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Parcours habermassien - Théorie de lidéologie dHabermas
Théorie de lidéologie dHabermas Lautoréflexion comme science Ricoeur a poursuivi son étude sur lIdéologie et lUtopie en sappuyant alors sur les chapitres 10 à 12 de Connaissance et Intérêt dHabermas. Cest là que se trouve spécialement développée dans la cinquième section la notion d « intérêt ». Première idée : « Chaque type de science correspond à un intérêt car celui-ci produit les attentes de ce qui peut être accepté, identifié et reconnu dans un champ déterminé » (309). Seconde idée : La nature de cette relation peut être précisée en suggérant quil existe trois intérêts qui déterminent trois types de sciences : lintérêt instrumental (lintérêt technico-instrumental régit le champ des sciences empiriques[1]), lintérêt historico-herméneutique[2] (la validation historico-herméneutique porte sur la possibilité narrative de notre propre existence), lintérêt des sciences sociales critiques[3] (tracer une démarcation entre les cas où les énoncés théoriques appréhendent les situations humaines réelles et ceux où les lois développées décrivent en fait des situations réifiées[4]). Ce qui caractérise cette dernière sorte dintérêt cest que, dans la mesure où elle discrimine les deux espèces de faits, la « critique de lidéologie » compte sur le fait que des informations données sur certains mécanismes complexes dans la conscience de lintéressé déclenchent un processus de réflexion. La critique est un processus de compréhension qui progresse de façon détournée, par une démarche scientifique et explicative. A ce point de notre développement, ce qui est de nature à nous surprendre, cest quHabermas ait fondé sa théorie de lidéologie sur le transfert de certains aperçus psychanalytiques dans le champ de ces sciences sociales critiques. Il a en effet entrevu que la spécificité de la psychanalyse tient au fait quelle intègre une phase explicative dans un processus qui est un processus dautoréflexion qui ressortit également des sciences sociales critiques. Lexplication nest pas une alternative à la compréhension mais un segment du processus densemble. Donnons en premier lieu la parole à Habermas : « A la fin du XIXème siècle est née, tout dabord comme luvre dun seul homme, une discipline qui se mouvait, dès le début, dans lélément de lautoréflexion tout en revendiquant dêtre légitimée par sa méthode strictement scientifique. Freud nest pas, comme Peirce ou Dilthey, un logicien de la science pouvant appliquer sa réflexion à des expériences dans une discipline scientifique déjà établie[5]. Au contraire, cest en développant une nouvelle discipline quil en a réfléchi les présuppositions. Freud nétait pas un philosophe. Sa tentative dédifier une théorie médicale de la névrose, le conduit à une théorie dun genre particulier. Il aborde lexamen méthodologique dans la mesure où justement le fondement dune science astreint à une réflexion sur le nouveau point de départ : en ce sens, même Galilée na pas seulement créé la nouvelle physique, il la discutée dun point de vue méthodologique. La psychanalyse est pour nous significative comme seul modèle tangible dune science qui recourt méthodiquement à lautoréflexion (278) La psychanalyse napparaît dabord que comme une forme particulière de linterprétation des rêves selon le modèle herméneutique des travaux philologiques. A loccasion, il la compare à la traduction dun auteur étranger, par exemple Tite-Live. Mais le travail dinterprétation de lanalyste ne se distingue pas seulement par la séparation dun domaine particulier de lobjet de celui du philologue ; il demande une herméneutique spécifiquement élargie, qui, en face de linterprétation habituelle dans les sciences morales, tienne compte dune nouvelle dimension »(279). « Linterprétation psychanalytique porte sur des structures de sens dans la dimension de la visée consciente ; les défauts quélimine son travail critique ne sont pas accidentels. Les omissions et les altérations auxquelles elle remédie ont une fonction systématique, car les ensembles symboliques que la psychanalyse cherche à comprendre sont altérés par des influences internes. Les mutilations ont un sens comme telles. Un texte altéré de ce genre ne pourra être compris de façon adéquate que lorsquon sera parvenu à éclairer le sens de laltération elle-même : cest ce qui caractérise la tâche particulière dune herméneutique qui ne peut se borner aux méthodes de la philologie, mais unit lanalyse du langage à linvestigation psychologique de connexions causales. La manifestation incomplète ou déformée du sens ne résulte pas, en pareils cas, dune tradition défectueuse ; il sagit en effet toujours du sens dun ensemble biographique, qui est devenu impénétrable au sujet lui-même. Dans lhorizon de la biographie actualisée, la mémoire fait défaut à tel point que les troubles fonctionnels de la mémoire exigent eux-mêmes le recours à lherméneutique et demandent à être compris à partir dune structure de sens objective « (281). Pour examiner le transfert de la psychanalyse dans le champ des sciences sociales critiques, Ricoeur sest posé trois questions : 1) Quest-ce qui dans la psychanalyse est paradigmatique pour une critique de lidéologie ? Lenjeu, cest la nature de la psychanalyse en tant que modèle. 