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Christologie 6 (Théologie 2)

COMMENTAIRE PAR SAINT THOMAS D'AQUINDysfonction érectile
CHRISTOLOGIE 6
 
ÉVANGILE DE JEAN (1ère partie).
 
Commentaire par St Thomas d’Aquin
     
"Si vous ne croyez pas quand je vous dis les choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous dirai les choses du ciel" [Jean, 3,12].
 
COMMENTAIRE PAR SAINT THOMAS D'AQUIN[i]
 
1/ PRÉFACE DE DU PÈRE M.D. PHILIPPE,o.p..
 
< Parmi tous les théologiens du Moyen Age qui s'enracinent profondément dans la tradition des Pères de l'Eglise, Saint THOMAS[ii] est certainement le plus génial et le plus conscient des exigences de son oeuvre de théologien. Il a un sens merveilleux du mystère de la Parole de Dieu et de sa signification. La Parole de Dieu est pour l'âme la nourriture spirituelle qui la fait subsister, elle réjouit et guérit[iii], elle purifie les coeurs des affections terrestres en les enflammant pour les choses du ciel [...].
Si saint Thomas n'a cessé, durant toute sa vie de théologien, de revenir aux oeuvres d'Aristote en les commentant, c'était pour avoir une intelligence plus pénétrante, plus avide de vérité[iv], afin que cette intelligence fût un meilleur instrument au service de la Parole de Dieu. Saint Thomas n'a pas cherché à être un grand philosophe ; mais s'il a aimé la philosophie et s'il a analysé avec tant de zèle et de profondeur la pensée du Philosophe, c'est que pour lui toute vérité vient de Dieu et conduit à Dieu[v] ; c'est que pour lui la découverte de la vérité est la perfection même de l'intelligence, sa propre fin - l'intelligence, comme telle, n'est parfaite que si elle atteint la vérité - et qu'une intelligence plus parfaite, plus proche de sa fin, est moins limitée, moins conditionnée par les images sensibles. Cette intelligence peut donc être pour l'épanouissement de la foi, pour l'explicitation de la signification profonde de la Parole de Dieu, un meilleur serviteur qu'une intelligence moins parfaite. Il y a là un point qui est capital dans la vision théologique de saint Thomas et qui explique ses audaces si grandes. Mais il faut reconnaître que nous, intelligences du XXème siècle, avons beaucoup de peine à saisir vraiment cela et surtout à le vivre, car nous sommes plus sensibilisés aux limites et au conditionnement de notre raison qu'à la finalité propre de notre intelligence : la découverte de la vérité ; aussi serons-nous perpétuellement tenter de demeurer dans la recherche, sans vouloir considérer son but : la découverte de la vérité. Pour saint Thomas, l'intelligence humaine, en elle-même, n'est pas blessée par les conséquences du péché originel, elle demeure capable d'atteindre la vérité ; elle demeure capable de s'affronter au réel et d'y adhérer, et même, au terme de ses analyses philosophiques, de découvrir l'existence de l'Etre Premier, que le croyant appelle Dieu ; elle demeure toujours secrètement attirée par Dieu, elle a soif de Lui comme le cerf a soif de l'eau vive[vi]. C'est le même Dieu créateur qui nous donne actuellement l'intelligence et qui, dans un nouvel amour, nous donne gratuitement la foi ; le même Dieu est créateur de l'univers et auteur de la grâce qui fait de nous ses enfants par la foi en sa Parole. L'intelligence et la foi ont donc la même source, elles proviennent du même Dieu ; et elles ne peuvent avoir l'une et l'autre leur fin qu'en Dieu, Créateur et Trinité (mais de manières différentes : l'intelligence a en Lui sa fin ultime, la foi a en Lui sa fin propre). Aussi une coopération est-elle possible entre les deux, tout en respectant leur diversité. C'est peut-être dans les oeuvres théologiques de saint Thomas que cette coopération a connu la plus parfaite réalisation, en raison même de l'intention profonde de ce théologien - "que chacune de mes paroles et chacun de mes sentiments expriment Dieu"[vii] - et en raison de la qualité de son intelligence métaphysique, si avide de vérité.
Parmi ses oeuvres théologiques, le Commentaire sur l'Evangile de saint Jean tient une place unique. On pourrait même dire que ce commentaire est l'oeuvre théologique par excellence de saint Thomas ; aussi est-ce bien cette oeuvre qui peut le mieux nous faire pénétrer dans l'intelligence théologique du Docteur angélique et nous dévoiler ce qu'il y a de plus intime dans son cœur de saint. Il fait figure d'œuvre récapitulative non seulement parce que ce commentaire compte, de fait, parmi les dernières oeuvres de saint Thomas[viii], mais encore et surtout, parce que l'Evangile de Jean contient ce qu'il y a d'ultime dans la Révélation.
En commentant le Prologue, saint Thomas reconnaît que c'est là que nous saisissons "la contemplation de la nature et de l'essence du Verbe divin" à laquelle "a été élevé Jean l'Evangéliste" [Prol., n°7]. Et, à la suite des Pères (surtout de saint Augustin), mais en approfondissant leur effort grâce à l'apport de toute son intelligence philosophique[ix], il se sert du fruit intime de notre pensée (le "verbe") pour expliciter analogiquement ce qu'est le fruit personnel de la contemplation de Dieu, malgré l'infinie distance qui existe entre ces deux fruits, et malgré le fait que l'un est fruit d'indigence alors que l'autre est fruit de surabondance.
Le commentaire de saint Thomas sur l'Evangile de Jean nous permet aussi de déceler le saint, son intimité personnelle avec la Très Sainte Trinité, avec le Cœur de Jésus et celui de Marie, son amour pour l'Eucharistie et pour l'Eglise.  
Saint Thomas, en parlant de saint Jean, ne se dévoile-t-il pas lui-même à nos yeux ? En effet, saint Thomas, pas plus que Jean, ne parle de lui-même ; mais il découvre Jean dans son lien intime avec Jésus et, en nous le révélant, il nous découvre son propre lien avec Jésus. Le commentaire de saint Thomas sur l'Evangile de Jean nous permet enfin de découvrir comment un "docteur", sous le souffle de l'Esprit Saint, comprend l'Ecriture. Saint Thomas, dans le discours (sermo) prononcé à l'occasion de sa réception à la Maîtrise en théologie (en 1256), a précisé quelles devaient être les qualités du "docteur de l'Ecriture sainte"[x]. Or, dans son Commentaire sur l'Evangile de saint Jean, il réalise parfaitement ces qualités.
Cette intelligence de la Parole de Dieu, que nous découvrons dans le Commentaire sur saint Jean, nous montre bien que la théologie scientifique de saint Thomas ne s'oppose en rien à celle des Pères ; elle la prolonge, elle la précise. En effet, c'est toute l'interprétation mystique des Pères que saint Thomas assume ici, avec une lucidité parfaite. Quantité de passages de ce Commentaire illustrent l'interprétation spirituelle que saint Thomas donne de l'Ecriture - par exemple lorsqu'il se demande pourquoi l'Esprit Saint, au baptême du Christ, est apparu sous la forme d'une colombe[xi]. Cependant remarquons bien qu'il ne s'agit pas simplement, dans ce passage et dans d'autres, de donner une interprétation spirituelle de l'Ecriture. En cet endroit, et plus nettement encore dans d'autres, saint Thomas éclaire un passage de l'Ecriture par un autre >.
 
2/ COMMENTAIRE PROPREMENT DIT
 
En tête du Commentaire sur l'Evangile de saint Jean figurent deux prologues, l'un de saint Jérôme, l'autre de saint Thomas. Nous nous consacrerons exclusivement à ce dernier.
 
PROLOGUE DE ST. THOMAS
 
Dans ce prologue, saint Thomas applique à la contemplation de Jean ces paroles d'Isaïe : "Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé ; et toute la terre était remplie de sa majesté ; et tout ce qui était au-dessous de lui remplissait le Temple"[xii].
Pour le Docteur angélique, il ne fait aucun doute que l'Evangile de Jean est le plus contemplatif des quatre Evangiles. Selon lui, ces paroles d'Isaïe décrivent de trois manières la contemplation de Jean parce que Jean lui-même a contemplé la divinité du Seigneur Jésus de trois manières. Cette contemplation, ces dires la montrent en effet élevée, ample et parfaite.
 
Elevée : JE VIS LE SEIGNEUR SIÉGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ÉLEVÉ;
 
Ample : TOUTE LA TERRE ÉTAIT REMPLIE DE SA MAJESTÉ ;
 
Parfaite : CE QUI ÉTAIT AU-DESSOUS DE LUI REMPLISSAIT LE TEMPLE.
 
Saint Thomas reprend alors chacune de ces phrases :
 
JE VIS LE SEIGNEUR SIÉGEANT SUR UN TRÔNE SUBLIME ET ÉLEVÉ.
Ces paroles d'Isaïe nous dévoilent la quadruple grandeur que Jean contemple dans le Verbe incarné. Sa seigneurie : j'ai vu LE SEIGNEUR ; son éternité SIÉGEANT, la dignité et la noblesse de sa nature : SUR UN TRONE SUBLIME, enfin sa vérité incompréhensible : ET ÉLEVÉ.
 
TOUTE LA TERRE ÉTAIT REMPLIE DE SA MAJESTÉ :
c'est-à-dire, tout l'ensemble des réalités et de l'univers vient de la majesté et de la puissance du Verbe de Dieu, par qui tout a été fait et dont la lumière illumine tout homme venant en ce monde. Le Psalmiste, lui, dit à ce sujet : Au Seigneur est la terre et tout ce qu'elle renferme(a).  
 
