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Parcours psychophysique - Le désir et le bien




LE DÉSIR ET LE BIEN

Sont relevées 27 pensées directrices dont 21 en provenance du physicien

(DB) Je crois que le désir est fondé sur l’imagination – non seulement sur l’anticipation d’un plaisir, mais sur l’image qu’on se fait de la beauté et même du bien.
(73-74)
– Nous désirons en général des choses estimées belles. Par exemple l’or ou les pierres précieuses, qui ont très peu de valeur intrin­sèque. On leur a attribué une valeur en raison de leur beauté qui défie le temps. On est donc prêt à tout pour les avoir.
– On a soif de pouvoir, de réussite sociale
– C'est la même chose.
– Oui, tout cela revient au même. Comment naît le désir? Est-ce là la question?
– Oui. Comment naît-il et quelle en est la signification?
– Comment il naît ? Par exemple, je vous vois au volant d'une grosse voiture, ou en situation pri­vilégiée d'homme politique, et tout cela me fait envie, je voudrais l'avoir aussi.
– Mais cela n'explique pas clairement pour­quoi je suis prêt à aller si loin pour satisfaire mon désir?
– J'en retire un immense plaisir.
– Oui, mais pourquoi ce plaisir m'est-il nécessaire? À moins que je n'aie depuis toujours confondu ce plaisir avec autre chose – une chose qui, elle, serait d'une immense valeur?
– Ne connaîtrais-je donc rien d'autre que le plaisir ?
– Je connais pourtant quantité de choses, je connais toutes sortes de choses.
– Serait-ce alors que je mène une existence tellement superficielle ? Mon éducation est super­ficielle ; le plaisir est superficiel; voilà d'où me vient cette soif.
(D. B.) Il faut pourtant que les choses n'appa­raissent pas sous un jour superficiel, sinon, elles ne mériteraient pas qu'on en rêve. Nul ne brûlerait d'envie d'une chose jugée superficielle. (74-75)
– Non, en effet. Si j'admets qu'un plaisir est superficiel, il ne me tente plus.
– Mais nous avons en somme l'impression que le plaisir est quelque chose d'autre, quelque chose de fondamental, d'essentiel. Ou tout au moins qu'il pourrait l'être.
– II peut donner cette impression, mais est-ce vrai ?
– Ce n'est peut-être qu'une apparence, mais pourquoi le plaisir prend-il cette apparence ?
– Qu'est-ce qui me pousse à croire, contre toute vraisemblance, à l'importance fondamentale du plaisir ?
– En effet...
– Le plaisir serait-il un moyen parmi d'autres de masquer ma propre vacuité ?
– C'est possible. Je pense que le plaisir contribue à créer l'impression d'une existence mer­veilleuse, harmonieuse et pleine.
– Le plaisir est-il associé à la beauté ?
(D. B.) Je crois que le plaisir est associé à la beauté. D'un point de vue général, le fait même que le terme d'« amour» soit lié au désir mais aussi à la beauté suggérerait qu'il existe une association entre plaisir et beauté. D'une chose belle, on attend en principe qu'elle soit source d'expériences gratifiantes. (75-76)
– Oui, je comprends. Je vois un très bel objet – en quoi le plaisir intervient-il dans tout cela ? Cet objet, j'aimerais le posséder, l'avoir à moi.
– J'aimerais qu'il soit à moi pour toujours ; j'aimerais que l'expérience se répète, en quelque sorte.
– Oui. J'aimerais qu'il soit à moi pour tou­jours. D'où me vient cette réaction?
– D'une espèce de crainte d'en être privé.
– Cela viendrait-il de moi? De l'absence de toute beauté en moi ?
– Cela explique peut-être en partie les choses. Ce sentiment d'une absence de contact intime avec la beauté, qui suscite en moi cette soif d'autre chose.
– La beauté est donc ailleurs, là-bas, et c'est pourquoi je la veux ?
– Les deux vont de pair. Le dictionnaire nous dit, à propos de la beauté, que c'est une qua­lité qui n'est pas simplement le propre de l'objet, mais qu'elle est dans l'œil de celui qui regarde.
(DB) Autrement dit, la beauté est à la fois dans l'objet lui-même et dans la qualité de la sensation qu'il suscite. En un sens, il n'y a donc pas de division entre observateur et observé. (76)
Mais supposons qu'en moi toute beauté soit absente, que je sois sans contact avec elle ; la vue de cet objet fait éclore en moi le sentiment du beau.
