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Phénoménologie - Le phénomène érotique
LE PHÉNOMÈNE ÉROTIQUE[1]
Lamour peut-il être interprété à partir de lego (conscience de soi) ? « Lamour, nous en parlons toujours, nous lexpérimentons souvent, mais nous ny comprenons rien ou presque. La preuve nous le déchirons entre des contraires eros et agapé, jouissance brute et charité abstraite, pornographie et sentimentalisme. Il en devient absurde ou insignifiant. Lexplication : la philosophie nous a persuadés de linterpréter à partir de la conscience de soi, comme une variante, dérivée et irrationnelle de la claire pensée. Il se rabaisse au rang de la passion, maladive, irrationnelle, toujours douteuse. Jean-Luc Marion conteste ce verdict. Lamour ne dérive pas de lego, mais le précède et le donne à lui-même. On doit donc tenter de décrire les figures de la conscience à partir de cette situation originaire : la nécessité absolue quon maime et mon incapacité radicale à ne pas me haïr moi-même ; mon avancée unilatérale dans le rôle de lamant ; le serment entre les amants qui fait surgir le phénomène érotique, unique et pourtant commun ; léchange où chacun donne à lautre la chair érotisée, que lui-même na pas, mais quil reçoit en retour ; lacte sans fin , et pourtant toujours fini , de savancer chacun dans lautre sans résistance. Lamour, dans toutes ces figures, ne se dit et ne se fait quen un seul sens. Le même pour tous, Dieu compris. Car lamour se déploie aussi logiquement que le plus rigoureux des concepts. » Un scepticisme sest insidieusement installé Le naufrage rétrospectif de mes possibles perdus ma appris le scepticisme. Mais tout ce scepticisme contraint et forcé ne méblouit guère, pas plus chez les autres que chez moi : il ne demande aucune force desprit, juste de la faiblesse et un peu de lucidité pour ladmettre; et il ny a pas lieu de se vanter de ses impuissances, ni de ses défaites. Mais un tel scepticisme celui où sombre chaque destin lesté de sa gravité propre nous instruit pourtant dune évidence : nous pouvons encore douter, longtemps et radicalement, même si les objets connus nous sont déjà certains, même si lego, qui en nous les connaît, lest aussi. Comment puis-je douter de moi, si je suis certain dexister ? Doù vient ce doute sur moi-même, si ma certitude dexister ne suffit pas à larrêter? Jusquoù sexerce mon doute, lorsquil double sans un regard ma certitude dexister? Se pourrait-il que le doute sur moi se déploie au-delà du champ clos de lexistence certaine ? Peut-être le doute ne travaille-t-il pas, en dernière instance, à produire la certitude, mais à la dépasser.
A. Plus dincertitudes que de certitudes émanent de la métaphysique La pensée métaphysique estime avoir rempli tous ses devoirs spéculatifs en nous fournissant une certitude Voire en nous promettant toute la certitude pensable. La métaphysique simagine accomplir un incomparable exploit en atteignant la certitude de lobjet, pour létendre ensuite même à lego. Or cet accomplissement natteste que son aveuglement. En fait, la métaphysique ne tient pas sa promesse, parce quelle ne nous livre, en guise de certitude et dans le meilleur des cas, que celle des objets (voire seulement de certains objets), certitude qui justement ne nous concerne en rien (en tous les cas pas moi, qui ne suis pas un objet), parce quelle passe sous silence la certitude qui mimporterait celle qui concerne précisément ce qui mimporte au premier chef, moi. Les produits de la technique et les objets des sciences, les propositions de la logique et les vérités de la philosophie peuvent bien jouir de toute la certitude du monde, quen ai-je à faire moi qui ne suis ni un produit de la technique, ni un objet de science, ni une proposition de logique, ni une vérité de philosophie ? La seule enquête, dont le résultat mimporterait vraiment, sattaquerait à la possibilité détablir quelque certitude sur mon identité, mon statut, mon histoire, ma destinée, ma mort, ma naissance et ma chair, bref sur mon ipséité irréductible. Mais on aurait tort de lui reprocher On ne devrait pas reprocher à la métaphysique ni aux sciences qui la déclinent daboutir à plus dincertitudes que de certitudes après tout, elles ont fait ce quelles pouvaient et déplorent plus que quiconque lambiguïté de leurs résultats. On ne peut même pas leur faire grief davoir toujours restreint la quête de la sagesse à lenquête sur la vérité et lenquête sur la vérité à la conquête de la certitude après tout rien na produit autant de résultats objectifs que cette double restriction ; et on conçoit aisément que leur prestige séduise. Sauf quelle nait pas visé la certitude de moi Mais nous devons légitimement leur reprocher de navoir jamais visé quune certitude secondaire et dérivée, étrangère et à la fin futile (celle des objets, de leurs savoirs, production et maniement), en négligeant ou ignorant la seule certitude qui me concerne, la certitude de moi. Car la certitude, même la certitude réduite aux objets que je ne suis pas, ne reste même pas indemne de tout soupçon : elle sexpose à une contre-épreuve qui peut la disqualifier dautant plus radicalement quon ny conteste pas sa validité au premier degré. Il suffit que jadresse à cette certitude une simple question « à quoi bon ? ». Le calcul logique, les opérations mathématiques, les modèles de lobjet et ses techniques de production offrent une parfaite certitude, une «qualité totale » et alors ? En quoi cela me concerne-t-il, sinon pour autant que je suis engagé dans leur monde et que je minscris dans leur espace ? Comme je demeure pourtant autre, autrement et ailleurs que les modèles de lobjet et ses techniques Cest quune frontière poreuse règle nos échanges : jinterviens dans le monde des objets certains, mais je ny suis pas à demeure, puisque jai le terrible privilège de leur ouvrir un monde que, sans moi, ils nobtiendraient pas deux-mêmes. Leur certitude ne me concerne pas, parce que je nhabite leur monde quen passager, y faisant de temps à autre la tournée du propriétaire mais qui vit ailleurs. Donc, je peux mieux, je ne peux pas ne pas éprouver à lencontre de cette certitude dun autre monde (en fait du monde dont je ne suis pas) lirrépressible tonalité de sa vanité. Cette vaine certitude, à supposer quon puisse lobtenir, ne mimporte pas, ne me concerne pasni ne matteint, moi qui nen suis pas de leur monde