2) Quelle est la pertinence du modèle ? Y a-r-il des différences significatives entre la situation analytique et la position critique dans les sciences sociales ? 3) Nest-ce pas, conformément à la visée dHabermas, que cest sur la base de lutopie que la critique peut être menée ? I / Nature de la psychanalyse en tant que modèle Dans son exploration de la nature du modèle psychanalytique, Habermas procède en trois étapes : A/ Elle est paradoxale du fait quelle englobe à la fois la compréhension et lexplication. Ceci explique pourquoi la psychanalyse est lobjet de tant de malentendus. Le génie de Freud tient à ce quil a préservé léquilibre entre ces deux facteurs, même sil ne la pas toujours maintenu dans sa métapsychologie. La structure paradoxale de la psychanalyse est une conséquence de la situation analytique elle-même puisquelle implique un texte systématiquement déformé. (Par comparaison la philologie sattache à rétablir le texte à partir dimperfections du texte parties manquantes, erreurs, etc.). Cependant, on ne doit pas uniquement comprendre ce qui est déformé : on doit expliquer les déformations elles-mêmes. Il y a donc une conjonction de « lanalyse du langage et de linvestigation psychologique de connexions causales » (250). Cette conjonction est aussi la principale raison de lambiguïté épistémologique de la psychanalyse. Puisque le contenu latent est inaccessible à son auteur, il faut faire le détour par une méthode explicative. Notons à ce propos quHabermas qualifie la méthode freudienne « dherméneutique des profondeurs ». Ce qui confirme quon ne peut maintenir la frontière entre herméneutique et sciences critiques. On trouvera dans le rêve un bon exemple de la dualité du langage psychanalytique : un texte à déchiffrer (méthode dordre philologique), un compte-rendu de la déformation du rêve, doù le recours à la théorie du « travail du rêve » et à une technique appropriée aux résistances opposées à linterprétation. Tout le vocabulaire utilisé par Freud (condensation, déplacement, représentation, élaboration secondaire, autant de mécanismes de distorsion) relève dune « énergétique » et non dune herméneutique. Ce qui, pourtant, ne nous empêche pas de dire que le sens déformé est encore une question de communication. Le rêveur est ex-communié de la communauté linguistique, mais cette ex-communication est une distorsion de la communication. Lex-communication propre au rêve est une pathologie des jeux de langage qui assurent la communication. « Le domaine de lobjet de lherméneutique des profondeurs comprend tous les passages dans lesquels, en raison de troubles internes, le texte de nos jeux de langage quotidiens est interrompu par des symbolesincompréhensibles. De tels symboles sont incompréhensibles parce quils nobéissent pas aux règles de grammaires du langage ordinaire, aux normes de laction et aux modèles dexpression acquis culturellement »(259). B/ « La communication avec lui-même du sujet parlant et agissant est interrompue parce que les symboles qui interprètent les besoins réprimés sont exclus de la communication publique » (260). Deux points concernant le modèle psychanalytique sont donc à examiner : 1) Le premier point, est quil traite des symptômes, des rêves et de tous les phénomènes pathologiques, ou quasi pathologiques comme de cas dex-communication basés sur la déformation systématique, et ce sont toutes ces déformations systématiques qui, pour disparaître requièrent une explication 2) Le second point est que dans la psychanalyse, le paradigme est celui de la situation analytique. Cette idée sera au centre de notre discussion sur la relation entre psychanalyse et critique de lidéologie. Pour Habermas, la contribution philosophique la plus intéressante de Freud se trouve dans ses textes relatifs à la technique psychanalytique, cest-à-dire au transfert. Dans sa métapsychologie, Freud a élaboré deux modèles différents : tout dabord le modèle topologique de lappareil psychique (inconscient, préconscient, conscient), puis le modèle qui différencie le çà, le moi et le surmoi. Habermas affirme que ces modèles sont des diagrammes qui représentent quelque chose qui survient dans la situation transférentielle. Par conséquent, cest la technique analytique qui doit gouverner le modèle métapsychologique et non linverse, comme malheureusement Freud et ses successeurs lont fait