– Oui, je comprends.
– Supposons alors que cet objet disparaisse. Je me retrouve dans mon état précédent, et je recommence à rêver de cette expérience.
– Alors où est le problème ?
– Je crois que la vraie question, c'est de comprendre ce processus du désir, car, faute de le comprendre, je pense que la confusion qui règne autour de la pensée n'aura jamais de fin. On a d'un côté le désir, et de l'autre ce dont nous venons de parler – la vérité, la réalité, etc. Le désir se situe du côté du ressenti. Dès lors que la confusion s'im­misce dans le désir, tout notre esprit se met à fonc­tionner de travers, et l'on finit par s'imaginer que toute chose coïncide, ou peut coïncider avec notre désir.
– Diriez-vous que le désir appartient au champ du réel ?
(D.B.) Oui, il semble que le désir se situe dans le plan du réel, tout en faisant en quelque sorte semblant de ne pas en faire partie. Il se présente comme étant une voie vers la vérité. (77)
– Mais la vérité peut-elle être pour moi objet de désir?
– Cela, c'est une autre question. Il semble­rait que je puisse effectivement désirer la vérité ; je pourrais tout au moins avoir le désir du beau, ou du bien. C'est une idée généralement admise que l'on puisse éprouver le désir du bien ou du beau - en tout cas dans le langage commun.
– Cela, je le conteste. La beauté est-elle de l'ordre du réel?
– Et le bien – est-il, lui aussi, de l'ordre de la réalité ? L'attitude la plus répandue, me semble-t-il, c'est de considérer le beau et le bien comme pratiquement équivalents.
– Synonymes. La beauté, l'amour et le bien sont-ils de l'ordre du réel, sont-ils créés par la pen­sée, sont-ils pour moi des objets de désir?
– S'ils se situent dans le plan de la réalité, alors il serait logique que je brûle du désir de les faire miens.
– Exactement. Mais cette beauté, cet amour, ce bien mêmes, sont-ils de l'ordre du réel ?
– Non.
– Alors que le désir, lui, se situe dans le plan du réel.
(D. B.) Oui, le désir est un mouvement qui s'ef­fectue dans le plan de la réalité, et qui cherche, par un effet de projection, à faire entrer dans le plan du réel quelque chose qui se situe normalement hors de ce plan. 77-78)
– Oui. La projection, elle, fait effectivement partie du réel, mais ce phénomène nous échappe.
– Exactement. Cela nous explique pour­quoi le désir est toujours contradictoire.
– Bien sûr, c'est vrai.
– Mais parce que la chose ainsi projetée semble transcender le champ de la réalité, et même après avoir atteint l'objet qu'on était censé désirer, on a le sentiment qu'il ne répond pas du tout à notre attente, la réalité ainsi atteinte nous laisse toujours un arrière-goût de manque.
– Très juste. Alors, la beauté est-elle en quelque façon du côté du réel ?
– Non. À l'évidence, la réponse est non.
– Cela ne fait aucun doute. Et donc, étant donné que la soif de beauté se manifeste dans le plan du réel, il s'agit d'un mouvement de la pensée où la beauté, une fois projetée dans l'imaginaire, devient ensuite un objet de désir. Mais demandons-nous plutôt ce que serait une beauté ou un bien qui ne seraient pas liés au champ de la réalité.
(D.B.) La beauté me remplit de perplexité, car elle est mystérieuse à bien des égards. Prenons un objet dans l'univers – un arbre, par exemple – et supposons qu'il soit beau. L'arbre n'est pourtant pas lui-même la beauté. En d'autres termes, la beauté n'est pas du côté de la réalité, elle est de l'ordre de l'essence. (78-79)
– Tout à fait. Je dirais que la beauté ne se situe pas dans le plan du réel.
– Certes, mais l'arbre, lui, est dans le champ du réel.
– L'arbre est, il existe.
– C'est exact. Mais nous devons être très clairs, car, en termes ordinaires, nous dirions que l'arbre est réel.
– Oui, tout à fait.
– Par exemple, si vous étiez bûcheron, vous le considéreriez comme une réalité.
– Bien sûr. Mais ce qui est, en revanche, est de l'ordre du beau.