Il en va de la certitude du monde des étants comme de « lappel de lêtre » ils ne me touchent que si je le veux bien Or, puisquils ne matteignent en fait et en droit aucunement dans mes uvres vives, puisquils ne me disent rien (rien de moi), je nai aucun motif de my intéresser ni de me mettre au milieu deux. Je les laisse donc à eux-mêmes et ils succombent à lindifférence, au verdict de la vanité. La vanité disqualifie la certitude des objets, qui, bien sûr, restent sûrs et certains. Mais cette sûreté ne me rassure en rien sur moi, elle ne me certifie rien. Certitude inutile et certaine. Mais, répondra-t-on, la métaphysique la bien compris, qui a réussi à étendre la certitude des choses du monde à lego, qui nen fait louverture que parce quil sen excepte Rien de plus certain que mon existence, pourvu et aussi souvent que je la prononce et que je la pense. La certitude du monde peut bien sombrer, plus elle seffondre, plus, moi qui la récuse, je me pense et donc je suis certainement. Cette réponse démontre certes la certitude de lego, mais toujours en pleine vanité, puisquelle se borne à étendre à lego, pourtant étranger à leur monde, le même type de certitude que celle qui convient à des objets et des étants intramondains. Car, que je sois certain comme eux, voire plus queux, en quoi cela me concerne-t-il au cur ? Cette certitude de persister dans lexistence, quand et aussi longtemps que je le veux, ne madvient que comme un effet de ma pensée, comme un de mes produits, comme mon premier artefact Lartefact par excellence, puisquil mobilise mon art le plus originel, ma cogitatio ; elle ne mest donc pas originaire, mais dérive de ma cogitatio, qui seule assure que je suis quand je veux me lassurer. Tout dépend donc de ce que je cogite de ma volonté pensante. Je suis parce que je peux douter des objets et que je me pense encore en voulant douter ; bref, je suis certain parce que je le veux bien. Or ce que je veux, ne puis-je pas aussi ne pas le vouloir ? Et ce que je veux, suis-je certain de toujours le vouloir encore ? Comme il sagit dune pure décision de la cogitatio, ne puis-je pas toujours rétorquer « à quoi bon? » devant la possibilité de produire ma propre certitude dêtre? Quelle raison certaine massure de vouloir sans faille, ni réserve cette certitude même? Quel motif absolument inébranlable ai-je de me produire dans la certitude, plutôt que non ? Pourquoi, après tout, ne pas vouloir ne pas être plutôt quêtre? Nul, aujourdhui que le nihilisme nous fait époque, ne prend cette question pour une extravagance Derrière lévidence de la cogitatio de soi pointe donc lombre dune décision celle de produire ou non ma certitude. Ici sexerce sans résistance linterrogation « à quoi bon ? ». La certitude de la cogitatio ne remonte pas jusquà lorigine, quoccupe seule une décision plus primitive; elle-même noffre quune certitude, que peut toujours disqualifier la vanité. Dailleurs, une certitude que je peux (ou non) produire à volonté ne reste-t-elle pas essentiellement contingente, dérivée et donc étrangère encore à moi ? Si ma certitude dépend de moi, cette sûreté même, que je dois décider, ne peut en rien me rassurer, puisque, même accomplie, elle na pour origine que moi ce moi quil faudrait à son tour assurer. Ou bien il sagit dune autofondation, donc dun cercle logique condamné à mimer sans succès la causa sui supposée divine (elle-même déjà intenable) ; ou bien il sagit dune demi-fondation, dun événement empirique à prétention transcendantale, que la temporalité reconduit toujours à sa contingence irrémédiable. Cette certitude supposée première marque au contraire un écart infranchissable entre, dune part, ce qui reste de mon domaine, moi sans autre assurance que moi, et, dautre part, ce qui seul pourrait me rassurer sur moi cest-à-dire une certitude qui madvienne dailleurs, plus ancienne que moi. Ou bien je suis par moi seulement, mais ma certitude nest pas originaire; ou bien ma certitude est bien originaire, mais elle ne vient pas de moi. La certitude de soi peut se proclamer aussi haut et fort quelle veut, elle savère finalement toujours provisoire Elle reste dans lattente illusoire dun autre principe, qui lassurerait enfin vraiment. Un tel recours métaphysique avoue bien linsuffisance de toute certitude autarcique à sassurer pleinement. Rien ne mexpose donc plus à lattaque de la vanité que la démonstration métaphysique de lexistence de lego, que ma prétention dêtre certain à titre dego. La certitude atteste son échec dans linstant même de sa réussite : jacquiers bien une certitude, mais, comme celle des étants du monde certifiés par mes soins, elle me renvoie à mon initiative, donc à moi, ouvrier arbitraire de toute certitude, même de la mienne. Produire moi-même ma certitude ne me rassure en rien, mais maffole devant la vanité en personne. A quoi bon ma certitude, si elle dépend encore de moi, si je ne suis que par moi ?
B. La réduction érotique Si la vanité disqualifie toute certitude, quelle porte sur le monde ou sur moi-même, faut-il, pour autant, renoncer à sassurer de soi, à se rassurer contre tout assaut de la vanité ? Limpuissance à répondre à la question « à quoi bon? », voire à seulement lendurer, nillustre-t-elle pas la vanité par excellence impitoyable de la vanité ? Rien ne résiste à la vanité, puisquelle peut encore contourner et annuler toute évidence, toute certitude, toute résistance. À moins que pour assurer vraiment lego de lui- même, il ne faille renoncer au paradigme de la certitude, qui vient du monde et porte sur lui, et abandonner à labsurde ambition de me garantir par moi-même la pauvre certitude dune existence conditionnée, au même titre quun objet ou un étant du monde. Dans mon cas, dans mon seul cas, lassurance demande beaucoup plus quune existence certaine, voire, en général, quune certitude Elle demande que je puisse me considérer, dans cette existence, comme libéré de la vanité, affranchi du soupçon dinanité, indemne de l«à quoi bon?». Pour affronter cette exigence, il ne sagit plus dobtenir une certitude dêtre, mais la réponse à une autre question « maime-t-on? ». La certitude convient aux objets et, plus généralement, aux étants du monde, parce quêtre, pour eux, équivaut à subsister dans la présence effective et leffectivité, elle, peut se certifier. Mais cette manière dêtre ne me convient pas.