ET CE QUI ÉTAIT AU-DESSOUS DE LUI REMPLISSAIT LE TEMPLE.
Le chef du Christ, en effet, c'est Dieu(b), et ce qui est sous le Christ, ce sont les sacrements de son humanité, par lesquels les fidèles sont remplis de la plénitude de la grâce. Ainsi donc, CE QUI ÉTAIT AU-DESSOUS DE LUI, c'est-à-dire les mystères de son humanité, REMPLISSENT LE TEMPLE, c'est-à-dire les fidèles qui sont le temple saint de Dieu(c) comme le dit saint Paul. En effet, par les sacrements de son humanité, tous les fidèles du Christ reçoivent la plénitude de sa grâce.
 
La contemplation de Jean fut donc élevée, ample et parfaite.
 
Ce qui précède nous apprend donc quelle est la matière de cet Evangile. En effet, alors que les autres Evangélistes traitent principalement des mystères de l'humanité du Christ, Jean montre avant tout dans son Evangile, et d'une manière qui lui est propre, la divinité du Christ, sans taire pour autant les mystères de son humanité. En voici la raison : après que les autres Evangélistes eurent écrit leurs Evangiles, des hérésies s'élevèrent au sujet de la divinité du Christ ; elles enseignaient que le Christ était homme seulement, comme Ebion et Cérinthe le pensaient faussement[xiii]. C'est pourquoi Jean l'Evangéliste, qui avait puisé la vérité de la divinité du Verbe à la source même du coeur divin, écrivit à la prière des fidèles, cet Evangile où il nous a livré son enseignement sur la divinité du Christ et a réfuté toutes les hérésies.
 Ces paroles d'Isaïe montrent encore clairement l'ordre suivi dans cet Evangile. En effet, Jean nous présente d'abord LE SEIGNEUR SIÉGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVÉ, quand il dit : Dans le Principe était le Verbe.
Ensuite, il montre comment TOUTE LA TERRE ETAIT REMPLIE DE SA MAJESTÉ, par ces paroles : Tout a été fait par lui.
Enfin il manifeste comment CE QUI ÉTAIT AU-DESSOUS du Seigneur REMPLISSAIT LE TEMPLE, en disant : Et le Verbe s'est fait chair [...] et nous avons vu sa gloire.
 
De même ces paroles d'Isaïe manifestent bien la fin de cet Evangile : il faut que les fidèles, devenus le temple de Dieu, soient remplis de la majesté divine. C'est pourquoi Jean lui-même dit : Ces miracles ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu'en croyant vous ayez la vie en son Nom.
Nous voyons donc clairement par là quelle est la matière de cet Evangile - la connaissance de la divinité du Verbe -, quel est son ordre et quelle est sa fin.
Le symbole de Jean est l'aigle. Voici pourquoi : les trois autres Evangélistes se sont occupés de ce que le Christ a accompli dans la chair et ils sont désignés par des vivants qui marchent sur la terre, à savoir par l'homme, le bœuf et le lion(d) ; Jean, lui, volant comme un aigle au-dessus des nuages de la faiblesse humaine, contemple la lumière de l'immuable Vérité avec les yeux du cœur, du regard le plus pénétrant et le plus ferme qui soit possible à l'homme, et, attentif à la divinité même de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par laquelle Il est égal à son Père, il s'est efforcé principalement, dans son Evangile, de la manifester autant que, homme parmi les hommes, il l'a cru nécessaire. De ce vol de Jean il est dit au Livre de Job : L'aigle - c'est-à-dire Jean - à ton commandement s'élèvera-t-il en haut? et encore : Ses yeux perçants voient de loin(e) , car du regard de l'esprit il contemple le verbe même de Dieu dans le sein du Père.
Quant à son privilège, il fut d'être, parmi tous les disciples du Seigneur, celui qui fut le plus aimé par le Christ : Jean fut en effet le disciple que Jésus aimait, comme lui-même l'a dit sans se nommer. Or aux amis on révèle ses secrets, comme le montrent ces paroles de Jésus : Je ne vous appelle plus mes serviteurs, mais mes amis, parce que tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître. Le Christ a donc révélé ses secrets d'une façon toute spéciale à ce disciple très spécialement aimé. A ceux qu'enfle la démesure - à savoir les orgueilleux - le Christ cache la lumière - c'est-à-dire la vérité de la divinité - et il annonce à son ami - Jean - que la lumière est son partage ; c'est lui en effet qui, voyant plus parfaitement la lumière du Christ incarné, nous la manifeste en disant : [Celui-là] était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde. Telle est donc la matière, tel est l'ordre, telle est la fin, tel est l'auteur de cet Evangile de Jean que nous avons en main.
 
(a) Ps.,(23),1 ; (b) 1Co.,11,3 ; (c) 1Co.,3,16 ; (d) Ez.,1,10 & Ap.,4,7.8 ; (e) Jb.,39,27 & 29 ; (f) Jb.,36,32.33. 
 
PROLOGUE DE L’EVANGILE
 
LE CHRIST EN TANT QUE DIEU [Jn.,1,1-5]
 
Pour faire connaître l'être du Verbe quant à la nature divine, l'Evangéliste le montre sous quatre aspects:
 
1. Quand était-il ?
     DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE
     où Interviennent : Augustin, Chrysostome, Origène, Basile, Hilaire.
 
2. Où était-il ?
     ET LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU
     où interviennent Basile, Hilaire, Chrysostome, Bède, Origène.
 
3. Qu'était-il ?
     ET LE VERBE ÉTAIT DIEU
     où interviennent Origène, Hilaire.
 
4. Comment était-il ?
     IL ÉTAIT DANS LE PRINCIPE AUPRÈS DE DIEU
     où interviennent Hilaire, Origène.
 
Les deux premiers aspects répondent à la question : existe-t-il ? les deux autres à la question qu'est-il ?
 
DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE
 
Que signifie cette affirmation ? Trois points sont ici à examiner avec soin : le sens du terme VERBE, celui de DANS LE PRINCIPE, et enfin celui de toute la proposition.
 
LE VERBE
Pour avoir l'intelligence du mot "Verbe", il faut savoir que, selon Aristote, ce que disent les paroles est signe de ce qui est dans l'esprit, c'est-à-dire de ce qu'il a éprouvé : "Les sons émis par la voix sont les symboles des états de l'âme, et les mots écrits les symboles des mots émis par la voix".
L'Ecriture a coutume de donner aux réalités signifiées le nom des signes, et inversement ; ainsi l'Apôtre dit : la pierre c'était le Christ(a). Il s'ensuit nécessairement que ce qui se trouve à l'intérieur de l'esprit, et que nous faisons connaître par notre verbe [parole] extérieur, est aussi appelé "verbe". Il est clair cependant que le verbe, situé à l'intérieur de l'esprit et signifié par la parole, est antérieur au verbe proféré, puisqu'il en est la cause.
Si donc nous voulons savoir ce qu'est dans notre esprit le verbe intérieur, [voyons si nous pouvons l'appréhender par la signification de la parole proférée à l'extérieur].
Notre intelligence comporte trois éléments :
. la puissance intellectuelle elle-même,
. la forme intentionnelle de la réalité saisie par l'intelligence[xiv], qui informe
 cette intelligence en ayant avec elle le même rapport que la forme
 intentionnelle de la couleur avec l'œil,
. l'opération qui est l'acte d'intelligence.
 [Force est de constater que la parole proférée à l'extérieur ne signifie (a priori) aucun ce ces trois éléments].
Par exemple, celui qui prononce simplement le nom "pierre" n'exprime pas la substance de l'intelligence - ce n'est pas ce qu'il vise ; il n'exprime pas la forme intentionnelle qui est ce par quoi l'intelligence saisit [la réalité] - ce n'est pas non plus ce qu'il veut nommer ; enfin il n'exprime pas davantage l'acte d'intelligence, car celui-ci n'est pas un acte procédant de manière extérieure de celui dont l'intelligence est en acte, mais une action qui demeure en lui-même.
 
VERBE INTÉRIEUR
On touche ici aux caractéristiques du "verbe intérieur" qui, en termes propres, est ce que forme, par son acte d'intelligence, celui dont l'intelligence est en acte. Or, l'intelligence, selon les deux opérations dont elle est capable[xv], forme deux choses : selon l'opération que l'on appelle la saisie des indivisibles, elle forme une définition ; et selon l'opération par laquelle elle compose et divise, elle forme une énonciation ou quelque chose de ce genre. Ce qui est ainsi formé et exprimé par l'opération de l'intelligence - soit qu'elle définisse, soit qu'elle compose et divise - est signifié par la parole extérieure. C'est pourquoi, pour Aristote, la définition est le contenu intelligible signifié par le nom. C'est donc ce qui est ainsi exprimé, ainsi formé dans l'esprit, qu'on appelle verbe intérieur. Par rapport à l'intelligence, ce n'est pas ce par quoi l'intelligence saisit, mais ce dans quoi elle saisit, parce qu'elle voit, dans ce qu'elle a formé et exprimé, la nature de la réalité qu'elle saisit. Nous avons donc maintenant le sens de ce mot "verbe".  
D'après ce que nous venons de dire, nous pouvons comprendre deux choses :
. que le verbe est toujours quelque chose qui procède de l'intelligence quand
   celle-ci est en acte.
. que le verbe est le contenu intelligible et la similitude de la réalité saisie par
   l'intelligence.
Mais si la réalité saisie par l'intelligence et celui qui intellige sont une seule et même réalité, alors le verbe est le contenu intelligible et la similitude de l'intelligence dont il procède. Si donc ce qui est saisi par l'intelligence est autre que celui qui le saisit, alors le verbe n'est pas le contenu intelligible et la similitude de celui qui intellige, mais de la réalité saisie. Ainsi, ce que l'intelligence saisit de la pierre est seulement la similitude de la pierre. Voilà pourquoi Augustin[xvi] voit dans l'âme une similitude de la Trinité lorsque l'esprit se saisit lui-même, et non lorsqu'il saisit d'autres choses.
Il est donc manifeste que l'on doit reconnaître un verbe à toute réalité douée d'intelligence. En effet, l'acte d'intelligence en lui-même implique que l'intelligence, en saisissant forme quelque chose ; or, ce qui est ainsi formé est ce qui est appelé un "verbe" ; par conséquent, il faut reconnaître un verbe à tout être dont l'intelligence est en acte.
 