Les vues de Freud relatives à la situation transférentielle nous aident à comprendre à nouveaux frais la signification des rapports de production. En un sens notre tâche est identique face à Marx et à Freud : nous devons faire appel aux contributions réelles, concrètes de leurs recherches pratiques et nous devons invoquer les indications fournies par ces recherches au détriment de leurs schémas explicatifs. Ce sont ces investigations qui doivent régir les modèles et non linverse. Quant à lexpérience analytique elle-même, qui est commune au patient et à lanalyste elle revêt le caractère dune genèse de la conscience de soi (261). Telle est aux yeux dHabermas lintuition centrale de la psychanalyse et cest également une clef pour la critique de lidéologie. Le but de la lutte des classes, cest la reconnaissance, mais nous savons que cette dernière na de sens que sur la base de la situation analytique. Cest ce que Freud condense par cette formule fondamentale : Wo Es war, soll ich werden. Là où était le çà doit advenir le moi. Telle est donc la première raison du caractère paradigmatique pour la psychanalyse de la situation analytique : la reconnaissance de soi gouverne la totalité du processus. La seconde raison de son caractère paradigmatique tient à ce que la reconnaissance de soi se réalise par la dissolution des résistances. Le concept de résistance dans la psychanalyse va devenir un modèle pour lidéologie Lidéologie est un système de résistance : elle résiste à la reconnaissance de ce que nous sommes, de qui nous sommes, etc. La vue décisive de la psychanalyse est ici que la compréhension intellectuelle du système des résistances ne suffit pas. Même si un patient comprend intellectuellement sa situation, cette information est inopérante tant quelle ne la pas conduit à retrouver son économie libidinale. Si nous voulons procéder à un parallèle avec le monde social, nous pourrions constater le rôle des média. Quelle que soit linformation livrée par les média sur la vraie nature du pouvoir dans la société, ce savoir reste en soi inopérant parce quil na aucun impact sur la distribution du pouvoir. Le système libéral dinformation est neutralisé par le fonctionnement effectif du pouvoir. Cet exemple est de Ricoeur ; pour Habermas, ce nest quultérieurement, au chapitre 12, quand il sera question de la théorie marxienne de la culture que sera établie une relation entre Marx et Freud. Pour le moment, Habermas ne se préoccupe que de Freud. La situation analytique est un exemple privilégié pour les sciences sociales critiques car elle est basée sur la théorie de la résistance. La tâche de lanalyste est de dissoudre les résistances par une sorte de travail que Freud a appelé « perlaboration ». « La perlaboration désigne la part dynamique dune réalisation cognitive qui ne conduit à la reconnaissance quen surmontant des résistances » (263). Cest une bonne définition parce quelle englobe les trois effets de la situation analytique : la réalisation cognitive, le dépassement des résistances et la reconnaissance. Cette expérience matricielle est transformée par Freud en modèle structural (269). Cest le troisième point de la lecture dHabermas. C/ Elle débouche sur le modèle structural Habermas considère que cette évolution vers le modèle structural sapplique tout particulièrement au texte intitulé « Le moi et le çà », écrit en 1923, mais quelle est manifeste dans tous les écrits de 1895 et dans le chapitre 7 de lInterprétation des rêves, écrite par Freud en 1900. Pour Habermas, le modèle structural est légitime parce quil nous faut introduire des connexions accidentelles dans un processus densemble qui est interprétatif. Il est interprétatif mais il englobe des éléments causals. La psychanalyse na de nécessité que parce que nous ignorons ou nous ne comprenons pas certains fonctionnements du cerveau. Quoi quil en soit, nous pouvons nous réapproprier le modèle structural si nous gardons présent à lesprit sa dérivation de lexpérience analytique. Au sein de ce cadre, un terme comme le « çà » prend sens car nous pouvons littéralement lidentifier au neutre. Parce que nous ne reconnaissons plus certains pans de nous-mêmes, parce quils sont ex-communiés des autres et aussi de nous, ils se donnent à voir comme des choses. Le « çà » décrit bien lexistence de cette part de notre existence que nous ne comprenons plus : ce à quoi nous navons plus accès et qui ressemble alors à une chose. Le « çà » est le nom donné à ce qui a été ex-communié. Le concept dex-communication régit le modèle structural. Cest parce que lex-communication relève elle-même du système des concepts de lactivité communicationnelle quune sorte dactivité communicationnelle offre une clef pour un modèle quasi naturaliste, désigné comme tel par Freud pour se faire