Une objection pourrait surgir, forte en apparence : la demande que lon maime ne présuppose-t-elle pas que je sois dabord? Autrement dit : pour être aimé, pour être-bien, il faudrait dabord être simplement. Ou encore : être aimé ou aimable resterait le simple correctif ontique dun caractère ontologique plus originel; létant que je suis compte, parmi dautres caractères existentiaux, celui de pouvoir se faire aimer. Bref, la question de lamour aurait toute la justesse et la pertinence quon voudra, elle nen resterait pas moins secondaire, laffaire au mieux dune philosophie seconde parmi dautres (comme léthique, la politique, etc.). Il sagit pourtant là dun pur sophisme, qui tient pour acquis ce quil sagit précisément de montrer que le mode dêtre (ou de nêtre pas) de lego puisse se réduire au mode dêtre des objets et des étants du monde et se comprendre à partir de lui. Or seuls ces objets et ces étants, pour être-bien ou pour être aimés, doivent dabord être, de même que pour être encore ils doivent dabord subsister. Au contraire je ne puis, moi, être que demblée selon la possibilité, donc selon la possibilité radicale celle que lon maime ou quon puisse maimer. Dans tout autre cas que le mien, «être aimé» sentend certes comme un énoncé synthétique, où « aimé » sajoute de lextérieur à son présupposé, «être». Cest que, dans mon cas, à moi, le je, «être aimé» devient un énoncé analytique Ainsi, je ne pourrais pas être, ni accepter dendurer dêtre sans au moins la possibilité restée ouverte quà un moment ou un autre quelquun maime. Être, pour moi, ne signifie rien de moins quêtre-aimé (langlais paraît le suggérer à sa manière : « to be loved » peut se dire en un mot, « beloved »). Pourquoi ne puis-je donc accepter dêtre quà la condition expresse quon maime ? Parce que je ne résiste, dans mon être, à lassaut de la vanité que sous la protection de cet amour ou du moins de sa possibilité. Il faut donc en finir avec deux réductions
Il reste alors à tenter une troisième réduction Pour que japparaisse comme un phénomène de plein droit, il ne suffit pas que je me reconnaisse comme un objet certifié, ni comme un ego certifiant, ni même comme un étant proprement étant ; il faudrait que je me découvre comme un phénomène donné (et adonné), tel quil sassure comme un donné franc de vanité. Pareille assurance, quelle instance pourrait la donner ? A ce point du chemin, nous ne savons ni ce quelle est, ni si elle est, ni si elle a même à être. Du moins pouvons-nous en esquisser la fonction insigne : il sagit de massurer contre la vanité de mon propre phénomène donné (et adonné) en répondant à une question nouvelle : non plus «suis-je certain? », mais « ne suis-je pas, malgré toute ma certitude, en vain? ». Or, demander dassurer ma propre certitude dêtre contre lassaut sombre de la vanité revient à demander rien de moins que « maime-t-on?». Nous y sommes : lassurance appropriée à lego donné (et adonné) met en uvre une réduction érotique. Je suis cette éventuelle certitude, même supposée inébranlable, même érigée en premier principe par la métaphysique qui nenvisage rien de plus haut, ne vaut pourtant rien, si elle ne va pas jusquà massurer contre la vanité en massurant que je suis aimé Car je peux toujours et le plus souvent me moquer complètement dêtre, jusquà devenir indifférent à mon fait dêtre, ne pas en faire mon affaire, voire le haïr. Il ne suffit pas que je me sache être certainement et sans restriction pour supporter dêtre, laccepter et laimer. La certitude dêtre peut même au contraire métouffer comme un carcan, mengluer comme une vase, memprisonner comme une cellule. Pour tout ego, être ou ne pas être peut devenir lenjeu dun libre choix, sans que la réponse positive aille de soi. Et il ne sagit pas ici nécessairement de suicide, mais toujours et dabord de lempire de la vanité ; car en régime de vanité, je peux bien reconnaître «je pense, donc je suis » très certainement pour aussitôt annuler cette certitude en me demandant « à quoi bon ? ». La certitude de mon existence ne suffit jamais à la rendre juste, ni bonne, ni belle, ni désirable bref, ne suffit jamais à lassurer. La certitude de mon existence démontre simplement mon effort solitaire pour métablir par ma propre décision à mon compte dans lêtre ; or une certitude produite par mon propre acte de penser reste encore mon initiative, mon uvre et mon affaire certitude autiste et assurance narcissique dun miroir ne mirant jamais quun autre miroir, un vide répété. Je nobtiens quune existence, et encore la plus désertique pur produit du doute hyperbolique, sans intuition, sans concept et sans nom : un désert, le phénomène le plus pauvre, qui ne livre que son inanité même. Je suis certitude sans doute, mais au prix de labsence de tout donné. Je suis moins la première vérité, que le dernier fruit du doute lui-même. Je doute, et ce doute au moins mest certain. Certes, je suis certain, mais dune certitude telle quil apparaît aussitôt impossible quelle mimporte et ne seffondre pas devant la vanité, qui demande « à quoi bon ? ». Mime minimaliste de la cause de soi, la certitude cloue lego à juste assez dexistence pour y recevoir, sans défense, le choc de la vanité. Il faut donc, pour que je sois non seulement certainement, mais dune certitude qui mimporte, que je sois plus et autrement que ce que je peux me garantir, cest-à-dire être dun être qui massure dailleurs que de moi. Ma certitude dêtre, je peux certes me la produire et reproduire, mais je ne peux lassurer contre la vanité. Seul un autre que moi pourrait me lassurer, comme un guide en montagne assure son client. Car lassurance ne se confond pas avec la certitude
Lego produit la certitude, alors que lassurance loutrepasse radicalement, parce quelle lui vient dailleurs Elle vient le délivrer du fardeau écrasant de lautocertification, parfaitement inutile et désarmée devant la question « à quoi bon? ». Me certifier mon existence, cela dépend de ma pensée, donc de moi. Recevoir lassurance contre la vanité de mon existence certaine, cela ne dépend pas de moi, mais requiert que japprenne dailleurs que je suis et surtout si jai à être. Tenir face à la vanité, à savoir obtenir dailleurs la justification dêtre cela signifie que je ne suis pas en étant (même par moi, même comme étant privilégié), mais en tant quaimé (donc élu dailleurs). De quel ailleurs peut-il sagir ? A cette question, je nai pas encore les moyens de répondre. Mais je nai pas non plus besoin den décider ici. Il suffit, pour que saccomplisse la réduction érotique, de comprendre ce que je (me) demande : non une certitude de soi par soi, mais une assurance venue dailleurs. Cet ailleurs commence dès que cède la clôture onirique du soi sur soi et quy perce une instance irréductible à moi et dont, selon des modalités variables et encore indéfinies, je me reçoive. Il nimporte donc pas que cet ailleurs sidentifie soit comme un autre neutre (la vie, la nature, le monde), soit comme autrui en général (tel groupe, la société), soit même comme tel autrui (homme ou femme, le divin, voire