VERBE HUMAIN, ANGÉLIQUE, DIVIN
Or la nature intellectuelle est humaine, angélique et divine. Il y a donc un verbe humain - L'insensé a dit en son coeur : Dieu n'existe pas(b) ; un verbe angélique, dont le prophète Zacharie a écrit : L'ange qui me parlait me dit(c)...et que manifestent beaucoup d'autres passages de la Sainte Ecriture ; enfin le Verbe divin, dont parle la Genèse : Dieu dit:Que la lumière soit(d). Du quel donc de ces verbes l'Evangéliste parle-t-il en disant : DANS LE PRINCIPE ÉETAIT LE VERBE? Il est manifeste qu'il ne parle ni du verbe humain ni du verbe angélique, parce que ces deux verbes ont l'un et l'autre été faits, puisque le verbe ne précède pas celui qui le dit et que l'homme et l'ange ont une cause et un principe. Mais le Verbe dont parle Jean n'a pas été fait, au contraire tout a été fait par Lui(e). Si donc ce que dit Jean ne se rapporte pas aux deux premiers, il faut nécessairement l'entendre du troisième, c'est-à-dire du Verbe de Dieu.
 
DIFFÉRENCES ENTRE LE VERBE DIVIN ET LE VERBE HUMAIN
Or il faut savoir qu'entre le Verbe de Dieu dont parle ici Jean, et notre verbe, il y a trois différences.
La première selon Augustin[xvii] est que notre verbe est en formation avant d'être formé. En effet, il faut un mouvement de la raison pour parvenir à concevoir le contenu intelligible de la pierre, et de même pour toute autre réalité que nous saisissons par l'intelligence, à l'exception des premiers principes : ceux-ci sont connus naturellement et immédiatement, sans aucun processus de la raison. Donc, aussi longtemps que, raisonnant, l'intelligence discursive est jetée de-ci, de-là, la formation n'est pas encore achevée ; elle ne sera achevée que lorsque l'intelligence aura conçu parfaitement le contenu intelligible lui-même de la réalité ; c'est alors seulement qu'elle possède le verbe comme verbe. Voilà pourquoi il y a une cogitation dans notre esprit, c'est-à-dire ce mouvement de recherche, puis un verbe formé dans une parfaite contemplation de la vérité. Ainsi, notre verbe est en puissance avant d'être en acte ; mais le Verbe de Dieu est toujours en acte, aussi le nom de "cogitation" ne lui convient-il pas proprement. Augustin dit à ce sujet : "Nous parlons du Verbe de Dieu pour éviter le mot de "cogitation", afin qu'on ne croie en rien de mouvant en Dieu [...].
La seconde différence entre notre verbe et le Verbe divin est que notre verbe est imparfait, alors que le Verbe de Dieu est absolument parfait ; en effet, nous ne pouvons exprimer tout ce qui est dans notre esprit par un verbe unique ; aussi nous faut-il former de nombreux verbes imparfaits pour exprimer séparément tout ce qui se trouve dans notre connaissance. En Dieu, il n'en est pas ainsi : comme Il saisit par l'intelligence et Lui-même et tout ce qu'Il saisit par son essence, dans un seul acte de son intelligence, l'unique Verbe de Dieu exprime tout ce qui est en Dieu, non seulement le Père, mais encore les créatures ; autrement il serait imparfait. C'est ce qui fait dire à Augustin : "S'il y avait moins dans le Verbe que ne contient la science de Celui qui le prononce, le Verbe serait imparfait. Mais il est manifeste qu'Il est très parfait, donc Il est unique." Et nous lisons dans le livre de Job : Dieu ne parle qu'une fois, et Il ne répète pas ce qu'Il a dit(f).
La troisième différence, c'est que notre verbe n'est pas de même nature que nous, tandis que le Verbe divin est de même nature que Dieu ; Il est quelque chose qui subsiste dans la nature divine.
En effet, le contenu intelligible saisi par l'intelligence , et que celle-ci forme à partir d'une réalité, ne possède qu'un être intelligible, dans notre esprit. Or l'acte d'intelligence de l'esprit n'est pas identique à la nature de l'esprit, parce que l'esprit n'est pas son opération. C'est pourquoi le verbe que forme notre intelligence n'appartient pas à l'essence de notre esprit, mais lui est accidentel. Au contraire, en Dieu, l'acte d'intelligence et l'être sont identiques et c'est pourquoi le Verbe de l'intelligence divine n'est pas accidentel mais appartient à sa nature ; c'est pourquoi il faut qu'Il soit subsistant, car tout ce qui est dans la nature de Dieu est Dieu. C'est pour cela que Jean Damascène dit que "le Verbe substantiel est Dieu et un être ayant une hypostase, tandis que les autres verbes, les nôtres, sont des qualités de l'âme." 
 
LE VERBE DIVIN PROCÈDE DU PÈRE ET EST APPELÉ FILS
D'après ce qui précède, il faut donc affirmer que le mot VERBE, à proprement parler, est toujours pris dans un sens personnel quand il s'agit de Dieu, puisqu'Il ne comporte rien d'autre que ce qui est exprimé par celui dont l'intelligence est en acte.
Il faut dire aussi que le Verbe, en Dieu, est la similitude de Celui dont Il procède ; qu'Il est coéternel à Celui dont Il procède, puisqu'Il n'a pas été en formation avant d'être formé mais est toujours en acte ; qu'Il est égal au Père, puisqu'Il est parfait et exprime tout l'être du Père ; qu'Il est coessentiel et consubstantiel au Père, puisqu'Il subsiste dans sa nature.
De plus, on appelle fils l'être qui, en quelque nature que ce soit, procède d'un autre dont il possède la similitude et la nature. Or le Verbe divin procède du Père dans la similitude de sa nature ; Il est donc appelé "Fils", et sa production est une génération.
Voilà maintenant élucidé notre premier point : ce que signifie VERBE.
Cependant certaines questions se posent à ce sujet. Ainsi Jean Chrysostome se demande pourquoi Jean l'Evangéliste, sans s'occuper du Père, a commencé aussitôt par le Fils : DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE.
A cette interrogation on peut répondre de deux manières. D'abord, c'est que le Père était connu de tous dans l'Ancien Testament - bien que ce ne fût pas comme Père mais comme Dieu - tandis que le Fils était inconnu ; et donc, dans le Nouveau Testament, où il s'agit de la connaissance du Verbe, Jean a commencé par le Fils. On peut dire aussi que c'est parce que le Fils nous conduit à la connaissance du Père : Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes que tu m'as donnés(g). Ainsi, voulant mener les fidèles à la connaissance du Père, Jean, à juste titre, commence par le Fils, ajoutant aussitôt au sujet du Père : ET LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU.
 
Jean Chrysostome pose cette autre question : puisque le Verbe procède du Père comme un Fils, ainsi que nous l'avons dit, pourquoi Jean parle-t-il du VERBE et non du "Fils" ?
Ici encore, deux réponses sont possibles. D'abord, "fils" veut dire engendré et, entendant parler de génération d'un fils, nous pourrions penser à la génération que nous connaissons, c'est-à-dire à la génération matérielle et soumise au changement. Voilà pourquoi Jean ne dit pas "Fils" mais VERBE - terme qui est essentiellement lié à un processus intellectuel - pour qu'on ne comprenne pas cette génération comme matérielle et soumise au changement. Donc, en montrant que le Fils a été produit par Dieu sans qu'il y eut aucun changement, l'Evangéliste supprime par l'emploi du mot "Verbe" toute interprétation pernicieuse.
On peut répondre encore que Jean voulait traiter du Verbe en tant qu'Il était venu pour manifester le Père ; or le nom de "Verbe" exprime davantage la manifestation comme telle que celui de "Fils" ; c'est pourquoi il s'est servi plutôt du nom de "Verbe".
 
La troisième question est d'Augustin. Dans le grec, là où le latin porte verbum, il y a logos. Ce mot grec correspond en latin à ratio [contenu intelligible] et à verbum [verbe]. Pourquoi donc les traducteurs ont-ils choisi verbum et non ratio, puisque ratio signifie quelque chose d'intrinsèque aussi bien que verbum ? 
Voici la réponse. Il faut dire que ratio, au sens propre, signifie le concept de l'esprit en tant qu'il est dans l'esprit, même si quelque chose est produit par lui à l'extérieur ; au contraire verbum comporte un rapport avec l'extérieur. En disant logos, l'Evangéliste ne voulait pas seulement indiquer le rapport et l'existence du Fils dans le Père, mais encore la puissance opératrice du Fils par laquelle lui-même fit toutes choses. C'est pour cela que les anciens ont traduit par verbum, mot qui comporte ce rapport à l'extérieur, de préférence à ratio, qui suggère seulement le concept de l'esprit.
 