reconnaître comme savant. « Le langage dégrammaticalisé et comprimé en images qui est celui du rêve nous fournit des points de repère pour un tel modèle dex-communication. Ce processus serait la reproduction intrapsychique dune catégorie déterminée de la punition dont lefficacité était évidente, en particulier aux époques archaïques : lexpulsion et lostracisme, lisolement du criminel rejeté du groupe social dont il partage la langue. Isoler certains symboles individuels de la communication publique équivaut à privatiser leur contenu sémantique » (273-274). Ricoeur dit beaucoup apprécier cette partie de lanalyse de Habermas. Ce nest que par un processus disolation intime quil y a quelque chose comme le « çà ». Le « çà » nest pas un donné, mais leffet de lexpulsion. Il souligne que cette interprétation reste fidèle à Freud : le refoulement est produit non par des forces naturelles, mais par des forces qui agissent dans certaines conditions culturelles. Le refoulement nest pas un phénomène mécanique, il est lexpression, dans un langage causal, de ce qui nous arrive lorsque nous ne nous reconnaissons pas, lorsque nous nous isolons de notre propre compagnie. Habermas ajoute quainsi nous ne pouvons rendre compte du processus dauto-réflexion que requiert lexpérience analytique : « Il est étrange que le modèle structural dénie le fait que ses propres catégories soient issues dun processus déclaircissement » (277). Ricoeur saisit cette phrase pour faire la transition avec le dernier point de son analyse de Habermas. Comment le processus des Lumières lAufklärung oriente-t-il la critique dHabermas, critique dont lintérêt est lémancipation ? Dans quelle mesure léclaircissement entendu comme émancipation est-il un élément utopique au sein de la critique de lidéologie ? Ricoeur prenant appui sur Habermas montre que le modèle psychanalytique peut être transposé dans la critique de lidéologie sur quatre points essentiels : 1) Le détour par la psychanalyse illustre dabord que lauto-réflexion constitue le principal motif des sciences sociales critiques dans leur ensemble. La psychanalyse est exemplaire, car elle est un processus de reconquête de soi, dauto-compréhension. 2) Ensuite, tant dans la psychanalyse que dans la critique de lidéologie, les distorsions appartiennent au même niveau dexpérience que lémancipation. Les distorsions surviennent dans le processus de communication. Nous sommes donc contraints de parler de la lutte des classes elle-même en termes de communication. La lutte des classes nimplique pas seulement des conflits entre des forces mais une rupture du processus de communication entre les êtres humains. Ceux-ci deviennent des étrangers : les gens des différentes classes ne parlent pas le même langage. Lex-communication sétend même au style, à la grammaire, à lamplitude du vocabulaire, etc. La différence ne se situe pas uniquement entre les outils linguistiques des différents groupes mais entre les systèmes symboliques à travers lesquels ils se regardent les uns les autres. « Mais on retrouve dans la société ce quon retrouve dans la situation clinique : en même temps que la compulsion pathologique elle-même, est posé lintérêt pour sa suppression. La pathologie des institutions sociales comme celle de la conscience individuelle réside dans le milieu du langage et de lactivité communicationnelle, et prend la forme dune déformation structurelle de la communication » (319). Freud nous aide à relire Marx en termes de processus de communication non seulement quand il parle de forces mais tout le temps. 3) Le point commun à la psychanalyse et à la critique de lidéologie est quen raison du caractère systématique de leurs déformations, on ne peut attendre quelles disparaissent du seul fait de notre aptitude normale à communiquer. Les voies habituelles de linterprétation qui constituent la conversation sont inopérantes car nous sommes confrontés non au malentendu mais à la déformation systématique. Doù la nécessité dappliquer une technique intermédiaire, de faire le détour par lexplication causale. Donc, dans la psychanalyse comme dans la critique de lidéologie le mouvement qui va de la perte à la restauration de la communication comporte une phase explicative qui implique la construction dun modèle théorique pour traiter de ce segment des processus dissimulés et réifiés. 