalité de laquelle on croit. Cette légalité peut à son tour avoir une validité légitime, soit en vertu dune entente des intéressés à son propos, soit en vertu dun octroi, sur la base dune domination de lhomme sur lhomme et dune obéissance valant comme légitimes » (I, 72). [10] Liens réciproques considérés comme un rapport contractuel, quelque chose de plus intérieur et qui les engage moins. [11] Gemeinschaft : société de type relation sociale dont le bien est de nature interne, se distinguant de la Gesellschaft : société de type économique dont le bien est de nature externe. [12] Cette situation nest pas si loin de la relation maître/esclave chez Hegel : lesclave croit que le maître est la vraie figure de lêtre humain, non seulement en raison de sa faiblesse, mais parce quil croit en lhumanité du maître. [13] En un sens, cette définition nest pas si éloignée de celle de Lénine. Dans LEtat et la révolution, Lénine soutient que lEtat nest pas défini par ses finalités, mais par ses moyens, cest-à-dire par la contrainte. Date de création : 09/04/2009 @ 08:41 Réactions à cet article
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