La quatrième question est d'Origène. La voici : en d'assez nombreux passages, l'Ecriture, parlant du Verbe de Dieu, ne dit pas simplement Verbe, mais ajoute de Dieu, en disant : Verbe de Dieu ou du Seigneur. Ainsi elle dit : Le Verbe de Dieu est source de sagesse dans les hauteurs(h), et encore : Et son Nom est : Verbe de Dieu(i). Pourquoi, alors, parlant ici du Verbe de Dieu, l'Evangéliste n'a-t-il pas dit : DANS LE PRINCIPE ÉTAIT le "Verbe de Dieu", mais seulement LE VERBE ?
Il faut répondre ainsi : bien qu'il y ait beaucoup de vérités participées, il n'y a cependant qu'une vérité absolue qui est vérité par son essence : c'est l'Etre divin lui-même. C'est par cette vérité que tout vrai est vrai. De même il y a une seule Sagesse absolue, élevée au-dessus de tous, la Sagesse divine, et tous les sages sont sages en participant à cette Sagesse. Et encore, il y a un seul Verbe absolu, et quand on dit que tous ceux qui s'expriment possèdent un verbe, c'est en participant au Verbe absolu qu'ils ont ce verbe. Le Verbe absolu est le Verbe divin qui par Lui-même est le Verbe élevé au-dessus de tous les verbes.
Pour signifier cette suréminence du Verbe divin, Jean nous en parle en Le nommant "le Verbe" sans aucune addition. Et parce que l'usage chez les Grecs, quand ils veulent désigner une réalité séparée et élevée, dans l'être, au-dessus de toutes les autres, est de mettre l'article devant le nom qui signifie cette réalité (les Platoniciens, voulant désigner les substances séparées, par exemple le Bien-en-soi, l'Homme-en-soi, les nommaient avec l'article), l'Evangéliste, voulant faire comprendre la transcendance et l'excellence de ce Verbe par-dessus toutes choses, écrivit le mot Logos avec l'article.
Il faut maintenant examiner le sens de l'expression : DANS LE PRINCIPE.
Origène fait remarquer que le terme "principe" a de nombreux sens. En effet le principe introduit un certain ordre dans les autres et donc, partout où il y a ordre, il y a aussi principe. C'est le cas de la quantité, où l'on parle alors de commencement du parcours et de la longueur, par exemple de la ligne. On trouve aussi un ordre dans le temps, et alors on parle de commencement du temps ou de la durée. On trouve un ordre dans l'enseignement, et là il faut même distinguer deux ordres différents : selon la nature et par rapport à nous[xviii]. Dans ces deux cas il y a principe. Alors qu'avec le temps, dit l'épître aux Hébreux, vous devriez être devenus des maîtres, vous avez encore besoin qu'on vous enseigne les premiers éléments de la Parole de Dieu(j).
Ainsi, dans l'enseignement de la doctrine chrétienne, le commencement et le principe de notre sagesse selon l'ordre de nature est le Christ en tant que Sagesse et Verbe de Dieu, c'est-à-dire en tant qu'Il est Dieu. Cependant, par rapport à nous, le principe est le Christ en tant que Verbe fait chair, c'est-à-dire dans son Incarnation.
Enfin il y a un ordre dans la production d'une réalité. Là, le principe se prend ou bien du côté de ce qui est fait, et ainsi les fondations sont appelées le principe de la maison ; ou bien du côté de celui qui fait, et alors il y a trois principes : celui de l'intention, qui est la fin qui meut celui qui agit ; l'idée, qui est la forme dans l'esprit de l'artisan, et [la source] de l'exécution qui est la puissance à l'œuvre 
Entre ces différentes acceptions du terme "principe", il faut maintenant chercher celle qu'il a dans l'expression : DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE.  
Trois sont possibles.
D'abord "principe" s'entend de la Personne du Fils qui est le principe des créatures en tant que puissance créatrice, et par mode de sagesse, laquelle est l'idée [en Dieu] des choses qui sont faites. C'est pourquoi l'Apôtre dit : Le Christ puissance de Dieu et sagesse de Dieu(k) ; et le Seigneur parlant de Lui-même, déclare : Je suis le principe, moi qui vous parle(l).
Si l'on entend "principe" en ce sens, l'expression : DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE revient à dire : "Dans le Fils était le Verbe". Le sens est alors : le Verbe est principe ; on s'exprime alors de la même manière que quand on dit que la vie est en Dieu , cette vie qui cependant n'est autre que Dieu même. Cette explication est celle d'Origène.
Selon Jean Chrysostome, l'Evangéliste dit ici DANS LE PRINCIPE pour montrer dès le début de son livre la dignité du Verbe en affirmant qu'Il est le Principe ; en effet, de l'avis de tous, le Principe est au sommet de la dignité.
Ensuite, on peut considérer que le mot "principe" désigne la Personne du Père parce qu'Il est le principe, non seulement des créatures mais encore du Fils. C'est le sens de [la parole adressée au Messie] : Avec toi est le Principe au jour de ta force(m). Selon cette acception, DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE équivaut à : Dans le Père était le Fils. C'est l'interprétation d'Augustin et aussi d'Origène.
Or on dit que le Fils est dans le Père parce qu'Il est de la même essence que le Père. En effet, puisque le Fils est sa propre essence, partout où est l'essence du Fils, là se trouve le Fils ; et puisque l'essence du Fils se trouve dans le Père par consubstantialité, il convient que le Fils soit dans le Père, comme il l'affirme lui-même : Je suis dans le Père et le Père est en moi(n)
Enfin le terme "principe" peut être pris au sens de début de la durée. Notre expression signifie alors : "Au commencement était le Verbe", c'est-à-dire, le Verbe existait avant toutes choses, comme l'expose Augustin, et cela indique comme le disent Basile et Hilaire, l'éternité du Verbe. En effet, dire "au commencement était le Verbe", c'est montrer que quel que soit le commencement de durée que l'on considère (qu'il s'agisse du temps des réalités corporelles, du siècle des réalisations éternelles, de l'âge du monde entier, ou de n'importe quel commencement de durée imaginé), à ce commencement le Verbe préexistait déjà. Hilaire écrit : "Traversez les temps, remontez le cours des siècles, ôtez tous les âges. Mettez ce que vous voudrez comme commencement de vos imaginations : le Verbe existait déjà, et c'est de Lui qu'était tiré ce commencement". La Sainte Ecriture l'enseigne : Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies, avant de faire quoi que ce soit, dès l'origine(o). Or ce qui est avant le commencement de la durée est éternel. 
 
Ainsi, selon la première interprétation, est affirmée la causalité du Verbe ; selon la seconde sa consubstantialité avec le Père, selon la troisième, sa coéternité.
 
Dans cette expression : LE VERBE ÉTAIT, il faut remarquer que le temps imparfait du verbe semble convenir au plus haut point pour signifier les réalités éternelles, si nous sommes attentifs au mode des réalités qui sont dans le temps. En effet, par le futur on ne dit pas encore que la réalité est en acte ; par le présent au contraire, on dit qu'elle est en acte, mais on n'indique pas qu'elle a été. Quant au passé, il indique que quelque chose a existé et est désormais terminé et a cessé d'être, tandis que l'imparfait indique que quelque chose a été n'est pas encore terminé ni n'a cessé d'être, mais demeure encore. Aussi, toutes les fois qu'il s'agit d'une réalité éternelle, Jean dit était ; s'il parle d'une réalité temporelle, il dit, comme on le verra plus loin, a été ou fut.
Cependant le temps présent en tant que tel convient par excellence pour désigner l'éternité, parce qu'il indique que la réalité est en acte, ce qui convient toujours aux réalités éternelles. Voilà pourquoi le Seigneur a dit : Je suis celui qui suis(p), et Augustin remarque que seul est véritablement celui dont l'être ne connaît ni passé ni futur.
Il importe aussi de considérer que, d'après la Glose, ce verbe "était" n'est pas pris pour signifier le mouvement temporel à la manière des autres verbes, mais pour affirmer l'existence de la réalité, et c'est pourquoi on l'appelle "verbe substantif".
On peut se demander pourtant comment le Verbe, engendré par le Père, peut lui être coéternel. En effet, chez les hommes, le fils engendré par un père vient après lui. A cela il faut répondre qu'il y a trois raisons pour lesquelles le principe qui est à l'origine d'une réalité se trouve antérieur à celle-ci par la durée.
En premier lieu, lorsque le principe précède dans le temps l'action par laquelle il produit la réalité dont il est le principe ; par exemple, un homme ne se met pas à écrire dès qu'il existe et c'est pourquoi il est antérieur à son écriture.
Ensuite, lorsque l'action comporte une succession. Alors même si l'action commence à exister avec l'agent, son terme est cependant postérieur à l'agent. Ainsi, dès que du feu est produit ici-bas, il commence à s'élever. Cependant le feu existe avant d'être élevé parce que le mouvement par lequel il s'élève est mesuré par un certain temps.
Le troisième cas est celui où la volonté du principe détermine le début de la durée de ce qui est issu du principe. Il en va ainsi de la créature : le commencement de sa durée est déterminé par la volonté de Dieu ; aussi Dieu est-il antérieur à la créature.
Or aucun de ces cas ne se trouve réalisé dans la génération du Verbe divin. D'abord l'existence en Dieu n'a pu précéder la génération de son Verbe ; car, cette génération n'étant rien d'autre qu'une conception intellectuelle, il s'ensuivrait que Dieu aurait eu son intelligence en puissance avant de l'avoir en acte, ce qui est impossible. De même, il n'est pas possible que la génération du Verbe implique une succession, car le Verbe divin aurait d'abord été informe avant d'être formé, comme cela arrive en nous qui formons nos verbes par un mouvement de la raison ; or cela est faux, comme on l'a dit. Enfin on ne peut dire que le Père aurait par un acte de volonté fixé un commencement de durée à son Fils, car le Père n'engendre pas son Fils par la volonté comme le pensent les Ariens, mais par sa nature. En effet Dieu le Père conçoit le Verbe en se saisissant naturellement Lui-même par son intelligence, et c'est pourquoi Dieu le Père n'a pas existé avant le Fils.
Il en va semblablement du feu. Aussitôt qu'il existe, le feu a une lumière dont procède - non pas successivement mais immédiatement, non pas par une volonté mais naturellement - un éclat ou une splendeur ; et donc aussitôt qu'il y a du feu, il y a splendeur et c'est pourquoi, si le feu était éternel, sa splendeur lui serait coéternelle. C'est pour cette raison que le Fils est appelé dans l'Epître aux Hébreux, splendeur du Père : Lui qui est la splendeurdesa gloire(q). Mais dans cette similitude manque la conaturalité et c'est pourquoi nous appelons le Verbe Fils, bien que pour nos fils à nous manque la coéternité. Nous ne pouvons en effet parvenir à la connaissance des réalités divines qu'au moyen de nombreuses similitudes avec les réalités sensibles, parce qu'une seule ne peut suffire. Le livre du Concile d'Ephèse le dit : < Que le Fils coexiste toujours avec le Père, le mot "splendeur" doit te l'indiquer ; le nom de "Verbe" est là pour montrer l'absence de changement dans sa naissance ; quant au nom de "Fils", il est là pour faire saisir la consubstantialité[xix] >.
Nous donnons donc au Fils des noms divers pour exprimer de manières diverses sa perfection, perfection qu'un seul nom ne peut traduire. Nous le nommons Fils pour montrer sa conaturalité avec le Père, Image pour montrer qu'Il Lui est absolument semblable. Splendeur pour montrer sa coéternité, Verbe pour montrer sa génération immatérielle.
 