4) Dernier parallèle : le modèle structural où nous avons affaire aux connexions accidentelles doit toujours être dérivé de la situation de communication, mais il peut lui être soustrait et donc réifié. Pour Habermas, le parallélisme ici est total : chacun des deux modèles (dan le marxisme comme dans la psychanalyse) a été soustrait à la situation originelle pour laquelle il a été conçue est devenu un modèle structural réifié Le modèle freudien de la répartition de lénergie a le même statut ambigu que la superstructure et linfrastructure dans le marxisme orthodoxe. II/ Pertinence du modèle : différences significatives entre la situation analytique et la position critique dans les sciences sociales Il reste à voir maintenant les éléments qui font que la comparaison entre la psychanalyse et la critique de lidéologie savère défaillante. Le décalage qui existe entre elles, pour Ricoeur, se révèle à deux niveaux : dabord à celui ou Marx et Freud ont chacun mis laccent sur le passage de la nature à la culture, ensuite où ce décalage est directement observable. 1) « Comme base naturelle de lhistoire, Marx sintéresse à lorganisation corporelle spécifique de lespèce selon la catégorie du travail possible : lanimal fabriquant des outils. Au contraire, le regard de Freud sest dirigé vers la famille, et il considère que le problème fondamental nest pas le travail mais le renoncement aux instincts qui permettent à un système culturel de fonctionner. Dans les grands textes de Freud, lAvenir dune illusion, Malaise dans la civilisation, Moïse et le monothéisme tout se mesure en termes de renoncement libidinal, de satisfactions libidinales qui doivent être sacrifiées afin que lon puisse devenir un être social. La vision freudienne de la culture est pessimiste : la société ne fonctionne que sur la base des compensations, des interdits et des sublimations qui protègent le système social, Freud « se concentre sur la genèse de la base motivationnelle de lactivité communicationnelle » (313). Pour Freud, dans Malaise dans la civilisation, « chaque individu est virtuellement un ennemi de la civilisation » (308). La société doit prendre des mesures contre la dimension destructrice, une dimension que Freud met en relation avec le sadisme et la pulsion de mort. Celle-ci, en particulier, na manifestement pas déquivalent chez Marx. Pour Freud, la culpabilité protège la cité des perturbations individuelles. Pour Freud, le refoulement est fondamental alors quil est chez Marx un supplément, une distorsion introduite par la division du travail et la structure de classe. Freud a eu quelque temps une certaine sympathie pour le bolchevisme, mais il le considérait aussi avec méfiance, car il avait limpression quune expérience politique qui ne changerait pas fondamentalement léquilibre pulsionnel nétait pas une vraie révolution. Ce qui, chez Freud demeure paradigmatique, cest le genre despérance quil propose. Il est beaucoup plus difficile de le trouver chez Marx parce que, aussi longtemps que la structure de classe na pas été surmontée, la rationalité de lexistence humaine ne peut être établie. Au contraire, nous pouvons, dans la démarche de la psychanalyse repérer quelque chose comme lémergence dune auto-compréhension, dune auto-réflexion. Pour repérer cette émergence, Ricoeur se propose, avec lappui de Habermas de rattacher Freud à la philosophie de son siècle. Freud est un homme du XVIIIème siècle, il peut être considéré comme un homme des Lumières, et, ajoute Ricoeur, cest certainement vrai. Habermas a compris lidéal des Lumières comme un plaidoyer en faveur de la rationalité utopique, comme la promotion dune espérance rationnelle. « Les idées dune philosophie des Lumières proviennent du fonds des illusions transmises historiquement. Aussi doit-on comprendre les actions dune philosophie des Lumières comme la tentative de tester la limite du réalisable en ce qui concerne le contenu utopique du patrimoine culturel dans des circonstances données » (314-315). Cette proposition est en accord avec une idée développée dans les derniers écrits de Freud, lorsque celui-ci distingue illusion et idée délirante. Alors quune idée délirante est une croyance irrationnelle, les illusions représentent les possibilités de lêtre humain raisonnable. Habermas cite alors lIntroduction à la psychanalyse : « Mes illusions ne sont pas irrémédiables comme les illusions religieuses, elles nen ont pas le caractère délirant. Si lexpérience devait montrer que nous nous sommes trompés, nous renoncerions à nos attentes » (315). Freud avance lidée dun esprit utopique modéré, dun esprit tempéré par latmosphère des Lumières, par lhorizon de la rationalité. Pourquoi cette notion est-elle présente chez Freud ? « Freud rencontre cette unité de la raison et de lintérêt dans la situation où la maïeutique du médecin ne peut promouvoir lauto-réflexion du malade que sous une compulsion pathologique et par lintérêt correspondant pour la suppression de cette compulsion » (318). Cest lidentité de lintérêt et de la raison qui donne à lespérance un contenu rationnel. 