Dieu). Il importe uniquement quil madvienne dailleurs, si nettement quil ne puisse pas ne pas mimporter, puisquil simporte en moi. Son anonymat, loin den affaiblir limpact, le renforcerait plutôt : en effet, sil reste anonyme, lailleurs madviendra sans sannoncer ni prévenir, donc sans men laisser rien prévoir; et sil me prend au dépourvu, il me surprendra, matteindra dautant plus au cur, bref mimportera à fond. En mimportant à fond, lailleurs anonyme interviendra comme un événement Cest que seul un événement radical peut dissiper lindifférence de la vanité dêtre et en énervers 1« à quoi bon ? ». La léthargie quinsinue le « quimporte ? » se dissipe lorsque lailleurs simporte en moi et ainsi mimporte. Lévénement anonyme me donne donc une assurance sur moi (celle que je suis dailleurs) à proportion même quil me dénie toute certitude sur lui (sur son identité). De lailleurs, il ne faut donc pas rechercher dabord son identité, puisque son anonymat même fait quil importe plus. À son propos, il convient seulement de comprendre comment il parvient à mimporter, à remplacer linterrogation « suis-je? » par la question « maime-t-on? » bref, comment il accomplit la réduction érotique. En première approximation, on dira : puisque lailleurs anonyme massure en madvenant, puisquil rompt lautisme de la certitude de soi par soi seul, alors il mexpose à lui Il mexpose à lui et détermine originairement ce que je suis par ce pour qui (ou pour quoi) je suis. Etre signifie dès lors pour moi être selon ladvenue de Tailleurs, être envers et pour ce que je ne suis pas et quel quil soit. Je ne suis plus parce que je le veux (ou le pense, ou le performe), mais par ce quon me veut dailleurs. Que peut-on me vouloir dailleurs ? Du bien ou du mal, au sens le plus strict, de femelle à mâle, dhomme à homme, de groupe à groupe ; mais aussi, voire dabord, au sens extra-moral, tel que même les choses inanimées peuvent le déployer à mon encontre (car le monde peut me devenir hospitalier ou inhospitalier, le paysage ingrat ou riant, la ville ouverte ou fermée, la compagnie des vivants accueillante ou hostile, etc.). Donc je suis en tant quon me veut du bien ou du mal, en tant que je puis méprouver reçu ou non, aimé ou haï Je suis en tant que je me demande «que me veut-on (was mögen sie)» ; je suis en tant que susceptible dune décision, qui ne mappartient pas et me détermine davance, parce quelle madvient dailleurs, de la décision qui me rend aimable ou non. Ainsi, lassurance décide, au-delà de la certitude (qui me devient ainsi originairement non originaire), que je ne saurais être quen tant quaimé ou non. En tant quaimé par ailleurs non pas en tant que me pensant, par moi seul, comme étant. Etre, pour moi, se trouve toujours déterminé par une seule tonalité, seule originaire être en tant quaimé ou haï, par ailleurs. Ne pourrait-on pas objecter à cette figure de lego en situation de réduction érotique, quelle consacre sans réserve un égoïsme radical, donc injuste ? Non, car si lon entend rigoureusement cet «égoïsme», il convient den faire léloge. Au contraire de la certitude de soi qui vient encore à lego de soi, lassurance ne peut jamais venir à lego de lui-même, mais toujours dailleurs : doù une altération, voire une altérité radicale de lego à lui-même et originairement En ce sens strict, 1« égoïsme » dun ego érotiquement réduit acquiert donc un privilège éthique, celui dun égoïsme altéré par lailleurs et ouvert par lui. Egoïsme donc ? Egoïsme, bien sûr, mais à condition den avoir les moyens et la résolution. Car cet égoïsme désarmé et instruit a, lui seul, laudace de ne pas se cacher dans la neutralité transcendantale, où le «je pense» sillusionne sur sa certitude comme si elle lassurait, comme sil ne se devait rien de plus, comme sil pouvait ne rien devoir à personne dailleurs. Légoïsme de la réduction érotique, lui, a le courage de ne pas se dissimuler la terreur qui menace tout ego Et cela dès quil affronte le soupçon de sa vanité et de ne pas détourner le regard de lépouvante silencieuse que répand cette simple question « à quoi bon? ». Car enfin, si lego nétait que ce quil se flatte dêtre lexistence dont il se veut si pauvrement certain doù tirerait-il la force, obstinée et inavouée, de demeurer lui-même, doù tiendrait-il la légitimité dendurer ainsi sa pénurie inassurée ? Se borner à être un ego pensant, restreint à sa neutralité prétendument transcendantale, qui sy résignerait sans panique, quand vient lheure sombre non plus du doute sur la certitude, mais de la vanité sans assurance ? Ni moi, ni personne sauf à nous prétendre hypocritement inconscients de cette épreuve ne pouvons faire comme si aucune différence nintervenait selon que lon maime ou non, comme si la réduction érotique nouvrait pas une différence cardinale, comme si cette différence ne différait pas plus que toutes autres et ne les rendait pas toutes indifférentes. Qui peut sérieusement soutenir que la possibilité de se trouver aimé ou haï ne le concerne en rien? Quon en fasse lépreuve : le plus grand philosophe du monde, dès quil marche sur ce fil, cède au vertige. Et dailleurs, quelle cohérence à se prétendre humblement non égoïste devant la réduction érotique, tout en se targuant sans hésitation ni crainte dexercer la fonction impériale dun ego transcendantal ? Inversement, de quel droit taxer dégoïsme lego qui savoue honnêtement manquer dassurance et sexpose sans retenue à un ailleurs, quil peut ne pas connaître et ne doit en tout cas jamais maîtriser? Il faut donc en finir avec la vanité au second degré de prétendre ne pas se sentir touché à cur par la vanité de toute certitude Surtout de cette certitude désertique, que je me confère en me pensant. Tout compte fait, quelle injustice y a-t-il à vouloir que dailleurs lon maime? La justice et la justesse de la raison nexigent-elles pas, au contraire, que je massure de moi moi, sans qui rien du monde ne saurait ni se donner, ni se montrer ? Et qui donc plus que moi a le devoir de sinquiéter de mon assurance érotique la seule possible moi, qui le premier porte la charge de moi? Et surtout, sans 1*égoïsme et le courage rationnels daccomplir la réduction érotique, je laisserais sombrer lego en moi. Aucune obligation éthique, aucun altruisme, aucune substitution ne pourraient simposer à moi, si mon ego ne résistait dabord lui-même à la vanité et son « à quoi bon ?» donc si je ne demandais dabord et sans condition, pour moi, une assurance dailleurs. À la lumière de la réduction érotique, légoïsme même admet une altérité originaire et rend donc seul possible, éventuellement, lépreuve dautrui.
C. Le monde selon la vanité Le monde ne peut se phénoménaliser quen se donnant à moi et me faisant son adonné Ma place au soleil au soleil érotique qui massure comme aimé ou haï na rien dinjuste, ni de tyrannique, ni de haïssable : la réclamer simpose à moi comme mon premier devoir. Une autre objection pourrait en revanche marrêter. Substituer à lego en tant que pensant lego en tant quaimé ou haï, pourrait en effet laffaiblir et pour deux raisons.