– Oui, c'est exact. Cela dit, nous risquons de buter sur un problème de langage si nous disons que l'arbre n'est pas réel, mais qu'il est. L'arbre, c'est ce qui est, pourtant il n'est pas réel.
– Oui, on peut exprimer les choses ainsi.
– C'est une telle violation du sens ordinaire des mots !
– L'arbre tel que nous le concevons générale­ment est une réalité. Mais nous disons que la vérité, c'est ce qui est. Et, lorsque je regarde l'arbre, je le fais passer dans le plan du réel par le fait même d'y penser.
– Et j'agis en même temps sur l'arbre en tant qu'objet réel.
– Oui, comme le ferait un menuisier.
– Mettons les choses au clair à présent. Nous disons que le bien n'appartient pas au champ du réel.
(D.B.) Le bien peut agir au niveau du réel, mais son essence est ailleurs. (80)
– Il n'appartient pas, en essence, au plan du réel. Les bonnes œuvres, la bonne conduite, le bon goût, la bonne cuisine, les bonnes pensées – tout cela appartient au champ du réel. Mais le bien en tant qu'essence de ce qui est bien et bon n'en fait pas partie.
– Au cours de cette conférence avec des scientifiques, vous avez fait mention d'une sorte d'énergie universelle, indépendante, autonome et ordonnée.
– Oui, et étrangère à toute contradiction.
– Il s'agit donc d'une forme d'énergie auto­nome ayant une portée cosmique et qui n'appar­tiendrait à aucun objet ni à aucune classe d'objets en particulier ?
– Oui.
– Voulez-vous dire que l'énergie en ques­tion, c'est l'énergie de ce qui est?
– Examinons la question avec le plus grand soin.
(D. B.) L’énergie (de ce qui est ) est d'actualité dans de nombreux domaines, y compris en physique. Sans vouloir trop approfondir pour l'instant, sachez que des notions assez proches ont été évoquées en phy­sique, selon lesquelles la vacuité de l'espace serait le lieu d'une énergie dotée d'un ordre parfait. (80-81)
– Oui, d'un ordre parfait, je suis d'accord là-dessus. Voyez-vous, la réalité, c'est l'objet, la chose. La vérité, elle, n'est pas de l'ordre de l'ob­jet, de la chose, c'est le non-objet, la non-chose – le rien, le néant. L'objet génère une énergie...
– Une certaine forme d'énergie.
– Une seule et unique forme d'énergie.
– Une énergie limitée.
– Alors que la non-chose, le néant, qui est vide, est sans limites.
– Il dispose d'une énergie illimitée. Vous suggérez par là que cette énergie sans limites est autosuffisante, ne dépend de rien, d'aucun objet.
– Elle ignore toute contingence. Donc, l'une de ces formes d'énergie est contingente, dépen­dante, et l'autre ne l'est pas.
– Et, en dernière analyse, la première pour­rait dépendre de la seconde. Serait-il possible que toute chose dépende, en définitive, de l'illimité, de cet autre plan d'énergie ?
– Bien sûr. C'est ce que nous sommes en train de dire. Mais on tombe alors dans le piège qui consisterait à dire que Dieu est en nous, que cette énergie suprême est en l'homme.
– Non, essayons de dire les choses autre­ment. Le problème est lié à cette question, soule­vée au cours de la conférence scientifique, qui est de savoir si cette énergie et l'énergie de la pensée...
– ... ne font qu'un.
(DB) S'agit-il d'une seule et même énergie, actuellement mal utilisée? Nous n'avons jamais tout à fait réglé la question. Je crois qu'on en revient plus ou moins à la question de savoir s'il existe une énergie unique, générant à la fois le vide et les objets, ou s'il y a deux énergies distinctes. (81-82)
– Il n'y en a qu'une. Il n'existe qu'une seule et même énergie, qui est mise à profit dans l'uni­vers du réel, et qui est par conséquent destructible, pervertie, et source de destruction, de dégénéres­cence, etc. Cette même énergie constitue le néant, et le néant n'est autre que la mort. Nous sommes bien d'accord?
– Oui.
– Je pense – j'hésite un peu à le dire – que la forme d'énergie issue du néant est cependant diffé­rente de l'autre.
– Mais existe-t-il une certaine unité, une certaine connexion ?
– Oui, je le crois, mais la connexion ne peut se faire que dans un seul sens, allant du néant vers l'objet; l'inverse est impossible. Essayons d'avancer pas à pas. L'énergie du néant est-elle donc diffé­rente, distincte de l'énergie de l'objet? Pour l'ins­tant, je constate qu'elles diffèrent l'une de l'autre en raison de leurs dissemblances.