2) Nous touchons maintenant au point où laccent doit être mis sur le décalage effectif entre psychanalyse et critique de lidéologie. Ricoeur lobserve selon trois points : a) à son avis, la différence essentielle réside dans le fait quil ny a dans la critique de lidéologie rien de comparable à la relation entre le patient et lanalyste. La situation analytique rend réelle lunité de lintuition et de lémancipation, et la maïeutique du médecin fournit laide nécessaire. Cette relation entre le patient et le thérapeute nest propre quà la situation psychanalytique. Elle est même parfois présentée (aux Etats-Unis) comme une relation contractuelle. b) Le second point est lié au fait que rien, dans la critique de lidéologie, nest comparable à la situation transférentielle. Selon Ricoeur, le transfert est la procédure décisive, par laquelle ce qui arrivé sur la scène névrotique est transposé en modèle réduit sur la scène artificielle de la relation patient/analyste. Il constitue une scène intermédiaire entre la scène névrotique et la scène infantile originaire. Cest la faculté de créer cette situation artificielle et intermédiaire qui donne à lexpérience analytique son efficace. Ricoeur ne peut que sinterroger pour savoir si, par exemple, une analyse par la critique de lidéologie, de lappartenance de classe pourrait jouer un rôle analogue à cette situation transférentielle. c) le troisième point réside dans labsence dune reconnaissance propre à la critique de lidéologie. La relation entre le patient et le thérapeute nest pas uniquement une relation contractuelle et une procédure de transfert : elle est une conjoncture qui entraîne, en définitive, la reconnaissance réciproque. A contrario, la possibilité de la reconnaissance se trouve récusée radicalement par Althusser lorsquil examine Lénine et la Philosophie ; nous devons, dit-il « tracer la ligne de démarcation entre les intellectuels marxistes et les intellectuels bourgeois ». Néanmoins, pour le courant marxiste orthodoxe, la notion de reconnaissance est une projection qui ne vaut que pour la société sans classe ; en celle-ci, il y aura bien une reconnaissance, mais on ne peut pas dire quelle impulse la situation actuelle. De toutes ces observations, Ricoeur conclut que, bien que la critique de lidéologie puisse avoir certains effets thérapeutiques, son intention est toujours critique. En revanche, la psychanalyse englobe à la fois la critique et la cure. La fonction de la thérapie est de giérir , mais personne nest virtuellement guéri par le processus de critique de lidéologie. Beaucoup sont blessés mais peu guérissent. La critique de lidéologie fait partie dun processus de lutte et non de reconnaissance. Lidée dune communication libre rete une idée inaccomplie, une idée régulatrice, une « illusion » dans le sens où Freud distingue ce terme dune idée délirante. Lélément utopique comble peut-être, ici, le fossé que lexpérience de la reconnaissance remplit dans la situation psychanalytique. « Cest pourquoi, dans le système social aussi, cet intérêt posé avec la pression de la souffrance est immédiatement un intérêt pour léclaircissement [Aufklärung] et la réflexion est le seul mouvement possible dans lequel il simpose. Lintérêt de la raison tend vers la réalisation révolutionnaire-critique progressive, mais à titre dessai, des grandes illusions humaines dans lesquelles les motifs réprimés sont transformés en fantasmes despoir » (319). Et Habermas poursuit : ; « Le bien nest ici ni une convention ni une essence , il est le produit de lactivité imaginative (en allemand Phantasie), mais il doit être assez précis pour rencontrer et articuler un intérêt fondamental : lintérêt pour la mesure démancipation qui, historiquement, dans les conditions données comme dans celles qui peuvent être lobjet de manipulations est objectivement possible. » Habermas, et Ricoeur lui en est reconnaissant, fait donc porter la discussion sur limaginaire social. III/ Cest sur la base de lutopie que peut être menée la critique de lidéologie Cest ce que suggère Habermas dans un ouvrage postérieur à Connaissance et intérêt, après quil eût été critiqué pour avoir laissé trop dimprécision dans sa tentative de parallélisme entre la psychanalyse et la critique de lidéologie. Il pose ainsi les bases dune construction utopique, dune situation idéale de langage qui ouvre la possibilité dune communication non déformée, celle de « compétence communicationnelle ». Ce mot de compétence est utilisé de manière ambiguë. Dun côté une compétence est quelque chose qui est à notre disposition, une potentialité dont nous pouvons nous servir ou pas. Ricoeur précise quil sagit là du corrélat de la performance de Chomsky : parce que jai la compétence de parler le français, je peux énoncer une phrase dans cette langue. Mais la compétence communicationnelle ne serait pas quelque chose qui serait à notre disposition : cest plutôt ce qui sapparente à lidée kantienne, à une idée régulatrice. Ricoeur pose alors la question : pouvons-nous détenir cette idée sans une anthropologie ou une