Il faut, en effet, admettre comme un acquis que la réduction érotique atteint lego au plus intime Cela en le destituant définitivement de toute auto-production dans la certitude et dans lexistence. Si, daventure, une réponse à la question « maime-t-on? » doit se déployer, elle sinscrira toujours dans cette dépendance comme dans son horizon ultime, sans jamais rétablir même en esquisse désirée ou en idéal de la raison lautonomie de la certitude par la cogitatio. Mais ce résultat destituant néquivaut pas tant à une perte sèche, quà un acquis encore obscur. Si, sous le coup de la réduction érotique, je ne puis me recevoir avec certitude quen tant quaimé ou haï, donc comme un aimé seulement en puissance (un aimable), jentre dans un terrain absolument nouveau. Il ne sagit même plus dy être en tant quaimé, ni de sy faire aimer ou haïr dans le but de parvenir à être ou nêtre pas, mais de mapparaître à moi-même directement, au-delà de tout statut détant éventuel, comme aimé potentiel et comme aimable. Désormais « aimé » ne joue plus le rôle dun adjectif qualifiant un étant par son mode dêtre, puisquen régime de réduction érotique qui affronte la vanité, on ne peut plus assumer sans précaution, comme en métaphysique, que «être ou nêtre pas, telle est la question». La question «maime-t-on dailleurs ?», qui sy substitue définitivement, ne vise plus lêtre et ne se soucie plus de lexistence. Elle mintroduit dans un horizon où mon statut daimé ou dhaï, bref daimable, ne renvoie plus quà lui-même. En demandant si lon maime dailleurs, je ne dois même plus dabord menquérir de mon assurance : jentre dans le règne de lamour, où je reçois immédiatement le rôle de celui qui peut aimer, quon peut aimer et qui croit quon doit laimer lamant. Lamant soppose donc au cogitant
D. Passons à la réduction ontologique Là où je suis en tant que létant dans lequel il y va de lêtre, de lêtre de létant que je suis mais aussi de tous les autres étants que je ne suis pas Mais cet être, même si je ne peux le mettre en uvre quen me décidant absolument et seul pour lui, me confère-t-il pour autant mon ipséité ultime ? Je peux en douter par deux arguments, au moins.
Comme amant, au contraire, en situation de réduction érotique, je ne rencontre plus ces apories Je sais parfaitement ce qui, de moi, ne peut jamais passer à un autre individu et reste indissolublement mien, plus intime en moi que moi : tous ceux que jai aimés en tant quamant, plus exactement tous mes vécus de conscience érotiques, toutes mes avances, tous mes serments, toutes mes jouissances et toutes celles que jai provoquées, toutes mes fidélités et toutes mes suspensions, toutes mes haines et ma première mort tout cela portera mon nom quand je ne serai plus. Tout cela porte en fait dès maintenant mon nom, le rend honorable ou méprisable, admirable ou pitoyable. Cela personne ne peut me le prendre, ni men délivrer, ni me le donner moi seul ait dû my engager en personne, par avance, et à titre damant, pour en arriver là, à ce que je suis en tant que lhistoire dun amant. Et, paradoxalement, cette ipséité irrévocable, je ne peux moi-même en tracer lhistoire érotique Il faut que dautres me la disent. Car, justement, mon ipséité saccomplit érotiquement, à partir dailleurs et dun ailleurs, autrui aimé (ou haï). Non seulement je ne méprouve comme un amant quen mexposant à cet ailleurs, au risque de lavance, mais seul autrui me confère la signification de mon phénomène amoureux ; lui seul sait si je laime et si je lui ai donné sa chair Je napprends, ou plutôt je napprendrai pas mon nom et mon identité les plus propres de ce que je sais de moi De ce que je suis ou de ce que jai décidé dêtre, mais de ceux que jaime (ou non) et de ceux qui maiment (ou non). Qui suis-je? A cette question, lêtre na rien à répondre, ni létant en moi. Comme je suis en tant que jaime et quon maime, seuls dautres pourront répondre. Je me recevrai à la fin dautrui, comme je suis né de lui. Non que je doive men reconnaître lotage ou quune aliénation men maintienne lesclave : cette crainte elle-même ne peut se concevoir que dans un horizon transcendantal ou ontologique, qui présuppose ce quil sagit justement de questionner que je nai affaire quà moi, que mon ipséité puisse se résoudre dans ma seule monade, bref que je revienne à moi parce que jen proviens. Or je sais, depuis lépreuve de la vanité et la réduction érotique, que mon propre le plus intime madvient dailleurs et y renvoie. Lamant ne devient lui-même quen saltérant et ne saltère que par autrui, gardien ultime de ma propre ipséité. Qui, sans lui, me reste inaccessible.