– Oui, elles sont dissemblables – c'est l'un des sens de «différent». Cela permet d'envisager une relation à sens unique.
– Les deux ne seraient-elles pas plutôt confon­dues? L'une – celle qui s'applique au champ du réel – étant mal utilisée, corruptible, etc., et l'autre étant infinie, sans limites.
(D. B.) : En d'autres termes, au lieu de dire qu'il y a deux sortes d'énergie, nous disons qu'il n'y en a qu'une, qui est infinie, mais que l'infini inclut le fini, il ne l'exclut pas. Telle est notre première pro­position. (82-83-84)
– La seconde étant que la relation fonctionne à sens unique – du néant vers l'objet et non l'inverse.
– Non, nos deux propositions n'en font qu'une. Si vous dites que cette énergie, c'est l'infini et que celui-ci contient le fini, il en résulte que l'infini peut entrer en relation avec le fini – mais cela ne signifie pas que le fini puisse avoir la moindre action sur l'infini.
– En effet. Mais je persiste à voir une diffé­rence.
– Bon, d'accord.
– Le néant, avons-nous dit, c'est la mort, autrement dit la fin absolue et définitive. Par ailleurs, la pensée, dans le plan du réel, n'a jamais de fin. La pensée génère sa propre énergie. L'énergie du néant et celle de la pensée sont-elles identiques, ont-elles la même source ? Dans un cas – le plan du réel –, les êtres humains détériorent cette énergie, la source en est polluée. Serait-ce donc la même énergie qui agit dans l'univers de la vérité? Prenons l'électricité : vous l'utilisez à tort et à travers, un autre en fait bon usage – c'est pourtant la même source d'énergie. L'énergie propre au néant est-elle au contraire tout à fait différente, radicalement autre ?
– Formulons la question autrement : un mouvement ancré dans l'univers du réel peut-il jamais parvenir à la vérité ?
– Non.
– Non, en effet. Pourquoi ?
– Parce que l'univers du réel est constitué d'objets, conditionné.
– Donc, toute jonction entre le réel et le vrai, toute relation étant impossible et inexistante, la vérité ne peut agir sur le terrain du réel. Les deux univers restent disjoints.
– Nous avons dit qu'il s'agissait d'une relation à sens unique.
– Elle n'est donc pas réciproque.
.
(D.B.) Non, en effet, il n'y a pas réciprocité. On pourrait peut-être dire que la vérité agit au sein du réel – par l'intermédiaire de la mort; c'est-à-dire, grâce à l'abolition définitive du faux, par exemple. (84)
– Oui. Nous en revenons toujours au même. La pensée peut être abolie, c'est une évidence que l'on peut constater. Mais cette fin ultime de la pen­sée n'équivaut-elle pas à la «non-chose», au rien, au néant ?
– Eh bien...
– Non, je crois être dans le vrai en disant qu'il y a deux énergies distinctes. L'énergie du néant, de la non-chose est totalement différente de l'autre.
– Vous n'avez pourtant pas expliqué pour­quoi il peut exister une relation dans laquelle cette non-chose agirait dans le plan de la pensée ou du réel.
– Ce néant ne peut pas agir, car toute chose y est incluse.
– Oui, cela signifie donc que ce néant inclut l'univers du réel.
– Non.
– Alors qu'entendez-vous par toute chose? Cela n'inclut-il pas toutes les choses, tous les objets quels qu'ils soient, présents dans l'univers du réel ?
(K) Là, il faut faire très attention. Nous avons dit que néant voulait dire fin ultime – donc aboli­tion de toute chose. Dans l'univers du réel, qui dit fin, dit continuité sous une autre forme ; la vérité, elle, n'a pas de continuité, contrairement au réel. (85- 86 -87)
– Oui, c'est juste, la différence est claire.
– Du côté du réel, la fin signifie mouvement dans le temps ; du côté de la vérité, il n'y a pas de mouvement dans le temps. S'agit-il dans les deux cas du même mouvement ?
– Le temps serait une sorte de minimouve­ment au sein même de l'infini?
– Exactement.
– Effectivement, au cours de la réunion scientifique, vous aviez introduit cette analogie, faisant allusion à une zone restreinte incluse dans un vaste espace. Est-ce ainsi que vous voulez envi­sager le temps ?