(a) 1 Co.,10,14 ; (b) Ps.,13,1 ; (c) Za.,1,9 ; (d) Gn.,1,3 ; (e) Jn.,1,3 ; (f) Jb.,33,14 ; (g) Jn.,17,6 ; (h) Sir.,1,5 ; (i) Ap.,19,13 ; (j) He.,5,12 ; (k) 1 Cor.,1,24 ; (l) Jn.,8,25 ; (m) Ps.,109,3 ; (n) Jn.,14,10 ; (o) Pr.,8,22 ; (p) Ex.,3,14 ; (q) He.,1,3.
 
ET LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU
 
Dans cette seconde affirmation du texte de Jean, il nous faut d'abord chercher le sens des deux mots que l'Evangéliste n'avait pas employés dans la première affirmation : DIEU et AUPRÈS DE. Nous avons déjà précisé ce qu'est le VERBE de Dieu et ce qu'est le PRINCIPE ; poursuivons avec soin en cherchant les significations de DIEU et AUPRÈS DE afin de mieux expliquer cette affirmation de Jean.
 
DIEU
Contrairement à la déité qui signifie la divinité, abstraitement et d'une manière absolue le nom "Dieu" - en raison même de sa signification naturelle et de sa manière de signifier - peut être employé pour désigner n'importe quelle personne divine, de même que nous utilisons le mot "homme" pour désigner un sujet de l'humanité. Aussi partout où le sens de la phrase, ou l'adjectif attribut du sujet (prédicat), exigent que le nom "Dieu" s'entende d'une Personne, alors certainement il désigne une Personne, comme lorsque nous disons : "Dieu engendre Dieu". Ainsi quand l'Evangéliste dit ici AUPRÈS DE DIEU, parce que auprès de est une préposition signifiant la distinction du Verbe lui-même, qui cependant ne doit pas être distingué de la nature du Père AUPRÈS DE qui Il est, mais de la première Personne seulement par relation d'origine, il faut que Dieu ici désigne la Personne du Père. L'Evangéliste donc, lorsqu'il dit DIEU, signifie la Personne du Père.
 
AUPRÈS DE
A propos de la préposition auprès de, il faut savoir qu'elle signifie, pour la réalité dont on parle en premier lieu, le fait d'être conjointe à la réalité introduite indirectement par la préposition. Il en est de même pour la préposition dans, avec cette différence que la préposition dans implique le fait d'être conjoint de l'intérieur et auprès de le fait d'être conjoint pour ainsi dire de l'extérieur. Ces deux expressions se disent au sujet de Dieu : le Fils est dans le Père et Il est auprès du Père. Le fait d'être conjoint de l'intérieur, pour les personnes Divines se rapporte à la consubstantialité ; le fait d'être conjoint de l'extérieur - qu'on nous permette de parler ainsi malgré l'impropriété de l'expression "de l'extérieur" lorsqu'il s'agit des réalités divines - ne se rapporte qu'à la distinction des Personnes, puisque le Fils ne se distingue du Père que personnellement. Et c'est pourquoi les deux prépositions signifient la consubstantialité dans la nature et la distinction des Personnes ; la consubstantialité en tant qu'elles impliquent une certaine conjonction, la distinction des Personnes du fait qu'elles signifient une certaine séparation comme on l'a dit plus haut.
Mais dans désigne principalement la consubstantialité en tant qu'elle implique cette conjonction de l'intérieur , et la distinction des Personnes seulement comme conséquence, toute préposition impliquant un rapport entre deux réalités distinctes. Quant à la préposition auprès de, elle désigne certes la consubstantialité en tant qu'elle implique une certaine conjonction, mais elle désigne plus principalement la distinction des Personnes en tant qu'elle implique une conjonction en quelque manière extérieure. Aussi l'Evangéliste, en ce passage, s'est-il servi de préférence de la préposition auprès de pour exprimer la distinction du Fils à l'égard du Père. Il a dit : ET LE VERBE ETAIT AUPRÈS DE DIEU, c'est-à-dire le Fils auprès du Père comme une personne auprès d'une autre.
Cependant il faut savoir que la préposition auprès de implique quatre significations, grâce auxquelles nous repousserons quatre objections.
En effet, cette préposition signifie d'abord, pour celui dont on dit qu'il est auprès de quelque chose, le fait de subsister. En effet, on ne peut dire proprement que la blancheur est auprès du corps puisqu'elle ne subsiste pas ; mais l'homme étant une réalité subsistante, on dit proprement que l'homme est auprès d'un autre homme. C'est pourquoi on ne peut dire au sens propre qu'une réalité est auprès d'une autre que lorsqu'il s'agit d'une réalité subsistante.
En second lieu, auprès de signifie indirectement l'autorité. En effet, il serait impropre de dire que le roi se trouve auprès du soldat, mais on dira que le soldat se trouve auprès du roi.
En troisième lieu, cette préposition implique une distinction. Il est impropre de dire que quelqu'un se trouve auprès de lui-même, mais un homme est auprès d'un autre.
Enfin, auprès de signifie le fait d'être conjoint et d'être en communion. Quand nous disons de quelqu'un qu'il est auprèsd'un autre, nous suggérons entre les deux le fait d'être en communauté.
Ces conditions impliquées par la signification de la préposition auprès de montrent l'à propos avec lequel l'Evangéliste a joint l'affirmation ET LE VERBE ÉTAIT AUPRES DE DIEU à la précédente : DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE. En effet, mise à part l'une des trois interprétations de l'affirmation DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE - celle où par "Principe" on entend le Fils -, les deux autres, celle où DANS LE PRINCIPE signifie "avant toutes choses" et celle où "Principe" est mis pour le Père, donnent lieu chacune à deux objections de la part des hérétiques, soit quatre en tout, auxquelles nous pouvons répondre au moyen de ces quatre conditions impliquées par la préposition AUPRÈS DE.
 
Voici la première difficulté : Tu dis que LE VERBE ÉTAIT DANS LE PRINCIPE, c'est-à-dire avant toutes choses ; mais avant toutes choses il n'y avait rien ; où donc était le Verbe s'il était avant toutes choses ?
Cette objection provient de l'imagination de ceux qui se figurent que tout ce qui existe quelque part et dans un lieu. Mais Jean l'exclut en disant AUPRÈS DE DIEU, expression qui désigne le fait d'être conjoint, selon la dernière des conditions rapportées plus haut. C'est ainsi que l'entend Basile : Où donc était le Verbe ? L'Evangéliste répond AUPRÈS DE DIEU, c'est-à-dire non dans quelque lieu, puisqu'il n'est pas possible de L'enfermer dans des limites, mais AUPRÈS DU PÈRE qui Lui-même n'est ni contenu dans un lieu ni circonscrit d'aucune manière.
 