ontologie qui donne sens à un dialogue réussi ? (Cest largument constant de Gadamer dans sa discussion avec Habermas). Si nous ne disposons pas dune ontologie au sein de laquelle le dialogue est constitutif de qui nous sommes, pouvons-nous envisager cet idéal communicationnel ? Mais peut-être nest-ce purement et simplement quune question daccent, et la question de Habermas est-elle : comment pouvons-nous comprendre le dialogue que nous sommes si ce nest à travers lutopie dune communication sans frontières ni contraintes ? Ricoeur avoue admettre tout à fait le rôle incontournable de cet élément utopique, dans la mesure où il est la composante ultime de toute théorie de lidéologie. Cest toujours depuis les profondeurs de lutopie que nous pouvons parler de lidéologie. Tel était le cas du jeune Marx lorsquil parlait de lhomme total, celui qui sen allait pêcher le matin, chasser laprès-midi et qui, le soir sadonnait à la critique. Cette reconstruction de la totalité sous-jacente à la division du travail, cette vision dun homme intégral, est lutopie qui nous permet daffirmer que léconomie politique anglaise na pas creusé au-dessous de la surface des relations économiques entre le salaire, le capital et le travail. Ricoeur considère lutopie comme étant elle-même un réseau complexe déléments dorigines diverses. Loin dêtre homogène, elle est un assemblage de forces qui oeuvrent ensemble. a) Les trois composantes de la structure utopique En premier lieu, lutopie est soutenue par la notion dauto-réflexion. Cest le cur de lutopie et la composante téléologique de toute critique, de toute analyse, de toute restauration de la communication. Ricoeur lappelle composante transcendantale ( ) Ce qui reste commun à la théorie et à la pratique, cest cet élément dauto-réflexion qui nest pas historique mais transcendantal : intemporel, sans origine historique assignable, il est bien plutôt la possibilité fondamentale de lêtre humain. Quand le jeune Marx parle de la différence entre lanimal et lhomme, il trace une ligne de démarcation : la différence tient à une transcendance dont lhomme peut se prévaloir. Ricoeur, quant à lui, préfère qualifier ce facteur de transcendantal car il est la condition de possibilité pour que soit réalisé quelque chose dautre. La seconde composante de la structure utopique est culturelle. Cette caractéristique est moderne et provient de la tradition des Lumières : elle ajoute à lactivité imaginative la possibilité dune rectification, la possibilité de mettre à lépreuve les limites du réalisable. Ricoeur reprend une citation dHabermas : « Les idées dune philosophie des Lumières proviennent du fonds des illusions transmises historiquement. Ainsi devons-nous comprendre les actions dune philosophie des Lumières comme la tentative de tester la limite du réalisable en ce qui concerne le contenu utopique du patrimoine culturel dans des conditions données » (315). La troisième composante est lactivité imaginative Lactivité imaginative correspond chez Habermas à ce que Freud appelle lillusion ; celle-ci se distingue de lidée délirante qui est à la fois invérifiable et irréalisable. Lillusion ou lactivité imaginative est lélément de lespérance, dune espérance rationnelle. Dans larticle Connaissance et Intérêt dHabermas, il est affirmé que lhumanité senracine dans des structures fondamentales telles que le travail, le langage et la domination. Il ajoute néanmoins quest également présent en nous quelque chose qui transcende cet ensemble de conditions : cest lutopie. Dans ce contexte, il utilise explicitement le mot « utopie ». « La société nest pas seulement un système dauto-conservation. Il y a, présent chez lindividu en tant que libido, une nature qui est séduction, qui a quitté le domaine de lauto-conservation et poursuit une satisfaction utopique » (153-154). Lactivité imaginative est ce qui « poursuit une satisfaction utopique ». Cette opposition, établie par Habermas entre utopie et auto-conservation est une bonne perspective pour analyser la relation entre idéologie et utopie. b) Analyse de la relation entre idéologie et utopie dans leurs sens les plus positifs Comme on peut le voir chez Geertz, la fonction essentielle dune idéologie est de poser une identité, quil sagisse de lidentité dun groupe ou de celle dun individu. Lutopie, de son côté rompt avec le « système dauto-conservation » et « poursuit une satisfaction utopique ». Pour Habermas, le rôle effectif de cet élément utopique mène à la thèse suivante : « La connaissance est un instrument dauto-conservation dans la même mesure quelle transcende la pure et simple conservation » (154). Lutopie est précisément ce qui empêche les trois intérêts constitutifs de la connaissance instrumental, pratique et critique dêtre réduit à lun dentre eux. La visée utopique ouvre le spectre des intérêts