– Ah, je vois - eh bien, non, je reste intime­ment persuadé que cette chose dont nous parlons est radicalement différente.
– En effet.
– Disons les choses autrement. Dans l'univers du réel, l'amour a une signification différente - il y a la jalousie, etc.
– C'est ce qui arrive quand l'amour se laisse prendre à ce piège; pourtant, selon moi, l'amour peut agir d'une manière limpide dans le champ du réel.
– Oui, l'amour peut agir dans l'univers du réel, mais l'amour tel qu'il se manifeste dans la réalité, ce n'est pas l’amour.
– C'est le désir.
– C'est le désir, avec tout ce que cela suppose. Nous revenons peu à peu au même point de départ.
– Donc, si l'amour est piégé à ce niveau du réel, il ne s'agit plus d'amour.
– Donc, l'amour existant au sein du néant peut agir sur l'univers du réel, mais ne peut jamais être pollué en entrant dans le cadre du réel : cet amour-là est donc tout à fait original.
– Pourrions-nous reprendre les choses à rebours ? Nous avons décrit la mort comme étant la fin abso­lue et dit que ce qui a une continuité ne peut jamais être créé. Ce qui est doté d'un mouvement, au sens temporel, ne connaît pas de fin. Et nous avons dit que la mort, la mort intérieure, est la fin de tout - de toute chose. Il n'y a aucun rapport entre les deux. J'aimerais pouvoir me dire que l'action de la vérité dans l'univers du réel m'est accessible.
– Nous avons pourtant dit, jusqu'ici, que la vérité agissait effectivement sur le plan du réel.
– Mais est-ce bien vrai ? Est-ce possible ? La vérité est dénuée de mouvement; comment une non-chose pourrait-elle agir sur le réel, qui, lui, est constitué d'objets, de choses?
– Pourrait-on poser ainsi la question : un esprit étranger à toute mesure, et n'appartenant pas à l'univers de la mesure, peut-il agir sur et dans cet univers de la mesure ?
– Qu'est-ce qui agit, alors?
– La mesure, rien d'autre qu'elle.
(D. B.) La mesure opère dans le cadre de l'uni­vers de la mesure, mais cet esprit intervient et rend perceptible la fausseté de ce système de mesure. Je prends conscience du caractère erroné de ce sys­tème, et c'est alors que... (86-87)
– je modifie le système de mesure.
– Mais, avant de le modifier, je dois d'abord voir qu'il est faux. N'est-ce pas cela, l'action de la vérité ?
– Non. Je mesure la longueur de la table, et je m'aperçois qu'elle n'entre pas dans la pièce.
– Oui, mais comment est-ce que je le vois ? Si l'esprit fonctionne de manière claire et lucide, il va le voir, sinon, il sera sans doute plongé dans la confusion et ne verra rien.
– C'est évident. Si je mesure bien, à l'aide d'un mètre, et si je m'en tiens là, tout est correct. Mais on ne sort pas de l'univers de la mesure.
– Oui, la mesure s'effectue dans l'univers du mesurable. La pensée fait partie de ce système de mesure. Mais il importe que la pensée soit claire, libre de toute confusion, de toute fausseté. Or actuellement, en raison du désir ainsi que d'autres facteurs, la pensée déforme les choses, et devient fausse. Alors, qu'est-ce qui différencie l'esprit doté d'une pensée fausse de celui dont la pensée n'est pas gauchie ?
– Cette fausseté de ma pensée n'est-elle pas perceptible dans le cadre du réel ?
– Non, ce qui est perçu, c'est la vérité de cet état – la vérité quant à l'univers du réel. La vérité, en ce qui concerne l'univers du réel, c'est qu'il est défiguré et faux.
(K) En effet, pouvons-nous dire que l’univers du réel, c’est la mesure – gardons ce terme pour l’instant – et que dans ce cadre du réel, la mesure peut être vraie ou fausse ? (87-88-89)
– Oui, elle peut être exacte, juste. J’éviterai de dire vraie.
– Disons alors que la mesure peut être juste ou fausse dans le cadre du réel. Or le néant, lui ; exclut toute mesure. Quel rapport y a-t-il entre les deux – l’un admettant la mesure l’autre non ?