La seconde question des hérétiques est la suivante : Tu dis que LE VERBE ÉTAIT DANS LE PRINCIPE, c'est-à-dire avant toutes choses. Mais ce qui existe avant toute chose ne procède pas de quelque chose ; ce Verbe ne procède donc pas d'un autre.
Cette objection est réfutée par les paroles : ET LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU, où l'on entend AUPRÈS DE selon la deuxième signification, celle qui comporte autorité. Voici alors le sens, selon Hilaire. Par qui est le Verbe s'il est avant toutes choses ? L'Evangéliste répond : LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU, ce qui revient à dire : bien qu'Il n'ait pas de commencement de durée, le Verbe ne manque cependant pas d'un Auteur ; en effet, IL ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU comme auprès de son Auteur.  
 
La troisième question se rapporte à l'autre interprétation, celle où "Principe" s'entend du Père. La voici : Tu dis DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE, c'est-à-dire dans le Père était le Fils. Mais ce qui est dans un autre ne subsiste pas ; ainsi la blancheur qui est dans un corps ne subsiste pas par elle-même. Le Verbe n'est donc pas subsistant ni hypostase.
Cette objection se résout par les paroles : LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU, en prenant AUPRÈS DE selon la première signification, qui comporte la subsistance dans la réalité dont on parle en premier lieu. C'est pourquoi, selon Chrysostome, le sens est le suivant : Le Verbe était DANS LE PRINCIPE, non comme un accident, mais Il était AUPRÈS DE DIEU, comme subsistant et hypostase.
 
Et voici la dernière question : Tu dis que LE VERBE ETAIT DANS LE PRINCIPE, c'est-à-dire dans le Père. Or ce qui est dans un autre n'est pas distinct de lui ; donc le Fils n'est pas distinct du Père.
Mais cette objection se réfute par l'affirmation : ET LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU, en donnant à AUPRÈS DE le sens de sa troisième signification, selon laquelle cette préposition propose la distinction des Personnes. Le sens devient alors, selon Alcuin et Bède : LE VERBE ETAIT AUPRÈS DE DIEU, c'est-à-dire, Il était DANS le Père par consubstantialité de nature de telle sorte qu'Il est cependant AUPRÈS DE DIEU, c'est-à-dire du Père par la distinction des Personnes.
 
Ainsi, cette affirmation ET LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU montre, selon Basile, le fait, pour le Verbe d'être conjoint au Père dans la nature ; selon Alcuin et Bède, la distinction des Personnes ; selon Jean Chrysostome, la subsistance du Verbe dans la nature divine ; selon Hilaire, l'autorité de Principe du Père à l'égard du Fils.
 
Origène fait remarquer enfin que la parole : LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU montre que le Fils a toujours été auprès du Père. En effet, dans l'Ancien Testament on lit, en de nombreux passages, que le Verbe, la parole du Seigneur, a été adressée à Jérémie ou à un autre, mais on n'y lit pas que le Verbe de Dieu était auprès de Jérémie. En effet, ceux à qui la Parole de Dieu est adressée commencent à la recevoir, et donc ils ne l'avaient pas auparavant. C'est pourquoi l'Evangéliste ne dit pas : LE VERBE a paru auprès de Dieu, mais ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU, parce que, depuis que le Père existait, le Verbe était auprès de Lui.
 
ET LE VERBE ÉTAIT DIEU
 
Voici la troisième affirmation de Jean. Elle vient parfaitement dans la suite de son enseignement : en effet, il a dit quand était le Verbe et enqui Il était ; il lui restait à s'enquérir de ce qu'Il était, ce à quoi il répond en disant : ET LE VERBE ÉTAIT DIEU.
Mais, dira-t-on, il faut chercher à propos d'une chose ce qu'elle est, avant de s'enquérir de son lieu et de son temps ; il semble donc que Jean ait renversé cet ordre en faisant connaître en premier lieu OU est le Verbe et QUAND Il existe.
A cette difficulté Origène répond par une distinction : dire que le Verbe de Dieu est auprès d'un homme, ou dire qu'il est AUPRÈS DE DIEU, n'a pas le même sens. Il est auprès d'un homme pour le rendre parfait, car le Verbe de Dieu rend l'homme sage et fait de lui un prophète - La Sagesse (...) se répand dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes(a) - ce qui veut dire que le Verbe illumine ls prophètes par la lumière de la Sagesse. Mais on ne dit pas que le VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU comme s'il donnait au Père sa perfection et sa splendeur ; au contraire, le VERBE EST AUPRÈS DE DIEU de telle sorte qu'Il reçoit et obtient du Père d'être Dieu ; et ainsi, c'est du fait qu'Il EST AUPRÈS DE DIEU, que le VERBE EST DIEU et c'est pourquoi il était nécessaire de montrer d'abord que le Verbe était DANS le Père et AUPRÈS du Père avant de dire qu'Il ÉTAIT DIEU.
D'autre part, cette expression LE VERBE ÉTAIT DIEU répond bien à deux questions qui surgissent des développements précédents. L'une vient du nom "Verbe". La voici : Tu dis que le VERBE ÉTAIT DANS LE PRINCIPE et AUPRÈS DE DIEU. Mais il est clair que le terme de "verbe", selon l'usage courant signifie soit un certain mot, soit l'énonciation de ce qui est nécessaire, soit enfin la manifestation des mouvements de la raison ; or ces verbes passent et ne subsistent pas, et l'on pourrait donc croire qu'il en est de même pour le Verbe dont parle l'Evangéliste.
Mais cette question est résolue par Hilaire de la manière suivante : ce qui a été dit plus haut exclut l'objection parce que, lorsque l'Evangéliste dit DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE, il est manifeste que "verbe", ici, n'est pas pris dans le sens du langage parlé ; en effet le langage n'étant que dans un mouvement, on ne pourrait pas dire : DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE. De plus, en disant ET LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU, Jean donne à entendre la même idée. En effet la différence est assez claire entre être dans [un sujet] et être vers [un autre]. Notre verbe humain, parce qu'il ne subsiste pas, n'est pas vers nous, mais il est en nous. Au contraire le Verbe de Dieu subsiste et c'est pourquoi Il est vers le Père. Voilà pourquoi l'Evangéliste dit de manière précise LE VERBE ÉTAIT AUPRÈES DE DIEU[xx]; et pour ôter tout prétexte à objection, il dit ensuite le nom et l'être du Verbe : ET LE VERBE ÉTAIT DIEU.
 
Une autre difficulté vient de l'expression AUPRÈS DE DIEU. Puisque AUPRÈS DE implique distinction [entre deux réalités], on pourrait croire que ce LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU, c'est-à-dire du Père, comme distinct de Lui en nature. Aussi, pour exclure cette erreur, l'Evangéliste ajoute aussitôt la consubstantialité du Verbe avec le Père : ET LE VERBE ÉTAIT DIEU, ce qui revient à dire : Il n'est pas distinct de la nature divine, mais le Verbe est Dieu Lui-même.
On doit remarquer aussi la manière spéciale dont l'Evangéliste s'exprime. Il dit LE VERBE ÉTAIT DIEU, en utilisant le terme 'Dieu" sans aucune adjonction. Il veut montrer par là que le Verbe n'est pas Dieu à la manière dont il est dit dans l'Ecriture que les créatures sont Dieu, mais qu'Il l'est purement et simplement et de manière absolue. En effet, bien que la Sainte Ecriture dise parfois d'une créature qu'elle est Dieu, cette attribution y est toujours soulignée par certaines additions. Ainsi Dieu dit à Moïse J'ai fait de toi le dieu de Pharaon(b) pour indiquer à Moïse qu'il n'était pas Dieu, purement et simplement comme l'est le Verbe de Dieu, mais qu'il était donné comme Dieu au Pharaon pour le punir et libérer les fils d'Israël. De même Dieu dit : J'ai dit : Vous êtes des dieux(c) par le titre que je vous ai donné, non en réalité ; car autre chose est être donné comme Dieu et appelé Dieu, autre chose être Dieu. Aussi le Verbe est-IL DIEU, sans adjonction parce qu'Il est Dieu par son essence, et non par participation comme le sont les hommes ou les anges.
 
(a) Sg.,7,27 ; (b) Ex.,7,1 ; (c) Ps.,81,6.
 