et lui évite de se refermer ou de retomber dans lintérêt instrumental. Il se peut alors, poursuit Ricoeur, que lutopie au sens positif du terme, sétende jusquà la frontière entre le possible et limpossible, laquelle frontière nest peut-être en définitive, susceptible daucune rationalisation, même sous la forme dune espérance rationnelle. Ne pourrait-on, dans ces conditions, soutenir que le facteur utopique est irréductible, que la critique de lidéologie ne peut prendre appui sur une expérience analogue à celle du transfert dans la psychanalyse où le processus de libération peut mener à la reconnaissance de soi sous la conduite dune reconnaissance effective et mutuelle ? Il se peut même quune reconnaissance pleinement réciproque soit dans toute thérapie en tant que telle un élément utopique. Limagination utopique est celle dun acte idéal de langage, dune situation idéale de communication : lidée dune communication sans frontières ni contraintes. Il se peut que cet idéal constitue notre véritable idée du genre humain. Nous parlons du genre humain, non seulement au titre de lespèce, mais comme dune tâche, puisque nulle part lhumanité nest donnée. Lélément utopique peut être lidée de lhumanité vers laquelle nous nous orientons et que nous tentons sans cesse dactualiser. Ce faisant, Habermas rend possible une critique de la société qui évite le paradoxe de Mannheim (la distinction de la science et de lidéologie). Il ajoute quelque chose à Weber en montrant que cest uniquement au terme de la démarche critique que nous pouvons reconquérir, comme étant notre uvre propre, les prétentions de lautorité et il attire notre attention sur le fait que cette reconquête va de lex-communication et de la désymbolisation vers la reconnaissance et la communication. Sur ce dernier point, il annonce Geertz « qui démontre que lidéologie doit être comprise sur la base de la structure symbolique de laction ». [1] « Cest là un intérêt de connaissance qui pousse à disposer techniquement de processus objectivés ». Il est identifié aux notions de contrôle et de manipulation. Selon Habermas, lidéologie moderne est définissable comme la réduction de tous les autres intérêts à cet intérêt technico-instrumental. Cest la composante marcusienne de la pensée dHabermas : la hiérarchie des intérêts et des sciences a été rétrécie à une seule dimension. Quand un intérêt de connaissance supplante et gouverne un intérêt de communication, cest alors quémerge lidéologie moderne : la science et la technique y fonctionnent sur le mode idéologique, parce quelles justifient la réduction de lêtre humain à une figure unidimensionnelle. [2] « Ce nest pas lobservation mais la compréhension du sens qui donne accès aux faits. A lexamen systématique des hypothèses nomologiques (relatives aux lois), qui est de rigueur dans les sciences expérimentales, correspond ici linterprétation des textes. Les règles de lherméneutique déterminent donc le sens possible des énoncés dans les sciences morales ». Chaque intérêt est transcendantal au sen où il met en place une forme spécifique de validité. [3] Lorsquil a posé la spécificité des sciences sociales critiques, Habermas qui était parti de la division entre sciences instrumentales et sciences pratiques, a institué une tripartition entre sciences instrumentales, sciences historico-herméneutiques et sciences sociales critiques. [4] Ici était, au début des Manuscrits, largument de Marx contre léconomie politique anglaise : elle décrivait correctement les caractéristiques du système capitaliste, sans voir, toutefois, que son principe de base était laliénation. Ce quelle appréhendait comme un invariant dissimulait en fait laliénation. Donc, pour Habermas, les sciences sociales classiques sont incapables de différencier dans leur description ce qui est véritablement humain, et ce qui, parce quil est déjà réifié, a lapparence du fait. La factualité des sciences sociales classiques est ambiguë parce quelle inclut deux éléments confondus : ce qui relève des possibilités fondamentales de communication, de symbolisation, dinstitutionnalisation, etc. , et ce qui est déjà réifié et se donne à voir comme une chose. La critique de lidéologie assume un rôle capital car sa fonction est de distinguer entre ces deux natures de faits sociaux. [5] « Ce nest pas par hasard que Dilthey a pris la biographie pour point de départ de son analyse de la compréhension ; la reconstruction dun ensemble biographique, qui peut être remémoré, est le modèle de linterprétation des ensembles symboliques en général. Dilthey choisit la biographie comme modèle parce que celle-ci semble avoir lavantage de la transparence : elle noppose pas au souvenir la résistance de lopacité ». Date de création : 09/03/2009 @ 08:59 Réactions à cet article
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