– Mais qu’est-ce au juste qui voit si oui ou non telle mesure convient ? Si la mesure n’est pas la bonne, il y a contradiction. Qu’est-ce qui la voit, cette contradiction ? Le monde du mesurable ne dispose pas de critères de garantie quant à l’exactitude des mesures. Il nous faut autre chose, au-delà de ce niveau.
– Tout à fait. Pourtant si je mesure mal, cela crée des problèmes.
– Certes, mais ma réalité étant déformée, je peux étouffer ma prise de conscience du problème.
– Le problème se situe toujours dans la même zone.
– Oui, mais qu’est-ce qui nous permet de cerner le problème existant dans cette zone ?
– Je sens que je suis perturbé.
– Cette perception, beaucoup pourtant ne l’ont pas.
– Parce qu’ils ne sont ni sensibles, ni attentifs, ni conscients. Et cependant, le problème n’en est pas moins là.
– Qu’est-ce qui les empêche d’en prendre conscience ?
– Leur éducation – et une foule de questions diverses.
Pour l’instant, restons-en à l’idée que la mesure est là, au cœur du réel et qu’elle peut être juste ou fausse. La question est de savoir, comme vous le dites, qui distingue le juste du faux ? Il s’agit toujours du même esprit – celui qui a effectué la mesure.
(DB) Pourtant, il semble bien que la notion de chose juste, correcte, est une idée qui se tient (89)
– Oui. Mais même si c'est une idée heureuse, commode et bien adaptée, elle n'en demeure pas moins inscrite dans ce plan-là – toujours le même –, je n'en démords pas.
– Oui, on reste toujours au même niveau, mais dans ce plan-là il est impossible de garantir...
– ... la fiabilité absolue.
(DB) Il me semble pourtant qu’il doit exister une perception qui transcende ce champ (89)
– Pourquoi? Pourquoi devrait-il y avoir un autre niveau de perception en dehors de celui-ci ?
(K) On ne pourrait parler d’une autre perception que vérification faite de l’existence du néant (89)
– Ce néant n'est-il qu'une hypothèse, une théorie, une élucubration de la pensée, ou bien pure vérité ? S'il n'est qu'une structure verbale, il reste circons­crit au plan du réel.
– Il va de soi que, si c'est une structure d'ordre purement verbal, il ne changera jamais.
– S'il ne s'agit que d'une théorie, d'une hypo­thèse, d'un objet de la pensée, on reste toujours dans le même plan. Alors que nous parlons d'un plan où la pensée n'a pas accès – qui est donc celui du néant.
(K) Et notre question, c’est de savoir s’il existe une relation possible entre une pure vérité et un plan où la pensée n’a pas d’accès (le néant) (90)
Là est la question clé. Si j'affirme que la relation existe, que se passe-t-il alors? Je m'échine, je me bats pour atteindre cette chose idéale. Donc, j'imagine être en relation avec cette chose, soit de manière théo­rique, hypothétique, soit en entretenant l'espoir, autrement dit le désir.
(K) Je me laisse prendre au désir et à l’espoir, en m’imaginant intimement lié à cette chose. Pourquoi une telle attitude ? (90)
Parce que j'ai envie de quelque chose qui soit permanent, invul­nérable aux blessures, qui jamais ne s'achève ni ne commence ni ne connaisse la souffrance – qui soit tout cela à la fois. Je projette donc sous forme d'idéal, d'objet imaginaire, d'espoir ou de désir, l'idée qu'une telle chose existe. Lorsque, en par­tant du niveau où je suis, je projette cette notion idéale, quelle que soit la notion projetée, elle devient irréelle, imaginaire, illusoire.
Mais si le néant existe vraiment – et pas seule­ment en théorie –, alors, où est le point de jonction entre les deux univers ? C'est en mourant à la réa­lité – mais l'idée semble absurde – et à cette seule condition que le néant peut exister. «Mourir à la réalité » veut dire mourir à tout ce qui résulte de la pensée. Cela veut dire mourir à tout ce qui procède de la mesure, du mouvement et du temps.
Le néant, je ne sais rien de lui. Il dépasse mon imagination. J'ignore ce qu'est le néant, ce n'est donc pas lui qui fait l'objet de mes préoccupations, mais ce monde-ci - celui où je vis. Et, dans ce monde, je suis toujours coincé entre le vrai et le faux, entre juste mesure et fausse mesure, et j'es­saie constamment de me maintenir en équilibre entre les deux. Ou bien je poursuis l'une et je rejette l'autre. Mais je reste toujours dans ce monde-ci. Alors, suis-je assez lucide pour voir que le désir, l'espoir, la lutte n'en finiront jamais, puisque c'est ici que je vis?