IL ÉTAIT DANS LE PRINCIPE AUPRÈS DE DIEU
 
Voici maintenant la quatrième affirmation. Jean la pose à cause de la précédente. En effet, de cette proposition : LE VERBE ÉTAIT DIEU, ceux qui ne pensent pas avec vérité pouvaient tirer deux erreurs. L'une est celle des païens, l'autre celle des Ariens.
Les païens en effet affirment une pluralité et une diversité de dieux. Contre cela le Seigneur dit : Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu(a).
Ils affirment aussi entre les dieux des volontés contraires. C'est ainsi que leurs fables racontent le combat de Jupiter et de Saturne et que les Manichéens imaginent deux principes contraires. Donc, comme Jean avait dit LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU et LE VERBE ÉTAIT DIEU, les païens pouvaient mettre en avant ces expressions [juxtaposées] pour soutenir leur erreur en y entendant qu'autre serait le Dieu auprès duquel se trouverait le Verbe, et autre le Verbe lui-même, qui serait d'une volonté différente ou contraire, ce qui s'oppose à l'enseignement de l'Evangile. Pour empêcher cette erreur, Jean dit : IL ÉTAIT DANS LE PRINCIPE AUPRÈS DE DIEU. Selon Hilaire, cela revient à dire : j'affirme que le Verbe est Dieu, ce qui ne signifie pas qu'Il possède une divinité séparée, mais qu'Il est AUPRÈS DE DIEU, donc dans l'unique nature dans laquelle est Dieu. De même l'Evangéliste a dit : ET LE VERBE ÉTAIT DIEU, mais pour qu'on ne comprenne pas que Le Verbe et le Père auraient des volontés contraires, il ajoute : LE VERBE ÉTAIT DANS LE PRINCIPE AUPRÈS DE DIEU, c'est-à-dire auprès du Père non divisé de Lui, non contraire, mais ayant avec Lui unité de nature et accord de volonté. Et cette union se fait par la communion de la nature divine dans les trois Personnes et par le nœud de l'Amour du Père et du Fils.
Quant aux Ariens[xxi] : Le Père est plus grand que moi(b), ils disent en effet que le Père est plus grand que le Fils par l'éternité et la divinité de sa nature., ils affirment que le Fils est moindre que le Père, à cause de ces paroles de Jésus
Cette erreur se réfute ainsi : il y a, propres au "grand Dieu", deux attributs qu'Arius ne donne qu'au Père : ce sont l'éternité et la toute-puissance. Par conséquent, quiconque possède ces deux attributs est le "grand Dieu" et Il n'est donc pas moindre que le Père. En effet, Jean affirme l'éternité du Verbe par ces paroles : IL ÉTAIT DANS LE PRINCIPE AUPRÈS DE DIEU, Lui, le Verbe, de toute éternité et non pas seulement au commencement des créatures comme Arius pouvait le comprendre du fait qu'il est dit : AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE. D'autre part, l'Evangéliste [attribue] la toute-puissance du Verbe par les paroles suivantes : Tout a été fait par Lui(c).
Origène explique cette affirmation d'une manière assez belle. Pour lui, elle ne dit rien d'autre que les trois précédentes. En effet, nous avons coutume, lorsque nous avons suffisamment traité d'une matière et que nous passons à une autre, de résumer au terme, en guise de conclusion, ce qui a été dit, avant de passer à autre chose. C'est pourquoi, après avoir exposé la vérité sur l'être du Fils, l'Evangéliste, qui va maintenant faire connaître sa puissance, rassemble dans cette unique affirmation, comme en un résumé servant de conclusion, ce qu'il avait dit dans les trois premières. Ainsi quand il dit : IL, Jean reprend la troisième ; avec ÉTAIT DANS LE PRINCIPE, il reprend la première ; enfin, avec AUPRÈS DE DIEU, il rappelle la seconde, afin que l'on comprenne, non pas qu'il y avait un Verbe dans le Principe et un autre qui était Dieu, mais que ce VERBE qui était Dieu, ÉTAIT DANS LE PRINCIPE AUPRÈS DE DIEU.
 
CONCLUSION  
 
Une réflexion judicieuse sur ces quatre affirmations [permet de montrer] clairement qu'elles renversent [non seulement] les erreurs des hérétiques, [mais également] celles des philosophes.
En effet certains des philosophes les plus anciens, les "Physiciens", affirmaient que le monde n'a pas son origine dans une Intelligence, qu'il n'est pas le résultat d'une Idée, mais du hasard. En conséquence ils ne mettaient au principe, comme cause des réalités, ni Idée, ni Intelligence mais seulement une matière indéterminée : des atomes pour Démocrite ou, pour d'autres, des principes matériels de ce genre. Contre ces philosophes, on lit dans l'Evangile : DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE, de qui, et non du hasard, les choses ont reçu leur principe.
Quant à Platon, des Idées de toutes choses réalisées, il a fait des Etres séparés, subsistant dans leurs propres natures et par la participation desquels les réalités matérielles existaient. Pour lui, par exemple, c'est par l'"Idée" d'homme, "Idée" séparée qu'il appelait "l'Homme-en-soi", que les hommes étaient. Aussi, pour éviter que l'Idée par laquelle toutes choses ont été faites, tu ne la comprennes comme une Idée séparée de Dieu, comme le soutenait Platon, l'Evangéliste a ajouté : ET LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU.
D'autres Platoniciens, comme le rapporte Jean Chrysostome, imaginaient un Dieu Père, suréminent et premier, et plaçaient au-dessous de Lui une Intelligence dans laquelle ils disaient qu'étaient les Similitudes et les Idées de toutes les choses. Pour empêcher donc une telle interprétation, selon laquelle le Verbe serait auprès du Père, mais au-dessous de Lui, et moindre que Lui, l'Evangéliste a ajouté : ET LE VERBE ÉTAIT DIEU.
Quant à Aristote, il a bien placé en Dieu les Idées de toutes choses et affirmé qu'en "Dieu l'intelligence", celui dont l'intelligence est en acte et ce qui est saisi par l'intelligence ne font qu'un. Cependant il a dit que le monde était coéternel à Dieu. Contre cette opinion, nous avons la parole de l'Evangéliste : IL, c'est-à-dire le Verbe, était AUPRÈS DE DIEU, de telle sorte que ce IL n'exclut pas une autre Personne mais une autre nature coéternelle.
Remarquons encore dans ces affirmations de Jean une différence entre cet Evangéliste et les autres : il commence son Evangile d'une manière plus élevée. En effet, ils ont annoncé le Christ Fils de Dieu, né dans le temps : Comme Jésus était né à Bethléem(d)...Jean, lui, affirme qu'Il a existé de toute éternité : DANS LE PRINCIPE ÉTAIT LE VERBE. Les autres rapportent son apparition subite parmi les hommes : Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser s'en aller ton serviteur en paix, selon ta parole, car mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël(e). Mais Jean dit qu'Il a toujours été auprès du Père : ET LE VERBE ÉTAIT AUPRÈS DE DIEU. Les autres l'appellent homme : Les foules glorifièrent Dieu qui avait donné un tel pouvoir aux hommes(f). Mais Jean affirme que Jésus est Dieu : ET LE VERBE ÉTAIT DIEU. Les autres ont dit qu'Il avait vécu au milieu des hommes : Tandis que les disciples se trouvaient en Galilée, Jésus leur dit(g)...Mais Jean affirme qu'Il a toujours été auprès du Père : IL ÉTAIT DANS LE PRINCIPE AUPRÈS DE DIEU
Remarquons enfin que l'Evangéliste répète à dessein quatre fois ce verbe ÉTAIT pour montrer que le Verbe de Dieu transcende tous les temps, présent, passé et futur, autrement dit qu'Il est au-delà du temps passé, présent ou futur, comme le dit la Glose sur ce passage.
 
(a) Dt.,6,4 ; (b) Jn.,14,28 ; (c) Jn.,1,3 ; (d) Mt.,2,1 ; (e) Lc.,2,29-32 ; (f) Mt.,9,8 ; (g) Mt.,17,22.
Dysfonction érectile[i] Deuxième édition corrigée, aux Amis des Frères de saint Jean, Versailles (1981).