E. Lavènement du tiers Je me recevrai donc, à la fin, dautrui Jen recevrai mon ipséité, comme jen ai déjà reçu ma signification dans son serment, ma chair dans lérotisation de la sienne et jusquà ma propre fidélité dans sa déclaration « Tu maimes vraiment ! ». Mais ce que je ne cesse de recevoir ainsi dailleurs, il me faut encore et toujours tenter de le recevoir à linstant suivant, à chaque nouvel instant. Pour continuer la même réduction érotique, il nous faut tout recommencer dès le début et sans interruption. Nous ne nous aimons quau prix dune re-création continuée, dune quasi-création continue, sans fin et sans repos. Nous ne nous aimerons quà condition dendurer la répétition et de remonter, comme une pierre trop lourde, le poids du serment jusquau sommet de lérotisation même et surtout après chaque suspension, voire chaque déception. Une question ne peut donc pas ne pas se poser : mon serment damant, que je partage en le donnant et le recevant dans la discontinuité dune répétition, ne pourrions-nous pas, nous les amants, le confier à un tiers, qui lassurerait plus durablement que nous? Un tiers, qui, hors de notre intrigue et indemne de sa fînitude, assurerait notre serment en linscrivant dans une durée continue la sienne. Ce tiers naurait pourtant aucune légitimité pour assurer notre serment Cela selon notre accomplissement par la réduction érotique, si lui-même nappartenait pas à cette réduction érotique ; autrement dit, sil nen provenait pas aussi, il nen relèverait pas, donc ne lactualiserait pas en lui-même. Ce tiers, éventuel témoin de notre serment, devra phénoménaliser notre phénomène érotique commun par son phénomène propre, ni le mien, ni celui dautrui, mais justement le sien, un tiers phénomène; ainsi pourrait-il attester notre visibilité toujours à répéter par la continuité inattaquable de sa propre visibilité ; et conférer à notre phénomène érotique, laissé toujours intermittent dans le serment, la stabilité dun phénomène durablement résolu. Désormais, quoi quil puisse advenir du premier phénomène érotique, le tiers assurerait par sa visibilité incontestable quil y eut un temps, où notre serment se phénoménalisa en pleine lumière On voit que ce tiers sil sen trouve un devrait se produire comme un phénomène parfaitement advenu, dont la visibilité stable reproduirait et donc assurerait la visibilité instable de notre serment soumis à répétition. Sil doit jamais intervenir, le tiers ne se produira, ne savancera et napparaîtra dans la visibilité érotique que pour re-produire ce qui ne se donne pas sans cesse à voir, notre serment, ses heurs, bonheurs et malheurs. Il ne le pourra, quen restant en même temps indissolublement lié à ce dont il atteste ainsi la phénoménalité par la sienne ; il ne pourra re-produire que ce à partir de quoi il se produira lui-même. Ce tiers phénomène, qui ne re-produit dans sa visibilité la visibilité répétitive de notre serment quen se produisant à partir de ce serment même, sans jamais pouvoir le révoquer et qui advient comme un événement intrinsèquement érotique, se nomme lenfant Un tel passage de lamant à travers le serment, lérotisation, la jalousie et la fidélité jusquà lenfant na rien de facultatif. A condition dentendre lenfant comme une requête inconditionnelle de la réduction érotique, dont en aucun cas lamant ne peut même prétendre faire léconomie, sauf à suspendre cette réduction même; et ce passage na rien darbitraire ni didéologique non plus, pour deux raisons claires :
Les amants passent à lenfant pour radicaliser lapparition de leur propre phénomène érotique partagé
La distance entre eux-mêmes et leur enfant remplit les conditions phénoménologiques adéquates pour quenfin, dans ce tiers qui les re-produit parce quil se produit (advient) à partir deux, ils sapparaissent à eux-mêmes, comme de purs amants et selon les règles de la réduction érotique. En effet lenfant apparaît comme leur premier miroir, où ils contemplent leur première visibilité commune, puisque cette chair, même sils ne léprouvent pas en commun, a mis pourtant leurs deux chairs en commun, dans ce tiers commun précisément, où sexhibe lenfant. Du coup, ce miroir ne se dégrade pas en idole (miroir invisible comme premier visible) Cela du fait quil résulte du serment et de lavance réciproques des amants, donc de leur distance infranchissable, lenfant apparaît aux amants encore comme un tiers :
Sy ajoute, quoiquil en soit, la raison qui est la possibilité de lenfant Le passage à lenfant répond à une exigence dautant plus phénoménologique (non biologique ni sociale), quil peut toujours et doit dabord sentendre comme la possibilité de lenfant plus que comme son effectivité. En effet, pour les amants, il ne sagit pas au premier chef de lenfant effectif, ni de celui que lon «a» (ou croit «avoir»), ni de celui que lon « veut avoir » éventuellement à tout prix de manipulations bio-technologiques ou de trafics socio-médicaux, qui le réduiraient au rang dun objet fabriqué, vendu et acheté; dans ces deux cas dailleurs, lobsession de posséder la chose, quon nomme alors sonenfant, peut facilement aller de pair avec son oubli par indifférence, son instrumentalisation par convenance, voire sa destruction par mauvais traitements (physiques ou psychologiques) ; leffective possession de lenfant non seulement ne prolonge pas toujours sa possibilité, mais souvent elle la détruit. Pour des amants, a contrario, la possibilité de lenfant va plus loin que sa possession, donc que son effectivité Il sagit en fait dune étape incontournable de la réduction érotique, et, à ce moment, la première qui paraisse assurer une stabilité au phénomène érotique : lenfant incarne en sa chair un serment une fois et à jamais accompli, même si les amants lont depuis rompu. Dans lenfant, le serment se fait chair, une fois pour toutes et irrévocablement, même si les amants divorcent ensuite de leur serment. Lenfant manifeste une promesse toujours déjà tenue, que les amants le veuillent ou non. Lenfant défend le serment des amants contre les amants eux-mêmes ; il se donne en gage contre leur séparation ; il sinterpose en gardien de leurs premières avances; il projette dans lavenir le présent du serment et, si ce serment ne vit plus, lenfant, aussi longtemps quil vivra, témoignera de lui contre les amants. Ainsi lenfant consacre dans sa chair la fidélité des amants ou, dans sa chair, laisse parler la jalousie et défend contre eux lhonneur des amants. Restons-en ici strictement à lenfant comme une possibilité à la fois exigée par la réduction érotique et rendue intelligible par elle Lenfant ne peut se penser quà partir de sa possibilité, parce quil apparaît toujours comme un phénomène donné selon lavènement dun événement, et avec une radicalité qui larrache au commun des phénomènes, même compris comme donnés. En effet lenfant advient en ce sens strict quil ne se produit lui-même et ne re-produit les amants quen se refusant pourtant toujours à ce que le moindre déterminisme (causes, décisions, fabrications, etc.) le fasse advenir par volonté et selon des prévisions de ces mêmes amants. Il ne dépend pas des amants de devenir des parents, bien queux le puissent ; autant je deviens amant parce que je le décide, autant il ne suffit jamais que je décide de devenir parent pour le devenir. Il ne suffit pas de vouloir et de décider « faire » un enfant pour quil advienne de fait Dabord parce quon ne peut jamais « faire » un enfant, malgré toutes les volontés et tous les dispositifs qui le prétendent ; la volonté dengendrer ne garantit jamais absolument une fécondation, pas plus quune volonté de ne pas engendrer ne préserve toujours dengendrer quand même. Apparemment, même les techniques les plus complexes destinées à provoquer des fécondations artificielles (ou du moins assistées, en partie non naturelles) natteignent pas, et de très loin, les résultats presque absolument certains, prévisibles et sans défaut quobtiennent régulièrement les techniques destinées à la production dobjets industriels; au contraire, les résultats ne relèvent ici que de causalités statistiques, sans déterminisme strict et avec des fréquences de réussite étonnamment faibles. Lenfant ne se décide et ne se prévoit pas plus quil ne se «fait» : bien quil provienne (en principe) entièrement de nous, il ne dépend pourtant pas exclusivement de nous quil vienne ou ne vienne pas. Même une fois conçu, son indisponibilité se marque encore par le délai, toujours incertain, que sa naissance impose aux amants; en tout état de cause, entre la conception et la naissance, ils doivent encore attendre lenfant; ils attendent son bon vouloir après la conception, de même quils lattendaient avant sa conception; leur plaisir attendait toujours son bon plaisir. Même sils ont décidé de le provoquer, les amants doivent encore attendre lenfant, qui ne se signale dabord quen se faisant attendre et se laissant désirer Ici lattente nous apprend le désir, non pas linverse, comme dans lérotisation de la chair, où le désir provoquait lattente. Cette irréductible attente simpose aux amants et prouve que lapparition de lenfant ne dépend pas de leur volonté, condition jamais suffisante ni même toujours nécessaire. Cette attente confère aussi par excellence au phénomène de lenfant le caractère dun arrivage arrivée imprévisible, toujours incertaine bien quespérée dun ferme espoir. Cet arrivage implique (on pourrait le montrer en détail) dautres caractères :