Je ne sais rien du néant – vous l'avez inventé de toutes pièces. Peut-être savez-vous ce qu'est le néant – je préfère l'ignorer –, je ne connais que ceci – mon univers –, et mon désir ne consiste pas à percer le secret de cela – le néant – mais à me libérer de ceci.
(DB) S’il s’agit d’un désir, on en revient toujours au même, non ? (91)
– Oui, je dis que mes désirs, mes espoirs, mes attentes ont tous la même source – elle est ici. Je fais donc toujours intervenir ma pensée, et je retombe donc sans cesse dans le piège qui consiste à vouloir accéder à cette chose idéale. Alors vous me dites de mettre fin à toute pensée – mais pas parce que j'aspire à cet état. Je peux mettre fin à la pensée, mais cette mort de la pensée est-elle diffé­rente de tout ce que je vis ici ?
– Que voulez-vous dire? Qu'est-ce qui est différent ?
– Je peux mettre fin à la pensée par la persua­sion, à force de pratique.
– Mais le processus reste identique.
– Bien sûr. Pourtant, j'ai l'impression d'être capable d'y mettre fin.
– Oui, mais cela reviendrait toujours au même.
– On en serait toujours au même point. La fin définitive et sans motif de la pensée est-elle possible dans ce monde-ci ?
(DB) « Sans motif » – vous venez, me semble-t-il, en disant cela, d’introduire la notion
de néant (92)
– Il suffit que ma perception soit totale pour que.la fin advienne. Alors ce plan-ci et celui-là se confondent dans le néant. Mais je crois que c'est une erreur de ma part de poser la question de savoir si les deux plans sont reliés. En tout cas, moi, je refuse de la poser, car je ne connais que ce monde-ci.
Comme je ne connais que lui, mon énergie se limite à ce champ, elle est corrompue, pervertie, névrotique, pathologique – tout est ainsi. Et celui qui affirme : « Le néant existe », ne fait rien d'autre que se payer de mots : il n'est pas en contact avec ce néant, il se contente de dire : « Le néant existe. » Comment prendre cet homme en défaut ? Il ne dit pas : «Le néant contient tout» – car il voit le dan­ger d'une telle affirmation; non, il se garde bien de dire cela, il affirme simplement l'existence du néant. Et un autre rétorque : «À quoi tout cela sert-il ? Ce n'est pas monnayable, cela ne soulage pas ma douleur, n'apaise pas mes souffrances – gardez ça pour vous, c'est sans intérêt. »
(DB) Vous dites essentiellement que nous devons aborder le problème en posant une question qui soit juste et ne présuppose pas d’éléments faux (93)
Mais quelle que soit la justesse des propos tenus quant au néant, dès lors que notre lieu d'expression est l'univers du réel, la rigueur et la cohérence de ces propos ne peuvent être assurées.
– C'est exact. Donc, l'énergie propre au néant est très différente de ce que nous connaissons. Et cet homme dit: «Ne vous préoccupez pas du néant : regardez la réalité en face, et dégagez-vous-en. Mais ne vous occupez pas du reste. N'introdui­sez pas la notion de cosmos dans ce qui n'est rien que le limité. »
– Vous aviez pourtant introduit cette notion au cours de la conférence avec les scientifiques.
– Oui, et, si je l'ai fait, c'est parce que je vou­lais qu'ils sachent qu'il existe quelque chose de cet ordre – et pas seulement un tas de choses insi­gnifiantes. C'est une notion qu'on peut rejeter. Et voici que vous venez me déclarer : « L'état de néant existe.» Vous dites cela, et c'est pour vous une vérité profonde. Cet état est une mort – on a l'esprit vidé de tout. J'entends cette parole, parce qu'elle vient de vous. J'ai le sentiment qu'elle est vraie, à cause de la façon dont vous la proférez, et en vertu de votre présence même : vous êtes un homme parfaitement sensé, et votre univers possède cette chose-là. C'est pourquoi je veux y entrer. Mais vous dites : «Allez au diable ! Vous n'y arriverez jamais ! » Je crois que c'est juste, sinon, on retombe dans le piège des vieux discours qui disent : « Dieu est parmi nous», «La vérité est là, au sein du réel », et ainsi de suite.