[i] Deuxième édition corrigée, aux Amis des Frères de saint Jean, Versailles (1981).
[ii] Rappel biographique : THOMAS, descendant d'une noble famille lombarde, naquit près d'Aquino, dans le royaume de Naples en 1225. Il fut élevé comme oblat au Mont-Cassin. En 1239, il étudia à l'Université de Naples où il eut une première initiation à la science arabe et à la raison grecque ; à 19 ans, il entra dans les nouvelles équipes d'un ordre religieux constitué à Bologne par l'espagnol Dominique de Guzman, celui des Frères Prêcheurs (Dominicains), déjà en plein essor. Il reçut l'habit de cet ordre malgré la vive opposition de ses parents qui le firent enlever alors qu'il se rendait à Paris par la route. Récupéré par ses frères, il résista à toutes les séductions (d'où son surnom "d'angélique") et put rejoindre son ordre. En 1245, il est étudiant à Paris sous la direction de l'Allemand Albert le Grand, alors en haut prestige, au collège universitaire des Dominicains. Il suivit son maître à Cologne, où se fondait une nouvelle université, puis revint à Paris en 1252, pour y suivre la carrière de professeur jusqu'à la maîtrise qu'il reçut prématurément (1256). A la suite, il fut habilité à diriger l'une des deux écoles du collège, dit de Saint-Jacques, du nom de la rue où il se situait.
De là, il partit en Italie où il enseigna en plusieurs villes, puis revint à Paris en 1268, où l'avait appelé la plus vive controverse sur les problèmes du temps, concernant la nature de l'homme et le rapport de la foi à la culture. Avec la lecture des oeuvres d'Aristote, devenu "intelligible aux Latins" comme l'avait souhaité Albert le Grand, l'entreprise prit une redoutable dimension dans la mesure où les Analytiques non seulement fournissaient un outillage perfectionné, mais présentaient dans toute sa rigueur l'exigence rationnelle de l'esprit en vue de découvrir les "raisons" des choses, ce qui n'était pas sans incidence sur la foi. La philosophie d'Aristote structurait de l'intérieur cette promotion de l'intelligence. La téchnè elle-même était une voie d'accès à la vérité. Ainsi dépassait-on l'enjeu de la vieille "querelle des universaux", déjà très suggestive, et s'élaborait en parfaite cohérence, une métaphysique du savoir et du monde.
En 1272, Thomas est appelé à Naples où Charles d'Anjou remonte l'université. Il meurt en 1274 en se rendant au deuxième Concile de Lyon où Grégoire X l'avait convoqué comme théologien [Eléments recueillis dans l'article de M.D. CHENU in Encyclopaedia universalis, T.16.]
C'est hors son enseignement que Thomas rédigea ses deux sommes, Somma contra Gentiles (1259-1264), analyse critique des philosophies et des théologies antérieures, puis la Somma theologica (1267-1274), dont la portée se mesure autant par les articulations de sa vision chrétienne du monde et de l'homme que par les déterminations particulières des problèmes abordés. Hormis ces deux oeuvres majeures ajoutons le Commentaire sur l'Evangile de saint Jean (1269-1272) [qui fait l'objet des chapitres V et VI du présent tome].
[iii] C'est là le sens "mystique" de la double venue du Christ à Cana [Jn.,2,1 et 4,46].
[iv] En commentant le De caelo, saint Thomas souligne que "l'étude de la philosophie n'a pas pour but de connaître ce que les hommes ont pensé, mais quelle est la vérité des réalités (qualiter se habeat veritas rerum)".
[v] Saint Thomas aime à citer ce mot du pseudo-Ambroise que Pierre Lombard reprend dans son commentaire de saint Paul : "Toute vérité, quel que soit celui qui la dit, vient du Saint-Esprit (omne verum, a quocumque dicatur, a Spiritu Sancto est)".
[vi] Ps.,41,2. En commentant ce psaume, saint Thomas dit que le cerf altéré désigne d'une manière générale les fidèles, mais d'une manière plus spéciale les catéchumènes, qui désirent la fontaine du baptême, et les "hommes parfaits" qui, ne trouvant rien dans le monde qui puisse combler leur désir, aspirent à venir à la source de vie. Or Dieu est une source. "Une source est ce qui jaillit et produit des eaux vives, et qui, de manière continuelle et sans s'épuiser, laisse échapper ses eaux. Toute eau de grâce émane de cette source, c'est-à-dire de Dieu le Père, du Fils et de l'Esprit Saint. Et donc, parce qu'Il est source, mon âme a soif de Lui.                
La soif exprime un désir accompagné d'anxiété.
[vii] Thomas cite ici saint Hilaire (De Trinit., I,37).
[viii] Le Commentaire sur l'Evangile de saint Jean, qui date probablement de 1269 et 1272, n'a pas été rédigé intégralement par par saint Thomas ; il s'agit d'une reportatio de Frère Réginald de Pipermo, mais dont Barthélemy de Capoue assure qu'elle a été revue par saint Thomas. A ce témoignage s'ajoute celui d'un autre confrère et contemporain de saint Thomas, Ptolémé de Lucques, qui affirme que les cinq premiers chapitres de la Lectura in Ioannem ont été écrits par saint Thomas lui-même.
[ix] Saint Thomas n'hésite pas à se servir de ce qu'Aristote dit dans le Peri hermeneias pour expliciter la signification profonde du terme verbum (logos) employé par saint Jean dans le Prologue : "Il faut savoir que, selon le Philosophe, ce que disent les paroles est signe de ce qui est dans l'esprit, c'est-à-dire de ce qu'il a éprouvé. Or l'Ecriture a coutume de donner aux réalités signifiées les noms de signes, et inversement ; ainsi l'Apôtre dit : la pierre était le Christ [1 Co.,10,4]. Il s'ensuit nécessairement que ce qui se trouve à l'intérieur de l'esprit, et que nous faisons connaître par notre verbe (parole) extérieur, est aussi appelé 'verbe' ".
[x] Dans ce sermo, qui est un commentaire de Ps.,103,13, saint Thomas montre que la sacra doctrina tient son élévation de trois choses : son origine (la Sagesse dont le Verbe de Dieu est la source), la subtilité de sa matière et la subtilité de sa fin (la vie éternelle). L'élévation de cette doctrine requiert de ses "docteurs" la dignité, et c'est pourquoi ils sont symbolisés par les montagnes, cela pour trois raisons : 1/ à cause de la hauteur des montagnes. Nous sommes citoyens des cieux, dit saint Paul, et c'est pourquoi Isaïe dit du Docteur des docteurs, c'est-à-dire le Christ : Il s'élèvera plus haut que les collines, et toutes les nations afflueront vers lui. 2/ à cause de la splendeur des montagnes. Car celles-ci sont les premières à être illuminées par les rayons du soleil ; et de même les sacri doctores sont les premiers à être illuminés des rayons de la Sagesse divine [...].
3/ parce que les montagnes sont comme des forteresses défendant la terre contre les ennemis. Ainsi doivent être les docteurs de l'Eglise, pour défendre la foi contre les erreurs.
[xi] Premièrement à cause de la simplicité de la colombe ; deuxièmement à cause de l'unité de la charité, car la colombe brûle d'un grand amour ; troisièmement à cause du gémissement : "Ses servantes gémissent, telle est la voix de la colombe" [Nahum,2,8] ; quatrièmement à cause de la fécondité car en Lév.,5,7, le Seigneur commanda qu'on lui offrit les petits des colombes ; cinquièmement à cause du caractère avisé de la colombe, car elle siège aux bords des eaux, épiant le vol du faucon pour se mettre à l'abri ; enfin la colombe répond à une figure de Gn.,8,11 :
la colombe en rapportant un rameau d'olivier dans un signe de clémence de Dieu à ceux qui avaient été préservés des eaux du déluge.
[xii] Ce passage d'Isaïe a (en raison de Jn.,12,41) été traditionnellement appliqué à l'Evangile de Jean, notamment par EUSEBE DE CESAREE (Hist.ecclésiqastique,3,34), JEROME (Sur Isaïe), AUGUSTIN (Sur l'accorde des Evangélistes, 1,5).
Jn.,12,41 : Isaïe a dit cela, parce qu'il eut la vision de sa gloire et qu'il parla de lui.
[xiii] Ebion est le fondateur supposé de la secte des ébionites. Origène sait que parmi les Judéo-chrétiens il en est qui croient en Jésus, comme tous les fidèles de la grande Eglise, tandis que d'autres (les ébionites) pensent que Jésus est né comme les autres hommes et ne reconnaissent pas sa divinité. S. Hippolyte ajoute que, pour les ébionites, les observances juives suffisaient à procurer la justification.
Cérinthe est, lui aussi, un hérétique de la fin du Ier siècle. S. Irénée, le premier à parler de Cérinthe le fait enseigner en Asie et le montre en opposition avec S. Jean. Irénée résume sa doctrine en disant que l'hérétique a enseigné la distinction du Créateur et du Dieu suprême, celui-ci restant inconnu du démiurge. De plus, pour Cérinthe Jésus était fils de Marie et de Joseph, un homme semblable à tous les autres. Irénée ajoute, et ceci est important, que S. Jean a écrit son Evangile contre Cérinthe pour montrer que Jésus était le Fils de Dieu venu en ce monde, le Verbe fait chair.
[xiv] Dans la mesure où cette forme intentionnelle de la réalité saisie par l'intelligence spécifie notre intelligence, elle est dite forme intentionnelle intelligible. Elle peut aussi déterminer notre acte d'intelligence, rendant présent, au plus intime de notre intelligence, l'objet connu ; on la dit alors "forme intentionnelle intelligée", "verbe" ou "concept".        
[xv] A la suite d'Aristote, saint Thomas distingue deux opérations de l'intelligence : la saisie des indivisibles et l'opération qui compose ou divise. Par saisie des indivisibles, saint Thomas entend l'appréhension de l'intelligence. Cette appréhension qui est la première opération, a un mode d'assimilation : l'intelligence, par elle, "devient" ce que l'on connaît (son objet) sans le modifier.
Au contraire, par sa seconde opération, l'intelligence adhère à ce qui est et discerne ce qui n'est pas. De plus, en s'affrontant à ce qui est, elle juge si ce qu'elle a compris est conforme ou non à ce qui est, et par là saisit la vérité. Il faut donc distinguer, comme le fait saint Thomas ici, le verbe de la première opération, le verbe simple qui s'achève dans la définition, et celui de la seconde opération qu'il appelle énonciation et qui est un verbe complexe.
[xvi] De Trinitate, 9 ch.5, Bibliothèque Augustinienne (B.A.), parag.8.
[xvii] De Trinitate, 15 ch.4, parag.24, B.A.16.
[xviii] Saint Thomas applique ici à la connaissance, et donc à l'enseignement, la distinction de l'ordre de nature, ou de perfection, et de l'ordre génétique, de l'imparfait au parfait, distinction à laquelle correspond, au niveau pratique, celle de l'ordre d'intention et de l'ordre d'exécution.       
[xix] Saint Thomas cite ici, presque textuellement, les Actes du Concile d'Ephèse. Le passage cité est extrait d'une homélie de Théodote, évêque d'Ancyre. Ami personnel de Nestorius, il sut faire passer la vérité de la foi avant son amitié pour le patriarche et se prononça contre lui lors de la première session du Concile, le 22 juin 431. L'homélie que cite saint Thomas, Sur la naissance du Christ, avait vraisemblablement été d'abord prononcée à Ancyre ; mais les Actes du Concile attestent qu'elle fut lue à Ephèse en présence de saint Cyrille.
[xx] Cette interprétation est inspirée du texte grec de saint Jean : pros ton theon, littéralement : "vers Dieu".
[xxi] Arius, prêtre d'Alexandrie vers 315, "non seulement subordonnait dans sa nature le Fils au Père, mais avec une rigueur toute dialectique, lui refusait la nature divine et les attributs divins, notamment l'éternité et la génération divine. Le Logos est pour lui une création du Père ; il est tiré du néant comme la première et la plus noble des créatures afin de servir d'instrument lors de la création des autres êtres ; en effet, d'après la conception stoïco-philonienne, le Dieu absolument transcendant ne peut pas entrer directement en relation avec le monde matériel".
Arius fut condamné dans un grand concile d'environ cent évêques égyptiens réunis à Alexandrie en 318.