Cet avènement de lenfant le qualifie dautant plus comme un tiers, quil simpose aussi par une facticité également hors du commun Nulle part ailleurs un phénomène nadvient avec une telle facticité il est dautant plus quil apparaît exactement comme il advient : dune essence indécidée et jamais vraiment choisie, dune existence imprévue et irrévocable, dun avenir imprévisible et incorrigible. Létat civil ne rendra pas à lenfant les causes à jamais manquantes de sa naissance, pas plus que la connaissance toujours à venir de son passé ne lui en rendra la maîtrise. Son éducation ne changera rien à son hérédité biologique et même culturelle, mais, au mieux, complétera, corrigera et développera son donné ineffaçable. Ce qui advint ne pourra jamais plus nêtre pas advenu. Quant à son avenir, il adviendra encore à lenfant comme à quiconque sous la figure dun événement imprévisible. Demblée, ni les amants, ni lenfant ne peuvent donc faire appel de cette facticité partagée. Lenfant, issu sans aucun doute de la chair de chacun des amants, ne sauvegarde ni lune, ni lautre; certes il les donne bien à voir dans sa figure, mais sa figure reste pourtant sans modèle et lenfant ne ressemble jamais à ses parents, malgré ce que bavarde le cercle de famille ; sa figure offrirait plutôt le phénomène sur lequel se donnent à voir, à re-voir et reconnaître en plus net les visages des amants ; mais, sil ne répète pas laddition de leurs deux visages dorigine, le visage de lenfant re-produit pourtant la visibilité intermittente du serment sur la visibilité en progrès de son phénomène neuf. Chronologiquement, nous précédons lenfant et il procède de nous, mais phénoménalement il nous précède et nous procédons de sa visibilité Sa facticité nous le rend assez étranger pour quil devienne bien le tiers ; elle nous le fait apparaître en tant même quil reste autre que nous et nous offre ainsi un miroir fixe, bien que toujours changeant. Il se pourrait que lenfant, toujours, apparaisse étrange, comme létrangeté même qui manquait aux amants. En ce sens et à titre dévénement en pleine facticité, tout enfant advient comme un enfant trouvé. Au double titre de ladvenue et de la facticité, lenfant simpose donc bien comme le tiers. Il satisfait ainsi aux deux exigences de sa fonction dans la réduction érotique : intrinsèquement lié au serment et à léchange des chairs érotisées, donc à lintrigue des amants qui le produit, il reste suffisamment distant deux pour atteindre sa propre visibilité, stable, indiscutable, et pouvoir ainsi les re-produire sur son propre visage. Il devient ainsi le témoin de ses parents, le tiers qui confère aux amants la visibilité assurée, queux-mêmes ne pourraient atteindre dans la simple répétition chaotique de leur phénomène érotique. Ainsi érigé en tiers, lenfant peut alors jouer le rôle que mon désir extrême lui assigne de prononcer un jugement dernier Ou du moins, mon désir peut désormais lui demander de jouer ce rôle. Quel ? Lenfant pourrait, devrait pouvoir du moins mon désir damant se limagine me dispenser de répéter le serment et la croisée des chairs, en sorte enfin den finir. Et le désir dun enfant peut sans aucun doute, pour une part indécidable mais essentielle, sentendre comme une manière du désir de mourir à tout le moins comme désir den finir avec le désir, den finir avec la répétition de la réduction érotique et ses exigences sans cesse ni repos. Comment faire cette fin? Grâce au fait même de lenfant, dont la facticité et larrivage simposent et en imposent assez pour ne plus dépendre de nos avances, ni nécessiter de répétition et ainsi prouver que nous, les amants, avons réussi à nous aimer au moins un temps, au moins jusquà ce point où lenfant apparut, tiers désormais irrévocable. Faire une fin : provoquer la naissance du tiers, qui met fin à la répétition. Mettre fin aux questions de la réduction érotique («Maime-t-on dailleurs?», «Puis-je aimer, moi, le premier?», «Maimes-tu»), non plus par une réponse vide, car valide seulement un instant («Me voici!»), mais par un fait advenu, un événement échu, qui reste la troisième chair, définitive, de lenfant. Bref, en finir avec la réduction érotique « ils se marièrent et eurent beaucoup denfants». Ainsi conçu, lenfant rend manifeste dans sa durée (durant sa vie, au-delà de celle des amants et de leurs serments répétés ou arrêtés) ce que le serment signifiait sans pouvoir le phénoménaliser durablement, ni manifester à dautres quaux amants eux-mêmes. Lenfant sauve le serment des amants dabord en le rendant définitivement visible dans son tiers visage ; ensuite en lui conférant une durée plus longue que la leur, puisquil peut (au moins espérer) survivre à leurs morts respectives comme à leurs infidélités problables. Le serment rend possible lenfant, mais seul lenfant rend effectif le serment Les parents engendrent lenfant dans le temps, mais lenfant fixe les amants hors de leur temps. Avènement du tiers fin de lhistoire pour les amants. Fin de lhistoire jugement dernier. Désir aussitôt déçu. Car ce jugement dernier ne reste pas longtemps le dernier; aussitôt dit, aussitôt fait, il devient lavant-dernier et le cède à une nouvelle possibilité, à un nouvel événement, voire à la possibilité dun autre enfant. Le jugement dernier ne dure pas précisément parce que lenfant, lui, nen finit pas de durer. Sans doute, comme il dure et grandit, le tiers en lui témoigne dautant plus assurément mais de quoi ? Un temps peut-être, il témoigne du serment des amants et de léchange des chairs érotisées ; et, ce faisant, il re-produit bien dans son phénomène indiscutable la visibilité fragile du phénomène érotique dorigine. Pourtant vite, très, trop vite, lenfant tiers ne témoigne plus de notre serment (qui la rendu pourtant possible) Ceci dabord de lui-même, et avec le temps, avec son temps, principalement, voire exclusivement de lui-même. Sil me re-produit, moi en mon serment avec autrui, il me re-produit sur son visage à lui, dans sa distance davec moi, selon un écart aussi ancien que son temps et que le temps ne cesse plus daccroître. Lenfant re-produit certes le serment des amants sur son visage mais précisément pour autant que son visage sajoute à ceux des amants, sen distingue et donc sen sépare en consistant en sa propre chair. Notre serment ou disparaît avec nous ou nous apparaît hors de nous il transite par le tiers, lui-même définitivement en transit. La vie « continue », mais ce nest plus la nôtre. Le jugement na rien de dernier, le temps ne sarrête pas justement à cause et en vertu de lenfant, le tiers qui ne cesse dadvenir et de transiter. La re-production du phénomène érotique sur son visage nen délivre donc pas le dernier phénomène ; elle en fixe seulement un avant-dernier instantané, aussitôt révolu à linstant suivant qui vient déjà darriver, qui va passer, qui est passé. Le serment se trouve donc renvoyé à lui-même, une nouvelle fois condamné au devoir de se répéter. Le tiers survit dans le temps, le serment doit faire de même et tenter de recevoir une autre re-production dattendre une autre fin, un autre tiers provisoire.