Mais la réponse est-elle que cette beauté, ce bien suprême, cette vérité, dans toute leur pureté, tout cela ne serait que néant ? Le bien, le beau, le juste sont pourtant tous dans le plan du réel, qui est dif­férent de l'autre. Telle est, je crois, la situation exacte.
(DB) Je crois que ce que l’on attend généralement de cet état de néant c’est qu’il ne donne pas naissance à un homme dont les actes soient dictés par le mal (94)
– Vous voyez !
– Oui, je sais, mais je ne fais que constater.
– La question n'est pas la bonne.
– Mais cette question, nous devons la prendre en considération, car elle est là, présente en chacun de nous, dans notre environnement, dans nos traditions, et dans le monde entier.
(DB) Nous avons ancrée dans nos traditions la conviction que tout homme dont l’action serait inspirée par le néant ou Dieu ne saurait mal agir (94)
– En effet, dans l'univers juif et hindou – pas chez les chrétiens –, on trouve cette notion d'un incommensurable, d'une entité sans nom. C'est ici que je vis – et pourtant je l'interpelle sans cesse, « Lui » qui ne reconnaît même pas ce nom ! Tels sont, je crois, les véritables faits... C'est donc strictement de ce monde-ci que je dois m'occuper !
– Est-ce que je vois l'ampleur du problème ? Le voir suffit à m'en délivrer.
– Tout cela se tient, et j'en soutiens la véracité.
– Donc, il n'y a pas de relation entre ces deux plans. Pour celui qui fait l'expérience de la mort – non, je récuse le terme d'«expérience» –, pour celui qui meurt, non pas sous anesthésie au cours d'une opération, ni pour cause d'accident, de mala­die ou de vieillesse, mais pour celui qui meurt tout en étant vivant, actif, il y a fin, cessation défini­tive : il n'est plus. Dans le plan du réel, la fin est une tout autre chose; il en résulte que les deux plans ne sont pas reliés.
– Bien, je reste sur ces positions, qui sont très claires, et je suis prêt à les soutenir face aux scien­tifiques !
– Donc, l'amour tel qu'il existe au sein du réel est une chose. Mais le même terme ne convient pas pour décrire ce dont nous parlons ici : on peut tou­jours l'appeler «compassion», ou autrement, mais ce n'est plus le même mot, son contenu n'est pas le même.
(DB) Nous avons déjà parlé de l’amour comme étant un processus relationnel, cela semblerait a priori le situer du côté du réel, puisque toute relation s’inscrit dans ce plan. (95)
– Oui, actuellement, l’amour reste toujours inscrit dans ce champ. La relation telle que je la vis est un mouvement lié au temps, au changement, et passant par des destructions et des mutations, etc.
(K) Lorsque je considère la relation dans toute son ampleur (rapport de quelque chose à quelqu’autre), que je la perçois réellement – c’est donc que celui qui perçoit et la chose perçue ne font plus qu’un, que celui qui perçoit n’existe plus, que seule reste la perception – alors l’ensemble de ce champ du réel cesse d’exister (96)
Je pose alors cette question : «Qu'en est-il de la relation une fois que tout cela a pris fin?» Voilà que cet homme me dit : «Fais-en d'abord l'expé­rience, je te répondrai après.» Lui, il a vaincu l'Everest – pas moi. Il peut me raconter les splen­deurs de son ascension, mais moi je suis toujours dans la vallée. Et je meurs d'envie de voir ce qu'il a vu. C'est cela, l'objet de mon désir – jouir de la description, mais pas faire l'ascension.
Personnellement, quand je fais une escalade, je suis sans désir; dans l'escalade il n'entre aucun désir. Mais le désir est là dès que nous cherchons à réaliser tout ce qui nous a été décrit.
Bien, je crois que les faits parlent d'eux-mêmes : la vérité, c'est que nous cédons au piège de la des­cription, au lieu de nous lancer pour de bon dans l'escalade.
LA VÉRITÉ EST DANS CHAQUE ACTION QUI NOUS ÉVITE DE CÉDER AU PIÈGE DU DÉSIR, LUI-MÊME ATTACHÉ À LA DESCRIPTION QUI EN A ÉTÉ FAITE (K)



Date de création : 08/02/2013 @ 12:38
Dernière modification : 11/02/2013 @ 11:48
Catégorie : Parcours psychophysique
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