F. Lenfant ou le tiers sur le départ Lenfant joue le rôle du tiers, mais suivant une temporalité telle quil nadvient quen transit Le tiers venu finit toujours par manquer. Non par hasard, ni par un mauvais succès, mais par définition car lenfant se caractérise justement en ce quil échappe à ses parents, les amants. Ce quil atteste, le serment, il se lapproprie au point de le faire sien, de lincarner, mais dans une nouvelle chair où il lemporte et le faire disparaître aux yeux des amants. Il ne sagit pas ici de cette banalité, que les enfants finissent toujours par partir (sinon ils ne deviendraient ni eux-mêmes, ni amants), mais dune peine plus obscure : les enfants emportent avec eux le serment même quils ont re-produit. Non seulement ils ne restent pas et il ne reste rien deux, mais il ne reste non plus rien de nous, les amants. Le fait, leffet et la visibilité de notre serment sefface avec son dernier metteur en scène le tiers. Le tiers manquant fait défaut de plusieurs manières
En effet, lenfant a reçu des amants le don de son origine, le don dans lequel il est, vit et respire, le don qui rend possible même lêtre et le précède ; par sa visibilité propre, lenfant témoigne du serment des amants et consigne de fait lérotisation de leurs chairs; quil le veuille ou non, il sinstitue comme leur tiers tant il valide, par le don quil reçoit et quil incarne pour longtemps (ce quon nomme, faute de mieux, la vie), le don que les amants se firent une fois. Pourtant, ce don reçu et qui dure, le rendra-t-il à son tour ? Peut-être, sûrement même, mais de telle sorte par une loi encore de la réduction érotique que jamais il ne le rendra à ceux qui le lui ont donné et toujours à celui qui, lui non plus, ne le lui rendra pas à savoir à son propre enfant. Lenfant ne se définit plus seulement comme ladonné par excellence (celui qui se reçoit parfaitement lui- même de ce quil reçoit) Il se définit alors comme celui qui reçoit le don dorigine sans pouvoir jamais le rendre à son donateur ; et qui doit toujours le redonner à un donataire, qui ne le lui rendra à son tour jamais. Comme il ne peut pas rendre le don, il le fait donc transiter et dabord en lui. Parce quil se définit comme le tiers demblée sur le départ, lenfant rompt définitivement la réciprocité en détournant du donateur le retour du don, pour le décaler vers un donataire inconnu et encore non-étant (un autre enfant, un autre événement encore à venir). Lenfant nous dérobe donc, à nous, les amants, non seulement la chair que nos chairs lui ont donnée, mais surtout le retour sur nous de son témoignage en faveur de notre serment. Lenfant abandonne par définition les amants à eux-mêmes. Pourtant les amants reçoivent au moins ceci de cet abandon : ils reviennent à jamais vers leurs deux avances et écartent lillusion sécuritaire dune certitude externe ; ils vieilliront jusquà la fin en réduction érotique. Les amants, en perdant leur tiers par le départ de lenfant, se condamnent à rester ou devenir eux- mêmes seuls. Le départ de lenfant laisse-t-il pourtant les amants absolument sans aucun témoignage de leur serment? Considérons que lenfant ne peut partir, donc séloigner que parce que sa chair se départit des chairs des amants qui lui donnent pourtant la sienne. Comment sa chair peut-elle ainsi se défaire de celles qui sy croisent et la suscitent? Parce que la chair de lenfant, sitôt quelle entre dans la visibilité, apparaît elle aussi dans le monde, ainsi que toute chair, non pas comme une chair, mais comme un corps. Car aucune chair ne se peut voir comme telle il faut la sentir et chacune ne peut directement en sentir quelle seule. Donc, dès que lenfant paraît, il apparaît comme simple corps et disparaît comme chair. Ce faisant, lenfant reproduit simplement, dans la posture du tiers, ce que je constatais dans la posture de lamant : que lérotisation de ma chair finit toujours par cesser et que ma finitude nous ramène, moi et autrui, au rang dun corps. Le départ de lenfant confirme donc sans plus la suspension de ma chair érotisée Son témoignage comme tiers du serment ne pouvait donc pas plus durer que ne dure lérotisation des chairs liées par le serment le temps précisément dune course pour conclure le plus tard possible, donc toujours trop tôt. Lenfant part comme la jouissance se suspend trop tôt et inévitablement; car le temps reprend dans son empire ces deux finitudes, qui nen font en fait quune. Lérotisation et lenfant se taisent donc du même silence. Dès lors, la défaillance de lenfant à rendre témoignage de notre serment prend un tout autre sens.
Lenfant ne pourra donc se qualifier comme le tiers du serment quen disant notre nom Ce nom qui équivaut au sien. Il témoigne de notre serment à nous en disant son nom à lui. Les amants naissent de la parole de lenfant. Et si lenfant à la fin doit parler, il ne convient plus de le nommer un enfant, mais définitivement le tiers qui témoigne. Lenfant peut du moins alors honorer son père et sa mère en leur disant leur nom leur nom de famille ; mais ce nom, le leur, coïncide avec le sien ; il les honore donc en leur disant son propre nom, parce que ce nom lui reste heureusement impropre. Nous gardons un nom de famille, un air de famille. Dans léloignement de lenfant, je ne perds pas tant lenfant (qui ne cesse, lui, de se trouver et de se retrouver) que moi-même Moi-même ou plutôt nous-mêmes et notre serment qui sen va avec lui, sous le couvert dune chose apparente dans le monde. Lenfant me reste alors encore le tiers, qui témoigne de mon serment, parce que ce non-moi quil me devient porte encore en lui notre nom plus moi que moi, plus longtemps moi que moi. Sans savoir vers quoi, je mévade moi aussi en madonnant au départ du tiers, à lenfant en transit. Jy gagne mon nom.
Date de création : 03/11/2015 @ 19:17 Réactions à cet article
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